Des larmes pour les hommes. Aspects genrés de l’expression du deuil dans les épitaphes attiques archaïques
Brice De Potter dispose d’un mandat d’Aspirant F.R.S.-FNRS afin de mener une thèse de doctorat en histoire ancienne à l’Université libre de Bruxelles, intitulée « L’expression des émotions dans les nécropoles attiques archaïques et classiques (VIe–IVe s. a.C.). Le témoignage des stèles funéraires ». Il enseigne également l’art grec à l’Institut royal supérieur d’histoire de l’art et d’archéologie (Bruxelles).
Résumé
Centré sur les liens entre expression des émotions et construction des identités de genre, cet article s’intéresse aux manifestations du sentiment de deuil dans les épitaphes attiques archaïques. Cette documentation épigraphique conduit à deux observations. D’une part, elle suggère qu’il n’est pas transgressif, pour un homme, y compris étranger à la famille du défunt, d’exprimer publiquement son chagrin dans le cas des garçons décédés prématurément. De l’autre, elle révèle que ces démonstrations du sentiment de deuil sont absentes des épitaphes rédigées pour des femmes. L’influence des formules homériques sur les auteurs d’épigramme funéraire pourrait expliquer cette différence de traitement des défunts en fonction des sexes.
Abstract
This essay focuses on the interaction between gender and the manifestation of grief in Archaic Attic funerary inscriptions. Its conclusion is twofold. Epitaphs conveying the living’s grief at a loved one’s death show that men were not prohibited from mourning in public when the deceased was a boy who had died prematurely, and even when men come from outside the deceased’s family. In addition, while omitted from female epitaphs, these expressions of grief appear to be characteristic of (some) male funerary monuments. It is suggested here that the influence of Homeric poetic language might have shaped the way 6th-c. Athenians staged their emotions in inscriptions for male deceased.
1. Introduction
1En Grèce archaïque et classique, l’expression publique du sentiment de deuil appartient-elle exclusivement au domaine du féminin ? Située au cœur des rapports entre émotion et construction des identités de genre, cette problématique a particulièrement attiré l’attention des chercheurs dans les années 19901. Leurs conclusions se sont largement diffusées depuis : les manifestations de chagrin liées au deuil seraient interdites aux hommes, incompatibles avec la conception grecque de la masculinité, et spécialement assignées aux femmes et à la féminité2.
2Il convient cependant de rappeler que les sources sur lesquelles s’appuient ces thèses datent en majorité de l’époque classique et qu’elles ont récemment fait l’objet d’interprétations divergentes. Platon, régulièrement cité dans ce contexte, se prononce contre les démonstrations masculines de chagrin,3 mais la distinction de genre paraît bien moins importante que ses jugements de valeur sur la qualité personnelle des individus4. Si certaines répliques issues des tragédies classiques ont également été mobilisées pour défendre la thèse selon laquelle les pleurs « féminiseraient » les hommes, A. Suter a récemment recontextualisé ces passages et démontré qu’il n’en était rien5. D. L. Cairns a quant à lui prouvé que l’enveloppement du corps sous un voile, signe ostentatoire de chagrin, pouvait être pratiqué sur scène par des personnages de sexe masculin sans que leur masculinité ne soit mise en cause6. Quant aux lois funéraires civiques, elles ciblent les débordements de l’expression publique du chagrin plutôt qu’elles ne cherchent à les réserver aux femmes7.
3En ce qui concerne l’époque archaïque, nous manquons de sources écrites témoignant de l’existence d’un régime genré de l’expression publique du deuil. Un fragment d’Archiloque (milieu du 7e s.) aurait pu documenter l’ancienneté d’un tel régime, car le locuteur y invite les convives d’un banquet à « écarter de soi le chagrin propre aux femmes » (γυναικεῖον πένθος ἀπωσάμενοι)8. Toutefois, ce n’est pas le sens du texte. Plutôt que d’interdire aux hommes d’afficher leur chagrin, il incite à ne pas en dépasser la mesure : un homme garderait traditionnellement le deuil moins longtemps qu’une femme, et c’est à l’occasion de ce banquet qu’il convient d’y mettre un terme9. « Tears and effeminacy are not otherwise linked explicitly in archaic poetry », note H. van Wees10.
4Pour éprouver l’hypothèse de l’expressivité variable du chagrin en fonction des sexes, il est donc nécessaire d’enrichir l’enquête par d’autres types de documents. Parmi elles, les sources épigraphiques sont particulièrement prometteuses. Leur apport à l’histoire des émotions a déjà été souligné : gravées sur un support durable et dressées dans la cité, les inscriptions délivrent leur message à un public plus large et hétérogène que les sources écrites11. C’est pourquoi cet article cherche à porter un regard renouvelé sur la problématique présentée ci-dessus en s’intéressant au corpus des épitaphes attiques archaïques, encore insuffisamment exploité dans cette enquête.
5L’analyse de ces textes gravés sur la pierre de certains des tombeaux attiques les plus prestigieux du 6e s. conduira à deux observations. Elle montre d’abord que l’expression publique du sentiment de deuil ne pouvait être considérée comme exclusivement féminine à Athènes pendant la période archaïque. En effet, les épitaphes mettent en scène de nombreux témoignages de chagrin, accomplis par le père du défunt ou attendus du lecteur de l’inscription. Indépendamment de son sexe, de son âge ou de son origine, ce dernier est invité à éprouver et à exprimer son chagrin lorsqu’il pose son regard sur le monument funéraire. L’emploi de ce registre affectif pourrait être motivé par le décès prématuré des garçons (ἄωροι) dont les épitaphes préservent le souvenir, quoiqu’il ne s’agisse pas d’une règle universelle. Les sources épigraphiques étudiées ici invitent donc à relativiser la thèse d’une incompatibilité entre masculinité et expression publique du chagrin à Athènes tout au long du 6e s.
6L’examen des épitaphes amène une seconde observation. Le sentiment de deuil tend à ne s’exprimer qu’au sein des textes composés pour des défunts de sexe masculin. En d’autres termes, ce registre du chagrin demeure absent des rares épitaphes de femme parvenues jusqu’à nous (cet article en dénombre neuf sur les quatre-vingt épitaphes pour lesquelles le sexe du défunt peut être identifié). Cette caractéristique de la documentation s’explique probablement par l’influence du modèle homérique des honneurs funèbres sur les auteurs d’épigramme, et non par une différence de traitement entre défunts basée sur le critère sexué.
2. L’expression du deuil dans les épitaphes d’homme
Les épitaphes attiques archaïques
7L’Attique se distingue des autres régions du monde grec archaïque par le grand nombre d’épitaphes que l’on y a découvert – une centaine environ. Si celles-ci sont encore marginales au 7e s. – deux épitaphes seulement sont datées de cette époque –, le 6e s. a, en revanche, livré la majorité des documents, témoignant de l’importance croissante que prend l’écrit épigraphique dans les pratiques funéraires athéniennes12.
8Toutes les épitaphes ne présentent pas le même degré d’élaboration. Certaines prennent la forme d’une simple mention du nom du défunt au nominatif ou au génitif13, parfois accompagné d’un patronyme. D’autres, au contraire, constituent des poèmes funéraires de quelques vers. L’auteur, toujours anonyme, était tenu à la concision par le manque d’espace disponible et au conformisme par la volonté de son client de s’assurer une publicité durable14. Les épigrammes ne contiennent aucune information biographique (telle que la profession du défunt, par exemple) ni ne développent de conception eschatologique. À l’exception des épitaphes pour les guerriers morts au combat, les raisons du décès ne sont jamais précisées. En revanche, le défunt y est toujours présenté de manière positive, comme le parangon des valeurs appréciées de la société de son temps : c’est un homme de cœur (ἀγαθός), que caractérise l’excellence personnelle (ἀρετὴ). Il s’agit la plupart du temps d’un jeune homme décédé avant d’avoir atteint l’âge adulte (ἄωρος).
9Les épitaphes, élaborées ou non, préservent donc un souvenir valorisant du défunt. À cette fin, le positionnement du texte et la qualité de la gravure leur garantissent une visibilité et une lisibilité optimales. L’inscription orne généralement la base (souvent à degrés) d’un monument funéraire qui s’impose dans le paysage : stèle à décoration figurée15, statue équestre16, statue de kouros ou de korê17, etc. Dressés sur les pentes du tumulus recouvrant la sépulture, en contact direct avec la route où se déplacent les passants, ils ne visent à capter les regards par leur taille, la qualité de leur exécution, l’éclat de leur polychromie. En outre, la « mise en page » même du texte gravé est conçue pour attirer l’attention : les lettres, grandes et claires, parfois soulignées par des bandes incisées, sont rehaussées de peinture rouge et se détachent du fond clair du bloc de marbre sur lequel elles ont été incisées. Il n’y a cependant pas que le regard du lecteur qui soit sollicité : l’absence d’intervalle entre les caractères (scriptio continua) impose une prononciation du texte à haute voix, au cours de laquelle le lecteur cède sa parole au monument, confère à l’inscription une existence sonore renforçant son caractère public18.
Le variétés du deuil masculin
10
11La mise en scène du deuil des vivants – proches du défunt ou étrangers passant à proximité de la sépulture – occupe une place centrale dans les inscriptions funéraires attiques archaïques. Or, ni l’objet de ce chagrin ni la manière de l’exprimer ne sont homogènes : toute référence explicite au sentiment de deuil est omise des épitaphes composées pour des femmes, alors que les épitaphes d’homme en usent volontiers. C’est pourquoi il me semble pertinent d’examiner d’abord les secondes, avant de s’interroger sur cette « omission » du chagrin dans les épitaphes de femme.
12Le sentiment de deuil s’exprime de deux manières différentes dans les épigrammes composées pour des défunts de sexe masculin. Certaines emploient des images concrètes (lamentations, larmes) au moyen desquelles la personne endeuillée manifeste physiquement son chagrin (gémissements, cris, pleurs). D’autres évoquent la douleur (πένθος) endurée par le proche du défunt sans recourir à des démonstrations corporelles du deuil.
Le deuil à fleur de peau
13Premier versant de l’expression du deuil : celui où l’émotion s’opère du « dehors », celui où elle peut se lire sur le corps de la personne endeuillée. Ses modalités sont d’abord celles des lamentations poussées au cours des funérailles. Les lamentations canalisent les crises spontanées de désespoir provoquées par le décès d’un proche : les comportements désordonnés (pleurs, hurlements, arrachement des cheveux, déchirement des vêtements), voire dangereux (automutilation), se muent en un ensemble rythmé de gestes et de paroles démonstratifs fixés par la tradition19. La douleur, ritualisée, devient un deuil : son expression n’est plus spontanée, mais elle n’en est pas moins d’une grande intensité émotionnelle20.
14Ainsi, dans une première inscription, un père « gémissant » (ὀλοφυρόμενο[ς]) a réalisé le tombeau de son fils :
Χαιρεδέμο ⁝ τόδε σε̃μα ⁝ πατὲρ ἔστε[σε]
[θ]ανόντος ⁝ / Ἀνφιχάρ<ε>ς ⁝ ἀγαθὸν ⁝ παῖδα ὀ-
λοφυρόμενο[ς ⁝] / Φαίδιμος ἐποίε.
Voici le tombeau du défunt Chairédémos. Son père Amphicharès l’a dressé, gémissant de (la perte de) son bel enfant. Phaidimos en est l’auteur21.
15Le verbe ὀλοφύρομαι, reposant sur une onomatopée22, traduit la plainte individuelle au sein des lamentations collectives23. Cette plainte se situe dans un espace-temps particulier, ainsi qu’à un certain échelon d’intensité. D’une part, en effet, le temps présent (ὀλοφυρόμενο[ς]) indique une simultanéité par rapport à l’action principale (ἔστε[σε]) : les gémissements s’élèvent en même temps que le monument, et dans sa proximité. D’autre part, la manifestation du deuil d’Amphicharès, même si elle est individuelle, n’est ni discrète ni privée : elle fait intervenir une double réalité sonore, celle de la voix retentissante, et celle des coups infligés à soi-même24. C’est donc bien une expression de l’émotion « à fleur de peau », caractérisée par ses manifestations corporelles. Il s’agit de montrer « l’exécution » du deuil : le comportement d’Amphicharès désigne son chagrin aux regards, en fournit le témoignage concret au spectateur externe.
16D’autres formules évoquent encore les lamentations rituelles et inscrivent le deuil dans un registre dynamique et sonore. « Malheureux Pédiarchos fils d’Empédion ! », clame une épitaphe25. L’interjection οἴμοι, signal de souffrance26, constitue la seule exclamation caractéristique des funérailles solidement attestée27 : elle est inscrite le long de personnages en pleine déploration, masculins comme féminins, sur plusieurs peintures représentant l’exposition du défunt avant son dernier voyage vers la nécropole28. « Je m’afflige (ἀνιο̃μαι) en regardant le monument du jeune Autokleidès », déclare une autre29 : avec ἀνιο̃μαι, conjugué à la première personne du singulier, elle établit une équivalence entre la personne qui a poussé les lamentations, le monument funéraire qui en préserve le souvenir et le lecteur de l’inscription, amené, lorsqu’il passe à proximité de la tombe, à partager et à réactiver la complainte originelle30.
17Les larmes constituent une alternative aux lamentations dans l’expression du deuil « à la surface » du corps. Elles sont un autre signe destiné au défunt et aux vivants, de l’accomplissement du deuil, mais silencieux, et peut-être plus sobre. Il s’agit notamment de convoquer à l’esprit l’image d’un visage baigné de larmes :
I [Ἀ]ντιλόχο : ποτὶ σε̃μ’ ἀγαθο̃
καὶ σόφρονος ἀνδρὸς /
[δάκρυ κ]ά̣ταρ[χ]σ̣ον̣, [ἐ]π[ε]ὶ κα̣ὶ σὲ μένει θάνατος.
II Ἀριστίον μ’ ἐπόεσεν.
Verse une larme auprès de la sépulture d’Antilochos, un homme bon et sage, car la mort t’attend aussi. Aristion m’a sculpté31.
18L’écoulement des larmes (δάκρυ κατάρχω), silencieux, se distingue des pleurs (κλαίω), plus spécifiquement vocaux32. Doit-on en conclure qu’il s’agit ici d’une forme de chagrin atténuée par rapport à celle que manifestent ὀλοφύρομαι, οἴμοι et ἀνιο̃μαι ? On relève en tout cas, à nouveau, l’imbrication du contact visuel avec le monument funéraire et de l’expression du deuil. Quant à l’impératif ([κ]ά̣ταρ[χ]σ̣ον̣), il s’adresse au passant anonyme, potentiellement éloigné d’Antilochos dans le temps, mais que ses pas ont amené à proximité de sa sépulture. Il doit pleurer, c’est-à-dire qu’il doit, comme s’il était un proche d’Antilochos, se fondre dans le rôle de la personne endeuillée et réactiver le sentiment de deuil par un acte concret. L’état d’esprit du passant ne doit pas être marqué par le chagrin, mais bien par la conscience de sa propre mortalité ([ἐ]π[ε]ὶ κα̣ὶ σὲ μένει θάνατος), afin qu’il accomplisse à son tour les attitudes démonstratives du deuil.
Dire son chagrin
19Deuxième versant de l’expression du deuil, celui où la personne endeuillée déclare sa souffrance sans l’appuyer par des témoignages visuels ou sonores. Le mot πένθος y joue un rôle central. Bâti sur la même base que πάσχω, il désigne « la douleur », mais celle que l’on endure sans qu’elle soit physique33 :
I [σ]ε̃μα τόδε, Χσενόφαντε,
πατέρ σο<ι> θε͂κε θανόντι /
Σόφιλος, ℎο̃ι πένθος
θε͂κας ἀποφθίμενος.
II Ἀριστοκλε̃ς ἐποίεσεν
Ce monument, Xénophantos, ton père Sophilos, à qui tu as causé de la douleur en périssant, l’a érigé pour toi qui es mort. Aristoklès en est l’auteur34.
20Ici, le poème simule que Sophilos confie ce qu’il a éprouvé à la mort de son fils : le chagrin « se dit » davantage qu’il ne peut « se lire » par des attitudes ou des plaintes. L’expression de la douleur se fait bien du « dedans » vers le « dehors », pour reprendre une formule appréciée des historiens des émotions35, bien plus qu’elle ne figure sur le corps de la personne endeuillée.
21Les observateurs anciens associaient-ils πένθος à une intensité émotionnelle particulière ? Le commanditaire du monument pouvait en tout cas renforcer l’énonciation de son ressenti en reprenant l’expression homérique de douleur « sans répit », « intolérable » (πένθος ἄλαστον)36.
Exprimer le deuil et la masculinité
22Quelles que soient les modalités d’expression du sentiment de deuil, les épitaphes attiques archaïques lui confèrent un caractère public et permanent. Elles donnent ainsi la parole à des pères éplorés par le décès prématuré de leur enfant, comme Amphicharès et Sophilos, démontrant qu’il n’y a, dans ce cas où la succession des générations est bouleversée, rien de transgressif, pour un homme, à exprimer ouvertement son chagrin. Ces démonstrations affectives paternelles évoquent certaines scènes de prothésis de l’art attique, dans lesquelles un homme, dont la barbe et les cheveux rehaussés de blanc indiquent l’âge avancé, accueille les visiteurs tout en se frappant le front en signe de lamentation37. Toutefois, dans les poèmes funéraires examinés ici, l’expression masculine du chagrin n’est pas restreinte au contexte des lamentations, puisque, comme nous l’avons vu, il existe d’autres manières d’afficher le sentiment de deuil.
23D’autres inscriptions, comme celle d’Antilochos, demandent au spectateur du monument de prendre part au deuil ; l’épitaphe d’Autokleidès lui impose même les mots à prononcer (« Je m’afflige… »). Dans ces épitaphes où la charge du deuil incombe au lecteur, il faut noter que rien n’indique le sexe de ce dernier. L’inscription adresse son appel au chagrin indépendamment du critère sexué, car il s’agit de toucher tous ceux qui passent à proximité de la sépulture38. Cette invitation à manifester son chagrin trahit bien qu’il s’agit de l’émotion appropriée à la circonstance, bonne à éprouver et à exprimer lors de l’interaction avec le défunt et son monument. Il paraît donc difficilement concevable que les hommes n’aient pas été visés par cet appel à pleurer le mort. Au contraire, il semble que dans le contexte des garçons décédés avant l’âge adulte (ἄωροι), il n’était pas tabou pour un homme, même étranger à la famille du défunt, d’exprimer de la peine en public. Ces manifestations de chagrin étaient même souhaitables dans la mesure où elles constituaient une marque d’honneur conférée au défunt et une manière d’entretenir sa mémoire, comme l’avait déjà remarqué C. Sourvinou-Inwood39.
24L’examen des épitaphes attiques archaïques révèle un fait singulier : les hommes sont seuls destinataires du deuil des vivants ; en d’autres termes, les inscriptions rédigées pour des défunts de sexe masculin sont les seules qui mettent en œuvre la gamme des émotions explorée ci-dessus. Le critère sexué a-t-il déterminé les choix des auteurs des monuments funéraires ? Et doit-on en déduire l’existence d’un lien entre identité sexuelle du défunt et expression du deuil des vivants ?
3. L’omission du deuil dans les épitaphes de femme
Les épitaphes
25Les Inscriptiones Graecae répertorient quatre-vingt-deux épitaphes attiques archaïques pour lesquelles le sexe du défunt peut être identifié avec certitude. Parmi elles, neuf inscriptions seulement commémorent des femmes. Cette disproportion en faveur des hommes ne s’explique pas par un accident de la conservation des sources. En effet, le même constat peut être dressé en ce qui concerne les statues et les stèles funéraires à décoration figurée parvenues jusqu’à nous : sur plusieurs dizaines de documents, cinq korai40 et deux reliefs sont consacrés à des femmes (le premier représente une mère tenant son enfant41 ; le deuxième figure deux femmes en vis-à-vis, l’une assise et l’autre debout42). L’accès des femmes à la commémoration par un monument funéraire en pierre, à décoration figurée, et accompagné d’une épitaphe, était donc exceptionnel43.
26Les épitaphes de femme sont ici classées en deux listes. La première en comprend sept : elles accompagnaient un monument exclusivement dédié à une défunte particulière. La seconde en rassemble deux : elles commémorent conjointement un frère et une sœur.
27Dans la première liste, l’identification du sexe de la défunte s’appuie sur son prénom lorsque le monument qui marquait sa sépulture n’a pas été conservé (la korê A.5 constituant une exception à cette règle). Ces épitaphes présentent une grande diversité de formulations, certaines mentionnant le nom du ou de la commanditaire du monument, d’autres restant muettes à ce sujet. Elles sont datées de la seconde moitié du 6e s., sauf la première :
28A.1. L’épitaphe de Kéramô, la plus ancienne (c. 650-600), est en prose, et gravée sur une stèle grossièrement taillée (peut-être ornée d’un relief aujourd’hui illisible44), découverte près de la porte d’Hadrien, à Athènes. Elle est succincte :
Ἐνιάλο θυγατρὸς Σπουδίδο
Κεραμο̃ς στέλε45.
29A.2. Le « beau monument » de Mélissa (c. 550-525), une stèle (perdue), a été érigé par une femme, Terpô, qui a fait graver l’épitaphe sur le bloc inférieur de sa base à degrés, que l’on a retrouvée à Athènes, au Céramique :
[Τ]ερπὸ Μελίσ(σ)ες σε̃μα τόδ’ ἔχ[ευεν καλὸν θα]-
[ν]όσες46.
30A.3. Opsios, le mari d’Oinanthè, et Apsynthiè, la mère d’Oinanthè, ont confié à Aristoklès la tâche de sculpter une stèle (perdue) pour la défunte (c. 525-500). L’épitaphe se trouve sur un bloc de la base, découverte remployée dans la porte d’Haladé, à Athènes :
I Ὄφσιος ⋮ ℎε̃ς ἀλόχο ⋮ Ἀφσυνθίε HΕΔΕ
θυγατρός ⋮ / Οἰνάνθες ⋮ θε̃κεν μνε̃μα ⋮
καταφθιμένες ⋮.
II καὶ τόδε Ἀριστοκλέος47.
31A.4. L’épitaphe de Myrinè (c. 525-500) proviendrait de Kératéa, au sud de l’Attique, mais elle n’est plus connue aujourd’hui que par un dessin :
[οἴ]μοι θανόσες εἰμὶ
[σε̃]μα Μυρίνες48.
32A.5. La défunte commémorée par une korè du sculpteur Phaidimos à Vourva, en Attique centrale (c. 550-540), n’était probablement pas nommée par son épitaphe49, inscrite sur la base à degrés de la statue (dont il ne reste que les pieds) :
– – – c. 15–20 – – –
[μ]ε φίλες ⋮ παιδὸς
κατέθεκεν ⋮ / καλὸν ἰδε̃ν·
ἀϝυτὰρ ⋮ Φαίδιμος ⋮ ἐργάσα-
το50.
33A.6. La fameuse korè de Phrasikleia, œuvre d’Aristion (c. 550-540), également découverte en Attique centrale, à Mérenda, était accompagnée d’une épigramme inscrite sur le bloc supérieur de sa bade à degrés :
I σε̃μα Φρασικλείας·
κόρε κεκλέσομαι
αἰεί, / ἀντὶ γάμο
παρὰ θεο̃ν τοῦτο
λαχο̃σ’ ὄνομα.
II Ἀριστίον Πάρι[ός μ’ ἐπ]ο[ίε]σ̣ε51.
34A.7. La dernière épitaphe (c. 525-500), découverte à proximité de la Porte orientale d’Athènes, commémore une femme d’origine étrangère, peut-être ionienne52, L[ampi]tô. Le lit d’attente creusé dans le bloc de la base qui comporte l’inscription indique que le monument était une stèle, sculptée par Endoios :
ἐ̣[νθά]δε Φ̣ι̣– – c. 10 – –ος κατ̣έθε-
κε θανο̃σαν : / Λ[αμπι]τὸ αἰδοίεν γε̃ς ἀπ-
ὸ πατροίες : / Ἔνδοιος ἐποίεσεν53.
35Notre seconde liste regroupe deux épitaphes dédiées à un frère et sa sœur :
36B.1. La première, aujourd’hui incomplète, appartient au monument dit de Mégaklès (c. 550-525), une stèle funéraire dont Athènes, Berlin et New York se partagent les fragments54. Deux figures côte à côte, debout de profil à droite, se détachent dans le champ principal de la stèle, un jeune homme que le port de l’aryballe identifie comme un athlète, et une jeune fille respirant le parfum d’une fleur.
μνε̃μα φίλοι με – – – c. 8 – – –
πατὲρ ἐπέθεκε θανόντ[ι :] /
χσὺν δὲ φίλε μέτερ : vacat ?
– – – – – – – – – – – – – – 55.
37B.2. La dernière épitaphe commémore « Archias et sa chère sœur » (c. 540-530), cette dernière frappée d’anonymat. Elle est gravée sur la partie inférieure d’une stèle qui proviendrait de Kalyvia, en Attique centrale.
τόδ’ Ἀρχίο ’στι σε̃μα : κἀ-
δελφε̃ς φίλες : / Εὐκο-
σμίδες : δὲ τοῦτ’ ἐποί-
εσεν καλόν : / στέλε-
ν : δ’ ἐπ’ αὐτο̃ι : θε̃κε Φ-
αίδιμοσοφός56.
38Les deux monuments funéraires présentent des situations singulièrement opposées : alors que nous conservons le monument dit de Mégaklès, la stèle d’Archias et de sa sœur est perdue ; à l’inverse, nous disposons de l’épigramme complète d’Archias et de sa sœur, mais celle dite de Mégaklès est très fragmentaire. Le second monument représentait vraisemblablement les deux défunts à la manière du premier, mais le premier réservait-il également la préséance au frère (nommé) au détriment de la sœur (anonyme) ?
L’omission du deuil
39L’inventaire dressé ci-dessus le montre : les épitaphes de femme se gardent d’évoquer tout sentiment de deuil qu’auraient pu éprouver les proches de la défunte ; le lecteur de l’inscription n’est pas non plus invité à faire sien leur chagrin. Un régime émotionnel différent semble à l’œuvre : celui de l’absence, du silence. Le fait intrigue d’autant plus que ces textes gravés obéissent aux mêmes préoccupations que ceux rédigés pour des hommes : qualité, visibilité et lisibilité des inscriptions, mention de l’auteur des funérailles et du monument, signature de sculpteur, qualité d’exécution de la statue ou de la stèle, le tout garantissant la transmission d’un souvenir valorisant de la défunte et de sa famille. Les épitaphes poursuivent le même but et obéissent aux mêmes contraintes indépendamment du sexe du défunt : comment dès lors expliquer cette différence de contenu « émotionnel » ?
40Doit-on attribuer l’absence du sentiment de deuil dans les épitaphes de femme au hasard de la conservation des sources ? L’hypothèse n’est pas à exclure : des découvertes ultérieures pourraient montrer que le sujet traité ici n’existe pas vraiment. À ce titre, le monument de Myrinè (A.4) servira de mise en garde. L’exclamation de douleur οἴμοι57 témoigne de l’accomplissement des lamentations funèbres et associe pour l’éternité le nom de la défunte à la douleur causée par son décès : l’épitaphe exploite le registre du deuil à la manière de celle de Pédiarchos présentée ci-dessus. Et même si le tombeau de Myrinè constitue, à cet égard, une exception, il interdit de déduire de l’examen de ces épitaphes l’hypothèse d’une norme incontournable de réduction du deuil au silence.
41Le caractère unique de l’inscription de Myrinè invite néanmoins à ne pas s’abstenir de réfléchir sur les documents dont nous disposons. Par ailleurs, deux facteurs au moins encouragent à penser que l’absence du registre du deuil caractérise fortement les épitaphes composées pour des défuntes. D’une part, celles-ci ne partagent pas la même provenance. Elles se distribuent entre plusieurs lieux d’inhumation majeurs d’Athènes et de l’Attique : il s’agissait donc d’un phénomène largement diffusé, et non de la spécificité d’une nécropole particulière. D’autre part, les épigrammes funéraires de femmes originaires d’autres régions du monde grec présentent une même absence de référence explicite au chagrin58. À l’inverse, l’expression du deuil dans des poèmes non-attiques pour des hommes ne diffère pas fondamentalement des épitaphes masculines découvertes à Athènes59.
42Il importe également de souligner que l’omission du deuil ne peut s’expliquer par le fait que l’on accorderait moins d’importance aux défuntes qu’aux défunts. Monuments comme inscriptions montrent le grand soin apporté aux sépultures féminines. Cinq des neuf épitaphes répertoriées ici portent ainsi la signature d’un maître-sculpteur de l’époque archaïque : Aristion (A.6), Aristoklès (A.3), Endoios (A.7) et Phaidimos (A.5, B.2). À trois reprises, l’inscription insiste d’ailleurs sur la qualité esthétique du monument (A.2 et A.5 : le « beau » monument, καλὸν ; B.2 : Phaidimos se déclare « habile », σοφός). Recourir au travail d’un sculpteur de renom montre l’importance accordée à la défunte et assure la bonne réputation de celui ou celle qui a pris les funérailles en charge60. Ces monuments devaient attirer l’œil des spectateurs antiques. On pense évidemment à la korè de Phrasikleia (A.6), qui fascine par la richesse de sa parure, mais aussi aux stèles funéraires dites « larges » (A.2, A.3, A.7), c’est-à-dire dont la largeur excède celle de la majorité des autres stèles, un phénomène neuf et rare en Attique dans le dernier quart du 6e siècle61. Les raisons du « silence » émotionnel des épitaphes de femme ne sont donc pas à chercher du côté d’un mépris ou d’une moindre importance accordée aux femmes.
4. La fonction du deuil dans les épitaphes
43Pourquoi les épitaphes se distinguent-elles, du point de vue de l’expression du sentiment de deuil, en fonction du sexe du défunt ? D’emblée, un constat s’impose. Le critère sexué n’est pas à l’origine de l’absence du deuil dans les épitaphes de femme ; en d’autres termes, ce n’est pas parce qu’une inscription commémore une femme que l’on ne préserve pas la mémoire du chagrin qu’a causé le décès de celle-ci. Cette conclusion se déduit des épitaphes d’homme dépourvues de manifestation de deuil. En effet, comme noté en introduction, certains textes se contentent d’un nom, ou d’un nom et d’un patronyme62. D’autres monuments sont gravés d’un poème dans lequel l’auteur n’a pas eu recours au registre affectif :
I σε̃μα πατὲρ Κλέ〚․〛-
βολος ἀποφθιμέ-
νοι Χσενοφάντοι /
θε̃κε τόδ’ ἀντ’ ἀρετε̃ς
ἐδὲ σαοφροσύνες.
II [Ἀριστίον ἐποίε Π]άριος.
Ce monument, Kléoboulos, son père, l’a érigé pour Xénophantos qui est mort, en souvenir de sa valeur et de sa sagesse. Aristion de Paros en est l’auteur63.
44Les auteurs d’épigrammes n’exploitent donc le champ lexical du deuil que pour certains défunts de sexe masculin. À cet égard, aucun critère ne semble pouvoir être déduit des épitaphes pour distinguer le profil des défunts « à pleurer », notamment en raison de l’absence de données biographiques ou de renseignement sur la cause du décès. Par ailleurs, la mort prématurée d’un jeune homme ne conduit pas nécessairement à l’expression du deuil dans son épitaphe, comme le montre l’épitaphe de Xénophantos fils de Kléoboulos. Quelle fonction l’expression du deuil remplit-elle ?
45L’excellente connaissance que les auteurs d’épigramme avaient des épopées homériques fournit un indice crucial. Celles-ci leur fournissent un modèle de célébration des rites funéraires et d’expression du chagrin à une époque, le 6e s., où l’écrit épigraphique à destination funéraire constitue encore un phénomène assez neuf.
46Dans les épopées homériques, les manifestations du sentiment de deuil (personnelles ou collectives, spontanées ou rituelles) constituent une marque de distinction réservée au héros en raison de son excellence personnelle : elles font partie de sa part d’honneur, son γέρας64. La masse des guerriers anonymes n’y a pas droit. Leurs funérailles se déroulent en silence (σιωπῇ) ; chacun garde sa peine en son cœur (κῆρ)65. À l’inverse, les expressions de chagrin caractérisent fortement les funérailles de Patrocle, d’Hector et d’Achille. Elles durent d’autant plus longtemps (plusieurs jours) que l’on cherche à marquer l’excellence du héros : « les honneurs rendus au mort sont d’autant plus grands que leur position hiérarchique est plus élevée »66. Le cycle troyen façonne ainsi un antécédent poétique dans lequel les manifestations de deuil équivalent à des témoignages de la grandeur du défunt. En Attique, au 6e s., l’épigramme funéraire rédigée pour Anaxilas de Naxos sur une décision collective des Athéniens s’inscrit dans cette logique : elle accumule les termes expressifs du chagrin (δακρυόεις + πολυπεντής + ὀλοφυδνός) afin de déclarer l’éminence du mort67.
47Plusieurs épigrammes funéraires attiques s’inspirent du langage homérique pour exprimer la souffrance du deuil. Les plaintes funèbres d’Andromaque pour Hector, aux livres XXII et XXIV de l’Iliade, ont fourni un modèle précieux aux auteurs du 6e s. On y trouve d’abord l’idée que le défunt « coûte un deuil » terrible à ses parents : la formule, utilisée dans l’inscription pour Xénophantos fils de Sophilos citée plus haut (IG I³ 1218), revient à deux reprises et caractérise toujours l’épreuve des parents à la mort de leur enfant (πένθος ἔθηκας)68. Ensuite, Andromaque se lamente sur la souffrance qu’Hector « laisse » (λείπω) derrière lui en l’abandonnant pour Hadès69 : l’expression est reprise dans une épitaphe fragmentaire du début du 5e siècle, composée pour un jeune homme70. Hector, qui était encore un νέος au moment de mourir71, a pu constituer un modèle d’inspiration séduisant pour honorer la mémoire des ἄωροι.
48D’autres formules homériques ont été adaptées aux épitaphes attiques. Le cas de [δάκρυ κ]ά̣ταρ[χ]σ̣ον̣, rencontré sur le monument d’Antilochos étudié plus haut (IG I³ 1208), a déjà été examiné par R. Palmisciano72. Ailleurs, Homère recourt à trois reprises à l’expression πένθος ἄλαστον, « une douleur sans répit », mentionnée ci-dessus. Deux fois sur trois, elle désigne la tristesse d’un parent pour son enfant disparu73. Quant à ὀλοφύρομαι, il s’emploie volontiers pour des pères éplorés, et même des dieux74. En somme, l’inspiration homérique, qu’elle fournisse l’archétype des honneurs funèbres héroïques ou des formules d’expression du sentiment de deuil, opère doublement : le défunt est pleuré à la manière d’un héros, et ses parents sont assimilés aux parents éplorés de l’Iliade. Le chagrin que celui-là « coûte », que ceux-ci éprouvent, se colore de références épiques, et donc prestigieuses75. Elles devaient en renforcer le sens ou l’intensité auprès du lecteur de l’inscription. Celui-ci, cela a déjà été noté, cède d’ailleurs sa voix au texte : placé pour quelques instants dans la position de l’aède, il fait résonner la gloire (κλέος) du défunt76.
49Dans ce contexte, afficher son chagrin et la manière de le faire (les mots que l’on emploie, les formules que l’on utilise), interviennent pleinement dans les logiques de mémoire et de prestige des monuments funéraires. Graver le sentiment de deuil sur la pierre du tombeau rend sans conteste un hommage plus appuyé au défunt. Son souvenir se trouve inextricablement lié aux manifestations de tristesse que les vivants lui témoignent. Elles le valorisent : l’émotion marque le vide qu’il laisse derrière lui, et donc son importance pour la famille, voire la communauté77. En outre, le recours au texte gravé éternise les témoignages de chagrin. Autrefois expérience éphémère, liée à l’espace-temps transitoire des funérailles (les lamentations), l’expression de deuil devient durable et collective, puisque n’importe quel passant est amené à réactiver ce témoignage à la lecture de l’inscription. Le deuil, marque de distinction du mort, n’est plus limité à la mémoire de ceux qui ont participé au rituel : il intègre, à la manière du chant épique, la mémoire collective.
50Mais pour les vivants, l’expression du sentiment de deuil est aussi affaire de réputation. Les monuments funéraires, en effet, se trouvent au cœur des ambitions de reconnaissance sociale des élites78. Les inscriptions étudiées ici mentionnent régulièrement l’identité de celui (le plus souvent) ou de celle (plus rarement) qui est à l’origine de la sépulture : la précision revêt une importance cruciale. L’accomplissement des rites funéraires et l’érection d’une sépulture de qualité, confiée si possible à un sculpteur de renom, permettaient au commanditaire de consolider sa respectabilité aux yeux de la communauté. Les démonstrations de chagrin servent alors deux objectifs. D’une part, elles gardent une trace durable de la piété de l’auteur du tombeau : l’émotion apporte la preuve de son observance des devoirs familiaux79. D’autre part, elles distinguent la sépulture de celles qui n’exhibent pas le deuil ; elles le singularisent, contribuant ainsi à la réputation de piété et à l’expression de la douleur du commanditaire. Ainsi les inscriptions funéraires rivalisent-elles d’ingéniosité pour exprimer le deuil, sentiment de circonstance, d’une manière unique et, grâce à l’inspiration homérique, remarquable.
5. Conclusion : deuil, sexe et genre
51L’examen des épitaphes attiques archaïques a mis en lumière la créativité dont les auteurs d’épigramme faisaient preuve dans la manifestation du sentiment de deuil. Le chagrin des vivants y est principalement exposé de deux manières. L’une recourt aux manifestations corporelles du deuil : le chagrin s’exprime « à la surface » du corps, de façon exacerbée, par des plaintes, des gestes et des larmes. L’autre déclare la souffrance (πένθος) des vivants sans que le corps de la personne endeuillée n’en fournisse de témoignage visuel ou sonore. Dans les deux cas, il s’agit, pour la parenté du défunt, d’afficher publiquement et durablement son chagrin : l’inscription dans le marbre du tombeau, exécutée avec soin, lui garantissait un caractère universel et impérissable.
52Ces démonstrations de douleur participent pleinement aux logiques de mémoire et de prestige à l’œuvre dans la réalisation des monuments funéraires. D’une part, elles renforcent l’hommage rendu au défunt en marquant la douleur de son absence. Elles pérennisent aussi le témoignage de chagrin initial. Grâce à l’inscription sur pierre, celui-ci n’est plus lié au temps fugace des funérailles ; il est transmis aux générations ultérieures, amenées à le partager par la lecture de l’épigramme. D’autre part, faire la publicité durable de son chagrin permet à la famille du défunt de revendiquer le bon accomplissement des honneurs funèbres dus au mort, renforçant ainsi sa respectabilité et la reconnaissance de sa piété. La démarche répond aussi à une quête de prestige. Toutes les épitaphes n’emploient pas le registre affectif du deuil : mettre l’emphase sur le chagrin des parents singularise le monument, le distingue des autres tombeaux au sein de la nécropole.
53L’analyse de la documentation conduit à deux observations supplémentaires. Premièrement, elle invite à nuancer l’hypothèse d’après laquelle, dès l’époque archaïque, l’expression publique du sentiment de deuil appartiendrait exclusivement au domaine du féminin. La diversité des formules poétiques exhibant l’émotion d’un père pour son fils défunt ou incitant le passant anonyme à ressentir et à exprimer de la peine, suggère que, dans le cas des garçons décédés prématurément, un homme pouvait manifester du chagrin, y compris de manière expressive. Il s’agissait même d’une nécessité pour l’entretien de la mémoire et du prestige du mort. L’adaptation de formules homériques par les auteurs d’épigramme pour communiquer ce sentiment indique bien la connotation prestigieuse qui lui est conférée et son importance cruciale dans les honneurs rendus au défunt. Dans l’Athènes archaïque, dès lors, l’expression publique du sentiment de deuil n’est ni l’apanage des femmes ni incompatible avec la masculinité.
54Deuxièmement, à l’exception de l’inscription de Myrinè (A.4), toutes les épitaphes mettant en scène le deuil des vivants ont été rédigées pour des défunts de sexe masculin. L’absence d’expression de chagrin dans les épitaphes de femme ne peut être due à une dévalorisation des défuntes. En effet, la qualité des marqueurs de tombe de femme (même s’ils sont rares) montre quel soin était apporté à leur exécution, et par conséquent, l’importance donnée à la préservation de leur souvenir.
55Cette absence s’explique davantage à la lumière des modalités de l’expression du chagrin dans les épitaphes. Les emprunts au langage homérique du deuil y sont récurrents. Ceux-ci trahissent la volonté de certaines familles athéniennes de s’approprier le modèle des funérailles homériques afin de célébrer la mémoire d’un fils dont le décès précoce bouleverse la succession naturelle des générations. Or, chez Homère, les funérailles accompagnées de marques extraordinaires de chagrin constituent le privilège des héros. Réservé aux guerriers qui, ayant démontré leur vaillance sur le champ de bataille, accèdent à une forme d’excellence personnelle spécifiquement virile80, ce privilège appartient en propre à la sphère masculine et demeure inaccessible aux femmes de l’épopée. L’omission du deuil dans les épitaphes de femme ne tient peut-être alors qu’à un simple fait : lorsque les Athéniens s’approprient l’héritage homérique dans le courant du 6e s., ils reconduisent le paradigme masculin du matériau poétique d’origine, dans lequel les manifestations de deuil sont exclusives aux héros.
Notes
1 Cet article résulte d’une thèse doctorale en cours d’élaboration, consacrée à l’expression des émotions dans les nécropoles attiques archaïques et classiques, et sera prolongé prochainement d’une autre publication. Je remercie vivement Florence Liard de m’avoir offert l’opportunité de participer à la journée d’étude du 12 mai 2022, ainsi que Didier Viviers, Jean-Manuel Roubineau, Violaine Sebillotte et les peer-reviewers des C@hiers du CRHiDI pour leurs précieux conseils concernant la rédaction de cet article.
2 N. Loraux, Les mères en deuil, Paris, Éditions du Seuil, 1990 ; C. Segal, Euripides’ “Alcestis”: Female Death and Male Tears, dans Classical Antiquity, v. 11, 1992, p. 142-158 ; H. van Wees, A brief history of tears : gender differenciation in archaic Greece, dans When men were men. Masculinity, power and identity in classical antiquity, éd. L. Foxhall et J. Salmon, Londres, Routledge, 1998, p. 10-53.
3 Plat., Rep., III, 387e : « Nous aurons raison d’ôter aux hommes illustres les lamentations et de les laisser aux femmes, mais non à celles qui sont des femmes de valeur, et aussi à ceux des hommes qui sont mauvais, afin de dissuader ceux que nous prétendons élever pour la garde du pays de les imiter ». (trad. E. Chambry, Platon. Œuvres complètes, v. 6, La République, Livres I-III, Paris, CUF, 1932)
4 J.-N. Allard et P. Montalhuc, La construction genrée des émotions dans les mondes grec et romain, dans Clio. Femmes, Genre, Histoire, v. 47, 2018, p. 29-30.
5 A. Suter, Tragic Tears and Gender, dans Tears in the Graeco-Roman World, éd. T. Fögen, Berlin/New York, De Gruyter, 2009, p. 69-71.
6 D. L. Cairns, Veiling Grief on the Tragic Stage, dans Emotion, Genre and Gender in Classical Antiquity, éd. D. LaCourse Munteanu, Londres, Bristol Classical Press, 2011, p. 22-24.
7 F. Gherchanoc, Mise en scène et réglementations du deuil en Grèce ancienne, dans Classics@ Journal, v. 7, 2011, en ligne, https://classics-at.chs.harvard.edu/classics7-florence-gherchanoc-mise-en-scene-et-reglementations-du-deuil-en-grece-ancienne/, consulté le 28/10/2022.
8 Archil. fr. 13, 10 West.
9 R. Palmisciano, Dialoghi per voce sola. La cultura del lamento funebre nella Grecia antica, Rome, Edizioni Quasar, 2017, p. 139-141.
10 H. van Wees, op. cit., p. 18.
11 A. Chaniotis, Moving Stones: The Study of Emotions in Greek Inscriptions, dans Unveiling Emotions, t. I, Sources and Methods for the Study of Emotions in the Greek World, éd. A. Chaniotis et P. Ducrey, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2012, p. 94.
12 Le développement consacré dans cette partie aux épitaphes attiques archaïques s’appuie sur les travaux suivants : J. Day, Rituals in Stone: Early Greek Grave Epigrams and Monuments, dans The Journal of Hellenic Studies, v. 109, 1989, p. 16-28 ; E. Meyer, Epitaphs and Citizenship in Classical Athens, dans The Journal of Hellenic Studies, v. 113, 1993, p. 99-106 ; C. Sourvinou-Inwood, Reading Greek Death to the End of the Classical Period, Oxford, Clarendon Press, 1995, p. 170-178 ; E. Walter-Karydi, Die Athener und ihre Gräber (1000-300 v. Chr.), Berlin, De Gruyter, 2015, p. 101-111 ; C. Reinhardt, Schrift am Grabmal. Zur Materialität der Inschriften an archaischen Grabmälern aus Athen und Attika, dans Schreiben auf statuarischen Monumenten. Aspekte materialer Textkultur in archaischer und frühklassischer Zeit, éd. N. Dietrich et al., Berlin, De Gruyter, 2020, p. 31-102.
13 Au génitif, l’expression « le monument de X » est alors sous-entendue.
14 J. Bingen, Les inscriptions, dans La civilisation grecque de l’Antiquité à nos jours, II, éd. C. Delvoye et G. Roux, Bruxelles, 1969, p. 248.
15 Ex. la stèle funéraire d’Aristion, œuvre du sculpteur Aristoklès, c. 520-510 (Athènes, Musée archéologique national, 29). Cf. G. M. A. Richter, Archaic Gravestones of Attica, London, Phaidon Press, 1961 sur les stèles funéraires attiques archaïques.
16 Ex. la statue équestre de Xénophantos, c. 530-520 (Athènes, Musée du Céramique, P 1051). Cf. ci-dessous pour l’épigramme qui l’accompagne (IG I³ 1218).
17 Ex. la korê de Phrasikleia et le kouros découvert à ses côtés, c. 550-540 (Athènes, MAN 4889 et 4890). Cf. ci-dessous, cat. A.6, pour l’épitaphe de Phrasikleia. Cf. G. M. A. Richter, Kouroi. Archaic Greek Youths. A Study of the Development of the Kouros Type in Greek Sculpture, Londres, Phaidon Press, 1970, sur les kouroi et K. Karakasi, Archaic Korai, Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, 2003, sur les korai.
18 À propos de la lecture des inscriptions à haute voix, voir J. Svenbro, Phrasikleia. Anthropologie de la lecture en Grèce ancienne, Paris, Éditions La Découverte, 1988, p. 53-73.
19 L’art funéraire attique fournit d’innombrables illustrations de cette ritualisation de l’expression du chagrin (ex. plaque funéraire attique à figures noires attribuée au peintre de Sappho, c. 490 (Paris, Musée du Louvre, MNB 905 ; BAPD 463). Cf. E. Vermeule, Aspects of Death in Early Greek Art, Berkeley, University of California Press, 1979 ; H. A. Shapiro, The Iconography of Mourning in Athenian Art, dans American Journal of Archaeology, v. 95, 1991, p. 629-656.
20 E. De Martino, Mort et pleurs rituels. De la lamentation funèbre antique à la plainte de Marie, Paris, Éditions de l’EHESS, 2022, p. 199-203.
21 IG I³ 1196 = CEG I, 14, c. 560-550 (New York, Metropolitan Museum of Art, 16.174.6). L’inscription est gravée sur la face antérieure de l’un des blocs de la base à degrés destinée au monument (sculpté par Phaidimos). La cassure du bloc interdit de préciser la nature exacte de la sculpture (statue, stèle ?). Cf. K. Kissas, Die attischen Statuen- und Stelenbasen archaischer Zeit, Bonn, Dr. Rudolf Habelt Gmbh, 2000, A9.
22 E. Boisacq, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1916, s. v. ὀλολύζω,
23 D. Arnould, Le rire et les larmes dans la littérature grecque d’Homère à Platon, Paris, Les Belles Lettres, 1990, p. 148-149.
24 Hom., Il., XV, 113-114 : Arès se lamentant (ὀλοφυρόμενος) sur la mort de son fils Ascalaphe, se frappe les cuisses des mains (πεπλήγετο μηρὼ χερσὶ) ; cf. Hymn. hom. Dém., 245-247 : Métanire se lamentant (ὀλοφυρομένη) au sujet de son fils Démophon, se frappe les cuisses (ἄμφω πλήξατο μηρὼ). (trad. P. Mazon, Homère. Iliade, v. 3, Chants XIII-XVIII, Paris, CUF, 1938)
25 IG I³ 1267, c. 530-520 (Athènes, Musée archéologique de Brauron) : οἴμοι Πεδιάρχο το̃ Ἐνπεδίονος. L’inscription est gravée sur une stèle fragmentaire, aniconique, de marbre blanc, découverte dans la plaine de la Mésogée à Liopesi.
26 P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire de mots, nouv. éd., Paris, Klincksieck, 1999 (nvelle édition), s. v. οἴμοι.
27 C. Sourvinou-Inwood, op. cit., p. 189-190.
28 Phormiskos attique à figures noires (non-attribué), c. 500 (Athènes, Musée du Céramique, 691 ; BAPD 306487) ; loutrophore attique à figures noires (non-attribué), c. 500 (Cleveland, The Cleveland Museum of Art, 1927.145 ; BAPD 761) ; plaque funéraire attique à figures noires attribuée au peintre de Sappho, c. 490 (Paris, Musée du Louvre, MNB 905 ; BAPD 463).
29 IG I³ 1273bis = CEG II, 470, c. 550-540 (Athènes, Musée épigraphique, 13474) : Αὐτοκλείδο τόδε σε̃μα νέο προσορο̃ν ἀνιο̃μαι. L’inscription est également gravée sur une stèle nue, en marbre, découverte à Nikaia en Attique.
30 R. Palmisciano, op. cit., p. 118-119.
31 IG I³ 1208 = CEG I, 34, c. 550-525 (Athènes, Musée épigraphique, 10647, 10648, 10649). L’inscription est gravée sur la face antérieure de la base à degrés (reconstituée à partir de trois fragments, deux provenant de l’Agora d’Athènes et le troisième de la nécropole du Céramique) d’un monument circulaire, perdu (une colonnette surmontée d’un kouros ?). La signature du sculpteur Aristion est inscrite sur le flanc droit du bloc. Cf. K. Kissas, op. cit., A18, fig. 23-26.
32 D. Arnould, op. cit., p. 145-146.
33 P. Chantraine, op. cit., s. v. πάσχω.
34 IG I³ 1218 = CEG I, 50, c. 530-520 (Athènes, Musée du Céramique, I 389). L’inscription est gravée sur la face antérieure du bloc supérieur de la base à degrés d’une statue équestre, tous deux découverts au Céramique d’Athènes. Cf. K. Kissas, op. cit., A21, fig. 31-32.
35 G. Vigarello, L’émergence du mot « émotion », dans Histoire des émotions, t. I, éd. G. Vigarello, Paris, Seuil, p. 285-292.
36 IG I³ 1223 = CEG I, 59, c. 525-500 (Athènes, Musée de l’Agora, I 2352). L’inscription est gravée sur le bloc d’une base de marbre découverte sur l’Agora d’Athènes. Cf. K. Kissas, op. cit., C15.
37 Ex. plaque funéraire à figures noires, c. 510 (Vienne, Kunsthistorisches Museum, Antikensammlung, IV 4398 ; BAPD 17634). Cf. T. J. McNiven, Behaving Like an Other: Telltale Gestures in Athenian Vase Painting, dans Not the Classical Ideal. Athens and the Construction of the Other in Greek Art, éd. B. Cohen, Leiden/Boston/Cologne, 2000, p. 73-74.
38 L’épigramme composée pour le jeune Tétichos, inscrite sur une base de stèle funéraire, souligne d’ailleurs le caractère universel de l’appel à se lamenter (ἀποδυράμενοι) puisqu’il s’adresse à « tout citoyen ou étranger venu d’outre-mer » ([εἴτε ἀστό]ς τις ἀνὲρ εἴτε χσένος ἄλοθεν ἐλθόν) : IG I³ 1194bis = CEG I, 13, c. 550 (Athènes, Musée épigraphique, 10650). Cf. Cf. K. Kissas, op. cit., A11, fig. 13.
39 C. Sourvinou-Inwood, op. cit., p. 176-177.
40 K. Karakasi, op. cit., p. 161, tab. 10.1
41 Athènes, Musée archéologique national, 4472, c. 530-520.
42 Athènes, Musée archéologique national, 36, c. 510-500.
43 A. M. D’Onofrio Oikoi, généalogies et monuments : réflexions sur le système de dédicaces dans l’Attique archaïque, dans Ktèma, v. 23, 1998, p. 108. Elle estime qu’environ 10% des marqueurs funéraires attiques archaïques qui nous sont parvenus signalaient des sépultures féminines.
44 L. H. Jeffery, The Inscribed Gravestones of Archaic Attica, dans The Annual of the British School at Athens, v. 57, 1962, p. 129, n. 22.
45 IG I³ 1194 (Athènes, Musée épigraphique, 10646).
46 IG I³ 1205 = CEG I, 38 (Athènes, Musée épigraphique). Cf. K. Kissas, op. cit., A22.
47 IG I³ 1229 = CEG I, 54 (Athènes, Troisième éphorie, M 843). Cf. K. Kissas, op. cit., C12, fig. 339.
48 IG I³ 1248 = CEG I, 49 (perdue).
49 A. Duplouy, Le prestige des élites. Recherches sur les modes de reconnaissance sociale en Grèce entre les Xe et Ve siècles avant J.-C., Paris, Les Belles Lettres, 2006, p. 126.
50 IG I³ 1251 = CEG I, 18 (Athènes, Musée archéologique national, 81). Cf. K. Kissas, op. cit., A13, fig. 16-17.
51 IG I³ 1261 = CEG I, 24 (Athènes, Musée archéologique national, 4889). Cf. K. Kissas, op. cit., A14.
52 D. Viviers, Recherches sur les ateliers de sculpteurs et la Cité d’Athènes à l’époque archaïque. Endoios, Philergos, Aristoklès, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1992, p. 89.
53 IG I³ 1380 = CEG I, 66 (Athènes, Musée épigraphique, 10643). Cf. K. Kissas, op. cit., A36, fig. 43.
54 Athènes, Musée archéologique national, 4518 ; Berlin, Antikenmus., 1531 ; New York, Metropolitan Museum of Arts, 11.185.
55 IG I³ 1241 = CEG I, 25 (New York, Metropolitan Museum of Arts, 11.185). Cf. K. Kissas, op. cit., C5.
56 IG I³ 1265 = CEG I, 26, c. 540-530 (Athènes, Musée archéologique de Brauron).
57 Le mot est lacunaire, mais la restitution suivie ici (L. H. Jeffery, op. cit., p. 142) n’a pas été contestée.
58 CEG I, 144, 161, 169.
59 Ex. ὀλοφύρομαι : CEG I, 159 (Thasos) ; πένθος : CEG I, 113 (Béotie) ; 158 (Thasos) ; δακρυόεις : CEG I, 148 (Sélinonte).
60 A. Duplouy, op. cit., p. 128-131.
61 D. Viviers, op. cit., p. 206-218.
62 Toutefois, il ne s’agit en rien d’un signe du peu de moyens mobilisés par le commanditaire pour l’érection du tombeau : que l’on pense à la belle stèle sculptée par le maître-sculpteur Aristoklès, qui ne comporte que le nom du défunt, Aristion, représenté en hoplite richement équipé (Athènes, Musée archéologique national, 29, c. 520-510). Sur la stèle d’Aristion, cf. G. M. A. Richter, Archaic Gravestones…, op. cit., n. 67.
63 IG I³ 1211 = CEG I, 41, c. 550-525 (Athènes, Musée épigraphique, 10642). L’inscription est gravée sur le bloc supérieur d’une base pyramidale destinée à une statue de kouros. Cf. K. Kissas, op. cit., A19, fig. 27.
64 Hom., Il., XXIII, 9 : « Pleurons Patrocle, puisque c’est là l’hommage dû aux morts » (Πάτροκλον κλαίωμεν· ὃ γὰρ γέρας ἐστὶ θανόντων) (trad. P. Mazon, Homère. Iliade, v. 3, Chants XIII-XVIII, Paris, CUF, 1938). Sur la notion de γέρας, cf. J.-P. Vernant, La belle mort et le cadavre outragé, dans La mort, les morts dans les sociétés ancienne, éd. G. Gnoli et J.-P. Vernant, Cambridge/Paris, Cambridge University Press/Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1982, p. 64-66.
65 Hom., Il., VII, 424-432.
66 A. Schnapp-Gourbeillon, Les funérailles de Patrocle, dans La mort, les morts dans les sociétés anciennes, éd. G. Gnoli et J.-P. Vernant, Cambridge/Paris, Cambridge University Press/Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1982, p. 79.
67 IG I³ 1357 = CEG I, 58, c. 525-500 (Athènes, Musée du Céramique, I 388). L’inscription est gravée sur le bloc intermédiaire d’une base à degrés découverte au Céramique d’Athènes. Cf. K. Kissas, op. cit., A29, fig. 40.
68 Hom., Il., XVII, 37 (à propos des parents d’Hyperénor, tué par Ménélas) ; XXII, 741 (à propos des parents d’Hector). Sur cette formule et son influence à l’époque archaïque, voir R. Palmisciano, op. cit., p. 124.
69 Hom., Il., XXIV, 742 (λείπω seul) : ἐμοὶ δὲ μάλιστα λελείψεται ἄλγεα λυγρά ; XXII, 482-484 (λείπω avec référence à Hadès) : νῦν δὲ σὺ μὲν Ἀΐδαο δόμους ὑπὸ κεύθεσι γαίης ἔρχεαι, αὐτὰρ ἐμὲ στυγερῷ ἐνὶ πένθεϊ λείπεις χήρην ἐν μεγάροισι.
70 IG I³ 1235 = CEG I, 75, c. 500-480 (Athènes, Musée épigraphique, 10253). L’inscription est gravée sur un fragment de plaque nue de marbre pentélique découverte à l’est d’Athènes, à proximité de la porte de Diocharès. Cf. L. H. Jeffery, op. cit., n. 25, p. 130 : – – – – – – – – –ον ἀℎόριον ἐς Ἀίδαο / [ – – λιπόντα – – πέ]ν̣θος ἀποιχόμενον.
71 Hom., Il., XXIV, 725.
72 R. Palmisciano, op. cit., p. 128.
73 Hom., Il., XXIV, 105 (Thétis pour Achille) ; Od. I, 342 (Pénélope), XXIV, 423 (Eupithès pour son fils Antinoos).
74 Cf. ci-dessus, n. 15, à propos d’Arès et Ascalaphe ; voir aussi Hom., Il., XVI, 450 (Zeus pour Sarpédon).
75 La connotation épique imprègne aussi le décor de certains des monuments funéraires parvenus jusqu’à nous. Le motif du guerrier montant sur la plateforme d’un char, véhicule emblématique des héros homériques, en constitue un exemple (ex. sur le panneau inférieur d’une stèle funéraire, c. 530-520 : New York, Metropolitan Museum of Art, 38.11.13, cf. G. M. A. Richter, Archaic Gravestones…, op. cit., n. 45 ; sur les flancs l’un des blocs d’une base quadrangulaire de statue funéraire, c. 510-500, cf. A. Kosmopoulou, The Iconography of Sculptured Statue Bases in the Archaic and Classical Periods, Madison, The University of Wisconsin Press, 2002, n. 9, p. 166-168).
76 J. Svenbro, op. cit., p. 53-73.
77 C. Sourvinou-Inwood, op. cit., p. 178-179.
78 A. Duplouy, op. cit., p. 122-149.
79 A. Chaniotis, op. cit., p. 104.
80 H. Monsacré, Les larmes d’Achille. Le héros, la femme et la souffrance dans la poésie d’Homère, Paris, Albin Michel, 1984, p. 98-99.