Deux Brésiliens en quête d’un modèle de musée moderne. Le parcours européen de Livio Xavier Júnior et Sérvulo Esmeraldo1
Résumé
Pour cet article, nous avons choisi de nous pencher sur l’expérience de voyage, datant de l’année 1961, de Lívio Xavier Júnior et Sérvulo Esmeraldo, lors d’un parcours de visite de différents musées européens en quête d’apprentissage d’un modèle moderne de musée. Cet article présente une partie des résultats d’une recherche qui a cherché à identifier les acteurs qui ont collaboré au long de cinquante années à la fabrication du programme du MAUC de l’Université fédérale du Ceará (UFC). Nous comprenons que la description et l’analyse des actions de ce musée d’art dans la ville de Fortaleza (État du Ceará au Brésil) reposent sur un travail de compréhension et d’explication des notions de collaboration et de pluralité pour la muséologie contemporaine.
Abstract
For this article, we have chosen to look at the travel experience, dating from the year 1961, of Lívio Xavier Júnior and Sérvulo Esmeraldo, during a tour of different European museums in search of learning a modern model of museum. This article presents some of the results of a research that sought to identify the actors who collaborated over fifty years in the manufacture of the MAUC program of the Federal University of Ceará (UFC). We understand that the description and analysis of the actions of this art museum in the city of Fortaleza (State of Ceará in Brazil) is based on a work of understanding and explaining the notions of collaboration and plurality for contemporary museology.
Introduction
1Cet article est, en partie, issu de ma thèse de doctorat en histoire de l’art portant sur la trajectoire du Musée d’Art de l’Université Fédérale du Ceará – MAUC – (1961-2011), soutenue au sein de l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I) en 2016 (Ruoso, 2016). Le travail de recherche s’est évertué à étudier les actions de circulation des savoirs, des œuvres d’art et des artistes et travailleurs du monde de l’art aux niveaux local, national et international. Pour cet article, nous avons choisi de nous pencher sur l’expérience de voyage, datant de l’année 1961, de Lívio Xavier Júnior et Sérvulo Esmeraldo, lors d’un parcours de visite de différents musées européens en quête d’apprentissage d’un modèle moderne de musée.
Un voyage de formation et les modèles de musées dans une perspective géopolitique
2Tout d’abord, nous partons du postulat que l’analyse historique des expériences des travailleurs des musées et de leurs collaborateurs est fondamentale pour comprendre les processus historiques socialement constitués au sein des relations locales, nationales et internationales qui sont mobilisées pour le développement, la diffusion et la construction de modèles de musées dans différentes parties du monde. Cette optique nous permet d’éclairer historiquement certaines des questions que nous nous posons aujourd’hui : les institutions culturelles des pays d’Amérique latine ont-elles reproduit tel quel les modèles développés en Europe ? Existe-t-il des similitudes et des différences entre les modèles établis au sein des musées européens et des musées latino-américains ? Comment les expériences pratiques de muséologie développées en Amérique latine peuvent-elles être reconnues comme références par les muséologies contemporaines ? Comment les parcours d’acteurs du Sud peuvent-ils contribuer à repenser les canons traditionnellement hégémoniques de la politique muséale internationale ? Est-il possible de penser à une justice épistémique au sein de la muséologie contemporaine lorsque nous analysons des expériences muséologiques menées en dehors de l’Europe ? Les modèles créés au Brésil peuvent-ils être considérés comme références par les muséologies européennes ?
3Cet article présente une partie des résultats d’une recherche qui a cherché à identifier les acteurs qui ont collaboré durant cinquante années à la fabrication du programme du MAUC de l’Université fédérale du Ceará (UFC). Nous comprenons que la description et l’analyse des actions de ce musée d’art dans la ville de Fortaleza (État du Ceará au Brésil) reposent sur un travail de compréhension et d’explication des notions de collaboration et de pluralité pour la muséologie contemporaine. Nous sommes dans la troisième décennie du XXIe siècle, et débattons actuellement de la nouvelle définition du musée. Ces notions de collaboration et de pluralité apparaissent dans les textes et questionnaires proposés par l’ICOM2. Dans quelle mesure l’expérience historique d’un musée universitaire d’art dans une ville du Nordeste brésilien peut-elle contribuer à consolider ces notions dans la muséologie contemporaine ?
4Nous avons choisi de décrire et d’analyser le voyage de deux personnages : l’un d'entre eux était un travailleur du MAUC/UFC, Lívio Xavier Júnior (1925-2014), et l’autre était un artiste qui travaillait en tant que collaborateur de cette institution, Sérvulo Esmeraldo (1929-2017). De nombreux autres travailleurs et collaborateurs ont collaboré à l’élaboration du programme de ce musée au long de ses cinquante premières années d’existence3. Nous avons cependant estimé que le contexte du voyage en Europe de nos deux personnages serait une expérience plus pertinente pour discuter des dimensions d’une circulation internationale des connaissances muséologiques et de leurs impacts aujourd’hui. Le motif de ce voyage reposait sur la volonté de réaliser une formation professionnelle en muséologie basée sur des visites techniques qui permettrait de s’instruire auprès de travailleurs de musées européens. Ils espéraient ainsi connaître le modèle d’un musée moderne ; ils ne pouvaient pas expliquer exactement ce qu’ils recherchaient, mais ils voulaient être au fait de ce qui se faisait de plus novateur à cette époque. Tout au long de leur voyage, ils ont repéré des exemples, les ont approuvés ou désapprouvés. Ils nous ont laissé des traces nous permettant d’interpréter, au travers de leurs comptes-rendus, les notions qui leur étaient les plus chères : le souhait d’une ouverture au dialogue et à la collaboration dans un contexte d’équité.
5Deux personnages français vont se distinguer dans le récit des Brésiliens : Georges Henri Rivière (1897-1985) et Jean Adhémar (1908-1987). Lívio Xavier Júnior rencontre Rivière en 1961 par l’intermédiaire du président du comité de l’ICOM au Brésil qui lui avait recommandé, à l’époque, de quitter Madrid pour se rendre à Paris afin de poursuivre ses études à l’École du Louvre. Sérvulo Esmeraldo, de son côté, rencontre Adhémar au Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale de France. Les deux Français vont agir comme des directeurs de recherche pour ces deux voyageurs brésiliens et vont contribuer à l’organisation de l’itinéraire de visite de musées européens et des études à mener. Ils vont aussi prodiguer des conseils sur les meilleures galeries pour l’acquisition d’œuvres d’art qui composeront la collection d’art étranger du MAUC/UFC. Il faut souligner que Jean Adhémar a accueilli favorablement une proposition d’exposition de gravures sur bois brésiliennes au Cabinet des estampes de la BNF ; cette exposition a fait le tour de différents musées européens en 1962 avec le soutien de diverses ambassades brésiliennes de pays européens à partir de l’articulation de l’ambassade du Brésil en France.
6Un parcours éminemment descriptif est proposé. Il suit le flux des échanges épistolaires entre nos deux apprentis voyageurs et le président de l’Université fédérale du Ceará, Antônio Martins Filho (1904-2002). Les témoignages présentés montrent les interprétations établies en cours de route, ce qui permet d’expliquer les aspects et les significations attribués par les acteurs vis-à-vis du développement des notions de musée moderne. En lisant les notes prises en cours de route, il est possible d’interpréter les critiques et les éloges évoqués au long des comptes-rendus. Les schémas de Sérvulo Esmeraldo nous aident à visualiser une architecture qui serait conçue pour le MAUC/UFC.
7Notre objectif n’est donc pas de centrer le débat sur l’influence française au Brésil, ni sur les dimensions théoriques de la pensée française dans la création du MAUC/UFC. Notre propos consiste à démontrer, à partir du parcours de voyage, la manière dont nos personnages brésiliens élaborent une compréhension de l’importance du dialogue entre les institutions, leurs travailleurs et leurs pays, dans une idée de respect mutuel. Notre analyse s’organise à partir la problématique de la géopolitique des mondes des arts, des musées et du patrimoine culturel. À partir de la voix de nos personnages, nous problématisons l’envie de promouvoir une circulation des savoirs, des œuvres et des artistes, valorisant les deux versants de ce dialogue. Les récits historiques nous mènent à une proposition de muséologie contemporaine moins hiérarchique et hégémonique, qui vient étayer des relations plus plurielles et diverses.
8Nous commençons par présenter Sérvulo Esmeraldo (1929-2017), l’artiste. Sérvulo Esmeraldo est né en 1929 dans la ville de Crato, dans la région du Cariri dans l’État du Ceará (région Nordeste du Brésil). Il est le fils de Zaira Cordeiro Esmeraldo et d’Álvaro Esmeraldo. En 1947, Sérvulo Esmeraldo s’installe à Fortaleza afin de poursuivre ses études au sein du lycée du Ceará, et la même année, il commence à travailler en tant que gérant de l’imprimerie de l’Institut historique et géographique du Ceará. Il occupe ce poste jusqu’en 1951, date de son départ pour la ville de São Paulo. Entre-temps, il a participé du VIe Salon d’Avril, son œuvre Passando a chuva (La pluie qui passe) y reçoit même un Prix. Dès son arrivée à São Paulo, où il va résider de 1951 à 1957, il travaille au montage des travaux de Lívio Abramo (1903-1992) pour la Ière biennale de São Paulo, où il fait la rencontre de Frans Krajcberg (1921-2017). Ensuite, il résidera en France de 1957 à 1980, avant de revenir à Fortaleza. C’est durant son séjour en France que Sérvulo Esmeraldo invente les « Excitables ». Il est reconnu comme un artiste représentatif de l’art cinétique, notamment avec sa participation à l’exposition Dynamo au Grand Palais de Paris, un hommage aux cent ans de l’art cinétique. Dès son arrivée à Paris, il devient un important interlocuteur de l’Université Fédérale du Ceará en vue de la création du MAUC. C’est durant son séjour à Paris qu’il rencontre Livio Xavier Júnior.
9Nous présentons maintenant le muséologue Lívio Xavier Júnior (1925-2014). Il est né dans la ville de Granja, située dans le nord-est de l’État du Ceará, à 362 kilomètres de Fortaleza. Durant sa jeunesse, Lívio Xavier Júnior migre à Rio de Janeiro, où il étudie le droit. Avant cela, il a habité dans la ville de Fortaleza pour étudier à l’Escola de Comércio (l’École de Commerce) afin de préparer le baccalauréat. De retour à Fortaleza, en 1960, il travaille au sein de l’Université fédérale du Ceará, et est attaché au projet de création du MAUC. L’année suivante, une bourse d’études de l’Institut hispanique de culture lui est octroyée, et il poursuit sa formation en muséologie, ainsi que de critique d’art. Lívio Xavier Júnior se rend en Espagne en quête d’une formation professionnelle. Il voulait étudier la muséologie, car il voulait connaître quelles étaient les règles, ou peut-être, connaître le modèle d’un musée moderne. Ses intérêts, que nous avons déjà évoqués, sont présents dans ses écrits à propos de ses études, aussi bien en Espagne qu’en France, et dans ses visites techniques réalisées dans les musées durant son séjour en Europe.
10Les deux trajectoires sont présentées afin de mettre en évidence les relations entre les processus de formation professionnelle-artistique et les circuits parcourus au Brésil et en Europe. Afin d’expliquer la dimension géopolitique de la circulation des connaissances, il est nécessaire d’attirer l’attention du lecteur sur les différentes villes mentionnées dans leurs biographies. Les migrations ont élargi la vision du monde des travailleurs de la culture, les points de vue élaborés dans un premier temps se sont transformés en interprétations critiques des expériences vécues, tout comme elles ont favorisé la construction de références créatives lorsque les productions muséologiques sont articulées aux savoirs produits au niveau local, national et international.
11La devise de l’Université fédérale du Ceará, créée par son premier président Antônio Martins Filho (1904-2002), « L’universel par le régional », nous éclaire sur la perspective de travail que vont développer nos interlocuteurs. Martins Filho est natif de la ville de Crato (dans la région de l’État du Ceará, dite du Cariri), et va assumer la présidence de l’UFC au moment de sa fondation en 1954. À cette époque, il existait une politique de développement économique national basée sur une analyse de la régionalisation du Brésil4. Martins Filho avait à l’esprit l’importance de connaître les musées européens, mais il comprenait aussi qu’il n’était possible de regarder en direction de l’Europe qu’au travers du prisme des savoirs des « Maîtres de la culture » locaux, qui sont aujourd’hui reconnus comme trésors de la culture par les politiques publiques du patrimoine culturel au Ceará (plus particulièrement des graveurs sur bois, sculpteurs de saints (santeiros) et des céramistes). Il était familiarisé avec ces œuvres par les foires du Cariri, sa région de naissance. C’est ainsi que toutes les lectures et les connaissances accumulées au cours des voyages de nos interlocuteurs doivent être articulées aux savoirs des « Maîtres de la culture » afin de garantir des valeurs régionales. Martins Filho était conscient qu’il serait impossible de créer un musée d’art au Ceará sans être à l’écoute de visions multiples.
12C’est à partir d’une théorie décoloniale que nous saisissons qu’il est nécessaire de diffuser en Europe la vision de deux voyageurs brésiliens à la recherche d’une notion de musée moderne. Ces Brésiliens ne savaient pas exactement ce qu’ils recherchaient. Ils voulaient un exemple ; ils désiraient apprendre, se professionnaliser au travers d’études et de voyages techniques dans les musées, en écoutant ceux qui y travaillaient. Ils avaient également pour projet de faire circuler une exposition de gravures sur bois, une collection qui avait été acquise à l’époque par le MAUC/UFC. Les théories et pratiques décoloniales nous invitent à penser aux zones où nos blessures coloniales se font ressentir, et à la manière dont nous pouvons nous exprimer sur ces blessures coloniales imbriquées dans l’expérience historique. Nos voyageurs ressentent des blessures ouvertes et tentent d’exercer une pratique décolonisatrice en se situant en tant que sujets d’énonciation réflexifs dans le dialogue avec les différentes institutions qu’ils ont visitées.
13Alexandro Silva de Jesus (2019) explique que l’une des blessures exposées du colonisé est l’endettement. À travers une analyse des impressions du Corupira5 dans la traduction des colonisateurs sur les entités indigènes, ce professeur du département de muséologie de l’université fédérale du Pernambouc appréhende la perspective du sujet endetté à partir d’une dimension économique de la blessure coloniale. Pour Silva de Jesus (2016, p. 101), la langue coloniale, et ainsi les notions conceptuelles qui sont élaborées par cette même langue, est :
« Garantie par des forces extralinguistiques, la langue coloniale est celle qui opère comme première dans le langage, ce qui signifie que c’est uniquement en elle que le concept traduit le monde et les choses qui l’habitent. Cette langue qui se fait lumière et clarté, inaugure le sujet endetté dans le langage. »
14En comprenant que nos lectures de l’expérience du chemin parcouru, et surtout du voyage en lui-même, par Lívio Xavier Júnior et Sérvulo Esmeraldo se déroule sous le prisme des savoirs des « Maîtres de la culture » ; il se réalise comme un parcours à rebrousse-poil, un récit narré au travers de ces traces de pas laissées par des pieds à l’envers indiquant une piste pour la muséologie contemporaine, ce qui est l’opposé, ou peut-être une déviation ou un égarement par rapport au dessein initial : un modèle de musée moderne. C’est ainsi que nous invitons le lecteur à parcourir les chemins d’une muséologie contemporaine qui analyse, interprète les traces, les silences, y compris les épistémicides des savoirs actuels en tant que blessures coloniales, et inscrit son impétuosité dans la perspective contre-coloniale qui doit composer avec cette dimension du sujet endetté dans toutes les sphères de la vie.
Les parcours de visite des musées européens et la circulation de savoirs
15Après un séjour à Madrid avec une bourse de l’Institut Hispanique de Culture, Lívio Xavier Júnior voyage à Paris. Le voyage à Paris de Lívio Xavier Júnior est fortement encouragé. Il s’y rend ainsi, sur recommandation, pour rencontrer Madame Delafon de l’École du Louvre, et s’inscrit dans cette institution. Il s’inscrit dans les disciplines d’histoire de l’art, de muséologie et d’arts et traditions populaires, selon les informations qu’il fournit dans une lettre datée du 5 juin 19616. Son projet de voyage et d’études à Paris est révélé dès le mois de janvier de cette même année.
« C’est à Paris que se trouve l’organisme central de contrôle et d’orientation des musées du monde entier, principalement de ceux dont les activités visent des finalités éducatives, en consonance avec notre idée depuis le début pour le musée d’art de l’université. »7
16D’après l’extrait de cette lettre, Lívio Xavier Júnior explique à son interlocuteur la manière dont il comprend le rôle de l’ICOM, et l’importance que représente le fait que cet organisme se trouve à Paris. Dans ses mots, on peut percevoir un certain enchantement dans la confirmation de l’image de Paris comme ville des musées, principalement pour savoir qu’il existe un dialogue entre éducation et musées aiguillé par un organisme international. Ainsi, nous pouvons déceler les premiers indices de son futur départ en France dans cette lettre datée du mois de janvier 1961. On peut aussi noter que ce voyage commence à inclure, de manière plus emphatique, les aspects des politiques culturelles et de musées, avec la présence de l’UNESCO et de l’ICOM. Il était évident qu’avec la présence d’organismes tels que l’UNESCO et l’ICOM, les contacts avec les musées des différents pays européens seraient intensifiés, permettant à cette expédition de connaître différentes expériences qui pourraient parfaire le projet en cours du MAUC. Paris était reconnue comme étant le centre politique de la culture et la ville des musées, ce qui renforçait les expectatives des participants de ce programme de formation à l’étranger. Le rôle de la France pour la définition d’un musée moderne est fondamental pour la maintenir en tant que capitale des musées (Kott, 2008).
17Dans une lettre datée du 14 juin 1961, deux fonctionnaires de l’Université fédérale du Ceará justifient ce choix en insistant sur l’importance du dialogue avec l’UNESCO et avec le musée du Louvre, afin qu’il puisse étudier ce qu’il y avait de meilleur pour l’organisation d’un musée d’art, avec les techniques les plus modernes, et d’en profiter pour recueillir les éléments basiques nécessaires au bon fonctionnement du MAUC en tant que musée d’art. En outre, il lui est conseillé par différents interlocuteurs de visiter des musées et de construire un rapprochement entre eux et le MAUC. L’une des suggestions est d’intégrer Sérvulo Esmeraldo dans ce programme de visites de musées.
18Lívio Xavier Júnior quitte Madrid le 17 juin 1961. En lisant les lettres échangées entre ces différents interlocuteurs, on perçoit à quel point le séjour à l’étranger d’un fonctionnaire de l’université était contrôlé, rapporté et évalué. Nous pouvons y observer aussi que Lívio Xavier Júnior arrive à réunir de nombreux interlocuteurs autour de son projet, qui vont appuyer et légitimer son transfert à Paris. Tous concordent sur le potentiel d’apprentissage que Lívio Xavier Júnior rencontrerait à Paris.
19Les lettres de présentation et de recommandation sont adressées à l’ambassadeur du Brésil en France, Carlos Alves de Sousa à cette époque, notifiant que Lívio Xavier Júnior et Sérvulo Esmeraldo sont des représentants du MAUC et peuvent parler en son nom à propos de n’importe quel sujet en relation avec cette institution. Ces lettres sont fondamentales pour la mise en place et la dynamique de ce programme de visites de musées. Dans la missive du 8 septembre de cette même année, il est dit que grâce à cette lettre de présentation et de recommandation, ils ont été très bien accueillis à l’ambassade, et qu’ils ont reçu de nouvelles lettres de recommandation qui les ont aidés à construire leur parcours dans les institutions en France. À l’UNESCO, ils obtiennent une lettre du directeur de l’ICOM de l’époque, Georges Henri Rivière.
20Dans cette correspondance épistolaire, l’importance de l’ambassadeur du Brésil auprès de l’UNESCO, Paulo Carneiro, et de l’attaché culturel de l’ambassade, Celso Souza e Silva, est mise en avant, demandant au MAUC de remercier de manière formelle les efforts de ces derniers en vue de faciliter le déroulement de la mission de la visite des musées. Nous voulons mettre en exergue l’importance que l’ambassade du Brésil en France va donner aux interlocuteurs du Ceará. Cette attention est probablement en relation avec le fait que l’État brésilien comprenait l’importance des actions réalisées par les acteurs en question. Du point de vue de la politique de relations internationales du Brésil, le MAUC serait important pour lui donner une visibilité, en introduisant ce musée sur la scène internationale.
21Toujours en suivant le trajet de ce voyage, dans un compte rendu daté du 7 septembre 1961, on trouve la description de la première visite de musée réalisée par Lívio Xavier Júnior et Sérvulo Esmeraldo. L’objectif des visites était d’établir des contacts avec des musées et des galeries afin d’observer la manière dont ils étaient organisés et comment était la dynamique du fonctionnement de chacune de ces institutions. Ils quittent Paris en direction d’Épinal le 9 août 1961. Le même jour, ils arrivent au musée international de l’imagerie, centre de référence de la gravure populaire française. Un incident marque cette première visite, laissant aux membres de l’expédition un sentiment de frustration : le conservateur André Jacquemin se refuse à les recevoir. Antérieurement, ils étaient entrés en contact avec ce conservateur, à la demande du conservateur du Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale de France. L’absence du conservateur a certainement influencé leur évaluation de ce musée. Ce dernier a été considéré par eux comme étant obsolète par rapport aux solutions présentées pour la disposition des œuvres, et ils disqualifient l’adjectif international du musée, pour ne pas avoir identifié une diversité de nations représentées dans les collections.
22Le lendemain, ils continuent leur voyage en se rendant à Colmar en Alsace, où ils visitent le Musée Unterlinden. Lors de cette visite, ils ne purent rencontrer le conservateur, Pierre Schmitt. En l’absence de ce dernier, le conservateur adjoint, Charles Fellman, les reçoit et leur présente toutes les dépendances du musée, qui passait à cette époque par une grande réforme du bâtiment de l’ancien couvent. Ils sont impressionnés par les solutions techniques adoptées et sollicitent les schémas des modèles des vitrines d’exposition. Durant la seconde journée à Colmar, ils en profitent pour visiter le Cabinet des estampes de la bibliothèque municipale, en étant accompagnés par la conservatrice adjointe, Madeleine Orieux, lors de la visite de toutes les dépendances.
23Le 12 août 1961, ils partent en direction de l’Allemagne de l’Ouest, à destination de la ville de Fribourg-en-Brisgau. Ce mois étant un mois de vacances, il est difficile pour nos voyageurs de pouvoir rencontrer tous les professionnels qui y travaillent, et ils ne peuvent pas rencontrer le conservateur ou le directeur de l’institution. Ils visitent le musée, mais sans avoir un intérêt particulier à mettre en avant. Dans l’après-midi, ils arrivent à Bâle en Suisse, et le dimanche 13 août 1961, ils se rendent au Kunstmuseum, où ils prennent rendez-vous afin de s’entretenir avec le directeur de ce musée, Georg Schmidt, le jour suivant. L’expérience dans ce musée semble avoir été extrêmement fructueuse, à tel point que Lívio Xavier Júnior et Sérvulo Esmeraldo ont élaboré un compte rendu pour registrer, par écrit et à l’aide de schémas, les explications du directeur. Après la conversation avec ce dernier, ils ont été conviés à connaître toutes les dépendances du musée en compagnie du conservateur, Hanspeter Landolt, qui leur a présenté la documentation, le cabinet d’estampes et la réserve techniques des pièces. L’évaluation de ce musée est très positive. Nos voyageurs le considèrent même comme le meilleur musée d’Europe et du monde.
24Le 16 août 1961, ils arrivent à Zurich, toujours en Suisse. Dès leur arrivée, ils entrent en contact avec le consul brésilien, José Oswaldo de Meira Penna, responsable pour établir les liens à Zurich. Le même jour, ils connaissent les coulisses de la revue Graphis, où ils avaient préalablement pris rendez-vous avec le directeur Walter Amstutz. Le 17 août 1961, ils sont accompagnés par le consul dans leur visite du Kunstgewerbemuseum (musée d’arts appliqués), pour s’entretenir avec le conservateur Willy Rotzler. Le 18 août 1961, ils continuent leur voyage, en direction d’Ulm, en Allemagne, pour rencontrer l’artiste brésilien Almir Mavigner qui réside dans cette ville depuis quelques années. Cependant, lorsqu’ils arrivent à Ulm, le 19 août, ils ne rencontrent pas Almir Mavignier, ce dernier étant en vacances. Toutefois, ils visitent l’École supérieure de design en compagnie de son directeur, l’architecte argentin Tomás Maldonado. D’Ulm, ils regagnent directement Paris, y arrivant le 24 août 1961.
25En tout, ce furent 15 jours de voyage, six villes et huit institutions, entre bibliothèques, musées et écoles. Durant ce parcours, ils citent le nom de huit professionnels de musées, la plupart identifiés en tant que conservateurs par nos visiteurs : André Jacquemin, Jean Adhémar, Pierre Schmitt, Charles Fellman, Madeleine Orieux, Georg Schmidt, Hanspeter Landolt et Willy Rotzler. Ils ont aussi connu le directeur de la revue Graphis, Walter Amstutz, et le directeur de l’École supérieure de design d’Ulm, l’architecte argentin Tomás Maldonado ; et comme nous l’avons vu, ils n’ont pas pu rencontrer l’artiste brésilien Almir Mavignier.
26Nous allons présenter quelques-uns des personnages dont nous avons pu retracer une courte biographie. Ils vont être présentés dans l’ordre dans lequel ces personnages qui ont commencé à faire partie de ce récit ont été cités. Le graveur André Jacquemin est né à Épinal en 1904, et mort à Paris en 1992. Il a étudié à l’École des Beaux-arts et a été conservateur du musée international de l’imagerie de 1953 à 1974. Durant cette époque, il a cherché à développer la section imagerie, en portant une attention spéciale aux arts et traditions populaires. Le nom de musée international de l’imagerie a été attribué au Musée départemental d’art ancien et contemporain d’Épinal en 1957, en raison du travail du conservateur Henri Guingot entre les années 1946 et 1952, et de l’association des amis du musée, qui ont grandement contribué à l’enrichissement des collections8. Cette collection intègre aujourd’hui les collections du Musée de l’Image de la ville d’Épinal. Selon les informations de la page internet de l’institution9, entre 1951 et 1990, cette collection d’images populaires est devenue la troisième plus importante de France, derrière celle de la Bibliothèque nationale de France et celle du Musée national des Arts et Traditions populaires.
27Sérvulo Esmeraldo fait la connaissance de Jean Adhémar dans le Cabinet d’estampes de la Bibliothèque nationale de France. Selon Sérvulo Esmeraldo, Jean Adhémar a été intrigué par les motivations d’études du jeune Brésilien qui s’intéressait aux gravures d’Albrecht Dürer (1471-1528). Et, c’est de cette conversation initiale que surgit la possibilité de dialoguer au sujet de la création du MAUC10. Jean Adhémar (1908-1987) est conservateur en chef du Cabinet des estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France entre 1961 et 1977. Il y a d’ailleurs commencé sa carrière en tant qu’assistant en 1932. De 1955 à 1987, il est le rédacteur en chef de la revue la Gazette des beaux-arts. En 1963, il fonde la revue les Nouvelles de l’estampe. Au sein de l’École des chartes, il suit la formation d’archiviste paléographe. Il est l’un des premiers chercheurs français à fréquenter l’Institut Warburg de l’université de Londres. Historien de l’art spécialiste des estampes, il a été professeur au sein de l’École du Louvre et de l’Université Libre de Bruxelles. Lorsqu’il revient de l’Institut Warburg, il contribue à introduire en France les idées et méthodes d’Erwin Panofsky, de Meyer Schapiro et d’Edgar Wind en tant que références en histoire de l’art.
28Marie Tchernia-Blanchard (2013) met en évidence l’influence des idées d’Aby Warburg en France d’après une analyse de l’usage des concepts de cet auteur dans les travaux de Jean Adhémar et de Jean Seznec, publiés par l’Institut Warburg respectivement en 1937 et en 1940. D’après les témoignages de Sérvulo Esmeraldo et les registres des comptes rendus, le conservateur du Cabinet des estampes a été un important incitateur, orientant nos voyageurs vis-à-vis des musées qui pouvaient être inclus dans le trajet du voyage. Sérvulo Esmeraldo conte que Jean Adhémar a manifesté un intérêt pour les gravures des couvertures des livres de littérature de cordel du Brésil, ainsi que pour la collection de supports originaux de xylogravures du MAUC. En 1955, Jean Adhémar est responsable de l’organisation d’une exposition à la Bibliothèque nationale de France, intitulée « Un siècle de vision nouvelle », qui est considérée comme une référence par les musées qui commençaient à collectionner et exposer des photographies. L’approche de Jean Adhémar se différenciait des choix plus technicistes du conservateur du MoMA, son contemporain, comme nous l’explique Dominique de Font-Réaulx (2010, p. 70), lors de ses recherches au sujet des relations entre la peinture et la photographie :
« Les liens entre les projets, de Beaumont Newhall à New York et d’Adhémar à Paris, apparaissent comme significatifs d’une vision à la fois semblable et fort différente de la photographie. De part et d’autre de l’Atlantique, les deux hommes ont joué un rôle majeur pour la reconnaissance de la photographie au sein des institutions culturelles américaines et françaises. Ils partageaient le postulat d’une exposition rétrospective, compréhensive, vaste ; ils cherchaient l’un et l’autre à souligner la singularité de l’esthétique photographique. Mais leurs regards différaient ; bien que bibliothécaire dans un musée d’art, Newhall s’inscrivait dans une approche techniciste – archétype de la modernité selon Alfred Barr lui-même et donc fortement ancrée au MoMA dans les années 1930. Conservateur dans une bibliothèque, Adhémar raisonnait également en historien de l’art, néanmoins selon une approche esthétique de la photographie forgée à partir de sa connaissance de la peinture, mais aussi de son travail sur la gravure, dans ses méthodes comme dans ses postulats. »
29Dans les archives du MAUC, on peut trouver l’affiche et l’invitation de l’exposition, ainsi que les comptes rendus et les témoignages de Sérvulo Esmeraldo. Ce sont des indices du respect et de l’importance de la participation de Jean Adhémar dans le séjour de ces Brésiliens en France. D’une certaine manière, il est vu par eux comme un directeur de recherche. Sa vision d’historien de l’art et de gestionnaire de collections a été importante dans la construction de ce dialogue, démontrant un réel intérêt pour la gravure brésilienne.
30Pierre Schmitt était conservateur du musée d’Unterlinden, et Charles Fellman, le régisseur de ce musée. Un livre collectif sur les musées d’Alsace, Musées en Alsace, a été publié par les Éditions Publitotal à Strasbourg en 197711, avec des articles des conservateurs et des photographies en noir et blanc du régisseur. Au milieu du XIXème siècle, le couvent des Unterlinden était condamné à être démoli. Depuis 1789, un conseil des autorités révolutionnaires se préoccupait de préserver des monuments et des œuvres d’art de la menace de ce qui était compris comme du vandalisme. Ainsi, dès cette époque furent initiés les travaux de formation d’une collection patrimoniale dans la ville de Colmar.
31À l’époque de la revendication en faveur de la préservation du bâtiment du couvent, Louis Hugot (1805-1864) fonde, en 1846, un cercle d’érudits afin de monter un cabinet d’estampes associé à une école de dessin. Selon Pantxica Béguerie-De Paepe (2009), la création du musée est en lien avec les actions de la société d’érudits, qui prend le nom de Société Schongauer en 1847. Le musée est d’ailleurs géré par cette société qui est responsable pour sa manutention et le représente auprès de la municipalité. Cette société a demandé que le monument soit transformé en musée de sculptures en plâtre, de peintures et d’estampes. En outre, après des découvertes archéologiques faites en 1848, une mosaïque gallo-romaine a été installée dans la chapelle du couvent. En 1852, les pièces de la collection sont transférées au couvent, qui ouvre ses portes au public en 1853. On peut le considérer comme un musée de type encyclopédique par la caractéristique plurielle de ses collections : art ancien, du Moyen Âge à la Renaissance, et une collection d’art moderne.
32Madeleine Orieux, avant d’être bibliothécaire dans la ville de Colmar, avait travaillé au sein de la bibliothèque de la ville de Saumur (en Maine-et-Loire) réalisant le travail de catalogage de la collection Louis Duvau. On peut percevoir que le trajet suivi par Lívio Xavier Júnior et Sérvulo Esmeraldo pour leurs visites est assez centré autour des gravures. On peut aussi en déduire que Lívio Xavier Júnior et Sérvulo Esmeraldo ont suivi les suggestions de Jean Adhémar. En même temps, il existait un intérêt à présenter les gravures des collections du MAUC, d’établir des liens et d’évaluer la possibilité d’organiser une exposition dans quelques-uns de ces musées. Nous devons aussi souligner l’intérêt de Sérvulo Esmeraldo pour visiter ces musées et bibliothèques qui travaillaient avec un objet qu’il affectionnait particulièrement, ayant été graveur au début de sa trajectoire artistique. Donc, le choix de ce trajet est jalonné par de multiples intérêts qui se croisent. Ce qui est un point important, car le financement octroyé par l’Université Fédérale du Ceará était insuffisant pour couvrir toutes les dépenses, ce qui rendait nécessaire de prendre en compte l’investissement personnel dans ces activités.
33À Zurich, avec Walter Amstutz, le directeur de la revue Graphis, ils ont pu connaître les coulisses de la production de cette revue, ce qui représentait un important rapprochement avec les mondes du design qui naissait à partir d’un dialogue avec la gravure sur bois. Avant de voyager en France, Sérvulo Esmeraldo avait travaillé dans les presses universitaires. Tandis que Lívio Xavier Júnior, après son retour au Brésil, va élargir le cercle à ses contacts du milieu du design, à partir de l’amitié qu’il va construire avec Lina Bo Bardi12 (1914-1992). La revue Graphis est fondée en 1944 et est connue pour le style suisse ou style international : propre, avec des espaces en blanc, une disposition asymétrique et l’utilisation de la police de caractères sans serif. Avec son titre venant du grec, elle porte en elle l’idée d’instrument d’écriture. La revue accède à la reconnaissance par la manière dont elle disposait les images, dessins et illustrations de divers artistes. Elle présente aussi des entretiens avec des designers, devenant une référence pour les artistes de différents langages visuels. Son cofondateur et éditeur en chef, Walter Herderg, a réussi à réunir des designers de différents horizons pour créer ensemble et échanger des informations. Cette revue est ainsi considérée comme un effort de promotion de la culture du design graphique au travers de l’échange d’idées.
34Willy Rotzler13 apparaît aussi dans la cartographie de cette expérience. Après avoir visité le siège de la revue Graphis, Lívio Xavier Júnior et Sérvulo Esmeraldo commencent à discuter avec ce personnage, qui à l’époque était conservateur du Kunstgewerbemuseum (musée des arts décoratifs) de Zurich. Willy Rotzler rédigeait des textes sur l’art pour différentes revues, l’une d’entre-elles étant la revue Graphis. Il est né à Bâle en 1917, et a travaillé en tant que conservateur du Musée des arts décoratifs de Zurich entre 1948 et 1961. Ensuite, il a été éditeur de la revue culturelle Du entre 1962 et 1968. Après 1972, il commence une carrière d’écrivain indépendant sur l’art et est professeur invité dans différentes universités. Il a été éditeur et designer de diverses revues et ouvrages de rang dans les mondes de l’art comme : Graphis Annual 1960-1961 et 1967-1968, Drawing a creative process (Kurt Wirth, ABC Verlag, Zurich), Neue Grafik (LMNV, 1958, Verlag Otto Walter) et Graphic Designe International (Igildo G. Biesel, 1977).
35Le 7 septembre 1961, Sérvulo Esmeraldo envoie un rapport de voyage qui décrit en détail la conversation avec l’historien de l’art et conservateur Georg Schmidt. Dans ce texte, Sérvulo Esmeraldo explicite son contentement et emphatise les bénéfices du voyage qui avait comme objectif de connaître certains musées. Au cours de cette pérégrination muséologique, Lívio Xavier Júnior et Sérvulo Esmeraldo ont pu connaître des espaces des parties administratives et techniques, et dans ce rapport, l’objectif est de présenter la conversation qu’ils ont eue avec le conservateur en chef du Kunstmuseum de Bâle. À cette occasion, ils ont eu l’opportunité de dialoguer au sujet de l’organisation interne du musée, des relations avec le public et, principalement, sur l’architecture des musées. Lorsqu’il a pris connaissance que l’Université Fédérale du Ceará prétendait construire le bâtiment du musée, la conversation a pris une autre envergure, et il a offert aux deux voyageurs un cours sur le thème. Il commença ses explications sur le thème de l’éclairage dans les musées :
« Éclairage : le meilleur éclairage est sans aucun doute l’illumination naturelle. Car, en plus d’être la moins chère, elle ne fausse pas les couleurs. Nonobstant, elle doit être utilisée de manière avisée, du fait du danger qu’elle représente pour les peintures, dessins et gravures. Cependant, rien n’est plus aisé que le contrôle de la lumière naturelle. La solution est actuellement très simple grâce à la découverte du « termolux », qui consiste en couches alternées de la sorte : verre/laine de verre/verre. Comme la meilleure lumière est celle qui vient du haut, la meilleure solution, par conséquent, est un toit en verre, comme dans le schéma ci-joint. Il a conclu le thème de l’éclairage en disant qu’il n’y avait aucun sens de penser à un autre type d’illumination dans le Nordeste du Brésil, où le soleil est présent toute l’année. » (Esmeraldo 1961)
Figure 1 – Schéma de Sérvulo Esmeraldo illustrant la technique d’éclairage, 8 septembre 1961. Inscription : « “ TERMOLUZ “ : verre, laine de verre, verre ; intensité réduite + absorption des couleurs pénétrantes + diffusion complète ; toit en forme triangulaire. »
36Il a continué la leçon en parlant de l’humidité de l’air :
« Humidité de l’air : en fonction du faible pourcentage d’eau en suspension dans l’air ambiant, il faudra réaliser une étude. Dans le sens où il faudra peut-être adopter l’utilisation d’humidificateurs d’air. Cela est surtout important pour la conservation des peintures et des pièces en bois coloré.
Dimensions idéales d’une salle : Il considère qu’une salle d’exposition idéale possède les dimensions suivantes : 12m x 15m x 5m (cette dernière mesure étant celle de la hauteur). Disons, une grande salle qui puisse contenir une succession de petites salles. Cela évite les interférences et permet une utilisation plus rationnelle de l’espace. » (Esmeraldo 1961)
Figure 2 – Schéma de Sérvulo Esmeraldo décrivant les panneaux mobiles ou fixes, selon la convenance.
37Sérvulo Esmeraldo (1961) continue son rapport en indiquant ce qu’il avait compris des explications, en incorporant des schémas avec des légendes, donnant les orientations pour un possible projet du bâtiment du musée. Dans la conclusion du rapport, il affirme :
« Le fait que l’éclairage soit d’origine naturelle et venant du haut, implique que les salles d’exposition doivent se situer dans un corps de l’édifice qui soit au rez-de-chaussée, qui pourrait être relié à la partie administrative, l’école, l’auditoire, etc., qui serait un autre édifice de plusieurs étages. Ce plan va devoir être étudié avec le plus grand soin, en ayant à l’esprit les exigences locales. Il est évident que ces données sont présentées de manière superficielle, mais l’architecte pourra en tirer de grandes conclusions. »
Figure 3 – Schéma de Sérvulo Esmeraldo sur les plans et la circulation du premier étage du musée. Perspective : salles d’expositions permanentes.
38L’expérience de voyage s’est transformée en une éducation non formelle sur les musées. Après avoir visité ces institutions, Lívio Xavier Júnior et Sérvulo Esmeraldo en concluent que Georg Schmidt offrait un ensemble plus complexe d’informations et orientait les architectes sur le projet architectural du musée. Est-ce que les architectes qui ont projeté le MAUC ont pris en considération ces informations ? Ont-ils eu accès à ces informations ? En observant les schémas de chacun des différents plans du musée actuellement, nous pouvons percevoir des rapprochements et des distanciations avec ces propositions envoyées sous forme de rapport au président de l’Université Fédérale du Ceará. L’édification du musée est passée par de nombreuses réformes, jusqu’à la dernière en date qui s’est terminée en 1999, ce qui en fait un musée en constante (re)construction.
39Dans une lettre datée du 13 octobre 1961, Lívio Xavier Júnior aborde le thème de l’architecture du musée, car il avait reçu les plans du MAUC élaborés par un architecte nommé simplement Fábio. Les réserves qu’il émet sont extrêmement fortes, en affirmant que bien que le projet soit de bonne qualité, il présente de nombreuses failles qui doivent être prises en compte, comme l’absence d’une bibliothèque et de nombreuses autres salles comme nous l’avons déjà mentionné. Sans oublier que s’agissant du premier musée d’art de la ville de Fortaleza, et que les habitants de Fortaleza n’ont pas l’habitude de visiter des musées, il craignait que le projet en l’état se transforme en une maison fermée, inaccessible au public de l’État du Ceará.
40Georg Schmidt (1896-1965) est un historien de l’art suisse et a été directeur du Kunstmuseum de Bâle de 1939 à 1961. Avant d’occuper cette fonction, il a été bibliothécaire dans la même institution entre 1927 et 1938. Il a organisé une exposition avec des œuvres des artistes du Bauhaus, et écrivait aussi pour le journal Basler Nachrichten en tant que critique d’art. C’est sous sa gestion que le musée a acquis la propriété d’Ernst Ludwig Kirchner. Il a enrichi la section d’art contemporain, conférant au musée un statut d’envergure internationale. Au cours de sa trajectoire en tant que directeur de musée, il a été sensible au thème des arts dits « dégénérés ». Durant la Seconde Guerre mondiale, il a organisé une campagne de levée de fonds auprès des notables de la ville, pour qu’un total de 50000 francs suisses soit investi dans l’achat d’œuvres importantes (Nicholas, 1994), comme ce fut le cas pour des œuvres de l’artiste Oskar Kokoschka :
« Après la prise de pouvoir des Nazis, des œuvres importantes du peintre prirent le chemin de la Suisse. En 1936, la Suédoise Nell Walden, deuxième épouse du compagnon de jeunesse de Kokoschka, Herwarth Walden, mit en dépôt la collection Sturm au Kunstmuseum de Berne, dans laquelle Kokoschka occupait une place majeure avec Chagall. À la faveur de la vente aux enchères des cent vingt-cinq œuvres – dont neuf peintures de Kokoschka – confisquées dans des musées allemands, organisée le 30 juin 1939 au Grand Hôtel National de Lucerne, le marchand d’art suisse Theodor Fischer permit aux Nazis de réaliser d’excellents gains avec ces « conneries » (selon les mots de Goebbels). Encore peu avant la vente de Lucerne, le directeur du Kunstmuseum de Bâle, Georg Schmidt, s’était rendu à Berlin pour sélectionner dans l’entrepôt des œuvres saisies, quelques œuvres précieuses, dont la plus célèbre peinture de Kokoschka, La Fiancée du vent »14.
41Inventer un musée n’est pas la même chose qu’imiter aveuglément, d’où l’intérêt d’apprendre avec les autres. Il fallait prendre en compte les variables du contexte : entre possibilités et limites. La volonté de faire un « musée moderne », technologiquement mais aussi au niveau de sa conception, a été exprimée à de nombreuses reprises. Ont-ils rencontré ce modèle de musée ? Le « musée moderne » apparaît entre les lignes, dans les évaluations des visites des musées, dans la manière dont nos rapporteurs démontrent leur enthousiasme, décrivant à quel point le contact a généré de nouvelles lignes à suivre. En lisant, à contre-poil, les récits livrés dans ces lettres, on note que le musée imaginé ne serait possible qu’à partir de ce que nous appelons aujourd’hui communication partagée, réseaux de sociabilité, où la richesse de ce dénommé « musée moderne » résiderait dans la circulation de connaissances, d’art et de patrimoines, dans une situation liminaire, aux frontières.
42Cette idée de musée moderne plus ouvert au dialogue et au partage est explicite dans la première visite faite lors de ce circuit, lorsque nos deux voyageurs n’ont pas été reçus par le conservateur du musée d’Épinal, provoquant une gêne, un malaise et une grande frustration pour eux, qui avaient nourri de grandes attentes en vue de cette visite. Cela a influencé l’évaluation qu’ils firent du musée, critiquant les collections exposées, affirmant que le désintérêt pour les gravures du MAUC révélait que l’adjectif « international » ne devrait pas être attribué à ce musée. Nous nous référons, ici, à un désir de rupture de hiérarchie dans les relations entre les musées. Les imaginateurs du MAUC caressaient le rêve de rendre possible de monter des expositions qui puissent présenter des pièces artistiques comme celles vues dans les musées européens, et que les pièces de la collection des gravures en bois qu’ils amenaient dans leurs bagages puissent aussi être présentées dans ces musées qu’ils ont visités.
43Avant de retourner à Fortaleza par manque de financement et aussi du fait de son engagement pour assumer le poste de directeur du MAUC, Lívio Xavier Júnior prétendait effectuer un stage de 10 jours au sein du Centre de documentation de l’UNESCO. Ensuite, il avait prévu de réaliser deux activités pratiques de montage d’expositions, une auprès de Georges Henri Rivière, qui à l’époque était directeur du Musée national des Arts et Traditions populaires de France, et l’autre au sein du Kunstmuseum de Bâle. Le séjour d’une année en Europe aura été une expérience d’apprentissage informel, car il n’a pas pu revenir avec un diplôme de l’École du Louvre, par exemple. Ce fut une formation en muséologie construite de manière nomade, en dialogue avec les travailleurs des institutions, observant chaque département durant les visites techniques.
44On observe que durant cette année, Lívio Xavier Júnior cite Georges Henri Rivière plus d’une fois dans ses lettres, mais nous ne pouvons préciser toutefois quelle a été exactement la portée de ce contact. Par exemple, nous ne pouvons pas savoir quelles ont été les influences et les appropriations de la part de notre apprenti vis-à-vis des enseignements de ce professeur, une référence de l’histoire de la muséologie. Nous savons seulement que Lívio Xavier Júnior s’était inscrit dans le cours d’arts et traditions populaires de l’École du Louvre.
45Nous avons proposé de revisiter ce parcours dans la perspective d’apprendre dans le présent avec ces acteurs qui, au milieu du XXe siècle, faisaient des suggestions, supervisaient, proposaient des stages et organisaient un atelier mobile d’éducation non formelle. Nous avons établi une compréhension de la dimension formatrice des visites techniques dans le processus d’apprentissage de ces professionnels des musées, au travers des récits que nous ont laissés ces deux personnages qui ont circulé dans quelques musées européens. Circuler par des villes de différents pays amplifiait le champ des possibilités et introduisait une diversité méthodologique et théorique du fait des différences entre les institutions et les processus muséologiques.
46Georges Henri Rivière était président de l’ICOM15 et directeur du Musée national des Arts et Traditions populaires16 en 1961. D’après Nina Gorgus (1999), il était connu comme le magicien des vitrines, pour son dévouement aux musées, mais principalement pour la méthode qu’il appliquait dans les expositions et pour la conception du musée-laboratoire. Cette auteure affirme aussi que sa participation à la revue Documents, aux côtés de Georges Bataille17 (1897-1962), a été fondamentale dans son rapprochement avec l’ethnographie. Georges Henri Rivière a joué un important rôle au sein de l’ICOM, négociant avec les différentes forces présentes dans cette institution, préservant les relations politiques avec les pays de l’Europe de l’Est, notamment avec la République démocratique allemande. Selon Lorente (2012, p. 43-44), Georges Henri Rivière a toujours bénéficié d’un grand respect sur la scène muséologique, même après avoir quitté la fonction de directeur de l’ICOM. Son prestige découle aussi de son intérêt pour le développement du concept de musée, s’attelant longtemps à l’élaboration de définitions. Parmi ses chevaux de bataille, nous mettons en avant l’éducation dans les musées et la formation des professionnels des musées. Selon Lorente (2012, p. 44) :
« Un autre sujet auquel il a toujours prêté attention a été l’éducation dans le musée, ainsi que celui de la formation des professionnels de musées. Il a lui-même organisé de nombreux séminaires dans différents pays et a promu en 1953 un comité international au sein de l’ICOM qui prenait en charge les personnels [des musées], et qui en 1967 va être refondu en tant qu’International Committee for the Training of Personnel (ICTOP). Peu de temps après, ce comité va commencer à publier la revue Training of Museum Personnel, tandis que le comité sur l’éducation dans les musées publiait depuis 1969 son propre bulletin annuel. Une de ses premières activités a été d’organiser en 1970 l’ouvrage La formation du personnel des musées, dans lequel se trouve l’article d’Anita Sabourin, « Répertoire des cours de muséologie dans le monde », dans lequel l’ICOM fait connaître 76 programmes d’études sur les musées à travers le monde. »18
47Cependant, Lívio Xavier Júnior n’a pas pu prolonger son séjour, tout comme il n’a pas effectué son stage auprès de Georges Henri Rivière. Ce dernier a démontré tout au long de sa carrière un fort attachement à la formation des professionnels des musées. Notre apprenti a eu l’occasion d’échanger avec un acteur intéressé par l’amélioration des musées à partir de la formation des personnels des musées. Peut-être que d’autres personnages, comme Lívio Xavier Júnior, ont aussi recherché Georges Henri Rivière afin de construire des opportunités d’apprentissage en France, en quête de méthodes pour la construction de musées. Et, c’est peut-être le motif pour lequel ouvrir les chemins du thème de la formation professionnelle au sein de l’ICOM lui a été si cher. Lívio Xavier Júnior est revenu au Brésil avec beaucoup de volonté ; il est revenu pour être directeur du MAUC. Avant cela, il avait déjà travaillé comme formateur de collections, en recherchant durant plusieurs années des œuvres d’art en vue de former les collections du MAUC.
Conclusion : est-ce que l’idée de musée moderne est présente dans l’histoire du MAUC ? Un musée moderne ou antimoderne ?
48Le musée moderne que recherchaient nos voyageurs n’a jamais été véritablement trouvé. Il est donc impossible de le définir ou de l’expliciter. Il ne nous reste que la description de la manière dont on peut appréhender le modèle de musée créé dans les processus de formation du MAUC/UFC. Le MAUC est un musée public créé à partir d’un modèle qui ne fait pas partie des quatre modèles identifiés par Krzysztof Pomian (1987, p. 296-303) : le traditionnel, le révolutionnaire, l’évergétique et le commercial. Le modèle de création du MAUC est collaboratif, avec la participation d’artistes dans toute la chaine de la patrimonialisation. Il a aussi reçu des contributions de professeurs de l’université et du propre public. Son processus de création marqué par l’engagement de différentes imaginations muséales19 a produit autour du musée différents récits à propos de son rôle dans les mondes de l’art à l’échelle locale, nationale et internationale. Nous avons découvert un musée pluriel, avec un programme qui a été soutenu par les différents travailleurs et collaborateurs au long de ses cinquante années d’existence.
49Ce programme, organisé autour de l’idée d’un musée moderne et qui pense l’axe de la gestion muséale, a été esquissé durant ce séjour de Sérvulo Esmeraldo et de Lívio Xavier Júnior en Europe. Il n’est cependant pas suffisant pour définir le MAUC/UFC. Il n’est qu’une partie d’un processus complexe de recherche en vue de sa création. Les collaborateurs et travailleurs cités au long de l’article nous permettent de restituer les histoires d’acteurs communs qui ont opéré dans la chaîne du patrimoine. La plupart d’entre eux sont peu connus de l’histoire de la muséologie, mais ils ont été fondamentaux dans l’élaboration du parcours du MAUC. On a pu éclairer les routines, lieux et pratiques de quelques-uns. Jean Adhémar mérite une place d’honneur dans la construction de dialogues et de passerelles entre nos acteurs et les institutions répertoriées dans ce texte ; en outre de sa volonté de discuter à propos des collections du MAUC qui étaient en cours d’élaboration, apportant sa contribution de manière extrêmement collaborative dans la réalisation d’une recherche curatoriale en vue de l’acquisition de la collection d’art étranger du futur musée.
50Le musée moderne est un musée possédant un programme de gestion qui planifie ses actions dans la durée. Nous pouvons identifier cela dans la structure de ce musée : salles d’expositions, bibliothèque, auditorium, atelier, une réserve pour les œuvres d’art et un site internet, par exemple. Le site internet est un exemple fort, par le fait qu’il est un portrait du programme du musée. À partir de ce dernier, on peut entrer en contact avec l’histoire du musée, de ses expositions et aussi de la présence des visiteurs, ainsi qu’accompagner les événements, les actions d’éducation muséale et autres activités qui y sont proposées. En outre, c’est un musée qui possède une structure professionnelle complète : muséologues, bibliothécaire, restaurateurs, etc. Le MAUC se situe dans le contexte de modernisation des musées proposée par le Conseil International des Musées (ICOM) pour le XXe siècle. Selon Kott (2008) la France a eu un rôle de standardisation du modèle de musée moderne, qui n’est plus reconnu en tant que simple dépôt d’œuvres d’art, mais aussi comme un lieu de communication, et plus particulièrement comme un lieu d’éducation.
51Si le modèle moderne de musée est ancré dans la raison patrimoniale (Poulot, 1997), où les savoirs professionnalisés articulent les tâches de l’organisation patrimoniale de l’État-nation, notamment en définissant tous les critères de patrimonialisation/muséalisation des collections dans des musées, le tout à l’écart des arènes publiques ; le modèle collaboratif est lui antimoderne. Ainsi, la référence pour expliquer le modèle de collaboration est plutôt à rechercher du côté de Paulo Freire, que les différentes muséologies insurgées ont si bien pris en compte, y compris la muséologie sociale. Pour concevoir un travail collectif d’une telle ampleur, il est nécessaire de connaître les cercles de culture20 et d’avoir conscience de l’importance d’un groupe de chercheurs-coopérateurs, où tous apprennent en communion. Pour approfondir ses connaissances sur les processus de collaboration, il est nécessaire d’étudier, par exemple, le « Théâtre expérimental du Noir » d’Abdias do Nascimento et de se familiariser avec le « Théâtre de l’opprimé » d’Augusto Boal. Ces références sont fondamentales pour penser une muséologie contemporaine où l’État-nation ne serait pas le seul à organiser la chaîne patrimoniale et les processus de muséalisation, pérennisant les pratiques de la colonialité.
52Ainsi, le modèle de musée collaboratif est démocratique et participatif ; un lieu d’échanges, de dialogues, de partage, et aussi, une arène politique où les conflits et les disputes, de manière intermittente, font que le programme du musée bascule de temps en temps.
53Les pratiques de la colonialité de l’être, du savoir et du pouvoir (Mignolo, 2005) renforcent l’idée que nous prenions comme référence un modèle de musée moderne préétabli, en développant une explication unifiée et identifiée dans les pratiques des travailleurs et des collaborateurs du MAUC/UFC. Toutefois, on peut noter que la notion de musée moderne était diffuse et variait en fonction des différentes pratiques signalées par ses interprètes. Nos deux protagonistes brésiliens ont compris que le musée devait être une institution dotée d’un programme muséologique, avec des salles d’exposition, une réserve technique, une bibliothèque et un auditorium, dont les éléments ont même été schématisés. Cependant, la vie sociale dans la ville de Fortaleza, les échanges entre les artistes et les travailleurs du musée ont abouti à la construction d’un autre modèle de formation de musée public, comme nous pouvons le constater dans l’analyse de l’artiste Descartes Gadelha.
54Dans un entretien21, Descartes Gadelha parle de sa familiarité avec Zenon Barreto, artiste qui a travaillé au MAUC durant les premières années du musée et qui a réalisé un panneau de mosaïque intitulée Jangadas22, qui orne la façade du musée. Lorsque Gadelha était plus jeune, il fréquentait déjà le musée, et dans cet entretien, il décrit le contexte du début de sa relation avec Zenon Barreto de la façon suivante :
« C’est-à-dire, le professeur Martins Filho invitait quelques artistes afin de consolider son idée d’inaugurer le musée de l’université, en vue de fonder le musée de l'Université fédérale. Et, il rameutait les collègues : « Venez par ici, on va faire avancer ça, et tout le reste. » Nous y sommes allés et on a discuté. Et, ces rencontres sont presque devenues une sorte de séminaire d’informations culturelles, d’informations artistiques, car une des grandes passions du professeur Martins Filho était justement la fondation, l'inauguration, le montage de ce musée. Ces artistes étaient là exactement pour cette finalité : rassembler des pièces et tracer les grandes lignes de la manière de faire aboutir cette idée de musée. Je n’étais encore qu’un adolescent à l’époque » (Estrigas 2012, p. 182).
55C’est au MAUC que Decartes Gadelha a connu son premier professeur de dessin, l’artiste Zenon. Ce dernier donnait des cours d'art pour les jeunes au sein du conservatoire de musique de l’Université fédérale du Ceará. Par ce témoignage, nous pouvons penser le MAUC comme un espace de rencontres, étant donné que les artistes étaient conviés pour donner vie au lieu, proposer des idées et dialoguer. De cette expérience ont surgi des apprentissages. Ici, nous considérons la place de la participation à l’intersection du musée et des mondes de l’art. Pour Howard Becker, un monde de l’art naît à partir de l’engagement d’acteurs participants à la chaîne de coopération du travail artistique (Becker, 2010) ; le musée fait partie de cette chaîne. Il peut y avoir des travaux artistiques, comme avec le Land Art, qui dispensent la participation des employés de musées de cette chaîne de coopération. Jusqu’aux années 1960, dans la ville de Fortaleza, on ne s’appuyait pas sur les employés de musées. Dans cette chaîne de coopération, il y avait principalement des artistes et des écrivains. Et les artistes s’appuyaient sur d’éventuels collaborateurs, externes à la ville de Fortaleza, grâce aux bourses ou Prix de voyage. Les artistes mobilisaient les musées, et les musées mobilisaient les artistes, afin de maintenir leurs espaces de participation dans les mondes de l’art. Par conséquent, un modèle collaboratif de création d’un musée public a été mis en place sur la base de la pratique d’une organisation particulière d’une expérience muséologique collective en articulation avec des discussions d’ordre géopolitique.
Bibliographie
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Notes
1 Texte traduit du portugais (Brésil) par Julien Zeppetella.
2 À propos de la nouvelle définition du musée, on peut mettre en exergue l’article de Michèle Rivet, dans l’ouvrage Définir le musée du XXIe siècle publié par l’ICOFOM, qui fait directement référence aux termes de participation et de gestion démocratique dans le cadre d’un débat élargi et contemporain sur la définition des institutions muséales (Rivet, 2017, p. 56). Dans ce même article, le terme collaboration est signalé dans une traduction de l’UNESCO d’un document de l’Institut brésilien des musées (op. cit. p. 93).
3 Pour une analyse plus complète, voir Ruoso 2016.
4 On pourrait préciser la signification du Nordeste, en tant qu’invention, et la position du Ceará dans cette macro-région du Brésil, mais cela dépasse le propos de cet article. J’invite les lecteurs intéressés par ce thème à lire le chapitre « Les temps d’exils » de ma thèse de doctorat (Ruoso 2016).
5 NdT : Le Corupira ou Curupira (ou encore Currupira) est une entité mythologique brésilienne. C’est un gnome aux cheveux roux avec les pieds à l’envers (son apparence peut subir des variations selon la région), doté d’une grande force physique, qui protège la forêt.
6 Lettre de Lívio Xavier Júnior adressée au président de l’Université Antônio Martins Filho, datée du 5 juin 1961 à Madrid. Archives du MAUC.
7 Extrait de la lettre de Lívio Xavier Júnior datée du 25 janvier 1961. Archives du MAUC.
8 Guery Gérald, 2010 [2002] : Histoire du Musée départemental d’art ancien et contemporain à Épinal. Disponible sur http://www4.ac-nancy-metz.fr/musee88/Histoire_du_Musee_departemental.pdf (consulté le 28 mai 2014). Texte de Gérald Guéry, publié dans l’ouvrage collectif 50 années d’Acquisitions et de Restaurations, publié en 2002 par l’Association des amis du musée départemental d’art ancien et contemporain et du musée de l’Image à Épinal. Selon le propre auteur sur la page internet qui héberge le texte, il a été légèrement modifié en février 2010.
9 Musée de l’Image [en ligne], disponible sur http://www.museedelimage.fr/joomla/index.php/fr/le-musee-de-l-image/un-lieu-des-idees/le-musee-de-l-image (consulté le 28 mai 2014).
10 D’après le témoignage de Sérvulo Esmeraldo sur sa propre trajectoire, retranscrit dans le catalogue de la Pinacothèque de São Paulo dédié à cet artiste, organisé par Aracy Amaral (2011).
11 Favière Jean, 1977. Ouvrage comportant une Préface d’Emmanuel de Margerie, directeur des musées de France. Nombreux dessins, gravures, plans, photographies noir et blanc et couleurs. Les photographies en noir et blanc illustrant le Musée Unterlinden à Colmar sont de Charles Fellmann, régisseur du musée. Les autres sont de Dominique Martinez.
12 NdT : célèbre architecte italo-brésilienne, instigatrice d’un dialogue entre le moderne et la culture populaire. Parmi ses réalisations, on peut citer le Musée d’art de São Paulo – Assis Chateaubriand (MASP) et le SESC Pompeia (centre culturel du quartier Pompeia à São Paulo). Elle a aussi été l’idéalisatrice et la première directrice du Musée d’art moderne de Bahia (MAM-BA).
13 Les informations sur Willy Rotzler sont issues de Designer Books [en ligne], disponible sur http://www.designers-books.com/willy-rotzler/ (consulté le 30 mai 2014).
14 Oskar Kokoschka [en ligne], disponible sur https://www.oskar-kokoschka.ch/kokoschka-et-la-suisse.html (consulté le 9 mars 2014).
15 Il a joué un rôle important dans la fondation de l’ICOM et a été le premier directeur de cette institution de 1948 à 1965.
16 Musée qu’il a fondé en 1937.
17 Ce dernier a travaillé de nombreuses années comme archiviste au sein du Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale de France.
18 Traduit de l’espagnol par l’auteur.
19 Pour le lecteur qui s’intéresse au concept d’imagination muséale, il peut consulter Chagas (2003). En ce qui concerne la présence d’une pluralité d’imaginations muséales dans le processus de formation du MAUC/UFC, nous suggérons la lecture du chapitre 3 de notre thèse, « Les temps d’imagination : tradition, contradiction, négociations et résistance » (Ruoso 2016).
20 NdT : Les cercles de culture sont une méthode créée par le pédagogue brésilien Paulo Freire (1921-1997) visant à la pratique d’une pédagogie démocratique. Ce sont des espaces qui visent à une nouvelle forme de construction des connaissances, réalisée de manière collective au travers des expériences vécues de ceux qui y participent.
21 Cet entretien a été concédé le 28 janvier 2012 à Estrigas, spécifiquement pour un projet de publication sur l’artiste Zenon Barreto (Estrigas 2012, p. 181-198). Bibliothèque et archives du Minimuseu Firmeza.
22 Embarcation typique des pêcheurs traditionnels du littoral du Nordeste, à mi-chemin entre le radeau et le petit voilier.