L’objectivité en sciences humaines, un idéal régulateur ?
Après avoir obtenu un diplôme en histoire à l'UCLouvain (2019), Camille Banse poursuit sa formation avec un master de spécialisation en études de genre (2020). Tout en étant assistante à Université Saint-Louis – Bruxelles, elle entame un doctorat sous la copromotion de Jean-Pascal Gay (UCLouvain) et de Kaat Wils (KU Leuven). La recherche examine le cas d’organisations de jeunesse d’Action Catholique en tant que régulateurs et promoteurs d'une sexualité spécifiquement catholique. La thèse retrace les évolutions concrètes des sexualités dans un contexte ecclésial (1930-2000). La méthodologie intègre les dynamiques religieuses et les discours théologiques dans les évolutions de l'intimité et plaide pour une histoire religieuse des sexualités. Camille Banse est également chercheuse associée au CRHiDI et présidente de l'Association Belge d'Histoire Contemporaine, qui promeut la circulation des connaissances historiques en Belgique.
Diplômée (master) de l'Université libre de Bruxelles en langues et littérature anciennes orientation classiques (2014), Emilie Colpaint poursuit sa formation à l'UNamur avec un bachelier en droit (2021). Elle termine cette année un master en droit à l'UCLouvain. En parallèle, elle occupe un mandat d'assistante à l'Université Saint-Louis - Bruxelles pour le cours de Fondements romains et éléments d'histoire du droit privé. Dans ce cadre, elle travaille principalement sur la coutume en droit romain à la fin de la République, suivant une approche philologique au service de la science juridique. Emilie Colpaint est également membre du CRHiDI, du SIEJ et du CePri.
Diplômée d'un master en Histoire à l'UCLouvain (2019), Camille Rutsaert prépare un sujet de thèse, sous la co-tutelle de Gilles Lecuppre (UCLouvain) et d'Eric Bousmar (Université Saint-Louis - Bruxelles). Ses intérêts portent sur l'histoire politique et sociale, l'histoire du genre et des femmes, et l'histoire des principautés des Pays-Bas, à la fin du Moyen Âge. Elle oriente ainsi ses recherches sur la vie de femmes proches du pouvoir, dans les principautés des Pays-Bas aux alentours de la période des ducs de Bourgogne, telles Jeanne de Brabant, Marguerite de Mâle, Marguerite de Bourgogne, ou encore Jacqueline de Bavière. Afin de diversifier ses acquis et méthodes, elle a eu la chance de pratiquer l'histoire à Leuven (Belgique) et à Münster (Allemagne) dans le cadre de programmes erasmus. Elle est en outre assistante et chargée d'enseignement pour les facultés de Philosophie, lettres et sciences humaines et de Droit à l'Université Saint-Louis - Bruxelles.
Résumé
Aujourd’hui, l’exigence d’objectivité s’est imposée comme idéal régulateur de la pratique scientifique dans les sciences historiques et sociales. Pourtant, la notion même d’objectivité scientifique n’a pas toujours existé ni eu la même signification. Il apparait ainsi indispensable d’interroger un concept régulièrement utilisé pour légitimer nos savoirs. La question se pose avec d’autant plus d’insistance en ce qui concerne les sciences humaines et sociales, au vu des développements, ces dernières années, de la théorie de la connaissance située (standpoint theory), qui se propose de remettre en cause la notion d’objectivité en proposant de considérer le point de vue des minorités comme un biais de connaissance pertinent pour la critique d’un système donné. L’objectivité en sciences humaines, un idéal régulateur ? C’est sous cet intitulé volontairement provocateur que ce numéro des C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société rassemble les contributions de jeunes chercheurs et chercheuses qui se sont prêtés à l’exercice dans leur champ de recherche respectif, soit en interrogeant le lien existant entre rationalité scientifique guidée par une méthodologie spécifique et leurs affinités respectives (méthodologie orientée), soit en analysant la perception subjective des acteurs historiques eux-mêmes au travers des sources mises à disposition. En guise de conclusion, ce numéro propose une interview de l’historienne et philosophe Geneviève Warland dans laquelle elle interroge tour à tour la relation entre les notions de vérité et d’objectivité et les impératifs qui en découlent pour l’historien et l’historienne, tant dans son activité scientifique que d’un point de vue sociétal.
Abstract
Today, the claim to objectivity has become the regulating ideal of scientific practice in historical and social sciences. However, the very notion of scientific objectivity has not always existed, nor had the same meaning. It thus seems essential to question a concept regularly used to legitimise our knowledge. This question is all the more pressing in the human and social sciences, given the developments in recent years of the standpoint theory, which proposes to question the notion of objectivity by considering the position of minorities as a relevant bias of knowledge for the criticism of a given system. Objectivity in social sciences, a regulating ideal? It is under this deliberately provocative title that this issue of the C@hiers du CRHiDI brings together the contributions of young researchers who have taken part in the exercise in their respective fields of research, either by questioning the link between scientific rationality guided by a specific methodology and their respective affinities (oriented methodology), or by analysing the subjective perception of the historical actors themselves through the sources made available. The issue concludes with an interview with the historian and philosopher Geneviève Warland in which she discusses the relationship between the notions of truth and objectivity and the resulting imperatives for the historian, both in his or her scientific activity and from a societal point of view.
Introduction
1Comment choisissons-nous nos thématiques de recherche ? Sommes-nous vraiment des observateurs et des observatrices de la société et de son histoire sans nous approprier notre recherche ? Comment prendre en compte sa propre subjectivité pour mieux l’éviter ? L’objectivité en histoire nous demande impartialité et distanciation pour éviter toute dérive ou instrumentalisation du récit historique. Le contexte, les préférences et caractéristiques de l’historien et de l’historienne sont censées disparaitre devant un établissement des faits conformes à la réalité. L’objectif de ce numéro des C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société est d’inviter les jeunes chercheurs, hommes et femmes, à interroger la notion d’objectivité au regard de leurs recherches personnelles et domaines d’études et de contribuer ainsi à fournir, par des cas d’application pratiques, un panorama des différentes approches mises en œuvre face à l’objectivité dans les sciences humaines et sociales. En effet, le terme « objectivité », largement utilisé en contextes philosophiques, scientifiques et épistémologiques comme idéal régulateur, est pourtant l’un des plus mal définis1. Le terme lui-même présente plusieurs acceptions. Il désigne en effet tant la vérité objective d’une position scientifique que les procédures objectives qui garantissent une découverte scientifique, ou encore l’attitude de la personne qui fait de la recherche2.
2Le philosophe Ibrahim Ouattara relève pour sa part que l’objectivité peut être envisagée suivant un triple point de vue3. Dans une perspective ontologique d’abord, elle désigne l’indépendance d’un objet par rapport aux structures de représentation du sujet qui le pense. Sous un angle épistémique, l’objectivité vise la validité d’une connaissance en tant qu’elle s’appuie sur des faits ou observations avérés. Ce faisant, une théorie peut être objective sans prétendre pour autant être « vraie » pour peu qu’elle se fonde sur un ensemble de données accessibles et vérifiables. Enfin, d’un point de vue éthique, l’objectivité traduit la capacité de neutralité du sujet par rapport à l’objet qu’il pense. Ce dernier type d’objectivité « requiert du sujet, au moment de poser une action, d’abandonner ses intérêts, préférences, croyances pour s’élever à une espèce d’universalité de perspective (…) »4.
3Or, la notion d’objectivité scientifique n’a pas toujours existé ni eu la même signification5. Alors qu’elle a longtemps été considérée comme une notion panhistorique attribuable à certaines disciplines en gage de leur scientificité, le 19e siècle a été marqué par un accroissement de recherches portant sur l’objectivité per se, suivant des perspectives historiques et philosophiques6. Les historiens et historiennes ont démontré que le concept d’objectivité, au sens épistémique ou éthique, a connu de nombreuses évolutions à partir du 17e siècle tandis que la philosophie a développé deux approches de l’objectivité. Suivant la première, l’objectivité présente une signification de base unique sur laquelle d’autres sens se sont agrégés7. Pour d’autres, l’objectivité est un concept complexe, comportant en lui-même plusieurs sens8. Ces recherches mettent ainsi en évidence les diverses évolutions qu’a connues cette notion. Suivant l’historienne des sciences Lorraine Daston, et le philosophe des sciences Peter Galison, notre acception moderne de l’objectivité apparait au 19e siècle9. Aussi, avant l’avènement de l’objectivité telle qu’elle est globalement entendue aujourd’hui, on relève une succession de vertus épistémiques relatives aux sciences sociales : l’interventionnisme épistémique ou subjectivisme actif, l’objectivité mécanique, l’objectivité-jugement-expert et l’objectivité structurale ou structurelle10.
4Le subjectivisme actif imposait aux scientifiques d’intervenir « dans le recueil et l’enregistrement des données de l’expérience, notamment en sélectionnant les caractéristiques essentielles (« typiques » ou « idéales ») des objets à représenter, au détriment des propriétés dites secondaires »11. Suivant cette acception de l’objectivité, tombée en désuétude aux 17e et 18e siècles, une chose n’existe que lorsqu’elle est pensée comme un objet de l’esprit12. Le second registre de l’objectivité (objectivité mécanique) qui apparait au 19e siècle vise l’élimination de toute médiation d’origine subjective dans l’enregistrement des données par le recours à de nouvelles techniques de collecte de données telles que la photographie, les rayons X, etc. visant à entourer la recherche d’un carcan procédural strict. L’interprétation humaine est en quelque sorte diabolisée, avec pour objectif de parvenir à une forme parfaite d’impartialité, idéal qui se heurte toutefois au travail d’interprétation et de jugement qui demeure une fois les données collectées13. Cet écueil donne naissance au troisième régime de l’objectivité, à savoir l’objectivité-jugement-expert (trained judgment) qui met l’accent sur l’importance d’un jugement entrainé par rapport à un dispositif automatique de représentation ou de collecte d’informations14. Enfin, l’objectivité structurale (ou structurelle), représentative du 20e siècle met l’accent sur l’importance des formes et des modes d’écriture. L’attention est désormais portée sur la structure formelle des relations entre les objets et non plus sur les objets eux-mêmes, permettant de s’émanciper des expériences sensibles individuelles15.
5Néanmoins, tant Lorraine Daston que Peter Galison insistent sur le fait que l’apparition de vertus épistémiques n’a pas pour autant aboli les anciennes. En effet, « chaque étape de cette succession présuppose et se construit avec et en réaction contre les précédentes »16, chacune étant un préalable aux suivantes et interagissant avec elles.
6Alors que l’exigence d’objectivité s’est progressivement imposée en régulatrice de la pratique scientifique, le 21e siècle laisse la porte ouverte à une critique des dispositifs légitimant du savoir en vue de déconstruire nos idées relatives à l’édification des sciences humaines et sociales. L’actualité de la recherche et de sa communication redistribue les cartes de l’objectivité scientifique selon ses approches ontologique, épistémique et éthique.
7Tout d’abord, l’actualité remet fortement en question les liens entre pratiques historiennes et militantes. L’étude des femmes et du genre est traversée par les soubresauts des différents mouvements de libération des femmes, dont #Metoo est le dernier-né. Durant l’été 2020, à la suite des manifestations du Black Lives Matter, des groupes de travail et commissions se mettent en place et font la part belle aux scientifiques du fait décolonial.17 En tant que militants, les chercheurs et chercheuses ne peuvent se détacher de leur objet. Dans une perspective d’objectivité ontologique, l’historien et l’historienne devraient se penser en sujet universel, indépendamment de ses structures de représentations. La généralisation « connaissance située » (standpoint theory) remet ainsi en cause la notion d’objectivité du chercheur en proposant de considérer le point de vue des minorités comme un biais de connaissance pertinent pour la critique d’un système donné. Cette théorie intègre ainsi l’expérience individuelle du chercheur et de la chercheuse au même titre que celle de l’acteur ou de l’actrice dans la constitution de ses savoirs. Elle offre de nouvelles perspectives épistémologiques en s’émancipant de l’alternative traditionnelle avec la possibilité de construire les savoirs depuis une perspective partielle. Malgré une réelle prise en compte de ce positionnement situé (souvent abordé en introduction d’ouvrage), les ouvrages récents ne font pas de place formelle à ces questions épistémiques.
8Ensuite, les avancées technologiques ont contribué à une démocratisation de l’histoire. En plus des reportages télévisés grand public, ces dernières années ont vu se multiplier de nouveaux supports de communication. Ainsi, les récits d’histoire connaissent un certain succès dans des émissions de radio ou des podcasts, à l’instar d’Un jour dans l’histoire de la RTBF18, qui sont souvent des entretiens menés par des journalistes. Les chaines Youtube, dont Nota bene19 est la plus connue dans le monde francophone, influencent les nouvelles manières de faire de l’histoire. Toutes ces nouvelles formes de vulgarisation historique modifient le rapport du lectorat et du corps scientifique et posent des questions épistémologiques. Si l’objectivité tend à la validité d’une connaissance dans la mesure où elle s’appuie sur des observations avérées, comment vérifier que l’apparat critique de ces nouveaux moyens de communication est solide ? La démocratisation de l’histoire semble réinterroger l’épistémologie de ceux et celles qui la transmettent.
9Enfin, dans un contexte politique de montée des extrêmes, les historiennes et les historiens semblent reprendre la parole sur la place publique. Pour le cas des élections présidentielles de 2022, les récits nationaux et identitaires, leur mise en scène et leur instrumentalisation sont au cœur des débats. Les exemples du Puy du Faux20, de Zemmour contre l’histoire21 ou encore du Venin et la plume22 incarnent une intervention politique des professionnels, tant hommes que femmes, de l’histoire. D’un point de vue éthique, il parait nécessaire de s’interroger sur la capacité de ces auteurs de demeurer neutres. Si l’objectif est la (ré)action de l’électorat, il parait nécessaire d’appuyer sa prise de parole par une position réflexive solide.
10Loin de constituer un concept immuable, le champ de l’objectivité semble bien en changement constant. Il apparait dès lors indispensable d’interroger cette notion régulièrement utilisée pour légitimer nos savoirs. La question se pose avec insistance en ce qui concerne les sciences humaines et sociales. Comment étudier aujourd’hui les sociétés anciennes et plus récentes ? Est-il possible de se détacher de toute perspective personnelle, attache culturelle, croyante ou préjugés ? Sommes-nous capables d’adopter un point de vue externe par rapport à nos sujets d’étude ? Enfin, cette attitude est-elle réellement la condition de validité des recherches que mènent les chercheurs et une telle démarche constitue-t-elle réellement la garantie d’un savoir « objectif » ?
11Afin d’apporter des pistes de réponse à ces questions, les contributions qui suivent invitent quelques chercheurs et chercheuses à s’intéresser à cette démarche. Le présent volume des C@hiers du CRHiDI comporte deux parties complémentaires. La première, historienne, est liée à l’interrogation de la perception subjective des acteurs historiques. Comment étudier un sujet pensant, lui-même subjectif dans ses idées et perceptions ? Comment donner la pleine mesure d’une personne et comprendre l’entièreté de son action à travers des documents orientés et partiels ?
12Ainsi, Julien Delattre et Fanny Verslype s’interrogent sur les apports de la prosopographie par rapport à la biographie. Ils étudient en effet la profession d’avocat en Belgique (et surtout à Bruxelles) du 19e siècle au début du 20e siècle. Toutefois, ce métier est dualisé entre sa nature individuelle et un mouvement collectif : les avocats et avocates sont des indépendants et indépendantes traitant chacun leurs dossiers, mais ils sont néanmoins rassemblés en barreau régional. Dès lors, il leur est essentiel de faire dialoguer les données sérielles et analyses quantitatives propres à une collectivité, avec des nuances spécifiques et des informations propres aux individus qui pratiquent ce métier. Cette démarche leur permet de passer au-delà des biais des sources en série — notamment la généralisation et l’effacement des particularismes — tout en conservant une image plus centrale et moins subjective que celle dépeinte par des documents uniquement biographiques. Ils appliquent ensuite cette double méthode à un cas particulier, celui de l’entrée au barreau de Joseph Pholien, au début du 19e siècle.
13À l’opposé, la méthodologie choisie par Costantino Paonessa dans son analyse des articulations entre les relations de pouvoir à la fin du 19e siècle revient à étudier une société et son fonctionnement à travers un fait particulier dans la vie d’un individu bien spécifique. En effet, il fait dialoguer les sources, et donc les points de vue, autour de ce moment vécu par un Italien en Égypte, pour mettre en lumière des mécanismes sociaux de domination et d’appartenance, dans un cadre colonial. Son objectif, différent des contributions précédentes, tend à la reconstitution d’un système et à l’identification des éléments de subjectivité d’un individu marginalisé, dans un contexte colonial.
14Enfin, l’article de Marie Linos, qui clôture cette première partie, porte sur les démarches et méthodes mises en place par les éditeurs de l’Encyclopaedia of the Social Sciences afin de garantir une certaine objectivité et scientificité à leur ouvrage. L’auteure, qui a étudié le mouvement de création et d’élaboration de cette gigantesque collection établie entre 1930 et 1935, analyse autant la définition de l’objectivité à une période donnée que les outils créés et utilisés par les éditeurs pour atteindre cet idéal scientifique. Elle met ainsi en avant le choix des collaborateurs et leur influence sur les régimes d’objectivité mis en place. Finalement, elle observe aussi la réception de cette œuvre et les conclusions que l’on peut en tirer sur les convictions scientifiques et idéologiques des époques étudiées.
15Les questions du point de vue des sources, de la perception subjective des acteurs et actrices du passé et de l’objectivité perçue dans le passé sont donc au cœur de ces écrits, alors que, dans un second temps, ce C@hier rassemble des analyses d’auteurs, hommes et femmes, qui se sont pliés à l’étude de leur propre subjectivité au sein de leur sujet de recherche. Ils et elles voulaient ainsi soulever les forces et faiblesses de leur démarche en fonction de leurs particularismes et de leur rapport à l’objectivité. La relation établie entre la rationalité scientifique, guidée par une méthodologie, et les affinités et spécificités de chacun d’eux est donc mise à jour et explicitée de façon analytique dans cette deuxième partie.
16Ce sont Marion Cazaux et Quentin Petit Dit Duhal qui ouvrent le bal de ce second volet en proposant une réflexion sur leur méthodologie volontairement orientée par un point de vue particulier. Il et elle font ainsi dialoguer leurs affinités personnelles, leur sujet respectif et la pratique historienne de l’art autour de la question queer. Revendiquant et défendant ce parti pris pour lui et elle-même — « notre position située, c’est-à-dire concernée d’une manière ou d’une autre par notre sujet ou la communauté dans laquelle il s’inscrit » —, ils défendent sa place dans la recherche en Histoire de l’art, puis dans leur parcours scientifique. Ensuite, il et elle mettent en avant la nécessité de collaboration entre les chercheurs et chercheuses ayant pris le même parti, et leur investissement dans cette collaboration à travers la création d’un groupe de recherche permettant l’échange et la diffusion. Le dialogue est ici la clé de leur scientificité et de la validation de leur démarche.
17Les échanges entre spécialistes sont aussi analysés par Julien Régibeau. Ce dernier se penche sur le discours des historiens et historiennes, et son évolution à la fin du siècle dernier, notamment dans le dialogue entre histoire scientifique et public history. En tant qu’historien lui-même, l’auteur revient sur les crises traversées par sa discipline et les raisons derrière celles-ci. Cela lui permet d’étudier les rapports entre la société actuelle, les hommes et femmes chercheurs et l’écriture de l’histoire. À cette dernière perspective appartient l’analyse qui démontre la nécessité pour l’historien professionnel de tenir un « double rôle critique » dans la vie publique.
18Rejoignant les affirmations de prises de position scientifiques présentées précédemment, la philosophie de terrain en tant qu’outil d’analyse est défendue dans le troisième article de cette partie par Florie Toularastel. Cette dernière, revendiquant à la fois son statut de doctorante en philosophie et celui de femme queer, réfléchit à l’impact qu’elle a sur son terrain et sur ce que peut lui offrir que sa place privilégiée dans le cadre de ses recherches. Ainsi, en commençant par redéfinir les principes théoriques de la philosophie de terrain, elle pose les bases d’une réflexion sur la relation entre un terrain — ici une association de care pour les travailleuses et travailleurs du sexe — et la théorie philosophique. Elle utilise ensuite son expérience personnelle double de philosophe et travailleuse sociale pour étudier l’impact que l’un peut avoir sur l’autre et inversement.
19Enfin, c’est en tant que chercheuse racisée qu’Aditi Athreya propose de lancer sa réflexion. Spécialiste de l’histoire coloniale, elle veut mettre en avant ses pratiques de décolonisation de la discipline, en tant que chercheuse issue d’un contexte colonial, travaillant dans un pays jadis colonisateur, mais dont la nation ne sait pas encore comment faire face à son histoire. La problématique remonte toutefois plus loin puisque les universités du vieux continent dans lesquelles les tentatives actuelles de décolonisation ont lieu sont celles qui avaient jadis promu les concepts et idées nécessaires pour favoriser et défendre la domination coloniale. Ainsi, Aditi Athreya, d’origine indienne, utilise son bagage socioculturel racisé et globalisé pour redéfinir la décolonisation et mettre à jour ses propres régimes d’objectivité, questionnant en même temps sa propre position d’insider-outsider, et son rôle par rapport à une méthodologie d’histoire orale.
20À travers ces diverses contributions, nous espérons offrir un panorama des questions historiographiques et épistémologiques actuelles. L’exigence d’objectivité s’est-elle vraiment imposée comme idéal régulateur de la pratique scientifique ?
Table des matières
21Introduction par Camille Banse, Emilie Colpaint et Camille Rutsaert
22Partie 1. La perception subjective des acteurs et actrices historiques
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Fanny Verslype et Julien Delattre, Apports, limites et enjeux des méthodes prosopographiques et biographiques appliquées à l’histoire contemporaine des avocats : le cas du stage au barreau de Bruxelles
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Costantino Paonessa, Manière de voir : être un migrant européen en territoire colonial. Le procès d’un menuisier italien dans l’Égypte du début du 20e siècle
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Marie Linos, « To preach Criticism and Impartiality? » : Objectivité, neutralité et ideologies dans l’Encyclopedia of the Social Sciences (1930-1935)
23Partie 2. Le rapport à l’objectivité et à la subjectivité dans la recherche actuelle
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Marion Cazaux et Quentin Petit Dit Duhal, Une recherche volontairement queer en histoire de l’art
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Julien Régibeau, Critiques de l’histoire et histoire critique
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Florie Toularastel, Une expérience de philosophie sur le terrain du travail social : approche éthique et construction méthodologique
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Aditi Athreya, Objectivity in Research: From Eurocentrism via Decolonisation to Transmodernity
24Conclusion: « L’objectivité en sciences humaines » ce vers quoi il faut tendre ? L’objectivité selon une historienne située, entretien avec Geneviève Warland
Notes
1 H. Douglas, The Irreducible Complexity of Objectivity, dans Synthese, t.138, 2004, no 3, p 453.
2 L. Daston, Objectivity and the Escape from Perspective, dans Social Studies of Science, vol. 22, 1992, no 4, p. 597.
3 I. Ouattara, L’objectivité dans les sciences historiques. Entre mythe, exigence et idéal, dans Revue de l’Université de Moncton, vol. 48, 2017, no 2, p. 93-94.
4 Ibid., p. 93.
5 H. Douglas, op.cit., p. 453-473 ; I. Ouattara., op. cit., p. 91-128; L. Daston et P. Galison, The Image of Objectivity, dans Representations, t. 40 : Seeing Science, 1992, p. 84; Ead., Objectivité, préface de Bruno Latour, traduit de l’anglais par Sophie Renaut et Hélène Quiniou, Dijon, Les Presses du réel, 2012 (Fabula), p. 25.
6 H. Douglas, op. cit., p. 454.
7 R. Nozick, Invariance and Objectivity, dans Proceedings and Addresses of the APA vol. 72, 1998, no 2, p. 21‑48; T. Nagel, The View from Nowhere, New York, Oxford University Press, 1986.
8 A. Fine, The Viewpoint of No-One in Particular, dans Proceedings and Addresses of the American Philosophical Association, vol. 72, 1998, no 2, p. 9-20; E. Llyod, Objectivity and the Double Standard for Feminist Epistemologies, dans Synthese, vol. 104: Feminism and Science, 1995, no 3, p. 351‑381; A. Megill, Introduction. Four Senses of Objectivity, dans Rethinking Objectivity, éd. Id., Durham, Duke University Press, 1994, p. 1-20.
9 L. Daston et P. Galison, Objectivité, op. cit, p. 15.
10 I. Ouattara, op. cit., p. 98-106.
11 Ibid, p. 98.
12 L. Daston et P. Galison, Objectivité, op. cit, p. 39.
13 I. Ouattara, op. cit., p. 130 ; L. Daston et P. Galison, Objectivité, op. cit., p. 137‑222.
14 I. Ouattara, op. cit., p. 105 ; L. Daston et P. Galison, Objectivité, op. cit., p. 357‑416.
15 L. Daston et P. Galison, Objectivité, op.cit., p. 293-355.
16 L. Daston et P. Galison, Objectivité, op. cit., p. 27.
17 I. Goddeeris et al., Les universités belges et leur gestion du passé colonial. Rapport du « Groupe de travail interuniversitaire Passé colonial » (VLIR-CRef, août 2020 - septembre 2021), 2021, en ligne, http://www.cref.be/communication/20211027_Gestion_du_passé_colonial.pdf, consulté le 06/10/2022 ; P.-A. Tallier, M. Van Eeckenrode et P. Van Schuylenbergh (éd.), Belgique, Congo, Rwanda et Burundi : guide des sources de l’histoire de la colonisation (19e-20e siècle). Vers un patrimoine mieux partagé !, Turnhout, Brepols, janvier 2021, en ligne, https://www.brepolsonline.net/action/showBook?doi=10.1484/M.STMCH-EB.5.127294, consulté le 5/10/2022.
18 L. Dehossay, Un jour dans l’histoire, La Première, RTBF, quotidienne depuis 2013.
19 B. Brillaud, Nota bene, en ligne, https://www.youtube.com/c/notabenemovies/featured, consulté le 5/10/22.
20 F. Besson et al., Le Puy du faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire, Paris, Les Arènes, 2022.
21 A. Aglan et al., Zemmour contre l’histoire, Paris, Gallimard, 2022 (Tracts, 34).
22 G. Noiriel, Le venin dans la plume. Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République, Paris, La Découverte, 2019 (L’envers des faits).