BASE BASE -  Volume 17 (2013)  numéro spécial 1 

Fertilisation azotée des légumes industriels

Benoît Heens

Province de Liège – Agriculture. Centre Provincial Liégeois des Productions Végétales et Maraichères (CPL Végémar ASBL). Rue de Huy, 123. B-4300 Waremme (Belgique). E-mail : benoit.heens@provincedeliege.be

Résumé

Le légume industriel occupe 2 % de la superficie agricole utilisée en région wallonne, soit près de 15 000 ha. Septante-trois pourcent sont des légumineuses. Les apports azotés sur légumineuses sont faibles, voire nuls. Les expérimentations ont montré qu’un apport raisonné sur fève des marais et haricot contribue à un meilleur démarrage de la culture sans augmenter les reliquats azotés post-récolte. C’est la minéralisation des résidus de culture qui est responsable de l’augmentation des reliquats azotés. Le seul moyen d’action pour réduire le niveau de l’Azote Potentiellement Lessivable (APL) en début de période de lixiviation passe par une bonne gestion de l’interculture. La carotte a un cycle cultural comparable à la betterave sucrière et un niveau de fertilisation azotée faible. L’APL ne pose généralement pas de problème. L’épinard est une culture exigeante en azote avec des besoins bien connus par l’expérimentation. Il se récolte en période de croissance intense et laisse donc parfois des reliquats azotés post-récolte élevés. Son cycle cultural court permet de le cultiver en double culture. Après la récolte des épinards d’hiver et de printemps, la minéralisation des résidus de culture contribue au bon démarrage de la culture suivante. Après la récolte de l’épinard d’automne, l’implantation d’une culture intermédiaire piège à nitrate (CIPAN) ou les repousses d’épinard sont des solutions permettant de réduire l’APL.

Mots-clés : engrais azoté, culture maraichère, plante légumière

Abstract

Nitrogen fertilization of vegetables. Industrial vegetables occupy 2% of the utilized agricultural area in the Walloon region; of nearly 15,000 ha., 73% is given over to the growing of legumes. Nitrogen inputs are low or zero for legumes. Experiments have shown that an appropriate supply of nitrogen to broad beans and beans contributes to a better start for the crop without increasing soil nitrogen residue after harvest. The mineralization of crop residues is responsible for the increase in soil nitrogen residue. The only way to reduce the Potentially Leachable Nitrogen (PLN: an environmental indicator in Wallonia) in the beginning nitrate leaching period is to employ good management of catch crops. The carrot has a crop cycle similar to sugar beet and has a low level of nitrogen fertilization. PLN is generally not a problem in carrots. Spinach is a nitrogen demanding crop, whose needs are well known as a result of previous experiments. Spinach is harvested during intensive growth and so its leaves sometimes have high soil nitrogen residues. The plant’s short crop cycle allows double cropping. After harvesting winter and spring spinach, the mineralization of crop residues contributes to a good start for the next crop. After harvesting autumn spinach, either planting a catch crop classified as a nitrate trap or allowing the regrowth of spinach represent solutions for reducing PLN.

Keywords : fertilisation, vegetable crops, fertilizer application, nitrate fertilizers

1. Introduction

1Le Programme de Gestion Durable de l’Azote en agriculture (PGDA), transposition de la « Directive Nitrates » dans la législation wallonne, fixe les règles relatives notamment aux quantités, périodes et conditions d’épandage de l’azote. Il décrit également le contrôle de l’Azote Potentiellement Lessivable (APL). L’APL est la mesure du reliquat azoté réalisée chaque année, en début de période de lixiviation, dans trois parcelles de 3 % des exploitations agricoles situées en zone vulnérable. Le résultat de ces mesures est comparé à des valeurs de référence (APL de référence) établies chaque année par les membres scientifiques de la structure d’encadrement Nitrawal (Vandenberghe et al., 2012). Ces APL de référence sont établis pour huit classes de cultures et prairie (Bontemps et al., 2008 ; Vandenberghe et al., 2013). La classe A7 regroupant les légumes a été généralement caractérisée, entre 2005 et 2009, par un reliquat azoté médian très élevé, c’est-à-dire respectivement de l’ordre de 90 et 70 kg N-NO3-·ha-1 fin octobre/début novembre et début décembre (Vandenberghe et al., 2010). Dans le cadre de la révision du PGDA et des discussions relatives à la classe légumes, il est opportun de faire le point sur les pratiques en matière de fertilisation azotée des cultures légumières destinées à l’industrie (ou légumes industriels) et les moyens dont dispose l’agriculteur pour améliorer cette situation.

2. Importance du secteur en Wallonie

2Sur base du recensement agricole de mai 2010 (Tableau 1), la classe légumes représente près de 15 000 ha en regroupant les surfaces de légumes en plein air avec celles des légumineuses récoltées en grains secs, soit 2 % de la superficie agricole utilisée en région wallonne. Ces 15 000 ha sont pour 73 % occupés par des légumineuses. Dans le secteur du légume industriel, les doubles cultures sont fréquentes. L’épinard est le plus souvent cultivé avant ou après une légumineuse. Les chiffres du recensement agricole n’intègrent pas ces superficies. Seules sont reprises les superficies des premières cultures.

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3. Spécificités du légume industriel

3Les légumes industriels sont des cultures contractuelles où l’agriculteur n’a pas le choix des dates de semis et de récolte. En effet, pour garantir un approvisionnement en continu de l’industrie transformatrice, la récolte des légumes doit être étalée et régulière. C’est donc l’industrie qui gère le planning des semis et récolte. Le tableau 2 reprend les principales cultures de légumes avec les périodes de semis et de récolte. Les pois, fève des marais et haricot ont une durée de culture de 2,5 à 3 mois. L’épinard peut être semé toute l’année entre mars et octobre. Sa croissance étant très rapide, il est le plus souvent semé en double culture avec une légumineuse, soit avant pour les épinards d’hiver et de printemps, soit après pour les épinards d’été et d’automne, souvent confondus en épinards d’automne. Excepté l’épinard d’hiver qui a un cycle de 6 à 7 mois, les épinards de printemps et d’automne ont un cycle très court de 6 à 8 semaines. Les épinards d’hiver et de printemps précèdent souvent une culture de haricot, tandis que l’épinard d’automne suit une culture de fève des marais ou plus rarement de céréales. Il est également de plus en plus fréquent de semer un haricot après une première culture de pois. La carotte, avec un cycle cultural de 5 à 6 mois, se rapproche plus d’une grande culture de printemps. En fonction des productions traitées par l’industrie transformatrice, ce planning peut être adapté notamment par l’intégration d’autres légumes comme l’oignon, le poireau, le chou de Bruxelles, le cerfeuil, etc. L’étalement des périodes de semis et la gamme des légumes cultivés expliquent la grande diversité des situations rencontrées lors des contrôles APL.

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4Le légume industriel, bien que regroupant un ensemble de cultures, se caractérise généralement par un enracinement superficiel et un cycle cultural court. Plus la profondeur racinaire d’une culture est faible, moins importantes seront les réserves potentielles d’eau et d’éléments fertilisants. En outre, un cycle cultural court réduit les possibilités de rattrapage de la culture suite à un accident cultural (fertilisation déficitaire, sècheresse, ravageur, maladie, etc.). Ces caractéristiques le rendent donc plus vulnérable qu’une grande culture.

4. Fertilisation des légumes industriels

5La classe A7, dont il est fait mention en introduction, regroupe des itinéraires culturaux tels que fève-épinard, pois, haricot, épinard-haricot, chou de Bruxelles, poireau, pois-haricot, chicon, oignon, carotte. Les légumineuses, en simple ou double culture, représentent 70 % de l’effectif des parcelles utilisées pour établir l’APL de référence (Vandenberghe et al., 2010). La plus grande variabilité des résultats de cette classe, comparativement aux autres classes, est liée à la multitude d’itinéraires culturaux que l’on retrouve dans cette classe.

6La fertilisation azotée en cultures légumières a fait l’objet de bon nombre d’expérimentations qui ont permis une amélioration des pratiques. Comme pour les grandes cultures, le conseil de fertilisation azotée est basé sur l’établissement du bilan prévisionnel. Ce bilan met en balance les besoins de la culture et les fournitures du sol. Les besoins d'une culture peuvent varier en fonction des objectifs poursuivis (rendement, qualité, nombre de coupes, stade de la récolte). Du côté des besoins, se trouve également l’azote résiduel non prélevé par la culture. Outre le reliquat azoté, les fournitures reprennent également la minéralisation de l'humus et de la matière organique composée des apports de fertilisants organiques et des résidus de culture. Le conseil de fumure est alors le complément de fourniture nécessaire à l’équilibre du bilan.

7L’objectif poursuivi n’est pas de retracer l’évolution des conseils de fertilisation, mais bien de faire le point sur les avancées rendues possibles grâce notamment aux nombreuses expérimentations menées dans le cadre du programme d’activités du Centre Pilote Légume Industriel (Moniteur belge, 2004), du partenariat développé entre la Province de Liège – Agriculture et l’industrie, ou encore de projets pluridisciplinaires.

4.1. Fertilisation du pois

8Le pois, comme toute légumineuse, a la faculté de fixer l’azote de l’air par l’intermédiaire de bactéries qui forment des nodosités sur ses racines. En conditions propices au fonctionnement de ces nodosités, la fixation symbiotique est capable de fournir 75 % des besoins azotés (soit environ 200 kg N·ha-1) (Boucherie et al., 2006). La fertilisation du pois n’est pas nécessaire, mais en conditions de levée particulièrement difficiles, un apport d’azote en faible quantité (30 kg N·ha-1) peut se justifier. Pour rappel, le PGDA interdit la fertilisation azotée sur légumineuses, sauf s’il y a un avis de fumure établi à partir de la mesure des reliquats azotés du sol.

4.2. Fertilisation du haricot

9Comme toute légumineuse, la fertilisation azotée du haricot n’est autorisée que sur avis de fumure établi à partir de la mesure des reliquats azotés du sol. La fixation symbiotique n’est pas suffisante pour satisfaire les besoins en azote du haricot mange-tout destiné à l’industrie. De nombreuses expérimentations ont montré qu’un apport d’azote permettait d’augmenter le rendement du haricot sans en altérer la qualité et tout en laissant des reliquats azotés en post-récolte comparables à ceux du haricot cultivé sans apport d’azote. Le tableau 3 reprend les résultats du projet européen INCO-DC. Il montre des différences statistiquement significatives entre les quatre niveaux de fertilisation pour les valeurs de rendement du haricot. Par contre, seul le niveau de fertilisation correspondant à 150 % du conseil de fumure laisse des reliquats azotés en post-récolte statistiquement supérieurs à ceux laissés par les trois autres niveaux de fertilisation.

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10Le tableau 4 reprend des résultats de l’étude réalisée dans le cadre de l’ « Adaptation des pratiques agricoles en fonction des exigences de la Directive Nitrates et validation des résultats via le suivi lysimétrique de la lixiviation de l’azote nitrique » (Deneufbourg et al., 2010). Bien que la différence de rendement entre les deux niveaux de fumure ne soit pas statistiquement significative, elle atteint presque 1 t·ha-1 en faveur de l’objet ayant reçu une fertilisation. Les reliquats azotés en post-récolte sous ce même objet sont également légèrement inférieurs à ceux laissés par le haricot n’ayant reçu aucune fertilisation.

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11Le tableau 5 reprend des résultats obtenus dans le cadre de l’étude intitulée « Suivi lysimétrique de la lixiviation de l’azote nitrique et expérimentation en matière de fertilisation azotée et de successions culturales en cultures industrielles légumières » (Deneufbourg et al., 2012). Ces résultats illustrent parfaitement les risques encourus avec une culture à cycle court comme le haricot. En l’occurrence, la parcelle a subi une attaque de mouches après la levée qui s’est traduite par un retard de croissance et une perte de plants. Suite à cette attaque, la culture est restée hétérogène et n’a donc pu exprimer pleinement son potentiel de rendement. La différence (statistiquement significative) des reliquats azotés en post-récolte est équivalente à la fumure apportée sur un des deux objets de l’expérimentation.

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12Le haricot valorise pleinement un apport raisonné d’azote, sauf en cas d’accident cultural où cet apport contribue à augmenter les reliquats azotés post-récolte. Il se cultive soit seul comme une grande culture, soit en double culture après un épinard ou un pois. À titre d’exemple, 50 % des haricots cultivés en 2012 pour la S.A. Hesbayefrost succédaient à un épinard, 15 % à un pois et les 35 % restant étaient du haricot cultivé en première culture.

13C’est une pratique courante de ne pas appliquer d’azote sur haricot après épinard car la minéralisation des résidus de culture est généralement suffisante pour assurer un démarrage correct du haricot. Pour répondre à des normes de commercialisation plus strictes comme par exemple le marché du baby-food, la fertilisation azotée de l’épinard est volontairement adaptée. Dans ces conditions, le recours au conseil de fumure pour le haricot peut être nécessaire. Lorsque le haricot est semé après un pois, la minéralisation des résidus de culture du pois est suffisante pour assurer un bon démarrage du haricot. La fertilisation du haricot semé après un pois n’est donc pas nécessaire.

14En pratique, la valeur des besoins du haricot hors fixation symbiotique prise en compte dans le calcul du conseil de fumure est de 130 kg N·ha-1. Le profil azoté est effectué en mai sur une profondeur de 40 cm. Sur l’ensemble des conseils de fumure délivrés par la Province de Liège – Agriculture ces trois dernières saisons (2010 à 2012), 30 % d’entre eux sont de 0 kg N·ha-1. La moyenne des conseils de fumure est de 30 kg N·ha-1 avec un maximum de 80 kg N·ha-1. L’azote est appliqué au semis pour assurer un bon démarrage de la culture.

4.3. Fertilisation de la fève des marais

15Comme pour toute légumineuse, la fertilisation azotée de la fève des marais n’est autorisée que sur avis de fumure établi à partir de la mesure des reliquats azotés du sol. Contrairement au pois et au haricot où la bibliographie ne manque pas, la fève des marais est nettement moins documentée. La fixation symbiotique de la fève des marais, bien que supérieure à celle du haricot, n’est toutefois pas suffisante pour satisfaire ses besoins en azote.

16Le tableau 6 reprend des résultats de l’étude réalisée dans le cadre de l’ « Adaptation des pratiques agricoles en fonction des exigences de la Directive Nitrates et validation des résultats via le suivi lysimétrique de la lixiviation de l’azote nitrique » (Deneufbourg et al., 2010). Ces travaux ont montré qu’une baisse de la fertilisation de 50 kg N·ha-1 en fève des marais n’amène pas de baisse de rendement et que les reliquats azotés en post-récolte restent comparables. Il s’en est suivi une réduction des besoins de la fève des marais de 50 kg N·ha-1 pour le calcul du conseil de fumure par les laboratoires.

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17Les expérimentations en fève des marais se poursuivent avec pour objectif de tester si ces besoins pourraient ou non être encore diminués. Même si les rendements ne sont pas directement affectés par le niveau de fumure azotée, le développement végétatif et la position des étages inférieurs de gousses ont toute leur importance pour optimaliser la récolte. Des gousses positionnées à un niveau trop bas sur la fève ne peuvent être mécaniquement récoltées et contribuent donc à accroitre les résidus de récolte.

18En pratique, la valeur des besoins de la fève des marais hors fixation symbiotique prise en compte depuis 2010 dans le calcul du conseil de fumure est de 80 kg N·ha-1. Le profil azoté est effectué en mars-avril sur une profondeur de 60 cm. Sur l’ensemble des conseils de fumure délivrés par la Province de Liège – Agriculture ces trois dernières saisons (2010 à 2012), 31 % d’entre eux sont de 0 kg N·ha-1. La moyenne des conseils de fumure est de 19 kg N·ha-1 avec un maximum de 58 kg N·ha-1. L’azote est appliqué au semis pour assurer un bon démarrage de la culture.

4.4. Fertilisation de la carotte

19La majorité des carottes cultivées en Wallonie sont destinées à la conservation ou à la transformation. Elles sont de deux types. Les carottes nantaises sont principalement destinées à la conservation pour une commercialisation en frais, alors que les carottes flakkées, encore appelées grosses carottes, sont toutes destinées à la transformation. De nombreuses expérimentations ont montré qu’un apport d’azote ne permettait pas d’augmenter significativement le rendement de la carotte, qu’elle soit flakkée ou nantaise, et tout en laissant des reliquats azotés post-récolte comparables pour autant que le niveau de fertilisation ne dépasse pas le conseil de fumure. Le tableau 7 reprend les résultats du projet européen INCO-DC, réalisé sur des carottes nantaises.

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20Le tableau 8 reprend des résultats de l’étude réalisée dans le cadre de l’ « Adaptation des pratiques agricoles en fonction des exigences de la Directive Nitrates et validation des résultats via le suivi lysimétrique de la lixiviation de l’azote nitrique » (Deneufbourg et al., 2010). Ces résultats concernent la carotte flakkée. À l’issue de ces travaux, une réduction des besoins de la carotte de 40 kg N·ha-1 a été préconisée pour le calcul du conseil de fumure par les laboratoires.

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21En pratique, la valeur des besoins de la carotte prise en compte dans le calcul du conseil de fumure est de 120 kg N·ha-1 quel que soit le type (flakkée ou nantaise). Le profil azoté est effectué en mars-avril sur une profondeur de 60 cm. Sur l’ensemble des conseils de fumure délivrés par la Province de Liège – Agriculture ces trois dernières saisons (2010 à 2012), 58 % d’entre eux sont de 0 kg N·ha-1. La moyenne des conseils de fumure est de 12 kg N·ha-1 avec un maximum de 53 kg N·ha-1.

22Le démarrage de la culture est lent. La carotte atteint le stade 4 feuilles près de 60 jours après le semis. Actuellement, l’azote est apporté en une seule application au semis. Les expérimentations se poursuivent pour déterminer la meilleure période d’application de l’azote.

4.5. Fertilisation de l’épinard

23L’épinard est une culture à cycle court. Sa croissance s’intensifie lorsque son feuillage couvre le sol. Pour les épinards de printemps, d’été et d’automne, les 80 % de la biomasse récoltable se constituent durant les trois dernières semaines de son cycle. Déclenchée avant la montaison, la récolte intervient en phase exponentielle de croissance. La date de récolte peut par conséquent faire varier significativement les besoins en azote. À ce stade, l’épinard mobilise en effet 10 kg N·ha-1 par jour (Boucherie et al., 2006). Cette rapidité de croissance est moins marquée pour les épinards d’hiver et les derniers épinards d’automne.

24La date de récolte est également dépendante des besoins de l’industrie. Le rapport tige/feuille est un critère déterminant dans la destination de l’épinard. Ce rapport indique la proportion de pétiole par rapport au limbe. L’épinard-branche a un rapport tige/feuille faible, alors que l’épinard-purée peut présenter un rapport plus élevé. Ce rapport est non seulement influencé par la maturité de l’épinard, mais également par la hauteur de coupe. La date de récolte et la hauteur de coupe auront donc une influence déterminante sur le niveau du reliquat azoté post-récolte. Une récolte hâtive laissera un reliquat de fumure non utilisé par l’épinard et une hauteur de coupe plus élevée laissera davantage de résidus de récolte.

25L’azote est un élément clé pour l’épinard. Tout excès peut conduire à une accumulation de nitrate dans le feuillage allant jusqu’au dépassement des normes de commercialisation, tandis qu’un rationnement entraine jaunissement, montaison et réduction de la biomasse, sans possibilité de rattrapage.

26De nombreuses expérimentations ont permis de mieux cerner la fertilisation de l’épinard, quelle que soit sa période de culture. Le tableau 9 reprend les résultats d’une expérimentation en épinard d’automne réalisée dans le cadre de l’ « Adaptation des pratiques agricoles en fonction des exigences de la Directive Nitrates et validation des résultats via le suivi lysimétrique de la lixiviation de l’azote nitrique » (Deneufbourg et al., 2010). Ces résultats illustrent parfaitement les risques encourus avec une culture à cycle court comme l’épinard. En l’occurrence, la récolte a été avancée suite à l’apparition des premiers signes de jaunissement provoqué par les fortes chaleurs de la fin aout. La différence (statistiquement significative) des reliquats azotés en post-récolte est équivalente à la différence de fumure apportée aux deux objets de l’expérimentation. Suite à cet accident cultural, l’épinard n’a pu exprimer pleinement son potentiel de rendement. Dans une telle situation, une bonne gestion de l’interculture est importante. L’implantation d’une culture intermédiaire piège à nitrate (CIPAN) ou les repousses d’épinard sont des solutions permettant de réduire l’APL.

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27La destination de l’épinard n’est que rarement connue au moment de l’établissement du conseil de fumure. Il est donc calculé sur base d’un rendement optimal. La valeur des besoins de l’épinard prise en compte dans le calcul du conseil de fumure est de 220 kg N·ha-1. Le profil azoté est effectué sur une profondeur de 40 cm.

28En épinard d’hiver, ce profil est réalisé début février. Sur l’ensemble des profils azotés réalisés par la Province de Liège – Agriculture ces trois dernières saisons (2010 à 2012), les résultats varient de 3 à 23 kg N·ha-1 avec une moyenne de 10 kg N·ha-1. Une évaluation de la biomasse est nécessaire pour estimer l’azote déjà prélevé par la culture. Lors d’hivers relativement doux et pour les variétés les plus précoces, la biomasse récoltable peut atteindre 10 t·ha-1. Dans ces conditions, une première application début février serait nécessaire. L’expérimentation a en outre montré qu’une part importante de la fumure doit être apportée tôt à la sortie de l’hiver dès la reprise de la végétation (Deneufbourg et al., 2011). Mais le PGDA interdit tout épandage d’azote minéral du 15 octobre au 15 février. Il est donc suggéré de limiter cette interdiction au 31 janvier.

29En épinard de printemps et d’automne, une première fraction de 80 à 100 kg N·ha-1 est apportée au semis. Le profil azoté est effectué au stade 2 feuilles pour établir le conseil de fumure pour la seconde application. Cette pratique donne les meilleurs résultats en termes de qualité et de rendement de l’épinard. Les derniers épinards d’automne sont semés fin aout - début septembre. Le profil azoté est alors effectué au plus tard au début de la troisième décade de septembre. La seconde application est terminée pour le 30 septembre. L’avancement du début de la période d’interdiction d’épandage d’azote minéral du 15 octobre au 1er octobre ne serait donc pas préjudiciable pour l’épinard ni d’ailleurs pour les autres cultures légumières.

5. Conclusion

30Le respect des conseils de fumure permet d’obtenir de bons rendements et des reliquats azotés post-récolte acceptables. Mais les légumes industriels restent des cultures à risques car les accidents culturaux ne sont pas rares et les possibilités de rattrapage sont d’autant plus réduites que leur cycle cultural est court. Dans ces conditions, les reliquats azotés post-récolte peuvent être élevés.

31Les légumineuses ne reçoivent que peu voire pas d’azote en cours de culture, contrairement aux autres légumes pouvant avoir des besoins en azote parfois importants. Après la récolte, la minéralisation des résidus de culture peut accroitre considérablement le niveau des reliquats azotés. Une bonne gestion de l’interculture a donc toute son importance. Elle est le seul moyen d’action pour réduire l’APL. Certaines situations restent cependant sans possibilité de rattrapage pour l’agriculteur ; c’est par exemple le cas d’un haricot récolté en septembre et en conditions humides. Ce haricot ne laisse pas la possibilité d’implanter une CIPAN et le semis en octobre d’un froment d’hiver ne permet pas de réduire l’APL mesuré en novembre. Cette situation montre les limites d’une bonne gestion de l’interculture.

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Pour citer cet article

Benoît Heens, «Fertilisation azotée des légumes industriels», BASE [En ligne], numéro spécial 1, Volume 17 (2013), 207-214 URL : https://popups.uliege.be/1780-4507/index.php?id=9695.