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Minéralogie d’une couche de minerai de fer sédimentaire anciennement exploitée à Grupont, Province de Luxembourg, Belgique
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À Grupont (Commune de Tellin, Province de Luxembourg, Belgique), une couche de minerai de fer sédimentaire du Dévonien inférieur à moyen (Emsien/Eifelien) renferme localement des quantités importantes de sidérite riche en manganèse qui, en se transformant en goethite et hématite, a également produit des espèces comme la lépidocrocite et la ranciéite. Cette dernière espèce est nouvelle pour la Belgique et elle ne semble abondante que dans les environnements riches en sidérite altérée. Le minerai de Grupont, pouvant renfermer jusqu’à 50 % en poids de fer, est parfois erronément qualifié d’hématite oolithique, or la proportion d’hématite n’est que d’un quart contre trois quarts pour la goethite. De plus, les oolithes sont rares et ne sont observées que dans certaines parties des blocs de sidérite et jamais dans le minerai à proprement parler.
Abstract
Mineralogy of a sedimentary iron ore layer formerly mined at Grupont, Province of Luxembourg, Belgium. In the Grupont area (municipality of Tellin, Province of Luxembourg, Belgium), a layer of sedimentary iron ore of Lower to Middle Devonian age (Emsian/Eifelian), has been mineralogically investigated. This layer locally contains important volume of Mn-bearing siderite that is altered into goethite, hematite and in a lesser extend into lepidocrocite and rancieite. This work reports for the first time the occurrence of rancieite in Belgium, where it seems to be restricted to geological environments with altered siderite.
The Grupont ore contains up to 50 % of iron in weight, and is sometimes erroneously considered as oolithic hematite. Goethite is actually constituting three quarters of the ore, while hematite is only accounting for one quarter. Moreover, oolites are rare and only observed in some parts of the siderite blocks and never directly in the iron ore.
Table des matières
Manuscrit reçu le 10 juin 2024 et accepté le 3 septembre 2024.
Article publié selon les termes et les conditions de la licence Creative Commons CC-BY 4.0.
1. Introduction
1Grupont est un village de la commune de Tellin situé dans la province de Luxembourg, en Belgique (Figure 1).
Figure 1 : Localisation de Grupont
2Le fer dont il est question dans cet article est principalement concentré dans des couches sédimentaires du Dévonien inférieur à moyen. Les recherches pour ce minerai ont été réalisées avant l’ère industrielle, il y a plusieurs siècles, et effectuées le plus souvent à l’affleurement des couches. L’imagerie LiDAR permet de localiser de nombreux travaux sans doute assez superficiels qui jalonnent toute cette bande de minerai de fer sédimentaire (Figure 2).
Figure 2 : Localisation de la galerie de Grupont dans la couche d’hématite oolithique du Dévonien inférieur, des ruines du haut-fourneau et de l’indice plombifère de Bure.
3Afin de caractériser au mieux la minéralogie de ce minerai, nous avons prélevé des échantillons dans les petites haldes se trouvant à proximité d’une galerie située à la sortie du village de Grupont (côté gauche de la route vers Saint-Hubert) au pied de la colline du « Thier-Al-hèt » [parfois orthographié « Al-Hé »] (Figure 2).
4Cette galerie, aujourd’hui fermée par une porte métallique (Figure 3B), est décrite par Caubergs (1991) comme un simple « travers-banc » de 35 mètres de long creusé vers l’Est/Nord-Est. Cet auteur laisse à penser qu’il s’agit d’une ancienne recherche pour le plomb, lequel a été activement recherché au 19e siècle en de nombreux endroits de la commune. Nous avons d’ailleurs retrouvé, à seulement un kilomètre environ de cette galerie, le long de la Lomme à Bure (Figure 2), des anciennes recherches du 19e siècle (Blondieau, 2011). Van de Roy (1981) signale aussi la présence de galène dans le village même de Grupont, non loin de l’église. Une concession minière visant à exploiter le plomb a également été octroyée en 1841 à Tellin où sont signalés plus de sept filons minéralisés. Toutefois, la galène n’y a été trouvée qu’en rognons disséminés et le tonnage produit n’a été que de quelques dizaines de tonnes seulement (Van de Roy, 1984).
Figure 3 : Galerie du « Thier-Al-hèt » à Grupont. A : vue générale ; B : vue de l'accès sécurisé dans l’abri sous-roche. Photos : M. Blondieau (novembre 2020).
5Concernant la galerie du « Thier-Al-hèt », nous n’avons retrouvé aucun document historique mais, étant donné qu’elle a été tracée dans une couche de minerai de fer, d’ailleurs observée en place à l’entrée de cette galerie, nous pensons qu’il s’agit bien d’une ancienne mine de fer et non de plomb. Il ne s’agit pas non plus d’une galerie en « travers-banc » comme indiqué par Caubergs (1991), mais bien d’une galerie qui a chassé la veine de minerai. Cette exploitation est certainement très ancienne et remonte à l’époque où des fourneaux fondaient les minerais de fer locaux, c’est-à-dire au 17e ou au 18e siècle. Un haut-fourneau a d’ailleurs été établi en 1641 le long de la Lomme à Grupont (Weber, 1991). Il devait très certainement utiliser les minerais de cette couche de fer sédimentaire. À l’emplacement de ce fourneau, il ne reste plus aujourd’hui qu’un tas de scories (Figure 2).
2. Contexte géologique et caractéristiques des couches de minerai de fer
6Grupont se trouve sur la bordure sud du synclinorium de Dinant où affleurent des roches sédimentaires du Dévonien inférieur à moyen. Blockmans & Dumoulin (2006) indiquent que les roches près de la petite galerie où nous avons échantillonné appartiennent aux Formations de Hierges et de Saint-Joseph/Eau Noire. Ces dernières sont composées à l’affleurement de bancs en plaquettes de grès et de siltites gris verts comprenant des niveaux de lumachelles décarbonatées à crinoïdes ocre-rouille et, à la base, des bancs rouille de calcaire décarbonaté.
7D’un point-de-vue stratigraphique, la Formation de Hierges est regroupée dans la région avec celle d’Hampteau, et les deux appartiennent à l’Emsien. La Formation de Saint-Joseph, regroupée avec celle de l’Eau Noire, est d’âge emsien également. Par contre, la Formation de l’Eau Noire comporte une partie inférieure rattachée à l’Emsien supérieur, alors que sa partie supérieure correspond à l’Eifelien. Cette dernière formation est donc à cheval entre le Dévonien inférieur (Emsien) et le Dévonien moyen (Eifelien) (Blockmans et al., 2019).
8Clément (1849) est le premier auteur à décrire ces couches de minerai de fer et voici ce qu’il écrit : « […] Plusieurs couches ferrifères parallèles et séparées par des roches stériles composent cette première série d’amas. C’est à proximité de Grupont qu’il [le gisement] semble être le plus complet. Coupé transversalement en ce point, il présenterait sur un espace de 200 à 300 mètres, une douzaine au moins, de petites couches épaisses de 10 à 23 cm, composées d’un minerai schisto-terreux inexploitable ; et en outre, deux autres couches épaisses de 23 et de 45 cm, qui ont été exploitées à différentes reprises. ».
9Il fournit une analyse chimique de ce minerai :
-
8 à 17 % d’eau
-
7 à 13 % d’alumine
-
24 à 48 % de silice
-
33 à 45 % d’oxyde ferrique
-
Et quelquefois des traces de pyrite et d’oxyde de manganèse
10Denayer et al. (2011, pp. 33–34), par référence à Delmer (1913, pp. 327–328), indiquent : « Les lits de minerai de fer sont intercalés dans des niveaux presque exclusivement composés de sidérite et de chlorite. Localement, le minerai est silicifié ou très carbonaté et titre jusqu’à 35 à 42 % de fer. »
11Ces couches de minerai de fer sont finalement décrites par Denayer et al. (2011) : « … La couche d’oligiste oolithique du Couvinien [= Emsien/Eifelien] affleure au bord sud du Synclinorium de Dinant de Wignehies (en France) à Couvin, puis de Wellin à Champlon-Famenne. Elle est traditionnellement associée au sommet de la formation de Hierges (anciennement assise de Bure) mais les niveaux d’hématite oolithique s’étendent dans la formation de Saint-Joseph sus-jacente, autant que dans la partie médiane de la formation de Hierges (c’est-à-dire au sommet de l’Emsien et à la base de l’Eifelien. »
3. Descriptions des minerais
12Les haldes échantillonnées sont assez stériles excepté sur la plate-forme en face de la galerie. Du minerai en place est également observable au toit de la galerie ; ce sont des blocs bruns assez denses.
13Les échantillons ont été analysés par diffraction des rayons X sur un diffractomètre de poudres BRUKER D8 ECO utilisant la radiation CuKα (λ = 1,5418 Å). Le goniomètre du diffractomètre balaye un angle 2Θ compris entre 2 et 70° avec un pas de 0,02° et un temps de comptage par pas de 1 seconde. La radiation est filtrée grâce à un filtre Ni, afin de limiter la contribution de la raie Kβ. Les diffractogrammes de poudres ont été interprétés à l’aide du programme EVA permettant d’identifier les différentes phases présentes par comparaison avec la base de données ICDD, version PDF-2. Les diffractogrammes ont ensuite été analysés grâce au programme TOPAS 4.2 afin de quantifier les proportions des phases présentes. Ce programme utilise la méthode de Rietveld pour modéliser les diffractogrammes des phases présentes, et en estimer les proportions. Les erreurs sur les quantifications sont de ±5 %.
14Les compositions chimiques des minerais ont également été déterminées à l’aide d’un spectromètre à fluorescence X portable Thermo Fisher Niton XL3T-980 GOLDD+. Cet appareil possède un tube à rayon X Niton XL3T muni d’une anode en or pouvant émettre un faisceau de 3 mm de diamètre. Le courant d’anode possède une différence de potentiel comprise entre 9 à 50 kV, pour une intensité de 0 à 40 μA. Les rayons X réémis sont récoltés par un détecteur de type GOLDD (Geometrically Optimized Large Area Drift Detector) d’une résolution de <185 eV à 60000 cps pour un temps de mise en forme de 4 μs. Cet appareil est particulièrement adapté pour détecter les éléments en trace.
15Nous avons également réalisé de nombreuses sections polies dans les différents blocs de minerai collectés sur les haldes : d’une part les blocs avec sidérite majoritaire et d’autre part ceux avec goethite et hématite majoritaires. Ces sections polies ont ensuite été observées avec un microscope polarisant en lumière réfléchie.
3.1. Les blocs riches en sidérite
16La plupart des blocs collectés sur les haldes sont constitués de sidérite. Ils proviennent très certainement d’un des lits de sidérite encaissant les couches de fer (Delmer, 1913). Ne convenant pas, à l’époque, comme minerai de fer, ils ont été rejetés sur les haldes. Ces blocs couverts d’une patine noire sont relativement durs. Sur cassure fraîche, ils présentent des teintes variant du jaune orangé au brun rouge.
17L’observation macroscopique de ces échantillons montre la présence de nombreuses petites cavités avec des empreintes de fossiles, principalement des articles d’encrine dans lesquelles des cristaux d’une seconde génération de sidérite orange se sont développés. Localement, la pyrite et la chalcopyrite peuvent y être abondantes. Les veinules de goethite et hématite sont peu nombreuses dans ces blocs de sidérite.
18L’observation des sections polies montre la présence, à certains endroits, de nombreux petits nodules constitués de sidérite qui, en lumière simplement polarisée, montre une biréflectance bien nette dans différents tons de gris (Figures 4A et 4B) ainsi que des bioclastes (Figure 4D) également associés à de la sidérite.
Figure 4 : Observation de sections polies en lumière réfléchie d’échantillons riches en sidérite de Grupont. A et B : nodules de sidérite (section polie GRU-1 ; largeurs des deux photos : 0,6 mm). Les parties blanches sont des grains de pyrite et les parties dans les différents tons de gris sont de la sidérite. C : nodule à structure oolithique avec pyrite majoritaire et sidérite centrale (section polie GRU-1 ; largeur de la photo : 2,4 mm). D : bioclaste de corail fossile remplacé et cimenté par de la sidérite (section polie GRU-3 ; largeur de la photo : 1,2 mm).
19Plus rarement, certains nodules montrent une structure oolithique avec de la sidérite, parfois aussi de la pyrite (Figure 4C) ou de la goethite et de l’hématite (Figures 5 et 6). Ces nodules contiennent un corpuscule central de sidérite (Figure 6) entouré de couches formées de goethite et d’hématite. En lumière polarisée analysée (Figure 6C), la sidérite, montrant des réflexions internes brunâtres, se distingue particulièrement bien de la goethite et de l’hématite qui présentent, quant à elles, des teintes d’anisotropie plus bleutées parfois cachées par des réflexions internes rougeâtres (Figure 6C et 7C).
20Les nodules minéralisés en goethite et hématite ne présentent cependant pas tous une structure oolithique (Figure 7).
Figure 5 : Observation d’un échantillon de sidérite de Grupont en lumière réfléchie (section polie GRU-3 ; largeur de la photo : 1,2 mm). On remarque la présence de nombreux nodules de sidérite parfois avec pyrite (taches blanches), et aussi un nodule minéralisé en goethite à structure oolithique (au centre).
Figure 6 : Échantillon de sidérite de Grupont en lumière réfléchie (section polie GRU-4). Le centre du nodule est composé de sidérite entourée par une enveloppe de goethite et hématite. A : largeur de la photo : 0,6 mm ; B et C : largeurs des photos : 0,3 mm. Le nodule est observé en lumière simplement polarisée (A et B) et en lumière polarisée analysée (C).
Figure 7 : Échantillon de sidérite de Grupont observé en lumière réfléchie (section polie GRU-1). A : largeur de la photo : 0,6 mm ; B et C : grande longueur du nodule : 0,2 mm. Ce nodule minéralisé en goethite et hématite ne montre pas de structure oolithique. Observations en lumière naturelle (A et B) et en lumière analysée (C).
3.2. Les blocs de minerai de fer
21Les échantillons riches en goethite et en hématite qui ne contiennent pas (ou peu) de sidérite et peu de pyrite sont plus rares sur les haldes. Ils constituaient le minerai recherché anciennement par les mineurs. Ces blocs d’un brun très foncé à noir sont souvent associés à des oxydes de manganèse (pyrolusite, ranciéite) et de la lépidocrocite. Ils sont généralement très poreux et caverneux et leur polissage est difficile.
22Pour un fragment de l’échantillon ayant servi à confectionner la section polie GRU-12 (Figures 8C et 8D), les analyses indiquent que ce minerai brun-noir contient 19 % en poids d’hématite et 57 % en poids de goethite. Cette proportion de l’ordre d’une part d’hématite pour trois de goethite s’est vérifiée dans les autres analyses réalisées sur ce minerai de Grupont. À partir de ces proportions minéralogiques, on détermine une teneur en fer proche de 50 % pour cet échantillon. Des mesures effectuées sur d’autres échantillons (choisis) fournissent des valeurs entre 40 et 50 % de fer, ce qui est assez comparable aux 35 à 42 % signalés pour le minerai tout-venant dans la littérature (Delmer, 1913).
Figure 8 : Observation de sections polies en lumière réfléchie d’échantillons de Grupont constitués de goethite et d’hématite. A : section polie GRU-1 (largeur de la photo : 0,6 mm) ; B : section polie GRU-2 (largeur de la photo : 0,6 mm) ; C et D : section polie GRU-12 (largeurs des photos : 0,3 mm) en lumière simplement polarisée (C) et en lumière polarisée analysée (D). Le quartz et la sidérite (minoritaires) apparaissent vitreux.
23La composition chimique d’un échantillon de minerai obtenue par spectrométrie de fluorescence X montre une présence significative de manganèse, de l’ordre de 5 %. En moyenne, la teneur des éléments en traces mesurés dans cet échantillon est par ordre décroissant : Ni (860 ppm), Zn (570 ppm), Cu (450 ppm), Ba (170 ppm), Zr (220 ppm) et As (90 ppm).
24Le plomb est en-dessous du seuil de détection de l’appareil. Cela confirme bien qu’il ne s’agit pas d’une mine de plomb comme l’avaient signalé certains auteurs.
25Les sections polies réalisées dans ces minerais ne montrent pas de nodules oolithiques comme ceux (rarement) observés dans les blocs riches en sidérite (Figures 5, 6 et 7) mais des associations curieuses de goethite et d’hématite (Figures 8A et 8B). En lumière simplement polarisée, l’hématite présente un pouvoir réflecteur supérieur à celui de la goethite, lui conférant un aspect plus brillant. C’est ce que l’on observe particulièrement bien à la Figure 8C où l’hématite, d’aspect plus métallique, se distingue de la goethite. En lumière polarisée analysée, l’hématite montre des teintes d’anisotropie verdâtres bien visibles alors que la goethite présente des teintes plus bleutées caractéristiques (Figure 8D). L’hématite forme des petites plages intimement associées à la goethite.
4. Descriptions minéralogiques
26Les échantillons ont été examinés sous la loupe binoculaire et l’identité des espèces a été confirmée par diffraction des rayons X, comme pour les minerais, avec un diffractomètre de poudres BRUKER D8 ECO. Lorsque les quantités de matière étaient très faibles, un diffractomètre à quatre cercles Rigaku Xcalibur, équipé d’un détecteur EOS et utilisant la radiation MoKα (λ = 0,7107 Å), a été employé en mode « Debye–Scherrer ».
27Les paramètres de maille de quelques espèces ont été calculés grâce au programme d’affinement par moindres carrés LCLSQ version 8.4 (Burnham, 1991).
28Les minéraux sont décrits par ordre alphabétique, et leurs formules chimiques idéales sont tirées de la liste officielle de la CNMNC-IMA. Tous les échantillons photographiés sont de la collection de M. Blondieau.
4.1. Aragonite, CaCO3
29L’aragonite est observée en petits cristaux blancs fibreux, à la surface de certains blocs de siltite de l’encaissant. L’identification visuelle est confortée par diffraction des rayons X.
4.2. Calcite, CaCO3
30Des petites veines blanches d’épaisseur millimétrique, traversant des blocs de minerai de fer de Grupont, sont identifiées par diffraction des rayons X comme étant constituées de calcite. La présence de ce minéral dans un encaissant partiellement carbonaté n’est pas vraiment étonnante, mais nous n’avons pas observé la calcite en cristaux.
4.3. Chalcopyrite, CuFeS2
31Des petites plages de chalcopyrite, généralement millimétriques et xénomorphes, sont identifiées visuellement avec de la pyrite et de la sidérite, ce qui est confirmé par diffraction des rayons X. La chalcopyrite est une espèce fréquemment observée en petites mouchetures dans les roches régionales, notamment à Ambly (Hatert et al., 2002) et à Chanly (Blondieau et al., 2019a). Signalons que Blockmans et al. (2019) mentionnent une anomalie en cuivre dans les alluvions de la Lomme, à environ deux kilomètres au sud de la galerie. La chalcopyrite a également été observée au microscope en lumière réfléchie, où elle montre un couleur jaune or caractéristique (Figures 9A, 9B).
Figure 9 : Observation de chalcopyrite dans la section polie GRU-6 de Grupont, en lumière réfléchie. A : grande plage avec un petit cristal de pyrite au centre (largeur de la photo : 1,2 mm) ; B : petites plages xénomorphes associées à des agrégats de pyrite partiellement altérée en goethite majoritaire et hématite (largeur de la photo : 0,3 mm). Les parties peu réfléchissantes sont constituées majoritairement de sidérite.
4.4. Chamosite, Fe2+5Al[Si3AlO10](OH)8
32Delmer (1913) avait déjà indiqué la présence de chlorite dans la sidérite associée au minerai de fer de Grupont. Les analyses par diffraction des rayons X des échantillons de minerai de fer, couplées avec les interprétations à l’aide du logiciel TOPAZ, indiquent la présence de 2 à 5 % de chlorite. Dans ce contexte très riche en fer et pauvre en magnésium, il s’agit certainement de chamosite, une chlorite déjà identifiée dans la région, notamment à Masbourg (Blondieau et al., 2017a).
4.5. Dickite, Al2Si2O5(OH)4
33Des enduits pulvérulents blancs de texture argileuse, déposés à la surface de quelques roches de l’encaissant, sont identifiés par diffraction des rayons X comme dickite. Ce minéral d’altération est fréquent dans la région et est déjà signalé à Masbourg (Blondieau et al., 2017a) et à Chanly (Blondieau et al., 2019a). Non loin de la galerie du « Thier-Al-hèt », Blondieau (2011) l’a également identifiée dans les travaux de recherche pour plomb à Bure.
4.6. Dolomite, CaMg(CO3)2
34La dolomite est identifiée par diffraction des rayons X dans des enduits blancs sur des joints du minerai de fer de Grupont. Le minéral n’y est pas fréquent ; il y a en effet très peu de magnésium dans le minerai de fer ou la sidérite. Comme l’aragonite et la calcite, la dolomite ne s’exprime qu’en enduits dans des fissures. Elle s’est donc formée plus récemment par des percolations d’eau provenant de l’encaissant des couches minéralisées.
4.7. Goethite, Fe3+O(OH)
35La goethite a été identifiée à de nombreuses reprises par diffraction des rayons X, associée à la sidérite et à l’hématite, dans le minerai de fer de Grupont. Elle y constitue le principal minéral porteur du fer. Ce minéral forme parfois de petites croûtes vernissées noires ou de petits cristaux bruns en association avec la lépidocrocite (Figure 10). Des noyaux noirs sur lesquels se développent la ranciéite sont également identifiés comme de la goethite associée à de la todorokite.
Figure 10 : Goethite cristallisée de Grupont (largeur de la photo : 0,59 mm). Photo : P. Chollet.
4.8. Hématite, Fe3+2O3
36L’hématite, détectée par diffraction des rayons X dans le minerai de fer de Grupont, est toujours associée à la goethite qui est largement majoritaire. Dans ce minerai, l’hématite, qui ne dépasse que rarement 20 % en poids (contre environ 50 % pour la goethite), ne peut être observée que sur des sections polies (Figures 8C et 8D). L’hématite est toujours intimement associée à la goethite et une simple observation au binoculaire ne permet pas de l’identifier.
4.9. Lépidocrocite, Fe3+O(OH)
37La lépidocrocite, toujours associée à la goethite, est assez abondante dans le minerai de fer de Grupont, où elle forme de petits cristaux rouges dont l’identification est confirmée par diffraction des rayons X. La teinte rouge du minéral est bien visible sur les coupes des plages micro-minéralisées (Figure 11A). Parfois, des cristaux très brillants s’observent dans de minuscules cavités du minerai (Figure 11B).
Figure 11 : Lépidocrocite de Grupont. A : goethite brune au bas de la photo surmontée par des cristaux de lépidocrocite qui, au contact, montre la couleur rouge caractéristique du minéral (largeur de la photo : 1,7 mm) ; B : minuscules cristaux d’environ 150 µm présentant l’habitus habituel de l’espèce (largeur de la photo : 1,2 mm). Photos : P. Chollet.
38En Belgique, la lépidocrocite était déjà signalée à Heure où elle est intimement mêlée à la goethite, ainsi qu’à Blaton où elle forme des enduits jaunâtres (Hatert et al., 2002). Plus récemment, le minéral a également été décrit à Vielsalm en cristaux en forme de fuseaux arrondis (Blondieau et al., 2017b), ainsi qu’à Richelle en agrégats de cristaux sur la goethite (Blondieau et al., 2019b). Grupont semble donc être la cinquième occurrence belge de ce minéral sans doute assez fréquent, mais qui passe facilement inaperçu. Dans la région de Grupont, le minéral n’avait pas encore été recensé malgré la présence d’un grand nombre de filons métalliques surmontés de chapeaux de fer.
4.10. Malachite, Cu2(CO3)(OH)2
39La malachite est observée à Grupont en rares petites croûtes ou petites boules vertes millimétriques, associées à de la chalcopyrite. Son identification visuelle est confirmée par diffraction des rayons X. La malachite est un minéral secondaire fréquent dans les zones d’altération de la chalcopyrite.
4.11. Muscovite, KAl2[Si3AlO10](OH)2
40La muscovite est identifiée par diffraction des rayons X à l’intérieur d’un nodule de pyrite présent dans un bloc de sidérite. Elle s’y présente en petits cristaux millimétriques incolores qui, visuellement, avaient été identifiés comme du gypse. Elle a également été identifiée par diffraction des rayons X dans le minerai de fer de Grupont, où sa proportion atteint parfois plus de 10 %.
4.12. Pyrite, FeS2
41La pyrite est identifiée visuellement et par diffraction des rayons X dans la sidérite associée au minerai de fer de Grupont. Elle s’observe fréquemment en veinules partiellement transformées en goethite (Figures 12A et 12B), ou en remplissage de nodules (Figure 4C). Plus rarement, elle s’exprime en petits cristaux parfois associés à la chalcopyrite (Figure 9A), comme c’est très souvent le cas dans la région où elle a déjà été signalée notamment à Masbourg (Blondieau et al., 2017a), Chanly (Blondieau et al., 2019a) et Wisembach (Blondieau et al., 2022).
Figure 12 : Observation de pyrite dans des sections polies de sidérite de Grupont, en lumière réfléchie. La pyrite est très réfléchissante et apparaît blanche sur les photos. A : fragments de pyrite dans de la sidérite traversée par des imprégnations de goethite et hématite (section polie GRU-1 ; largueur de la photo : 0,3 mm) ; B : cristal de pyrite non altérée dans de la sidérite, et fragments de pyrite rongés par de la goethite et de l’hématite (section polie GRU-4 ; largeur de la photo : 0,3 mm).
4.13. Pyrolusite, Mn4+O2
42Dans le minerai de fer de Grupont, la pyrolusite se présente en petites plages de cristaux métalliques blanc acier. Son identité est confirmée par diffraction des rayons X. Un des échantillons analysés semble montrer la présence extrêmement minoritaire d’un peu de manganite, ce qui est souvent observé puisque la pyrolusite est un minéral qui se forme par déshydratation de la manganite (Hatert et al., 2002). La pyrolusite et la manganite sont des espèces assez fréquentes dans la région, où elles sont observées dans des masses de limonite notamment à la carrière de Resteigne et dans l’indice plombifère de Bure (Blondieau, 2011).
4.14. Quartz, SiO2
43Le quartz est signalé comme abondant, avec la goethite et l’hématite, dans les échantillons de minerai de fer de Grupont (Clément, 1849). Visuellement, nous l’avons observé en fragments anguleux millimétriques dans la sidérite et la goethite. Les analyses par diffraction des rayons X du minerai de Grupont confirment son abondance, et les quantifications réalisées à l’aide du logiciel TOPAS indiquent qu’il peut y en avoir jusqu’à 10–20 %. Il s’agissait donc d’un minerai très siliceux. Nous n’avons pas observé de cristaux de quartz.
4.15. Ranciéite, (Ca,Mn2+)0,2(Mn4+,Mn3+)O2·0,6 H2O
44La ranciéite de Grupont se présente généralement en enduits très tendres couvrant plusieurs cm² dans des joints du minerai de fer (goethite et hématite). Elle a un pouvoir réflecteur très fort et, visuellement, elle a un aspect d’argent un peu terni par oxydation. Anciennement, le minéral, était d’ailleurs appelé « chaux de manganèse argentin » par J.-B. Romé de l’Isle et ensuite de « manganèse oxydé argentin » par R.-J. Haüy (Fontan & Martin, 2017). Dans des petites cavités, elle forme aussi des petites croûtes violacées veloutées très fragiles, généralement de taille millimétrique, souvent sur un minéral plus noir et plus dur identifié par diffraction des rayons X comme un mélange de goethite et de todorokite (Figures 13A et 13B). Des feuillets violacés sont identifiés comme constitués de ranciéite majoritaire en association avec de la goethite et de la todorokite très minoritaires (Figure 14).
Figure 13 : Ranciéite de Grupont en croûte grise veloutée, avec un aspect de vieil argent caractéristique, sur un mélange plus noir constitué de goethite et de todorokite. (largeur des photos : A : 5 mm ; B : 3,5 cm). Photos : P. Chollet.
Figure 14 : Ranciéite de Grupont formant des feuillets violacés en association avec de la goethite.
45Les raies de diffraction obtenues sur les échantillons de ranciéite de Grupont sont en excellent accord avec celles de la ranciéite de Paxton’s cave (Bolling Springs, Virginie, USA ; Fiche ICDD 22-718) (Tableau 1). Le minéral de Grupont est cependant associé à un peu de todorokite, de goethite et de quartz. Visuellement, la ranciéite ne se distingue pas aisément de la todorokite, un minéral assez répandu dans la région. La ranciéite est très tendre et, sous une légère pression, elle s’aplatit mais ne se fragmente pas.
Tableau 1 : Dépouillements de diffractogrammes de poudres de la ranciéite de Grupont, comparés à ceux de la ranciéite de Virginie, de la takanelite de Corée et d’une todorokite. Les chiffres mis en gras correspondent aux valeurs des raies de diffraction les plus intenses.
Échantillon nº1 |
Échantillon nº2 |
Ranciéite* |
Takanelite** |
Todorokite*** |
||
Grupont |
Grupont |
Virginie, USA |
Corée |
|
|
|
d (Å) |
d (Å) |
d (Å) |
I/I0 (%) |
|
d (Å) |
I/I0 (%) |
9,352 (m) – [To] |
9,393 (f) – [To] |
– |
– |
– |
9,555 |
100 |
7,431 (TF) |
7,457 (TF) |
7,49 |
100 |
– |
– |
– |
– |
– |
– |
– |
7,25 (TF) |
– |
– |
4,69 (f) – [To] |
– |
– |
– |
– |
4,773 |
24 |
4,129 (f) – [To] |
4,129 (f) |
– |
– |
– |
4,170 |
11 |
3,707 (F) |
3,727 (F) |
3,74 |
14 |
– |
– |
– |
– |
– |
– |
– |
3,619 (f) |
– |
– |
– |
3,338 (Tf) – [Qz] |
– |
– |
– |
– |
– |
– |
2,690 (Tf) – [Go] |
– |
– |
– |
– |
– |
2,457 (m) |
2,465 (F) |
2,463 |
10 |
2,451 (m) |
2,453 |
16 |
– |
– |
– |
– |
– |
2,399 |
36 |
2,337 (m) |
2,342 (F) |
2,342 |
6 |
2,347 (f) |
2,345 |
25 |
2,051 (m) |
2,064 (m) |
2,064 |
2 |
– |
– |
– |
1,747 (m) |
1,755 (m) |
1,758 |
2 |
– |
1,755 1,742 |
5 8 |
– |
1,695 (Tf) – [Go] |
– |
– |
– |
– |
– |
1,488 (f) – [Go] |
1,496 (f) – [Go] |
– |
– |
– |
– |
– |
1,417 (m) |
1,420 (m) |
1,425 |
4 |
1,429 (m) |
1,423 |
16 |
1,397 (f) |
1,397 (f) |
1,397 |
2 |
– |
– |
– |
* Fiche ICDD 22-718 : Ranciéite de Paxton’s cave près de Bolling Springs, Virginie, USA |
46La ranciéite forme une série avec la takanélite, un minéral renfermant moins de calcium et fournissant des raies de diffraction un peu différentes (Tableau 1). Cette dernière espèce est également connue en association avec la braunite et la rhodochrosite, qui ne sont pas présentes à Grupont. L’identification de la ranciéite n’a encore jamais été effectuée en Belgique ; il s’agit donc d’une nouvelle espèce pour notre pays.
47Les paramètres de maille de l’échantillon n°1 de ranciéite de Grupont ont été calculés et sont en bon accord avec ceux de la ranciéite de Friesach (Autriche) (Tableau 2).
Tableau 2 : Comparaison des paramètres de maille de la ranciéite de Grupont (échantillon n°1) et de celle de Friesach (Autriche).
|
Grupont Échantillon n°1 |
Friesach (Autriche) |
Référence |
Ce travail |
Ertl et al. (2005) |
a (Å) |
2,842(2) |
2,845(1) |
c (Å) |
7,46(1) |
7,485(1) |
V (ų) |
52,16(7) |
52,47(2) |
48La localité-type de ce minéral se trouve dans une ancienne mine de fer dans la montagne de Rancié, en Ariège (France), où elle cristallise dans des petites cavités de goethite et de sidérite. Dans la localité–type, on signale également l’hématite, la pyrite et la romanèchite. Le minéral y est décrit comme formant des croûtes fragiles et très tendres constituées de feuillets très fins, violacés à bruns (Fontan & Martin., 2017). Cette description est très similaire à ce qui est observé sur le minéral de Grupont.
4.16. Sidérite, Fe2+CO3
49La sidérite est très abondante dans les blocs échantillonnés sur les haldes de Grupont. Elle prend des teintes brunes voire rouges, qui peuvent éventuellement la faire confondre visuellement avec de l’hématite. Son identification est confirmée par diffraction des rayons X. A l’intérieur de ces masses de sidérite, on observe parfois une seconde génération du minéral en lames orange à brun clair, dans des cavités formées par la dissolution de fossiles, principalement de crinoïdes. La diffraction des rayons X de ce matériel (échantillon n°1) indique qu’il s’agit d’une sidérite très pure, puisque les réflexions mesurées sont extrêmement proches de celles d’une sidérite de référence provenant d’Ivigtut, Groenland (Tableau 3).
50Au cœur de certaines masses de sidérite, on observe parfois des noyaux peu altérés de couleur gris clair, entourés de sidérite rougeâtre (Figure 15). L’analyse par diffraction des rayons X de cette sidérite grise (échantillon n°2) fournit des valeurs de d pour les pics de diffraction systématiquement plus grandes que celles de la sidérite d’Ivigtut, mais cependant plus faibles que celles de la rhodochrosite (Tableau 3). Ce décalage des raies de diffraction est probablement corrélé à la présence significative de manganèse dans cette sidérite.
51Les paramètres de maille obtenus pour cet échantillon, comparés à ceux d’une sidérite et d’une rhodochrosite de référence, semblent en effet montrer un début de solution solide avec une légère substitution du fer par le manganèse (Tableau 4).
Tableau 3 : Radiogrammes de poudres de la sidérite de Grupont; comparés à ceux de la sidérite d’Ivigtut (Groenland) et d’une rhodochrosite de synthèse. Les chiffres mis en gras correspondent aux valeurs des raies de diffraction les plus intenses.
Sidérite Grupont |
Sidérite Grupont |
Sidérite* |
Rhodochrosite** |
|||
d (Å), I/I0 (%) |
d (Å) |
I/I0 (%) |
d (Å) |
I/I0 (%) |
d (Å) |
I/I0 (%) |
3,642 (F) 3,594 (F) |
3,6199 |
25,4 |
3,593 |
25 |
3,66 |
35 |
2,813 (TF) 2,788 (TF) |
2,8132 |
100 |
2,795 |
100 |
2,84 |
100 |
2,348 (m) |
2,3601 |
18,2 |
2,346 |
20 |
2,39 |
20 |
2,135 (m) |
2,1450 |
21,2 |
2,134 |
20 |
2,172 |
25 |
1,975 (m) 1,962 (m) |
1,9752 |
23,4 |
1,965 |
20 |
2,000 |
25 |
1,806 (f) |
1,8060 |
11,0 |
1,7968 |
12 |
1,829 |
12 |
1,740 (F) |
1,7458 |
38,2 |
1,7382 |
30 |
1,770 |
30 |
– |
1,7428 |
41,5 |
– |
– |
|
|
1,728 (F) |
– |
– |
1,7315 |
35 |
1,763 |
35 |
– |
– |
– |
– |
– |
1,556 |
2 |
– |
1,5359 |
2,6 |
1,5291 |
3 |
– |
– |
1,512 (m) 1,504 (m) |
1,5134 |
15,1 |
1,5063 |
14 |
1,533 |
14 |
– |
1,4494 |
2,6 |
– |
– |
– |
– |
1,442 (f) |
1,4468 |
2,7 |
1,4390 |
3 |
1,452 |
2 |
1,430 (f) |
1,4333 |
11,7 |
1,4266 |
11 |
– |
– |
– |
1,4036 |
4,3 |
1,3969 |
6 |
– |
– |
– |
1,3901 |
2,4 |
1,3818 |
3 |
– |
– |
1,356 (m) |
1,3607 |
10,9 |
1,3548 |
11 |
1,379 |
10 |
* Fiche ICDD 29-696 : Sidérite d’Ivigtut, Groenland |
Tableau 4 : Comparaison des paramètres de maille des deux échantillons de sidérite de Grupont, avec ceux de la sidérite de référence (Ivigtut, Groenland) et de la rhodochrosite de synthèse.
|
Grupont |
Grupont Noyau gris (échantillon nº2) |
Sidérite* |
Rhodochrosite** |
Référence |
Ce travail |
Ce travail |
ICDD 29-696 |
ICDD 7-268 |
a (Å) |
4,693(1) |
4,712(1) |
4,6935(2) |
4,777(1) |
c (Å) |
15,389(6) |
15,475(3) |
15,386(8) |
15,670(3) |
V (ų) |
293,5(1) |
297,56(6) |
293,5(1) |
309,68(7) |
* Fiche ICDD 29-696 : Sidérite d’Ivigtut, Groenland |
Figure 15 : Sidérite riche en manganèse de Grupont (largeur de la photo : 8 cm). Photo : M. Blondieau.
4.17. Todorokite, (Na,Ca,K,Ba,Sr)1-x(Mn4+,Mn3+,Mg,Al)6O12·3-4H2O
52La todorokite est une espèce d’altération extrêmement fréquente dans la région. À Grupont, elle est identifiée par diffraction des rayons X dans des noyaux noirs assez durs, en association avec de la goethite. Ces noyaux sont souvent surmontés par une couche de ranciéite très pure (Figure 13B).
5. Conclusions
53À Grupont, le minerai de fer est qualifié d’« oligiste oolithique » [= hématite oolithique] par Denayer et al. (2011). Cependant, l’hématite n’y dépasse que rarement 20 % en poids (contre environ 50 % pour la goethite) ; il ne s’agit donc pas d’une « oligiste ». Par ailleurs, les nombreuses sections polies que nous avons réalisées dans ce minerai ne nous ont pas permis d’y observer des oolithes. Il ne s’agit donc pas d’un minerai oolithique et encore moins d’une « oligiste oolithique ».
54Par contre, dans certaines couches de sidérite, on peut observer de petits nodules (Figure 4), qui sont parfois associés à de rares oolithes à cœur sidéritique, enveloppés d’un cortex en goethite, hématite ou pyrite (Figures 5, 6 et 7). Toutefois, ils sont tellement peu nombreux que le qualificatif d’oolithique pour cette sidérite ne semble pas justifié non plus.
55Le minerai de fer de Grupont est cependant d’origine sédimentaire, et sa formation a certainement des points communs avec celle des minerais de fer oolithiques. On peut la résumer comme suit.
56Dans une zone littorale, les hydroxydes ferriques ont pu précipiter dans une vase riche en matières organiques qui, par action bactérienne, ont provoqué en partie leur réduction et permis le dépôt de berthiérine (silicate complexe proche des chlorites), de pyrite et de chalcopyrite. Selon Young (1989), la formation des oxydes de fer ne serait que le produit de la diagenèse liée à l’enfouissement. Plusieurs étapes sont généralement évoquées pour expliquer leur apparition : transformation initiale de la berthiérine en chamosite, transformation de la chamosite en sidérite puis en hématite ou en goethite. La présence de minuscules oolithes avec de la goethite et de l’hématite dans la sidérite de Grupont s’explique sans doute de cette manière, mais l’évolution n’y a probablement pas été très avancée.
57Le minerai de fer anciennement exploité à Grupont s’est formé principalement par altération météorique de la sidérite. Le fer à l’état d’oxydation bivalent dans la sidérite a été porté à l’état trivalent et a permis la formation de goethite et d’hématite. Les agrégats de pyrite formés par diagenèse dans la sidérite sédimentaire sont également déjà transformés partiellement en goethite et hématite (Figure 12B).
58L’altération météorique a également engendré des minéraux comme la ranciéite et la lépidocrocite.
59Selon Cotterell & Jenkins (2008), la ranciéite est typiquement un produit d’altération météorique de carbonates riches en manganèse mais également en calcium. Il précipite dans des conditions de pH neutre ou peu alcalin (pH ~ 7–8). À Grupont, le manganèse provient de la sidérite qui en renferme quelques pourcents et le calcium provient du sédiment originel ainsi que de l’encaissant partiellement calcaire. Le manganèse qui était incorporé dans le réseau cristallin de la sidérite est alors passé de l’état d’oxydation bivalent aux états d’oxydation trivalent, voire tétravalent, ce qui a engendré, outre la ranciéite, d’autres oxydes de manganèse, comme la todorokite et la pyrolusite. La ranciéite signalée par Cotterell & Jenkins (2008) au pays de Galles a été observée comme un dépôt tardif sur les parois d’une ancienne mine, indiquant une formation rapide dans des conditions d’humidité importante, sous pression atmosphérique et à température ambiante. Il y a plus de 45 ans, la galerie de Grupont n’était pas encore fermée et nous avions eu l’occasion de la visiter. Toutes les parois étaient couvertes d’un abondant enduit gris argenté, tachant bien les doigts, qui était probablement constitué de ranciéite. Il n’est malheureusement pas possible de vérifier cette identification puisque cette galerie, pourtant sans danger, n’est plus accessible aujourd’hui.
60Concernant le gisement de Batère, dans les Pyrénées Orientales (France), Thiry & Sornein (1983) signalent : « Des dépôts d’oxydes se font aussi dans certaines cavités issues de l’altération des amas de sidérite. Ce sont essentiellement des oxydes de manganèse, ranciéite et todorokite, recoupés par des filonnets de goethite et de lépidocrocite bien cristallisée. »
61Il en est de même à Grupont, où l’altération météorique de la sidérite a permis la formation de toutes ces espèces dont la ranciéite et la lépidocrocite. La formation de cette dernière semble donc être très souvent intimement liée à l’altération de la sidérite.
62Il est remarquable de constater que la ranciéite n’est observée ni dans les encaissants calcaires, ni dans les chapeaux de fer associés aux nombreux filons métalliques régionaux. La sidérite n’y est cependant pas (ou très peu) présente. Les minéraux d’altération riches en manganèse sont alors la todorokite, la pyrolusite et la manganite. Ils peuvent y être parfois très abondants comme, par exemple, à la carrière de Resteigne (commune de Tellin) où ils sont associés à de la limonite pulvérulente. Le constat est le même pour la lépidocrocite. Elle est relativement abondante dans le minerai de fer de Grupont mais n’a encore jamais été signalée ailleurs dans la région.
63L’altération météorique de la sidérite riche en manganèse de ce minerai sédimentaire a donc permis l’apparition d’espèces singulières dont la ranciéite, qui est une espèce nouvelle pour la Belgique.
64Le Tableau 5 reprend toutes les espèces identifiées à Grupont.
Tableau 5 : Espèces minérales identifiées à Grupont. Parmi celles-ci, la ranciéite est une nouvelle espèce pour la Belgique.
Minéral |
Formule chimique idéale |
Aragonite |
CaCO3 |
Calcite |
CaCO3 |
Chalcopyrite |
CuFeS2 |
Chamosite |
Fe2+5Al[Si3AlO10](OH)8 |
Dickite |
Al2Si2O5(OH)4 |
Dolomite |
CaMg(CO3)2 |
Goethite |
Fe3+O(OH) |
Hématite |
Fe3+2O3 |
Lépidocrocite |
Fe3+O(OH) |
Malachite |
Cu2(CO3)(OH)2 |
Muscovite |
KAl2[Si3AlO10](OH)2 |
Pyrite |
FeS2 |
Pyrolusite |
Mn4+O2 |
Quartz |
SiO2 |
Ranciéite |
(Ca,Mn2+)0,2(Mn4+,Mn3+)O2·0,6 H2O |
Sidérite |
Fe2+CO3 |
Todorokite |
(Na,Ca,K,Ba,Sr)1-x(Mn4+,Mn3+,Mg,Al)6O12·3–4 H2O |
Remerciements
65Nous souhaitons remercier chaleureusement Pascal Chollet qui a réalisé les magnifiques photos de nos très petits minéraux, ainsi qu’à Jean-Marc Baele qui a relu attentivement le manuscrit. Nos remerciements vont également à Raphaël Deville, litholamelleur du Département de Géologie de l’ULiège, qui a achevé le polissage de nos sections polies, ce qui a autorisé des observations de grande qualité.
Informations supplémentaires
Identifiants ORCID des auteurs
660000-0003-3125-9755 (Frédéric Hatert)
Contribution de chaque auteur
67MB a réalisé les analyses rapportées dans cet article. MB a également rédigé la première version du manuscrit. MD, FDB et FH ont contribué aux analyses et à la relecture. Les échantillons ont été récoltés sur le terrain par MB.
Déclaration relative aux conflits d’intérêt
68Les auteurs déclarent l’absence de tout conflit d’intérêt.
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