Etude des facteurs environnementaux influençant la teneur en urée dans le lait de vache en Wallonie (Belgique)
Univ. Liège. Faculté de Médecine vétérinaire. Service de Nutrition. Chemin de la Ferme, 6/39. B-4000 Liège (Belgique). E-mail : Isabelle.dufrasne@ulg.ac.be
Univ. Liège. Faculté de Médecine vétérinaire. Service de Nutrition. Boulevard de Colonster, 20/43. B-4000 Liège (Belgique).
Université catholique de Louvain-la-Neuve. Département de Biologie appliquée et des Productions agricoles. Place Croix du Sud, 2/24. B-1348 Louvain-la-Neuve (Belgique).
Univ. Liège. Faculté de Médecine vétérinaire. Service de Nutrition. Boulevard de Colonster, 20/43. B-4000 Liège (Belgique).
Univ. Liège. Faculté de Médecine vétérinaire. Service de Nutrition. Boulevard de Colonster, 20/43. B-4000 Liège (Belgique).
Résumé
La détermination des teneurs en urée dans le lait de tank est réalisée de manière courante en Wallonie (Belgique) chez tous les producteurs laitiers par le Comité du lait. Une analyse statistique portant sur 5 675 758 données récoltées pendant la période 2002-2008 a été menée afin d'étudier la variation des teneurs en urée du lait en fonction des mois, de l’année et des régions agricoles wallonnes afin de les mettre en relation avec l’alimentation. Ces données ont été analysées à l’aide d’un modèle linéaire (proc GLM) incluant les effets fixes de la région, du mois, de l’année, des interactions entre ces paramètres. Les teneurs en matière grasse et protéique ont été utilisées comme covariables. La moyenne des teneurs en urée dans le lait pour les six années a été de 258 mg.l-1. Dix-neuf pour-cent des observations ont été supérieures à 350 mg.l-1et 10 % supérieures à 400 mg.l-1. Le modèle a permis d’expliquer 35 % des variations des teneurs en urée. A l’intérieur de ce modèle, la région est la composante la plus explicative (44 %), elle est suivie de l’interaction de la région et du mois (18,6 %), de la matière protéique (17,8 %) et du mois (10,5 %). Les variations du taux d’urée dans le lait peuvent être liées principalement à la différence des rations distribuées dans les régions agricoles. La composition des rations varie d’après les cultures pratiquées, dépendant elles-mêmes de la région agricole. Globalement, on constatera des teneurs plus élevées dans les régions dites herbagères que dans les régions de grandes cultures. La saison a également une influence sur les teneurs en urée. On remarque effectivement une augmentation pendant la période estivale par rapport à la période hivernale. Cette évolution peut être expliquée par une différence de régime alimentaire entre la période de stabulation, en hiver, et la période de pâturage, en été. En hiver, les vaches laitières reçoivent une ration complète normalement plus équilibrée. En été, la ration constituée en majeure partie d’herbe présentant souvent un excès de protéines par rapport à l’énergie est à l’origine de l’augmentation de la teneur en urée dans le lait.
Abstract
Study on environmental factors influencing the urea content of cow milk in Wallonia (Belgium). The urea content in tank milk is currently assessed in Wallonia for all milk producers by the Comité du lait. A statistical analysis was carried out on 5,675,758 data collected over the 2002-2008 period in order to study the variation in the urea content in milk from cows according to the months of the years and the agronomy areas. The data were analyzed with a linear model (proc GLM) including the fixed effects of the area, the month of sampling, the year and the interactions. The fat and proteins contents in milk were used as covariables. The average urea content in milk over the six years was 258 mg.l-1. A proportion of 19% of the contents were over 350 mg.l-1and 10% over 400 mg.l-1. The model explained 35%¨of the variation of the urea content. Within the model, the agronomy area was the most explicative component (44%). It was followed by the area-month interaction (18.6%), the protein content (17.8%) and the month (10.5%). The variation of the urea content in milk could be mainly explained by the differences in the diets offered to the lactating dairy cows according to the agronomy areas. The composition of the diets varies with the crops produced and therefore with the agronomy area. Higher urea contents were observed in areas with a lot of pastures (grazing areas) than in the arable areas. In the grazing areas, feedstuffs higher in protein than in energy are consumed by the cows: the excess of protein is probably the reason for the higher urea content. The feedstuffs produced in the arable areas are more various with more diversified and balanced diets. The season influenced also the urea content, a higher urea content being observed during the summer period as compared with the winter period. The changes could be explained by dietary differences between the indoor winter period and the grazing period in Summer. During the indoor period, the dairy cows are offered normally a complete diet which is more balanced than during the grazing period.
1. Introduction
1La détermination des teneurs en urée dans le lait est réalisée de manière courante en Wallonie par le Comité du lait. Cette mesure, pouvant facilement être effectuée sur un groupe de vaches, est peu couteuse et ne demande pas de prélèvement sanguin, contrairement à la méthode qui permet de déterminer les teneurs en urée plasmatique à laquelle elle est étroitement corrélée. L'urée est synthétisée dans le foie à partir de l'ammoniaque issu des fermentations des matières azotées dans le rumen et de l'excès des protéines digestibles dans l'intestin grêle. L'urée passe dans la circulation et est filtrée dans les reins qui constituent la principale voie d'élimination. Par simple diffusion, elle passe dans le lait et dans les secrétions génitales. Lorsqu'il y a excès de protéines dégradables dans la ration, l'élévation des teneurs en urée dans le sang peut avoir un impact sur l'incidence des mammites et, selon certains auteurs, influencer négativement la fécondité (Ferguson et al., 1993 ; Rajala-Schultz et al., 2001). Les teneurs en urée donnent des indications sur l'efficience de l'utilisation des protéines dégradables dans le rumen et peuvent servir aussi à évaluer l’équilibre Energie-Azote de la ration (Geerts et al., 2004) et les rejets azotés (De Campeneere et al., 2006). Des publications se sont intéressées à la prédiction des rejets azotés en fonction des teneurs en urée du lait et des teneurs en matière azotée de la ration (Kohn et al., 2002 ; Frand et al., 2003 ; Nousiainen et al., 2004). De Brabander et al. (1998) faisaient aussi intervenir la production laitière. Des équations ont été calculées afin de prévoir les teneurs en urée dans le lait à partir du poids des animaux (Hojman et al., 2005). La connaissance de la teneur en urée dans le lait est donc un outil utile pouvant intervenir dans la gestion de l’alimentation bovine.
2L'étude des résultats des teneurs en urée dans le lait peut aider à l’établissement d’une ration optimale qui permettra des améliorations au niveau des couts d'alimentation, de la production de lait, de la reproduction et de la diminution des rejets environnementaux.
3Cet article porte sur l'étude des variations des teneurs en urée du lait chez les vaches laitières en fonction de l'année, des mois de l’année et des régions agricoles wallonnes afin de les mettre en relation avec l’alimentation. La période étudiée s'étend de 2002 à 2008 et complète les résultats publiés par Dufrasne et al. (2008) et Meura et al. (2007) qui concernent des périodes plus courtes ou plus anciennes.
2. Matériel et méthodes
4Les échantillons de lait des tanks prélevés à la ferme par la laiterie sont analysés par le Comité du Lait afin de déterminer les paramètres officiels de qualité du lait. Ces paramètres sont les taux en matière protéique et en matière grasse, le nombre de cellules, les substances inhibitrices, les germes et les données relatives à la cryoscopie. Les taux en matière protéique et en matière grasse sont déterminés par spectrométrie dans le medium infra rouge (Milkoscan FT 6000® – Foss Denmark). La détermination des teneurs en urée est réalisée avec le même appareil. En moyenne, il y a 12 échantillons par mois et par producteur. Les résultats fournis par le Comité du Lait ont été étudiés pour la période 2002-2008. Les fichiers de données ont tout d’abord été vérifiés et les données aberrantes (valeurs nulles, valeurs supérieures à 800, valeurs ne provenant pas de Wallonie) ont été éliminées. Une fois le tri effectué, il restait 5 675 758 données utilisables pour l’analyse statistique. Ces données ont été analysées à l’aide d’un modèle linéaire (proc GLM) incluant les effets fixes de la région agricole, du mois de prélèvement, de l’année et l’effet des interactions année – région, région – mois, année – mois et année – mois – région de prélèvement. Les taux de matière grasse et de matière protéique ont été utilisés comme covariables. Les régions agricoles étudiées ont été les régions sablo-limoneuse (SL), limoneuse (L), jurassique (J), herbagère liégeoise (H), la Famenne (F), l'Ardenne (A), la Haute Ardenne (HA) et le Condroz (C). Les résultats de la Fagne et de la Campine hennuyère n’ont pas été pris en compte, vu leur faible représentativité au niveau de la surface agricole utile (SAU) en Wallonie.
5Les teneurs en urée dans le lait ont été classées, selon le nombre d'observations, par mois, par région et par année.
3. Résultats et discussion
6La moyenne des teneurs en urée dans le lait pour les six années étudiées a été de 258 mg.l-1. Cette moyenne est comprise dans les valeurs habituellement recommandées. Le modèle a permis d'expliquer 35 % de la variation des teneurs en urée. La teneur en urée peut varier en fonction de différents facteurs comme la race, le poids, le stade de lactation, le numéro de vêlage, le moment du prélèvement du lait dans la journée ou le niveau de production laitière (Bucholtz et al., 2007) ; ces facteurs n’ont pas pu être inclus dans ce modèle. La région a expliqué 44,0 % des variations des teneurs en urée dans le modèle (Figure 1). L'interaction mois – région, la matière protéique du lait et le mois ont expliqué respectivement 18,6 %, 17,8 % et 10,5 % de la variance totale du modèle. Les interactions année – région – mois, année – région, année – mois, l'année et la matière grasse du lait ont expliqué respectivement 3,9 %, 2,1 %, 1,7 %, 1,0 % et 0, 3% du modèle.
7L'effet du mois, des régions agricoles, de l'interaction mois – région agricole et de l'année seront discutés dans cet article en raison de leur importance dans le cadre de la Directive Nitrates.
3.1. Effet du mois
8Le mois a expliqué 10,5 % de la variation des teneurs en urée dans le lait dans le modèle. La figure 2 indique la répartition mensuelle du nombre d'observations en fonction de classes de teneurs en urée. Pendant la période hivernale, de novembre à mars, la distribution du nombre d'observations a été presque identique, le maximum étant en moyenne de 20 000 observations pour des teneurs proches de 200 mg.l-1, et les courbes se sont superposées (Figure 2a). La moyenne de la teneur en urée pour ces cinq mois a été de 211 mg.l-1. Pendant la période estivale, les teneurs en urée ont été plus élevées et trois distributions sont apparues (Figure 2b). Dans la première correspondant aux mois d'avril, mai et juin, le nombre d'observations a présenté une évolution similaire avec une moyenne pour ces trois mois de 260 mg.l-1. Les courbes des mois de juillet et d'octobre ont été décalées vers la droite et ont été plus étalées. La moyenne pour ces deux mois a été de 293 mg.l-1. Les courbes des mois d'aout et de septembre ont été encore plus décalées vers la droite et étalées. La moyenne pour ces deux mois a été de 334 mg.l-1.
9A partir de différentes références (Paccard et al., 1999 ; Moon et al., 2000), un seuil peut être déterminé au-delà duquel les valeurs peuvent être considérées comme trop élevées. Ce seuil varie en fonction de la période de l'année. Si l'on fixe ce seuil à 350 mg.l-1 pour la période hivernale, seulement 6 % des observations le dépassent. Si l'on considère que les valeurs au-delà de 400 mg.l-1 sont trop élevées pendant la saison de pâturage, ce taux atteint 18 %. Sur l’ensemble de l'année, 19 % des observations ont été supérieures à 350 mg.l-1 et 10 % supérieures à 400 mg.l-1.
10La figure 3 montre les teneurs moyennes en urée dans le lait en fonction des mois. Les valeurs les plus élevées ont été enregistrées au mois d'aout (338 mg.l-1) et les plus faibles en décembre (200 mg.l-1). Il n'y a pas eu de différence significative entre les mois de janvier et février. Les teneurs en urée dans le lait ont été faibles du mois de novembre au mois de mars, soit pendant la saison hivernale.
11Les teneurs ont été intermédiaires d’avril à juin et les plus élevées de juillet à octobre. Il faut cependant signaler qu’au mois d’octobre, les teneurs en urée ont été moins élevées qu’au mois de juillet, d’aout et de septembre. La période d'avril à octobre peut être considérée comme la période estivale, les mois d'avril et d'octobre étant des mois de transition.
12Ces périodes hivernale et estivale se distinguent par des différences de régime alimentaire. Durant la période hivernale ou de stabulation, les vaches laitières reçoivent une ration complète qui est normalement plus équilibrée que pendant la période estivale. Pendant la période estivale, les vaches laitières sont en prairie dans la majorité des exploitations et leur alimentation est constituée en grande partie d’herbe. L’herbe contient le plus souvent un excès de protéines par rapport à l’énergie. Dans le rumen, les protéines dégradables sont à l’origine de la production d’ammoniaque utilisée pour la synthèse de protéines microbiennes à partir de l’énergie provenant essentiellement de la fermentation des hydrates de carbone. L’ammoniaque excédentaire est résorbée et transformée en urée dans le foie. L’urée est éliminée par les urines, recyclée par la salive et diffuse passivement dans le lait. L’augmentation des teneurs en urée observée à partir du mois d’avril est à relier avec l’ingestion d’herbe. La diminution des teneurs en urée à partir du mois d’octobre correspond à la rentrée des animaux à l’étable et à l’ingestion de rations hivernales plus équilibrées. L'augmentation des teneurs en urée dans le lait lorsque les animaux sont au pâturage a été rapportée par plusieurs auteurs dans différents pays (Wittwer et al., 1999 ; Arunvipas et al., 2004).
13Pendant la période estivale, les teneurs des mois d’avril, mai et juin ont été en moyenne de 260 mg.l-1, alors qu’elles ont été de 325 mg.l-1 pour les mois de juillet, aout et septembre. Ces différences ne sont pas attribuables à un changement de ration qui est toujours constituée principalement d'herbe. Ces résultats indiquent des modifications de la qualité de l’herbe au cours de la saison de pâturage. Des données recueillies à la Station Expérimentale sur une dizaine d’années indiquent que les teneurs en matières azotées totales de l’herbe pâturée en avril sont égales à 18 % et augmentent de façon linéaire pour atteindre 24 % en octobre (Dufrasne et al., 2008). Cette augmentation permet d’expliquer en partie l’augmentation des teneurs en urée dans le lait. D’autres paramètres comme la teneur en sucres solubles de l’herbe, qui diminue pendant la saison de pâturage, pourrait aussi contribuer à expliquer une augmentation des teneurs en urée dans le lait, en réduisant l’énergie fermentescible rapidement disponible pour la flore du rumen.
3.2. Effet des régions agricoles
14Les régions agricoles se caractérisent par la nature de leur sol et leur altitude. Les teneurs en urée dans le lait ont été significativement différentes selon la région agricole (Figure 4). Dans les régions SL et L (222 et 225 mg.l-1), elles ont été significativement plus faibles par rapport à celles des autres régions. Ces deux régions représentent un tiers du cheptel laitier wallon (Tableau 1). Les teneurs ont été intermédiaires en régions J, F et C. La région J a eu des teneurs plus élevées avec une moyenne de 251 mg.l-1. Le C et la F, où l'on retrouve 22 % du cheptel laitier wallon, ont enregistré des teneurs similaires entre elles (257 mg.l-1). Dans la région H, l'A et la HA, les teneurs ont été significativement plus élevées par rapport aux autres régions (274, 281 et 286 mg.l-1, respectivement). Ces régions représentent 40 % du cheptel.
15Globalement, on peut donc constater que les teneurs les plus faibles se situent au nord de la Wallonie et augmentent lorsque l’on se rapproche du sud de la Wallonie.
16Cette évolution peut être expliquée principalement par le type de cultures pratiquées. En A, dans la région H et en HA, l’alimentation des bovins est constituée en majeure partie d’herbe. En effet, selon les données du recensement agricole de 2005, les prairies couvrent plus de 75 % de la SAU (Tableau 1). Dans ces régions, les vaches reçoivent une ration à base d'herbe pâturée ou d'ensilage d'herbe, souvent riches en matières azotées, qui induisent une hausse du taux d’urée dans le lait suite à un apport élevé de protéines dégradables dans la ration.
17Par contre, dans les régions L et SL, les prairies ne couvrent que 19 et 26 % respectivement de la SAU. Dans ces régions de grandes cultures, d'importantes surfaces sont consacrées aux cultures de céréales, de betterave ainsi que de maïs. Les aliments ou les sous-produits issus de ces cultures sont des aliments riches en énergie. Distribués avec de l'herbe pâturée ou de l'ensilage d'herbe, ils contribuent à la diversification des rations et facilitent l’équilibre des apports en matière azotée et en énergie.
3.3. Effet de l'interaction région – mois
18L'interaction région – mois a expliqué 18,6 % de la variation de la teneur en urée dans le lait. Les régions L et SL ont présenté des teneurs en urée plus basses par rapport aux autres régions agricoles tout au long de l’année. Ces faibles teneurs peuvent être expliquées par la diversification des cultures rencontrées dans ces régions. Comme expliqué ci-dessus, cette large gamme d’aliments produits à côté des fourrages à base d'herbe permet la distribution de rations plus diversifiées et mieux équilibrées à tout moment de l’année.
19Les régions J, la F et le C ont présenté des valeurs intermédiaires. Parmi ces régions, le C a présenté des valeurs plus hautes en été par rapport à la région J et à la F. Des pratiques de fertilisation ou de complémentation différentes par des concentrés, probablement dans le sens d'une production plus intensive, pourraient en être l’origine.
20En A, les teneurs ont été plus élevées qu'en HA en été, tandis qu'elles ont été plus faibles en hiver. La composition chimique de l'ensilage distribué aux vaches laitières en période hivernale peut expliquer cette observation. En effet, en A, les ensilages d'herbe sont généralement produits plus tard qu'en région H et en HA. Ils sont donc moins riches en protéines étant donné le stade plus avancé de l’herbe. Par contre, en été, les valeurs plus élevées en A pourraient provenir d’un pâturage exclusif. Dans les autres régions, l’élevage laitier étant plus intensif, une complémentation est distribuée aux vaches laitières afin d'obtenir une production laitière plus élevée.
21L'évolution du nombre d'observations par classe de teneur en urée a été étudiée pour chaque mois et chaque région agricole. L'évolution a été identique dans toutes les régions agricoles pour les mois de novembre, décembre, janvier, février et mars (Figure 5a). On distingue une évolution semblable pour les mois de mai, juin et juillet (Figure 5b). Les mois d'aout et septembre ont montré une évolution similaire (Figure 5c). Pendant la période de novembre à mars, le sommet des courbes a été bien distinct d'une région à l'autre (Figure 5a). Pour la période de mai à juillet, les distributions ont été plus étalées et les valeurs plus élevées que pendant la période de novembre à mars (Figure 5b). Les différentes régions agricoles ont présenté des valeurs maximales similaires aux alentours de 240-260 mg.l-1. Pour la période d'aout à septembre, l’étalement du nombre d'observations a été encore plus prononcé (Figure 5c). Pour les régions L et SL, les valeurs au sommet sont restées proches de celles de la période précédente qui correspond au début de la période de pâturage (250 mg.l-1). Pour les autres régions, les valeurs moyennes d'urée ont été plus élevées que dans les régions L et SL. Le nombre d'observations supérieures à 350 mg.l-1 a été faible pendant la période hivernale et a augmenté pendant la période de pâturage. Le nombre d'observations supérieures à 500 mg.l-1, négligeable pendant la période hivernale, a augmenté au début de la saison de pâturage pour atteindre plus de 1 000 observations en région L, dans le C et en A. Il apparait de ces résultats que, dans une même région agricole, les teneurs en urée sont beaucoup moins variables en période hivernale qu'en période estivale. Pendant la période de mai à juillet, un profil similaire à toutes les régions laisse supposer que les vaches reçoivent une alimentation identique constituée en cette période d'herbe pâturée. A la fin de la saison de pâturage, les variations pour une même région sont importantes : la grande dispersion dans le nombre d'observations et les différences entre les régions laissent présager des pratiques alimentaires différentes entre les régions et dans les exploitations d'une même région. A cette période, beaucoup de producteurs laitiers complémentent leurs vaches au pâturage et leurs pratiques peuvent être fort diverses : apport de concentrés riches en énergie dosant 16 ou 18 % de protéines, de tourteaux, de différents ensilages (maïs, pulpes surpressées, herbe), ou encore de sous-produits (drèches, etc.). Près de 30 % des observations ont été supérieures à 400 mg.l-1. Il serait dès lors judicieux de s'assurer de la bonne complémentarité des aliments apportés en plus de l'herbe pâturée, lorsque des teneurs en urée trop élevées à cette période sont observées chez des vaches au pâturage, un aliment riche en matière azotée étant susceptible d'aggraver les excès de matière azotée de l'herbe.
22Le pourcentage de surface agricole utile (SAU) toujours couverte par des prairies de chaque région agricole a été mis en parallèle avec les données moyennes correspondantes en urée pour l'année, pour la période hivernale, soit de novembre à mars et pour la période estivale, soit de mai à septembre (Tableau 1 ; Figure 3). Les mois d'avril et d'octobre n'ont pas été repris car ce sont des mois de transition pour l'alimentation des animaux. Les corrélations entre les pourcentages de prairies et les teneurs moyennes en urée sont données ci-dessous :
23Teneur en urée (moyenne annuelle en mg.l-1) = 0,8 x % prairie de la région agricole + 211,5 ; r2 = 80,6 %, P < 0,001.
24Teneur en urée (moyenne été en mg.l-1) = 0,3 x % prairie de la région agricole + 281,6 ; r2 = 26,2 %, NS.
25Teneur en urée (moyenne hiver en mg.l-1) = 1,1 x % prairie de la région agricole + 156,7 ; r2 = 87,6 %, P < 0,001.
26Les teneurs en urée ont été corrélées positivement avec les surfaces couvertes d'herbe. Des corrélations significatives ont été trouvées pour les moyennes annuelles et pour la période hivernale. Par contre, la corrélation a été plus faible et non significative pour la période estivale. Pendant cette période, la majorité des animaux reçoivent une ration à base d'herbe et l'amplitude des différences entre les moyennes de chaque région agricole a été moindre que pendant le reste de l'année. C'est principalement aux mois de mai, juin et juillet que les différences entre les régions ont été les plus faibles (Figure 3), alors que pendant la période hivernale, l'amplitude des différences entre les régions a été nettement plus élevée.
27Dans l'hypothèse d'une SAU sans prairie, on obtiendrait une teneur en urée de 211 mg.l-1, soit une valeur plus faible que la valeur de 258 mg.l-1 calculée pour les six années. Cependant, il ne faudrait pas en conclure que les prairies ne conviennent pas aux bovins, qui sont des herbivores, car elles occasionnent des teneurs en urée plus élevées et donc des rejets azotés élevés. Il ne faut pas perdre de vue que les surfaces couvertes de prairies concernent des zones difficiles à cultiver, soit à cause de la nature du sol, du climat ou en raison de la topographie du terrain. Les ruminants arrivent à valoriser ces surfaces couvertes d'herbe grâce à leur capacité à valoriser les fibres et à produire des protéines animales sous forme de viande ou de lait (Dove, 1996). Ils occupent donc une place centrale dans la valorisation des surfaces couvertes par les prairies pour la production de denrées alimentaires et entretiennent par la même occasion le paysage.
3.4. Effet de l'année
28L’année n’a permis d’expliquer que 2,3 % de la variation totale des données, mais l'étude des effets de l'année peut être intéressante à long terme dans le cadre de la Directive Nitrates. Des données publiées précédemment (Dufrasne et al., 2008) ont été utilisées pour montrer l'évolution annuelle des teneurs en urée depuis 2000 (Figure 6). Des différences sont à signaler entre les années : les teneurs en 2003 et en 2005 ont été les plus faibles (244 et 246 mg.l-1), tandis que celles de 2000 ont été les plus élevées (298 mg.l-1). Les faibles valeurs obtenues en 2003 et en 2005 peuvent être mises en relation avec les conditions climatiques chaudes et sèches. Un manque d’herbe a été constaté en été et a nécessité une complémentation avec des aliments énergétiques pendant la saison de pâturage. Il est intéressant de noter que les teneurs en urée ont eu tendance à diminuer depuis 2000. Comme les teneurs en urée sont un indicateur des rejets azotés, ceux-ci ont diminué également. La diminution des teneurs en urée au cours du temps est probablement à mettre en relation avec une meilleure gestion des fertilisants azotés.
4. Conclusion
29Cette étude a permis de montrer qu’il existe une variation des teneurs en urée du lait chez les vaches laitières en fonction des régions agricoles wallonnes. Ces variations peuvent être liées à la différence des rations distribuées aux bovins laitiers dans les régions agricoles. Globalement, les teneurs sont plus élevées dans les régions dites « herbagères » que dans les régions de grandes cultures.
30La saison a également une influence sur le taux d’urée du lait. Les taux d’urée sont supérieurs pendant la période estivale par rapport à la période hivernale.
31Ces données peuvent permettre entre autres d’adapter les rations en tenant compte des variations de la teneur en urée constatées selon les régions agricoles et la période de l’année. Un meilleur équilibre de la ration peut contribuer à réduire les couts alimentaires, améliorer la santé des animaux et diminuer les rejets azotés.
32Sur base des résultats obtenus dans ces recherches, on peut envisager d’affiner les conseils d’alimentation selon la région. Il serait également possible de déterminer des seuils de valeurs considérées comme normales selon la région et la saison.
33Les résultats obtenus dans cette étude pourraient être utilisés dans le cadre de la Directive Nitrates pour établir des valeurs de référence en fonction de la saison et de la région agricole. En effet, dans le cadre du système de dérogation utilisé par certains agriculteurs afin de pouvoir augmenter leur capacité d’épandage, il existe peu d’indicateurs fiables pour contrôler les prairies pâturées. Sur base de cette étude, si les valeurs considérées comme normales sont dépassées plusieurs années de suite dans une exploitation, un suivi de l’alimentation pourrait être proposé afin de réduire les teneurs en urée du lait et ainsi les rejets azotés. L’utilisation des analyses des teneurs en urée dans le lait doit alors être considérée comme un outil de gestion améliorant le fonctionnement global de l’exploitation tant au niveau de l'environnement qu'au niveau de la santé des animaux.
34Remerciements
35Ces travaux ont été réalisés dans le cadre d'une convention financée par le Ministère de la Région Wallonne (Direction Générale de l'Agriculture).
36Les auteurs remercient le Comité du Lait (Battice) pour leur avoir permis d'utiliser les résultats des analyses de lait.
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