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Jonas Rents & Samia Ben Rajeb

Construction d'un protocole de collecte de données visuelle pour l’analyse de la collaboration au sein de projets d’architecture

(ModACT 2023)
Article
Open Access

Résumé

Dans cette étude de recherche participative, nous avons développé un protocole de collecte de données pour comprendre les obstacles à la collaboration dans le secteur de l’architecture, de l’ingénierie et de la construction (AEC). Ce protocole se compose de trois étapes principales : la modélisation du processus de travail (workflow), l’évaluation de la qualité de la collaboration et le recensement des points aidants/bloquants survenus durant le projet. Il se base sur des méthodes visuelles pour faciliter la collecte et l’analyse des données lors d’entretiens. Pour évaluer l'adéquation de ce protocole à la réalité du terrain, nous avons organisé un workshop avec des praticien·ne·s du secteur AEC pour évaluer l'utilité, l'utilisabilité et l'acceptabilité de l'outil. Les résultats ont montré que le protocole était efficace pour identifier et comprendre les barrières et facilitateurs de la collaboration, mais des pistes d'amélioration ont également été identifiées pour optimiser l'outil dans un futur prototype.

Index de mots-clés : Collaboration ; Activités collectives ; Analyse de l’activité ; Collecte de données ; Secteur AEC

11/05/2023

1. Introduction

1Le travail que nous présentons ici s’inscrit dans le cadre d’une recherche centrée sur un état des lieux des activités collaboratives dans le secteur belge de l’architecture, l’ingénierie et la construction (AEC) entre les différents acteurs de cette industrie. La collaboration est entendue ici dans son sens le plus large, c'est à dire un travail collectif qui implique « l'articulation de compétences et/ou de tâches individuelles nécessaire à l'accomplissement d'un but commun » (Pavard & Karsenty, 1997, p. 1). Cette étude vise à offrir une vision globale sur la situation en Belgique en définissant le Quoi?, Pourquoi?, avec Qui? et Comment? de la collaboration.

2Le secteur AEC se démarque par son mode de fonctionnement uniquement axé autour de projets confiés à des multi-organisations temporaires (Aubert, 2017). Ces entreprises travaillent ensemble lors d’associations limitées dans le temps, amenant chacune leurs spécialisations mais aussi leurs modes de travail, leurs intérêts, leurs valeurs et leur culture propre (Liu et al., 2017). Ces dernières années, le nombre de parties prenantes à ces projets de construction a augmenté, que ce soit à cause de leur croissante complexité – réglementations PEB, durabilité, patrimoine, etc. – (af Hällström et al., 2021) ou pour des raisons de compétitivité (Akgul et al., 2017). Dès lors, une bonne gestion de la collaboration apparaît comme essentielle au projet pour garantir son succès (Bohnstedt & Wandahl, 2019; Eriksson et al., 2017; L. Zhang et al., 2018). Effectivement, certaines études ont démontré que la qualité des livrables et la productivité de l’industrie étaient dépendantes de la collaboration (Savolainen et al., 2018), notamment grâce à la réduction des problèmes intra- ou interphases (Faris et al., 2022). Outre les facteurs traditionnels de performance en AEC, la collaboration peut favoriser les relations de travail harmonieuses indispensables à un développement stable à long terme (L. Zhang et al., 2018) ou encore à encourager l’association momentanée à innover, via l’échange et la création de savoirs (Eriksson et al., 2017; Liu et al., 2017; R. Zhang et al., 2020)

3Pour cette étude qui relève de la recherche participative, il nous semblait essentiel de récolter les perceptions des professionnel·le·s du secteur. Alors que nous avons abordé la question via des méthodes d'entretiens qualitatifs, nous avons observé qu’elles pouvaient présenter des limites pour répondre à l’objectif de recherche visé, notamment à cause de la complexité des activités collectives de conception et construction à restituer pour aborder le sujet. Nous avons donc développé un outil d’analyse qui permet d’appréhender ces complexités, adapté aux spécificités du secteur AEC. Cet outil utilise des concepts et des méthodes visuelles pour faciliter les entretiens qualitatifs et se base sur la modélisation du processus de travail (workflow) comme point de départ. Cet article vise à présenter la construction de cet outil, que nous considérons comme une possibilité de collecte et d’analyse de données afin d'identifier et comprendre les barrières de la collaboration dans le secteur. Il décrit les étapes de développement de cet outil, puis son analyse avec des praticiens du secteur, en présentant les pistes d'amélioration qui ont été identifiées.

2. Processus de construction de l’outil : méthodologie

4La recherche participative est une approche de recherche qui implique une collaboration étroite entre les chercheurs et les parties prenantes concernées par la question de recherche. Elle se concentre sur la co-construction d'un savoir où la théorie et la pratique sont liées (Anadón, 2007). Dans le domaine de la construction, les démarches participatives (notamment sous la forme de recherche-action) sont souvent utilisées pour aborder des questions de participation et de collaboration des parties prenantes (Connaughton & Weller, 2013), qui sont également au cœur de la présente recherche.

5La construction d’un outil graphique pour l’étude d’activités collectives en AEC, qui servirait à la fois de support à la collecte de données et de dispositif d’analyse conjointe chercheur-praticien, voire praticien-praticien, a servi de point de départ à cette recherche. La méthode d’élaboration du premier prototype est décrite dans ce qui suit, passant en revue les éléments qui composent cet outil, leurs fondements théoriques ainsi que son processus de co-évaluation. En effet, des professionnel·le·s du secteur ont été invité·e·s à utiliser le prototype, à l’évaluer et à proposer des pistes d’améliorations lors d’un workshop. Ce dernier fait l’objet d’une explication détaillée au point 3.

2.1 Utilisation des méthodes visuelles

6Pour répondre à notre question de recherche générale, notre méthodologie s'est principalement basée sur une approche classique via de la revue de littérature, des entretiens semi-dirigés et de l'observation sur terrain. Dans le cadre de nos entretiens semi-dirigés, nous sommes partis de l'hypothèse de travail que la représentation graphique du processus pourrait aider d'un côté le chercheur à mieux cartographier les processus et, d'un autre côté, l'acteur à 1/ mieux situer et visualiser son action au sein d'une activité collective, 2/ identifier plus aisément les problèmes auxquels il a dû faire face dans le cadre du travail commun et 3/ faciliter l'optimisation de ses activités pour une meilleure coordination entre les tâches et les rôles de chacun au sein d'une équipe. En effet, les méthodes visuelles indiquent « l'utilisation de matériel visuel [...] employé par un chercheur social au cours d'une investigation » (Banks cité dans Pain, 2012, p. 304). Leur utilisation dans le cadre de cette recherche lors de nos entretiens semi-dirigés semblait de prime abord pertinente pour deux raisons. D’une part, les acteurs du secteur AEC sont familiers avec l’utilisation et la production de documents graphiques (plans, maquettes numériques, logiciels de gestion de projets) représentant des supports visuels qui font partie de leur quotidien. D’autre part, plusieurs études mettent en avant les nombreux avantages qu’offrent les méthodes visuelles (Pain, 2012) notamment dans la conduite de recherches qualitatives basées sur des entretiens (Comi et al., 2014). D’après Glegg (2019), l’utilisation de matériel visuel en entretien permet, entre autres, de favoriser la communication, de représenter la donnée tout en améliorant sa qualité et sa validité. En sciences de gestion, Eppler et Bresciani (2013) voient en ces méthodes l’opportunité d’améliorer la qualité de la collaboration à travers la visualisation conjointe d’analyses, d’idées et d’expériences. Les méthodes visuelles regroupent un large panel d’outils dont les possibilités qui s’offrent aux chercheur·euse·s varient selon les objectifs poursuivis et les spécificités de leurs recherches. Les trois points suivants décrivent le dispositif graphique mis au point ainsi que les avantages théoriques sur lesquels il se base.

2.2 Décrire graphiquement son processus de travail

7La modélisation du processus de travail permet d’appréhender la complexité des activités multi-organisationnelles et pluridisciplinaires et ainsi, leurs enjeux collaboratifs. Al Hattab et Hamzeh (2016) y voient une manière d’améliorer le processus de conception et d’éviter la déficience des méthodes de gestion traditionnelles. En se concentrant sur l’achèvement des tâches, ces dernières ne tiennent pas compte des besoins en matière de gestion de la conception, « où les disciplines de conception en amont négligent les besoins les unes des autres ainsi que les besoins des disciplines en aval ». Au-delà d’une meilleure compréhension de l’activité, la visualisation du workflow engendre une meilleure transparence du processus, facilite la communication entre organisations (Schulz & Orlowska, 2004) et permet la planification d’interventions afin de prévenir les freins à la réussite de la collaboration et du projet (Malhotra et al., 2007).

8Alors que de nombreuses méthodes ont été élaborées pour saisir l’activité et en modéliser le processus, nous avons choisi de nous tourner vers l’exercice d’auto-modélisation en guise d’outil de récolte de données et de co-analyse. Concrètement, il est demandé à l'acteur·rice d'auto-décrire graphiquement son activité en répondant à un certain nombre de questions lors de l'entretien semi-dirigé. Ainsi, l’outil que nous avons développé permet à ses utilisateurs de décrire leur propre processus de travail ainsi que le processus global de réalisation du projet d’architecture tels qu’ils·elles les perçoivent. Nous nous sommes inspirés d'un travail de recherche proposant une méthodologie pour décrire graphiquement l'activité à travers un entretien semi-dirigé, qui a été précédemment réalisé dans le cadre d'un projet Building Information Management (BIM) (Forgues et al., 2016). Nous y voyons plusieurs avantages :

  • récolter la perception que les répondant·es ont de leurs tâches et de la manière dont elles s’imbriquent dans le processus global du projet. Ceci est d’autant plus pertinent que la conscience de son rôle – et celui des autres – est primordiale en collaboration (af Hällström et al., 2021) ;

  • inclure les praticien·ne·s dans la construction du savoir et ainsi atténuer les frontières entre l’académique et le pratique ;

  • avoir une base produite par les répondant·es pour l’analyse conjointe de l’activité.

9Pour ce faire, nous avons proposé l’utilisation d’un canevas comme guide à la représentation du processus de travail lors d’entretiens semi-dirigés individuels, mais aussi en groupe. Son utilisation était libre, sans charte graphique. Ceci s’explique par notre volonté de garder une fluidité durant l’entretien et ainsi permettre aux répondant·e·s de dessiner et parler, sans réfléchir à la bonne utilisation de la charte. Il était primordial pour nous d'être conscients des limites de cet exercice qui représente une tâche complexe (tant pour les chercheur·euse·s que pour la personne interviewée) au vu de la quantité d’information à gérer et du nombre d’intervenants et de tâches à décrire au sein d'un projet architectural. Le canevas proposé se devait donc de choisir le bon niveau de granularité pour trouver un équilibre entre la durée d’entretien, le niveau de détail recherché et la facilité de (re)lecture de ce graphique une fois produit et formalisé. Nous nous sommes alors intéressé·e·s aux travaux d'autres chercheur·euse·s qui ont tenté une démarche similaire, dont celle de Malhorta et al. (2007). Dans leur travail de modélisation du workflow en soins intensifs, ces chercheur·euse·s considèrent comme nécessaire la représentation à plusieurs niveaux qui soient reliés entre eux et qui soient facilement (ré)utilisables par des personnes de profils différents. C’est pourquoi notre canevas, dans sa version A, se compose de trois cadres (cf. Figure 1):

  • les étapes globales où il est demandé de présenter le séquençage général du projet ;

  • le processus inter-organisationnel où il est demandé de décrire les actions/tâches réalisées à plusieurs parties prenantes, en ajoutant les relations entre chacune de ces actions/tâches ;

  • le processus intra-organisationnel où il est demandé d’expliquer les actions/tâches réalisées au sein de l’organisation de chaque répondant·e.

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Figure 1 – Représentation partielle des trois versions du canevas : A, B et C (de gauche à droite)

10Ce canevas permet une double lecture. La première est horizontale et linéaire. Il nous semblait important de relier le processus de travail à une visualisation temporelle, avec un début et une fin ; le secteur AEC étant fortement contraint par des problèmes d’échéances. Cela dit, il est possible d’exprimer le caractère itératif des processus en conception par la liberté permise aux répondant·e·s dans leur manière d’inscrire leurs réponses, en l’absence de guide graphique et grâce à la place qui leur est offerte (cf. Figure 1). La deuxième lecture est verticale. Elle permet de relier les différents niveaux – global, inter- et intra-organisationnel – entre eux mais aussi de comprendre comment sont interreliées les tâches identifiées.

11Une deuxième partie a été ajoutée à ce canevas dans laquelle il est demandé d’énoncer les différentes parties prenantes impliquées dans le processus, sous forme de liste, et de montrer les moments durant lesquels elles interviennent dans le projet. La figure 1 montre la manière dont cette partie est présentée. L’objectif est de comprendre quand les multiples parties prenantes sont impliquées dans le processus tout en demandant aux praticien·ne·s avec qui il·elle·s estiment collaborer. Cette deuxième partie se lie bien à la lecture verticale du canevas et apporte un complément d’information aux données présentées plus haut.

12Il est à noter que deux alternatives ont été élaborées en vue de l’exercice de co-évaluation de l’outil. Pour la première (canevas B), des titres sont ajoutés dans la partie supérieure du canevas. Ils présentent l’intérêt d’offrir un premier séquençage du processus, commun à tous les projets d’architecture en Belgique et tirés de la Liste Standard des Tâches (G30 et al., s. d.) : faisabilité, esquisse, avant-projet, projet final, préparation des documents des travaux, et construction. Des traits verticaux ont également été ajoutés pour faciliter la lecture du canevas. Dans la deuxième alternative (canevas C, cf. Figure 2), les trois niveaux – global, inter- et intra-organisationnel – sont réduits à deux. Ici, l’accent est plutôt mis sur le processus collectif et le processus individuel. Cette possibilité a été émise lors d’un entretien, durant lequel la répondante a expliqué qu’au sein de son organisation, le processus de travail était plus complexe et plus fragmenté que le processus inter-organisationnel. Le processus dit « collectif » reprend donc toutes les tâches et actions réalisées à plusieurs individus, sans distinction entre leur entreprise d’origine. Pour nous, ces différentes variantes représentent aussi une première évaluation au sein de notre démarche méthodologique qui pose la question du lien entre les habitudes organisationnelles au sein d'une activité d'un acteur et la manière dont le processus est découpé à priori par le canevas imposé à l'acteur·rice par les chercheur·euse·s pour décrire son activité. Concrètement, il s'agit de se poser la question des influences que pourraient avoir les canevas proposés sur la manière dont est décrite l'activité collective par les praticien·ne·s, son exactitude ainsi que la granularité recherchée.

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Figure 2 – Exemple de représentation du workflow à l’aide du canevas C

13Néanmoins, nous pensons que l’outil développé ici est particulièrement adéquat à la collecte de données dans un contexte d’entretien. En se référant aux recherches sur les méthodes visuelles (telles que proposées par Comi et al., 2014; Glegg, 2019; Pain, 2012), il ressort que l’utilisation de canevas permet de structurer la donnée tout en fournissant un retour visuel immédiat sur cette dernière. Pour les chercheur·euse·s, cela offre une possibilité de rebond plus aisée et une meilleure compréhension du récit (Glegg, 2019). Cette visualisation s’avère également utile pour les participant·e·s en tant qu’aide-mémoire et révélateur de « trous » dans la narration (Glegg, 2019). Même si une telle démarche est chronophage lors d’entretiens semi-dirigés, combinée à des interactions verbales, l’utilisation d’outils graphiques augmente l’attention des répondant·e·s, notamment grâce au fait que l’expérience soit plus engageante qu’un entretien « classique » (Comi et al., 2014).

2.3 Evaluer la qualité de la collaboration

14Comme énoncé plus haut, l’objectif de cet outil est d’identifier les barrières d’une activité collective en phases de conception/construction et de comprendre les problèmes de collaboration qui surviennent lors de la conduite de projets d’architecture. La description du processus de travail permet déjà d’approcher la problématique mais il peut également servir de base pour confronter directement les répondant·e·s sur le sujet. La deuxième étape consiste donc à évaluer la qualité de la collaboration. Dans la littérature, on observe que l’évaluation de la qualité de la collaboration peut être réalisée par un chercheur externe au processus (Burkhardt et al., 2009; Spada et al., 2005) ou par les collaborateur·rice·s en interne, auquel cas on parlera plutôt de satisfaction liée à la collaboration (L. Zhang et al., 2018). Notre démarche se situe dans cette deuxième configuration, l’intérêt ne résidant pas dans l’évaluation objective et scientifique de la collaboration en tant que telle mais dans le fait de faire parler, de discuter et d’argumenter autour de cette évaluation. Il semble donc important que sa réalisation soit rapide et intuitive pour les acteur·rice·s participant à cette évaluation.

15Dans les méthodes visuelles, Comi et al. (2014) identifient deux types de techniques, pouvant éventuellement être associées : les techniques projectives et les techniques de facilitation. Dans les premières, les visuels sont utilisés comme stimuli de façon à provoquer des réactions ou susciter des commentaires chez les répondant·e·s et par conséquent, à enrichir la donnée (Pain, 2012). Les deuxièmes servent à faciliter la conduite d’un entretien. En effet, la représentation graphique de la donnée peut, entre autres, simplifier l’exercice de comparaison entre les informations récoltées et ce, durant l’entretien (Glegg, 2019). Dans le cadre ci-présent, cette comparaison peut non seulement s’effectuer entre différents moments du processus de conception/construction mais aussi entre les réponses des diverses parties prenantes d’un même projet, lors d’un entretien de groupe par exemple.

16D’après ces considérations, nous proposons d’utiliser des radars à 6 critères (cf. Figure 3), inspirés pour la majorité des travaux de Zhang et al. (2018) auxquels nous avons apporté quelques modifications dans l’intérêt de servir l’objectif de l’outil : faire parler les participant·e·s. Il leur est demandé de noter chacun de ces critères selon une échelle à 5 points allant de très mauvais à très bon. En reprenant le visuel du workflow produit plus tôt dans l’entretien, les répondant·e·s évaluent les différentes phases identifiées. Les critères choisis sont les suivants :

  • l’efficience : ce critère sert à évaluer si l’information est échangée au bon moment, avec le bon contenu et si les services sont effectués au bon moment, de la bonne manière (L. Zhang et al., 2018) ;

  • la cohésion d’équipe : est compris ici au sens de l’alchimie entre les personnes. Ce critère jauge « la perception de la compatibilité entre les membres de l'équipe, qui découle des différences de personnalité et des relations passées et actuelles » (Franz et al., 2017, p. 6) ;

  • la compréhension mutuelle : elle regroupe plusieurs facteurs importants en collaboration comme la compréhension mutuelle des rôles (van Marrewijk et al., 2014), de l’état des problèmes/solutions et des actions présentes et futures (Burkhardt et al., 2009) ;

  • la résolution de problèmes : questionne la manière avec laquelle sont résolus les problèmes. De nombreux auteurs (Eriksson et al., 2017; Hamzeh et al., 2019) insistent sur l’importance d’une résolution conjointe. Cela augmente le niveau d'implication et le sentiment de responsabilité des participants ;

  • la motivation et l’engagement : évalue la motivation directe – satisfaction vis-à-vis du projet, perception de responsabilités, etc. – et indirecte – obtenir une rémunération satisfaisante, nouveaux projets basés sur un travail bien fait, etc. – (Bohnstedt & Wandahl, 2019) ;

  • la performance du projet : permet aux répondant·e·s de juger la performance du projet en termes de respect du budget, du timing et de la qualité attendue par la maîtrise d’ouvrage. Même si ce critère n’évalue pas la collaboration en elle-même, il semble pertinent de l’ajouter au graphique car il pourrait être mis en relation avec les autres critères et pourrait aussi avoir une influence forte sur la manière dont est décrite l’activité.

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Figure 3 – Exemples d’utilisation des radars pour évaluer la collaboration

2.4 Identifier les barrières et facilitateurs de la collaboration

17La troisième étape consiste à identifier les barrières et facilitateurs de la collaboration avec l’objectif d’en comprendre les origines et leurs influences mutuelles. Ces facteurs sont d’ordres très différents et ont fait l’objet de nombreuses études : problèmes de confiance (Bond-Barnard et al., 2018; Manu et al., 2015), dimensions contractuelles (Gunhan, 2019; Lavikka et al., 2015), différences d’identités professionnelles (Loosemore et al., 2020), diversité des outils utilisés en conception/construction (Goh et al., 2019; Kim et al., 2017), en sont quelques exemples. L’utilisation d’un canevas visuel pourrait aider à ce que les problèmes les plus prédominants lors de ces activités collectives, mis en avant par la recherche soient abordés – ou du moins réfléchis et discutés avec les acteurs – (Comi et al., 2014). Cette description des problèmes rencontrés au cours du processus pourrait nous aider à identifier les barrières et les facilitateurs de la collaboration. Nous partons de l'hypothèse qu'il serait plus aisé pour les acteur·rice·s de décrire ces points après avoir passé du temps à expliquer et à formaliser graphiquement son processus (construit par eux·elles avec l'aide du chercheur), constituant ainsi un support de discussion claire pour identifier ces barrières et facilitateurs. Nous avons donc imaginé un système ludique d’identification de points bloquants/aidants qui se base sur l’utilisation de pastilles de couleurs. On en décompte 12 différentes, réparties en 4 symboles. Chaque symbole implique 3 couleurs : le rouge pour les points bloquants, le vert pour les points aidants et le jaune pour des points à mentionner mais dont les conséquences ne sont pas définies (cf. Figure 4).

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Figure 4 – Pastilles d’identification des points aidants/bloquants

18Ces 4 symboles représentent 4 classes de facteurs que nous avons identifiés à l’aide d’une revue de littérature systématique via Scopus, centrée sur la collaboration dans le secteur AEC. Cette recherche est basée sur la revue de 33 références (entre 2012 et 2022), grâce à laquelle nous avons pu identifier 32 facteurs d’influence sur le processus collaboratif, regroupés en 4 classes et 11 sous-classes. Ces 4 classes représentent : le contexte, les personnes, les moyens et la structure. Cette classification et la description de chacune de ces catégories ne seront pas détaillées dans le présent article mais ont servi de support pour aider les acteurs à identifier les principaux barrières et facilitateurs de la collaboration.

19Pour cette étape, les participant·e·s reprennent la description de leur processus de travail produite auparavant et y apposent les pastilles relatives aux points aidants ou bloquants qu’ils·elles identifient (cf. Figure 5). Il leur est également demandé d’ajouter des commentaires oraux ou manuscrits. Nous pensons que cet exercice pourrait faciliter la conduite des entretiens en leur permettant visuellement de créer des liens entre leurs réponses et ainsi mieux comprendre leur processus collaboratif.

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Figure 5 – Exemple d’utilisation des pastilles lors de l’activité dédiée à l’identification des points bloquants/aidants de la collaboration

2.5 Co-évaluation de l’outil via la tenue d’un workshop

20Pour récapituler, le protocole que nous proposons lors d’entretiens individuels ou en groupe consiste à diviser ces entretiens en trois moments. Chaque séquence associe interactions verbales et supports visuels afin d’optimiser la collecte et l’analyse de données. La première étape se concentre sur la modélisation du processus de travail, réalisée par les participant·e·s à l’aide d’un canevas que nous leur proposons. La deuxième étape consiste à évaluer différents paramètres de la collaboration. La représentation graphique des réponses, sous forme de radar, sert de base à la discussion pour comprendre les facteurs mis en jeu. La troisième étape s’appuie sur l’utilisation de pastilles de couleurs par les acteur·rice·s pour identifier et classifier les barrières et facilitateurs de la collaboration.

21Nous avons décidé d’évaluer, au travers d’un workshop qui est décrit dans le point suivant, l’outil que nous proposons selon trois critères : l’utilité, l’utilisabilité et l’acceptabilité dont nous reprenons les définitions énoncées par Tricot et al. (2003). A travers l’utilité, conçue comme « la possibilité d’atteindre le but », nous avons évalué la pertinence des objectifs poursuivis par chaque séquence de notre protocole vis-à-vis de notre objectif principal de recherche, ainsi que l’efficacité de celles-ci à répondre à ces objectifs. L’utilisabilité, qui correspond à « la possibilité de mettre en œuvre les moyens » a été questionnée afin d’améliorer les matériels graphiques et les instructions données, en matière de prise en main et de facilité d’utilisation. Enfin, l’acceptabilité n’a été utilisée comme critère d’évaluation que lors de la troisième étape du workshop qui consistait à partager le retour d’expérience et évaluer le protocole. Elle est définie comme « la valeur de la représentation mentale (attitudes, opinions, etc. plus ou moins positives) […] de son utilité et de son utilisabilité ». Ce critère est particulièrement important car les professionnels de la construction mettent souvent en doute la correspondance entre les résultats de la recherche scientifique et leur utilisation pratique dans les projets réels (Azhar, 2007). Or, le protocole que nous présentons ici a pour objectif de pouvoir être utilisé pour la gestion de la collaboration en situation réelle.

3. Retour d’expérience

22Un workshop, découpé en trois activités (cf. Figure 6), a été organisé après l’élaboration du premier prototype. L’objectif était de confronter le modèle à des professionnel·le·s du secteur AEC afin de déterminer, au travers d’un processus de co-évaluation, son adéquation à l’exercice d’identification et de compréhension des problèmes de collaboration. Le workshop a permis de récolter les avis de neuf praticien·ne·s dont quatre architectes, deux gestionnaires de chantier, un ingénieur bureau-technique, une ingénieure en stabilité et un gestionnaire des parties prenantes, à travers la tenue de trois activités principales. Il s’est déroulé dans une salle de l’université où étaient réparties trois grandes tables disposant chacune de trois chaises pour les deux premières activités, ainsi que de dix chaises positionnées en cercle qui ont servi lors de l’introduction de la séance par le chercheur et la tenue de la troisième activité. La durée totale du workshop est de 3h45, comprenant une pause de 20 minutes.

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Figure 6 – Protocole du workshop

3.1 Activité 1 : décrire son processus de travail

23Dans la mesure où la méthode proposée se base sur la description du processus de travail, la première activité était dédiée à cet exercice. Il était demandé aux participant·e·s de décrire graphiquement leur workflow pour un projet en cours ou ayant eu lieu récemment. Pour cela, ils disposaient d’un des trois canevas (voir plus haut) – différent pour chacune des personnes installées à la même table –, d’un feutre effaçable et d’un carnet d’explication concernant les différentes tâches qui leur étaient assignées. Ensuite, il a été demandé aux participant·e·s d’évaluer, via un questionnaire rapide, la clarté des consignes, la facilité d’utilisation du canevas et l’utilité de décrire leur processus de travail en situation professionnelle. L’activité s’est poursuivie avec l’explication du workflow de chaque individu aux deux autres personnes assises à la même table. Il était demandé d’expliquer oralement, en s’appuyant sur leur production graphique respective, en étant libre d’ajouter des informations à leur discours. Dans deux groupes, cette étape a pris la forme d’une discussion, enrichissant les descriptions données. Pour clôturer l’activité, il était demandé de réaliser une comparaison entre les trois workflows exposés au sein de chaque groupe. L’exercice ne visait pas une comparaison des processus de travail mais bien l’identification des différentes manières de les représenter via l’utilisation de cadres différents.

24Il est à noter que la gestion du temps alloué à chacune de ces étapes était libre pour chacun des groupes. Le déroulé de l’activité et ainsi, ce qu’il en est ressorti comme données, est différent selon ces derniers. Certains ont préféré donner une description plus détaillée de leur projet et de leurs tâches, tandis que d’autres ont consacré un temps équivalent entre l’exercice de description et celui de comparaison.

25Les données recueillies ici sont multiples : le chercheur s’est appuyé sur les visuels produits, les enregistrements audios des discussions et sur le questionnaire. Ce dernier avait pour unique but de révéler d’éventuelles discordances avec le discours, créées par exemple par l’abstention d’un·e des participant·e·s d’émettre son avis lors de la discussion de groupe même si le travail par équipe de trois avait, en autres, pour fonction de limiter ces biais.

3.2 Activité 2 : évaluer la collaboration et en identifier les facteurs

26La collaboration a été abordée de manière directe lors de la deuxième activité. Toujours par groupe de trois, les participant·es se sont vu·es assigner des tâches différentes :

  • évaluer la collaboration par rapport aux différentes phases reprises dans leur processus de travail (méthode des radars) ;

  • identifier les points aidants/bloquants de la collaboration survenus durant le projet (méthode des pastilles) ;

  • jouer un rôle d’animateur·rice (explications ci-dessous).

27Pour les deux premières tâches reprises ci-dessus, les participant·es disposaient d’explications dans un carnet. Pendant la réalisation individuelle de celles-ci, le chercheur a expliqué le rôle qu’allaient avoir les animateur·rice·s. Durant l’étape suivante, les deux personnes ont expliqué oralement ce qu’ils avaient produit graphiquement auparavant. Le rôle des animateur·rice·s était d’alimenter la discussion afin de clarifier certains propos et d’approfondir les réflexions des répondant·e·s au travers de relances et questions libres. L’activité s’est terminée par l’évaluation, toujours par groupe de trois, des deux méthodes proposées. Le focus était mis sur les avantages et inconvénients de chacune des méthodes en termes d’utilité – que permettaient-elles de fournir comme information ? – et d’utilisabilité – étaient-elles faciles à utiliser ? –.

28A nouveau, le chercheur disposait pour cette étape de données graphiques (radars complétés et photos des représentations du workflow auxquelles étaient apposées les pastilles de couleur) et des données audios via les enregistrements des différentes discussions.

3.3 Activité 3 : partager le retour d’expérience et évaluer le protocole

29La dernière activité avait pour but de rassembler les observations et analyses des différents groupes à l’issue de ces trois activités. Un premier a commencé à décrire leur expérience à propos de la réalisation des tâches qui leur avaient été assignées tout en dressant une liste d’avantages/inconvénients des supports graphiques qui leur ont été imposés par le protocole. Au lieu de faire une présentation groupe par groupe, ce qui aurait donné un caractère plus formel à la discussion, les participant·e·s ont préféré apporter leurs points de vue directement lors du récit du premier groupe, partageant pour la majorité les retours exposés. Très peu d’avis contradictoires ont été recensés lors de cette activité, au contraire des deux premières durant lesquelles étaient notamment débattus les interprétations de chacun concernant les thématiques abordées par les radars ou la classification des facteurs de la collaboration. L’opposition d’opinions la plus forte est apparue lors de la deuxième étape de l’activité, lorsque le chercheur a demandé quelle utilité pourrait avoir la méthode visuelle proposée, dans le monde professionnel, son utilité pour le domaine de la recherche semblant, elle, faire consensus. Alors que l’utilité était ici questionnée, les participants ont émis des réponses portant également sur son acceptabilité, critère d’évaluation qui est également pris en compte pour cette activité-ci.

4. Brève analyse de l’outil et pistes d’amélioration

30Le workshop a permis de tester le premier prototype/protocole conçu dans le cadre de cette étude, en permettant également d’intégrer des praticien·ne·s dans le processus de construction, d’analyse et de réflexion autour de celui-ci. La démarche de recherche participative a été très utile pour définir les étapes de ce workshop. Cet exercice a fait émerger plusieurs concepts ou pistes d’améliorations que nous souhaitons présenter brièvement ici.

4.1 Vers une co-construction d'une conscience mutuelle : Awareness

31Au cours de l’expérience, le concept d’awareness dont nous préférons le terme anglo-saxon par manque de traduction fidèle (Chrétien, 2004) a été mis en évidence à plusieurs moments. L’awareness désigne la compréhension de chaque individu des actions, pensées et intentions des autres, qui fournit un contexte pour leur propre activité (Dourish & Bellotti, 1992).

32Le concept s’est exprimé une première fois à travers le récit d’une participante sur un conflit qu’elle avait eu lors d’un projet. Elle rapporte qu’une relation s’est dégradée entre le bureau de stabilité et un des bureaux d’architecture à cause des demandes incessantes concernant des retards de documents. La participante a expliqué que ces retards étaient dus à une impossibilité de leur part à réaliser ces documents car la stabilité était elle-même en attente d’informations en provenance d’autres organisations. Outre le manque de tolérance vis-à-vis de ces retards, elle a relevé le fait que l’architecte était « dans sa bulle », non-consciente de la situation du projet. Le fait d'être conscient que quelqu'un a besoin d'une certaine information pour réaliser une tâche fait partie des concepts liés à la conscience de la situation (situation awareness). Elle concerne la capacité de comprendre la situation globale dans laquelle se trouve l'équipe (She et al., 2019). De manière plus spécifique, elle comprend la capacité de savoir qui a besoin de quelles informations, où et quand elles sont disponibles, comment elles sont partagées et comment elles sont utilisées pour atteindre les objectifs de l'équipe.

33L’awareness a également été mis en évidence lors d’une discussion entre deux architectes et un représentant d’une entreprise générale de construction. Alors qu’une architecte présentait son processus de travail, ce dernier a exprimé son intérêt d'en savoir plus sur ses pratiques, et que cette discussion lui avait permis de mieux comprendre les tâches réalisées par les architectes avec les autres acteurs que la maîtrise d’œuvre. Cela s’apparente au concept de « team awareness » qui fait référence à la connaissance qu'ont les membres de l'équipe des rôles, des responsabilités et des actions de chacun au sein de l'équipe. En en ayant une meilleure compréhension, il est possible d'améliorer la communication et la coordination entre les différents acteurs, et de mieux atteindre les objectifs communs (Marks et al., 2001).

34En utilisant un outil de modélisation du workflow, les participants ont pu découvrir les pratiques de chacun et mieux comprendre les rôles et les responsabilités de chaque acteur dans le processus de conception/construction. Nous pensons que les différents concepts que rassemble l’awareness peuvent être appréhendés via le protocole que nous proposons et nous y porterons grande attention pour la réalisation du deuxième prototype.Haut du formulaire

4.2 Retours sur les matériels visuels

35Les participant·e·s ont fait part d’une satisfaction nuancée vis-à-vis de l’utilisabilité des matériels visuels qui ont été proposés lors du workshop. Nous souhaitons mentionner deux points qui semblent importants pour améliorer l’outil. Tous deux expriment un équilibre à rechercher : la balance entre contraintes et libertés et celle entre approche globale ou détaillée.

36Lors de la première activité, les participant·e·s ont pu comparer et juger les trois canevas que nous avions conçus au préalable. Unanimement, le canevas B (cf. Figure 1) a été considéré comme le plus adéquat pour l’exercice, bien qu’une multitude de pistes d’amélioration ait été évoquée. Si ce canevas a été plébiscité, c’est principalement pour sa facilité d’utilisation. Le séquençage a permis aux répondant·e·s de se lancer plus rapidement dans la tâche de modélisation du processus de leur activité. Ils·elles mentionnent également que l’ajout de traits verticaux facilitait la lecture du canevas. Malgré cela, le séquençage que nous proposions a été remis en question d’une part parce que certaines entreprises découpent leurs projets d’une manière différente que celle proposée (ou en tout cas avec d’autres termes) et d’autres part parce que certain·e·s acteur·rice·s, comme les entreprises générales par exemple, n’arrivent qu’en phase d’exécution. Plus de la moitié du tableau se retrouve donc inutilisable. Un groupe a proposé de rendre vides les cases où étaient indiqués les titres des séquences, permettant ainsi aux répondant·e·s de choisir leur propre division des phases du projet tout en bénéficiant de la structure du tableau. D’autres, qui n’avaient pas utilisé le canevas B ont mentionné qu’ils avaient oublié de parler de certaines phases, dont ils·elles se sont rappelé·e·s instantanément à la vue du canevas des autres. Ces discussions reflètent beaucoup le besoin des acteur·rice·s à trouver un équilibre entre la contrainte (via une schématisation prédéfinie avec des cases à remplir pour une harmonisation et une systématisation des données à décrire) et la liberté (via une schématisation plus libre permettant de s'adapter à la réalité de l'activité de chacun). Ainsi, il est à noter que le moindre ajout de texte, de ligne ou autre contrainte de schématisation semble offrir un guide de description graphique mais tout en diminuant la flexibilité de l’outil.

37Le niveau de granularité apporté par le canevas (et le protocole dans son ensemble) a également été analysé. Nous n’avons pas trouvé de relation entre le niveau de détail des réponses et le type de canevas qui a été utilisé. Cette tension entre global et détail a été gérée par les participant·e·s, selon leur compréhension de l’exercice. Une participante a rapporté avoir tenté de « globaliser » son processus durant tout le workshop, ce qui n’a pas permis de recueillir les spécificités de son projet par rapport à la conduite classique d’un chantier de construction. D’un autre côté, une surcharge d’information a été observée chez un autre participant. Son canevas était rempli et assez détaillé, ce qui nuisait à la lecture de celui-ci. Lorsqu’il a dû expliquer aux autres son processus, ni lui ni ses interlocutrices ne se sont appuyé·e·s sur le support visuel. Néanmoins, nous pensons que les chercheur·euse·s qui conduisent les interviews pourraient aider à saisir l’équilibre nécessaire pour cet exercice. En définissant mieux le protocole de modélisation du processus, via un séquençage plus strict et des questions posées tout au long de l’entretien, une granularité adéquate à l’objectif de recherche pourrait être mieux appréhendée. Il serait aussi possible de tester des méthodes d'auto-confrontation en mettant au propre (par le chercheur) le workflow selon un canevas harmonisé qui respecte la description de l'acteur puis de remontrer cette deuxième version du workflow à l'acteur comme support de discussion, de présicion et/ou de remise en cause du processus tel qu'il a été décrit.

4.3 Adéquation du protocole vis-à-vis de l’objectif poursuivi

38L’évaluation de la collaboration et l’identification de ses facteurs lors de l’activité 2 a permis aux participant·e·s de chacun relever entre 6 et 12 points aidants/bloquants qui étaient apparus dans leur projet respectif. Surtout, l’exercice leur a permis, pour les trois quarts d’entre eux, d’en identifier les causes au travers de la discussion. Nous voyons deux raisons à cela. Premièrement, les participant·e·s devaient présenter ce qu’ils·elles avaient complété (l’ajout de pastilles de couleur ou l’évaluation par radar), ce qui les a poussé·e·s à justifier leurs choix et ainsi à réfléchir à leurs origines. Ce premier constat affime la pertinence d'une méthodologie basée sur le focus group et la confrontation des points de vue entre les différents acteurs du projet. Deuxièmement, le rôle de l’animateur·rice a été prépondérant dans cet exercice. A travers cette tâche que nous avions allouée à une personne de chaque groupe, notre objectif était de simuler la présence d’un·e chercheur·euse qui, au travers de ses questions tout au long de l’entretien, pousserait les répondant·e·s à développer leur discours et entamer un processus de réflexion autour des points qu’ils·elles identifient.

39En ce qui concerne le séquençage du protocole que nous avons proposé, un participant a expliqué que la description du processus de travail avait été une étape nécessaire pour parler ensuite de collaboration. Il rapporte que cet exercice avait non seulement permis à la personne de se replonger dans les différentes étapes de son projet, lui permettant de recréer des connexions mentales entre les éléments, mais aussi de permettre aux interlocuteur·rice·s de mieux comprendre le récit. Nous pensons également que la modélisation du workflow permet aux chercheur·euse·s de pouvoir mieux interroger l’interviewé·e et ainsi de ne pas passer à côtés d’éléments qui pourraient s’avérer importants. De plus, la complémentarité entre la méthode des radars et celle des pastilles a été mise en avant et majoritairement appréciée. Certain·e·s particpant·e·s ont proposé d’augmenter leur interdépendance en ajoutant les pastilles, qui représentent les barrières et facilitateurs, aux différents critères d’évaluation de la collaboration. Ceci faciliterait la lecture en proposant 3 niveaux à cette dernière. Tout d’abord, il pourrait être possible d’analyser rapidement la qualité de la collaboration à chaque phase. Ensuite, on pourrait y comprendre les facteurs en jeu qui ont influencé les différents critères. Et pour finir, il serait possible de comprendre dans quelle partie du processus ces barrières et facilitateurs sont apparus. Nous pensons inclure cette proposition lors de la construction du deuxième prototype de cet outil.

5. Conclusion

40Dans cette étude, nous avons créé un protocole de collecte de données pour comprendre les obstacles à la collaboration dans le secteur AEC et mieux appréhender la complexité de la question. Cet outil utilise des concepts de méthodes visuelles pour faciliter les entretiens qualitatifs et se base sur la modélisation du processus de travail (workflow) comme point de départ. En utilisant cet outil durant le workshop, les participant·e·s ont pu découvrir les pratiques de chacun et mieux comprendre les rôles et les responsabilités de chaque acteur dans le processus de conception/construction. Ils ont également pu identifier des barrières et des facilitateurs de la collaboration ainsi que d’en comprendre les origines.

41Durant le workshop, nous avons voulu impliquer des praticien·ne·s dans le processus d’analyse de l’outil afin que ce dernier soit adéquat pour son utilisation en situation réelle. Pour ce faire, nous avons basé cette évaluation sur les critères d’utilité, d’utilisabilité et d’acceptabilité repris des recherches en ergonomie. Les résultats obtenus nous ont permis d’avoir des premières pistes d’amélioration en vue de créer un nouveau prototype. Nous pensons qu’il est important que ce dernier soit évalué par les parties prenantes d'un même projet car même si le workshop rassemblait des professionnel·le·s, il n’existait pas de lien entre leur projet respectif. Ceci n’a pas permis de travailler sur la concordance des différents processus présentés ni sur leur unification en un seul modèle. Il n’a pas non plus été possible d'observer comment gérer les problèmes évoqués. Notre projet est de continuer à travailler sur le protocole, tout en l’évaluant au travers de nos futures récoltes de données.

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Pour citer cet article

Jonas Rents & Samia Ben Rajeb, «Construction d'un protocole de collecte de données visuelle pour l’analyse de la collaboration au sein de projets d’architecture», ModACT 2023 [En ligne], ModACT 2023, URL : https://popups.uliege.be/modact2023/index.php?id=84.

A propos de : Jonas Rents

Université Libre de Bruxelles

jonas.rents@ulb.be

A propos de : Samia Ben Rajeb

Université Libre de Bruxelles