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- Le changement climatique - Novembre 2019 - Liège
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Surveillance à long terme de l’atmosphère terrestreà la station du Jungfraujoch
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C’est au début des années 1950, bien avant qu’il ne soit question de changement climatique, que l’Université de Liège a réalisé ses premières mesures atmosphériques à la station scientifique internationale du Jungfraujoch, dans les Alpes bernoises. Ces observations pionnières ont alors notamment permis de confirmer la présence de méthane et de monoxyde de carbone dans l’atmosphère non polluée prévalant à ce site. Ravivé au milieu des années 1970 par les premières inquiétudes relatives à la destruction de l’ozone stratosphérique, le programme de surveillance n’a depuis plus cessé de fournir des données essentielles à la caractérisation de notre atmosphère et aux changements qu’elle subit sous l’influence des activités humaines ou de phénomènes naturels d’ampleur.
Dans cet article, nous présentons quelques résultats déduits récemment de ce programme de longue haleine, pertinents pour la vérification de traités environnementaux internationaux.
Abstract
It is in the early 1950s that researchers from the University of Liège have recorded the first atmospheric solar spectra at the Jungfraujoch scientific station, in the Swiss Alps, at a time when climate change was not a matter of worry. These pioneering observations have allowed to confirm that methane and carbon monoxide were ubiquitous constituents of the Earth’s atmosphere. The recording of atmospheric spectra resumed in the mid-1970s, stimulated by rising concerns related to possible stratospheric ozone depletion. Since then, this monitoring activity has been conducted at that site without interruption, allowing to gather high-quality data crucial for the characterization of the Earth’s atmosphere and of the changes affecting it, resulting from anthropogenic activities or natural causes.
In this paper, we present some recent results relevant for the verification of international environmental treaties.
Table of content
1. Introduction
À la fin des années 1950, le Pr Marcel Migeotte disposait d’un spectrographe à réseau et d’un cœlostat qui avaient été conçus et construits à l’Institut d’Astrophysique de l’Université de Liège. Cette instrumentation a été dans un premier temps exploitée lors d’un séjour de recherche à l’Université Ohio State, Columbus, aux États-Unis. Différentes parties du spectre solaire y ont été enregistrées, principalement entre 3 – 5,2 µm et 7 – 13 µm, permettant de mettre en évidence les absorptions telluriques de plusieurs constituants mineurs ou en trace de l’atmosphère terrestre, dont notamment le méthane (CH4) et le monoxyde de carbone (CO) (p. ex., Migeotte et Neven, 1950). Cependant, ces spectres, enregistrés dans un environnement généralement humide et à basse altitude (260 m alt.) pâtissaient de nombreuses interférences dues à la vapeur d’eau (H2O) et au dioxyde de carbone (CO2). C’est pour s’affranchir de ces interférences que M. Migeotte décide d’installer cet instrument dès janvier 1950 à la Station Scientifique Internationale du Jungfraujoch, située en haute altitude en Suisse, dans l’Oberland bernois (3457 m alt.), à proximité de l’Aletsch, le plus grand glacier des Alpes. Jusqu’en octobre 1951, M. Migeotte s’emploie à enregistrer de façon systématique le spectre solaire entre 2,8 et 23,7 µm. En résultera un atlas publié quelques années plus tard (Migeotte et al., 1956). Aujourd’hui, ces spectres sont toujours disponibles sur leur support original, à savoir des rouleaux de papier, mais ils vont faire l’objet d’un programme complet de numérisation et de ré-analyse, financé par la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG), impliquant une étroite collaboration entre les Universités de Brême, Leeds et Liège (P.I. : J. Notholt). Dans la présente communication, nous présenterons des résultats déduits précédemment de ces observations pionnières, notamment par plusieurs études menées par Rodolphe Zander (p. ex., Zander et al., 1989a, 1989b, 1994).
Les activités des chercheurs liégeois se sont alors orientées vers l’étude de la photosphère solaire, impliquant le perfectionnement de l’instrumentation et l’installation d’un spectromètre à réseau dont les performances ont été régulièrement améliorées (Delbouille et Roland, 1995 ; Zander et al., 2008).
En 1974, les publications quasi simultanées de Molina et Rowland (1974) et de Stolarski et Cicerone (1974) sur le rôle que les chlorofluorocarbones (ou chlorofluoroalcanes ; CFCs) pourraient jouer dans la destruction de la couche d’ozone stratosphérique inquiètent la communauté scientifique et stimulent le lancement de programmes de surveillance de l’atmosphère terrestre. Pour sa part, l’équipe liégeoise décide d’enregistrer de façon systématique des zones spectrales étroites incluant des raies cibles des espèces clés en jeu, à savoir l’ozone (O3), les principaux réservoirs halogénés HCl (chlorure d’hydrogène) et HF (fluorure d’hydrogène), le protoxyde d’azote (N2O), la principale source des oxydes d’azote, eux aussi destructeurs d’ozone via le cycle catalytique des NOx (Crutzen, 1970). Ces mesures dans le domaine infrarouge se poursuivront jusqu’en 1989. L’instrument à réseau sera épaulé, puis remplacé, par des instruments par transformée de Fourier qui offrent simultanément les grands avantages de couvrir des domaines spectraux larges avec un très haut pouvoir de résolution spectrale.
Tableau 1 : Liste des constituants atmosphériques sous surveillance à la station du Jungfraujoch
Gaz à effet de serre |
H2O, CO2, CH4, N2O, CF4, SF6 |
Support au Protocole de Kyoto et à l’Accord de Paris |
Liés à l’ozone stratosphérique |
O3, NO, NO2, ClONO2, HCl, HF, COF2, CFC-11, CFC-12, HCFC-22, HCFC-142b, CCl4, CH3Cl |
Support au Protocole de Montréal |
Qualité de l’air, combustion de la biomasse |
CO, CH3OH, C2H6, C2H2, C2H4, HCN, HCHO, HCOOH, NH3, PAN |
Support au programme Copernicus CAMS1 |
Autres |
OCS, N2, dérivés isotopiques |
Applications variées |
Aujourd’hui, un interféromètre de la firme Bruker Optics (IFS 120HR), modifié par nos soins, est en opération au Jungfraujoch. Une combinaison de deux détecteurs refroidis à l’azote liquide (un MCT ou Mercure-Cadmium-Tellure, et un INSB ou Indium-Antimoine) et de cinq filtres optiques permet d’enregistrer séquentiellement cinq domaines spectraux complémentaires (350 – 1600, 1600 – 2250, 2200 – 3300, 2800 – 3800 et 3850 – 4400 cm-1 ; voir Fig. 1 dans Mahieu et al. (2017)). Un ciel sans nuage est requis afin de procéder à l’enregistrement de spectres, possible à distance depuis 2008 (Servais et al., 2007). Il est important de noter que le programme de surveillance mené à la station du Jungfraujoch s’inscrit depuis janvier 1991 dans le cadre du réseau international NDACC (Network for the Detection of Atmospheric Composition Change ; http://www.ndacc.org ).
Au fil des années, des stratégies d’inversion ont été définies de manière à déterminer les abondances d’un nombre croissant de constituants atmosphériques. Des régions spectrales le plus souvent étroites (ou micro-fenêtres) contenant des absorptions fortes, aussi libres que possible d’interférences, sont choisies. Des logiciels dédiés (dans notre cas SFIT-4, v.0.9.4.4), basés sur la méthode d’estimation optimale (OEM ; Rodgers, 2004) permettent la détermination de la surface des raies d’absorption, proportionnelle à l’abondance du gaz cible, alors que l’analyse de la forme des raies, influencées par l’élargissement par la pression, renseigne sur la distribution des molécules avec l’altitude. Le Tableau 1 fournit la liste des quelques trente molécules actuellement étudiées à la station du Jungfraujoch à l’aide de la technique FTIR. Ces espèces sont classées en fonction des problématiques environnementales qui justifient au premier chef leur surveillance.
2. Gaz à effet de serre
Le Tableau 1 nous indique que tous les principaux gaz à effet de serre, naturel (H2O) ou anthropiques, principaux responsables du réchauffement climatique (CO2, CH4, N2O, …), sont ciblés par notre programme de surveillance. La Figure 1 nous montre les évolutions multi-décennales de l’abondance de quatre d’entre eux, à savoir le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), l’oxyde nitreux (N2O) et l’hexafluorure de soufre (SF6). Dans tous les cas, les symboles correspondent aux moyennes mensuelles des colonnes verticales totales, exprimées en molécules par centimètre carré. Nous constatons que tous ces gaz ont vu leurs abondances augmenter significativement, de façon plus ou moins régulière. À ce titre, CH4 constitue une exception notable, sa série temporelle ayant présenté un plateau au début des années 2000, signifiant un équilibre entre ses sources et ses puits, dont l’origine est encore un sujet de débats.
Comme déjà indiqué, des spectres enregistrés par le Pr Migeotte ont été analysés au cours de travaux antérieurs afin de déterminer l’abondance de constituants mineurs de l’atmosphère terrestre au début des années 1950 (Zander et al., 1989a, 1989b, 1994). Ce fut notamment le cas pour CO2, CH4 et N2O. Les colonnes totales moyennes déduites pour 1950-1951 sont rapportées en bas et à gauche des cadres correspondants de la Fig. 1. La comparaison entre ces données et les abondances actuelles nous permet de déterminer les augmentations cumulées de ces constituants au cours des 68 dernières années, à savoir 34% pour CO2, 49% pour CH4 et 21% pour N2O. Quant à l’hexafluorure de soufre, composé de synthèse notamment utilisé comme isolant dans des équipements électriques à haute tension, il était vraisemblablement absent de l’atmosphère terrestre en 1950. Mais nous constatons que son abondance a été multipliée par 7.4 en 33 ans. Sa vitesse d’accumulation reste soutenue, ce qui est particulièrement préoccupant pour un gaz à très longue durée de vie, plus de 3200 ans, caractérisé par un fort pouvoir de réchauffement global de 22800.
Fig. 1 : Évolutions multi-décennales des moyennes mensuelles des colonnes verticales totales, exprimées en molécules par centimètre carré, de quatre des gaz à effet de serre surveillés à la station du Jungfraujoch, et comparaison avec leurs abondances au milieu du siècle dernier.
3. Impact de l’industrie pétrolière
Parmi les gaz cibles de la technique FTIR, nous ne trouvons pas que des gaz à moyenne ou longue durée de vie. C’est ainsi que si le méthane a une durée de vie estimée à 12 ans, le deuxième alcane, l’éthane (C2H6), ne réside lui en moyenne que quelques mois dans l’atmosphère terrestre. Il en résulte une distribution globale moins homogène, notamment caractérisée par une abondance plus marquée dans l’hémisphère nord (Simpson et al., 2012). Les sources de C2H6 sont principalement d’origine anthropique, elles incluent les fuites lors de la production et le transport du gaz naturel, la combustion de biocarburant et de la biomasse (Xiao et al., 2008). C2H6 est un précurseur d’ozone troposphérique au travers de son oxydation dans la troposphère.
La Fig. 2 nous montre l’évolution de l’abondance de l’éthane au-dessus de la station du Jungfraujoch. Nous notons plusieurs caractéristiques intéressantes : (i) une décroissance prolongée entre 1985 et 2006, attribuée à des mesures appropriées de réduction des fuites des sources fossiles, limitant les émissions de 14 à 11 Tg/an entre 1984 et 2010 (Simpson et al., 2012), (ii) deux maxima en 1998 et 2002-2003, associés à des incendies intenses de forêts boréales en Russie (Yurganov et al., 2004, 2005), (iii) une augmentation dès 2007, qui s’amplifie en 2011, attribuée au boom du secteur du gaz et du pétrole aux Etats-Unis (Franco et al., 2016 ; Helmig et al., 2016), notamment l’extraction massive de gaz « de schiste » (ou « de shale », ou de roches-mères). Pour l’Amérique du nord, les émissions annuelles de ce secteur auraient augmenté de 1.2 Tg/an en 2008 à 2.8 Tg/an en 2014 (Franco et al., 2016). Nous observons ensuite un plateau en 2014, suivi d’un déclin temporaire de C2H6. Cette dernière séquence est qualitativement compatible avec l’évolution du prix du baril de pétrole brut, reproduit dans la vignette de la Fig. 2. Lorsque les cours de ce dernier deviennent trop bas l’extraction des gaz de schiste n’est en effet plus rentable et diminue rapidement.
Fig. 2 : Évolution de l’abondance de C2H6 au-dessus du Jungfraujoch depuis 1986. La courbe rouge correspond à un ajustement non paramétrique aux colonnes moyennes journalières. La vignette en haut à droite reproduit l’évolution journalière du prix du baril de pétrole brut (en dollar – XROilPrice.com).
4. Vérification du succès du Protocole de Montréal
C’est en septembre 1987 que la première mouture du Protocole de Montréal pour la protection de la couche d’ozone a été adoptée. Les objectifs d’alors consistaient en la réduction de la consommation des principaux CFCs et halons (composés organiques per-halogénés porteurs de brome). Grâce à des mécanismes de flexibilité inclus dès le départ dans ce texte, le Protocole a pu évoluer, imposant lors d’Amendements et Ajustements successifs des mesures de plus en plus contraignantes, incluant d’autres familles de composés (les HCFCs, CCl4, CH3CCl3, …), et définissant progressivement un calendrier d’élimination des substances visées de plus en plus ambitieux. Ces décisions ont été adoptées par les Parties au Protocole en concertation avec la communauté scientifique, considérant les résultats consignés dans des rapports de synthèse sur la destruction de l’ozone publiés tous les quatre ans2 par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM/WMO). Les programmes de surveillance de l’ozone et des facteurs l’influençant ont donc été essentiels pour piloter la définition de ces mesures et vérifier que les effets escomptés étaient bien rencontrés (Reimann et al., 2018).
Après avoir atteint la stratosphère, les CFCs et autres sources organiques chlorées sont photolysés sous l’action du rayonnement ultraviolet, libérant du chlore, capable de détruire l’ozone via le cycle catalytique des ClOx (Molina et Rowland, 1974). Le chlore actif est ensuite piégé sous la forme de réservoirs stratosphériques, les principaux étant l’acide chlorhydrique et le nitrate de chlore (ClONO2). À eux deux, ils rassemblent plus de 90% de la charge en chlore stratosphérique (Zander et al., 1996). En les combinant, nous obtenons donc une série temporelle du chlore inorganique (Cly) qui constitue un excellent indicateur de l’évolution de la charge en chlore potentiellement disponible dans la couche atmosphérique où les destructions d’ozone ont lieu.
La Fig. 3 reproduit ces séries temporelles en se limitant aux mois de l’année au cours desquels la variabilité atmosphérique est minimale, soit de juin à novembre inclus. En additionnant les colonnes mensuelles moyennes de HCl (cercles rouges) et de ClONO2 (triangles verts), nous obtenons le chlore inorganique total (triangles bleus). Ces séries font référence au niveau mondial, elles ont été incluses dans toutes les dernières éditions du rapport ozone de l’OMM. La Fig. 3 nous montre que l’abondance du chlore a augmenté à des vitesses de l’ordre de 4%/an, jusqu’à plafonner au milieu des années 1990. Ensuite, nous avons enregistré une décroissance de la charge en chlore à des vitesses moyennes légèrement inférieures à 1%/an. Quant à la ré-augmentation temporaire de HCl entre 2007 et 2011, nous avons démontré qu'elle résultait d'un ralentissement temporaire de la circulation atmosphérique dans l'hémisphère nord (Mahieu et al., 2014). Des émissions pirates de gaz chlorés n’étaient donc pas en cause.
Fig. 3 : Bilan du chlore inorganique déduit d’observations solaires enregistrées dans le domaine spectral infrarouge au Jungfraujoch. Les courbes noires correspondent à des ajustements non paramétriques aux colonnes moyennes de ClONO2 (triangles verts), HCl (cercles rouges) et Cly (triangles bleus) pour les mois de juin à novembre.
5. Conclusions
Le programme de surveillance de l’atmosphère terrestre mené par les chercheurs liégeois à la station du Jungfraujoch depuis plusieurs décennies a permis de constituer une collection de spectres atmosphériques infrarouges sans équivalent dans le monde. Cette collection a déjà livré beaucoup d’informations essentielles à la détection et à l’interprétation de changements qui ont affecté notre environnement depuis le milieu du siècle dernier. Et cette collection en détient encore davantage ! Ceci a été possible grâce à l’engagement et à la ténacité de nos chercheurs d’hier et d’aujourd’hui ainsi qu’au support prolongé d’agences de financement de la recherche et de la fondation HFSJG (High Altitude Research Stations Jungfraujoch & Gornergrat). Les bénéfices engrangés sont à nos yeux importants et ils justifient sans aucun doute la poursuite de ce programme de longue haleine. Il s’agit cependant d’un défi de taille au vu du niveau de financement actuel de la recherche et de la paupérisation des universités de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Remerciements
Le programme de surveillance conduit par l’Université de Liège à la station du Jungfraujoch a reçu le soutien de BELSPO (programmes PRODEX, Science pour un Développement Durable et brain-be), du F.R.S. – FNRS, de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de l’Université de Liège, de la Commission Européenne (programmes-cadres successifs) ainsi que du programme GAW-CH de MétéoSuisse. Nous remercions la Fondation « High Altitude Research Stations Jungfraujoch & Gornergrat (HFSJG) » qui maintient l’infrastructure nécessaire à la poursuite des mesures au Jungfraujoch. Nous sommes reconnaissants envers les nombreux collègues qui ont participé à la collecte des données.
Références
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Notes
1 The Copernicus Atmosphere Monitoring Service (CAMS); see http://atmosphere.copernicus.eu
2 Le dernier en date a été publié en 2018 (WMO, 2018).