C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société -  vol. 48 - 2024 

De quoi la « crise de l’accueil » est-elle le nom ? Les réfugié·es entre signifiants juridiques, discours gouvernementaux, traitements médiatiques et pratiques de solidarité

Diletta Tatti

Juriste et politologue, Diletta Tatti est chercheuse au GREPEC (Groupe de recherche en matière pénale et criminelle) à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles. Ses travaux portent notamment sur les dispositifs répressifs visant les comportements et les usages de l’espace public. Elle développe une approche empirique en droit, mêlant analyse interne et données issues du terrain pour questionner le droit en action.

Marie Doutrepont

Marie Doutrepont est juriste et candidate en sciences politiques. Elle est avocate au barreau de Bruxelles depuis 2009 et, depuis 2014, au sein du cabinet Progress Lawyers Network. Elle a été assistante en droit constitutionnel et droit administratif à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles entre 2009 et 2013. Spécialisée en droit des étranger·es en général et des réfugié·es en particulier, elle a beaucoup travaillé sur la question de la « crise » de l’accueil des réfugié·es depuis 2022.

Résumé

Depuis fin 2021, des milliers de demandeur·euses de protection internationale vivent à la rue ou dans des occupations précaires, malgré un cadre juridique qui impose à la Belgique de leur fournir un accueil. Le gouvernement qualifie cette situation de « crise de l’accueil ». Mais ce manquement s’inscrit dans la durée et interroge autant la force contraignante de la loi que la notion même de « crise ». Partant de ce cadre, la contribution propose une mise en tension entre récits juridiques, gouvernementaux, médiatiques et des mouvements sociaux autour des notions de « crise » et d’« accueil ». Pour ce faire, elle s’intéresse à trois épisodes récents de la vie politique belge qui permettent de replacer la situation actuelle dans une continuité : la « crise migratoire » de l’été 2015 et ses suites, l’accueil des bénéficiaires de protection temporaire ukrainien·nes au printemps 2022, et l’actuelle « crise de l’accueil » (2021-…).

Index de mots-clés : Accueil des demandeur·euses de protection internationale, crise, récits, contre-récits

Abstract

Since the end of 2021, thousands of applicants for international protection are homeless or living in precarious accommodations, despite a clear legal framework requiring Belgium to provide them with reception. The government describes this situation using the words reception crisis’. But the failure to abide the law is a long-term one, and calls into question both the binding force of the law and the very notion of crisis’. Against this background, the paper analyses the tensions and convergences between legal, governmental, media and social movement narratives around the notions of ‘crisis’ and ‘reception’ over the last decade. To do so, it focuses on three key moments in Belgium’s political life: the migration crisis’ of summer 2015 and its aftermath, the reception of Ukrainian beneficiaries of temporary protection during the spring 2022, and the ongoing reception crisis’ (2021-…).

Index by keyword : Reception of applicants for international protection, crisis, narratives, counter-narratives

Introduction

1Le point de départ de cette contribution est l’actuelle « crise de l’accueil » qui, depuis 2021, contraint au sans-abrisme, et, plus généralement, au sans-chez-soirisme1 des milliers de demandeur·euses de protection internationale en Belgique, et plus particulièrement à Bruxelles. Leur nombre était estimé à plus de 4000 en juin 20242. La loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers3 (ci-dessous « loi accueil ») est pourtant claire : chaque demandeur·euse de protection internationale a droit à l’accueil, qui comprend le droit à un toit, mais aussi à un accompagnement, le temps que dure l’examen de sa demande de protection internationale. Prise en défaut de respecter cette obligation, l’actuelle secrétaire d’État à l’asile et à la migration, et avec elle le gouvernement fédéral, s’en réfèrent inlassablement à la « crise de l’accueil » qui semble s’abattre comme une fatalité.

2Pourtant, le caractère prolongé des manquements de l’État et l’absence de perspective quant à une sortie de la période de crise questionnent le choix des termes. Dans son acception contemporaine, la notion de crise se réfère à une « situation de trouble profond dans laquelle se trouve la société ou un groupe social et laissant craindre ou espérer un changement profond ; [et par métonymie la] période ainsi caractérisée »4. Cette définition dérive du terme latin (crisis) et de son usage en médecine, où la crise désigne une rupture soudaine et intense dans l’état de normalité (santé), mais limitée dans le temps, et aboutissant nécessairement à une résolution, qu’elle soit positive (guérison ou retour à la normale) ou négative (aggravation de la pathologie ou mort). Chez les anciens Grecs, la krisis n’est pas mobilisée dans le champ politique et social, mais désigne l’action ou la faculté de distinguer, de choisir, ou encore de séparer5. La crise a aussi toujours une valeur résolutoire chez les Grecs, puisqu’« en tant que tournant, [elle] inaugure un temps qui peut être celui de l’après : l’après de la souffrance, la projection dans un état de normalité retrouvé »6.

3Comment dès lors comprendre le recours à la notion de crise pour désigner une situation qui, installée dans la durée, remet radicalement en cause le cadre dans lequel elle s’inscrit et ne semble pas devoir se résoudre par un quelconque retour à la normalité ? C’est peut-être parce que la situation qui se joue actuellement en Belgique, bien qu’elle se réfère à notre sens commun de la crisis, relève davantage de la krisis grecque. À l’instar de la « crise migratoire » – largement mobilisée au niveau européen lorsqu’il s’agit de parler des personnes réfugiées7 – la « crise de l’accueil » s’apparente en effet moins à une manifestation brusque et soudaine qu’à un choix discursif, et partant, un choix politique, du gouvernement. Aussi, en amputant la crise (tant crisis que krisis) de sa dimension résolutoire, le recours à cette notion permet de gouverner par l’exception en s’émancipant de la norme, en l’occurrence les obligations de la loi accueil. Il suffit pour s’en convaincre de prêter l’oreille à d’autres acteur·ices des champs institutionnel (les juridictions) et sociétal (la presse écrite et les mouvements de soutien et d’accueil des réfugié·es) pour trouver des cadrages alternatifs à la « crise de l’accueil », autant de contre-récits qui viennent infirmer le choix du gouvernement fédéral.

4Partant de ces réflexions et prenant appui sur le cadre juridique qui définit l’accueil, le présent article questionne la notion de « crise de l’accueil », au croisement des récits qui l’alimentent et des contre-récits qui la désavouent. Après un rappel du cadre normatif de l’accueil des demandeur·euses de protection internationale (2), ce sont trois épisodes de la vie politique belge qui sont analysés pour ce qu’ils nous révèlent des mobilisations des termes « crise » et « accueil » et des résistances qu’elles suscitent. Sont ainsi envisagé·es la « crise migratoire » de l’été 2015 et ses suites (3), l’accueil des bénéficiaires de protection temporaire ukrainien·nes à partir du printemps 2022 (4), et, enfin, l’actuelle « crise de l’accueil » qui a commencé en 2021 (5).

Le cadre normatif de l’accueil

5L’histoire de l’accueil des demandeur·euses de protection internationale (ou « demandeur·euses d’asile », comme on les appelait jusqu’en 20178) reflète assez fidèlement la manière dont ces personnes ont été considérées au fil du temps. Un article intitulé « L’accueil des demandeurs d’asile en Belgique » indique ainsi que « jusque dans les années ’80, les candidats à l’asile étaient souvent accueillis comme des héros échappés d’un enfer »9. Il balise le changement de paradigme par deux ouvrages. Dans le premier, le roman Terre d’asile de Pierre Mertens, paru en 1978, le héros fictionnel, Jaime Morales, a fui le Chili de Pinochet et doit raconter son histoire au fonctionnaire chargé de l’examen de sa demande d’asile. L’interrogatoire est courtois et sérieux ; il obtient le statut de réfugié sans grande difficulté, mais Jaime a l’impression d’instrumentaliser ses souffrances pour les besoins de sa procédure. Il est également déstabilisé par les sollicitations trop empressées qu’il reçoit de « sympathisant·es » de la résistance de la gauche chilienne lors de son arrivée à l’université10. Le deuxième ouvrage est celui de Pie Tshibanda, Un fou noir au pays des blancs, paru en 1999 qui dépeint, avec humour, les humiliations et incohérences administratives, le choc culturel, les difficultés de communication et le rejet auxquels est en butte l’auteur, qui a fui la République démocratique du Congo et déposé une demande d’asile en Belgique11.

6Ce changement de paradigme se reflète dans l’évolution de l’accueil fourni aux demandeur·euses d’asile. Jusqu’en 1986, le ou la candidat·e à l’asile qui arrive en Belgique est traité·e de la même manière que les autres habitant·es du pays : il ou elle est simplement inscrit·e dans la commune de son choix et dirigé·e vers le CPAS si ses revenus sont jugés insuffisants. C’est l’accueil que reçoit Jaime Morales. À partir de 1986, la Belgique se met à organiser l’accueil des demandeur·euses d’asile de manière structurée, avec l’ouverture du premier centre d’accueil du Royaume au Petit Château, à Bruxelles. Il assure, à l’époque, un accueil de transit des candidat·es à l’asile avant de les répartir entre les différents CPAS du pays12. C’est l’accueil que reçoit Pie Tshibanda. Mais des protestations se font jour au sein des CPAS des grandes villes, qui se plaignent de la charge que représente ce public étranger. Plusieurs demandeur·euses d’asile se retrouvent à la rue, lorsque les ONG n’arrivent pas à faire face à la demande d’hébergement13.

7À l’époque, la procédure d’asile connait deux phases, une phase de recevabilité et une phase de fond. En janvier 2001, une réforme importante a lieu. L’aide fournie aux demandeur·euses d’asile est limitée à une aide matérielle (dans un centre d’accueil) pendant la phase de recevabilité, l’aide sociale (financière) n’étant plus octroyée que pendant la phase de fond14. Cette modification, qui marque une césure entre le traitement réservé aux nationaux·ales et aux demandeur·euses d’asile dans le besoin, creuse la désinsertion du tissu social de ces dernier·es. Les demandeur·euses d’asile sont désormais logé·es ensemble, dans de grands centres équipés de dortoirs et de réfectoires collectifs, et non plus réparti·es dans les différentes villes et quartiers du pays. En 2002 est créée FEDASIL, l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile15. L’agence gère les structures d’accueil et signe des conventions avec les partenaires (ONG, Croix-Rouge, Initiatives Locales d’Accueil (ILA) au sein des communes) afin de garantir l’aide matérielle aux demandeur·euses d’asile.

8Finalement, en 2007, la loi accueil transpose deux directives européennes16 et précise ce que doit comprendre l’aide matérielle, qui a pour objectif de permettre aux demandeur·euses d’asile de « mener une vie conforme à la dignité humaine » (art. 3)17, à savoir (art. 2, 6°) :

l’hébergement, les repas, l’habillement, l’accompagnement médical, social et psychologique et l’octroi d’une allocation journalière. Elle comprend également l’accès à l’aide juridique, l’accès à des services tels que l’interprétariat et des formations ainsi que l’accès à un programme de retour volontaire.

9La notion d’accueil est donc plus large que le simple hébergement : la Belgique est tenue de fournir aux demandeur·euses de protection internationale un accueil qui leur permette « de mener une vie conforme à la dignité humaine » (article 3 de la loi accueil). Enfin, si les demandeur·euses de protection internationale obtiennent une protection internationale (reconnaissance du statut de réfugié·e ou octroi de la protection subsidiaire), ils et elles peuvent, comme toute personne disposant d’un titre de séjour en Belgique et ne disposant pas de revenus suffisants pour assurer une vie conforme à leur dignité humaine, s’adresser aux CPAS pour obtenir une aide sociale18.

10Dès 2008, la Belgique connait sa première « crise de l’accueil ». En décembre 2009, « 1100 personnes étaient hébergées à l’hôtel en raison de jugements rendus par le tribunal du travail condamnant sous astreinte FEDASIL à fournir un logement. Les six premiers mois de 2010, 2800 personnes ont été refusées et se sont retrouvées dès lors à la rue »19. Dans la suite de cette « crise » est créé le poste de secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration (ci-après « SEAM ») qui reprend dans ses compétences les fonctions d’accueil (contenues dans la loi accueil) et de contrôle migratoire (contenues dans la loi du 15 décembre 198020). La première « crise de l’accueil » est donc l’occasion de la mise en place d’un·e responsable politique unique, censé·e garantir l’application des normes sur le séjour et l’éloignement des étranger·es et promouvoir la politique d’accueil.

La « crise migratoire » de 2015

11À partir de l’été 2015, le nombre de personnes cherchant refuge augmente fortement, notamment suite à l’aggravation de la guerre civile en Syrie. Au niveau européen, il est question de « crise migratoire » ou de « crise des migrant·es », non sans une certaine ambiguïté sémantique qui permet d’y « distinguer à la fois une situation objectivement exceptionnelle, et la catégorisation de cette situation en ″crise″ par les institutions et les dirigeants européens » afin, notamment, « de légitimer des formes d’intervention exceptionnelles, généralement fondées sur des logiques de contrôle »21. En Belgique, le nombre de demandes d’asile passe de 1717 en janvier 2015 à 5595 et 6830 aux mois d’aout et septembre 2015. Pour toute l’année 2015, on dénombre 44 760 demandes, soit le double de 2014 (22 848)22.

12Dans le discours du SEAM de l’époque, Theo Francken (N-VA23), « la crise ne réfère plus à une augmentation des demandes d’asile liée à une complexité d’évènements, mais bien au phénomène même de la migration »24. La conception de l’accueil qu’il défend dans les médias s’inscrit dans cette vision, et est réduite au minimum vital de bed, bad, brood ou « lit, bain et pain », soit bien en deçà du seuil qu’impose la loi accueil25. L’expression est une reprise cynique de l’initiative de plusieurs bourgmestres néerlandais·es qui, au même moment, offrent cet accueil minimal aux réfugié·es débouté·es de leur demande d’asile26. L’accueil des demandeur·euses d’asile est présenté comme limité à leurs seuls besoins physiologiques, rognant les droits que leur confère leur statut juridique. L’accent est aussi mis sur la distinction entre celles et ceux qui peuvent rester (et prétendre à cet accueil minimal), et les autres, qui sont au centre de la politique de retour, présentée comme « une priorité au plus haut niveau »27. Un lien organique entre les compétences d’accueil et de contrôle migratoire du SEAM est ainsi assuré.

13Parallèlement à ce récit, et face à ce qu’il reconnait être une crise – qualifiée tantôt de « crise de l’asile », tantôt de « crise de l’accueil »28 – le SEAM adopte des mesures d’urgence. Il ouvre des places d’accueil supplémentaires et annonce l’adoption d’un plan de répartition en places d’accueil ILA (Initiatives Locales d’Accueil)29 dont la mise en œuvre est approuvée en Conseil des ministres en février 201630. Mais cette politique est de courte durée : l’annonce du plan de répartition ne sera jamais suivie d’effet31. Dès juin 2016, le réseau d’accueil est démantelé « suite au faible taux permanent d’arrivées de nouveaux demandeurs d’asile »32. Il est ainsi mis fin au récit de crise et aux mesures qui l’accompagnent. Critiquant l’incapacité d’anticipation du gouvernement, des acteur·ices de terrain voient dans cette décision l’annonce de la prochaine « crise de l’accueil »33.

De la crise humanitaire à l’accueil solidaire des réfugié·es

14Malgré les mesures ponctuelles mises en place à l’été 2015, le réseau d’accueil montre son insuffisance structurelle. Dans ce contexte, des personnes n’ayant pas accès aux services d’hébergement, et en amont, aux services d’enregistrement de leur demande d’asile, se retrouvent au parc Maximilien à Bruxelles, situé derrière les bureaux de l’Office des étrangers, où un campement de fortune s’installe. Une action humanitaire de grande ampleur s’organise pour venir en aide aux nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes, dont certain·es veulent demander l’asile en Belgique et d’autres font une étape sur leur route vers le Royaume-Uni. C’est là que nait la Plateforme citoyenne : un réseau logistique qui s’impose face aux défaillances de l’État, en comptant notamment sur l’expérience d’une partie de ses membres dans le domaine humanitaire34 (gestion du camp) et sur la solidarité de milliers de citoyen·nes (hébergement de réfugié·es). Les bénévoles accueillant·es ne se limitent souvent pas à subvenir aux seuls besoins matériels des réfugié·es, mais les accompagnent dans leur parcours et leurs démarches, mettant de fait en œuvre le prescrit de la loi accueil.

15L’action de la Plateforme citoyenne se base dans un premier temps sur un agir compassionnel35, opposant au récit gouvernemental du bed, bad, brood ou du non-accueil à celui de l’hospitalité envers les demandeur·euses d’asile, mais sans s’engager dans un récit politique alternatif de déconstruction de la « crise de l’asile ». Rapidement cependant, la Plateforme citoyenne dénonce le manque de mesures gouvernementales et refuse de « servir d’alibi à l’inaction des autorités »36. Dans un second temps, la Plateforme citoyenne élabore un contre-récit qui prône un « accueil inconditionnel » des réfugié·es, quel que soit leur statut juridique. Ce tournant est acté dans le nom de l’organisation qui devient la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés37. L’émergence de ce nouveau récit peut notamment s’expliquer par la proximité des bénévoles avec les réfugié·es dont les statuts administratifs sont variables et ne leur permettent pas nécessairement de rentrer dans les critères d’application de la loi accueil : certain·es sont soumis·es au système « Dublin »38, d’autres veulent poursuivre leur route migratoire ailleurs. Par ailleurs, les collectifs de réfugié·es « sans-papiers », déjà très actifs politiquement et ayant rapidement assuré une partie de l’organisation quotidienne au parc Maximilien, appellent à se départir du cadre ségrégant des statuts administratifs pour revendiquer des droits pour tou·s·tes. L’action de la Plateforme citoyenne se poursuit dans la durée et son plaidoyer s’ancre dans une vision qui déborde la trame juridique de la loi accueil.

L’irruption des « transmigrant·es » comme opération de détournement

16Face au succès de la Plateforme citoyenne et à l’attention générée par le parc Maximilien dans les foyers, le SEAM Theo Francken et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Jan Jambon (N-VA), s’activent à la mise en place d’un discours structurant la réalité, substituant au défaut du gouvernement celui des réfugié·es mêmes.

17D’une part, ils invisibilisent les défaillances de l’État dans la gestion de la « crise de l’accueil », en adoptant ouvertement un champ lexical d’extrême droite à l’encontre des personnes réfugiées qui campent dans le parc Maximilien, affirmant vouloir « nettoyer »39 le parc et « démanteler le hub migratoire »40. D’autre part, dès le mois de septembre 2015, ils tentent de déplacer la focale des pratiques d’accueil des citoyen·nes solidaires vers la figure menaçante du ou de la « transmigrant·e », qui va monopoliser la communication gouvernementale en matière d’asile et de migration. Le terme, issu de la littérature académique étasunienne des années nonante, définit l’acte de partager son existence entre plusieurs espaces nationaux simultanément41. Détourné de son sens premier et affublé d’une connotation négative, il essentialise les réfugié·es voulant rejoindre le Royaume-Uni depuis la Belgique, qui deviennent des passant·es indésirables profitant d’un pays où iels ne veulent pas rester. Le terme finit par viser aussi celles et ceux empêché·es de demander une protection en Belgique puisque soumis·es au système « Dublin », présenté·es comme des opportunistes à la recherche de l’État qui leur offre les meilleures conditions d’accueil. Ce récit est rapidement repris par les médias néerlandophones, et, dans une moindre mesure, par la presse francophone à partir de 201842. Il est abandonné la même année, suite aux critiques de plusieurs journalistes qui dénoncent l’opération de communication gouvernementale et sa finalité déshumanisante43.

18Sur le terrain juridique, l’effet de délégitimation du récit des transmigrant·es se généralise, jusqu’à viser les demandeur·euses de protection internationale44. Sa mobilisation occulte les droits (dont le droit à l’accueil) attachés aux différents statuts administratifs des personnes visées45, renvoyant les réfugié·es dans le champ des hors-la-loi, mais, surtout, des « hors-droit ».

Le prolongement du récit gouvernemental par la criminalisation des réfugié·es et des hébergeur·euses

19Les autorités judiciaires se saisissent du récit gouvernemental de traque aux « transmigrant·es », qui, avec certain·es de leurs hôtes, sont poursuivi·es pour trafic d’êtres humains, soit pour avoir tenté de ou aidé à traverser vers le Royaume-Uni. Les poursuites résultent d’un choix de politique criminelle de faire de ce type de dossiers une priorité46. Elles témoignent de la tendance croissante à la criminalisation des réfugié·es, et, plus généralement, des personnes étrangères à travers la mobilisation de l’outil pénal47, amplifiée suite aux attentats de Paris et Bruxelles en 2015 et 2016. En résulte un récit hybride où le droit pénal se fait le porte-voix de la rationalité excluante du droit des étrangers (fonction de contrôle). Le ou la réfugié·e devient la figure de l’ennemi·e qui met en danger la sécurité de l’État, matérialisée dans ses frontières48.

20Des citoyen·nes solidaires sont également poursuivi·es pour l’aide apportée aux réfugié·es, considérée comme une aide illégale au passage de frontières. Cette instrumentalisation du droit pénal et de la procédure pénale à des fins politiques a un effet important sur les imaginaires, ce récit criminel faisant basculer des gestes relevant d’une éthique de l’hospitalité en des actes répréhensibles49. Les poursuites emportent également un chilling effect50 auprès de personnes déjà engagées dans l’accueil de réfugié·es ou qui souhaiteraient s’y engager. En criminalisant le contre-récit de l’hébergement citoyen, c’est la possibilité même d’un accueil solidaire chez des citoyen·nes qui est mis en péril.

L’accueil des réfugié·es ukrainien·nes

21Lorsqu’éclate la guerre en Ukraine, le 24 février 2022, les réactions politiques et juridiques ne se font pas attendre. Trois jours plus tard, le 27 février, les ministres de la Justice et des Affaires intérieures de l’Union européenne, en réunion extraordinaire, expriment leur « large soutien » à la proposition d’activer la directive dite « protection temporaire »51. Le 2 mars, la Commission propose officiellement d’accorder une protection temporaire au sein de l’Union aux personnes fuyant la guerre en Ukraine52, et le 4 mars, le conseil « Justice et affaires intérieures » adopte, à l’unanimité, une décision d’exécution instaurant une protection temporaire en raison de l’afflux massif de personnes fuyant l’Ukraine à cause de la guerre53. De manière inédite54, le droit des étranger·es est alors mobilisé en tant que récit inclusif envers les ukrainien·nes, en vue de leur intégration aux communautés nationales des États européens.

Un recours inédit à la protection temporaire

22C’est la première fois qu’est activée la « vieille » directive de protection temporaire, adoptée quelques semaines avant les attentats du 11 septembre 2001 et juste après le conflit en ex-Yougoslavie, lorsque, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a été confrontée à des déplacements massifs de population en raison d’un conflit interne. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, le paradigme change, les mesures visant à accroitre le contrôle des personnes exilées et à limiter l’accès au statut de réfugié·e reconnu·e se multiplient. L’heure n’était plus, alors, à la mise en place d’un statut aussi généreux que celui de protection temporaire. En effet, cette directive garantit à ses bénéficiaires une protection contre le non-éloignement vers un territoire à risque et leur maintien sur le territoire de l’État qui les accueille par le biais d’un titre de séjour, mais assure également les besoins principaux de ses bénéficiaires. Ceux- et celles-ci reçoivent ainsi une aide sociale et de subsistance, des soins médicaux et un hébergement ou les moyens de s’en procurer un. La protection comprend également l’accès au système d’éducation pour les mineur·es, le regroupement familial et une protection renforcée à l’égard des personnes vulnérables. De même, l’accès au marché du travail et au régime de la sécurité sociale figurent parmi les garanties de la directive.

23Enfin, par rapport aux demandeur·euses de protection internationale, les bénéficiaires de la protection temporaire jouissent du libre choix de leur pays d’établissement (pas de système de « Dublin » alors même que la directive prévoit une forme de répartition entre États55), d’un accès immédiat au marché du travail (contrairement aux demandeur·euses de protection internationale, qui doivent attendre quatre mois avant de jouir du même accès) et d’une aide sociale (financière, accueil d’urgence, aide à la recherche d’un logement durable), plutôt que d’une aide matérielle (en nature, accueil dans des centres d’hébergement).

Les limites d’un récit inclusif excluant

24Lorsque la guerre en Syrie a éclaté en 2011, des voix se sont élevées pour recourir à ce mécanisme, sans succès. Le caractère éminemment politique de la directive a été critiqué à cette occasion56. De même, lors de la prise du pouvoir par les Talibans en Afghanistan en 2021, d’aucuns ont tenté, en vain, de proposer une protection temporaire aux Afghan·es fuyant le régime57. L’activation de cette directive, plus de vingt ans après son adoption, a donc été une surprise, vu les réticences des organes de l’Union européenne, et surtout des États membres eux-mêmes, d’y avoir recours lors de situations similaires par le passé58. On peut facilement déceler dans ce double standard la manifestation d’une realpolitik intéressée, l’Ukraine, et partant l’armée russe, étant aux portes de l’Union. Mais les scènes de refoulement d’étudiant·es d’origine ou de nationalité africaine ou du Moyen-Orient fuyant l’Ukraine bloqué·es aux frontières de l’UE59 nous invitent à considérer l’ancrage d’une trame raciste, sous-jacente aux politiques de non-accueil.

25Il est également frappant qu’à cette occasion, le statut juridique de « bénéficiaire de protection temporaire » ne soit pas mobilisé par le gouvernement et peu repris par la presse écrite : on parle alors beaucoup des réfugié·es ukrainien·nes, entretenant par-là la confusion avec le statut de réfugié·es. L’utilisation de ce terme par les autorités n’est pas anodine : très vite, le gouvernement sollicite les citoyen·nes pour héberger les exilé·es ukrainien·nes60. Beaucoup répondent à l’appel et le récit criminel mobilisé jusqu’il y a peu contre les hébergeur·euses est mis en veille. Mais l’appel du gouvernement fédéral à la solidarité citoyenne a ses limites, notamment parce qu’« en dépit d’un discours politique d’ouverture à l’accueil des Ukrainien·nes, la société civile et les pouvoirs locaux et régionaux continuent d’être en première ligne de la réponse à l’urgence »61.

26Pourtant, dans sa note de politique générale d’octobre 2022, la SEAM Nicole de Moor (CD&V62) se félicite de l’action de ses services dans la gestion du « flux de réfugiés en provenance d’Ukraine », et souligne que plusieurs « ont pu rejoindre leur famille ou des connaissances » en Belgique. Elle poursuit en changeant de lexique : « nous avons été et sommes encore confrontés à une augmentation de l’afflux de demandeurs d’asile, qui met notre système d’asile fortement sous pression », malgré la recherche de solutions, au premier titre desquelles l’adoption de « mesures destinées à limiter les arrivées »63. À l’été 2022, les files d’attente des demandeur·euses de protection internationale en provenance d’autres pays (dont beaucoup proviennent d’Afghanistan, de Syrie, de Palestine, du Burundi ou d’Érythrée, des États pour lesquels le taux de reconnaissance du statut de réfugié·e est élevé) s’allongent devant le Petit Château64.

La « crise de l’accueil » de 2021 à…

27Concomitamment à l’accueil des ukrainien·nes et déjà dès 2021, des centaines de demandeur·euses de protection internationale se retrouvent à nouveau à la rue. Au mois de mai 2023, les associations de terrain en dénombrent 3171, et dénoncent le déni d’accueil devenu une « indécente normalité »65. Le 17 juin 2024, d’après FEDASIL, ils sont 409766, et le délai pour intégrer le réseau d’accueil est de 6 à 9 mois67. Le discours gouvernemental face à cette situation est constant : (1) il s’agit d’une crise ingérable, largement due à l’héritage des gouvernements précédents qui ont fermé des centres d’accueil ; (2) la priorité est donnée aux plus vulnérables : les femmes et les enfants ; (3) il faut davantage contrôler l’afflux de personnes migrantes et travailler à des procédures accélérées68, sous-entendu que plus vite les demandes seront traitées, plus rapidement il sera possible de déterminer qui peut rester et qui doit être expulsé·e. La SEAM affirme inlassablement « mettre tout en œuvre » pour garantir un accueil au plus grand nombre de personnes69.

28Des places d’accueil supplémentaires sont créées, mais restent insuffisantes. D’après la SEAM, « si on n’a pas une réforme profonde au niveau européen, on n’arrivera jamais à résoudre la crise de l’asile en Belgique»70. La répartition des réfugié·es entre les États européens, la protection des frontières extérieures et les partenariats avec les pays d’origine ou de transit des réfugié·es sont alors les points centraux des discussions au niveau européen71. Dans la ligne logique de ces priorités politiques, la SEAM invalide systématiquement toutes les solutions d’hébergement alternatives pour faire face à la situation de « crise » : hébergement dans des hôtels, activation du plan fédéral de crise, appel à l’armée, ou encore réquisition de bâtiments vides. Fin aout 2023, Nicole de Moor décide d’exclure de l’accueil les hommes seuls demandeurs de protection internationale afin de donner la priorité aux familles. Sa décision entérine une situation de fait, puisqu’ils sont laissés à la rue depuis plus d’un an et demi déjà. La politique de non-accueil est assumée, et révèle la krisis en cours : l’inhospitalité est un choix et la notion de vulnérabilité est utilisée comme critère d’exclusion contre les réfugiés.

Le contre-récit judiciaire et ses limites

29Le récit gouvernemental ne résiste pas à l’examen du pouvoir judiciaire. En près de trois ans, l’État est condamné pour ses manquements en matière d’accueil à plus de 9000 reprises par les juridictions du travail, ce qui engendre, outre un engorgement des tribunaux, l’épuisement de tous·tes les intervenant·es72. En juin 2022, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles va jusqu’à porter plainte contre FEDASIL pour collusion de fonctionnaires, dénonçant des instructions ministérielles qui instaurent une pratique délibérée de refus d’accueil des demandeur·euses de protection internationale. La plainte est traitée très rapidement et aboutit à un non-lieu73. 1710 requêtes en urgence sont accueillies par la Cour EDH, qui rend également, le 18 juillet 2023, une décision de principe dans l’affaire Camara c. Belgique74. Elle y constate une carence systémique et le refus caractérisé des autorités belges d’exécuter les décisions judiciaires relatives à l’accueil des demandeur·euses de protection internationale75.

30L’État met en place une stratégie procédurale consistant à faire appel de toutes ses condamnations, invoquant pêle-mêle les inondations de juillet 2021, la crise en Ukraine et la crise de COVID-19 pour tenter de justifier le non-respect de ses obligations légales. L’argumentaire est battu en brèche par les juridictions du travail, qui rappellent que l’État belge a une obligation de résultat, c’est-à-dire qu’il doit honorer l’obligation d’accueil des demandeur·euses de protection internationale sans pouvoir invoquer de motifs l’en exonérant. Excédées, les juridictions du travail finissent par infliger à FEDASIL des amendes pour « procédures téméraires et vexatoires », arguant que la répétition ad nauseam du même argumentaire, déjà écarté à de multiples reprises par les tribunaux – les juridictions du travail estimant qu’il n’y a pas, en l’espèce, de force majeure justifiant que l’État déroge à son obligation d’accueil –, constitue un abus de procédure, sanctionnable par une amende76.

31Lors des précédentes « crises » de l’accueil, les condamnations prononcées par les juridictions du travail étaient, classiquement, assorties d’astreintes, c’est-à-dire qu’une somme d’argent est due par le débiteur de l’obligation (l’État) par jour de retard du respect de la décision de justice. Lors des « crises » précédentes, l’ombre de l’astreinte pouvait suffire pour inciter FEDASIL à respecter les décisions de justice ; dans les cas où ce respect intervenait avec retard, l’astreinte due était payée lorsqu’elle était réclamée. À présent, les astreintes prononcées ne sont plus payées depuis près de trois ans, cumulant, au mois de mars 2023, plus d’un quart de milliard d’euros77.

32Les avocat·es des demandeurs de protection internationale laissés sans accueil sont donc contraint·es de se lancer dans des procédures de saisie pour tenter de garantir les droits de leurs clients. FEDASIL a été la première saisie, en janvier 2023. Cependant, concernant des institutions, seuls les biens considérés comme non essentiels à la poursuite du service public peuvent être saisis, en l’espèce quelques meubles sans grande valeur. Des saisies ont alors été effectuées auprès du gouvernement, en sa qualité d’organisme de tutelle de FEDASIL, d’abord chez la SEAM, ensuite au cabinet du Premier ministre, Alexander De Croo78. Lorsque les quelques biens listés par la juge des saisies sont enlevés du cabinet de la SEAM, celle-ci s’insurge par voie de presse, considérant qu’une telle démarche « ne rapproche pas d’un pouce » d’un nombre suffisant d’hébergements79. Parallèlement, la décision d’exclusion des hommes seuls du bénéfice de l’accueil est invalidée par le Conseil d’État, qui en ordonne la suspension sur requête de plusieurs associations et de l’Ordre des barreaux francophones et germanophone80. Cette décision est maintenue en violation de l’arrêt de la haute juridiction administrative.

33L’agir illégal de l’État invalide le récit légal de l’accueil, et cet état de fait éclaire les limites du pouvoir judiciaire face à l’absence de volonté du pouvoir exécutif d’en respecter les décisions. La SEAM, soutenue par le Premier ministre, assume ne pas respecter les décisions de justice la condamnant à héberger tou·tes les demandeur·euses de protection internationale ou, à défaut, à mettre en place des solutions d’hébergement alternatives.

Ceci n’est pas une crise, c’est une honte

34On doit la formule à la journaliste Annick Hovine81, qui face à une situation qui s’ancre dans la durée, dénonce le récit gouvernemental. Les associations parent au plus urgent et réfutent également le récit de crise, en rappelant régulièrement les solutions existantes pour une sortie de « crise »82. Le réseau ADES83, un collectif qui lutte pour la justice sociale et environnementale et actif dans les actions de soutien aux réfugié·es « sans-papiers », ouvre des bâtiments inoccupés où sont mis·es à l’abri les demandeur·euses de protection internationale. À son initiative, une coupole associative appelée « Stop à la crise de l’accueil »84 est créée. Elle rassemble les associations de soutien aux réfugié·es afin de donner une plus grande résonance à un « contre-récit » commun sur la situation de l’accueil en Belgique. La coupole associative met en avant les obligations du gouvernement, qu’il ne remplit plus (récit juridique de la loi accueil), et réfute l’idée de « crise », dénonçant le choix politique de laisser « les gars »85 à la rue dans un contexte de politique migratoire restrictive (récit politique).

35Les nombreuses actions menées par les collectifs de soutien (dont les occupations du « Palais des droits », du Centre fédéral de crise, et « Toc Toc Nicole ») sont médiatisées et le récit de la « crise de l’accueil » finit par être remis en cause par la presse écrite francophone86. Une tribune est aussi régulièrement offerte à des acteur·ices de terrain ou académiques qui critiquent ou recadrent le récit gouvernemental, désormais en contradiction flagrante tant avec la loi accueil qu’avec les principes essentiels de l’État de droit démocratique87. De cette convergence nait un contre-récit qui invalide radicalement le récit de « crise ». Mais le gouvernement n’y répond pas88, la trame de la crise insoluble continue d’être inlassablement répétée et devient la nouvelle normalité.

Conclusion

Que l’attitude de nombre d’États à l’égard des réfugiés semble réduire l’existence de ces derniers à sa plus élémentaire expression ne signifie pas qu’eux-mêmes s’y laissent ainsi réduire. D. Fassin, La vie. Mode d’emploi critique, Paris, Seuil, 2018, p. 105.

36La politique de l’accueil est-elle en crise ? C’est ce qu’affirmait déjà en 2011 l’ancien directeur-général de FEDASIL, Bob Pleysier, pour qui « la politique de l’asile est née de crises, et non d’une vision »89. Après analyse d’une courte décennie de récits gouvernementaux, on ne peut souscrire à cette affirmation, qui n’envisage la crise qu’en tant que crisis. Ce serait oublier la dimension de choix (krisis) qui caractérise la politique de l’accueil, ou de non-accueil, des réfugié·es en Belgique, mais aussi dans l’Union européenne. La « crise de l’accueil » est en effet devenu le nom que se donne la nécropolitique90 belge et européenne à l’égard des réfugié·es. Pourtant, chez les Grecs, « la krisis est presque toujours un moment particulièrement attendu, désiré plus que redouté, de mise en ordre, elle assure la disjonction de deux états ou deux conditions perçus comme contraires. Elle vient trancher une alternative redoutable entre la stagnation destructrice et au contraire un élan nouveau »91.

37La référence constante des SEAM successif·ves aux mesures de retour ou de limitation des arrivées en tant que premières solutions structurelles aux situations de « crise » témoigne de cette stagnation. L’accueil n’existe que parce que l’on peut s’assurer qu’il ne bénéficie pas à tout le monde (ni même, finalement, à celles et ceux pour qui il a été prévu), et qu’avant même de demander l’hospitalité, le plus grand nombre reste où il est ou s’en retourne d’où il vient. Ainsi, la fermeture des centres d’accueil, le refus de recourir aux outils prévus par la loi accueil, ou le choix affirmé de se maintenir dans l’illégalité, traduisent plus largement une politique de fermeture et de contrôle à l’égard des réfugié·es en Belgique, tout comme en Europe, dont le nouveau pacte européen sur la migration et l’asile est le dernier outil en date.

38Si l’on déplace la focale sur la loi accueil, on voit que son application est défaillante dès 2008, soit peu de temps après son adoption en 2007. Conçue comme outil d’inclusion, elle est devenue tributaire des logiques de contrôle et de gestion des flux caractéristiques du droit des étranger·es. Ces logiques renvoient au krinein92, l’acte de séparer (et ensuite de choisir ou de juger), à l’origine du mot krisis chez les Grecs. Séparer : voilà le principe fondateur du droit des étranger·es et des politiques qui le mettent en œuvre, et qui délimite des critères d’inclusion ou d’exclusion d’individus. Les trois séquences analysées illustrent cette séparation en montrant la dualité du récit de crise mobilisé en matière d’accueil des réfugié·es. En tant que récit inclusif, la crise justifie des mesures exceptionnelles et inédites, comme l’a montré l’accueil des bénéficiaires de protection temporaire ukrainien·nes. En tant que récit excluant, elle renvoie la responsabilité d’une situation d’urgence sur celles et ceux qui en sont les victimes, en les invisibilisant ou en les criminalisant, comme à la suite de la « crise de l’accueil » de 2015. Dans la situation actuelle de non-accueil des réfugié·es, en cours depuis 2021, le récit de crise justifie le désengagement de l’État, incapable de gérer une situation présentée comme indépassable.

39Dès lors, quelle effectivité pouvons-nous attendre de la loi accueil ? Depuis 2015, nous avons assisté au renversement du récit judiciaire en matière d’accueil. Lorsque les hébergeur·euses de la Plateforme citoyenne décident de prendre en charge l’accueil des réfugié·es, c’est le récit pénal qui est mobilisé par le gouvernement contre certain·es d’entre elles et eux ainsi que leurs hôtes. Aujourd’hui, le récit judiciaire de l’accueil est largement mobilisé par les avocat·es des réfugié·es, confirmé par les juridictions, et volontairement ignoré par le gouvernement. À la figure de l’ennemi succède la figure du déni : déni de droit(s), voire déni d’existence des demandeurs de protection internationale à la rue. Cette séquence illustre les limites d’une approche basée sur la loi et les droits humains fondés sur la nationalité, qui, inévitablement, exclut toujours celles et ceux qui n’ont pas « le droit d’avoir des droits », à l’instar des apatrides dans les réflexions de Hannah Arendt93.

40Face à la stagnation induite par un récit juridique inopérant et à un récit politique déshumanisant, les actions citoyennes et militantes se révèlent être de puissants contre-récits en actes, qui rétablissent les réfugié·es en tant que sujets politiques. En s’emparant du récit de l’accueil, et, plus fondamentalement, de celui de l’hospitalité, les acteur·ices de soutien posent ainsi les jalons de cet élan nouveau qui devrait naitre de toute crise.

Notes

1 On doit le néologisme au Syndicat des Immenses qui y voit une manière d’inclure, et donc de visibiliser, la situation des personnes en situation de grande précarité, mais qui ont un abri, étant temporairement hébergées chez un·e proche, dans un squat, une occupation, un asile de nuit, un hôtel ou une maison d’accueil. Le syndicat des Immenses, L. Ursel et M. Nicolas, Politique et Immensité. Actes et rétroactes de la première université d’été des immenses ou les immenses à votre écoute, Bruxelles, Maelström ReEvolutions, 2022, p. 13.

2 Ce chiffre est cité dans l’intervention effectuée par l’Institut fédéral pour la protection et la promotion des droits humains (IFDH) et le Centre fédéral migration (Myria) auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) dans le cadre du suivi de l’exécution de l’affaire Camara c. Belgique par la Cour EDH : IFDH et Myria, « Communication au Conseil des Ministres du Conseil de l’Europe, au sujet de l’exécution de l’affaire Camara c. Belgique », 10 juillet 2024, en ligne, https://hudoc.exec.coe.int/#{%22execidentifier%22:[%22DH-DD(2024)833revF%22]}, consulté le 20 septembre 2024.

3 Moniteur Belge (M.B.), 7 mai 2007.

4 Centre national de Ressources textuelles et lexicales, en ligne, https://www.cnrtl.fr/definition/crise, consulté le 27 mars 2024.

5 A. Bailly, Dictionnaire Grec-Français, Paris, Hachette, 1963 (2e éd.), p. 1137.

6 V. Longhi, Crise, du grec krisis ?, dans Tracés. Revue de Sciences humaines, 2023, no 3, en ligne : https://doi.org/10.4000/traces.15314, consulté le 28 mars 2024.

7 Le terme « réfugié·e » est utilisé dans le présent article pour désigner toute personne en fuite et en recherche d’un refuge. Il fait donc référence aux personnes réfugiées en tant que sujets politiques et non en tant que personnes bénéficiant d’un statut juridique spécifique (v. D. Tatti, Victimes, passeurs, migrants : du franchissement des frontières au dépassement des bornes juridiques, dans Revue de la Faculté de Droit de l’Université de Liège, 2022, no 3, p. 703-704). Les termes « réfugié·e reconnu·e » ou « statut de réfugié·e » font référence à la traduction du terme dans le champ légal au sens de la l’article 1er, A, 2, de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, telle que modifiée par le Protocole de New York de 31 janvier 1967, et désignent une personne qui s’est vue reconnaitre une protection internationale par la Belgique.

8 Ce terme (et d’autres) ont été modifiés par la loi du 21 novembre 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et certaines autres catégories d’étrangers (M.B., 12 mars 2018) ainsi que par la loi du 17 décembre 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (M.B., 12 mars 2018), transposant toutes deux les directives 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (dite « Directive procédure ») et 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (dite « Directive accueil »). Dans la présente contribution, nous parlerons donc de « demandeur·euse d’asile » pour la période antérieure à la loi du 21 novembre 2017 et de « demandeur·euse de protection internationale » pour celle postérieure à celle-ci.

9 A. Hoffman, L’accueil des demandeurs d’asile en Belgique, dans Santé conjuguée, octobre 2005, n34, p. 51.

10 P. Mertens, Terre d’asile, Paris, Grasset, 1978.

11 P. Tshibanda, Un fou noir au pays des blancs, Bruxelles, Bernard Gilson, 1999.

12 Le Petit Château est, à l’origine, une caserne militaire construite au milieu du 19e siècle. Il a ensuite également servi de prison, puis de centre de recrutement des appelés au service militaire. À l’heure actuelle, il est le centre d’arrivée par lequel transitent tou·tes les demandeur·euses de protection internationale, avant d’être réparti·es dans les différents centres d’accueil du pays.

13 Cecileh, L’accueil des demandeurs d’asile : entre avancée et perplexité, dans Alter Echos, 1er février 2007, n222, en ligne : https://www.alterechos.be/l8217accueil-des-demandeurs-d8217asile-entre-avanceacutee-et-perplexiteacute/, consulté le 3 avril 2024.

14 Articles 70 et 71 de la loi-programme du 2 janvier 2001, M.B., 3 janvier 2001, Erratum, M.B., 13 janvier 2001.

15 Par la loi-programme du 19 juillet 2001, M.B., 28 juillet 2001. 

16 Loi du 12 janvier 2007 précitée et directive 2013/33/UE du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), J.O.U.E., L-180/96, 29 juin 2013.

17 L’article prévoit que l’accueil peut prendre la forme d’une aide matérielle ou d’une aide sociale du CPAS. Dans la pratique, la possibilité d’obtenir une aide sociale est très réduite. Voir : D. Bouchat, C. Grafé, et I. Doyen (dir.), Procédure d’asile, politique d’accueil et rôle des intervenants, dans R.D.E., 2010/5, n161, p. 636-639 ; J. -C. Stevens, La légalité de certaines pratiques en matière d’accueil, dans R.D.E., 2011/3, n164, p. 328-332.

18 Conformément à la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale, M. B., 5 aout 1976.

19 Proposition de résolution relative à la crise de l’accueil des demandeurs d’asile, Doc., Ch., 2010-2011, n57/1, p. 3.

20 Loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, M. B., 31 décembre 1980.

21 J. Debelder, Les mobilisations solidaires envers les personnes migrantes. Une modalité locale de la gestion des diversités pour un bénéfice partagé ?, dans Études de l’IRFAM, 2020, p. 7, en ligne : https://irfam.org/wp-content/uploads/etudes/Etude012020.pdf, consulté le 20 mars 2024.

22 Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides, Rapport annuel 2015, p. 10-11, en ligne, https://www.cgra.be/sites/default/files/jaaverslagen/rapportannuel_cgra_2015.pdf, consulté le 29 mars 2024.

23 Nieuwe Vlaamse Alliantie, parti nationaliste flamand.

24 C. Balty, V. Misiaen, De la crise de l’accueil à la crise provoquée. Évolution des dénominations en contexte migratoire belge, dans Mots. Les langages du politique, 2022, no 129, p. 39, en ligne : https://doi.org/10.4000/mots.29855, consulté le 27 mars 2023.

25 On notera cependant que le discours semble varier en fonction du public. Invité au colloque sur les 10 ans de la loi accueil organisé par FEDASIL en 2017, il utilise les termes bed, bad, brood en begeleiding, réintégrant l’accompagnement (begeleiding) dans sa formule, terme pourtant systématiquement omis dans ses sorties médiatiques. FEDASIL, 10 Jaar opvangwet, 20 octobre 2017, en ligne, https://www.fedasil.be/nl/nieuws/opvang-asielzoekers/10-jaar-opvangwet, consulté le 27 mars 2024.

26 M. Reyenebeau, Bed, bad en genadebrood, dans De Standaard, 24 aout 2015, en ligne, https://www.standaard.be/cnt/dmf20150823_01830408, consulté le 27 mars 2024.

27 Note de politique générale Asile et Migration – Simplification administrative, Doc., Ch., 2015-2016, no 1428/19, p. 6.

28 Ibid., p. 9-11.

29 Fedasil, Un plan de répartition des demandeurs d’asile, 27 novembre 2015, en ligne, https://www.fedasil.be/fr/actualites/accueil-des-demandeurs-dasile/un-plan-de-repartition-des-demandeurs-dasile, consulté le 27 mars 2024.

30 L.M. Bataille, Plan de répartition et création de places en ILA : information aux communes et CPAS, en ligne, https://www.uvcw.be/etrangers/actus/art-543, consulté le 23 septembre 2024.

31 Le plan ne sera jamais activé, malgré l’adoption, en mai 2016, d’un arrêté royal fixant quatre critères déterminant le nombre demandeur·euses d’asile que chaque commune devrait accueillir. Arrêté royal du 17 mai 2016 fixant les critères d’une répartition harmonieuse entre les communes des places d’accueil pour les demandeurs d’asile M.B., 10 juin 2016.

32 Communiqué de presse du secrétaire d’État Theo Francken, 3 juin 2016, en ligne : https://www.fedasil.be/sites/default/files/communique_presse_theo_francken_reduction_reseau_accueil_03062016_2.pdf, consulté le 2 avril 2024.

33 Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers), Accueil des demandeurs d’asile : une nouvelle crise annoncée ? Communiqué de presse – 2 juin 2016, en ligne : https://www.cire.be/communique-de-presse/accueil-des-demandeurs-d-asile-une-nouvelle-crise-annoncee-communique-de-presse-2-juin-2016/, consulté le 2 avril 2024.

34 A. Rea, A. Roblain, et J. Hertault, Les hébergeur∙euses des exilé∙es de la Plateforme citoyenne, dans Héberger des exilé·es. Initiatives citoyennes et hospitalité, éd. Rea A., Roblain A., et Hertault J., Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2023, p. 61.

35 Ibid., p. 73-74.

36 Rédaction, Crise de l’asile, la plateforme citoyenne cesse ses activités au parc Maximilien, dans Le Soir, en ligne, https://www.lesoir.be/art/1002542/article/actualite/belgique/2015-09-29/crise-l-asile-plateforme-citoyenne-cesse-ses-activites-au-parc-maximilien, consulté le 2 avril 2024.

37 Bel-refugees – Plateforme citoyenne, en ligne : https://www.bxlrefugees.be/, consulté le 2 avril 2024.

38 Le Règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte), J.O.U.E., L 180 du 29 juin 2013, p. 31-59, ou « règlement Dublin », établit des critères de répartition des demandeur·euses de protection internationale entre les différents États membres de l’UE. Un critère important est celui de la responsabilité du premier État d’entrée pour le traitement de la demande de protection internationale, qui empêche les réfugié·es de demander une protection internationale dans les autres États membres et fait peser une charge démesurée sur les États frontaliers de l’UE (Italie, Grèce, Hongrie,…). Il en résulte que « le système Dublin a pour effet de produire des situations locales d’urgence humanitaire dans l’ensemble de l’UE », J. Debelder, op. cit., p. 8.

39 Belga, Émoi sur Facebook : Theo Francken parle de « #nettoyer » le parc Maximilien, RTBF Info, 14 septembre 2017, en ligne : https://www.rtbf.be/article/emoi-sur-facebook-theo-francken-parle-de-nettoyer-le-parc-maximilien-9709282, consulté le 2 avril 2024.

40 Belga, Pour démanteler le parc Maximilien, tous les migrants en transit seront conduits au centre fermé 127 bis, RTBF Info, 10 septembre 2018, en ligne, https://www.rtbf.be/article/pour-demanteler-le-parc-maximilien-tous-les-migrants-en-transit-seront-conduits-au-centre-ferme-127bis-10015027, consulté le 2 avril 2024. Les termes « hub migratoire » sont utilisés en référence au hub humanitaire qui a vu le jour en 2017 et regroupe, outre la Plateforme citoyenne, des organisations de la société civile, des collectifs et des bénévoles.

41 Voir notamment N. G. Schiler, L. Basch et C. Blanc-Szanton, Transnationalism : a New Analytic Framework for Understanding Migration, dans Annals of the New York Academy of Sciences, vol. 645, 1992/7, no 1, p. 1‑24.

42 O. Leherte, Transmigrant : un mot qui fait son chemin, dans RTBF Info, 8 décembre 2018, en ligne : https://www.rtbf.be/info/inside/detail_transmigrant-un-mot-qui-fait-son-chemin?id=10078922, consulté le 27 mars 2024.

43 S. De Potter, Transmigrant haalt de ziel uit de vluchteling en herleidt de mens tot een koud statistiekwoord, dans De Morgen, 4 février 2018, en ligne, https://www.demorgen.be/nieuws/transmigrant-haalt-de-ziel-uit-de-vluchteling-en-herleidt-de-mens-tot-een-koud-statistiekwoord~b72cf89a/, consulté le 27 mars 2024. L’« affaire Mawda », du nom de l’enfant kurde de deux ans qui a trouvé la mort des mains de la police dans le cadre d’une opération de traque aux « transmigrant·es », constitue le paroxysme de cette rhétorique déshumanisante. Pour une analyse de la notion de « transmigrant·e » dans le contexte des opérations de traque aux « transmigrant·es », voir S. Klimis, Mawda c. Medusa, Donner un visage à la criminalisation des migrants en Europe, Paris, Le bord de l’eau, 2024, p. 127-135.

44 A. Costa Santos, De quoi le transit est-il le nom ? Ce qu’il fait aux discours, aux pratiques de l’accueil, aux migrations, dans Revue Akène, avril 2024, no 8, p. 63-64, en ligne : https://www.legrainasbl.org/wp-content/uploads/2024/04/akene8.pdf, consulté le 23 septembre 2024.

45 J.‑B. Farcy et N. Desguin, « Transmigrant » : un vocable réducteur pour des réalités juridiques multiples, dans R.D.E., 2019, no 196, p. 685.

46 Dans le procès dit « de la solidarité », l’acte d’appel de l’avocat général indiquait : « Je me permets d’insister sur la priorité à réserver à l’examen de cette affaire, parce que : Il y a lieu d’accorder un statut prioritaire à ce dossier vu son importance dans le cadre de la détermination de la politique criminelle du Collège des PG. L’arrêt sera un élément d’appréciation très importante (sic) pour déterminer cette politique criminelle. » (soulignements d’origine). Sur ce procès, voir : A. Van Gestel, La solidarité envers les migrants n’est pas un crime, dans La Revue Nouvelle, vol. 6, n6, 2022, p. 38-47 ; M. Berghe, Chair à camions, Paris, La boite à Pandore, 2021.

47 C. Macq, Droit pénal et lutte contre les migrations irrégulières, dans Les dossiers de la Revue de Droit Pénal et de Criminologie - n° 29, Bruxelles, La Charte, 2022.

48 D. Tatti, Victimes, passeurs, migrants : du franchissement des frontières au dépassement des bornes juridiques, dans Revue de la Faculté de Droit de l’Université de Liège, 2022, n3, p. 675-704.

49 Voir le témoignage d’une hébergeuse repris dans le livre : Welcome, Sept personnes inculpées pour « trafic d’êtres humains » témoignent, Bruxelles, Antidote, 2021, p. 136.

50 En amont des poursuites, le chilling effect résulte déjà des dispositions de droit européen et de droit belges en la matière. M. Hardt, Les difficultés d’appréhension et espaces d’instrumentalisation de la lutte contre l’immigration irrégulière. Procès des douze : qui incrimine-t‑on ?, dans Annales de Droit de Louvain, vol. 78, 2018, no 3, p. 531-534.

51 Réunion extraordinaire du Conseil « Justice et affaires intérieures », 27 février 2022, en ligne : https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/jha/2022/02/27/, 23 septembre 2024.

52 Commission européenne, Proposition de décision d’exécution du Conseil constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, 2 mars 2022, COM/2022/91.

53 Conseil « Justice et Affaires intérieures », Décision d’exécution (UE) 2022/382 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, 4 mars 2022, ST/6846/2022/INIT.

54 Si l’on excepte l’accueil des boat people entre la fin des années septante et les années nonante, voir K. Meslin, Accueil des boat people : une mobilisation politique atypique, dans Plein droit, 2006/3 no 70, p. 35-39, en ligne : https://doi.org/10.3917/pld.070.0035, consulté le 23 septembre 2024.

55 L’article 11 de la Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil (J.O.U.E., L 21, 27 aout 2001) ou « directive protection temporaire », précise : « Un État membre reprend une personne bénéficiant de la protection temporaire sur son territoire si celle-ci séjourne ou cherche à entrer sans autorisation sur le territoire d’un autre État membre pendant la période couverte par la décision du Conseil visée à l’article 5. Les États membres peuvent, sur la base d’un accord bilatéral, décider que la présente disposition ne s’applique pas ». Par une décision du 4 mars 2022, les États de l’UE ont décidé de ne pas appliquer cette disposition (Décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, J.O.U.E., L 71 du 4 mars 2022, p. 1-6).

56 Voy. notamment H. Lambert, Temporary Refuge from War: Customary International Law and the Syrian Conflict, dans International & Comparative Law Quarterly, 2017, no 66, p. 741 et s.

57 Euronews, Possible « migration de masse » depuis l’Afghanistan : l’UE commence à dévoiler sa stratégie, 27 aout 2021, en ligne : https://fr.euronews.com/my-europe/2021/08/27/possible-migration-de-masse-depuis-l-afghanistan-l-ue-commence-a-devoiler-sa-strategie, consulté le 5 avril 2024.

58 S. Gakis, L’activation de la directive « Protection temporaire » : l’apport d’un instrument sui generis à la protection des personnes déplacées, dans R.T.D.H., vol. 4, 2002, n132, p. 773.

59 M. Buisson et P. -Y. Thienpont, « La double peine des étrangers qui fuient la guerre en Ukraine », dans Le Soir, 28 février 2022, en ligne : https://www.lesoir.be/427141/article/2022-02-28/la-double-peine-des-etrangers-qui-fuient-la-guerre-en-ukraine, consulté le 13 mars 2024.

60 Ainsi, dès le mois de mars, le gouvernement appelle les citoyen·nes belges à accueillir des « réfugié·es ukrainien·nes » : A. Stas, Les communes lancent un appel aux citoyens pour répertorier les logements disponibles pour accueillir les réfugiés ukrainiens, dans RTBF, 1er mars 2022, en ligne : https://www.rtbf.be/article/les-communes-lancent-un-appel-aux-citoyens-pour-repertorier-les-logements-disponibles-pour-accueillir-les-refugies-ukrainiens-10946122, consulté le 3 avril 2024.

61 Y.L. Vertongen et A. Costa Santos, Des discours aux modes de faire hospitaliers. L’accueil des réfugiées ukrainiennes en Belgique, dans La Revue Nouvelle, 2022, no 6, p. 63.

62 Christen-Democratisch en Vlaams (parti chrétien démocrate flamand).

63 Note de politique générale Asile et Migration du 28 octobre 2022, Doc., Ch., 2022-2023, n2934/6, p. 3.

64 Belga, Une longue file devant le centre pour demandeurs d’asile du Petit Château à Bruxelles, dans Le Vif, 25 juillet 2022, en ligne, https://www.levif.be/belgique/une-longue-file-devant-le-centre-pour-demandeurs-dasile-du-petit-chateau-a-bruxelles/, consulté le 5 avril 2024.

65 collectif, De la « crise de l’accueil » au déni d’accueil comme indécente normalité, 25 mai 2023, en ligne : https://www.cire.be/communique-de-presse/rapport-crise-accueil/, consulté le 12 avril 2024.

66 IFDH et Myria, op. cit.

67 Collectif, Politique de non-accueil. État des lieux, octobre 2023-mars 2024, p. 4, en ligne, https://medecinsdumonde.be/system/files/publications/downloads/politique-non-accueil-rapport.pdf, consulté le 20 septembre 2024.

68 Par ex. : N. Muhammad, Kan Nicole de Moor de opvangcrisis oplossen ?, dans Knack, 8 juillet 2022, en ligne : https://www.knack.be/nieuws/belgie/politiek/kan-nicole-de-moor-de-opvangcrisis-oplossen/, consulté le 5 avril 2024.

69 Par ex.: T. Van Berlaer, Nicole de Moor trekt aan de kar van een grote Europese migratiehervorming: « Laatste kans voor Europa », dans Knack, 6 juin 2023, en ligne : https://www.knack.be/nieuws/belgie/nicole-de-moor-trekt-aan-de-kar-van-een-grote-europese-migratiehervorming-dit-is-de-laatste-kans-voor-europa/, consulté le 5 avril 2024.

70 M.-L. Mathot, 35.000 places au total ? 9000 de plus en un an et demi ? Quelle est la réelle capacité du réseau d’accueil pour les demandeurs d’asile en Belgique ?, dans Le Soir, 3 octobre 2023, en ligne : https://www.rtbf.be/article/35000-places-au-total-9000-de-plus-en-un-an-et-demi-quelle-est-la-reelle-capacite-du-reseau-daccueil-pour-les-demandeurs-dasile-en-belgique-11265899, consulté le 9 avril 2024. Entretemps, la « réforme profonde » appelée des vœux de la SEAM a eu lieu. Le 14 mai 2024, un « Pacte de l’UE sur la migration et l’asile », contenant une série de réformes essentielles de la politique européenne de migration et d’asile, a été adopté par le Conseil de l’UE, puis publié au Journal officiel le 22 mai 2024.

71 Réunion informelle des chefs d’État ou de gouvernement, Grenade, 6 octobre 2023, en ligne : https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/european-council/2023/10/06/, consulté le 9 avril 2024.

72 Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 6 octobre 2022, en ligne : https://www.tribunaux-rechtbanken.be/fr/tribunal-du-travail-francophone-de-bruxelles/news/1486, consulté le 10 avril 2024.

73 Parquet du procureur du Roi de Bruxelles, 24 juin 2022, en ligne : https://www.om-mp.be/fr/article/communique-presse-bruxelles-4, consulté le 10 avril 2024.

74 Cour eur. D. H., arrêt Camara c. Belgique, 18 juillet 2023, § 85.

75 Ibid., § 121.

76 Voir notamment : C. trav. Bruxelles, R. G. 2023/CB/3, 4 mai 2023, en ligne : http://www.terralaboris.be/IMG/pdf/ctb_2023_05_04_2023_cb_3.pdf, consulté le 20 septembre 2024.

77 Réponse donnée à la question n° 807 de T. Roggeman, Q.R., Ch., 2022-2023, séance du 9 mars 2023, p. 376.

78  J. Poppelmonde, Deurwaarder klopt aan bij premier De Croo omdat regering geen dwangsommen aan asielzoekers betaalt, dans De Standaard, 3 mars 2023, en ligne : https://www.standaard.be/cnt/dmf20230303_95216633, consulté le 12 avril 2024.

79 Belga, Pourquoi un congélateur et une machine à café ont été saisis au cabinet de Nicole de Moor, dans Moustique, 11 janvier 2024, en ligne : https://moustique.lalibre.be/actu/belgique/2024/01/11/pourquoi-un-congelateur-et-une-machine-a-cafe-ont-ete-saisis-au-cabinet-de-nicole-de-moor-276370, consulté le 12 avril 2024. On notera que de nouvelles saisies ont encore été effectuées tout récemment, cette fois-ci sur les comptes bancaires de FEDASIL et de l’État belge. Voir : A. Sente, Crise de l’accueil : 2,9 millions d’euros pourraient être saisis chez Fedasil, dans Le Soir, 2 février 2024, en ligne : https://www.lesoir.be/565625/article/2024-02-02/crise-de-laccueil-29-millions-deuros-seront-saisis-fedasil-sur-decision-de, consulté le 14 février 2024.

80 C.E. (11e ch. réf.), 13 septembre 2023, no 257.300, OBFG et. al.

81 A. Hovine, Ceci n’est pas une crise, c’est une honte, dans La Libre Belgique, 14 décembre 2022, en ligne : https://www.lalibre.be/debats/edito/2022/12/14/ceci-nest-pas-une-crise-cest-une-honte-K5FI5Q3MC5A5NHXKTT2NO33ZNY/, consulté le 10 avril 2024.

82 Voir notamment : Comment sortir de la crise de l’accueil ? Une journée pour envisager des solutions, en ligne : https://www.cire.be/publication/comment-sortir-de-la-crise-de-laccueil/, consulté le 9 avril 2024

83 Réseau ADES, en ligne : http://www.reseauades.net/fronts-et-groupes/, consulté le 9 avril 2024.

84 Coupole associative, en ligne : http://stop-crise-accueil.be/, consulté le 9 avril 2024.

85 Les volontaires du Réseau ADES parlent des réfugiés en disant les « gars ». Au-delà des référents juridiques ou militants, le terme est intéressant puisqu’il résume la condition commune des personnes qui se retrouvent exclues de l’accueil : des hommes seuls, qui ne peuvent prétendre au statut de vulnérabilité que l’on reconnaît à d’autres.

86 Notamment : F. Matthieu, Politique d’accueil : le calice jusqu’à la lie, dans La Libre Belgique, 19 janvier 2023, en ligne : https://www.lalibre.be/debats/edito/2023/01/19/politique-daccueil-le-calice-jusqua-la-lie-CUY42VMCXNENLF77WPAL2WBJXA/, consulté le 9 avril 2024.

87 Notamment : Collectif, Migration : qu’allons-nous pouvoir dire à nos étudiants ?, dans Le Soir, en ligne : https://www.lesoir.be/538243/article/2023-09-20/migration-quallons-nous-pouvoir-dire-nos-etudiants, consulté le 9 avril 2024.

88 Encore récemment, le 20 septembre 2024, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe constate que les mesures prises par la Belgique sont insuffisantes pour résoudre la « crise » de l’accueil. IFDH et Myria, Crise de l’accueil : l’Europe pointe à nouveau les manquements de la Belgique, en ligne : https://www.myria.be/files/Communiqu%C3%A9_de_presse_%E2%80%93_Crise_accueil_%E2%80%93_Europe_pointe_manquement_Belgique_%E2%80%93_Myria_IFDH.pdf, consulté le 25 septembre 2024.

89 B. Pleysier, 25 jaar asielopvang, dans Samenleving & Politiek, 2011, no 1, p. 4, en ligne, https://www.sampol.be/2011/01/25-jaar-asielopvang, consulté le 27 mars 2024.

90 Le terme est emprunté à : A. Mbembe, Nécropolitique, dans Raisons politiques, 2006/1, no 21. p. 29-60. En ligne : https://doi.org/10.3917/rai.021.0029, consulté le 24 septembre 2024.

91 V. Longhi, Krisis ou la décision génératrice. Épopée, médecine hippocratique, Platon, Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2020, p. 289.

92 Les traductions du terme vont de séparer, à distinguer, choisir, et préférer. A. Bailly, op. cit., p. 1137.

93 H. Arendt, L’impérialisme – Les origines du totalitarisme, Paris, Seuil, 2006, p. 296-299.

Pour citer cet article

Diletta Tatti & Marie Doutrepont, «De quoi la « crise de l’accueil » est-elle le nom ? Les réfugié·es entre signifiants juridiques, discours gouvernementaux, traitements médiatiques et pratiques de solidarité», C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société [En ligne], vol. 48 - 2024, URL : https://popups.uliege.be/1370-2262/index.php?id=1844.