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- Volume 5 - 2017 : Architecture, espace, aisthesis
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Percevoir et ressentir les atmosphères
L’expérience des espaces et des lieux
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Introduction à l’article de Juhani Pallasmaa (Marcus Weisen, École Normale Supérieure)
1Architecte né en 1939 à Hämeenlinna en Finlande, Juhani Pallasmaa a écrit de très nombreux articles sur l'art et l'architecture1 ; il a publié une quinzaine de livres en anglais et en finnois, dont deux ont été traduits en français2. Il a été directeur du Musée d’Architecture de Finlande (1978-1983), professeur d’architecture et doyen à l’Université Technologique de Helsinki (1991-1997) et membre du jury du Pritzker Prize for Architecture (2009-2014). Lauréat de nombreux prix, il a notamment obtenu en 2014 le Schelling Architecture Prize pour son œuvre théorique.
2J. Pallasmaa est l’un des penseurs de l’architecture les plus lus dans les facultés d’architecture de langue anglaise. The Eyes of the Skin : Architecture and the Senses (1996)3 et Questions of Perception : Phenomenology of Architecture (1994)4, écrit en collaboration avec l’historien et théoricien de l’architecture Alberto Pérez-Gómez et l’architecte Steven Holl,ont fortement contribué au regain de l’intérêt porté aux approches phénoménologiques de l’architecture dans les années 19905. Traduit en plusieurs langues, The Eyes of the Skin est également devenu une référence importante pour de nombreux artistes.
1. Une écriture en interaction avec l’expérience des arts
3La réflexion architecturale de J. Pallasmaa est, au début de sa carrière, focalisée sur les aspects visuels et formels de l’architecture, pour se transformer au fil des ans en « une approche multisensorielle, existentielle et expérientielle »6, dans laquelle la « rencontre personnelle avec l’architecture »7 s’impose comme une exigence essentielle8. La forme ouverte de l’essai, privilégiée par l’auteur, convient à une pensée qui sonde des dimensions infradiscursives de l’expérience sensible9. Le dialogue constant que mène J. Pallasmaa avec des amis et collègues architectes, artisans, artistes, écrivains, musiciens et compositeurs10 aiguise sa sensibilité aux dimensions corporelles et sensorielles de la pensée et de l’acte de création11 : il s’agit là d’un de ses thèmes de prédilection. Foisonnante, l’œuvre de J. Pallasmaa se développe dès 1980 autour de plusieurs grands thèmes, modulés par le contexte et les changements de « l’ambiance culturelle et sociale »12 (ses essais prennent souvent leur origine dans une invitation à donner une conférence sur des débats d’actualité). L’auteur lui-même reconnaît à son œuvre un caractère répétitif et de « transformation lente »13.
2. Espace vécu et dimension « bio-culturelle » du sentir
4La dimension préconsciente de l’expérience architecturale, la nature inextricablement multisensorielle de la perception, l’architecture comme espace de la mémoire et de l’imagination et le corps vécu en mouvement dans l’espace figurent parmi les grands thèmes de J. Pallasmaa ; on les retrouvera dans le texte traduit ici. Sa pensée investit l’aspect de la perception qui se situe en-deçà de la vision consciente et focalisée. Ces questions récurrentes lui permettent d’articuler une critique des mouvements moderne et postmoderne14, de la sémiotique de l’urbanisme des années 196015 ainsi que du consumérisme capitaliste16. Un thème revient dans son œuvre avec l’insistance d’un leitmotiv : celui de la nature « bio-culturelle » des êtres humains. « L’essence de l’art ne consiste pas dans la conscience du jamais-vécu-auparavant (the never-before-experienced), mais dans la recréation de la dimension bio-culturelle du sentir (feeling) »17. Enfin, Pallasmaa mène depuis quelques années un dialogue à la fois ouvert et critique avec les neurosciences, dont il espère des éclairages susceptibles d’enrichir une conception de l’architecture centrée sur l’expérience de l’être humain, et susceptible de prendre en compte les dimensions inconscientes de cette dernière18. Son intérêt pour les « origines biologiques » et évolutives du fonctionnement humain l’a conduit à consacrer une exposition à l’ « architecture des animaux », qu’il va jusqu’à décrire dans le vocabulaire de la construction architecturale19.
3. L’architecture, témoin sensible de l’être-au-monde
5Si Pallasmaa appelle de ses vœux le développement d’une multisensorialité de l’architecture, ce n’est pas à titre de fin en soi, mais bien parce qu’il s’agit par là selon lui de comprendre et d’approfondir l’ancrage du soi dans le monde. « L’architecture donne des articulations à notre expérience de l’être-au-monde et renforce le sentiment que nous avons de la réalité et de nous-mêmes »20; « la signification ultime de tout édifice dépasse l’architecture ; elle fait revenir notre conscience vers le monde, vers le sentiment que nous avons de nous-mêmes et de notre existence »21. L’architecture peut donner à sentir la participation à l’histoire et à la société, la lenteur, la mortalité, l’espoir, le silence22. J. Pallasmaa veut faire sentir la force des vécus émotionnels que l’architecture est en mesure de susciter : « [...] l’espace, la matière et le temps semblent se fondre en une unique dimension, qui pénètre notre conscience, [...] l’espace acquiert pour ainsi dire plus de gravité, [...] le caractère de la lumière s’y fait plus tangible, le temps semble s’arrêter et l’espace est dominé par le silence »23. L’architecte finlandais qualifie souvent la relation esthétique de « rencontre », d’« échange » ou même de « fusion », comme dans l’article ici traduit. Une telle relation se caractérise par un « adoucissement de la frontière entre le soi et le monde »24.
6Or, selon Pallasmaa, cette expérience sensorielle de l’architecture n’est pas compatible avec une vision focalisée qui maintient la distance et a longtemps été tenue pour première : « La suppression de la vision ciblée et focalisée est un aspect remarquable de la spatialité enveloppante, de l’intériorité et de l’hapticité »25. La promenade en forêt, immersive, devient l’exemple type de l’expérience de la spatialité enveloppante qui engage la vision périphérique26. L’expérience pour une large part préconsciente des espaces architecturaux est communiquée par les sensations cutanées, kinesthésiques et proprioceptives et par la vision périphérique27 ; Pallasmaa souligne tout particulièrement la priorité et l’importance du toucher, relevant que tous les organes des sens se sont développés à partir de cellules cutanées28.
7Dès lors, la signification de l’architecture ne saurait selon lui être comprise uniquement à partir de ses formes et de ses fonctions : « Seules les images mentales, les associations, les souvenirs et les sensations corporelles suscités par une œuvre réussissent à communiquer son message artistique. Une œuvre d’art authentique fait sortir notre conscience de ses rails ordinaires et l’ouvre sur la structure profonde de la réalité »29. L’espace architectural est fondamentalement un espace existentiel vécu, dont l’aspect essentiel n’est pas donné par les formes de l’architecture et du design : « [...] je ne me rappelle pas l’image exacte de la table en bois de mon grand-père, mais je peux encore m’y imaginer assis et sentir le pouvoir qui en émane au centre de la ferme où se rassemblaient les membres de la famille et les visiteurs occasionnels »30. Cette vision de l’espace architectural comme espace existentiel et espace mental de la mémoire et de l’imagination conduit le cinéphile qu’est J. Pallasmaa à consacrer un livre à la notion d’espace vécu, à travers une réflexion sur l’image poétique cinématographique31.
4. Les atmosphères
8En 2011, J. Pallasmaa consacre une première conférence aux atmosphères dans l’architecture et dans la production artistique et littéraire32. Le contenu de la conférence traduite ci-dessous, donnée en février 2016 à l’Opéra de Sydney (dans le cadre d’une série de six), reprend les thèmes abordés dans ce texte de 2011. C’est en préparant ce dernier que J. Pallasmaa découvre la valeur heuristique de la notion d’atmosphère, au point de qualifier la perception des atmosphères de « sixième sens »33. En les décrivant comme étant « de faible Gestalt »34, il synthétise en quelques mots les grands thèmes de ses écrits antérieurs : la notion d’atmosphère éclaire rétrospectivement son œuvre et vient en renforcer la cohésion et la pertinence.
9L’article traduit ci-dessous, qui porte sur la perception infradiscursive des qualités de l’espace, reprend ainsi les grands thèmes de l’œuvre de J. Pallasmaa évoqués plus haut. Il s’agit d’un plaidoyer pour une réelle prise en compte, dans la théorie et la pratique architecturales, de la perception synesthésique et infra-consciente des atmosphères. Pallasmaa y réaffirme notamment la dimension unifiante de l’ambiance d’ensemble, notion qui lui avait permis dès 1998 de rendre compte de ce « conglomérat extraordinairement complexe d’idées, d’ambiances et d’associations »35 qu’est la fameuse Villa Mairea de Alvar Aalto. Une très riche atmosphère sensible y confère une unité aux différents espaces, qui s’y agencent comme les mouvements d’une composition musicale, offerts au sentir du corps en mouvement. La Villa Mairea, soulignait Pallasmaa en 2002, « vise une ambiance spécifique et un état d’ouverture émotionnelle plutôt que l’autorité de la forme »36. L’art ambiental des espaces de la Villa Mairea emprunte à l’art du collage et à une certaine peinture, à Cézanne et à Giotto, davantage qu’à une théorie des formes architecturales37.
10Les ambiances architecturales, artistiques et littéraires qui nous affectent et émeuvent avant même que nous ne comprenions le contenu des œuvres sont constitutives de l’image artistique38. Or, la nature de l’image poétique, existentielle et incorporée, est une préoccupation centrale dans l’œuvre de J. Pallasmaa. L’image poétique est un lieu de « l’authenticité de l’expérience humaine » qu’il appartient à l’architecture de défendre39.
5. L’architecte et le designer
11La notion d’atmosphère se trouve au centre de l’une des rares réflexions publiées de J. Pallasmaa concernant son propre travail au sein d’un bureau d’architectes : « […] les architectes prennent quantité de décisions qui définissent l’atmosphère d’un lieu et ils le font le plus souvent inconsciemment. Bien entendu, un bon architecte intériorise son projet au point d’en dessiner une situation vécue et pas seulement une ligne sur du papier »40. Dès lors que « [...] la plupart des choses qui caractérisent l’architecture sont, en fait, indicibles [...] »41, la communication d’idées architecturales et de savoirs implicites dans une équipe d’architectes appelle l’approfondissement de la notion d’atmosphère, en pratique et en théorie.
12À partir d’un certain moment dans le processus de la conception architecturale, souligne Pallasmaa, « le projet en cours possède sa propre atmosphère, ainsi qu’une unité et un caractère propres. Il se projette alors vers vous. Vous fondez dès lors vos décisions concernant la marche à suivre et les détails à travailler sur cette intuition de l’atmosphère plutôt que sur une approche théorique [...] »42; « [...] c’est un moment vraiment agréable, lorsque la chose commence à prendre le relais et à vous proposer des idées, les meilleures idées »43. Dans sa phase initiale, ce processus créatif se caractérise chez J. Pallasmaa par la tentative d’accepter le plus longtemps possible l’incertitude en amont des nombreuses prises de décision nécessaires dans la conception architecturale. Ce ralentissement vise à « condenser la pensée et le sentir »44, à « intérioriser le client »45 et à opérer une projection imaginaire en vue d’habiter et de vivre les espaces à construire46.
13J. Pallasmaa accorde une importance particulière aux qualités tactiles de ses réalisations47. Ainsi les designs des chaises, poignées de porte et bougeoirs de J. Pallasmaa projettent une présence intime qui invite en douceur et le regard et le toucher. Les parois en panneaux de bois clair de la salle polyvalente de l’Institut Finlandais à Paris (1991) établissent une sensation de contact cutané à peine perceptible et chuchotent l’accueil spacieux. Les allées latérales légèrement courbes du centre commercial Kamppi à Helsinki (2006), dont on ne voit pas d’emblée le point d’arrivée, invitent au ralentissement des pas et à la flânerie devant les vitrines des petits commerces. Ici, l’immersion corporelle et la vision périphérique modulent l’échange et génèrent de discrètes sensations corporelles de contact.
14Les éclairages des parois latérales de la nouvelle salle de concert du centre culturel Korundi à Rovaniemi (2010) sollicitent la vision périphérique (ils sont éteints durant les concerts). La disposition des panneaux, leur rythme, leurs couleurs et l’éclairage suggèrent un effet musical (une « acoustique visuelle »48), et le revêtement des parois évoque l’intérieur d’un instrument à cordes (voir, à la fin de l’article de J. Pallasmaa, la photo n°1). Le Musée d’Art du centre culturel qui jouxte la salle de concert est situé dans un ancien local de réparation de bus rénové par J. Pallasmaa (1986). Seuls le foyer, commun, et un corridor couvert les séparent. La juxtaposition des murs extérieurs de la salle de concert – au revêtement en acier oxydé finement travaillé – et du musée – en vieille brique à l’aspect brut – produit un effet de collage associant contrastes et harmonie. L’intérieur du musée est caractérisé par une ambiance chaleureuse, dans laquelle les parois blanches des salles d’exposition mettent en valeur les œuvres. Cinq colonnes de granit suggèrent le rôle culturel du centre Korundi et orientent les visiteurs vers son entrée principale, tout en créant une cour intérieure miniature (voir la photo n°2).
15L’atelier d’été construit pour le peintre Tor Arne sur l’île de Vänö (1970) est construit en matériaux issus du recyclage (vitres) ou ramassés dans la nature (bois et pierres) (voir la photo n°3). Le mobilier et le poêle ont été construits par les élèves d’une école professionnelle. L’atelier est soigneusement placé comme un contrepoint dans un paysage granitique, et sa hauteur dépasse à peine deux mètres. Une vitre triangulaire dans une saillie au-dessus du toit joue le rôle de puit de lumière. Ce projet expérimental a d’emblée reçu l’approbation des pêcheurs de l’île de Vänö49.
Percevoir et ressentir les atmosphères. L’expérience des espaces et des lieux
1650
« Les événements les plus riches arrivent en nous bien avant que l’âme s’en aperçoive. Et, quand nous commençons à ouvrir les yeux sur le visible, déjà nous étions depuis longtemps adhérents à l’invisible »51.
Gabriele d’Annunzio
1. Fusion du monde et de l’esprit
17Le caractère d’un espace ou d’un lieu n’est pas seulement donné par la perception visuelle, comme on le présume généralement. Le jugement sur les qualités de l’espace environnant résulte d’une fusion multi-sensorielle complexe d’innombrables facteurs qui sont saisis de manière immédiate et synthétique comme une atmosphère, une ambiance, un sentiment ou une tonalité affective (mood) d’ensemble. « J’entre dans un bâtiment, je vois un espace, je perçois l’atmosphère et, en une fraction de seconde, j’ai la sensation de ce qui est là », avoue l’architecte Peter Zumthor, l’un de ceux à avoir reconnu l’importance des atmosphères architecturales52. John Dewey (1859-1952), le philosophe américain visionnaire qui, il y a huit décennies, avait déjà compris qu’il était de l’essence de l’expérience d’être immédiate, inscrite dans notre vécu corporel, affective et subconsciente, formule la nature de cette rencontre existentielle comme suit : « Tout commence par une impression globale d’envoûtement, par exemple par le saisissement devant la splendeur inopinée d’un paysage, ou par l’effet ressenti lors de la visite d’une cathédrale quand le déficit de lumière tamisée, l’odeur de l’encens, les vitraux et la majesté des proportions se fondent en un tout indifférencié. On dit avec raison qu’un tableau nous frappe. Il y a un impact qui précède toute reconnaissance définie de ce à quoi il renvoie »53.
18Cette expérience est multi-sensorielle dans son essence même. Dans son livre The Experience of Place [L’expérience du lieu], l’écrivain américain Tony Hiss emploie la notion de « perception simultanée » à propos du système dont nous nous servons pour appréhender notre environnement54. C’est pourtant là aussi bien le caractère normal de toute perception, qui veut que nous usions de tous nos sens à la fois. Comme le remarque Maurice Merleau-Ponty, le grand phénoménologue français : « Ma perception n’est […] pas une somme de données visuelles, tactiles, auditives, je perçois d’une manière indivise avec mon être total, je saisis une structure unique de la chose, une unique manière d’exister qui parle à la fois à tous mes sens »55. Une perception atmosphérique implique également des jugements qui excèdent les cinq sens dénombrés par Aristote, tels ceux issus des sensations d’orientation, de pesanteur d’équilibre, de stabilité, de mouvement, de durée, de continuité, d’échelle et d’éclairage. En fait, l’appréciation immédiate du caractère de l’espace sollicite la totalité du corps propre et de notre sentiment de l’existence ; ce caractère est perçu de manière diffuse, périphérique et inconsciente, plutôt que par une observation précise, ciblée et consciente. Cette appréciation complexe comporte également la dimension du temps, dans la mesure où une expérience vécue implique une durée, et où l’expérience mêle perception, mémoire et imagination. De plus, chaque espace et chaque lieu est toujours une invitation à, et la suggestion de, différents actes : à mes yeux, les espaces et les expériences proprement architecturales sont des verbes.
19Outre les atmosphères du milieu matériel, l’atmosphère peut être culturelle, sociale, professionnelle, familiale, etc. Autrement dit, interpersonnelle. L’atmosphère d’une situation sociale sera favorable ou décourageante, libératrice ou étouffante, inspirante ou terne. Il est même possible de parler d’atmosphères spécifiques à l’échelle d’entités culturelles, régionales ou nationales. Le genius loci, le génie du lieu, est, de la même façon, une donnée d’expérience éphémère, sans focalisation et non matérielle, étroitement liée à l’atmosphère. On peut en effet parler de l’atmosphère d’un lieu, qui lui confère son identité perceptive et sa charge émotive uniques. Dewey fait de cette propriété unifiante une qualité spécifique : « Une expérience a une unité qui lui donne son nom, ce repas, cette tempête, ce ravissement de l’amitié. L’existence de cette unité est constituée par une unique qualité qui imprègne l’expérience toute entière, même si ses éléments constitutifs peuvent varier. Cette unité n’est ni émotionnelle, ni pratique, ni intellectuelle, car ces termes désignent des distinctions opérées en elle par la réflexion »56. Dans un autre contexte, le philosophe accentue de nouveau le pouvoir de totalisation qu’a cette qualité de l’expérience : « La qualité du tout imprègne, affecte, contrôle chaque détail »57.
20Le philosophe Martin Heidegger lie indissociablement espace et condition humaine : « Nous parlons de l’homme et de l’espace, ce qui sonne comme si l’homme se trouvait d’un côté et l’espace de l’autre. Mais l’espace n’est pas pour l’homme un vis-à-vis. Il n’est ni un objet extérieur ni une expérience intérieure. Il n’y a pas les hommes, et en plus de l’espace [...] »58. Lorsque nous entrons dans un espace, l’espace entre en nous, et l’expérience est essentiellement un échange et une fusion entre l’objet et le sujet. L’Américain Robert Pogue Harrison, un spécialiste de littérature, énonce cela de manière poétique : « Dans la fusion du lieu et de l’âme, l’âme est autant un contenant du lieu que le lieu un contenant de l’âme, les deux sont soumis aux mêmes forces de destruction »59. De même, l’atmosphère est un échange entre des propriétés matérielles ou existantes du lieu et le règne immatériel de la perception et de l’imagination humaines. Néanmoins, les atmosphères ne sont pas des « choses » physiques ou des faits, puisque ce sont des « créations » humaines relatives à l’expérience.
21Paradoxalement, nous saisissons l’atmosphère avant d’en identifier les détails ou de la comprendre intellectuellement. À vrai dire, il se peut que nous soyons complètement incapable d’énoncer quelque chose de sensé à propos des caractéristiques d’une situation, tout en ayant d’elle une image sûre, un souvenir, ou en ayant un rapport émotionnel avec elle. De la même façon, bien que nous n’analysions pas consciemment ni ne comprenions l’interaction des faits météorologiques, nous saisissons en un coup d’œil l’essence du temps qu’il fait et cela conditionne inévitablement notre humeur et notre intentionnalité. Quand nous entrons dans une ville que nous ne connaissons pas, nous saisissons de même son caractère global sans avoir consciemment analysé une seule de ses innombrables propriétés matérielles, géométriques ou de dimensionnalité. Ce parcours qui conduit d’une saisie initiale mais temporaire de l’ensemble aux détails, Dewey le déploie même jusqu’aux processus de la pensée : « Toute pensée, quelle que soit la discipline, commence par un tel tout inanalysé. Une fois que l’on est assez familier de la question, des distinctions pertinentes se présentent rapidement, et le qualitatif pur ne persiste peut-être pas assez pour être aisément remémoré »60.
22Il s’agit d’une capacité intuitive, liée aux émotions, d’origine, semble-t-il, biologique et en grande partie déterminée inconsciemment et instinctivement par la programmation due à l’évolution. « L’atmosphère agit sur notre perception émotionnelle. C’est une perception d’une rapidité inouïe et qui nous sert, à nous autres êtres humains, apparemment pour survivre », suggère Peter Zumthor61. En fait, des sciences récentes comme la biopsychologie et l’écopsychologie étudient ces causalités liées à l’évolution dans la cognition et le comportement instinctif humains62. Il est évident que nous sommes conditionnés génétiquement et culturellement à rechercher ou éviter certains types de situations ou d’atmosphères. Notre plaisir partagé à être à l’ombre de grands arbres donnant sur un champ baigné de soleil, par exemple, s’explique sur la base d’une telle programmation due à l’évolution : ce type spécifique de cadre atteste la polarité des notions de « protection » et d’« ouverture », auxquelles on a eu recours pour expliquer par exemple le fait que l’on se sente bien, antérieurement à toute réflexion, dans les maisons de Frank Lloyd Wright63.
23Alors même que l’atmosphère et la tonalité affective (mood) semblent être des qualités fondamentales de nos environnements et de nos espaces, elles ont peu fait l’objet d’observations, d’analyses ou de théorisations en architecture ou en urbanisme. Le Professeur Gernot Böhme est un des pionniers de la philosophie des atmosphères, avec Hermann Schmitz64. Des études philosophiques récentes, qui se fondent sur des preuves établies par la neurologie, comme celle de Mark Johnson, The Meaning of the Body – Aesthetics of Human Understanding [La signification du corps - Esthétique de la compréhension humaine]65, et des enquêtes neurologiques, celle par exemple de Iain McGilchrist, The Master and his Emissary: The Divided Brain and the Making of the Western World [Le Maître et son Emissaire : le cerveau divisé et la fabrique du monde occidental]66, accordent une importance considérable au pouvoir des atmosphères. Les découvertes neurologiques récentes concernant les neurones miroirs aident à comprendre que nous puissions intérioriser des expériences et des situations physiques externes par « simulation incarnée » (embodied simulation).
2. Atmosphères dans les arts
24L’atmosphère semble être une visée plus consciente dans la pensée littéraire, cinématographique et théâtrale que dans l’architecture. Même l’ensemble des images produites par un tableau est incorporé dans une atmosphère ou un sentiment d’ensemble ; le facteur unifiant le plus important, dans les tableaux, est d’ordinaire leur sens spécifique de l’éclairage et de la couleur, plus que leur contenu conceptuel ou narratif. À vrai dire, il existe toute une approche picturale, illustrée par J.M.W. Turner et Claude Monet, qui peut être appelée « peinture atmosphérique » dans les deux sens de la notion, l’atmosphère étant à la fois le thème et le moyen d’expression de ces toiles. « L’atmosphère est mon style » : tel est l’aveu fait par Turner à John Ruskin, comme le rappelle Zumthor67. Les œuvres de ces artistes font délibérément disparaître les composantes formelles et structurelles au profit d’une atmosphère enveloppante, qui efface les formes et suggère la température, l’humidité, les mouvements subtils de l’air. Les peintres dits du « champ coloré » (color-field painting) suppriment de manière similaire formes et limites et utilisent de grandes tailles de toile pour nous immerger dans une intense interaction et présence de la couleur.
25Les grands films, tels ceux de Jean Vigo, Jean Renoir, Michelangelo Antonioni ou Andrei Tarkovsky, sont également imprégnés d’un continuum atmosphérique qui les caractérise. Le théâtre aussi repose largement sur l’atmosphère, qui porte la totalité et la continuité de l’histoire, aussi abstraite et vague que soit souvent l’évocation des caractéristiques du lieu ou de l’espace. L’ambiance peut être à ce point suggestive et dominante que très peu d’indices suffisent à planter le décor, comme dans le film Dogville (2003) de Lars von Trier, un film proche du théâtre, dans lequel les maisons et les pièces sont souvent indiquées par de simples lignes de craie et des mots inscrits sur le sol sombre ; le drame s’empare pourtant entièrement de l’imagination du spectateur et de ses émotions.
26Assez paradoxalement, on peut encore parler de « sculpture atmosphérique », comme à propos de ces œuvres de Medardo Rosso, Auguste Rodin ou Alberto Giacometti, qui se livrent comme des ébauches. Souvent, c’est l’atmosphère émanant des œuvres, celle par exemple des sculptures abstraites de Constantin Brancusi, qui crée l’impression unique d’un univers artistique singulier. Les artistes paraissent plus conscients que les architectes du rôle majeur de l’ambiance, ces derniers ayant tendance à penser l’espace davantage en termes de qualités « pures », de forme et de géométrie. L’atmosphère, chez les architectes, semble être considérée comme quelque chose de romantique et de superficiellement divertissant. En outre, la tradition architecturale occidentale, avec son esprit de sérieux, repose entièrement sur la conception de l’architecture comme un objet matériel et géométrique perçu par une vision centrée. Les images architecturales classiques visent la clarté plutôt que la fugacité et l’ambiance.
27Lorsqu’il décrit son processus créatif, dans l’article « The Trout and the Mountain Stream [La truite et le ruisseau de montagne] », le grand maître finlandais de l’architecture Alvar Aalto avoue : « Guidé par mon instinct je dessine non pas des synthèses architecturales, mais des compositions parfois infantiles, et c’est par ce biais que je finis par arriver à ce qui sert de base abstraite au concept principal, une sorte de substance universelle à l’aide de laquelle les nombreux problèmes sources de conflits [qui découlent de la mission de conception architecturale] peuvent être résolus harmonieusement »68. La notion de « substance universelle » évoquée par Aalto semble renvoyer à une atmosphère unifiante ou à un sentiment intuitif plutôt qu’à une idée conceptuelle, intellectuelle ou formelle.
28Toutes les formes artistiques de musique sont particulièrement atmosphériques ; elles ont un impact puissant sur nos émotions et nos humeurs, quel que soit notre degré de compréhension intellectuelle des structures musicales. Il y a quelques mois, j’ai eu l’occasion d’interroger un excellent compositeur finlandais et une pianiste sur l’importance de l’atmosphère en musique ; tous deux m’ont répondu en souriant : « La musique n’est qu’atmosphère. » La musique crée des espaces atmosphériques intérieurs, des champs d’expérience éphémères et dynamiques, plutôt que des formes, des structures ou des objets lointains. Ce que l’atmosphère fait ressortir, c’est, plus qu’un moment singulier de la perception, le fait de s’installer dans une situation. Un autre compositeur finlandais remarquable, Paavo Heininen, un ancien camarade de classe, m’a dit un jour penser la musique qu’il composait comme l’aménagement d’un intérieur : le principal critère de la qualité d’un morceau serait ce que l’on ressent à s’asseoir et à s’allonger dans la musique, comme s’il s’agissait d’un fauteuil inclinable bien conçu. Le fait que la musique puisse nous émouvoir aux larmes est une preuve convaincante du pouvoir émotionnel de l’art et de notre capacité innée à reproduire et à intérioriser des structures expérientielles abstraites ou, plus précisément, à assimiler nos émotions à des structures abstraitement symboliques.
3. Reconnaissance du lieu et de l’espace
29La reconnaissance immédiate de la nature inhérente d’un lieu est analogue à l’identification automatique des entités et essences ressemblant à des créatures dans le monde biologique. Les animaux reconnaissent instantanément d’autres créatures cruciales pour leur survie, proies ou menaces, et nous mêmes, humains, distinguons des visages individuels parmi des milliers de configurations faciales presque identiques et cernons la signification émotionnelle de chacun sur la base d’infimes expressions musculaires. Un espace ou un lieu est une sorte d’image multi-sensorielle éprouvée de manière diffuse, une « créature » expérientielle, une expérience singulière, intimement unie à notre expérience et notre connaissance existentielles mêmes. Une fois que nous avons jugé un espace comme accueillant et agréable, ou rebutant et déprimant, nous ne pouvons guère modifier ce jugement personnel. Nous nous attachons à certains cadres, demeurons étrangers à d’autres, et ces deux choix intuitifs sont également difficiles à analyser verbalement ou à modifier en tant que réalités expérientielles.
30La valeur existentielle de la saisie diffuse mais globale de l’ambiance d’une entité spatiale, ou d’un paysage entier, peut se comprendre du point de vue de la survie biologique. Être en mesure de différencier instantanément une scène de danger potentiel d’un cadre sûr où se nourrir a évidemment constitué un avantage dans l’évolution. Je le répète : de tels jugements ne sauraient être consciemment déduits à partir de détails ; ils doivent être appréhendés instantanément sur le mode d’une lecture intuitive fondée sur une saisie « polyphonique » de l’ambiance. Cette perception et cette connaissance polyphoniques ont également été identifiées comme une des conditions de la créativité. À ce point de l’analyse, j’aimerais faire remarquer qu’une conception atomiste de la perception, des images mentales et de la pensée est très discutable, sinon complètement erronée. Une approche atomiste de l’architecture comme agrégat d’éléments définissables et prédéterminés fait, elle aussi, fausse route.
4. Perception inconsciente et pensée créative
31Contrairement à une idée reçue, la recherche créative repose également sur des modes de perception et de pensée qui sont vagues, polyphoniques et essentiellement inconscients, et non pas sur une attention focalisée et univoque69. Un balayage créatif inconscient et sans focalisation saisit aussi des entités et des processus complexes, sans que nous ayons une compréhension consciente d’aucun des éléments donnés, et ce à peu près de la façon dont nous saisissons les atmosphères.
32Je voudrais souligner le fait que nous possédons des capacités de synthèse insoupçonnées, dont nous n’avons généralement pas conscience et que nous ne considérons d’ailleurs pas comme des domaines d’intelligence ou de valeur particulières. La focalisation partiale sur la logique rationnelle et son importance dans la vie mentale humaine est une des principales raisons de ce rejet malencontreux. Il est en effet surprenant que plus d’un siècle après les découvertes révolutionnaires de Sigmund Freud, les philosophies et les pratiques pédagogiques dominantes sous-estiment toujours aussi nettement l’univers entier des processus inconscients et ceux du corps vécu. Les écoles d’architecture, elles aussi, continuent de privilégier l’intentionnalité consciente et les concepts, ainsi que les images mentales focalisées, aux dépens du sol préréflexif de l’expérience architecturale.
33Nous avons traditionnellement sous-estimé le rôle et les capacités cognitives des émotions au regard de notre compréhension conceptuelle, intellectuelle et verbale. Pourtant, les réactions émotionnelles sont souvent les jugements les plus complets et les plus synthétiques que nous puissions produire, bien que nous ne soyons guère en mesure d’identifier de quoi ces appréciations sont faites. Quand nous craignons ou aimons quelqu’un ou quelque chose, la rationalisation n’a guère de portée ou de nécessité.
34Le philosophe américain Mark Johnson attribue aux émotions un rôle crucial dans la pensée : « Il n’y a pas de connaissance sans émotion, même si habituellement nous n’avons pas conscience des aspects émotionnels de notre pensée »70. À son avis, les émotions sont une source primordiale de signification : « Les émotions ne sont pas des connaissances de second ordre ; ce sont plutôt des schèmes affectifs de la rencontre avec notre monde, par où nous prenons le sens des choses à un niveau primordial »71. Il attire l’attention sur le fait que « les émotions sont des processus d’interaction entre l’organisme et son milieu […] »72 ; et avance en outre l’idée selon laquelle ce sont les situations, et non l’esprit ou le cerveau, qui sont le siège des émotions73. Johnson conclut : « Les émotions sont un élément fondamental de la signification pour l’être humain »74.
35J’aimerais mentionner au passage la thèse défendue par certains philosophes, à l’instar d’Alva Noë en Californie, selon laquelle la conscience humaine ne se situe pas du tout dans le cerveau ; la conscience serait un processus et une expérience relationnels entre l’esprit et le monde.
36En outre, l’idée convenue que nous nous faisons de l’intelligence estnettement limitée. Des études psychologiques récentes ont mis en évidence sept à dix catégories différentes pour cette notion au-delà de la sphère étroite de l’intelligence mesurée par le test standard de QI. Le psychologue américain Howard Gardner en énumère sept : l’intelligence linguistique ; l’intelligence logico-mathématique ; l’intelligence musicale ; l’intelligence corporelle-kinesthésique ; l’intelligence spatiale ; l’intelligence interpersonnelle ; et l’intelligence intrapersonnelle75. Plus loin dans le livre, il propose trois autres catégories supplémentaires : l’intelligence de la nature ; l’intelligence spirituelle ; l’intelligence existentielle76. J’ajouterais sans aucun doute à cette liste de capacités cognitives humaines les catégories de l’intelligence émotionnelle, esthétique et éthique ; et je propose même d’envisager l’intelligence atmosphérique comme une sphère spécifique de l’intelligence humaine. La sensibilité et l’intelligence atmosphériques sont cruciales dans toute œuvre d’art, afin de percevoir la totalité de l’œuvre.
5. L’intelligence atmosphérique : une capacité de l’hémisphère droit
37Des études récentes sur la différenciation des hémisphères du cerveau humain ont établi qu’ils avaient, indépendamment de leur interaction essentielle, des fonctions différentes : l’hémisphère gauche est orienté vers le traitement de l’observation et des informations détaillées, tandis que l’hémisphère droit est engagé de manière prédominante dans les expériences périphériques et la perception des entités. L’hémisphère droit est en outre orienté vers les processus émotionnels, tandis que le gauche a affaire aux concepts, aux abstractions et au langage.
38Il semble que la reconnaissance des entités atmosphériques ait lieu de manière périphérique et subconsciente par le biais principalement de l’hémisphère droit. Dans son livre exigeant et rigoureux sur « le cerveau divisé », The Master and his Emissary, Iain McGilchrist, un psychanalyste et philosophe écossais, attribue à l’hémisphère droit la perception périphérique et l’intégration des aspects très variés de l’expérience : « L’hémisphère droit seul est concerné par la vision périphérique dont est issue une nouvelle expérience ; seul l’hémisphère droit peut diriger l’attention sur ce qui nous vient des bords de notre conscience, de quelque côté que ce soit [...]. Il n’est donc pas surprenant que phénoménologiquement, ce soit l’hémisphère droit qui soit programmé pour l’appréhension de tout ce qui est nouveau [...] »77. L’hémisphère droit, avec son pouvoir d’intégration supérieur, est constamment à la recherche de schèmes dans les choses. En fait, sa compréhension repose sur la reconnaissance de schèmes complexes78.
39McGilchrist situe également dans l’hémisphère droit la compréhension du contexte, la reconnaissance des configurations et les jugements émotionnels : « Tout ce qui requiert une interprétation indirecte, ce qui n’est pas explicite ou littéral et nécessite, en d’autres termes, une compréhension contextuelle, dépend du lobe frontal droit pour que la signification qui s’y attache soit transmise ou reçue »79. Ce que « l’hémisphère droit s’avère [ici] en mesure de faire de façon cruciale, c’est de discerner les aspects “configurationnels“ du tout »80. « C’est l’hémisphère droit qui assigne une valeur émotionnelle à ce qui est vu [...] »81.
6. Espace et imagination
40Notre capacité innée à saisir des atmosphères et des tonalités affectives (moods) d’ensemble est comparable à notre capacité à projeter dans notre imagination les cadres émotionnellement suggestifs d’un roman entier tandis que nous le lisons. Lorsque nous lisons un grand roman, nous ne cessons de construire les décors dans lesquels l’histoire se déroule, et ses situations, tels que les mots de l’auteur les suggèrent ; nous passons sans effort ni difficulté d’un cadre à l’autre, comme s’ils préexistaient à titre de réalités physiques à notre acte de lecture. Les scènes semblent être véritablement là, prêtes à ce que nous y entrions, tandis que nous avançons d’une scène du texte à la suivante. Il est remarquable que nous ne fassions pas l’expérience de ces espaces imaginaires sur le mode d’images, mais dans leurs pleines spatialités et atmosphère. La même plénitude vaut pour les rêves : ce ne sont pas des images, car ce sont des espaces, ou des quasi-espaces, et des expériences vécues en imagination ; mais ce sont des espaces entièrement produits par notre imagination. Les images sensorielles suggérées par la littérature semblent être une sorte d’atmosphère sensorielle imaginative.
41Les processus de l’imagination littéraire sont abordés dans le récent ouvrage d’Elaine Scarry Dreaming by the Book [Rêver selon les règles]. Elle explique le caractère frappant d’un texte littéraire profond en ces termes : « Pour parvenir à la "vivacité" du monde matériel, les arts du langage doivent en quelque sorte imiter également sa "persistance" et, ce qui est plus décisif encore, sa modalité d’"être-donné". Il paraît presque certain que c’est le caractère "instructif" des arts du langage qui remplit cette condition de mimétisme requise pour l’"être-donné" »82. L’écrivain tchèque Bohumil Hrabal souligne également pour sa part le caractère concret de notre imagination littéraire : « Quand je lis, je ne lis pas réellement : je prends une belle phrase, la mets dans ma bouche et la sirote comme une liqueur jusqu’à ce que la pensée se dissolve en moi à la façon d’un alcool, qu’elle pénètre mon cerveau et mon cœur et coure dans mes veines jusqu’à la racine de chaque vaisseau sanguin »83.
42L’architecture demande, elle aussi, une plus grande acuité dans la perception de la matérialité, de la pesanteur et de la réalité, non une impression de divertissement ou de fantaisie. Le pouvoir de l’architecture réside dans son aptitude à renforcer notre expérience du réel ; et même la stimulation de l’imagination qu’elle provoque découle de ce sens retrouvé, plus intense, de la réalité. Ainsi que Constantin Brancusi le revendique : « L’art doit donner brusquement, tout d’un coup, le choc de la vie, la sensation de respirer »84.
43Faire l’expérience de cadres spatiaux, de situations et d’événements, les mémoriser et les imaginer – tout cela engage nos aptitudes imaginatives ; même les actes par lesquels nous faisons l’expérience de quelque chose et en gardons le souvenir sont des actes liés au corps propre, dans lesquels les images éprouvées à partir de notre vécu corporel évoquent une réalité imaginaire que l’on ressent comme une expérience réelle. Des études récentes ont montré que l’acte de percevoir et celui d’imaginer se produisaient dans les mêmes zones du cerveau et qu’ils étaient, par conséquent, étroitement liés85. Même la perception demande de l’imagination, dans la mesure où les percepts ne sont pas des produits automatiques de nos mécanismes sensoriels ; les perceptions sont essentiellement des créations, les produits d’une intentionnalité et de l’imagination. Nous ne pourrions pas même percevoir la lumière sans, comme le soutient Arthur Zajonc, une « lumière intérieure » mentale et une imagination visuelle formatrice86.
44L’atmosphère ou l’ambiance est une dimension expérientielle ou une prédiction épique, au sens où nous lisons automatiquement, dans l’image atmosphérique, des aspects comportementaux et sociaux, existants, possibles ou imaginaires. Nous lisons également, dans un cadre, des niveaux temporels successifs, une narration, et portons une appréciation émotionnelle sur cette stratification des traces temporelles ainsi que sur les images du passé dont peuvent être constitués nos cadres de vie. Nous aimons, de toute évidence, être reliés à des signes de vie, plutôt que d’être isolés dans des conditions hermétiques et artificielles. Ne recherchons-nous pas des cadres historiquement riches, parce qu’ils nous relient par l’expérience et l’imagination à la vie passée, et que le fait d’appartenir à ce continuum temporel nous inspire un sentiment de sécurité et d’enrichissement ? Les traces de vie nourrissent des images de sécurité et génèrent de nouvelles images du cours ininterrompu de la vie.
45Nous ne jugeons pas des milieux qui nous environnent uniquement par nos sens, nous les testons également et les évaluons via notre sens de l’imagination. Des cadres rassurants et engageants inspirent notre imagerie inconsciente, nos rêveries et nos fantasmes. Comme l’affirme Gaston Bachelard, « le bienfait le plus précieux de la maison [est que] la maison abrite la rêverie, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix. […] la maison est une des plus grandes puissances d’intégration pour les pensées, les souvenirs et les rêves de l’homme »87. Herbert Marcuse, le psychologue du fait social, reconnaît également le lien qui existe entre les atmosphères liées au cadre et nos fantasmes, puisqu’il avance cette idée provocatrice, qui incite à la réflexion, selon laquelle l’augmentation alarmante des violences et perversions sexuelles que nous connaissons aujourd’hui est une conséquence du fait que nos cadres de vie modernes ne stimulent ni ne nourrissent aucun fantasme érotique88. La plupart du temps, l’atmosphère des paysages urbains et des habitats contemporains manque d’une touche de sensualité et d’érotisme.
7. « Comprendre » l’image artistique
46On nous a appris à concevoir, observer et évaluer les espaces et les cadres architecturaux principalement comme des entités formelles et esthétiques. Pourtant, l’ambiance générale, diffuse, détermine souvent de manière bien plus décisive et plus puissante notre attitude à l’égard du cadre. Même des bâtiments et des détails dépourvus de réelle valeur esthétique parviennent à créer une atmosphère sensorielle riche et agréable. Cadres vernaculaires et villes traditionnelles fournissent des exemples d’atmosphères plaisantes résultant généralement d’entités plutôt inintéressantes esthétiquement parlant. Pareilles atmosphères urbaines sont très souvent produites par un ensemble de matériaux, une échelle, un rythme, des couleurs spécifiques ou par un thème formel avec ses variations. Les matériaux, la couleur, le rythme et l’éclairage sont fortement atmosphériques, probablement en raison de leur nature incarnée, haptique et enveloppante. C’est tout l’opposé de la forme et de la cohésion formelle qui semblent avoir un effet d’extériorisation et de fermeture, au lieu de nous englober.
47Les enseignements en architecture recommandent généralement de développer ses plans en partant d’aspects élémentaires pour aller vers des entités plus larges, mais, comme je l’ai déjà dit, nos perceptions et jugements expérientiels procèdent de façon inverse, de l’entité aux détails. Face à une œuvre d’art, c’est le tout qui donne un sens aux parties et non l’inverse. Il nous faut saisir et concevoir des images entières, non des éléments singuliers ; en réalité, il n’y a pas d’« éléments » dans l’univers de l’expression artistique : il n’y a que des entités poétiques entières, entremêlées de diverses orientations émotionnelles.
48Comme je l’ai indiqué précédemment, cette thèse du primat du tout est étayée par les résultats auxquels les neurosciences parviennent à l’heure actuelle. McGilchrist affirme ainsi : « Pour l’hémisphère droit, la compréhension procède du tout, car c’est seulement à la lumière du tout que l’on peut véritablement comprendre la nature des parties »89.
49Les œuvres d’art nous affectent mentalement et émotionnellement avant que nous ne les comprenions ; d’ailleurs, en règle générale, nous ne les « comprenons » pas du tout. Je me risquerais à affirmer que plus on a affaire à une grande œuvre artistique, moins on la comprend intellectuellement. Un court-circuit mental discernable entre la rencontre émotionnelle, vécue, et la « compréhension » intellectuelle est une caractéristique constitutive de l’image artistique. C’est là également l’opinion de Semir Zeki, l’un des principaux neurologues contemporains qui étudient le fondement neurologique des images et des effets artistiques. Il considère le degré élevé d’ambiguïté de certaines œuvres comme un facteur essentiel de leur grandeur ; c’est le cas pour l’image de l’inachevé qu’illustrent les Esclaves de Michel-Ange, ou pour les récits humains ambivalents évoqués par les peintures de Vermeer90. Faisant allusion à la formidable capacité qu’ont les artistes majeurs de susciter, de manipuler et de diriger nos émotions, Zeki avance cet argument surprenant : « la plupart des peintres sont également des neurologues […] : ce sont eux qui ont conduit des expérimentations sur l’organisation du cerveau dans sa fonction visuelle et qui, sans même s’en rendre compte, en ont compris quelque chose, mais ce au moyen des techniques qui sont les leurs et qu’ils ont en propre »91.
8. Espace perspectif et vision périphérique
50La perception globale et instantanée d’atmosphères requiert un mode spécifique de perception : une perception périphérique, inconsciente et non focalisée. Cette perception fragmentée du monde correspond en fait à notre réalité normale, même si nous pensons tout percevoir avec précision. Ce sont un balayage actif de l’espace par les sens et un mouvement constants, mais aussi la fusion et l’interprétation créatives, par la mémoire, de ces percepts intrinsèquement dissociés, qui assurent l’intégrité de notre image du monde faite de tels fragments perceptifs.
51L’évolution historique des techniques permettant de représenter l’espace et les formes est étroitement liée au développement de l’architecture elle-même. La compréhension de l’espace par la perspective a donné lieu à une architecture dominée par la vision, alors que l’effort pour affranchir l’œil de son assujettissement à la perspective rend possible de concevoir un espace multi-perspectif, simultané et atmosphérique. L’espace perspectif nous relègue dans la position d’observateurs extérieurs, tandis que l’espace multi-perspectif et atmosphérique ainsi que la vision périphérique nous enserrent et nous enveloppent dans leur étreinte. Telle est l’essence perceptive et psychologique de l’espace dans l’impressionnisme, le cubisme et l’expressionnisme abstrait ; nous sommes attirés dans l’espace et mis en situation d’en faire l’expérience comme d’une sensation pleinement incarnée et d’une atmosphère « épaisse ». La réalité particulière d’un paysage de Cézanne, d’une peinture de Jackson Pollock, tout comme celle d’une architecture ou de paysages urbains accueillants, découle de la façon dont ces situations expérientielles engagent nos mécanismes perceptifs et psychologiques. Comme le soutient Merleau-Ponty, nous en venons à voir non pas l’œuvre d’art elle-même, mais le monde à travers l’œuvre92.
52Tandis que l’objectif frénétique de l’appareil photographique capture une situation passagère, une lumière éphémère ou un fragment isolé, cadré et centré, la véritable expérience de la réalité architecturale dépend foncièrement d’une vision périphérique et anticipée ; la simple expérience de l’intériorité suppose la perception périphérique. Le champ perceptif que nous sentons au-delà de la sphère de la vision centrée est tout aussi important que l’image focalisée pouvant être figée par l’appareil photographique. En fait, il existe des indices permettant d’établir que la perception périphérique et inconsciente importe plus pour notre système perceptif et mental qu’une perception ciblée93.
53Cette thèse suggère qu’une des raisons pour lesquelles, souvent, les espaces contemporains – comparés aux cadres historiques et naturels qui suscitent un puissant investissement émotionnel – nous aliènent, a à voir avec la pauvreté de notre vision périphérique et la faible qualité de l’atmosphère qui en résulte. La vision centrée fait de nous de simples observateurs extérieurs, tandis que la perception périphérique transforme les images rétiniennes en une participation spatiale et corporelle, et suscite une impression d’atmosphère accueillante et d’implication personnelle. La perception périphérique est le mode de perception par lequel nous saisissons des atmosphères. L’importance de l’ouïe, de l’odorat et du toucher dans la perception atmosphérique (de la température, de l’humidité, de la circulation de l’air) résulte de leur essence d’organes de sensations non-directionnelles et globales. Le rôle de la perception périphérique et inconsciente explique le fait qu’une image photographique soit en règle générale un témoin peu fiable de la vraie qualité d’une architecture ; ce qui se trouve en dehors du champ constitué par l’œil qui le cadre et même derrière l’observateur a autant d’importance que ce qui est vu consciemment. D’ailleurs, s’ils se préoccupaient moins des qualités photogéniques de leurs œuvres, les architectes n’en seraient que meilleurs. Comme le suggère l’approche neurologique de la question, la signification s’inscrit toujours dans un contexte.
54L’appel pressant, de nos jours, à une architecture écologiquement durable incite également à une architecture non-autonome, fragile, collaborative, adaptée aux conditions précises de la topographie, du sol, du climat, de la végétation, comme à d’autres conditions fournies par la région et le site. Les potentiels de l’atmosphère, d’une faible Gestalt et d’une fragilité qui s’adapte au contexte seront sans aucun doute explorés dans un avenir proche, en vue d’une architecture qui reconnaisse les conditions et les principes aussi bien de la réalité écologique que de notre propre nature biologico-historique.
55Selon moi, il y a fort à parier que nous serons davantage concernés à l’avenir par les atmosphères que par les formes individuellement expressives. Comprendre les atmosphères nous apprendra vraisemblablement le pouvoir secret de l’architecture et son influence sur des sociétés entières tout en nous permettant de définir individuellement notre propre ancrage existentiel.
56Cette capacité qui est la nôtre à saisir les qualités atmosphériques de situations complexes liées au milieu environnant sans que nous constations ni évaluions en détail les éléments dont ces entités sont constituées, nous pourrions bien l’appeler notre sixième sens, et il est probable que ce soit le plus important de nos sens du point de vue de notre existence, de notre vie affective et de notre survie.
« Nous ne sommes pas assurés, et ne saurions jamais l’être, que l’esprit, ou même le corps, soit une chose à proprement parler. L’esprit présente les caractéristiques d’un processus plus que d’une chose ; d’un devenir, d’une manière d’être, plus que d’une entité. Chaque esprit individuel est un processus d’interaction avec tout ce qui peut exister en dehors de nous-mêmes, en lien avec notre propre histoire personnelle »94.
Iain McGilchrist
57 (Traduit de l’anglais par Laure Cahen-Maurel, Université Saint-Louis Bruxelles)
Illustrations : Les atmosphères dans l’oeuvre architecturale de Juhani Pallasmaa
58(légendes : J. Pallasmaa)
591. Salle de concert Korundi, Rovaniemi Art Center, par J. Pallasmaa, 2010 (crédit photo : Rauno Träskelin).
60La salle de concert est située dans une partie neuve du centre artistique. À l’intérieur, le bois de pin lasuré fait naître une impression qui rappelle celle des instruments de musique anciens ; les niches acoustiques colorées procurent au public des stimuli sensoriels périphériques.
612. Musée d’art, Rovaniemi, rénovation par J. Pallasmaa, 1984-1986 (crédit photo : J. Pallasmaa).
62Ce musée d’art est situé dans un ancien local de réparation de bus, et le design vise à créer un dialogue entre l’aspect brut de l’ancien et l’élégance du neuf. L’édifice originel était construit en briques trouvées après la guerre dans les restes de la ville, qui avait été entièrement bombardée. Les quatre colonnes font naître le souvenir du rôle des colonnes dans l’histoire de l’architecture.
633. Atelier d’été d’un peintre (Tor Arne) sur l’île de Vänö (Finlande), par J. Pallasmaa, 1970
64(crédit photo : Juhani Pallasmaa)
65Ce petit atelier est construit en pierres naturelles ramassées sur le site, et en bois, qu’on a laissé vieillir dans les intempéries de l’archipel. La partie visible sur la droite, faite de rondins verticaux, contient le sauna.
664. Maison de vacances Gullichsen, sur l’île de Vänö (Finlande), par J. Pallasmaa, 1972.
67(crédit photo : Patrick Degommier)
68Cette maison d’été est construite en bois et en pierres ramassées sur le site, afin de créer une atmosphère d’enracinement et de confort.
695. Appartement sous les toits, Helsinki, rénovation par J. Pallasmaa (crédit photo : Lars Hallén).
70La forme du plafond suit celle de l’immeuble, œuvre de Eliel Saarinen (1904), et les matériaux sont choisis pour créer une ambiance détendue et accueillante.
Notes
1 Voir Pallasmaa (J.), « Bibliography », in Pallasmaa (J.), Encounters : Architectural Essays, Helsinki, Rakennustieto, 2005, p. 373-376.
2 Pallasmaa (J.), They Eyes of the Skin : Architecture and the Senses, London, Academy Editions, 1996 ; traduction française par Mathilde Bellaigue sous le titre Le Regard des sens,Paris, Éditions du Linteau, 2010.
3 Voir note 2.
4 Holl (S), Pallasmaa (J.), Pérez-Gómez (A.), Questions of Perception. Phenomenology of architecture,San Francisco, William Stout Publishers, 1994.
5 J. Pallasmaa a une affinité particulière avec Merleau-Ponty et Bachelard, qu’il a lus en traduction anglaise pendant les années 1980.
6 Pallasmaa (J.), « Landscapes : Juhani Pallasmaa in conversation with Peter MacKeith », in Pallasmaa (J.), Encounters [voir note 1], p. 6-22, p. 18.
7 Pallasmaa (J.), « Landscapes », p. 19.
8 Toutes les traductions de textes non publiés en français sont de M. Weisen.
9 Pallasmaa (J.), « Landscapes », p. 18-19.
10 Ibid.
11 Pallasmaa (J.), Le Regard des sens,p.12 : « Au travail, l’artiste et l’artisan s’engagent directement avec leur corps et leur expérience au lieu de se fixer sur un problème externe objectivé. Un architecte avisé travaille avec tout son corps et sa personnalité [...]. Dans un travail de création, il y a identification et projection ; la constitution corporelle et mentale du créateur devient le lieu de l’œuvre ». Le thème de la participation corporelle à l’activité créatrice apparaît dans de nombreux textes. Voir en particulier La Main qui pense. Pour une architecture sensible [voir note 2].
12 Pallasmaa (J.), « Landscapes », p. 17.
13 Ibid.
14 Voir notamment : Pallasmaa (J.), Le Regard des sens,p. 29-35 ; et Idem, « Six themes for the next millenium » (1994), in Encounters [voir note 1], p. 295-306.
15 Pallasmaa (J.), « The two languages of architecture: elements of a bio-cultural approach to architecture » (1980), in Encounters, p. 23-44.
16 Pallasmaa (J.), « Six themes for the next millenium » (1994), in Encounters, p. 295-306.
17 Pallasmaa (J.), « The place of man: time, memory and place in architectural experience » (1982), in Encounters,p. 71-85, ici p. 77. Notons que l’artisan médiéval anonyme est un modèle du créateur pour J. Pallasmaa, qui considère sa propre œuvre comme une œuvre collaborative en ce qu’elle intègre les idées d’autres penseurs, d’écrivains, d’artistes et architectes. Voir Pallasmaa (J.), « Landscapes », p. 20.
18 Voir notamment : Robinson (S.) et Pallasmaa (J.) (éditeurs), Mind in Architecture : Neuroscience, Embodiment and the Future of Design, Boston, MIT Press, 2015.
19 Pallasmaa (J.), Animal Architecture, Helsinki, Museum of Finnish Architecture, 2002.
20 Pallasmaa (J.), Le Regard des sens,p. 11 (traduction modifiée).
21 Ibid.,p. 12 (trad. modif.).
22 Pallasmaa (J.), « Six themes for the next millenium » (1994), in : Encounters, p. 295-306.
23 Pallasmaa (J.), « The place of man : time, memory and place in architectural experience » (1982), in Encounters, p. 71-85, ici p. 75.
24 Voir Pallasmaa (J.),La Main qui pense, p. 15.
25 Pallasmaa (J.), Le Regard des sens,p. 13 (traduction modifiée).
26 Ibid.
27 Pallasmaa (J.), Le Regard des sens,p. 10.
28 Pallasmaa (J.), Le Regard des sens,p. 10-11.
29 Pallasmaa (J.), « The geometry of feeling : the phenomenology of architecture »(1985),in Encounters, p. 86-97, ici p. 89.
30 Pallasmaa (J.), « The geometry of feeling », p. 92.
31 Pallasmaa (J.), The Architecture of Image: Existential Space in Cinema, Helsinki, Rakennustieto, 2001.
32 Pallasmaa (J.), « Space, place and atmosphere : peripheral perception in existential experience », inBorch (C.)(éditeur), Architectural Atmospheres : on the Experience and Politics of Architecture,Basel, Birkhäuser, 2014, p. 18-41.
33 Voir l’article traduit dans ce numéro de Phantasia, p. 122.
34 Voir l’article ici traduit, p. 121.
35 Pallasmaa (J.), « Image and meaning », in Pallasmaa (J.) (éditeur), Alvar Aalto :Villa Mairea 1938-1939, Helsinki, Alvar Aalto Foundation et Mairea Foundation, 1998, p. 90.
36 Pallasmaa (J.), « Hapticity and time : notes on fragile architecture » (2002), in Encounters, p. 330.
37 « Image and meaning », p. 86-90.
38 Voir l’article ici traduit, p. 120.
39 « J’envisage la défense de l’authenticité de l’expérience humaine comme la tâche de l’architecture », dans Pallasmaa (J.), Landscapes, p. 6-22, ici p. 19. J. Pallasmaa reconnaît l’aspect problématique de la notion d’« authenticité » et la décrit comme « relevant davantage d’une qualité d’ancrage profond dans les stratifications de la culture » (il faut entendre ici par « culture » la dimension bio-culturelle des êtres humains). Il l’oppose notamment au conditionnement des émotions et des réactions dans le consumérisme : voir Pallasmaa (J.), « Six themes for the next millennium », in Encounters, p. 296-306, ici p. 303-304.
40 J. Pallasmaa, « Atmosphere, compassion and embodied experience : a conversation about atmosphere with Juhani Pallasmaa », in Havik (K.), Thielens (G.), Sfeer bowen/Building atmosphere. Tijdschrift voor Architectuur / Journal for Architecture,2013, p. 33-49, p. 47.
41 Ibid.
42 Pallasmaa (J.) in Havik (K.), Thielens (G.), « Atmosphere : a conversation », ici p. 37.
43 Ibid.
44 J. Pallasmaa, in Havik (K.), Thielens (G.), « Atmosphere : a conversation », p. 39.
45 J. Pallasmaa, in Havik (K.), Thielens (G.), « Atmosphere : a conversation », p. 41.
46 Ibid.
47 J. Pallasmaa, in Havik (K.), Thielens (G.), « Atmosphere : a conversation », p. 45 .
48 Pallasmaa (J.), Korundi Culture House : a Few Words from the Architect, en ligne, http://www.korundi.fi/en/Korundi-house-of-culture, consulté le 27 octobre 2016.
49 Pallasmaa (J.), « Kesäateljee Tor Arne », in Arkkitehti, 6 (1988), p. 78-79.
50 Conférence donnée à l’Utzon Room de l’Opéra de Sydney le 23 février 2016 dans le cadre d’une série de conférences en Australie (The Six Australia Lectures).
51 D’Annunzio (G.), Contemplazioni della morte, Milano, Fratelli Treves, 1912, p. 17-18 ; cité d’après Bachelard (G.), L’eau et les rêves. Essai sur l’imagination de la matière, Paris, José Corti, 1942, p. 29.
52 Zumthor (P.), Atmosphères - Environnements architecturaux - Ce qui m’entoure, Bâle, Boston, Berlin, Editions Birkhäuser, 2008, p. 13.
53 Dewey (J.), Art As Experience (1934), cité d’après Johnson (M.), The Meaning of the Body : Aesthetics of Human Understanding, Chicago, London, The University of Chicago Press, 2007, p. 75 ; L’art comme expérience, traduction française coordonnée par Jean-Pierre Cometti, Paris, Gallimard, 2014, p. 247.
54 Voir Hiss (T.), The Experience of Place, New York, Random House, Inc., 1991.
55 Merleau-Ponty (M.), Le Cinéma et la Nouvelle Psychologie (1945), in Idem, Sens et Non-sens, Paris, Gallimard, 1996, p. 63.
56 Dewey (J.), Art As Experience, cité d’après Johnson (M.), The Meaning of the Body, p. 74.
57 Ibid., p. 73.
58 Heidegger (M.), Bâtir, habiter, penser (1951), in Id., Essais et conférences, traduction française par A. Préau, Paris, Gallimard, 1958, p. 186.
59 Pogue Harrison (R.), Gardens : An Essay on the Human Condition, Chicago, London, The University of Chicago Press, 2008, p. 130.
60 Dewey (J.), Art As Experience, cité d’après Johnson (M.), The Meaning of the Body, p. 75.
61 Zumthor (P.), Atmosphères, p. 13.
62 Voir, entre autres, Hildebrand (G.), The Origins of Architectural Pleasure, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press, 1999 ; et aussi du même auteur The Wright Space : Pattern & Meaning in Frank Lloyd Wright’s Houses, Seattle, University of Washington Press, 1992.
63 Voir Hildebrand (G.), ibid. ; et Wilson (E. O.), « The Right Place », in Id., Biophilia, Cambridge Massachusetts (E.U.), London (Angleterre), Harvard University Press, 1984, p. 103-118.
64 Böhme (G.), Atmosphäre, Frankfurt, Suhrkamp, 1995, ainsi que Architektur und Atmosphäre, München, Fink, 2006 ; et Schmitz (H.), System der Philosophie, Bd. III: Der Raum, 2. Teil : Der Gefühlsraum, Bonn, Bouvier, 1969.
65 Johnson (M), The Meaning of the Body : Aesthetics of Human Understanding, Chicago, London, The University of Chicago Press, 2007.
66 McGilchrist (I), The Master and His Emissary : The Divided Brain and the Making of the Western World, New Haven, London, Yale University Press, 2009, p. 184.
67 Zumthor (P.), Atmosphères, page de titre.
68 Aalto (A.), « The Trout and the Mountain Stream », in Schildt (G.) (édition), Alvar Aalto Sketches, Cambridge Massachusetts (E.U.), London, the MIT Press, 1985, p. 97.
69 Pallasmaa (J.), « In Praise of Vagueness : Diffuse Perception and Uncertain Thought [Éloge de l’imprécision : perception diffuse et pensée incertaine] », in Peter MacKeith (édition), Juhani Pallasmaa.Encounters 2 : Architectural Essays, Helsinki, Rakennustieto Publishing, 2012, p. 224-237. Dans ses ouvrages-phares The Psychoanalysis of Artistic Vision and Hearing : An Introduction to a Theory of Unconscious Perception [Psychanalyse de la vision et de l’écoute artistiques : introduction à une théorie de la perception inconsciente] (1953) et The Hidden Order of Art [L’ordre caché de l’art] (1970), Anton Ehrenzweig fait valoir que, pour saisir l’entité inconsciente et inarticulée des œuvres artistiques, nous devons adopter l’attitude mentale d’une attention flottante. Il parle de la structure « polyphonique » d’œuvres profondes, que seule une « attention multi-dimensionnelle » peut apprécier. Dans L’œil pensant (1964), Paul Klee emploie également le mot « polyphonique » en référence à l’essence de toute structure artistique. La perception de l’atmosphère demande de même une attention diffuse à ce phénomène polyphonique.
70 Johnson (M.), The Meaning of the Body, p. 9.
71 Ibid., p. 18.
72 Ibid., p. 66.
73 Voir ibid., p. 67.
74 Ibid.
75 Gardner (H.), Intelligence Reframed : Multiple Intelligences for the 21st Century, New York, Basic Books, 1999, p. 41-43.
76 Ibid., p. 47.
77 McGilchrist (I.), The Master and His Emissary, p. 40.
78 Ibid., p. 47.
79 I McGilchrist (I.), The Master and His Emissary, p. 49.
80 Ibid., p. 60.
81 Ibid., p. 62.
82 Scarry (E.), Dreaming by the Book, Princeton NJ, Princeton University Press, 2001, p. 30.
83 Hrabal (B.), Too Loud a Solitude, San Diego, New York, London, Harcourt Inc., 1990, p. 1.
84 Cité d’après Shanes (E.), Constantin Brancusi, New York, Abbeville Press, 1989, p. 107.
85 Kojo (I.), « Mielikuvat ovat aivoille todellisia [Les images sont réelles pour le cerveau] », Helsingin Sanomat, Helsinki, 16.03.1996. L’article se réfère aux recherches menées à l’Université de Harvard par un groupe de chercheurs dirigés par Stephen Rosslyn au milieu des années 1990.
86 Voir Zajonc (A.), Catching the Light : The Entwined History of Light and Mind, New York, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 5.
87 Bachelard (G.), La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1961, p. 25-26.
88 Marcuse (H.), The One-Dimensional Man : Studies in the Ideology of Advanced Industrial Society, Boston, Beacon Press, 1991 [1964], p. 73 ; L’Homme unidimensionnel : essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, traduction française par M. Wittig et l’auteur, Paris, Editions de Minuit, 1968, p. 97 : « toute une dimension de l’activité et de la passivité humaines a été dé-érotisée. L’environnement d’où l’individu pouvait tirer du plaisir (il pouvait l’érotiser presque comme une zone étendue de son corps) a été restreint. En conséquence, l’“univers” de la cathexis libidineuse s’est restreint de la même manière. Il en résulte une localisation et une contraction de la libido, l’érotique se restreint à l’expérience et à la satisfaction sexuelles. »
89 McGilchrist (I.), The Master and His Emissary, p. 142.
90 Zeki (S.), Inner Vision :An Exploration of Art and the Brain, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 22-36.
91 Ibid., p. 2.
92 Cité d’après McGilchrist (I.), The Master and His Emissary, p. 409.
93 Anton Ehrenzweig présente le cas médical de l’hémianopie comme une preuve du primat de la vision périphérique dans le conditionnement psychique du mécanisme de la vue. Dans le cas de cette maladie rare, une moitié du champ visuel devient aveugle tandis que l’autre conserve la vision. Dans certains cas, le champ de vision se réorganise ultérieurement en un nouveau champ de vision circulaire complet avec un nouveau foyer de vision net au centre et une périphérie vague. Lorsque le nouveau foyer s’est formé, la réorganisation implique que des parties de l’ancienne périphérie vague du champ visuel gagnent en acuité visuelle et – ce qui est plus significatif encore – que l’ancien foyer perde sa capacité de vision nette tandis qu’il se transforme en une partie du nouveau halo périphérique vague. Ehrenzweig note : « L’étude de ces cas nous prouve ainsi, si c’est nécessaire, l’existence d’un besoin psychologique déterminant qui nous oblige à laisser la plus grande partie du champ visuel dans une confusion d’images très vague. » Voir Ehrenzweig (A.), The Hidden Order of Art, Frogmore, St. Albans, Paladin Books, 1973, p. 284 ; L’ordre caché de l’art. Essai sur la psychologie de l’imagination artistique, traduction française par F. Lacoue-Labarthe et C. Nancy, préface de Jean-François Lyotard, Paris, Gallimard, 1974, p. 333.
94 McGilchrist (I.), The Master and His Emissary, p. 20.