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- Volume 12 - 2022 : Varia
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De l’interprétation figurale chez Auerbach à la pratique du montage
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Cet article vise à aborder la question de la figure en tant que multitude temporelle et méthode d’analyse des images, qui est proprement liée à la pratique du montage. En revenant vers l’œuvre philologique d’Erich Auerbach, qui explore le double sens de la figura, autrement dit, son ambivalence conceptuelle, nous essayerons de considérer comment ce concept se transforme en une catégorie du temps historique. Nous explorerons cette problématique par les gestes suivants : d’un côté, l’analyse de l’interprétation figurale d’Auerbach et, de l’autre, le commentaire de certaines séquences des films L’Évangile selon Saint Mattieu (1964) de Pier Paolo Pasolini et Histoire(s) du cinéma (1988-1998) de Jean-Luc Godard dans lesquels nous découvrons des figures métahistoriques, qui sont fortement marquées d’une certaine pensée fragmentaire — celle du montage.
Abstract
This paper aims to approach the question of the figure as a temporal multitude and method of image analysis, which is inherently related to the practice of montage. By returning to the philological work of Erich Auerbach, who explores the double meaning of the figura, in other words, its conceptual ambivalence, we will try to consider how this concept is transformed into a category of historical time. We will explore this problematic through the following gestures: on the one hand, the critical analysis of Auerbach’s work on figural interpretation and, on the other hand, the commentary of some sequences of Pier Paolo Pasolini’s The Gospel According to St. Matthew (1964) and Jean-Luc Godard’s Histoire(s) du cinéma (1988-1998) as indicative paradigms of a movement directed by the relationships of figures whose function resembles that of the fragmentary thought that operates the montage.
Table des matières
Introduction
1Pour nous, la figure cinématographique concerne à la fois une multitude temporelle et une méthode d’analyse des images, qui est en rapport avec la pratique du montage. Nous nous approprions le terme de figure, tel que nous le retrouvons tout d’abord dans l’œuvre de Godard, selon lequel la figure cinématographique est une figure à la fois projetée et construite par le montage. Ce dernier dépasse les limites d’une pratique tout simplement reproductive, étant donné qu’il concerne potentiellement une pratique conjonctive et comparatiste orientée vers la fabrication de rapports nouveaux, d’analogies, et de métaphores. Le montage revient vers des enjeux éthiques et esthétiques à la fois, il fait apparaître les temporalités toujours au pluriel et en leur synchronie dynamique.
2En guise de conclusion de son film Histoire(s) du cinéma, Godard, en montrant ses mains à la table de montage, écrit sur l’écran : « Rapprocher les choses qui n’ont encore jamais été rapprochées et ne semblaient pas disposées à l’être ». Cet aphorisme manifeste bien son invitation à un acte de création, à une expérimentation avec de nouveaux rapprochements imprévisibles, qui ne sont autres qu’ajouts dans le monde, toujours avec ou par ou à travers les éléments de ce monde, d’un monde incessamment en construction et sans aucune finalité1. Autrement dit, le montage est conçu comme un acte de toucher, qui nous invite à voir avec les mains, ainsi qu’à toucher avec les yeux.
3Dans ce cadre, le montage devient une force corporelle, autrement dit, une force, qui, en se basant sur les possibilités du corps, construit de nouveaux rapprochements. C’est pourquoi Godard déclare que le montage est la seule invention du cinéma, autrement dit, il concerne la méthode du cinéma2. Le montage devient la pratique qui nous permet de réfléchir sur la possibilité de la construction d’une histoire figurale, c’est-à-dire d’une histoire, non plus écrite mais rendue sensible par et à travers des figures.
4En revenant vers l’œuvre philologique d’Erich Auerbach, qui explore le double sens de la figura, nous essayerons de considérer comment le concept de figure se transforme en une catégorie du temps historique. Auerbach souligne la différence entre l’interprétation figurale et la compréhension de l’histoire par l’homme moderne, en montrant que ce dernier entend les événements historiques dans leur succession chronologique, tandis que l’interprétation figurale est capable de relier deux événements chronologiquement ou causalement éloignés l’un de l’autre, en leur attribuant une signification caractéristique commune, de même que plusieurs figures cinématographiques sont liées sur la table de montage. Dans cette ligne de pensée, pour bien décrire l’image cinématographique nous devrons trouver un concept et une méthode capable de s’éloigner des présupposés de l’image en tant qu’imitation ou représentation.
5Nous explorerons cette problématique par les gestes suivants : d’un côté, l’analyse de l’interprétation figurale selon Auerbach et, de l’autre, le commentaire de certaines séquences des films L’Évangile selon Saint Mattieu (1964) de Pier Paolo Pasolini et Histoire(s) du cinéma (1988-1998) de Jean-Luc Godard. Nous considèrerons ces séquences comme paradigmes indiciaires d’un va-et-vient orienté par les rapports des figures dont la fonction ressemble à celle de la pensée fragmentaire qui opère le montage. Précisément, Godard vise à découvrir cette tierce image dont les éléments sont d’abord la variation d’une conjonction et d’une comparaison. Pour sa part, Pasolini construit les rapports des images en se basant sur un schème d’analogie qui renouvèle les rapports des éléments poétiques et matériels.
2. Auerbach : de la figure à l’interprétation figurale3
6La figure cinématographique de Godard se situe dans un espace « entre deux » construit par les opérations du montage et de la projection. Godard, depuis les années 1960, s’engage à rechercher à travers le cinéma un certain ordre, une certaine cohérence, qui pourra se présenter sous la forme d’un puzzle, sous la forme d’images montées, remontées et démontées4. Plus encore, depuis les années 1980, s’orientant vers l’approfondissement de la recherche concernant les rapports entre le cinéma et l’histoire, il déclare de manière aphoristique que « histoire=cinéma », ainsi que « l’histoire du cinéma c’est une histoire de la projection des figures5 ».
7Ce sont exactement ces aphorismes qui nous conduisent à poser les questions « comment comprendre une figure ? » et « comment les figures peuvent-elles faire de l’histoire ? ». L’ambivalence conceptuelle et les tropes de liaison des figures entre elles sont les deux axes principaux qui nous permettront de problématiser la méthode de l’analyse figurale au sein du cinéma et, précisément, dans le cadre des films Histoire(s) du cinéma et L’Évangile selon Saint Mattieu, en visant à traiter les affinités de l’histoire et de la figure.
8Il faudrait donc poser la question : le concept de figure pourrait-il être au cœur d’une nouvelle méthode d’analyse à la fois filmique et historique ? Que peut cette analyse ? Et pourquoi choisissons-nous Auerbach comme notre interlocuteur central ? Chez Auerbach, nous voyons que le concept de figure adopte une ambivalence significative. La figure, qui se construit sur plusieurs couches, possède dans toute son histoire les forces de sa déconstruction, et même de sa reconstruction conceptuelle. Elle est à la fois une abstraction, en signifiant la représentation, le rêve, la réminiscence, le schème au sens de la forme de pensée, et également une fabrication, le résultat d’un processus constructif et tactile.
9En grec ancien, le terme schème (σχῆμα) signifie en première approche la forme extérieure ou l’apparence en opposition à la réalité, en plus, l’ombre sans réalité. En latin, l’étymologie du terme figura est liée aux verbes fingere (façonner), figulus (potier) et fictor (sculpteur, modeler) ainsi qu’au terme effigies qui signifie l’image, le portrait, le statue, ou mieux, à son origine, l’objet façonné6. Donc, nous pouvons observer que pour la première fois la figura prend en latin le sens de la construction ou, plus précisément, de la construction modelée à la main. Mais encore malgré le fait que les verbes figulus, fingere, fingo maintiennent un sens plastique, la figura elle-même, comme traduction plus générale du terme schème (σχῆμα), a perdu, selon Auerbach, en quelque degré, sa signification plastique étant donné qu’elle englobe en même temps l’apparence sensible et la forme grammaticale, rhétorique, logique, mathématique et, plus tard, musicale et chorégraphique7.
10Nous dirions donc que, pour Auerbach, la figura est d’abord un objet modelé, ou parfois moulé8. Mais ce sens premier s’étend dans deux directions : l’apparence, le semblant, le mime, et finalement toute forme perceptible, d’une part ; la figure rhétorique, le trope, ou encore, le style, d’autre part. Car Auerbach découvre dans la littérature latine un réseau de significations du concept de figura, qui non seulement transcende son caractère soit représentatif soit constructif, mais le relie au problème de l’expression au sein de la langue. Selon Auerbach, chez Cicéron la figura correspond aux schèmes et aux attitudes du discours. Mais ce qui est encore plus important, au sein de la pensée cicéronienne, c’est que la figura se rapproche du concept de style9.
11Cicéron n’emploie pas la figura en termes de technique qui décrirait les ornements du discours, mais attribue à celle-ci, comme style, la signification de l’éloquence10. En ce sens, nous dirions que la figure n’est pas le style en général, encore mieux, elle correspond au style vivant et clair autrement dit, à la catégorie de l’éloquence ou de l’enargeia en grec ancien, qui nous offre une certaine perspective de l’objet décrit.11 Chez Cicéron la figure prend d’abord le sens du discours figuré et du style, s’inscrivant clairement et distinctement dans la tradition rhétorique et s’éloignant de son faisceau de significations littérales, représentatives ou imitatives. La figure comme style chez Cicéron acquerra une dynamique inattendue : elle n’est ni les métaphores et les images qui s’ajoutent sous forme d’ornement au discours, ni l’achèvement paradigmatique d’une argumentation, c’est-à-dire le complément d’un discours principalement démonstratif ; elle est plus encore la liaison du discours démonstratif et du discours paradigmatique dans le concept de style, c’est-à-dire dans le concept de figure. Une histoire enargis transforme la narration linéaire d’une séquence d’événements en une présentation discontinue, synchronique et éloquente à la fois dans des montages de figures partielles.
12Second sens : la notion de figure est conçue dans l’entreprise herméneutique que l’on a appelée l’« interprétation figurale » de l’Ancien Testament12. La figure est ici une opération abstraite, même transcendante, qui assure la correspondance terme à terme, sur le mode de la « prophétie en acte », entre le texte vétérotestamentaire et celui du Nouveau Testament13. Par conséquent, la figure se manifeste à la fois en tant que rapport d’événements ou personnes concrets et opération abstraite qui visent à construire une certaine vérité, autrement dit, un certain sens de cette rencontre entre figure et accomplissement, sens dont la temporalité est bien évidemment anachronique. De ce point de vue, l’opération historique dont la fonction pourrait se résumer sous le terme d’anachronisme est celle qui permet le passage du concept de figure du monde sensible au monde transcendant. L’interprétation figurale, ou ce que nous appelons d’une manière plus générale l’analyse figurale, insiste sur le fait que l’image pense. L’objet de l’analyse figurale n’est pas l’œuvre elle-même mais la position d’un problème par la nature figurale de l’œuvre14. Autrement dit, cette analyse, qui se focalise sur ce caractère anachronique, engendre une problématique dont le contenu et le style d’expression à la fois est le rapport en tant que tel.
13L’image pense : à propos de cette formulation du théoricien du cinéma Jacques Aumont qui reprend l’œuvre d’Auerbach, nous dirons qu’il y a un rapport de l’image à la pensée, et inversement que l’image est un moyen de transport de la pensée15. L’insistance mise ici par Aumont peut se comprendre comme le simple renvoi vers l’intuition kantienne. Chez Kant, le schème direct, si « pure » soit-elle, si proche de la Raison, promeut une pensée, qui doit être exprimée (présentation vive et « imagée »).16 Le schème direct rapproche, de ce point de vue, l’enargeia de la rhétorique antique et aussi le style au sens cicéronien du terme, c’est-à-dire expression d’une image vivante ou éloquente. L’image non mentale, c’est-à-dire l’image fabriquée, entre en relation avec le sens, parce qu’elle répète des métaphores qui se sont produites dans la pensée même17. Dans ce cadre, l’image n’a guère à voir avec le mimétique18. C’est pourquoi Aumont revient vers l’œuvre d’Auerbach : il trouve dans cette œuvre la possibilité de distinguer l’image et la figure et, en même temps, de décrire une méthode ou mieux une anti-méthode de la recherche de la figure qui reste cachée dans l’image visible.
14Donc, la question principale pour l’analyse figurale selon Aumont est la suivante :
Quelle est cette force de l’image qui autorise ou même si souvent force à interpréter, à inventer du sens ? […] elle est celle de la figure dans l’image19.
15La vraie surface de l’image est la figure, ou, pour le dire avec les mots de Godard, c’est « l’écran [qui] offre l’analyse concrète d’une situation concrète20 ». Donc, en nous référant à l’analyse figurale, nous ne décrivons pas une méthodologie dogmatique, bien ordonnée, et fermée. Elle n’est pas une esquisse dont la première tâche est la découverte de la vérité, mais la manifestation des rapports entre les figures causalement, temporellement ou spatialement éloignées l’une de l’autre et la production d’une certaine vérité, d’une vérité concrète et fondée sur les rapports violents des éléments minuscules. Ainsi, ce qui est proposé dans le cadre de l’analyse figurale c’est une construction qui est établie, sans jamais être stabilisée, par rapport au schème « à la fois… et ».
16L’œuvre d’Auerbach est la première qui adopte la notion théologique de typologie dans les études littéraires. Pour la première fois, la figure est à la fois une entité vivante et historique et le signe de l’existence de quelque chose d’extérieur ; elle est plus grande qu’elle-même21. Auerbach affirme ainsi que les écrits du début du christianisme, en essayant de rapporter tout terme du texte vétérotestamentaire à celui du Nouveau Testament, constituent un courant émergent de réalisme dans lequel la vie quotidienne et l’expérience sensorielle sont de plus en plus prises au sérieux, voire de manière tragique, au lieu d’être reléguées au style mineur22.
17Auerbach souligne la différence entre l’interprétation figurale et la compréhension de l’histoire par l’homme moderne23. Ce dernier voit les événements historiques dans leur succession chronologique tandis que l’interprétation figurale est une méthode anachronique dans la mesure où elle est capable de relier deux événements chronologiquement ou causalement éloignés l’un de l’autre. Nous pourrons prendre l’exemple de l’Exode comme figure dont le baptême chrétien est l’accomplissement. Une description figurale de l’Exode et du baptême est une description de la relation entre eux (soit entre eux en tant qu’événements, soit en tant que signifiants dans le texte de la Bible).
18Bref, ce qui distingue Auerbach est sa théorie de la figura comme catégorie historique, c’est-à-dire sa théorie sur la façon selon laquelle deux événements ou moments distincts de l’histoire peuvent être liés, car il utilise le terme figura pour décrire la relation entre les objets réels ou littéraux24. Selon Auerbach, l’interprétation figurale chrétienne présente trois caractéristiques fondamentales : deux personnes ou événements, la relation entre eux, et l’acte d’interprétation qui discerne cette relation. Ainsi, la conception d’Auerbach de l’interprétation historique, sa méthode pour écrire l’histoire, renvoie à l’anachronisme figural :
L’interprétation figurative établit, entre deux événements ou deux personnages, une relation dans laquelle l’une des deux ne signifie pas seulement ce qu’il est mais aussi le signe annonciateur de l’autre qui l’englobe ou l’accomplit ! Les deux pôles de la figure sont temporellement disjoints mais, en tant qu’épisodes ou protagonistes réels, appartiennent l’un et l’autre à la temporalité ; tous deux […] sont pris dans ce fleuve qu’est l’existence historique et seul l’entendement, l’intellectus spirituallis, y introduit un acte spirituel ; acte qui en chacun des deux pôles, a affaire au matériau donné (ou attendu) des faits passés, présents ou futurs, et non pas à des concepts ou à des abstractions ; ces derniers sont tout à fait secondaires, puisque même la promesse et l’accomplissement sont des événements réels et intra-historiques, qui se sont déjà réalisés en partie dans l’incarnation du verbe, et achèveront de se réaliser dans sa parousie25.
19Pour Auerbach, non seulement le terme « sens » désigne la relation figurale entre une figure et son accomplissement, mais aussi n’a pas de pertinence pour la figure et l’accomplissement considérés séparément. Le sens se réfère seulement à leur relation en tant que telle. En tant qu’énoncé d’une relation (la relation figurale entre des entités concrètes, historiquement réelles), le sens n’est pas lui-même concret mais nécessairement abstrait26. Il est vrai que la dimension abstraite du sens menace d’abandonner le sens littéral en faveur d’un sens non littéral (qui, dans ce cas, serait abstrait). Mais la conception relationnelle de la catégorie de sens d’Auerbach ne permet pas que cela se produise. Le sens abstrait devient un point de vue sur une relation ; il n’a pas de statut figural propre27.
20Historiques et réelles, les figures doivent s’interpréter spirituellement, mais l’interprétation renvoie à un accomplissement charnel, c’est-à-dire historique, puisque la vérité, justement, est faite historique et charnelle28. Auerbach affirme clairement qu’il est toujours en train d’écrire l’histoire29. Dans cette approche méthodologique, le présent n’est pas le seul territoire de l’intérêt historique. Car l’agent historique se trouve dans une ligne qui connecte tout présent avec une tâche à venir, autrement dit, avec une prophétie en acte.
3. Projection des figures chez Godard
21Pour Godard, comme nous l’avons déjà signalé, l’histoire du cinéma est une histoire de la projection des figures. Mais, dans son approche, projection et montage sont directement liés. La projection n’est pas véritablement un concept, bien au contraire : du fait qu’elle correspond à une machine, celle du projecteur, elle décrit d’abord une pratique technique. Nous voulons donc examiner les possibilités de création de ce concept. Pour commencer, nous pouvons proposer cette définition provisoire de la projection : processus créatif d’interaction par écart entre un spectateur et une image qui est en train de se projeter, qu’il soit mécaniquement produit dans une salle de cinéma ou poétiquement recréé par certaines opérations mentales, en suscitant un léger décalage, qui empêche l’image de coïncider exactement à elle-même et, partant, l’ouvre à plusieurs sens.
22Dans ce cadre, la projection rencontre la figure par rapport à un certain dédoublement de leur sens : de même que la figure peut être soit fabriquée soit mentale, la projection concerne une opération qui se trouve enregistrée par des processus matériels ou poétiques. La projection cinématographique est une opération qui dépend d’un dispositif optique. À travers le faisceau lumineux, elle transporte en l’agrandissant, et en l’anamorphosant, une image sur l’écran. Godard voit dans le processus de l’impression de la lumière par la machine photographique la résurrection vivante d’un passé perdu. C’est pourquoi le cinéma qui mobilise une histoire de la projection des figures se révèle comme une manière inédite de faire de l’histoire. Lumière, résurrection du passé, dissemblance : ce sont les points principaux de la projection en tant que processus créatif. Sous l’angle de la projection, le cinéma est plus largement pensable comme surface où s’inscrit aussi ce qui est au-delà de la représentation auquel la projection donne forme visible. Ainsi, la projection met toujours en jeu un travail de déformation. Dans l’épisode 1b Une histoire seule d’Histoire(s) du cinéma, Godard déploie son approche de la projection, ses rapports avec la caméra, la résurrection, et la mémoire :
C’est qu’un projecteur de film est obligé de se souvenir de la caméra et que le cinéma n’est une industrie de l’évasion/que parce qu’il est le seul lieu où la mémoire est esclave30.
23La projection est donc une opération de la mémoire, propre à la pratique cinématographique. Autrement dit, si la caméra construit une archive — archive toujours en train de se créer —, cette archive est remémorisée par la projection, qui manifeste ce qui se trouve refoulé dans la pensée, dans le désir, dans l’oubli. C’est pourquoi, au moment où le cinéaste profère la phrase précédente, nous lisons sur l’écran : « histoire de la projection, les esclaves du désir », et puis, « la loi du silence », qui se réfère au film homonyme de Hitchcock consacré aux déformations cachées de ce qui semble être une simple représentation31.
24D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si Godard commence Histoire(s) du cinéma avec le film Fenêtre sur cour (1954) de Hitchcock dans lequel ce rapport de la caméra et de la projection devient l’objet central d’une narration dont la valeur en tant que telle est litigieuse. L’histoire du film n’est pas dégagée des fenêtres et, de ce point de vue, Hitchcock propose un dépassement de la théorie d’Alberti sur la perspective linéaire et encore un dépassement de la théorie sur le tableau en tant qu’ouverture entre bordures. La perspective du film est multipliée, comme les fenêtres, elle pourra seulement être recherchée dans les détails de ces projections que sont les fenêtres, ou encore, dans la rencontre diagonale et imprévisible entre les épisodes différents qui sont montrés sur les tableaux. Autrement dit, la narration perd son autonomie, et se réalise en tant que variation de la déformation et du relativisme produits par la manifestation des rapports entre les ouvertures.
25Les observations précédentes soulignent les éléments de la méthode choisie par Godard pour la construction de son projet gigantesque : comparaison des fenêtres (plans), insistance sur le détail, comparaisons et rencontres imprévisibles des fenêtres différentes, qui se réalisent à travers les escaliers ou les autres passages. La figure produite par ces processus est donc le résultat d’une symptomatologie ou d’une criminologie qui devra résoudre un certain problème. Le temps linéaire et le mouvement ne participent pas à cette figuration : la conjonction des fenêtres se différencie radicalement de leur contexte, les bordures des fenêtres se cassent.
26L’histoire du cinéma en tant qu’histoire de la projection est une histoire des siècles futurs. Car la résurrection du passé, sa remémoration vivante et imagée présuppose un regard présent, qui, étant donné qu’il concerne un regard incarné, se sent des désirs refoulés ou pas, des désirs déjà là ou pas encore ici, en train de se réaliser ou comme force contradictoire qui se manifeste à partir d’un schème « à la fois… et ». La projection est proprement figurale là où, en déformant et déconstruisant les tableaux fermés, elle refait la vague image de la réalité, dépasse ce qui est vague en le problématisant, en voyant le rapport en tant que tel. Ces rapports proprement projectifs sont également géométriques. Le cinéaste prononce les phrases suivantes dans le cadre de son entretien avec Serge Daney :
La grande histoire c’est l’histoire du cinéma : elle est plus grande que les autres parce qu’elle se projette. Dans une prison de Moscou, Jean-Victor Poncelet, officier de génie de l’armée de Napoléon, reconstruit sans l’aide d’aucune note les connaissances géométriques qu’il avait apprises dans les cours de Monge et de Carnot : le traité des propriétés projectives des figures, publié en 1822, érige en méthode générale le principe de projection utilisé par Desargues pour étendre les propriétés du cercle aux coniques et mis en œuvre par Pascal dans sa démonstration sur l’hexagramme mystique. Il a donc fallu un prisonnier français qui tourne en rond en face d’un mur russe pour que l’application mécanique de l’idée et de l’envie de projeter des figures sur un écran prenne pratiquement son envol avec l’invention de la projection cinématographique32.
27La projection concerne la manifestation d’une certaine géométrie, et donc d’une certaine taxinomie du monde. Autrement dit, la projection en tant que manifestation de la géométrie ou de la taxinomie crée un certain concept de l’histoire dans la mesure où l’histoire propose une classification des mots et des choses du monde. Jean-Luc Godard découvre une science de classification pour sa pratique poétique. Étant donné que la projection est considérée comme manifestation d’une géométrie, la synthèse de ces aspects géométriques se signifie dans le montage. En un rapport ambivalent entre la vision et l’action, la projection se consacre à la fois à l’efficacité d’un cinéma capable de créer des mondes ou de témoigner de l’horreur du passé, et à son impuissance face à la Catastrophe. Dans la pensée de l’après-coup qui est celle de Godard, l’écran de cinéma est toujours le réceptacle d’un trauma qui laisse entrevoir la projection, qu’elle soit faisceau lumineux déchirant l’ombre ou réverbération du réel sur la fiction et des méandres de l’Histoire sur les images — selon la machinerie que le cinéaste nomme « la fraternité des métaphores ». Cette machinerie qui promeut la fraternité des métaphores se distingue de son caractère projectif. C’est son caractère remémoratif ou résurrectionniste, qui reprend le motif du sens figural, fondé sur l’anachronisme d’un rapport des éléments concrets et sensibles. C’est cet anachronisme, qui, dans les termes d’Auerbach, découvre dans le rapport entre figure et accomplissement le retournement vers le temps à venir, même si fragile et relié au passé.
28Donc, la conceptualisation du montage s’enrichit grâce à la projection. Autrement dit, le cinéma est aussi création par projection, c’est-à-dire à la fois attestation visible du réel et bombardement des mots sur les images ou des images entre elles. Plus encore, montage et projection s’entremêlent dans la mesure où cette conjonction, pour utiliser un terme presque synonyme du montage, crée des surimpressions de matériaux hétérogènes, et s’engendre enfin dans une projection singulière et multiple. La coexistence de la singularité et de la multiplicité permet le rapprochement analogique de la pratique de la projection et de la figure étant donné que le sens figural est lié à un rapport charnel, singulier, et sensible qui dépasse à travers les « métaphores », voire la pensée, les limites autoréférentielles d’un système clos. La figure en tant que concept ambigu (principe de la complexité) et apprentissage d’une logique qui n’est plus logocentrique (principe de la pluralité) promeut une telle géométrie des métaphores, ni préexistante ni axiomatique, qui peut s’évader de la prison de même que les géomètres prisonniers français, auxquels se réfère Godard, voient la prison comme ce qui devrait être dépassé de manière violente par la pensée33. Le cinéma fait appel au dépassement des clichés et de la représentation à travers l’acte de pensée. Le cinéaste lui-même le suggère directement :
YI – Votre rapprochement entre l’histoire du prisonnier avec celle de la projection des figures géométriques et le cinéma est encore de l’archéologie…
JLG – C’est marrant, il y a des critiques qui m’accusent en disant que c’est une invention, mais je l’ai pris dans un bouquin sur l’histoire des mathématiques, peut-être que c’est inventé, mais je ne pense pas… Jean-Victor Poncelet a été effectivement un officier du génie prisonnier en Russie et le reste on l’imagine. Car tous les prisonniers, sauf ceux qui sont torturés, « s’évadent » en pensant. Pour survivre, ils font de la gymnastique et les intellectuels font dans leur tête les livres ou les théories qu’ils écriront lorsqu’ils seront sortis de prison, c’est une petite histoire qui aurait pu être chez Canguilhem ou chez Koyré34.
29C’est pourquoi, à notre sens, la géométrie pourra signifier, dans le cas de l’œuvre godardienne, un lieu de rencontre de différents concepts : du concept de l’histoire et du cinéma, de la figure et de la violence. Le cinéma pose directement la question du rapport entre les images et les textes dits, lus ou récités. Quand Godard suggère qu’« il faut voir », autrement dit, il faut penser en apprenant à voir, il insiste donc sur le privilège de la figure. Ce privilège concerne la figure projetée comme liaison, comme rapport des évènements concrets ou des personnes concrètes qui se rematérialisent dans une pensée singulière et multiple. C’est d’abord dans les figures projetées que se trouve le noyau de l’idée de Godard sur le montage.
30Godard, à travers ses expérimentations qui créent sans cesse de nouveaux assemblages d’images, propose un apprentissage ou une pédagogie figurale, qui implique la possibilité d’une création pure. Créer, pour Godard et aussi pour Deleuze, c’est traduire, décoder, façonner les significations des signes, c’est chercher la vérité dans le temps et la violence que les signes exercent sur nous par leur hétérogénéité35. Celui qui enquête sur la vérité n’est autre que le véritable homme sensible qui se heurte à la violence d’une impression. Le lecteur, l’auditeur, quiconque ressent la puissance des signes est propulsé par eux vers une création potentielle. Godard pose au centre de son intérêt l’enjeu de la pensée, qui est prioritairement lié à la question de l’apprentissage. Chez Godard, le cinéma est une forme qui pense et, en même temps, une figure qui manifeste certaines des modalités de la pensée en soi. Car cette forme pensante et multiple se fonde sur le montage et la projection. Mais, si le cinéma est défini en tant que forme, il n’est pas abstrait. Il concerne un lieu de rencontre ou, plus précisément, un lieu d’apprentissage figural. Apprendre à voir, apprendre à observer, c’est apprendre à faire une symptomatologie des manifestations du monde en les rencontrant en tant qu’êtres corporels. L’acte de penser selon Godard est principalement un acte corporel, jamais abstrait.
4. Analogies et anachronismes chez Pasolini
31Abordons maintenant le film de Pier-Paolo Pasolini, L’Évangile selon Saint Matthieu (1964), en visant à présenter les affinités entre l’analogie pasolinienne et l’interprétation figurale auerbachienne. Pasolini se retourne vers l’Évangile d’une manière poétique et historique à la fois en transformant une narration sacrée en une histoire de tous les hommes réels. Le film pasolinien et sa source principale, le texte de Matthieu, se trouvent dans la ligne de pensée selon laquelle non seulement l’Ancien Testament est une prophétie du Nouveau, mais aussi la narration historique inspirée par la typologie n’est pas continue, bien au contraire, c’est un va-et-vient orienté par les rapports des figures dont la fonction ressemble à celle des ruines et des fragments.
32Précisément, en choisissant les paysages rudes du sud de l’Italie et ses villages ruraux délabrés, Pasolini a créé cette relation analogique entre les paroles de l’Évangile le plus archaïque et le paysage contemporain qui manifeste la décadence des années d’après-guerre. Précisément, le film a été tourné dans la région pauvre de la Basilicata, qui se caractérise par ses montagnes rocheuses. Le recours à l’analogie — à titre indicatif, ce sont Joseph et la Vierge qui prennent la figure des réfugiés de tant de drames analogues au monde moderne — se fonde, dans notre approche, sur le décor en ruines. Les ruines constituent la véritable scène du film de Pasolini. C’est le fil conducteur de son regard historique, des rapports entre les figures et leurs accomplissements. Pasolini utilise les épisodes de l’Évangile en tant que figures dont l’accomplissement se découvre dans les années modernes, là où ces figures sont elles-mêmes l’accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament. De ce point de vue, c’est une figure de l’histoire sérielle, et non plus linéaire, qui apparait dans le film.
33À notre sens, Pasolini cherche à créer une œuvre plongée dans une poétique métahistorique. Le film pasolinien est fidèle au texte de Saint Matthieu, souvent interprété comme « révolutionnaire », mais, pour nous, plutôt figural au sens qu’Auerbach donne à ce terme : cet Évangile a été rédigé vers 80 après Jésus-Christ pour convaincre que la parole christique accomplit et renouvèle l’Alliance entre Moïse et le Dieu de la Torah. De ce point de vue, le film pasolinien et sa source principale, le texte de Matthieu, soulignent non seulement que l’Ancien Testament est une prophétie du Nouveau, mais aussi que la narration elle-même de l’histoire religieuse juive-chrétienne n’est pas continue. C’est un va-et-vient orienté par les rapports des figures. En conséquence, le film n’est pas une simple représentation de l’Évangile, mais une analyse figurale de la société par et à travers l’opération de l’analogie. À cet égard, Pasolini déclare :
Je savais que je referais l’Évangile par analogie », et « pour le peuple de cette époque […] j’ai substitué un peuple analogue (le sous-prolétariat de l’Italie du Sud) et pour le paysage, j’ai substitué un paysage analogue (l’Italie méditerranéenne du Sud profond).
34La stratégie de Pasolini se focalise sur le rapport « analogique ». Comme il pourrait dire que le film se trouve entre la « lettre » du texte de l’Évangile et son fond visuel. Dans la même ligne de pensée, on pourra rappeler le caractère littéral de la figure et de son accomplissement chez Auerbach. L’Évangile pasolinien se situe dans les ruines modernes d’une civilisation ancienne et rurale (ce que Pasolini définit comme « prémoderne »). En choisissant les paysages rudes du sud de l’Italie, Pasolini a créé cette relation « analogique » entre les paroles du Sauveur selon ce qu’il considérait comme l’Évangile le plus archaïque et le paysage contemporain. En créant cet accord « analogique » entre les mots et les images, le pseudo-documentaire de Pasolini fait également une déclaration sur la décadence contemporaine d’un paysage mythique vierge36. De manière profonde, Pasolini raconte la situation sociale et économique de l’Italie contemporaine, principalement, le mode de vie de sous-prolétariat. Les figures pasoliniennes se caractérisent par la simplicité d’un matérialisme frugal et sombre. Ce matérialisme faisant aussi partie d’un certain engagement politique se révèle d’abord comme choix poétique, qui vise à fabriquer un monde à l’écart d’une rencontre des figures et des temporalités plurielles. À titre indicatif, la première séquence, qui se réfère à l’épisode de l’annonciation de Marie, adopte une esthétique basée sur la lumière et la haute saturation. Pour Pasolini, l’expression poétique du monde matériel n’est autre qu’une construction d’un rapport entre signes mondains et prophétie du monde à venir.
35Dans l’Évangile, Jésus parle dans un monde ancien qui est toujours réel et visible, mais en processus de décadence. Ce processus de décadence est contemporain au spectateur du film, et donc le message de l’Évangile exprimé par le personnage de Jésus dans le film se manifeste comme résurrection claire et présente. Il est impossible de ne pas percevoir que les images (les paysages italiens, ses villages anciens et pauvres, les acteurs amateurs) mettent en valeur, clarifient le sens littéral des paroles du Christ, et que, inversement, les paroles du Sauveur rendent plus vivement visible ce que nous voyons à l’écran37. Le Jésus de Pasolini prêche continuellement dans une Longue Marche jusqu’à Jérusalem, toujours devant ses disciples comme un Guide éclairé, un Fils de tous les peuples. Le Jésus de Pasolini est prêt à porter ce message révolutionnaire jusqu’à sa conséquence finale : sa crucifixion, un destin dont il est conscient, mais qu’il est déterminé à accomplir. L’homme ne prend pas seulement le parti des opprimés : à travers un prisme marxiste, il est l’histoire qui avance, l’incarnation de ce mouvement violent.
36Pour quelques critiques, l’État est représenté par l’Empire romain, qui occupe les régions en décadence de la Palestine et applique la loi d’une manière injuste et oppressive. L’oppression et la tyrannie de l’État sont illustrées par le massacre des Innocents sur l’ordre d’Hérode, qui rappelle la récente époque fasciste de l’Italie. Enfin, l’Église, représentée par l’établissement religieux juif et son pouvoir aveugle et institutionnalisé il y a deux-mille ans, est imitée par l’institution religieuse d’aujourd’hui38. Selon moi, ce qui intéresse plutôt Pasolini est le pouvoir des forces répétitives, des forces réactionnaires, et pas seulement une analogie alignée sur les questions politiques des années 1960.
37Si la figure du Christ est un pôle crucial de l’approche figurale du cinéma chez Pasolini, l’autre pôle est constitué des nombreux gros plans qui soulignent ce dépassement de la narrativité classique dans le cinéma. Le visage est d’abord ce que raconte l’Évangile d’une manière tout entière figurale. Mais encore, c’est le mouvement de la caméra d’un visage à l’autre qui construit le rythme de cette narration. L’événement à venir n’est pas un fait qui se trouve dans les limites du langage, il est une expression sur l’écran, enregistrée dans le processus de la projection, qui avant tout affecte le spectateur. Le spectateur devient partie non plus d’une histoire illusoire, mais d’une histoire figurale au moment où il entend l’appel à une participation au sens ouverte de cette expression.
38Pasolini réfléchit sur son film en revenant vers les écarts de ces analogies qui ne sont ni rapports de ressemblance ni rapports de différence absolue. Ce sont plutôt les parties d’une action, des événements ou des personnes à distance, donc projetés, qui introduisent un certain apprentissage de l’histoire — une histoire dont les lignes ne sont pas enregistrées comme points d’un cercle parfait. Ces lignes cherchent à trouver les traces en train de créer l’œuvre singulière. Cette dernière est, chez Pasolini, une tâche si pressante au présent qu’elle ne peut faire autrement que se consacrer à la question de l’avenir.
Conclusion : Pour une pédagogie de l’analyse figurale ?
39En découvrant une machinerie projective qui reprend le montage chaque fois que le film se manifeste, nous voudrions poser l’hypothèse suivant laquelle les perspectives historiques et métahistoriques du cinéma se multiplient dans le cadre de l’analyse figurale, c’est-à-dire au-delà des schémas de réduction à des contextes prédéterminés, des analyses historicistes ou des représentations dialectiques de type traditionnel. La figure chez Auerbach introduit avant tout une action à distance d’éléments ou d’événements concrets et matériels. En même temps, elle introduit une machine qui produit du sens à partir du concret en insistant sur le rapport en tant que tel et la dynamique des anachronismes que ce rapport entraîne. Produire du sens à partir du concret ne signifie rien d’autre que de produire une vérité concrète. En d’autres termes, c’est considérer l’histoire comme poétique de comparaisons et d’analogies. Chez Godard, la comparaison tend à construire de tierces images qui pourraient même être considérées comme un retour ou un mélange de la théorie du montage héritée de Vertov et d’Eisenstein. Chez Pasolini, l’analogie constitue le pendant lyrique de l’expression d’un rapport en soi. En conclusion, nous laissons ouverte la question d’une pédagogie, dont l’objet est précisément ces expressions hétérogènes, distinctes et pourtant interconnectées d’un rapport en soi, d’un rapport à la fois singulier et multiple, d’une pédagogie que nous appelons pour l’instant « analyse figurale ».
Notes
1 Godard (J.-L.), Histoire(s) du cinéma, 1988-1998, 4b, 27'00.
2 Ibid., 2a, 5'03.
3 Dans la traduction du texte auerbachien, il est utilisé le terme « interprétation figurative ». Vu que la figure ne reflète pas seulement l’élément figuratif ou représentatif, nous optons pour le terme « figurale ».
4 Godard (J.-L.), Des années Mao aux années 80, Paris, Flammarion, 1991, p. 22-24.
5 Godard (J.-L.), Histoire(s) du cinéma,1988-1998, 2a, 20'37.
6 Auerbach (E.), Figura. La loi juive et la promesse chrétienne, Paris, Macula, 2003, p. 11.
7 Ibid., p. 15.
8 Ibid., p. 14.
9 Ibid., p. 22.
10 Auerbach (E.), Figura. La loi juive et la promesse chrétienne, op. cit., p. 22-23 ; Cicéron, De l’orateur, Paris, Garnier, 1932, p. 25, 28.
11 Aristote définit l’enargeia au sein de la Poétique :
12 Auerbach (E.), Figura. La loi juive et la promesse chrétienne, op. cit., p. 33-36.
13 Ibid., p. 44-45.
14 Aumont (J.), À quoi pensent les films, op. cit. p. 150.
15 Idem.
16 Aumont (J.), À quoi pensent les films, op. cit. p. 152 ; Kant (I.), Critique de la raison pure, Paris, Gallimard, 1980, p. 191-197.
17 Aumont (J.), À quoi pensent les films, op. cit. p. 153.
18 Ibid., p. 154.
19 Ibid., p. 157.
20 Godard (J.-L.), Des années Mao aux années 80, op. cit., p. 70.
21 Hovind (J.), «Figural Interpretation as Modernist Hermeneutics: The Rhetoric of Erich Auerbach’s Mimesis », Comparative litterature, 64 (juin 2012), p. 259.
22 Idem.
23 Fabiny (T.), «Typology: pros and cons in biblical hermeneutics and literary criticism (from Leonhard Goppelt to Northrop Frye) », RILCE. Revista de Filología Hispánica, 25 (2009), p. 146.
24 Howe (N.), «The Figural Presence of Erich Auerbach », The Yale Review, LXXXV (janvier 1997), p. 139.
25 Auerbach (E.), Figura. La loi juive et la promesse chrétienne, op. cit., p. 64.
26 Dawson (J. D.), Christian Figural Reading and the Fashioning of Identity, Berkeley, University of California Press, 2001, p. 94.
27 Idem.
28 Auerbach (E.), Figura. La loi juive et la promesse chrétienne, op. cit., p. 40.
29 Hovind (J.), «Figural Interpretation as Modernist Hermeneutics: The Rhetoric of Erich Auerbach’s Mimesis », art. cit., p. 260, 264.
30 Godard (J.-L.), Histoire(s) du cinéma, 1988-1998, 1b, 15'02-15'15-10.
31 Idem.
32 Ibid., 2a, 10'10.
33 Sauf Poncelet, on lit chez Deleuze et Guattari que Desargues a été aussi prisonnier.
34 Ishaghpour (Y.) & Godard (J.-L.), Archéologie du cinéma et mémoire du siècle, Tours, Farrago, 2000, p. 44-45.
35 Deleuze (G.), Proust et les signes, Paris, Presses Universitaires de France, 2003, p. 119.
36 Maggi (A.), The Resurrection of the Body. Pier Paolo Pasolini from Saint Paul to Sade, Chicago, University of Chicago Press, 2009, p. 37.
37 Idem.
38 Mugnai (M.), « Pier Paolo Pasolini’s ‘Mandatory Challenge’: Jesus from La ricotta to The Gospel According to Saint Matthew », Italica. American Association of Teachers of Italian, 91 (2014), p. 443.
Pour citer cet article
A propos de : Marilena Karra
Née en 1994, doctorante en philosophie à l’Université Toulouse II Jean Jaurès en cotutelle avec l’Université Panteion de Sciences Sociales et Politiques à Athènes, et chargée de cours à l’Université Toulouse II ainsi qu’à la Sorbonne Nouvelle. Son projet de thèse porte sur l’œuvre cinématographique de Jean-Luc Godard, Histoire(s) du cinéma. Ses publications couvrent un spectre de sujets. À présent elle consacre ses travaux de recherche à la question de la figure et de la violence.