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Philippe Desmette

Paroisses et pouvoir civil au travers des siècles : je t’aime moi non plus ?
Avant-propos

(Vol. 44 - 2022)
Article
Open Access

1Fréquemment, la presse se fait l’écho de tensions entre fabriques d’église et autorités communales. La question financière – au-delà d’éventuelles dissensions idéologiques – n’y est pas pour peu. Le vieillissement des édifices cultuels souvent anciens dont les coûts d’entretien et de rénovation se révèlent de plus en plus lourds pèse lourdement sur les finances publiques. Le recul de la pratique religieuse, mais aussi la laïcisation croissante de nos sociétés depuis le début du XIXe siècle et le développement de la multiculturalité rendent plus épineuse encore cette problématique. Le patrimoine des « églises » d’Ancien Régime qui passa aux nouvelles entités paroissiales en 1803 et fut placé sous le contrôle des fabriques d’église, sous statut d’établissement public, créées en 1809 peut se révéler, aujourd’hui encore, complexe à gérer.

2Cette réalité contemporaine doit amener l’historien à un questionnement rétrospectif : comment les paroisses d’Ancien Régime étaient-elles gérées et organisées ? Il ne s’agit pas ici d’évoquer la direction spirituelle de celles-ci, aux mains du clergé local ou diocésain, mais bien la gestion de leur temporel. En d’autres termes, quels furent sous l’Ancien Régime les rapports entre la paroisse d’un côté et les autorités civiles de l’autre ? Et quelle était la place de ces dernières dans ce domaine ?

3En préalable, il convient d’envisager la définition même d’institutions paroissiales. Ou, pour le dire autrement, quelles institutions constituaient la paroisse ? Ce qu’il est convenu d’appeler l’église ou la fabrique, chargée d’entretenir le temple local et de permettre l’exercice du culte, cela va de soi. Ensuite les chapelles et confréries installées dans l’église et dont la gestion revenait généralement à un groupe limité de personnes. Au-delà se pose la question des écoles qui se multiplièrent à la suite des troubles religieux du XVIe siècle. Et il ne faudrait pas oublier les tables des pauvres ou du Saint-Esprit, chargées de venir en aide aux nécessiteux de la paroisse.

4Une fois le cadre défini, on peut d’abord envisager la question du fonctionnement au quotidien de ces institutions. Quelles sont les personnes qui interviennent pour assurer une gestion régulière, veiller à percevoir les revenus et régler les débours ? On pense notamment aux receveurs et autres mambours, des laïcs le plus souvent. Quelles sont les limites de leur pouvoir ? Par qui et comment sont-ils désignés et sur la base de quels critères ?

5En corolaire, on peut envisager la manière dont s’opérait la supervision de ce travail journalier, c’est-à-dire sous l’angle de l’autorité ou des autorités compétente(s) en la matière. Leur rôle s’avérait essentiel en matière de contrôle, mais revêtait également une dimension plus « politique » en ce qui concerne les décisions majeures à prendre. Cela implique de déterminer quelles étaient les personnes qui intervenaient ici : clergé paroissial, autorités civiles, paroissiens, habitants,… ? Avec régulièrement des interactions complexes, non toujours dénuées de rivalités. Reste ensuite à tenter de saisir ce qui explique et légitime leurs interventions. En d’autres termes quel est le fondement, quelle est la base juridique de leur présence dans ces tâches administratives ? Dans cette perspective, les textes législatifs, qu’ils soient ecclésiastiques ou civils, constituent des sources essentielles qui viennent en complément des documents de la pratique. Mais cela sous-tend également la question d’une éventuelle concurrence entre normes civile et ecclésiastique.

6Cette supervision et ce contrôle peuvent être envisagés également à un autre échelon, extérieur à la paroisse, celui des autorités supérieures. On connaît ici les interventions en ce sens lors des visites pastorales qui sont à mettre en lien avec la volonté croissante des autorités ecclésiastiques, épiscopales notamment, à partir du XVIe siècle, d’assurer un contrôle sur les institutions locales. Mais en est-il d’autres ? On pense aux interventions d’institutions civiles, régionales notamment.

7Au-delà d’une meilleure connaissance des sociétés d’Ancien Régime, ces interrogations doivent avoir une visée prospective. Notamment en matière archivistique. Les fabriques, instituées en 1809 héritières ­– en matière immobilière comme immobilière – d’institutions d’un autre temps, c’est un fait. Doit-on pour autant considérer que le caractère public ou communal des biens d’Ancien Régime – en ce compris les archives – est établi ? Ce serait sans doute impliquer des catégories actuelles à des réalités passées.

8Ces questions seront ici abordées dans le cadre des anciens Pays-Bas et de la principauté de Liège. Cela permettra de saisir des situations variées et d’envisager à la fois des contingences diocésaines et civiles. Par ailleurs, il importait d’envisager à la fois le monde urbain et le monde rural, dont les spécificités institutionnelles peuvent influer sur le fonctionnement des institutions paroissiales. En outre, le choix d’une perspective chronologique longue, du bas moyen âge à la fin de l’Ancien Régime, permettra de percevoir les évolutions au sein de ces différents cadres.

Pour citer cet article

Philippe Desmette, «Paroisses et pouvoir civil au travers des siècles : je t’aime moi non plus ?», C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société [En ligne], Vol. 44 - 2022, URL : https://popups.uliege.be/1370-2262/index.php?id=1424.

A propos de : Philippe Desmette

 Docteur en Philosophie et Lettres, Philippe Desmette est aujourd'hui Doyen de la faculté de Philosophie, Lettres et Sciences humaines de l'Université Saint-Louis - Bruxelles, professeur d'histoire moderne et membre du CRHiDI. Ses recherches s'articulent autour de deux grands axes. D'abord l'histoire religieuse des anciens Pays-Bas (XVIe - XVIIIe siècle), avec un intérêt particulier pour les pratiques de piété (conféries, indulgences, pèlerinages, etc.), également les instituions paroissiales et leurs rapports avec les autorités supérieures ainsi que l'épiscopat. Il a notamment publié DE VRIENDT F. et DESMETTE Ph. (éd.), Le culte des saints anciens au temps de la Réforme catholique, Bruxelles, Société des Bollandistes, 2020, 300 p. (Subsidia hagiographica, 98).