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Défaire les hiérarchies spatiales attendues ?
L’écriture du détail dans le Paris de Leslie Kaplan1
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Cet article propose d’éclairer les principes de l’écriture de l’espace parisien chez Leslie Kaplan en tenant ensemble deux fils : celui de l’écriture de l’espace et celui d’une conversion du regard et de l’écriture au nonspectaculaire, dans le sillage du projet perecquien de l’infra-ordinaire. Dans ces romans se développe une poétique contemporaine de la flânerie, héritée de la modernité et chargée d’une exigence plus récente d’attention au détail comme à l’anodin. Un réalisme du fragment et de la notation s’essaye alors, résolument ancré dans la perception individuelle et subjective. Ce pacte d’attention hypersensuelle, à vocation critique, semble toutefois entrer en contradiction avec le projet politique qui sous-tend l’œuvre de Leslie Kaplan : on tâchera d’expliquer pourquoi.
Abstract
This article analyzes the writing of the Parisian space in Leslie Kaplan’s novels. The writing abides by two fundamental principles: the depiction of urban space and a shift in perspective which focuses on all that is not sensational or dramatic, along the lines defined by Georges Perec in his “infra-ordinaire” project. In these books, a particular aesthetic of “flanerie” (Benjamin) is developed, including both the inherited traits of modernity and a more recent demand for attention to detail and the banal. This feeds a renewal of realistic writing, based on fragments and notes and strongly anchored in a singular, subjective perspective. But this pact of a heightened sensorial attention seems to conflict with Kaplan’s claims regarding political writing : this article provides a few elements to explain why.
Table of content
Apprenez à voir au lieu de regarder bêtement…
Bertold Brecht2
1Dans les livres de Leslie Kaplan se développe une poétique contemporaine de la flânerie, héritée de la modernité et chargée d’une exigence plus récente d’attention au détail comme à l’anodin. Un réalisme du fragment et de la notation s’essaye là, résolument ancré dans la perception individuelle et subjective et dont les enjeux s’éclairent si on les réinscrit dans le sillage de l’une des entreprises récentes d’écriture de l’espace qui a le plus marqué la littérature française depuis les années 70 : celle de Georges Perec. En effet, d’Espèces d’espaces3 à Tentative d’épuisement d’un lieu parisien4, des Choses5 à La vie mode d’emploi6, Perec déploie un mode d’écriture de l’espace porteur d’une ambition forte : celle de rompre avec les hiérarchies habituelles qui classifient les espaces entre eux, et de rendre une visibilité aux lieux que l’habitude et l’indifférence transforment en « non-lieux »7. Il s’agit d’ouvrir le regard à l’infra-ordinaire, c’est-à-dire à la fois au détail, au banal, à l’à peine remarquable du quotidien :
Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est-il ? Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire8 ?
2Dans son Georges Perec, Claude Burgelin décrit ce projet comme un programme de « passivité enregistreuse »9 de l’œil. Pourtant, cette « passivité » ne doit pas tromper : elle naît d’un déconditionnement concerté de soi, d’un effort actif en vue de défaire les lectures automatiques de l’espace.
3Cet article interroge l’écriture de l’espace dans les textes narratifs de Leslie Kaplan en y mesurant l’influence et les reprises du projet perecquien de l’infra-ordinaire, tout en pointant d’emblée quelques différences fondamentales. Ainsi, quand l’espace (privé – les chambres – ou public – la place Saint-Sulpice) se donne surtout sous la plume de Perec à partir d’une position d’observation statique, Leslie Kaplan développe dans ses romans une écriture de la flânerie, où l’espace ne se conçoit qu’à travers le regard de personnages toujours en mouvement10. Cette première différence fondamentale met en lumière une autre rupture avec la tradition perecquienne : quand l’espace, chez Perec, fait l’objet d’une description dont le pari explicite est de faire disparaître les marques de la subjectivité du regard de l’observateur, pour un enregistrement proche de la recension factuelle11, la description chez Kaplan, au contraire, procède entièrement de la subjectivité de l’observateur. Celle-ci s’exprime notamment par une attention quasi phénoménologique aux sensations qui naissent lors du parcours de l’espace urbain, à travers une écriture centrée sur le détail.
4Rendant ainsi l’espace à sa puissance d’évocation sensible, une telle écriture provoque un effet de dessillement sur le lecteur, habitué à une forme d’anesthésie inconsciente face à tout ce que recouvre le quotidien. La notion d’estrangement, développée par Carlo Ginzburg, permettra de préciser l’analyse des effets de lecture ainsi générés. À partir des sensations les plus immédiates et des habitudes les plus communes ainsi rendues à l’attention des personnages comme du lecteur, Kaplan cherche à recréer la sensation d’une appartenance partagée au monde, aux espaces de nos vies, à une communauté enfin – dans une visée explicitement politique dont on interrogera les modalités – et les limites – à la fin de cet article.
1. Paris à pas perdus
5La très grande majorité des romans de Leslie Kaplan s’ancrent à Paris. Héritière d’une longue tradition à la fois poétique et narrative, Kaplan installe ainsi son écriture dans un espace urbain déjà largement arpenté : la ville que parcourent ses personnages doit beaucoup à celle que décrit la littérature d’observation urbaine des années 1840 (celle des dandys, des flâneurs, des lorettes), à celle que traversent Baudelaire (celui des Tableaux parisiens), Apollinaire (dans « Zone », dans Le Flâneur des deux rives12), et plus tard Raymond Queneau, Jacques Réda ou encore Jacques Roubaud. L’autrice emboîte ainsi le pas de toute une tradition de la flânerie qui culmine au xxe siècle dans le projet du surréalisme.
6L’espace urbain, composante fondamentale de ces textes, est décrit au gré des déplacements des personnages qui le parcourent13. Dans Les Amants de Marie (P.O.L, 2002), Dahlia consacre son temps libre à explorer Paris à scooter et Sammy, vendeur au porte-à-porte d’abonnements à divers journaux, sillonne la ville tant à pied qu’en transports en commun ; le vieux Millefeuille est un marcheur quotidien du Montparnasse dans le roman qui porte son nom. On constate lors de ces parcours une prolifération des toponymes (stations de métro, noms de places, de rues, de quartiers, noms de magasins ou de ponts…), qui renvoient immédiatement à une entité référentielle connue. Par exemple lors de cette pause que s’accorde Sammy entre deux déplacements :
Sammy était accoudé sur le Pont de Grenelle et il rêvait. Il venait de la Maison de la Radio et avant de reprendre le RER il avait voulu faire une halte, s’arrêter sur l’eau. Il regardait en direction de Saint-Cloud, la statue de la Liberté, au loin les collines vertes et bleues, et il rêvait […]. De temps en temps il se retournait vers les hauteurs de Passy et le pont Bir-Hakeim, c’était un de ses ponts préférés […]. (AM, 266).
7L’ancrage parisien (par le nom du pont comme du bâtiment, tous deux faisant partie d’un paysage connu ; par la référence au moyen de transport) est déjà traversé par des logiques de sortie du territoire : l’eau et le rêve, selon une association bachelardienne qui double le paysage urbain d’une dimension symbolique. La teneur fortement référentielle de la description de l’espace se convertit en un principe de rêverie, où les dénominations cartographiques fournissent le matériau de la dérive onirique, mêlant fragments de la ville et retour sur la vie intérieure du personnage.
8Dans Les Prostituées philosophes (P.O.L, 1997), c’est dans le métro parisien (entre les stations Vaneau et Sèvres-Babylone) que les deux personnages principaux, Zoé et Thomas, se rencontrent dès les premières pages, et dans les rues du sixième arrondissement que se construit leur amitié.
Elle et Thomas se sont promenés, Thomas a parlé sans arrêt toute l’après-midi. […] Ils ont remonté la rue de Rennes. […] Elle écoutait et regardait autour d’elle, les magasins, vaisselle étalée sur le trottoir, instruments de musique, tentures et tissus, elle essayait de voir le plus possible, avec au bout la Tour, la garder dans l’œil tout en regardant les vitrines. Zoé essayait toujours de faire ce jeu, elle pensait qu’il lui apprenait la perspective. (PP, 11)
9Ici, d’une manière plus sensible encore que dans l’extrait précédent, c’est l’absence (ou l’abréviation) du toponyme qui engage un fonctionnement quasi déictique de la description (« la Tour » désignant la Tour Montparnasse), jouant ainsi sur la compétence encyclopédique du lecteur14 et provoquant un effet d’immersion dans les lieux de la diégèse. Le regard que le personnage promène sur la ville est animé d’une ambition de captation exhaustive, des éléments les plus notables de l’espace (la Tour Montparnasse) aux plus insignifiants (le bric-à-brac des marchandises exposées). Dans cette courte citation, la figure de l’énumération renforcée par la disparition des déterminants marque l’avidité du regard de Zoé, que l’on remarque aussi dans le désir d’ubiquité de la jeune fille qui cherche à tout contenir dans sa vision (c’est la figure de simultanéité, soulignée par le groupe participial « tout en regardant », qui l’indique ici). Le regard subjectif reconstruit le paysage urbain par ces jeux d’échelle entre gros plan sur le détail et vision d’ensemble.
10Cette attention accrue aux détails naît de l’acuité des sensations physiques dont celui-ci est la source. Dans cet extrait des Prostituées philosophes, c’est en effet aussi bien par les yeux que par les oreilles que Zoé saisit le paysage de la rue de Rennes, et le mot final de « perspective » renvoie tant à un art poétique (conjoindre dans la description goût du détail et embrassement panoramique) qu’à des considérations sur le point de vue adopté (celui, subjectif, de la jeune fille, contre une vision narrative omnisciente). Le singulier s’oppose au panoptique, les pratiques individuelles, mues par le hasard et l’hétérogène, aux organisations spatiales fonctionnelles et aux logiques surplombantes des urbanistes ou des cartographes. C’est en effet sur une éthique de la singularité que Leslie Kaplan fonde son écriture du détail, en l’opposant, sur un plan politique, à une pensée totalitaire des organisations figées :
[…] plus d’ouverture, plus de disponibilité au monde, aux rencontres, au hasard, comme le dit Freud. [La psychanalyse et la littérature] sont deux pratiques de l’étonnement. [Elles] ont en commun le refus de la catégorie, de la case et du cas15.
11Les dynamiques de déplacement qui soutiennent les romans de Kaplan – la marche, la course, les errances en transports en commun – en autant de formes possibles de la traversée qui s’inscrivent dans une conception proprement contemporaine de l’identité, traduisent des logiques alternatives d’occupation et de parcours de l’espace qui portent une résistance aux impératifs productivistes d’une société de la saturation. Fondés sur un principe déambulatoire, les romans de Kaplan peuvent ainsi être lus à la lumière que Michel de Certeau jette sur les pratiques de la marche et de la traversée. La ville devient « transhumante »16 : la marche et ses déclinaisons constituent un « espace d’énonciation »17 qui fait advenir des logiques personnelles contre toute conceptualisation systémique de la ville. Fondée sur l’aléatoire de la flânerie, l’organisation narrative des récits de Kaplan tend vers une pratique de l’« étonnement » comme mode de relation particulier à l’espace18. Celui-ci s’appuie en outre sur une poétique descriptive qui place le détail au premier plan.
2. L’hypersensualité comme lieu d’estrangement (stylistique, narratif, éthique)
12L’attention au détail dans les textes se déploie à travers une écriture de l’extrême ancrage aux accents phénoménologiques, qu’on pourrait dire hypersensuelle pour deux raisons. D’une part, l’ancrage sensoriel constitue la modalité principale de cette écriture descriptive, qui mobilise les cinq sens des personnages pour une représentation à la fois vibrante et kaléidoscopique de l’espace parcouru ; d’autre part, les sensations retenues émanent dans leur grande majorité d’éléments que les hiérarchies spatiales habituelles considèrent comme insignifiants, soit qu’ils sont trop anecdotiques pour être retenus, soit qu’ils se dissolvent dans la toile de fond du quotidien. L’infime et le banal deviennent ainsi, par retournement, le foyer d’une perception de l’espace toujours en mouvement : le parti pris de la saisie sensorielle immédiate se conjugue en effet à la déambulation, pour une expérience du monde fondée sur le sentir singulier à rebours des représentations figées19. L’écriture épouse les perceptions (pas uniquement visuelles) des personnages et saisit ainsi l’espace par le prisme des sens, sans organisation rétrospective des fragments ainsi collectés.
Le jeu : pas seulement localiser le café et savoir son nom, mais donner une caractéristique, un trait particulier qui le définirait, le ferait unique entre tous.
Les cafés de Montparnasse ou du Quartier latin. Discussions, impatience. Sentir les mots planer.
Le café au coin du quai de la Gare, juste en dessous du métro aérien, grand café, grandes vitres, lumière, la patronne un peu ridée et blonde, nostalgique.
À Ménilmontant, sur la place, en face du manège avec les chevaux de bois, couleurs, Ricard.
Place Denfert-Rochereau, prendre l’avenue René Coty, petit café quelconque, fumée, saleté, mais vue imprenable sur la vieille ligne de Sceaux.
Rue Daguerre, au milieu, café avec vins.
Métro Edgar-Quinet, le nom, le Liberté, et la surface, joyeuse et rebondie, ouverte.
Repensant à ce jeu : il faut être étranger pour inventer ça (Mon Amérique commence en Pologne, 13-14).
13Si l’extrait provient d’un texte particulier au sein du corpus narratif de Kaplan, puisque Mon Amérique commence en Pologne (P.O.L, 2009) se donne comme un récit ouvertement autobiographique, le principe fondateur de la description de l’espace ne change pas pour autant : aussi pour distinguer les cafés parisiens suffit-il de repérer le trait marquant, le détail singulier, qui rend ce lieu reconnaissable parmi d’autres : atmosphère sonore, luminosité particulière, boisson servie là et pas ailleurs, vue sur la ville. Chaque café se distingue donc davantage par l’impression sensorielle qui s’en dégage que par un élément aux contours définis : le détail désigne, chez Kaplan, l’élément distinctif par quoi un lieu, un objet ou un être se révèlent dans leur caractère radicalement unique. Les lieux sont donc tout entiers contenus dans le ressenti sensible des différents observateurs qui les décrivent. Hypersensuel, le paradigme du détail kaplanien engage donc une phénoménologie de l’écriture qui cherche à transformer des percepts en événements narratifs, selon une véritable herméneutique du détail :
Qu’est-ce qu’un détail ? Le détail est un éclat de réel. Il indique un sens. Pas LE sens, mais DU sens. Il « fait signe ». Petit et plein et inépuisable, il donne le monde, la société et fait qu’à travers lui, avec lui, on voit, on entend, on éprouve20.
14Ce mode de représentation du monde par des détails comme saisis au vol engage un « retournement du regard »21 aux implications éthiques : les personnages, dans la curiosité dont ils font preuve face au monde, bousculent les hiérarchies établies des espaces et des êtres en accordant leur pleine attention aux éléments d’un quotidien dont l’habitude tend à gommer le relief à nos yeux. Dans cette perspective, l’assertion finale de la citation de Mon Amérique commence en Pologne engage une double interprétation. Certes, l’ami américain dont il est ici question de l’érudition en matière de cafés est bel et bien de nationalité étrangère ; pourtant, on peut aussi lire cette remarque humoristique comme une injonction à effectuer soi-même ce saut en dehors des représentations habituelles et des images d’Épinal : à engager pour soi ce programme d’estrangement, tel que le développe Carlo Ginzburg (après Victor Chklovski). Dans la perspective de Ginzburg, l’art se doit en effet de restaurer une distance avec son objet afin de « ressusciter notre perception de la vie, [de] rendre les choses à nouveau sensibles »22. Là se joue la dimension critique de cette éthique de l’infra-ordinaire, dont le détail constitue l’une des modalités possibles : il s’agit de soumettre le réel à un effet de défamiliarisation qui renouvelle le regard plus qu’il ne suscite l’adhésion de la reconnaissance. L’écriture passe le monde au crible de sa matérialité : le détail sensible devient donc chez Kaplan un foyer d’interrogation de nos manières d’être au monde.
15Cet exercice de défigement du regard se traduit par un travail de défigement symétrique de la langue (principe stylistique) et du récit (principe narratif). Toute une stylistique du détail se déploie en effet dans ces textes : la métonymie (qui fait jouer la partie de préférence au tout) et l’asyndète (qui permet la libre création de liens entre chaque fragment, sorti des réseaux de sens imposés) en sont les figures stylistiques fondamentales23. Les procédés d’arrêt sur image travaillent l’écriture dans une visée conjointe de dilatation du temps et de valorisation de l’infime. Le caractère minimaliste des phrases courtes, souvent nominales, des procédés de juxtaposition et de l’usage du présent d’énonciation doivent également se comprendre selon ce principe, dont découle une forme de subversion narrative : l’inventaire, la liste, le fragment et le blanc s’opposent en effet à l’instauration d’une tension narrative, et constituent un principe d’écriture romanesque paradoxal.
16Si donc une saisie phénoménologique, c’est-à-dire immédiate de ce qui est, se joue bien au niveau des personnages, le choix narratif porte, lui, une intention démonstrative forte qui détourne ce principe initial pour en faire le véhicule d’une médiation, par mimétisme, entre le lecteur et son propre espace. L’hyper-réceptivité des personnages se convertit en effet en opérateur de visibilité qui récuse les hiérarchies traditionnelles des lieux et place ostensiblement le banal, le trivial et le quotidien sur le devant de la scène. L’acuité des sens est un embrayeur de questionnement, ou plutôt de remise en question de ce à quoi on ne prête plus attention : les organisations (spatiales, sociales) établies, les paysages quotidiens. C’est contre ce point de vue surplombant que l’autrice écrit, attentive à faire ressortir les détails singuliers comme autant d’invitations à la pensée. Ces caractéristiques stylistiques et narratives ont partie liée avec les devenirs de l’ambition réaliste contemporaine, fondée sur une invitation à sentir avec les personnages sans chercher à développer de savoir surplombant sur le monde. Il se joue ainsi dans ce principe d’écriture une volonté critique, qui tient à distance les discours préconstruits tant sur l’espace que sur les manières de l’investir.
3. Le détail contre le système : des limites de l’écriture phénoménologique pour la critique politique
17Si sociologie et géographie sociale se mêlent dans la représentation de la ville comme territoire et nourrissent le travail de Kaplan depuis ses débuts, particulièrement dans son lien avec la méthode sociologique de l’observation participante et dans le cadre de son engagement maoïste des années 68, il me semble toutefois que cette dimension critique, largement affichée dans les nombreux entretiens de l’autrice, tend à s’estomper dans les principes de l’écriture hypersensuelle que cet article veut mettre au jour.
18Dans la série Depuis Maintenant, d’où proviennent tous les exemples cités ici, les lieux parisiens apparaissent comme un réseau de signes qui informent la constitution des personnages. Sur le plan diégétique, les espaces urbains sont une émanation de leur personnalité en même temps qu’ils symbolisent leur identité sociale : ainsi Marie et Simon le psychanalyste déambulent dans le centre de Paris, Millefeuille arpente quotidiennement le quatorzième arrondissement, quand Dahlia et Rachid habitent la banlieue et découvrent Paris en étrangers. L’opposition entre les imaginaires géo-culturels auxquels sont clairement attachés les noms des personnages est redoublée par les disparités socio-économiques qui caractérisent les espaces que les uns et les autres fréquentent. Pour cette démonstration, l’exemple de Dahlia est particulièrement parlant. Lorsque celle-ci enfourche son scooter pour visiter Paris, elle incarne en effet un geste d’affranchissement sur plusieurs niveaux : spatial d’abord, en rompant avec un imaginaire cloisonnant qui opposerait la banlieue à la grande ville24 ; mais aussi genré, et il n’est pas anodin, au sein d’un personnel romanesque tout entier conçu selon des rapports binaires d’opposition ou de correspondance, qu’à l’immobilité paresseuse du frère (Rachid) réponde l’indépendance énergique de la sœur. Les stéréotypes du masculin et du féminin s’inversent, et c’est la jeune fille qui se rêve en conquérante des espaces inconnus quand le jeune homme demeure au foyer maternel. « [Ç]a m’intéresse trop » (AM, 264), lance ainsi Dahlia dont la libido sciendi redouble, selon un principe fort de la série, celle du personnage de Marie, dont le surnom donne son titre au premier tome de la série (« Miss Nobody Knows »).
19Paradoxalement toutefois, dans la perspective critique dont se réclame Kaplan notamment dans ses essais théoriques, deux espaces, Paris et sa banlieue, demeurent résolument imperméables l’un à l’autre dans ses romans. À Dahlia, figure de la seconde, s’oppose Millefeuille en homme du centre parisien, et les lignes que chacun tient pour une frontière : le périphérique pour l’une, la Seine pour l’autre lorsqu’il quitte la Rive gauche pour une séance de shopping aux Galeries Lafayette. Par ailleurs, les rencontres entre personnages issus de catégories socio-économiques distinctes sont moins informées par une lecture sociologique que par une hantise de la communication impossible : c’est Millefeuille face à Ernest, personnage de sans-abris sublimé dans une figure de folie pythique à valeur métaphorique (plutôt que sociologique ou politique), ou face à Loïc et Christelle, adolescents fugueurs et farouches.
20On voit bien les limites de ce qu’Alexander Galloway décrit, certes un peu rapidement, comme « une politique de la phénoménologie » : « par-delà les ravages de la vie moderne, revenir à un mode d’être plus poétique, inspiré par le soin et la sollicitude »25. La dimension politique de la phénoménologie se jouerait « par-delà » la vie moderne, c’est-à-dire en dehors du monde ; elle engage un « mode d’être » résolument individuel, puisqu’il est fondé sur un rapport sensible et subjectif au réel. L’écriture de l’espace kaplanienne se résorbe dans un rapport « poétique », pathique, au monde. À rebours d’une lecture matérialiste qui donnerait accès à une réflexion à l’échelle systémique, la poétique romanesque de l’extrême ancrage que prône Kaplan semble ainsi trouver son aboutissement dans des accents phénoménologiques qui retournent, in fine, le monde sur l’humain et qui déshistoricise les lieux - puisque l’échelle de l’espace, depuis les débuts, est alignée sur celle de l’intime et non du collectif26. Pour comprendre la manière dont Kaplan articule son travail avec les enjeux politiques par ailleurs très présents dans le discours d’accompagnement dont elle entoure son œuvre, il faut alors entendre « politique » au sens que défend par exemple Jacques Rancière lorsqu’il réfléchit au rôle primordial de la littérature dans un nouveau « partage du sensible27 » : dans cette perspective, le travail de la langue, tout symbolique soit-il, est tenu pour un outil fondamentalement politique. Le rapport critique à la langue devient le lieu par excellence du souci politique contemporain.
21En conclusion, les personnages kaplaniens incarnent donc une force de décentrement des représentations et de défigement du regard qui reprend, avec les déplacements que cet article a voulu mettre en lumière, le pari éthique autant qu’esthétique de l’infra-ordinaire perecquien. Flâneurs plutôt qu’arpenteurs, promeneurs oisifs plutôt que recenseurs du réel : le regard que les personnages de Kaplan portent sur la ville, et qui en informe la représentation, s’inscrit dans une lecture subjective hypersensuelle de l’espace. Dans le sillage de Perec, ce parti pris engage ainsi une conversion du regard au détail et au banal qui s’adosse contre les systèmes de sens existants pour mieux en récuser les hiérarchies implicites, et faire saillir au contraire les aspérités d’un réel dont les fragments constituent autant d’invitations au partage.
22Le regard comme la lecture se conçoivent en effet, chez Kaplan, comme des pratiques du lien, d’investissement de lieux rendus à la possibilité d’une communauté par ce geste même. L’écriture hypersensuelle de la flânerie contemporaine fait appel au corps pour retrouver dans sa matérialité des manières immédiates, démocratiques, d’habiter le monde. Ceci nous appelle à dépasser l’opposition engagement/implication devenue un poncif de la critique récente, pour circonscrire plutôt les lieux où se lit le souci politique du contemporain en régime fictionnel. C’est dans ce questionnement que s’inscrit l’écriture kaplanienne de l’espace. Tout en éclairant les modalités singulières de cette écriture originale parmi le corpus contemporain, au sein d’une œuvre souvent lue à la lumière des clés de lecture proposées par son autrice elle-même dans ses essais théoriques28, cet article aura voulu faire la part des soubassements théoriques et de la mise en œuvre littéraire de celles-ci, quitte à en interroger les éventuelles contradictions.
Bibliography
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- « Le refus du cas », Le magazine littéraire, n° 473, mars 2008, repris dans « Le détail, le saut et le lien » in Kaplan Leslie, Les Outils, 2003 [en ligne]. Disponible sur http://lesliekaplan.net/le-detail-le-saut-et-le-lien/article/le-refus-du-cas, consulté le 05.09.2019.
- « Écrire avec Mai 68 » [en ligne]. Disponible sur http://lesliekaplan.net/le-detail-le-saut-et-le-lien/article/ecrire-avec-mai-68, consulté le 17.09.2019.
Lefort-Favreau Julien, « Les communautés littéraires de Leslie Kaplan. De l’usine à l’atelier d’écriture, l’égalité des intelligences », in Jean-François Hamel et Julien Lefort-Favreau (dir.), Tangence, n° 107, « Des communautés de lecteurs », 2015, pp. 55-72. [En ligne], disponible sur https://www.erudit.org/fr/revues/tce/2015-n107-tce02164/1033950ar/, consulté le 13.04.2019.
Milne Anna-Louise, « Café Kaplan. Scène de la vie quotidienne », in Mireille Hilsum (dir.), Leslie Kaplan, Paris, Classiques Garnier, 2016, coll. « Écrivains francophones d’aujourd’hui », pp. 113-127.
Samoyault Tiphaine, « Avec », in Mireille Hilsum (dir.), Leslie Kaplan, Paris, Classiques Garnier, coll. « Écrivains francophones d’aujourd’hui », 2016, p. 103-111.
Thomas Rachel, « La marche en ville. Une histoire de sens » in L’espace Géographique, n° 1, 1er trimestre 2007, pp. 15-26. [En ligne], disponible sur https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00388489/document, consulté le 13.04.2019.
Notes
1 Cet article paraît avec le soutien de la Fondation des Treilles (Prix Jeune chercheur 2018), que je remercie. La Fondation des Treilles, créée par Anne Gruner Schlumberger, a notamment pour vocation d’ouvrir et de nourrir le dialogue entre les sciences et les arts afin de faire progresser la création et la recherche contemporaines. Elle accueille également des chercheurs et des écrivains dans le domaine des Treilles (Var) www.les-treilles.com.
2 Brecht Bertold, La Résistible Ascension d'Arturo Ui, 1959. Cité par Kaplan Leslie, « Écrire avec Mai 68 » [en ligne]. Disponible sur http://lesliekaplan.net/le-detail-le-saut-et-le-lien/article/ecrire-avec-mai-68, consulté le 17.09.2019.
3 Perec Georges, Espèces d’espaces, Paris, Galilée, 1974.
4 Perec Georges, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, [Cause commune 1975], Paris, Christian Bourgois, 1982.
5 Perec Georges, Les Choses. Une histoire des années 60, Paris, Juillard, 1965.
6 Perec Georges, La vie mode d’emploi, Paris, Hachette, 1978.
7 Augé Marc, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Éditions du Seuil, coll. « La librairie du xxie siècle », 1992.
8 Perec Georges, « Approches de quoi ? », L’infra-ordinaire [Cause Commune, n° 5, 1973], Paris, Éditions du Seuil, 1989, p. 11. Je souligne.Perec Georges, « Approches de quoi ? », L’infra-ordinaire [Cause Commune, n° 5, 1973], Paris, Éditions du Seuil, 1989, p. 11. Je souligne.
9 « Laisser patiemment la passivité enregistreuse de l’œil se convertir en activité verbale. Surtout, oublier les idées et les mots reçus, qu’ils viennent de la littérature, de la sociologie ou d’ailleurs. En revanche, écrire avec ce que l’on ne sait pas. Trouver comment dire son intimité ou son étrangeté avec les espaces par des mots simples, des approches désarmées, des recherches tâtonnantes. Retrouver l’abrupt, l’incongru, le percutant des questions et divagations de l’enfance. » Burgelin Claude, Georges Perec, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Les contemporains », 1988, pp. 125-126.
10 Je m’intéresse ici au corpus narratif de Kaplan, ce qui exclut de ces premières considérations, entre autres, L’Excès-l’Usine, où la description procède d’une assignation à l’immobilité qui contribue à la dimension carcérale du monde de l’usine.
11 Zenetti Marie-Jeanne, Factographies. L'enregistrement littéraire à l'époque contemporaine, Paris, Classiques Garnier, coll. « Littérature, histoire, politique », 2014.
12 Premier poème d’Alcools (1913). Voir aussi Le Flâneur des deux rives, Éditions de la Sirène, 1918 ; et les « poèmes-conversations ». Guillaume Apollinaire, « Simultanisme-librettisme » [1914], repris in Œuvres en prose complètes, II, éd. Pierre Caizergues et Michel Décaudin, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 974-982, p. 976). Voir Cohen Nadja, Les poètes modernes et le cinéma (1910-1930), Paris, Classiques Garnier, coll. « Études de littérature des xxe et xxie siècles », 2013 (particulièrement les pages 57-61). Voir quant à l’imaginaire de la flânerie Benjamin Walter, Paris capitale du dix-neuvième siècle. Le livre des passages [1989], trad. Jean Lacoste, Paris, Les Éditions du Cerf, 1993.
13 Stéphane Bikialo montre bien l’importance prééminente de l’espace urbain chez Leslie Kaplan dans Bikialo Stéphane, « Le détail, le réel », in Mireille Hilsum (dir.), Leslie Kaplan, Paris, Classiques Garnier, coll. « Écrivains francophones d’aujourd’hui », 2016, pp. 85-102, p. 100.
14 Voir Eco Umberto, Lector in fabula ou la coopération interprétative dans les textes narratifs [1979], trad, Myriem Bouzaher, Paris, Bernard Grasset, coll. « Figures », 1985, particulièrement le chapitre « L’encyclopédie », pp. 99 et sqq.
15 Kaplan Leslie, « Le refus du cas », Le magazine littéraire, n° 473, mars 2008, repris dans « Le détail, le saut et le lien » in Leslie Kaplan, Les Outils, 2003 [en ligne]. Disponible sur http://lesliekaplan.net/le-detail-le-saut-et-le-lien/article/le-refus-du-cas, consulté le 05.09.2019. Voir aussi, plus haut dans le même texte : « […] la littérature ne se fait pas avec des généralités, des explications, des proclamations d’intentions, mais avec des détails surprenants, qui peuvent sembler insignifiants mais qui questionnent les clichés, les façons de penser habituelles et routinières, les discours tout faits, toutes les formes de bêtise, d’“idées reçues” (Flaubert), toutes les “paroles gelées” (Rabelais) ».
16 Certeau (de) Michel, « Le parler des pas perdus », in L’Invention du quotidien. I. Arts de faire [1980], Paris, Éditions Gallimard, coll. « Folio », 1990, p. 142 (italiques d’origine). Voir également « tout cheminement, tout habiter se donnent non seulement comme structures, figures mais aussi comme configuration, structuration c’est-à-dire déformation du bâti tel qu’il était conçu et recréation de l’espace par le sentir et la motricité » (je souligne), Augoyard Jean-François, Pas à pas. Essai sur le cheminement quotidien en milieu urbain, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Espacements », 1979, p. 119, cité dans Thomas Rachel, « La marche en ville. Une histoire de sens » in L’espace Géographique, n° 1, 1er trimestre 2007, pp. 15-26. [En ligne], disponible sur https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00388489/document, consulté le 13.04.2019. La citation apparaît p. 9 du document pdf.
17 Certeau (de) Michel, « Le parler des pas perdus », op.cit., p. 148.
18 Selon Jean-Luc Joly, la flânerie entendue comme une pratique de l’espace constitue en effet un geste délibéré de dérive spatiale, une « entreprise post-situationniste de déconditionnement, d’abandon au divers, de pari sur la surprise et la nouveauté, de “déroute”, de “déterritorialisation” ». Joly Jean-Luc, « Succession de lieux : Georges Perec, Thomas Clerc », in Maryline Heck (dir.), Filiations perecquiennes, Bordeaux, Le Castor astral, 2011, pp. 161-184, p. 168.
19 « La tradition phénoménologique définit une forme de participation de l’être au monde, de l’ordre de l’impulsion. Précisément, elle désigne l’acte original par lequel l’homme répond dans l’immédiateté aux sollicitations (visuelles chez Merleau-Ponty) de l’environnement. La motricité réfère ainsi à une expérience pathique et restrictive du monde, c’est-à-dire non réflexive, de l’ordre du sentir, pendant laquelle l’homme s’éprouve comme un être en devenir ». Thomas Rachel, « La marche en ville. Une histoire de sens », op.cit. La citation apparaît p. 10 du document pdf (note 6).
20 Kaplan Leslie, « Roman et réalité » [2007], Paris, Christian Bourgois, coll. « Titres ». Repris dans « Le détail, le saut et le lien » [En ligne]. Disponible sur http://lesliekaplan.net/le-detail-le-saut-et-le-lien/article/roman-et-realite, consulté le 05.09.2019.
21 de Certeau Michel, L’Invention du quotidien 2. Habiter, cuisiner [1980], éd. Luce Giard, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1990, p. V.
22 Le terme « estrangement » est celui que choisit Pierre-Antoine Fabre pour traduire le russe « ostranienie », dans sa traduction d’un article de Ginzburg Carlo: « L’estrangement. Préhistoire d’un procédé littéraire », inGinzburg Carlo, À distance. Neuf essais sur le point de vue en histoire [1998], trad. Pierre-Antoine Fabre, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 2001, pp. 15-36, p. 16.
23 Voir, dans ce même ouvrage, les réflexions de Théo Soula autour de l’écriture chorographique de l’espace dans la littérature contemporaine, en poésie et en prose.
24 La bipartition entre Paris et la banlieue est un schème récurrent des romans de Kaplan. Lise est ainsi le premier personnage de l’œuvre à arpenter cet espace particulier, dont le nom suffit à le définir sans qu’aucune indication géographique précise ne soit donnée. L’espace périphérique ne se définit que par défaut (la banlieue entendue comme le dehors de Paris). Il est désigné par un hyperonyme au sémantisme saturé : « Lise éprouve par elle-même une sorte d’incertitude quand elle se rend, comme elle le fait presque tous les matins, en banlieue. » (L’épreuve du passeur, P.O.L, 1988, p. 50) ; et aussi : « Elle ne dit rien de la banlieue, elle dit seulement qu’elle ne déteste pas prendre le train, partir et revenir » (Ibidem, je souligne). La poétique de l’enregistrement souscrit ici à une très forte polarisation sociologique des espaces, selon une bipartition centre/périphérie subsumée dans un imaginaire manichéen où s’opposent le plein (centres-villes animés, lieux de rencontres et de hasards heureux) au vide (la périphérie comme espace délaissé).
25 Alexander R. Galloway, Les nouveaux réalistes. Philosophie et postfordisme. Catherine Malabou, Bernard Stiegler, Mehdi Belhaj Kacem, Quentin Meillassoux, François Laruelle, trad. Clémentine Duzer et Thomas Duzer, Paris, Léo Scheer, 2012, p. 111.
26 C’est précisément ce que salue Marguerite Duras dans l’entretien qu’on retrouve sur Les Outils : « […] vous parlez de l’usine au-delà de l’usine », pour signifier que c’est de son essence qu’il s’agit, du lieu plus que des conditions de travail. Tiphaine Samoyault, au contraire, considère la mise en évidence du caractère intime de l’expérience comme la condition de possibilité de sa mise en partage. Elle écrit ceci : « L’écrivain, même celui qui s’est “établi”, comme Linhart, comme Kaplan, ne prend jamais la réalité pour établie (…) Il la porte jusqu’à son point d’irréalité, qui est en quelque sorte son point critique où celle-ci peut se découvrir vraiment. Si l’expérience est décisive, elle doit aussi être surmontée. C’est encore un ordre au-dessus duquel il faut sauter. À cette seule condition, le travail “avec” est en même temps travail avec ses deux antonymes, “contre” et “sans” : aller au plus nu de l’expérience, savoir à son tour la dénuder – devenir sans – pour exprimer sa généralité, qui n’est pas une essence, mais un commun ; jouer contre l’immédiateté individuelle de l’expérience, ce qui en subsiste d’affect et d’exception, afin de réinventer la chose. » Samoyault Tiphaine, « Avec », in Mireille Hilsum (dir.), Leslie Kaplan, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 103-111, p. 107. Mise en commun contre essentialisation, donc, mais communauté, peut-être, au prix d’un affaiblissement du politique dans l’ordre du symbolique.
27 Rancière Jacques, Le Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, Éditions de La fabrique, 2000.
28 Kaplan Leslie, Les Outils, P.O.L, 2003.
To cite this article
About: Morgane Kieffer
Université Paris Nanterre
CSLF – Observatoire des Écritures contemporaines
Morgane Kieffer a soutenu à l’automne 2018, avec le soutien de la Fondation des Treilles, une thèse intitulée : « Le romanesque paradoxal. Formes et usages contemporains de l’esthétique romanesque chez Leslie Kaplan, Jean-Philippe Toussaint, Tanguy Viel et Christine Montalbetti (1982-2018) », sous la direction de Dominique Viart.
Ses travaux portent essentiellement sur les renouvellements des écritures romanesques contemporaines, chez ces auteurs en particulier (Fabula, Romanesques, Roman 20-50, Sites, Fixxion) mais aussi chez Laurent Mauvignier, Georges Perec, Yves Ravey, Hélène Lenoir, ou Marie Redonnet. Depuis 2018, elle collabore également au magazine culturel en ligne Diacritik, et fait partie du comité d’organisation des Enjeux contemporains de la littérature (en partenariat avec la MéL).