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L’invention philosophique : penser, concevoir, imaginer ?
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Mon but ici n’est pas tant de nier que la philosophie possède une dimension fictionnelle ou qu’il existe un usage de l’imagination au sein de la recherche de la vérité, que de questionner plutôt la pertinence même du concept de « fiction » en raison de sa plurivocité vague, de la récente prolifération de ses applications et de leurs effets. On peut d’abord se demander sur quoi repose une telle extension du domaine de la fiction, de l’art (roman, film…) aux sciences et à la philosophie, et si ce n’est pas le produit d’un certain scepticisme généralisé autant que d’un relativisme ambiant, corrélé au primat d’un modèle scientiste de la connaissance. On se demandera alors plus précisément ce qui est qualifié de « fictionnel » dans l’exercice de la philosophie : des conjectures, des comparaisons, des idéalisations, des expériences de pensée ? Après avoir présenté les différentes définitions de la fiction développées par la philosophie analytique, ainsi que les motivations et enjeux pluriels à l’œuvre dans le jugement de fictionalité, on tentera de clarifier, dans une veine goodmanienne, la nature de ces outils conceptuels dont la philosophie a besoin pour comprendre le monde.
Abstract
My present purpose is less to deny that philosophy has a fictional dimension or that imagination plays a role in the aiming for truth, than to question the relevance of the concept of “fiction” because of its vagueness and polysemy, and the recent proliferation of its applications. One can wonder about the grounds of such an extension of the domain of fiction, from art (novels, films…) to science and philosophy : isn’t it one of the consequences of both a generalized skepticism and a wide relativism, together with the prevalence of a scientist model of knowledge? I will give an analysis of what is called “fictional” within the philosophical practice, namely conjectures, comparisons, idealizations, thought-experiments. First, I shortly present the different definitions of fiction developed in analytic philosophy, then the multiple motivations and issues at stake when judging something fictional. Finally, I clarify, following Goodman, the conceptual nature of these so-called “fictions” philosophy needs in order to understand the world.
Table des matières
1Commençons par un petit exercice d’imagination, comme une mise en abîme du sujet et de la forme de ce papier. Supposons un homme pour qui faire de la philosophie reviendrait à créer des fictions. Il inventerait des situations qui n’existent pas dans la réalité, s’accorderait une liberté totale dans la création de personnages, d’objets et de concepts, ne se soumettrait à aucun critère de vérité, de fidélité aux faits ou de sincérité, ni à quelque loi logique ou donnée empirique, mènerait donc ses enquêtes à son gré, laissant les multiples interprétations de ses œuvres ouvertes au plaisir du lecteur et à l’originalité de ses critiques.
2Ce scénario, que nous pourrions juger « fictif », soulève plusieurs questions. Pourquoi cet homme ferait-il cela ? Quelle conception de la philosophie semble-t-il assumer, et quelle définition de la fiction elle-même ? Et si une telle pratique paraît exagérée, alors comment devrions-nous évaluer la pertinence de l’usage des fictions et de l’imagination dans la philosophie ? Quels en sont les mérites et les limites, dès lors que nous n’assimilons pas le travail d’un philosophe à celui d’un romancier, d’un conteur ou d’un cinéaste ? En un mot, comment distinguer les usages problématiques et non-problématiques, ou peut-être même nécessaires, de l’imagination fictionnelle en philosophie ? Enfin, affirmer que la philosophie possède une ou plusieurs dimensions fictionnelles a-t-il des conséquences sur la façon de pratiquer cette discipline, qui tendraient par exemple à affaiblir ses prétentions à la vérité ?
3Mon propos est d’ordre plus méthodologique que substantiel. En effet, il ne s’agit pas tant de nier toute forme de fictionalité à la philosophie que de questionner la pertinence même de l’usage du concept de « fiction » dans l’analyse des contenus et de l’activité de la philosophie, notamment en vertu de ses ambiguïtés de sens et des effets qui en découlent. L’idée est que nous ferions mieux de distinguer clairement les différents types d’opération mentale que nous rangeons sous ce terme – conjecture, modélisation, idéalisation, métaphore, analogie, expérience de pensée, subjectivisation, conceptualisation – plutôt que de renouveler des erreurs de catégorie confondantes et de nous laisser prendre au jeu des connotations pour ainsi dire affectives qu’il transporte avec lui : la fiction semble faire peur, à suivre Platon et les contempteurs de l’imagination comme « folle du logis », ou bien faire rêver, à suivre Nietzsche et les postmodernes qui comparent l’Histoire aux histoires ! Sur le plan stratégique, donc, nous gagnerions en clarté analytique ce que nous perdrions en (récents) atavismes linguistiques. Dès lors, au niveau des phénomènes étudiés, la question serait plutôt celle de savoir comment des illusions, des inventions et des idées peuvent contribuer à une juste compréhension du monde.
1. Comment philosopher ?
4Il serait évidemment trop ambitieux de tenter de répondre ici à la question « qu’est-ce que la philosophie ? », mais il semble approprié de nous demander comment nous la concevons dès lors que nous lui reconnaissons quelque dimension fictionnelle : quels sont ses traits internes jugés « fictionnels » et les raisons externes qui nous poussent à la « fictionaliser » ? Enfin, à comparer la philosophie à d’autres genres et pratiques disciplinaires, il paraîtrait plus sain de lutter contre l’erreur de la généralisation d’un terme manifestement plurivoque.
1.1 Dimensions « fictionnelles » de la philosophie
5Il existe différents aspects de la philosophie que nous avons tendance à qualifier de « fictifs ». Le problème vient alors de ce que cela ne renvoie pas aux mêmes types de phénomènes.
6En premier lieu, nous parlons d’objets fictifs, à la fois pour des personnages inventés par des philosophes (Hylas et Philonous de Berkeley, Wyman de Quine, Mary de Jackson) et pour des entités jugées fictives a posteriori (Vulcain, le phlogiston, Dieu, Moi, la « Chose en soi »). Suivant le modèle du personnage romanesque qui n’existe pas en dehors d’un acte de création par l’auteur, l’usage du terme s’étend ainsi à tout objet dépendant de l’esprit, pour ainsi dire ontologiquement déficient : chimères, flatus vocis, « illusions cognitives » dont il s’agit de dénoncer l’irréalité, parfois pour la réhabiliter en vertu de son utilité pratique ou théorique. Une logique similaire soutient l’idée que les faits eux-mêmes seraient des fictions dès lors qu’ils s’avèrent mêlés de conventions [Quine 1963], de concepts [Sellars 1992], de théories [Goodman 1992], de valeurs [Putnam 2004] ou d’une forme de narrativité [Ricœur 1983] : globalement, il y a fictionalisation du « donné pur », décrié comme un mythe parce qu’en réalité fabriqué subjectivement ou intersubjectivement, influencé par nos schèmes mentaux et de nos imaginaires. En ce sens, les vérités elles-mêmes deviennent fictionnelles, à en croire Veyne [1983] ou White [2010] à propos des études historiques, ou encore les panfictionalistes défendant des positions métaphysiques antiréalistes. Il ne serait pourtant pas superflu de distinguer, entre autres, les objets inventés reconnus comme tels des entités jugées inexistantes ou trompeuses après coup, ou les vérités de fait des vérités d’interprétation.
7Nous parlons également de fictions lorsque nous avons affaire à des expériences de pensée, de l’anneau de Gygès dans La République de Platon aux formes plus contemporaines comme la Chambre Chinoise de Searle, la Terre-Jumelle de Putnam, les zombies ou le dilemme moral du tramway. Ces courts récits sont effectivement imaginés en vue de clarifier nos intuitions conceptuelles, de fonder ou réfuter un argument. Parallèlement, la philosophie morale (voire notamment Nussbaum [1990]) insiste depuis plusieurs décennies pour user de romans ou de films aux mêmes fins, à l’instar de Descombes estimant que « les philosophes ont le plus grand besoin de lire des romans s’il est vrai que la forme romanesque est aujourd’hui la plus riche en legomena, en échantillons de ces manières communes de penser qui sont la matière première de la philosophie morale » [1987 :18]. Mais ne faut-il pas distinguer, ici encore, les expériences de pensée sui generis des œuvres littéraires ou cinématographiques traitées comme telles, et ainsi ne pas confondre les œuvres de fiction et les œuvres de non-fiction ?
8En ce sens, que la philosophie ait une histoire, par exemple, ou que ses controverses puissent être mises en intrigue, ne la rend pas pour autant fictionnelle. Les philosophes qui ont écrit des pièces de théâtre ou des romans (Diderot, Rousseau, Nietzsche, Sartre, Murdoch…) n’ont pas classé toutes leurs œuvres dans la même unique catégorie de fiction. Pire, la tendance serait plutôt inverse et consisterait à mettre l’accent sur le sérieux des œuvres d’imagination, autrement dit à « défictionaliser » la fiction en tant que le récit d’invention chercherait aussi à dire le vrai. Néanmoins, Walton [1990] étend le fonctionnement des œuvres de fiction, dont les jeux d’enfants sont le paradigme, aux ouvrages philosophiques (mais aussi anthropologiques ou théologiques) dont les objets semblent avoir la même « fonction de servir de support dans des jeux de croyances feintes (make-believe) » – notamment les non-entités ou les noms dépourvus de référence. La philosophie du « comme si », développée par Vaihinger [1905], aurait en quelque sorte ici pour pendant le « comme si de la philosophie » !
9En tout cas, le sens du concept de « fiction » semble vaciller dans son application à divers phénomènes, tantôt ontologiques, tantôt rhétoriques, tantôt épistémiques. L’extension de son usage peut ainsi paraître confondante.
1.2 Doutes méthodologiques et effets contradictoires
10Quelles sont les raisons d’une telle extension du champ du fictionnel, aboutissant en particulier à l’émergence récente de positions fictionalistes en philosophie des sciences, du langage, de la religion ou encore des mathématiques – pour une présentation des différentes formes de fictionalismes, on pourra consulter Sainsbury [2010], Salis [2014] et Eklund [2015] – et quels en sont les enjeux ?
11A défaut d’une analyse socio-historique ou psychologique complète de l’usage du terme de « fiction », il semble d’abord que le primat accordé à un modèle scientiste de la vérité empirique et au protocole expérimental de la recherche soit le terrain sur lequel ces fleurs fictives ont poussé. La critique de la métaphysique, pleine de vaines abstractions et d’entités vaporeuses, comme la crise des fondements (mathématiques), ont marqué le début du XXe siècle et nourri les soupçons envers ce qui paraît manquer de preuves vérifiables et testables, envers la possibilité même d’une connaissance authentique, désormais incertaine et jugée parfois excessivement subjective. La confiance à l’égard d’une réalité indépendante de l’esprit et d’une vérité objective semble alors affaiblie et trouver par exemple un écho dans l’attirance pour certains de types de théories pragmatistes. En trois mots, le XXIe siècle serait le siècle de la « post-vérité » [Calcutt 2016], du « storytelling » [Salmon 2007] et de l’attitude « esthético-émotionnelle » [Lipovestky & Serroy 2013], des modalités de la pensée et du faire qui ne sont pas sans conséquences sur la façon de concevoir la philosophie.
12Ainsi, sur le plan ontologique, un déficit d’existence est une première motivation pour qualifier un objet de fictif : on parle alors de fictions logiques (héritage de Bentham), épistémologiques (idées complexes lockéennes, synthèse kantienne, construction logique russellienne, postulats quiniens), de convenance (Vaihinger) ou théoriques (Dennett), dès lors que ces entités ne sont pas considérées comme réelles indépendamment d’une opération mentale. Dans cette perspective, les positions antiréalistes, idéalistes ou constructivistes en métaphysique, ou les conceptions nihilistes en général, peuvent soutenir cette extension d’usage. En outre, sur le plan épistémologique, c’est une tendance sceptique qui apparaît comme susceptible de considérer fictif tout ce qui n’est pas vrai. La critique de la rationalité elle-même, toujours mêlée de sentiments et d’imagination, renforce l’attrait que possèdent les positions relativistes ou encore solipsistes.
13Dans les deux cas, la fiction est définie de façon négative, comme objet non-réel ou énoncé non-vrai, et semble alors pointer un défaut plus qu’une vertu de tels discours ou représentations. En tant que lutte raisonnée contre les illusions trompeuses, la philosophie aurait tôt fait de condamner ces fictions – à l’instar de Platon fustigeant les poètes et les imitateurs. Mais ce n’est pas si simple : les fictions théoriques, loin d’être embarrassantes, s’avèrent en fait utiles dans la quête de connaissances, autant que le processus de faire-semblant, commode pour développer quelque inférence valide à propos du monde. L’usage d’un même terme pour diverses raisons (ontologiques et épistémologiques) engendre donc des effets contradictoires : exclure et intégrer certaines entités douteuses, rejeter et défendre leur valeur cognitive. Ne serait-il pas alors indispensable d’opérer des distinctions conceptuelles au sein du fictionnel ?
1.3 Distinctions génériques et disciplinaires
14Pour questionner ce qu’est en propre la dimension fictionnelle de la philosophie, nous pouvons la comparer à d’autres pratiques : le travail du philosophe est-il plus proche de celui d’un journaliste, d’un historien, d’un physicien, d’un logicien, d’un mathématicien, d’un psychologue, d’un poète, d’un romancier, d’un cinéaste, d’un conteur, d’un rêveur ? Les formes fictionnelles en jeu ici sont-elles de même nature ? La réponse semble négative. Nous suivons les analyses de Lamarque & Olsen [1994 : 175-191] qui dénoncent les deux erreurs menant à la généralisation du terme de « fiction », et ainsi à la fictionalisation unifiée de disciplines ou phénomènes pourtant différents : celle de l’indistinction des récits et celle de l’omniprésence de l’imagination. Leur but est de distinguer a minima deux types de fiction : les fictions artistiques (littéraires) et épistémiques (scientifiques), dit autrement les histoires « qu’on utilise (employ) » et celles « qu’on ne fait qu’apprécier (we only enjoy) » [Prado 1984]. Forts d’une définition essentialiste des œuvres de fiction – comme attitude de croyance feinte prescrite par la reconnaissance de l’intention spécifique de l’auteur et des conventions d’une pratique sociale particulière (storytelling) –, Lamarque & Olsen rejettent ainsi tout autant les conceptions de la philosophie comme étant une forme de littérature, ou de la littérature comme une manière de philosopher : chaque discipline est gouvernée par les règles propres à son genre, et l’usage de l’imagination n’y est pas identique.
15L’erreur de l’indétermination des récits repose sur le présupposé faux que toute forme narrative, en tant qu’elle induit l’usage de l’imagination, est donc fictionnelle. Cette thèse est renforcée par l’idée que nous avons une disposition naturelle à la mise en récit. Le problème vient de ce que seuls deux aspects (structurel et référentiel) de la narration sont envisagés, alors que c’est par un troisième (générique) que se caractérise le récit de fiction (littéraire). En effet, le trait structurel permet seulement de savoir si un texte est ou non un récit, mais cette forme est partageable par diverses pratiques, sérieuses ou ludiques. Quant au trait référentiel, il suppose de définir la fiction à partir d’un critère sémantique (comme absence de lien entre une représentation et le monde), pourtant inapproprié : les œuvres de fiction peuvent parler de personnes, lieux ou événements réels, comme dans le cas des romans historiques. C’est donc la dimension pragmatique du genre de récit auquel on a affaire qui est cruciale, caractérisée par sa visée et la pratique dans laquelle il se situe, faite de conventions de réception spécifiques. De ce fait, les « récits organisationnels » s’opposent aux « histoires déclarées telles », et pour autant qu’il y ait de la narration dans l’argumentation philosophique (par exemple, les expériences de pensée), celle-ci ne vise pas à nous divertir et à nous immerger dans un monde imaginaire, mais bien plutôt à être reçue de façon critique et réfléchie. Il n’y a donc pas « fiction » chaque fois qu’il y aurait « récit ».
16La seconde erreur consiste à défendre l’omniprésence de l’imagination, et ainsi sa synonymie avec le concept de fiction. Cette thèse est renforcée par l’idée que l’imagination semble fondamentale dans nos processus cognitifs. Or il faut distinguer l’imagination comme activité et comme attitude. L’opération cognitive consistant à assembler idées et images peut certes être répandue et commune à diverses pratiques, cela signifie seulement que nous avons une faculté créatrice, non pas que tout ce que nous concevons est création de fictions. Car ce qui caractérise la fiction ludique (artistique) ne se situe pas en amont, mais en aval : ce n’est pas l’acte d’imaginer, mais le devoir d’adopter cette attitude semi-doxastique à l’égard de ce qui est raconté. Un romancier peut même manquer d’imagination, cela ne change rien au fait que ses lecteurs doivent faire-semblant de croire son histoire. Dès lors, considérer que tout objet est fictif pour peu qu’il soit imaginé, c’est faire fi de plusieurs différences de taille, notamment quant à l’origine, la nature et la fonction de telles entités : les unes sont tirées d’œuvres de fiction, persistent dans le temps et visent à nous divertir, les autres sont tirées d’œuvres de non-fiction, sont éliminables et visent la connaissance. Il n’y a donc pas « fiction » chaque fois qu’il y a « imagination ».
17Une première conclusion s’impose, à savoir que le terme de « fiction » est confondant : il semble qualifier des phénomènes distincts, posséder différents critères d’application et être motivé par des enjeux parfois contradictoires. Ainsi, à la question de savoir si l’usage de « fictions » en philosophie représente une faiblesse, nous pourrions répondre positivement d’un point de vue scientiste ou réaliste, et négativement d’un point de vue pragmatiste ou fictionaliste. Et la thèse selon laquelle l’imagination fictionnelle est inhérente à toute activité mentale d’abstraction ou de supposition ne permet pas de rendre justice à la distinction entre activité et attitude requise. Même en tant qu’activité, l’imagination en jeu dans le travail du philosophe semble être contrainte par des critères de rationalité et de vérité auxquels ne sont pas nécessairement soumis les romanciers, les cinéastes ou les rêveurs : les conjectures et les idéalisations théoriques doivent respecter certaines data empiriques et lois logiques. Dans ce cas, on devrait au moins distinguer entre imagination autonome et hétéronome, la première ne visant pas autre chose que sa propre cohérence interne. Finalement, c’est la définition même du concept de fiction qui doit être étudiée afin de spécifier ce que tente de saisir le jugement de fictionalité en philosophie.
2. Pourquoi la fiction ?
18La question « qu’est-ce que la fiction ? » traverse tout le XXe siècle, et notamment les développements de la philosophie analytique, passant de la philosophie du langage à celle de l’esprit, flirtant aussi avec les théories de la littérature ou la philosophie de l’art, quoique cherchant à s’en éloigner. Le mouvement d’ensemble consiste à rejeter une qualification négative et parasitaire de la fiction pour parvenir à formuler une définition positive et autonomiste de la fictionalité d’une œuvre en termes de conditions nécessaires et suffisantes. Nous présenterons d’abord les six critères de la fiction, puis les standards et les règles du jugement de fictionalité, en supposant que la fiction est moins une affaire d’essence interne qu’un concept classificatoire répondant à des enjeux externes. In fine, l’ambiguïté du terme semble reposer sur le caractère ambivalent des objets, expressions ou pratiques mêmes auxquels on l’applique, et motiver ainsi l’usage d’une grille d’analyse tripartite, alors capable de décomposer les phénomènes en jeu. La question devient donc celle de savoir ce qui, dans la philosophie, relève (et devrait relever) de l’information, de l’interprétation et de l’invention. Pour une étude plus étayée de ces considérations, on pourra consulter Renauld [2014].
2.1 Définitions et théories de la fiction
19L’analyse de la fiction, entendons-nous, ne se réduit pas au XXe siècle – ce serait là nier les travaux de nombreux philosophes, à commencer par Platon dans La République, ou Aristote dans sa Poétique. Cependant, le problème que pose sa définition même, c’est-à-dire la question des critères sur lesquels nous pouvons compter pour savoir que quelque chose est fictionnel, paraît devenir l’un des centres d’attention de ceux qu’on peut considérer comme les pères de la philosophie analytique, Frege et Russell. C’est donc avant tout du côté du langage que l’enquête semble se tourner d’abord, langage qui est aussi le point focal des études narratologiques portant sur les œuvres de fiction littéraires que sont les romans, contes ou pièces de théâtre. Progressivement, les critères se déplacent d’une spécificité interne – la relation des mots au monde – à une caractéristique externe – l’intention de l’auteur et les conventions de réception –, abandonnant l’idée d’un lien privilégié entre la fiction et l’art, autant que le langage, jusqu’à une définition mentaliste et fonctionnaliste de la fictionalité : indépendamment de la question de la réalité (d’un objet) ou de la vérité (d’un énoncé), être une fiction, en somme, c’est prescrire au lecteur des contenus à imaginer, à feindre de croire.
20Développons succinctement les six critères de fictionalité qu’on peut répertorier dans l’histoire de la philosophie de la fiction, chacun naissant du rejet du critère précédent, mis à part le critère syntaxique avancé notamment par la narratologue Cohn [1999]. En effet, la thèse selon laquelle il existe des marqueurs textuels de fictionalité, comme le style indirect libre ou l’absence d’appareil périgraphique, est rapidement écartée par les philosophes : deux textes peuvent avoir exactement le même contenu, et néanmoins être respectivement une œuvre de fiction et une œuvre de non-fiction. Le style indirect libre pourrait bien être une licence (inappropriée) que se permettrait un historien, les notes de bas de page pourraient être un outil dont se servirait un romancier pour rendre plus vraisemblable l’histoire (inventée) d’un universitaire, et inversement, un récit pourrait être fictionnel sans aucun marqueur particulier. En un mot, la fictionalité n’est pas « visible », même si certains aspects d’une représentation peuvent nous mettre sur la piste.
21Le critère sémantique, défendu notamment par Frege [1892] et Russell [1905], repose sur une conception négative de la fiction comme énoncé dépourvu de référence, quoiqu’ayant un sens : étant fictif, il n’est ni vrai ni faux (Frege) ou faux (Russell). Bien que ces remarques ne visent pas à donner une authentique définition de la fiction, mais plutôt à analyser ces propositions suspectes du point de vue des théories vériconditionnelles de la signification, elles rejouent pour ainsi dire l’idée commune qui associe la fiction à l’inexistence et à la fausseté. Or cela ne semble ni nécessaire ni suffisant. En effet, qu’un récit soit faux ne fait pas de lui un récit de fiction, puisqu’il pourrait être en fait erroné ou mensonger. Et cela n’est pas une condition nécessaire en ce sens qu’une histoire inventée peut très bien mettre en scène des personnes réelles dans des lieux réels, à l’instar des romans historiques, par exemple, ou dire des choses vraies, qu’il s’agit néanmoins d’imaginer plutôt que de croire ou de discuter. Une dernière objection consiste à dire que ces analyses reposent sur un conditionnel pourtant inapproprié, à savoir « si cet énoncé parle du monde réel, alors il est faux ». Or les œuvres de fiction ne représentent pas (forcément) le monde actuel, et les propositions qui la composent peuvent être jugées vraies dès lors qu’on leur ajoute un préfixe du type « dans l’histoire… ». En somme, la fictionalité n’est pas une question de relation entre les mots et le monde, mais un certain usage du langage, une force particulière de l’énoncé.
22Les critères suivants glissent des théories du langage comme image du monde aux théories des actes de parole, qui tiennent davantage compte du contexte d’énonciation, de l’intention du locuteur et des conventions de réception. Le critère pragmatique de Searle [1975] porte ainsi sur la spécificité de l’intention de l’auteur qui décide de produire un discours fictionnel : celui-ci, quoique donnant l’impression de faire les mêmes types illocutoires qu’un journaliste, à savoir des assertions, en réalité ne fait que semblant d’asserter, sans intention de tromper. Dès lors, il n’est plus soumis aux règles constitutives des assertions (il n’a pas à justifier ou prouver ses dires) parce que ses pseudo-assertions ne sont pas reliées au monde (il pseudo-réfère). L’analyse de Searle a reçu de nombreuses critiques de la part de ceux qui avancent les critères suivants. En résumé, le problème vient de certains principes en jeu dans l’ensemble de sa théorie du langage (la dimension pragmatique dépend encore de la dimension sémantique), laquelle sera abandonnée au profit de celle de Grice. En outre, la fiction est ici définie comme un acte parasitaire et non plénier, ce que souhaitent les philosophes de la fiction. Enfin, elle situe la feinte du côté du locuteur, alors qu’elle est plutôt une dimension de l’attitude des destinataires dans les définitions mentalistes actuelles.
23Le critère intentionnel de Currie [1990] est double : « une œuvre est une fiction si et seulement si (a) elle est le produit d’une intention fictive et (b) si elle est vraie, alors elle est au mieux accidentellement vraie ». La première clause est nécessaire, et la reconnaissance de cette intention a alors pour effet de faire adopter à l’auditoire la posture requise, à savoir faire-semblant de croire que l’histoire racontée est vraie. La seconde clause (b) permet d’éviter les cas où (a) serait insuffisant : le contenu d’une histoire fictive doit être contrefactuellement indépendant des faits – si des événements différents étaient arrivés, le contenu n’aurait pas différé de façon à leur correspondre. Les défauts de la position de Currie proviennent globalement du manque de garantie dans la reconnaissance de l’intention fictive (le sens conventionnel des énoncés n’est pas assez fondé) et de son ajout de la seconde clause, qui tend de nouveau à assumer un trait sémantique dans la définition.
24Le critère conventionnel de Lamarque & Olsen [1994] pallie ses insuffisances en ancrant la spécificité de la fiction (littéraire) dans une « pratique sociale », celle de « raconter des histoires », gouvernée par des règles fixes connues par la communauté. L’auteur de fiction exprime aussi une intention gricéenne visant à ce que l’auditoire fasse-semblant de croire le contenu de l’histoire, mais cette fois tout à fait « indépendamment de la question de savoir s’il y a (ou s’il croit y avoir) de tels personnes, objets, incidents ou événements ». Dès lors, la fiction est définie en-dehors de l’axe vérité / réalité. Si Lamarque & Olsen parviennent à formuler une définition complète de l’essence de la fiction, ils semblent pourtant se heurter au problème d’une explication circulaire (quelle est l’origine de cette pratique spécifique ?), mais surtout d’une analyse trop linguistique, focalisée sur les œuvres littéraires.
25Le critère fonctionnel de Walton [1990], rompant le lien entre fiction et langage, part de la parenté entre jeux d’enfants et arts représentationnels (théâtre, peinture, photographie…). Ici, sans considération particulière pour l’intention des producteurs, l’« institution de la fiction » repose plutôt sur la nature et le rôle canonique de certains types de dépictions (verbales ou visuelles), à savoir d’être des « objets dont la fonction est de servir de supports dans des jeux de croyance feinte ». Walton resserre son attention sur le type d’expérience des joueurs, leurs émotions et les formes d’imagination qu’ils déploient. En ce sens, « l’imagination vise le fictionnel comme la croyance vise le vrai », et les prescriptions à imaginer peuvent s’étendre à des sphères considérées comme sérieuses dès lors qu’un objet semble pseudo-référer. C’est ce dernier point qui semble discutable : l’intention du producteur semble importante pour limiter la feinte et la fictionalité d’une représentation ne dépend pas de sa relation (ou de son absence de relation) au monde. L’essence de la fiction s’avère être en résumé cette attitude requise de croyance feinte ludique et partagée.
26Ce qui ressort de ce bref aperçu des théories de la fiction, ce sont deux types de tension qui minent en réalité la plausibilité d’une définition absolue du phénomène. La première consiste en une opposition entre conceptions parasitaire (négative) et autonomiste (positive) de la fictionalité, la seconde entre modèles platonicien (sémantique) et humien (pragmatique et doxastique) de la fiction [Schaeffer 2005]. On peut penser que les philosophes qui défendent l’autonomie d’un « monde » fictionnel et la spécificité de l’attitude propositionnelle de pseudo-croyance à son égard ont pour ainsi dire réglé son compte à l’idée que la fictionalité est synonyme de fausseté ou d’inexistence, et ainsi montré que les positions panfictionalistes (postmodernes, relativistes et constructivistes) ne sont pas tenables. Mais l’affaire est plus compliquée puisque l’axe réalité / vérité ne semble pas complètement écarté de la définition essentialiste, mentaliste et fonctionnaliste de la fiction « make-believe ». En outre, celle-ci se heurte à certaines objections touchant à la plasticité supposée de nos états mentaux, qui peut paraître excessive (on devrait pouvoir faire-semblant de croire quelque chose que l’on croit), et à la fonction unique attribuée aux œuvres d’art, qui peut paraître réductrice (se divertir et s’immerger dans l’univers fictif, plutôt que comprendre et éclairer quelque aspect du monde réel). En ce sens, il n’y aurait pas d’essence de la fiction, mais plutôt un jugement variable portant sur divers objets, expressions ou pratiques, s’appuyant sur des motifs (internes) et des motivations (externes).
2.2 Jugements variables, règles et standards
27Une approche contextualiste du jugement de fictionalité, élaborée dans le sillage de celle de Lewis [1996] concernant l’attribution de connaissance, offre ainsi la possibilité de mieux saisir les enjeux de l’application du prédicat « fictionnel » en respectant les mérites et limites de chaque critère avancé précédemment. Globalement, le jugement s’opère sur la base de sept règles (Existence, Vérité, Sincérité, Fiabilité, Révision, Responsabilité, Société), chacune raffinée en deux versions concurrentes (par défaut ou par dédoublage) et répondant aux trois principaux soucis (ontologique, épistémique et éthique) des enquêteurs. Les standards du jugement expriment alors sa variabilité en fonction de tels ou tels traits des représentations soumises à qualification. Voici ci-dessous la synthèse des règles, métarègles et standards.
28REGLES & METAREGLES DU JUGEMENT DE FICTIONALITE
29Les règles sémantiques (qui répondent principalement au souci ontologique) :
30(1) La Règle d’Existence.S juge que α est un objet fictionnel ssi…
31- par défaut : … α n’existe pas dans le monde actuel.
32- par dédoublage : … α existe dans un ensemble de mondes F considéré-comme-fictionnel-par-S.
33(2) La Règle de Vérité. S juge que p est un énoncé fictionnel ssi…
34- par défaut : … p n’est pas vrai dans le monde actuel.
35- par dédoublage : p est vrai dans un ensemble de mondes F considéré-comme-fictionnel-par-S.
36Les règles pragmatiques (qui répondent principalement au souci épistémique) :
37(3) La Règle de Sincérité. S juge que R est un récit fictionnel du locuteur L ssi…
38- par défaut : … L n’exprime pas ses croyances en énonçant R.
39- par dédoublage : … il y a un locuteur L’, distinct de L, tel que L exprime les croyances de L’ en énonçant R.
40(4) La Règle de Fiabilité. S juge que R est un récit fictionnel du locuteur L ssi…
41- par défaut : …L n’a pas l’obligation de défendre R (c’est-à-dire que L n’a ni preuve, ni raison, ni intuition à apporter pour défendre R).
42- par dédoublage : … il y a un locuteur L’, distinct de L, tel que L’ a l’obligation de défendre R par l’intermédiaire de L.
43(5) La Règle de Révision. S juge que R est un récit fictionnel pour ses participants P ssi…
44- par défaut : … les P n’ont pas l’autorisation de discuter, réviser ou améliorer R.
45- par dédoublage : … il y a au moins un participant P’, distinct des P, qui a l’autorisation de discuter, réviser, ou améliorer R par l’intermédiaire des P.
46Les règles praxéologiques (qui répondent principalement au souci éthique) :
47(6) La Règle de Responsabilité. S juge que A est une action (ou série d’actions) fictionnelle(s) pour ses participants P ssi…
48- par défaut : … les P ne sont pas tenus pour responsables de A, sur le plan causal, moral ou légal.
49- par dédoublage : … il y a au moins un participant P’, distinct des P, tel que P’ est tenu pour responsable de A, sur le plan causal, moral ou légal, par l’intermédiaire de P.
50(7) La Règle de Société. S juge que A est une action (ou série d’actions) fictionnelle(s) pour ses participants P ssi…
51- par défaut : … A n’a pas d’enjeux sociaux (c’est-à-dire citoyens, civiques, voire civilisateurs) pour P en dehors de A.
52- par dédoublage : … il y a au moins un participant P’, distinct des P, pour lequel A a des enjeux sociaux (c’est-à-dire citoyens, civiques, voire civilisateurs) pour P’ dans A, par l’intermédiaire de P.
53Les métarègles :
54A) Concernant les règles, on peut opter pour une définition minimaliste de l’ensemble de mondes F considéré-comme-fictionnel-par-S, fonctionnant de pair avec l’attribution « par défaut » des règles (1) et (2) – à savoir, un ensemble constitué de mondes possibles, de mondes doxastiques ou d’entités théoriques, dont est exclu le monde actuel. En ce sens, les conditions d’application du méta-prédicat sont définies à partir de standards ontologiques.
55(B) Les règles sémantiques sont soumises à l’application des règles pragmatiques. L’ensemble F est considéré-comme-fictionnel-par-S ssi F est le contenu sémantique d’une narration ou d’une assertion (la diégèse d’un récit) jugée fictionnelle selon (3), (4) ou (5), ou une partie d’entre elles. Les conditions d’application du méta-prédicat sont définies à partir de standards épistémiques.
56(C) Les règles sémantiques sont soumises à l’application des règles praxéologiques. L’ensemble F est considéré-comme-fictionnel-par-S ssi F est le contenu sémantique d’une description des actions (d’un jeu) jugées fictionnelles selon (6), (7) ou une d’entre elles. Les conditions d’application du méta-prédicat sont définies à partir de standards.
57STANDARDS RENDANT VARIABLES LE JUGEMENT DE FICTIONALITE
Standards ontologiques |
Standards épistémiques |
Standards éthiques |
(1) α a plus ou moins à voir avec les objets existants du monde actuel |
(3) L est plus ou moins obligé d’exprimer ses croyances dans R |
(6) P est plus ou moins tenu pour responsable de A |
(2) p a plus ou moins à voir avec les propositions vraies dans le monde actuel |
(4) L est plus ou moins obligé de défendre R |
(7) P est plus ou moins autorisé à investir des enjeux sociaux dans A |
(5) P est plus ou moins autorisé à discuter R |
58Nous ne développerons pas plus avant l’approche contextualiste du jugement de fictionalité. Ce qui est présenté ici nous suffit pour noter que l’attribution du prédicat « fictionnel » en philosophie relève principalement du souci ontologique, plus précisément onto-sémantique, portant sur l’existence ou la non-existence de certains objets, ou sur la vérité ou la fausseté littérale de certains énoncés. En tout cas, il ne semble pas être question d’apprécier la sincérité d’un philosophe exprimant ses thèses, ni la posture des lecteurs d’un ouvrage philosophique. On peut même remarquer qu’il serait absurde de juger fictionnelle une argumentation, au sens où personne ne serait autorisé à discuter ou à défendre ce qui est affirmé, ou encore considéré comme responsable d’une théorie. Dans cette optique, les raisons pour lesquelles nous « fictionnalisons » certaines dimensions de l’exercice philosophique ne paraissent pas être les mêmes que celles qui nous incitent à classer, selon les conceptions « make-believe », les romans, films ou jeux vidéo dans la catégorie des fictions, faisant plutôt jouer les standards épistémiques et éthiques. L’enquête devrait donc se focaliser sur la nature et le sens de certains signes ou « systèmes symboliques » à propos desquels nous pourrions nous accorder à dire qu’ils sont des « inventions humaines » possédant une valeur cognitive [Goodman 1994]. En effet, au-delà de la variabilité de l’application du prédicat « être fictionnel » et du flou entourant le concept d’imagination, le terme d’« invention » s’avère être ici un point central commun aux multiples jugements : des objets, hypothèses ou scenarii sont inventés par un penseur et mis à profit dans sa réflexion. Comment clarifier cet acte de création dans son rapport avec le but visé, au moins en philosophie, à savoir la compréhension de quelque aspect du monde ?
2.3 Figures doubles et tripartition formelle
59En se concentrant sur le jugement de fictionalité concernant des entités, on peut considérer que sa variabilité suit en fait la dualité de perspectives qu’il est possible d’emprunter à leur égard. En effet, d’un point de vue externe, un personnage comme Holmes (ou Mary dans l’expérience de pensée de Jackson) n’existe pas en tant qu’il est une construction verbale : il est donc « fictif » parce que non réel. En revanche, du point de vue interne, Holmes existe : il est détective, habite à Londres et n’est pas jugé fictif par Watson ni par les lecteurs pris dans l’histoire, par exemple, lorsqu’ils ressentent une authentique admiration pour ses capacités de déduction. Ce type d’invention, entraînant une illusion de vie (l’impression d’avoir affaire à une personne réelle), joue ainsi sur deux niveaux distincts, et si la lecture ordinaire adopte plutôt le point de vue interne, l’œil du théoricien ou du philosophe a tendance à accentuer le point de vue externe. En ce sens, l’intérêt pour cette « entité » diffère : les lecteurs souhaitent suivre les aventures de Holmes, les critiques cherchent davantage à savoir comment ce signe fonctionne et s’inscrit dans le système symbolique global.
60Cette différence correspond à la distinction que Genette relève entre deux types de lecture possibles d’une œuvre représentative, ou d’une séquence narrative, à savoir comme « fiction » (une série de faits imaginaires) ou « figure » (une série de signes actuels). Suivant Sartre, pour qui l’ambiguïté d’un signe implique de pouvoir « le traverser comme une vitre » pour atteindre « à travers lui la chose signifiée », ou de « tourner son regard vers sa réalité, et le considérer comme ‘objet’ », Genette estime aussi qu’une œuvre représentative « est toujours à la fois transparente et opaque, transitive et intransitive » [2004 : 226]. Ainsi chaque signe ouvrirait deux types d’activations, réifiante ou signifiante, difficiles à réaliser simultanément. Il est alors méthodologiquement plus efficace de réserver le terme de « fiction » à l’expérience d’une évasion dans un univers inventé, et celui de « figure » à l’interprétation par un monde inventé – ce à quoi semble se prêter un philosophe usant de son imagination. En ce sens, s’immerger et se laisser captiver par une expérience de pensée comme celles de Platon, Searle ou Jackson, ne semble pas approprié. La raison en est que la dimension « fictionnelle » de la philosophie est plutôt « figurale », privilégiant (voire obligeant à) une lecture signifiante des symboles et scenarii en jeu.
61On l’aura compris, mon propos se focalise sur la question de la pertinence de certains de nos concepts, eu égard au caractère parfois trop vague de leur signification : l’idée est donc de les clarifier, notamment en proposant des concepts plus fins. C’est dans cette optique qu’une grille d’analyse tripartite semble plus à même de rendre compte des diverses questions que nous nous posons à propos, ici, de certains signes, « objets » ou propositions apparaissant dans l’exercice philosophique : on redistribue de cette façon les tensions ou oppositions duales auxquelles se confronte le jugement de fictionalité, à savoir entre fait, figure et fiction, ou plus synthétiquement entre Information, Interprétation et Invention.
Information (Fait) |
Interprétation (Figure) |
Invention (Fiction) |
|
Question |
Comment le sais-tu ? |
Pourquoi le crois-tu ? |
Que décides-tu ? |
Action |
Chercher |
Construire |
Créer |
Axe |
Sens des réalités |
Sens des rationalités |
Sens des responsabilités |
But |
Enregistrer ou recenser l’ordre des choses |
Déduire ou induire un ordre de ressemblances / dissemblances entre éléments d’un système |
Ajouter un ordre ou déformer / transformer un ordre |
Intention |
Description |
Explication / Compréhension |
Déclaration / Stipulation |
Propriété |
Etre vérifiable / réfutable |
Etre discutable / justifiable |
Etre acceptable / concevable |
Faculté |
Croyance / Mémoire / Perception |
Raison / Logique / Connaissance |
Désir / Volonté / Rêve |
Réalisation |
Sens commun et vie pratique |
Entreprise de sens et attribution de valeurs |
Affabulation et distraction |
Position |
Proposition |
Supposition |
Imposition |
62Deux remarques à propos de cet appareil semi-formel. En premier, notons qu’il existe une correspondance entre la colonne de l’Information et la version « par défaut » des règles du jugement de fictionalité, ainsi qu’entre celle de l’Invention et la version « par dédoublage ». Autrement dit, qualifier un objet de « fiction », c’est nier avoir affaire à une information à propos d’un objet réel, ou affirmer avoir affaire à un objet inventé par un humain, prenant place dans un cadre alternatif. Le seconde remarque consiste à noter qu’au sens strict, inventer est un acte libre, gratuit et sans contraintes extérieures, contrairement à l’acte d’interpréter qui suppose de tenir compte des informations que nous considérons comme sérieuses et fiables à propos du monde et de ses représentations, et du système symbolique dans son ensemble. Dès lors, dans le contexte d’une étude sur la nature et l’usage de l’imagination au sein d’une construction conceptuelle et rationnelle du type de celles que développent les philosophes, l’accent devrait être mis sur la catégorie de l’interprétation : la raison en est que les inventions humaines utiles à la philosophie sont moins des fantaisies subjectives et désirées que des formes et des outils de clarification du réel – donc moins des « fictions » que des « figures ».
63A l’issue de l’examen des divers critères constitutifs en jeu dans les théories de la fiction, jusqu’au glissement vers les règles et standards du jugement conditionnel de fictionalité, le problème de l’usage de l’imagination en philosophie semble donc porter plus précisément sur l’interprétation (signifiante) de figures inventées, plutôt que sur la lecture (réifiante) d’objets ou scenarii imaginaires – d’où la présentation de la grille tripartite. On pourrait objecter que nous n’avons fait que jouer, pour ainsi dire, des concepts contre des concepts, en supposant que les difficultés sont seulement terminologiques. Cela se peut, mais il ne faudrait pas sous-estimer ce type d’obstacles. En effet, la notion de « fiction » semble être un « primitif critique » [Olsen 2000], induisant une orientation partielle et partiale, voire trompeuse, dans la formulation et la résolution des problèmes théoriques, à l’instar de la notion de « croyance feinte » (make-believe) des définitions mentalistes de la fiction. En outre, en suivant Goodman à propos de l’art, il est aussi possible que nous soyons ici confrontés à ce qui n’est « pas tout à fait une affaire de tactique, mais [le] résultat du traitement d’un très difficile problème de définition et de construction ». En ce sens, l’essentiel consisterait alors à « disposer d’un vocabulaire grâce auquel nous puissions capturer des distinctions subtiles, des relations et des concepts qui ne recoupent pas les distinctions, relations et concepts traditionnels » [1984 : 153-154]. Si les faits (l’Information) sont peut-être rares en philosophie, il ne s’agirait pas pour autant de faire entrer les fées (les Inventions) inconsidérément ! Mais ce qui apparaît alors confondant dans l’exercice d’interprétation du monde par la philosophie, et qui nous pousse encore une fois à sa « fictionnalisation », ce pourrait être le sentiment d’insatisfaction que nous avons face aux concepts classiques de « réalité », « vérité », « référence » ou « connaissance ». Dans cette perspective, le constructivisme métaphysique et le cognitivisme esthétique développés par Goodman s’avèrent salutaires.
3. Comprendre quoi ?
64Le paradoxe posé par l’usage de fictions en sciences ou en philosophie consiste à se demander comment il se peut que quelque chose de faux permette de connaître quelque chose de vrai, ou encore comment un objet inexistant peut éclairer un phénomène réel. Les catégories classiques et centrales de « vérité » et de « réalité » sont ainsi bousculées, au point de considérer comme efficiente une illusion, c’est-à-dire une feinte, une simulation ou plus encore qu’un « faire semblant », un « faux-semblant », autant d’irréalités d’apparences qu’une discipline de recherche sérieuse cherche précisément à dépasser. Simultanément, leur pouvoir explicatif et leur valeur cognitive semblent évidents, à l’instar de l’idée que nous pouvons apprendre bien des choses (vraies ou fausses) via des histoires inventées ou des jeux. Dès lors, comment sortir de cette tension entre vérité et fausseté, ou monde réel et imaginaire, et à quel type de connaissance avons-nous affaire si elle n’est ni empirique, ni même nécessairement rationnelle (l’imagination pouvant produire des objets contradictoires) ? Ne devrions-nous pas en somme modifier notre conception du savoir, nos exigences doxastiques ? Les glissements conceptuels opérés par Goodman, du monde aux versions-de-mondes, de la vérité à la correction et de la connaissance à la compréhension, semblent être à même de clarifier les fonctionnements multiples de nos systèmes symboliques, sans préjuger de leurs capacités référentielles – en particulier ici, sans avoir à statuer sur le caractère fictif ou non des concepts philosophiques. La question devient donc : que sont ces inventions humaines intégrées à nos raisonnements, que décrivent-elles, qu’expliquent-elles, comment agissent-elles sur nous ? En d’autres termes, que faisons-nous lorsque nous jugeons que nous faisons « comme si » ?
3.1 Constructions conceptuelles : décrire
65Si la reconnaissance d’une dimension « fictionnelle » de la philosophie est motivée par des considérations ontologique et épistémique, il est possible qu’une revisitation des concepts de « monde réel » et de « vérité » affaiblisse ce jugement, voire le rende caduc. En ce sens, la défense par Goodman (1) d’un constructionnisme irréaliste et (2) d’un cognitivisme esthétique semble pour ainsi dire défaire les présupposés de cette « fictionnalisation » : les seules choses auxquelles nous avons affaire sont des images ou des histoires, c’est-à-dire des ensembles de symboles inscrits dans des systèmes et qu’il nous faut décoder en termes de « corrections de versions de mondes » plus ou moins compatibles.
66En ce qui concerne la thèse métaphysique antiréaliste (1), Goodman [1984 : 35] renvoie dos-à-dos les réalistes qui affirment l’existence du monde réel et les créationnistes qui assument l’existence de mondes fictifs : selon lui, « il n’y a pas de mondes fictifs » et « pas davantage quelque chose comme le monde réel ». Les erreurs de chaque position ne sont pas tout à fait les mêmes : si les premiers croient à tort au mythe du « fait brut », les seconds réifient une façon de parler en la littéralisant. En effet, Goodman note que « lorsqu’on dit qu’une chose est fictive mais non réelle, c’est comme si l’on disait qu’il y a une chose telle qu’il n’y a rien de telle » – on reconnaît là le paradoxe de Meinong [1904] qui le motive précisément à accepter dans son ontologie les objets inexistants, mais subsistants. Ici, l’usage du « comme si » marque en quelque sorte ce tour de passe-passe consistant à hypostasier un phénomène linguistique : or, pour Goodman, « il n’y a pas d’images de licornes ou d’histoires sur les fantômes ; il n’y a que des images-de-licorne et des histoires-de-fantômes ». Il en va alors de même du « monde » : il n’y a que des versions-de-monde, des représentations au moyen de concepts ou de conceptions qui ne sont pas forcément verbales, les symboles pouvant être picturaux, diagrammatiques, gestuels ou encore kinesthésiques. C’est la raison pour laquelle Goodman est nominaliste et développe une position inscriptionnaliste : le sens de ces signes ne relève pas de la question de l’existence de telles ou telles entités. Notons que cela ne l’incite pas pour autant à défendre une thèse fictionnaliste, comme c’est actuellement le cas de ceux qui refusent des engagements ontologiques jugés trop coûteux, en philosophie du langage, de la religion ou des mathématiques. Cela s’explique notamment en vertu de sa critique du concept de « vérité » en philosophie ainsi que d’une conception commune de la philosophie elle-même, effets de son attention accrue pour (2), l’idée selon laquelle le champ artistique possède une indéniable valeur cognitive.
67Pour Goodman et Elgin [1994 : ch. X], parce que « défaite et confusion sont inscrites dans les notions de vérité, de certitude et de connaissance », il devient nécessaire de « reconcevoir la philosophie », en particulier pour y intégrer les arts, domaines cognitivement riches. Cela n’implique pas de devenir excessivement relativiste ou sceptique, mais plutôt d’« opérer certains remaniements de l’équipement conceptuel » de la philosophie, dans un cadre global constructiviste. En effet, les concepts classiques sont jugés « défaillants » parce qu’« obtus et étroits » : il s’agit donc de « développer des instruments à la fois plus fins et plus variés » – ce qui semble aller à contre-courant de la prolifération du terme de « fiction » à toutes les sauces ! Quelles sont donc les défaillances et comment y remédier ?
68La notion de « vérité », d’abord, a le défaut d’être définie comme « correspondance » entre le discours et le monde préfabriqué : or cela devient délicat dès lors qu’il n’y a pas de monde indépendant des descriptions que nous formulons. En outre, sa portée est restreinte puisqu’elle ne concerne que les énoncés verbaux, et plus précisément ce qu’ils disent : or il existe de nombreux symboles non-verbaux, comme les dépictions, et de multiples façons de référer qui ne sont ni littérales ni explicites, comme l’allusion ou la métaphore. Enfin, la vérité est considérée à tort comme « la plus importante des choses qui entrent en considération » dans les théories ou les œuvres, alors que dans la vie quotidienne ou les sciences, par exemple, les approximations ou les régularités jouent un rôle considérable. Ce sont là trois bonnes raisons, non pas d’abandonner le concept de « vérité », mais du moins de lui préférer celui de « correction », plus large et plus adéquat, donc, pour clarifier et évaluer les différents types de fonctionnements symboliques. En effet, la correction d’une version-de-monde est « multidimensionnelle » et varie en fonction de circonstances et de facteurs comme « la pertinence, l’effet et la possibilité d’usage » auxquels la vérité est indifférente : elle est une question d’« ajustement avec » un complexe de symboles, non de correspondance stricte. Dans cette perspective, la question de l’imagination en philosophie est celle de l’ajustement et du fonctionnement, par exemple, de l’histoire-de-Gygès avec l’ensemble de l’argumentation de Platon, ou de la description-du-contrat-social avec le contexte mis en scène par Rousseau. Et comme la correction est un « processus actif d’ajustement mutuel », ce qui compte n’est pas seulement le fonctionnement de ce qui est ajusté, mais celui « du tout qui en résulte » : cela permet-il « d’aboutir à une compréhension plus complète et plus solide, d’extirper des anomalies, de pratiquer des discriminations et des connexions riches de sens, de parvenir à de nouveaux aperçus » ?
69Ce type de visées cognitives, variées et plus larges que l’apprentissage de savoirs positifs, est aussi ce qui motive Goodman et Elgin à rejeter les notions de certitude et de connaissance. La certitude, ce « mélange prétentieux de psychologique et de pseudo-logique », est à la fois difficile à définir (est-elle « croyance fervente, conviction absolue, foi ardente » ?) et trop exigeante, les prémisses non démontrées d’une démonstration devant être certaines pour que la conclusion le soit. Et si elle équivaut à l’irréfutabilité, il se peut que des énoncés faux le soient aussi, ce qui n’est pas acceptable. Ainsi est-il préférable de se focaliser sur la notion d’« adoption » : adopter un symbole est aussi une question d’ajustement et de fonctionnement, en ce sens qu’il s’agit de « l’incorporer au dispositif dont on se sert » en se demandant si les effets qui en découlent sont ou non durablement avantageux. En ce sens, adopter un nouveau symbole ou un concept inventé peut s’avérer gagnant du point de vue de la correction, même si l’habitude ou la tradition tendent à privilégier la conservation au détriment de l’innovation. L’imagination créatrice, et non seulement reproductrice, trouve ainsi sa valeur cognitive en tant qu’elle est susceptible de « fournir et développer une recherche et des idées nouvelles », modifiant le cadre établi pour accentuer divers aspects des versions-de-mondes. L’appel de Goodman et Engin en faveur d’une reconception de la philosophie est alors clarifié par ces remarques : le « faire » du philosophe est un « refaire, sa création est une conversion » et ses scenarii imaginatifs, des ajustements progressifs dans un système symbolique complexe.
70La notion de connaissance, enfin, parce qu’elle implique à la fois vérité et certitude, en subit les défauts, en plus de dépendre d’une justification dont bien des épistémologues ont relevé les faiblesses (pensons notamment aux cas de Gettier qui présentent une croyance vraie justifiée qui n’est pourtant pas une connaissance). Goodman et Elgin militent donc en faveur du concept plus étendu de « compréhension », qui se rapporte à la fois à une aptitude, à un processus et à sa réalisation. En tant que faculté cognitive, elle désigne « l’ensemble des capacités de recherche et d’invention, de discrimination et de découverte, de liaison et de clarification, d’ordre et d’organisation, d’adoption, de contrôle, de refus », et en ce sens, dès lors qu’une invention humaine permet de raffiner ces compétences, on peut lui reconnaître un rôle légitime dans l’exercice interprétatif. Par ailleurs, comprendre est l’activité cognitive qui consiste à employer ces capacités en vue de « faire et refaire » un ou plusieurs mondes, un effort dynamique, donc, visant précisément la compréhension comme but atteint. Autrement dit, le progrès de la compréhension s’apparente davantage à « l’art du charpentier qu’à celui d’un calcul », parce qu’il s’agit toujours de construire des visions ou des versions, puis de saisir les multiples chemins de référence plus ou moins déjà connus qui vont et viennent entre différents « systèmes constructionnels », supposant ainsi divers types d’aptitudes.
71Ce détour par les thèses goodmaniennes permet de dévier de l’axe vérité / réalité autant que de l’axe croyance / croyance feinte, à la fois pour élargir les perspectives sur la pluralité de fonctionnement des outils et symboles en jeu et se concentrer sur ce que nous apprennent, via leurs comparaisons, les formes de l’art, des sciences, de la philosophie, de la perception et de nos mondes quotidiens. Dans cette optique, « les systèmes de catégories, les techniques d’échantillonnage et les inférences argumentatives » sont considérées comme des « inventions humaines », mais pas forcément comme des « fictions », puisque ce qui compte n’est pas leurs potentiels déficits, ou dédoublages, ontologiques ou épistémiques, mais bien davantage leurs pouvoirs heuristiques et leurs fonctions, semblables à ceux d’une carte géographique : que les carrés qui représentent des maisons soient ou non jugés fictionnels, cela ne dit pas grand-chose de leur ajustement ou de leur correction. Ainsi, ce qu’il faut accentuer et examiner n’est pas tant leur nature que leurs usages, c’est-à-dire l’ensemble des processus de fabrication, d’application et d’interprétation de ces inscriptions.
3.2 Conjectures (in)vraisemblables : expliquer
72Focalisons-nous sur l’usage du « comme si » dans les raisonnements philosophiques, motif indéniable du jugement de fictionalité, pour tenter de clarifier les processus cognitifs qui y sont à l’œuvre. En réalité, ce que nous faisons lorsque nous faisons comme s’il existait un Malin Génie ou un locuteur idéal, par exemple, ou encore comme si l’homme était un être parfaitement rationnel, s’apparente soit à (1) une supposition, soit à (2) une comparaison : nous supposons l’existence d’un Malin Génie, ou nous comparons ce qu’est effectivement l’homme à ce qu’est un être parfaitement rationnel, pour en tirer quelque conséquence. Ainsi, l’imagination en philosophie semble avoir pour fonction d’élaborer (1) une modalisation ou (2) une modélisation, deux opérations théoriques qui n’ont pas l’air d’être aussi affectivement connotées que la « fictionnalisation ». En effet, la condamnation platonicienne des illusions, en vertu des passions qu’elles font naître, semble déplacée dès lors que nous n’aurions affaire qu’à des structures contrefactuelles ou à des modèles abstraits. On notera que cette stratégie pour ainsi dire réductionniste est également ce qui permet de rendre compte de la dimension cognitive des œuvres artistiques, notamment romanesques : les histoires inventées, conçues comme des « expériences de pensée », sont autant de versions possibles du monde, à tout le moins vraisemblables ou métaphoriquement pertinentes.
73Le processus de modalisation (1), réduisant le « comme si » à un « si… alors », peut porter sur une partie ou sur l’ensemble d’un scénario imaginatif, alors traité comme une hypothèse ou une conjecture. Par exemple, Kundera conçoit les personnages de ses romans comme des « ego expérimentaux » [1986 :171], donnant à penser que leur rôle consiste à exprimer des possibilités humaines. Plus globalement, les utopies imaginées par Musil dans son roman L’Homme sans qualités (utopies de l’exactitude, de l’essayisme, de l’autre état), sinon le roman dans sa totalité, fonctionnent comme des laboratoires dans lesquels sont testés tout autant ce qui pourrait être que ce qui devrait être. En ce sens, les énoncés qui composent le récit seraient moins des quasi-assertions (Searle) ou des prescriptions à imaginer (Walton) que des suppositions, c’est-à-dire des actes déclaratifs inscrits dans un cadre contrefactuel qui les complète et à l’issue duquel le lecteur se voit offrir diverses conclusions. Il ne s’agit pas ici de questionner la validité d’une telle approche des romans, mais plutôt de noter que celle-ci semble bien traduire ce que l’invention met en jeu dans l’exercice de la philosophie.
74Le processus de modélisation (2), réduisant le « comme si » à un « comme », peut aussi porter sur une partie ou sur l’ensemble du scénario imaginatif, et prendre diverses formes – de l’analogie à l’idéalisation en passant par la métaphore. Par exemple, Calvino estime que « la fonction d’un personnage peut être comparée à un opérateur, au sens que ce terme possède en mathématique » [1978 : 89], à savoir un symbole spécifiant un certain type d’opération ou une application entre deux espaces vectoriels. Dit autrement, celui-ci agit comme une « fenêtre » qui encadre et structure le récit selon un jeu de valeurs et de points de vue : la simulation prend ainsi la forme d’un « voir comme » pour envisager les situations décrites, ou plus précisément les niveaux de réalité et de crédibilité, de façon plus ou moins subjective. Ce type de caractérisation de la source d’énonciation est aussi présent en philosophie, comme le note Eco au sujet de Wittgenstein dans les Investigations Philosophiques : « l’auteur n’est autre qu’une stratégie textuelle capable d’établir des corrélations sémantiques, et demandant à être imitée » ; il n’est qu’un « style philosophique » auquel le lecteur doit s’adapter [1994 : 38]. Ici, s’il s’agit moins de « voir comme » que de « penser comme », l’idée reste la même, à savoir la mise en perspective de structures perceptives ou cognitives.
75Plus globalement, les histoires inventées peuvent s’apparenter à des études, fonctionnant analogiquement ou métaphoriquement. Goodman souligne ainsi que les narrations deviennent des « exposés » ou des « essais » dès lors qu’on accentue leurs « caractères topiques », en étant « guidés par l’information et l’éclairage que les épisodes relatés apportent » sur diverses situations ou phénomènes réels [1980 : 28]. Dit autrement, il est possible de réorganiser le contenu d’un récit imaginaire selon des thèmes, des catégories qui permettent de comparer par exemple les traits psychologiques d’un personnage et d’une personne. Il n’est qu’à penser aux Fables de La Fontaine, aux paraboles, aux caricatures ou encore à n’importe quelle « fiction » didactique pour illustrer ce point. En ce sens, les simulations informatiques, les modèles théoriques, les graphiques aussi bien que les figures géométriques, semblent fonctionner de façon idoine, supposant des relations d’équivalence, sinon d’identité, entre une représentation (abstraite, idéalisée, simplifiée) et son objet. Que la pertinence et l’adéquation de ces liens de renvoi puissent être discutables ne change rien au type d’activation attendu dans l’usage de ces symboles, à savoir une activation « miroir », un usage « reflet ». En revanche, ce que note Goodman, c’est la confusion qui entoure le concept de « ressemblance » ainsi que le caractère restreint de ce qu’on entend par « référence » en philosophie. Nous n’entrerons pas dans les détails de la théorie de la référence qu’il développe, car les « chemins » sémantiques entre symboles et prédicats sont nombreux et divers, de la dénotation à l’exemplification, en passant par la citation, l’expression ou l’échantillonnage. Relevons seulement que le procédé en jeu dans l’interprétation des romans est notamment « l’exemplification métaphorique » : lire La maison de poupée, par exemple, nous permet ainsi de comprendre « les limitations étouffantes que les mariages bourgeois conventionnels font peser sur la vie des femmes » [Elgin 1992]. On peut ainsi penser que l’imagination donne à la philosophie une dimension moins fictionnelle que métaphorique, plus globalement esthétique, qu’il s’agit de clarifier au moyen d’outils sémiotiques, de concepts précis et de relations logiques déterminées, plutôt qu’en termes d’état mental ou d’expérience phénoménologique particulière. C’est la raison pour laquelle, suivant l’antipsychologisme de Goodman, nous avons décomposé la notion de « comme si », formellement vague quoiqu’intuitivement acceptable, en deux principaux types distincts de processus cognitifs et de relations symboliques.
3.3 Convictions argumentatives : pâtir et agir
76Nous venons de rendre compte de ce que l’usage de l’imagination peut avoir de pertinent dans l’exercice philosophique, en le comparant (rapidement) au fonctionnement sérieux des œuvres romanesques. Cependant, nous n’avons ni garanti le bon usage de scenarii imaginatifs ou d’objets inventés, ni vérifié la correction de ce qu’ils nous font comprendre. Ces problèmes sont ceux auxquels se heurtent les défenseurs du cognitivisme esthétique, en partie liés aux critiques portant sur la faculté d’imaginer elle-même, jugée trompeuse (peu fiable) parce que défaillante et excessive. Effectivement, la mémoire, la raison et l’observation paraissent plus aptes à produire des croyances vraies, là où l’imagination joue plutôt sur nos désirs, jouissant de la liberté de créer sans contrainte imposée (on peut inventer des objets contradictoires ou physiquement impossibles) et susceptible d’engendrer des croyances ou des comportements que certains jugent irrationnels – en témoignent Platon ou Radford, pour qui l’irrationalité temporaire du public est l’explication la plus plausible du « paradoxe de la fiction » [1975]. En somme, l’imagination aurait plus à voir avec les émotions et les affects, et cela tendrait à discréditer la légitimité de son rôle épistémique, ou encore la justesse de son rôle pratique. Nous nous concentrerons donc sur deux aspects des effets de l’acte d’imaginer, qui semblent en affaiblir (à tort) la portée cognitive, à savoir (1) le pouvoir rhétorique plutôt qu’heuristique des histoires qu’on invente, et (2) leur fonction divertissante plutôt qu’herméneutique.
77La force rhétorique des scenarii imaginatifs (1) semble être notamment l’enjeu de l’usage pédagogique de films ou de romans dans l’enseignement de la philosophie, qui permettent ainsi de capter l’attention des élèves et d’attiser leur curiosité. L’histoire racontée joue alors un rôle secondaire d’illustration concrète du propos abstrait, dont nous pourrions donc nous dispenser, et cela rejoint l’idée selon laquelle les œuvres d’imagination n’apportent en réalité que des connaissances triviales et redondantes. Au mieux, elles nous « donneraient à penser », au pire, la séduction opérée par ces illusions serait dangereuse, contaminant la raison par un jeu inapproprié des passions et des affects – on reconnaît la distinction entre persuader et convaincre. Pourtant, certains philosophes défendent l’importance de ces œuvres, en particulier pour la philosophie morale, estimant que « l’imagination et la sensibilité sont des instruments essentiels du raisonnement pratique » [Putnam 1978]. Par exemple, en lisant le Carnet d’or de Lessing, nous prenons conscience d’un certain « groupe de problèmes moraux » liés au fait d’être communiste dans les années 1940, et plus précisément de « la façon dont cette perplexité morale pourrait avoir été ressentie par une personne parfaitement possible dans une période parfaitement déterminée ». C’est aussi la voie que suit Nussbaum [1990] pour défendre l’idée que la littérature apporte une connaissance éthique de l’individuel à laquelle la philosophie elle-même ne peut prétendre puisqu’en tant que science, elle s’attache au général ; ce sont alors les œuvres d’imagination qui permettent de raffiner nos raisonnements moraux sur des cas chaque fois singuliers. En ce sens, l’imagination possède sa propre force heuristique, et il en va de même des émotions dans une expérience esthétique. En effet, Goodman note que, dans ce cas, celles-ci « fonctionnent cognitivement », en particulier comme des moyens de « discerner quelles propriétés une œuvre possède et exprime » [1976 : 290-291]. Ce type de considérations permet au moins de reconnaître que les affects ne sont pas forcément hors du champ des outils améliorant notre compréhension, voire même qu’ils sont indispensables pour accéder à certaines connaissances.
78La visée divertissante des histoires inventées (2), nous l’avons vu, est ce sur quoi s’appuie l’opposition entre « fictions scientifiques » sérieuses et « fictions artistiques » ludiques. Plus précisément, l’idée consiste à accentuer l’effet autotélique de la posture de réception de ces dernières qui, à l’instar des jeux, prend la forme d’une immersion à l’intérieur d’un « monde » clos, une sorte d’« encapsulation sociale » [Chauvier 2007] autonome et désengagée vis-à-vis de la réalité extérieure. Dit autrement, l’imagination est ce qui offre de s’évader, ce qui met en jeu un rapport éthéré aux faits, ce qui fait place à la « légèreté fantomatique des idées », là où les sciences et la philosophie devraient plutôt chercher à les enraciner dans cette « pesanteur du monde » manifeste [Calvino 1993]. Il faut pourtant remarquer que la distance prise avec le dehors s’accompagne simultanément d’un réengagement extrêmement fort au sein de l’espace parallèle délimité par le jeu. En ce sens, l’imagination possède une certaine valeur conative, comparable à celle des œuvres d’art qui incitent parfois le public, non seulement à réagir émotionnellement, mais à agir pratiquement. Les inventions, dans cette optique, peuvent être envisagées comme des idéaux au sens mathématique, des modèles susceptibles de nous guider pendant et après le temps de l’art, ou du jeu. C’est en tout cas ce qu’exprime Calvino à propos de la littérature, lui attribuant cette capacité
79« d’imposer des modèles de langage, de vision, d’imagination, de travail mental de mise en relation des données : en somme, la création (et, par création, j’entends l’organisation et le choix) de ce type de modèles-valeurs qui sont en même temps esthétiques et éthiques, et essentiels pour tout projet d’action, spécialement politique » [1993 : 76 – je souligne].
80Si l’exercice de la philosophie consiste sans doute moins à « imposer » qu’à proposer et discuter des modèles ou des idéalités, on peut toutefois noter qu’en tant que recherche de la vérité, mais aussi de bonnes conduites pratiques, celui-ci suppose, comme la littérature, de faire une place à la créativité dans le processus herméneutique. Ce processus n’est donc pas purement passif (réception de data), mais il est également actif (« organisation » et « choix »), à l’instar du procédé d’ajustement des symboles. Ainsi ces considérations permettent-elles, à tout le moins, de reconnaître que la récréation ludique est plutôt, dans le cas de l’imagination en philosophie, recréation continue de formes conceptuelles, et qui s’avère indispensable dès lors qu’on assume, avec Goodman, l’idée que création et compréhension vont ensemble.
81A l’issue de cette brève étude de quelques thèses goodmaniennes, nous retiendrons deux points essentiels. Le premier met l’accent sur la nécessité d’une reconception de certaines notions centrales en philosophie – la « vérité », la « certitude » et la « connaissance » –, et de la philosophie elle-même, puisque l’esthétique doit être considérée comme une branche de l’épistémologie. Le travail du philosophe consiste alors à développer des outils conceptuels capables de clarifier les différents types de fonctionnement des systèmes symboliques, qu’ils soient artistiques ou scientifiques, ou qu’ils façonnent nos univers quotidiens. Le second point souligne la diversité du phénomène de la cognition, qui ne s’oppose pas aux émotions ni n’exclut l’usage de l’imagination en tant qu’outil modalisateur ou modélisateur, et qui permet alors de sortir d’une conception étriquée de la rationalité – froide et empiriste – pour favoriser l’idée de raffinement de compétences intellectuelles, sensibles et techniques. En ce sens, les raisons pour lesquelles nous jugeons fictionnels certains aspects de la philosophie tendent à s’effacer au profit d’un examen plus rigoureux de la correction de sa dimension esthétique, et de la pertinence de nos actes créatifs dans l’effort général de compréhension.
82Pour conclure, rappelons que nous avons tenté, dans cet article, de développer une thèse plus méthodologique que substantielle, à savoir qu’il serait préférable de se passer du terme de « fiction » en raison de son ambiguïté sémantique, de ses connotations affectives et de la pluralité des motivations qui nous poussent à l’employer. En ce sens, nous avons étudié les standards et les règles du jugement de fictionalité, après avoir montré les effets contradictoires d’une telle qualification – entre démission épistémique et puissance théorique ou pratique – et les enjeux plus larges de la prolifération récente de ce concept – entre relativisme ontologique, scepticisme généralisé et primat d’un modèle scientiste de la connaissance. Cela nous a menés vers les travaux de Goodman, notamment, en vue d’une présentation plus programmatique que véritablement aboutie des diverses opérations cognitives qui peuvent faire l’objet d’un tel jugement de fictionalité, et qui soulèvent plutôt des questions de fonctionnement symbolique, ou plus particulièrement, esthétique, mettant en jeu des versions-de-monde, des constructions conceptuelles, des inventions humaines. Les œuvres philosophiques manifestent sans doute une dimension figurale, métaphorique, ou encore créative, qui suppose d’être clarifiée.
83C’est dans cette perspective qu’il semblerait plus pertinent d’essayer de comprendre ce que sont les usages (non-problématiques) de ces systèmes symboliques, plutôt que les usages (problématiques) de ce qui apparaît comme des illusions, c’est-à-dire des images ou des mots hypostasiés auxquels nous devrions faire-semblant de croire, ou à propos desquels nous faisons comme si les choses qu’ils représentent existaient indépendamment. In fine, ce sont donc les airs mentalistes des théories de la fiction comme « make-believe », ainsi que l’accent mis sur nos expériences phénoménologiques dans le recours au concept d’« imagination », qui nous incitent a contrario à privilégier une approche constructiviste et sémiotique, pour ainsi dire presque triviale : comme le note Goodman, « voir une image en tant qu’image empêche qu’on la prenne faussement pour n’importe quoi d’autre » [1979 : 60], même dans le cas des faux-semblants de vie des représentations réalistes. En ce sens, on aurait tendance à penser que les positions fictionalistes privilégient, sinon l’objet créé à l’acte d’invention, du moins la question de la (pseudo-)dénotation des signes, aux signes eux-mêmes. Un homme pour qui faire de la philosophie reviendrait à inventer des concepts n’aurait donc pas forcément tort, à moins de prendre ses concepts pour des objets du monde : l’enjeu se situe avant tout dans la pertinence de telles innovations et dans la compréhension qu’elles sont ainsi susceptibles de nous apporter à travers les multiples chemins de la référence et le raffinement de nos diverses capacités cognitives.
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Pour citer cet article
A propos de : Marion Renauld
Université de Lorraine