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- vol. 48 - 2024
- Vécus et pratiques quotidiennes d’un collectif comme outils de lutte et de résistance pour l’auto-détermination et la reconnaissance. Récit de la Voix des Sans-Papiers (Bxl), mêlant les voix d’une « première concernée » et d’une « alliée »
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Vécus et pratiques quotidiennes d’un collectif comme outils de lutte et de résistance pour l’auto-détermination et la reconnaissance. Récit de la Voix des Sans-Papiers (Bxl), mêlant les voix d’une « première concernée » et d’une « alliée »
Résumé
Les mobilisations des personnes « sans-papiers », visant à l’obtention d’une régularisation de leur situation administrative, tiennent lieu aujourd’hui de figures de proue des luttes sociales contemporaines. Elles sont souvent rendues visibles à la population lors d’actions de nature performative et éphémère. Cependant, ce combat a également lieu à travers des engagements plus ténus s’inscrivant dans le quotidien de ces personnes et sur le long cours. En s’appuyant sur une ethnographie réalisée avec le collectif de la Voix des Sans-Papiers de Bruxelles, cet article propose d’analyser la pluralité des temporalités qui traverse ces mobilisations. L’idée est de comprendre comment des modes d’actions, qui se pensent dans une certaine immédiateté de résultat parce qu’elles parent à l’urgence du quotidien, peuvent s’écrire en parallèle et en interaction à d’autres modalités d’actions, dont autant la mise en œuvre que les effets nécessitent une inscription dans le temps long. Ces nouvelles formes de mobilisations, en engageant la production de savoirs en tant qu’outils de lutte, permettent finalement de penser un élargissement du répertoire d’actions collectives afin d’inscrire durablement un mode d’existence et de présence politique des personnes en exil. Cet article est une écriture à quatre mains, mêlant une « première concernée » et une « alliée », qui expérimente la possibilité de porter les voix du terrain, au-delà de la récolte de données, dans les espaces académiques. La volonté de relier un discours académique à un discours articulé directement à des luttes fait de ce papier un écrit engagé.
Abstract
Today, the mobilisation of irregular migrants to obtain regularisation of their administrative situation is an integral part of contemporary social struggles. They are often made visible to the general public through performative and ephemeral actions. However, this struggle also takes place through less perceptible commitments of these people’s daily lives and over the long term. Based on an ethnography conducted with the ‘Voix des Sans-Papiers’ collective in Brussels, this article proposes to analyse the plurality of temporalities that cross these mobilisations. The idea is to understand how modes of action, which are conceived in terms of a certain immediacy of result because they relate to the urgency of everyday life, can be written in parallel and in interaction with other modes of action, whose implementation and effects require a long-term perspective. By engaging in the production of knowledge as a tool of struggle, these new forms of mobilisation finally make it possible to broaden the repertoire of collective action to inscribe a mode of existence and political presence for migrants. This article is a four-handed collaboration between a first concerned and an ally, experimenting with the possibility of bringing the voices of the field, beyond data collection, into academic spaces. The desire to link an academic discourse with a discourse directly linked to struggles makes this paper a politically committed writing.
Inhoudstafel
Avant-propos
1En préambule, il nous semble important de revenir, d’un point de vue méthodologique, sur le dispositif de recherche et les conditions d’écriture de cet article. Ce dernier a été écrit à deux voix avec un « nous » militant, qui mêle une « première concernée »1 et une « alliée »2. Le processus de réflexion, duquel il émerge, s’inscrit sur un temps long de quatre années et réunit une multitude de protagonistes3 en commençant par des membres du collectif de la Voix des Sans-Papiers (Bxl) et du projet Y’EN A MARRE !!! (YEAM !!!)4, dont les voix sont présentes à travers des extraits d’entretien dans cet article. Ce récit s’appuie ainsi sur tout un ensemble d’échanges collectifs, bien en amont de cette écriture autant que pendant. Par ailleurs, le terrain sensible sur lequel porte cette étude ainsi que nos positions respectives et reliées font de ce travail un écrit engagé. Cependant, nos positions sont aussi les marqueurs d’intérêts propres sur lesquels nous revenons, en employant chacune le « je ».
2Aïsta : Au début, il y a eu une proposition de travailler avec Florence. Il a été suggéré que je porte ce projet, au nom du collectif. Je me suis questionnée sur ma place dans un projet universitaire, parce que, même si j’ai fait des études en Guinée, je ne me sentais pas légitime de travailler avec une chercheuse, « blanche » de surcroît. Mais la confiance des autres membres et de Florence, ainsi que le privilège de parler au nom du collectif m’ont convaincue. Je suis restée proche de notre manière habituelle de collaborer avec le collectif : on discute et on construit notre propos à plusieurs.
3La question du choix de nos mots et de la manière différente que nous avons de parler avec Florence ont été deux points importants de nos échanges. Je ne voulais pas faire semblant de parler comme une universitaire lors des présentations orales, ce n’est pas notre réalité. Nos mots ne sont pas académiques, ce sont des mots qui dénoncent le racisme, les discriminations et les problèmes causés par le manque d’octroi de droits. Cette collaboration a été une opportunité pour moi d’apprendre des choses et cela m’a donné envie de faire des études. Plus encore, ce projet m’a aidé dans ma réalité, car lors de l’écriture, j’ai reçu une décision négative à ma demande 9bis5. Or, le fait d’être considérée dans un projet officiel m’a permis de ne pas me décourager, de me dire que j’ai une place et que j’irai jusqu’au bout pour avoir des papiers. J’ai vraiment apprécié cette expérience et cela a créé un lien très fort entre nous.
4Florence : Je fréquentais l’espace de lutte qu’est la VSP-Bxl à travers un engagement politique, avant de l’entrevoir comme un terrain de recherche. C’est donc progressivement que mon intérêt pour la recherche mêlé à mon positionnement initial de militante sont entrés, non sans difficulté, en négociation. Cet écrit s’appuie, entre autres, sur une ethnographie6 de trois années durant laquelle j’ai collaboré avec plusieurs membres du collectif, les invitant à des relectures, à discuter de la pertinence de la recherche, etc. Néanmoins, le contexte de production et ses échéances ont eu des effets limitants sur cette collaboration, ne me permettant pas de la poursuivre jusqu’au bout lors de l’écriture. Ce travail terminé, la question de sa diffusion s’est posée. Il était impossible épistémologiquement et éthiquement ainsi que non pertinent de le faire sans des membres de la VSP-Bxl. Sans nier mon intérêt personnel d’une telle publication, j’ai proposé une collaboration afin de réfléchir ensemble à la manière de porter les voix du terrain, au-delà de la récolte de données, dans les espaces académiques, notamment en expérimentant cette écriture7 à deux voix. Par ailleurs, de nombreux aller-retours ont continué avec plusieurs responsables et des alliées. Nous avons été bien plus que seulement deux voix.
Introduction
5La littérature a largement étudié les mobilisations collectives des personnes dites « sans-papiers »8. Cependant, elle ne prend pas assez en considération l’articulation de la pluralité des temporalités auxquelles les protagonistes de ces luttes sont confronté·es. En effet, les actions collectives étudiées se limitent souvent à une approche par l’immédiateté, qui résonne avec les conditions matérielles épuisantes de survie auxquelles les personnes sont affectées9. Cependant, et afin de pouvoir penser l’efficacité de ces luttes, il nous semble important d’interroger plus en profondeur le rapport au temps dans lequel s’inscrivent ces mobilisations. L’idée est de comprendre comment des modes d’action, qui se pensent dans une certaine immédiateté de résultat, peuvent s’écrire en parallèle et en interaction à d’autres modalités d’actions, dont autant la mise en œuvre que les effets nécessitent une inscription dans le temps long. Une temporalité longue, qui débute sans préméditation, peut, progressivement, devenir une des modalités d’action centrales qui permet de construire et de faire reconnaitre durablement un mode d’existence et de présence politique.
6Cet article propose de décrire la complexité des engagements et des pratiques du collectif autogéré et auto-organisé de la Voix des Sans-Papiers Bxl10 (VSP-Bxl) qui a pris forme au début de l’été 2014. Ce collectif émerge dans la continuité et l’héritage d’une histoire des luttes des « sans-papiers »11, mais à partir d’un contexte spécifique. En effet, en juin 2014, des élections fédérales viennent d’avoir lieu en Belgique et une majorité de droite se dessine, avec à sa tête le parti nationaliste flamand de la Nieuwe Vlaamse Alliantie (NVA). Ce parti prône la fermeté en matière de migration. De plus, depuis 2009 et la dernière « campagne de régularisation dite “massive” » le mouvement des « sans-papiers » en Belgique a des difficultés à se structurer. Ceci est, en partie, dû à un clivage très marqué, au sein de la lutte, entre la figure de « sans-papiers » et celle des personnes demandant l’asile12 et est, notamment, lié à des enjeux de communauté d’origine. Cette nouvelle organisation, que représente la VSP-Bxl, s’est ainsi constituée avec la volonté de créer un nouveau rapport de force en dehors de ce clivage.
7Ce retour sur dix années de lutte de la VSP-Bxl témoigne de l’élargissement du répertoire d’actions collectives au sein de la lutte de personnes dites « sans-papiers » à Bruxelles, à la suite de l’émergence de nouvelles formes de mobilisations. Ces dernières proviennent largement d’espaces de rencontre et de négociation que le collectif13 n’a cessé d’ouvrir et qui engagent la question de la production de savoirs en tant qu’outils de lutte. Dans un premier temps, cet article retrace empiriquement les principaux outils que le collectif de la VSP-Bxl a pu développer, en commençant par les « occupations14 » en tant que première forme de politisation. Ensuite, il souligne la manière dont la VSP-Bxl a, avec cet outil, pris en considération le temps long comme modalité d’action. Il relève également ce que des pratiques inscrites dans une temporalité longue et qui, par conséquent, s’agencent dans le quotidien des « concerné·es », produisent comme propositions politiques et épistémologiques de la part du collectif. Il interroge, finalement, le temps comme un outil de légitimation qui façonne subtilement, mais durablement une reconnaissance à être là.
8Par ailleurs, cet article s’inscrit dans une réflexion méthodologique avec le choix d’une écriture à quatre mains. Comme nous avons pu l’évoquer dans l’avant-propos, nos positions sont reliées mais agissent selon certains intérêts situés et concernés. Cette collaboration s’est donc construite autour de plusieurs nécessités, dont une confiance et un engagement réciproque ainsi que la volonté de mêler nos voix sans dépossession. En effet, un des enjeux majeurs au sein de la VSP-Bxl, et plus largement au cœur de la lutte des personnes « sans-papiers » est la place de l’autonomie15, c’est-à-dire, notamment, de « ne pas parler à la place des concerné·es »16. Il s’agit ici, à la fois de s’extraire d’un paternalisme blanc mais également de l’instrumentalisation d’une parole.
9Florence : De manière corollaire, dans ma recherche, je m’inscris dans des épistémologies critiques, qui m’amène à me demander ce que veut dire « faire de la recherche » en tant que chercheuse blanche, avec des terrains où les rapports de pouvoir sont profondément inscrits dans une asymétrie racialisée. Cette réflexion est d’autant plus présente que c’est mon engagement politique avec le collectif qui m’a amené à la recherche. Ces deux positionnements [allié·e et chercheuse sur le même terrain] entrent sans cesse en négociation et me confrontent à des dilemmes éthiques qui naissent de situations qui se trouvent, comme le dit Thanassekos, « au carrefour de deux exigences »17.
10Les membres de la VSP-Bxl ont acquis une habitude de la prise de parole. Cependant, tous les lieux ne leur sont pas rendus accessibles, parce que ce sont des lieux de pouvoir, parce que ce sont des lieux avec des attentes, des standards. On ne peut, en effet, pas nier que le lieu de la prise de parole va modifier le type de langage employé et les modalités du discours. Or si la forme change, cela ne signifie pas que le fond du discours soit différent. Notre collaboration est ainsi une tentative de dépasser nos positions en permettant la présence de cette parole militante et concerné·e au sein de l’espace académique, au-delà du simple témoignage, en tant que savoir expérientiel. Pour ce faire, ce travail s’est écrit à travers un dialogue sincère et une temporalité longue.
11Aïsta : Savoir que notre lutte ferait partie d’un projet académique était important pour moi, en tant que membre de la VSP-Bxl. Cela m’a donné la possibilité de développer, partager et apprendre à partir d’autres regards pour penser des orientations et des outils d’actions qui contribuent à des résultats concrets sur le terrain. Collaborer dans un projet académique participe donc à penser nos pratiques et à acquérir des compétences qui mobilisent d’autres types de savoirs. Ce sont des apprentissages et des espaces qui nous permettent de nous visibiliser autrement et auprès d’autres personnes. Pour ce faire, on s’est régulièrement vu avec Florence. Nous avons décidé que j’allais écrire avec mes mots. J’aime écrire, mais je n’avais jamais pensé que mes mots puissent être publiés dans ce cadre.
12Florence : Une de nos volontés communes était donc d’inscrire une présence non-académique dans le milieu universitaire. Pour ce faire, il était essentiel que cette proposition réponde, à la fois, à des enjeux et critères académiques (afin d’être publiée), mais aussi à des intérêts politiques pour le collectif, et pour Aïsta. Nous avons ainsi travaillé à mêler nos écritures. L’enjeu a été de réussir à nous retrouver, malgré les deux cadres, et de faire en sorte à la fois que chacune porte ses mots par rapport à sa position et son expérience, mais également que nos voix et nos savoirs se mélangent.
13Ce choix méthodologique n’est pas sans limite et il est probable que cette proposition puisse pour certain·es manquer de radicalité dans l’envie de déplacer le champ académique. L’idée, cependant, n’a pas été de tout bousculer, mais elle a surtout été, d’une part, de continuer à mettre en pratique que la production de savoirs est un outil de lutte et, d’autre part, comme l’expriment Fleury-Vilatte et Walter, de ne pas nier « que l’activité de recherche n’est pas indépendante du monde social »18. Plus encore, cette réflexion méthodologique a pour intention de prendre au sérieux la question du politique dans la recherche universitaire en se demandant à l’instar de Le Grand, « à quels intérêts l’acte de la recherche correspond-il ? »19.
Un rapport au temps élargi comme nouveau cadrage théorique
14La lutte des personnes « sans-papiers »20 a comme première intention, partout où elle a lieu, d’obtenir la régularisation d’un droit de séjour afin de récupérer des droits civiques, juridiques et sociaux21. Ces mobilisations, qui revendiquent de pouvoir vivre dignement, s’inscrivent dans un continuum de résistances et de ripostes depuis les traites négrières, les indépendances et les enjeux post-coloniaux jusqu’aux questions de réparation et de restitution. En Europe, pour un grand nombre d’auteur·es, ces mobilisations deviennent plus nombreuses et visibles à partir de la fermeture des frontières en 1974 – évènement qui a engendré la fin de plusieurs décennies d’une immigration organisée autour du travail22 et qui est allé de pair avec la mise en place de politiques depuis lors, toujours plus restrictives et violentes, en matière d’asile et de migration23. Bien que tardivement étudiées dans le milieu académique, les mobilisations issues de cette lutte ont soulevé un vif intérêt dans la recherche en sciences sociales, depuis la publication en 1988 de l’ouvrage majeur de Siméant, La Cause des Sans-Papiers24.
15Sur un plan théorique, une large partie de la littérature se concentre sur les processus de politisation des migrant·es en situation irrégulière. Des auteur·es remettent en question le postulat « d’improbabilité »25 des mobilisations des personnes « sans-papiers » qui serait dû à leur exclusion du politique26. L’étude des pratiques et des moyens d’action mobilisés au sein de différentes expériences de lutte, comme le propose Siméant, permet ainsi de s’intéresser à ces protagonistes en tant que sujets politiques. Suite à cet ouvrage, de nombreuses autres propositions vont inscrire résolument les mobilisations des personnes « sans-papiers » au cœur des luttes sociales contemporaines27. De ce champ de la littérature émergent plusieurs approches théoriques.
16Un premier axe consiste en des analyses qui portent sur divers types de protagonistes périphériques à la lutte. Le rôle des soutiens28 (qu’il soit individuel, associatif, syndical, etc.) ou les effets de leur présence au sein des mobilisations sont un point d’attention majeur. Cela est en partie dû à l’usage d’un cadrage via la théorie de la mobilisation des ressources, qui, d’une part, a tendance à percevoir les « premier·ères concerné·es » comme n’ayant pas assez de ressources pour agir sans soutien(s)29 ; et d’autre part, et par conséquent, présente les soutiens comme une ressource en tant que telle30. Le rôle des syndicats, par exemple, au sein de ces mobilisations a été investigué dans de nombreuses recherches31. Le lien complexe entretenu avec les syndicats, depuis les années 1970, s’inscrit, de manière non linéaire, entre exclusion et inclusion, apprentissage et instrumentalisation, mainmise d’agenda et force institutionnelle, etc. La place centrale des soutiens dans cette littérature peut aussi se comprendre en tenant compte de la position de l’universitaire, souvent lui·elle-même « soutien » dans ces luttes qui font aussi terrain d’étude. Il n’est, en effet, pas rare qu’un certain engagement personnel soit perçu comme une nécessité éthique, tout autant qu’une condition pour avoir accès à la confiance qui permettra d’entrer dans des espaces de parole moins exposés32. Ces études du champ militant interrogent, notamment, la limite entre le politique, la solidarité et la charité33 ou encore la notion d’allié·e34 dans un espace de lutte qui répond à un système particulièrement oppressif35. Un autre champ de la littérature va, en contre point, se concentrer et prendre au sérieux les pratiques et les discours des « premier·ères concerné·es », ainsi que les contextes politiques dans lesquels ils·elles se situent, afin d’étudier leurs subjectivités, leurs stratégies36, leurs espaces de mobilisations37, ainsi que la structuration de leurs discours38. Dans ce cadre, le concept de « répertoire d’action collective » proposé par Tilly39 est particulièrement mobilisé40 et permet de souligner « l’hétérogénéité des mobilisations et des pratiques en leur sein »41.
17Malgré cette conscience d’une forme d’hétérogénéité des formes d’actions collectives au sein de la lutte des personnes « sans-papiers », la grande majorité de la littérature les aborde à partir du prisme de la grève collective – en particulier la grève du travail et celle de la faim. Par exemple, dans son travail sur les mobilisations qui se sont déroulées entre 1972 et 1990 en France, Siméant démontre la prédominance de la grève de la faim comme moyen d’action. En continuité à ce type de grèves, l’occupation de lieux publics tels que des églises42, qui donnent de la visibilité aux actions, sont également souvent étudiées. De même, les lieux de travail43 sont fréquemment choisis, avec souvent l’appui de syndicats, pour accueillir ces mouvements. Les grèves sont une manière de formaliser un rapport de force en « pesant collectivement sur l’institution »44. L’enjeu de « faire collectif » est alors crucial. Cependant, ces deux types de grève, bien que reliés, relèvent d’enjeux et de contextes différents. En effet, associer cette modalité d’action collective à l’occupation de lieux de travail permet d’insister sur l’utilisation du registre discursif du travailleur·euse. Une étude retrace la généalogie de ce rapport tendu entre droit du travail et droit de séjour, tout en évoquant le quotidien d’une mobilisation à travers le slogan « on est des travailleurs, pas des profiteurs »45. S’appuyer sur ce rapport au travail est une manière pour les personnes sans statut de « faire valoir » leur utilité, leur fonction dans la société et donc de légitimer leur présence. Alors que les grèves de la faim font apparaitre un deuxième registre discursif, plus clivant, qui est celui de l’humanitaire. C’est un rapport de force qui, pour fonctionner, doit pouvoir donner de la visibilité à la souffrance endurée en mettant en lumière des corps éprouvés comme analogie à la violence d’État subie46. En outre, ce moyen d’action n’a rien d’anodin quand on sait ce que cela laisse comme traces sur les corps des grévistes47.
18Ce type de mobilisations, que sont les grèves, se déploie dans une confrontation avec l’État ou une institution et ambitionne « une perturbation politique »48. Or, les études de cas montrent que les modifications législatives dépendent fortement de l’intensité de ce rapport de force49. Il faut donc le rendre le plus « spectaculaire » possible pour mobiliser suffisamment l’attention, via la médiatisation, et réussir à contrer l’asymétrie de pouvoir prégnant50. L’intensité de ces mobilisations est éreintante, et elles n’ont ainsi pas vocation à durer. Elles se déroulent, souvent, sur un laps de temps réduit de quelques semaines ou mois, avec une volonté d’immédiateté de résultat. De plus, lorsqu’elles aboutissent à des réussites, le résultat s’en tient à un accord, généralement, délimité et conditionné soit à un groupe spécifique (ex. uniquement les grévistes), soit à des règles spécifiques (ex. une promesse d’embauche), soit à une temporalité, et jamais aux modalités du système oppressif en tant que tel (ex. le manque de critères clairs dans la loi pour la procédure de régularisation). La littérature scientifique étudie donc majoritairement ces formes de mobilisations relativement médiatisées, dont le temps d’action est voulu le plus court possible, et dont les finalités sont délimitées. A contrario de cette littérature, il est plus rare que des recherches académiques s’intéressent à des formes plus ténues, moins médiatisées d’actions collectives menées par des personnes « sans-papiers », et qui pour avoir un effet ont besoin de s’inscrire sur le long cours.
19Cet enjeu du temps long, qui s’appuie sur des pratiques quotidiennes au sein des mobilisations, n’a pas été totalement ignoré par la littérature. L’étude du « temps à moyen terme » est convoquée, par exemple, par Siméant pour comprendre comment le temps façonne une cause. Pour le démontrer, elle analyse différents espaces de soutien dont elle étudie l’évolution de leur structuration sur une échelle de temps d’une vingtaine d’années51. Veron fait également une proposition intéressante en appliquant le concept, proposé par de Certeau, de « politisation des pratiques quotidiennes »52. Pour ce faire, il étudie deux perspectives de modalité d’actions qu’il a pu observer lors d’une grève de travailleur·euses. Il montre comment la « stratégie » syndicale entre en friction avec la « tactique » des « premier·ères concerné·es » qui se met en œuvre en réaction (de survie) face à « l’âpreté du quotidien »53. Ces pratiques, inscrites dans le quotidien, sont, ici, étudiées en termes d’opportunité individuelle afin de sortir d’une condition d’oppression et d’une grande précarité.
20Bien qu’importantes, ces propositions nous semblent trop restrictives, car, d’une part, elles travaillent l’enjeu du temps long au sein de ces mobilisations en concentrant leurs analyses surtout sur les soutiens et leurs effets sur la lutte – ce qui peut mener à retomber dans l’écueil de la notion « d’improbabilité »54 –. Et d’autre part, lorsqu’il est question de « quotidien », ce dernier est présenté comme un espace où se rejoue sans cesse la survie et non comme un espace où des formes d’actions plus durables, tels que des projets comme Y’EN A MARRE !!! (YEAM !!!)55 initié par la VSP-Bxl, peuvent également être pensées. Il nous semble donc important de pouvoir souligner la pluralité des temporalités. La question de l’efficacité est centrale pour une lutte sociale, telle que celle menée par les personnes « sans-papiers » pour l’obtention de droits, et plus encore pour la fin d’un système oppressif de différenciation. Or, pour que celle-ci soit comprise dans toute sa complexité, le rapport au temps – à travers une pluralité d’échelles, dont le temps long et ce malgré l’urgence des situations de vie – doit être davantage étudié. En nous appuyant sur les pratiques déployées par la VSP-Bxl sur une dizaine d’années, nous allons donc considérer sérieusement cette idée temporelle comme une nouvelle modalité au sein de la mobilisation des personnes « sans-papiers » permettant d’élargir le répertoire d’actions collectives de cette lutte.
21Plus encore, il s’agit de voir comment le temps affecte et façonne les stratégies des personnes « concerné·es ». C’est-à-dire comment les « tactiques quotidiennes », telles que présentées par Veron, qui sont faites de bricolages et parfois d’aspirations déçues, peuvent en s’inscrivant dans le temps long devenir des stratégies. Pour reprendre une conceptualisation proposée par Swyngedouw56, une grande partie de la littérature étudie finalement ce que l’on peut considérer comme des « événements politiques »57, qui tentent de perturber l’ordre établi, à un moment spécifique (souvent bref). A contrario, la VSP-Bxl nous conduit à nous interroger sur la manière dont les collectifs de personnes « sans-papiers » s’inscrivent dans le temps long tout autant que dans l’urgence des situations. Le collectif, en mobilisant le temps comme un outil, ouvre la possibilité d’« une séquence politique »58 qui cherche à complexifier le récit dominant59 à partir de leurs vécus.
Les occupations : une première forme de politisation
22On estime communément que plus d’une centaine de milliers60 de personnes sont contraintes de vivre sans reconnaissance légale en Belgique,61 et ce, parfois durant de longues années. Depuis la restriction des migrations légales, et notamment de travail, en 1974, des choix politiques successifs ont conduit à ce que de nombreux protagonistes sur ces terrains de luttes ont appelé « la fabrique des sans-papiers ». Devenir « sans-papiers », c’est être mis·e aux marges de la société ; c’est-à-dire dans une situation de relégation sociale, spatiale, économique et politique par un État de droit, dont on attendait un accueil, une mise en sécurité, une scolarité, etc. Et en même temps, c’est subir l’exploitation et les discriminations en tant que personnes non-blanches, de la part d’un système productif qui a besoin d’une main-d’œuvre racialisée corvéable et invisible. C’est vivre dans l’insécurité et subir le non ou mal-logement. Ce sont des intimidations, des violences policières et une traque constante, profondément politique, qui installent une peur au quotidien d’un retour forcé. C’est un racisme institutionnel, depuis des regards condescendants dans les administrations ou dans les lieux médicaux aux promesses administratives non tenues. Ce système oppressif installe les personnes « sans-papiers » dans des situations déshumanisantes. Face à cette réalité et afin de pouvoir « tenir », c’est-à-dire survivre, mais également exister (notamment politiquement), les membres de la VSP-Bxl se sont rassemblé·es et organisé·es collectivement à l’été 2014 autour d’un lieu d’habitation, nommé une « occupation ». Ce sont des lieux où les membres vivent, échangent et travaillent également sur les sujets qui les préoccupent quotidiennement. C’est un outil majeur de la lutte ; car comme nous le disons à la VSP-Bxl : « qui parle de collectif de personnes “sans-papiers”, parle aussi de leurs “occupations” ».
23À l’été 2014, une marche, nommée la Caravane Européenne des Migrants62, rejoint Bruxelles, le temps d’un week-end, à l’occasion d’un sommet européen. Lors de ces deux jours, un ensemble d’activités autour de la lutte des personnes « sans-papiers » a lieu, dont des prises de paroles de différents collectifs venant d’Europe, mêlant personnes migrantes aux divers statuts administratifs et soutiens. Depuis la campagne de régularisation de 200963, et hormis le collectif des Afghans Sans Papiers qui a mené plusieurs occupations, la mobilisation en Belgique autour de cette cause n’était plus structurée. Ainsi, de ce week-end de rencontre, nait le besoin pour certaines personnes « sans-papiers » de se rassembler afin d’engager un nouveau rapport de force. Suite à quelques discussions et avec plusieurs soutiens, un lieu est trouvé. C’est une maison de repos laissée à l’abandon. Le collectif se crée ainsi le 27 juin 2014 autour d’un lieu sur la commune de Molenbeek, nommé Ribaucourt64, afin « d’organiser leur mouvement, leur lutte et leur quotidien »65.
24Ce premier espace commun marque les esprits et structure durablement une partie du collectif à travers une volonté d’auto-organisation et d’autogestion. Ces dernières se mettent en place via des assemblées générales, auxquelles l’ensemble des habitant·es doit prendre part, une commission centrale, ainsi qu’une répartition des tâches à travers des commissions spécifiques, comprenant la sécurité, la communication, la propreté, etc., mais également et surtout la participation à la lutte. Un règlement d’ordre intérieur est ainsi voté collectivement et prévoit, notamment, l’obligation d’aller aux manifestations, le respect de la réalisation des tâches internes, le respect du bâtiment et de ses occupant·es. Comme le pointent Deleixhe et Vertongen66, les lieux d’occupation sont très fréquemment les espaces d’organisation de l’activité militante au sein des mobilisations des personnes « sans-papiers ». Mais Ribaucourt ne va pas uniquement être un espace de lutte, cela va également ouvrir une réflexion sur la nécessité d’avoir des lieux de vie stables. C’est ce que partage Modou Ndiaye67, un responsable et porte-parole de la VSP-Bxl.
Au départ, c’était plus des rassemblements politiques des gens, pour faire du plaidoyer, pour avoir la même voix sur la question de la régularisation. Mais par la suite, on a remarqué qu’il y avait aussi la question de la précarité des « sans-papiers » qui était là. Et là, il fallait réfléchir pour voir ce qu’on pouvait proposer pour gérer les deux points en même temps. C’est ce qui nous a poussés […] à nous intéresser aussi à la question sociale qui était là.
25En effet, suite à la constitution du collectif et l’ouverture du lieu, de nombreuses personnes, dont des familles avec enfants, rejoignent l’occupation. En peu de temps, c’est 250 personnes d’une dizaine de nationalités différentes68 qui doivent cohabiter. Face à cette réalité, plusieurs points d’attention ne peuvent donc être ignorés : comment se mobiliser politiquement quand les personnes ne savent pas où elles dormiront demain ni si elles pourront manger ? Les « occupations » sont alors pensées par le collectif comme un moyen pour répondre aux besoins matériels et sociaux primordiaux pour se sécuriser. Plus précisément, il s’agit ici de pouvoir recréer un peu de « stabilité » au sein de ces vies qui parent constamment à l’urgence. Ici s’écrit l’un des rôles centraux des « occupations » telles qu’elles seront organisées et pensées au sein du collectif, car comme le confiait Bintou Touré69, une membre :
S’il n’y a pas cette stabilité, tu ne peux pas penser à la politique. Ça peut te paraitre très loin. Parce que pour avoir la force de mener un combat, il faut s’arrêter. On ne peut pas faire le combat quand on est à genoux.
26Inscrire ces espaces au sein d’un enjeu de stabilité permet donc, d’une part, d’amener du soin à ces vies malmenées, et d’autre part de réunir les conditions pour que d’autres formes de politisation des membres puissent exister (ex. aller manifester). Mais « occuper » un espace ne se fait pas sans « effraction »70 ni sans difficultés. Cette stabilité se construit doucement, pendant plusieurs années, en tâtonnant et en faisant parfois face à de grandes déceptions, voire de violents échecs. Elle se met en place en même temps que l’organisation de la vie quotidienne en collectivité, mêlant autant la gestion de la promiscuité, des désaccords et des conflits internes, que la mise en place des assemblées générales et la distribution de rôles et de tâches, etc. Sans oublier que cela se fait parallèlement à l’organisation de la lutte qui oblige les occupant·es à participer deux fois par semaine aux manifestations. Le souvenir de moments compliqués lors de la composition et du partage des chambres par exemple reste très présent et se revit dans chaque nouveau lieu occupé. Nous sommes nombreux·ses et la cohabitation est parfois compliquée avec l’une ou l’autre personne. Une nouvelle ouverture de bâtiment n’a rien d’anodin. D’un bâtiment à l’autre, le nombre de personnes pouvant être accueillies varie, ainsi que le nombre de personnes par chambre. Cela a parfois pu créer des tensions.
27Les déménagements ont été nombreux (plus de dix-huit en dix ans71). Ceci démultiplia donc les lieux d’occupations, mais également et de manière corollaire, les espaces de rencontres, de négociations et d’alliances (parfois très stratégiques) avec divers protagonistes publics et privés. En effet, un déménagement signifie une expulsion qui résonne avec beaucoup d’incertitudes, un recours en justice, de l’attente, du stress et de la fatigue. Mais, il permet aussi de rencontrer un nouveau quartier et possiblement de nouveaux soutiens72 autour de la lutte. Il nécessite d’entrer en contact avec les autorités communales et d’engager une discussion. Chaque nouvelle occupation a ainsi amorcé des espaces de négociations qui ont eu, chacune à leur manière, des effets parfois considérés comme des réussites, parfois comme des revers, mais qui ont, quoi qu’il en soit, fait bouger les lignes. Modou Ndiaye73 raconte une de ces victoires :
C’est à Etterbeek avec un bourgmestre MR [ndlr. Mouvement Réformateur], qu’a été signée une réquisition pour une occupation de « sans-papiers ». Même si ça n’a pas duré, ça nous a permis d’avoir une avancée. Car de 2014 à 2017, on n’a pas eu ce type de victoire. Pour nous c’était une reconnaissance.
28Une autre « victoire » a été la signature, en mai 2017 à Ixelles, d’une première convention temporaire avec un propriétaire privé, grâce au soutien d’une association74 qui a servi d’appui politique et stratégique. Cette première convention donna assez de confiance pour imaginer une ouverture festive et médiatisée lors de la prochaine occupation. Un peu plus tard, la « réquisition »75 d’un bâtiment public par un bourgmestre qu’évoque Modou, suivie également de la signature d’une convention en juillet 2017 donnèrent la légitimité, la force et les arguments pour aller par la suite négocier avec d’autres bourgmestres ou une ministre de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Six mois de répit, d’octobre 2018 à avril 2019 sur la commune de Molenbeek, et un réseau de soutien apportant des dons alimentaires et des invendus permirent d’organiser des tables d’hôtes et de rencontrer un peu plus le voisinage. Ces quelques respirations permirent aussi de produire des cahiers de recommandations pour les élections communales et fédérales76 de mai 2019. Ces marques de « reconnaissance » forgeront ainsi progressivement la « bonne réputation » du collectif auprès d’autorités publiques ou de protagonistes privés.
29Les occupations sont, ainsi, la clé d’articulation, qui à la fois permet d’avoir les ressources nécessaires pour vivre, mais également d’exister politiquement. Plus important encore, elles sont les premières étapes vers une reconnaissance de la part de plusieurs institutions et autorités publiques et politiques. Il a fallu près de dix années à la VSP-Bxl pour ouvrir, négocier et acquérir tout un ensemble d’espaces77, d’accords et finalement de droits supplémentaires78, qui rendent leur présence officielle et permettent de sortir de l’urgence du quotidien. C’est ce que partage Modou Ndiaye79 :
[Les occupations], c’est un outil qui lutte contre la pauvreté et qui crée aussi d’autres sortes de solidarité qui ne sont pas visibles bien sûr, parce qu’on n’en parle pas. Quand on parle de cohésion sociale, je pense que c’est ici, parce qu’on arrive à mettre beaucoup de publics différents dans des endroits. On parvient à faire des échanges, à avoir une certaine collaboration.
30Cette première forme de politisation inscrit indéniablement la lutte dans un temps long80. Elle permet également de penser et mettre en place d’autres moyens d’action, dont les formes de reconnaissance, acquises auprès de divers protagonistes (dont des autorités publiques), sont les prémices.
Un changement progressif vers de nouvelles modalités d’actions
31Les diverses mobilisations au sein de la lutte des personnes « sans-papiers » sont indéniablement marquées par les contextes politiques, économiques et sociaux dans lesquels elles se situent. Un grand nombre d’auteur·es pointent ainsi l’importance de prendre en compte ce contexte lors de l’étude de ces actions collectives81. Vicari souligne, par exemple, à propos des campagnes de régularisation qui ont eu lieu en Belgique, qu’elles n’ont été que de courtes respirations au sein d’une longue lutte, mais aussi qu’elles n’ont été possibles que parce qu’elles étaient intrinsèquement liées à des spécificités conjoncturelles82.
32De manière corollaire, la question d’un « moment » – ce que Veron nomme « l’occasion »83 – est ainsi perçue comme ce qui déclenche l’action collective. Certains de ces événements sont saisis immédiatement pour ce qu’ils sont. Cependant, d’autres événements, moins significatifs au moment où ils ont lieu, influencent parfois beaucoup plus structurellement la lutte. Pour la VSP-Bxl, l’expulsion violente vécue à la fin de Ribaucourt, en septembre 2016, semble avoir été, malgré les premières apparences, un moment pivot dans la structuration du collectif et le déploiement de nouveaux modes d’actions collectives. Comme si, sans le préméditer, un changement de stratégies, d’outils, mais également de paradigme de la lutte avait doucement mais durablement commencé à s’écrire.
33En 2016, après deux années de cohabitation plus ou moins apaisées au sein de cette ancienne maison de repos, rendant possible la mise en place d’une mobilisation soutenue par des manifestations plusieurs fois par semaine, le contexte politique s’est complexifié. Les attentats de Paris en novembre 2015, puis de Bruxelles en mars 2016 ont créé un état de tension permanent, ainsi qu’un renforcement de la présence militaire et policière un peu partout en Belgique84, et tout particulièrement à Molenbeek où se trouvait l’occupation. Cette commune a concentré l’attention politique et médiatique durant plusieurs mois. Les manifestations dans l’espace public étaient alors interdites, rendant impossible la mise en lumière de la situation des personnes « sans-papiers ». Finalement, en septembre 2016, la bourgmestre de Molenbeek imposa la fermeture et l’évacuation de l’occupation pour des questions d’insalubrité. Malgré des tentatives de négociation et sans être certain·es de l’application de la mise en demeure de la commune, une partie des responsables de la VSP-Bxl préféra, vu le climat de tension et l’augmentation de la présence policière, mettre les occupant·es à l’abri. Une seconde occupation fut alors ouverte, sur la commune de Schaerbeek, grâce à l’aide, entre autres, d’un soutien associatif, SOS Migrants85. Mais, en marque de résistance et dans l’espoir d’un retour de tout·es les occupant·es dans le bâtiment, un groupe restreint de responsables resta sur place. Des équipes se relayèrent pour assurer une présence continue. La nuit du 19 septembre 2016, une opération de police perçue par beaucoup comme extrêmement violente et démesurée86 (près de deux-cents hommes lourdement armés, un hélicoptère, des chiens…) eut lieu à Ribaucourt, à l’encontre du collectif, alors que quinze personnes y dormaient encore. Parmis elles, douze hommes furent arrêtés, dont plusieurs responsables et porte-paroles. Ils furent placés en centre fermé, puis finalement expulsés vers leur pays d’origine. Cette séquence a clairement affaibli la mobilisation et renforcé les doutes, les peurs et la méfiance chez les porte-paroles, mais également et plus largement au sein de tout le collectif, comme l’exprime Modou Ndiaye87 :
C’est le moment le plus dur qu’on a vécu en occupation ici en Belgique. Et je peux dire qu’on a perdu une certaine force à cette époque. Car ça a semé la peur au sein de l’occupation, au sein du collectif. Beaucoup de personnes ne voulaient plus vivre dans l’occupation, car elles ne se sentaient plus en sécurité et elles ont préféré aller rencontrer les marchands de sommeil.
34Suite à cet évènement, une démobilisation du groupe s’est fait sentir, renforcée également par une fatigue des membres à sortir dans la rue chaque semaine durant plus de deux années sans que rien n’ait changé politiquement. De plus, selon les membres du collectif, l’intensification du conflit syrien eut pour effet, à l’époque, de rediriger les priorités du gouvernement, mettant fin à tout espoir d’une nouvelle campagne de régularisation dite « massive ». La manifestation, comme outil de visibilisation des revendications, semblait alors manquer d’efficience, ou tout du moins ne plus être en adéquation avec le moment politique. En 2019, les élections fédérales participèrent aussi à structurer le changement de méthode au sein de la VSP-Bxl. En effet, malgré un premier espoir voyant des partis dits « progressistes » – tels que le parti socialiste et le parti écologiste – entrer dans la coalition, l’accord de gouvernement ne fit pas état de la possibilité d’une campagne de régularisation.
35C’est donc après plusieurs années de manifestations, d’occupations, de revers tragiques, et même d’une grève de la faim pour certain·es des membres88, faisant le constat que les actions menées n’apportaient aucun changement politique durable et que les outils d’hier n’étaient plus adéquats, que la VSP-Bxl commença à imaginer d’autres modalités d’actions. Celles-ci prirent forme à partir de diverses tentatives, mêlant bricolages et hésitations, les menant petit à petit à s’inscrire dans une logique différente, en décidant de travailler plusieurs niveaux d’actions. La VSP-Bxl, avec d’autres collectifs et protagonistes portant les revendications des personnes « sans-papiers », co-organisèrent notamment une campagne de mobilisation citoyenne (#InMyName89) ambitionnant, non plus une campagne de régularisation dite « massive », mais une évolution législative90 visant à l’instauration de critères clairs, justes et permanents dans la loi. Aujourd’hui, ce collectif et ses occupations sont devenus à la fois des espaces de vie, de rencontres, d’activités et de luttes qui réunissent divers projets, tels que YEAM !!!, le Journal des Sans-Papiers (JSP), Studio Baraka Grafika91 ou Exil·s & Création·s92. Ces outils, toujours à l’initiative de et portés par des membres du collectif, ont pour intention de sensibiliser la population belge au sujet des politiques migratoires. Ils permettent également de porter une voix collective afin que chacun·e puisse se réapproprier individuellement sa dignité et valoriser ses savoirs.
36Le changement, qui s’est opéré au fur et à mesure du temps, postule donc que, pour qu’il y ait une efficacité de la lutte, cette dernière doit exister à différents niveaux : collectif et individuel ; sur différentes temporalités : l’urgence, mais aussi le temps long ; et en portant une attention à mobiliser des soutiens – des citoyen·nes à titre individuel, des associations, des organisations, etc. – autour de cette cause, tout en conservant l’autonomie qui permet que la lutte soit portée par et pour les personnes « concerné·es » et avec leur agenda. Le projet YEAM !!!, que nous allons maintenant étudier plus en détail, porte et rassemble justement plusieurs propositions politiques et épistémologiques centrales du collectif, qui illustrent très clairement ce changement de paradigme de la lutte.
Conscientisation des savoirs d’expérience et réappropriation des droits comme nouveau répertoire d’actions collectives
37Face au déni constant des autorités politiques, aux multiples formes de violences institutionnelles et raciales subies, à l’intensification des arrestations, sans oublier les conséquences que toutes ces violences engendrent sur l’état de santé physique et mental, plusieurs membres du collectif avec des allié·es93 se sont réuni·es et leurs réflexions les ont conduit·es à la création du projet YEAM !!!, en 2019. Thierno Dia94, un des membres du comité de pilotage95 du projet, explique son origine :
YEAM est venu en 2019, avant le Covid. On s’est rendu compte qu’on faisait tellement de manifestations, mais que ça ne donnait rien du tout. Les gens étaient fatigués, traumatisés, les gens n’avaient plus envie de rien faire, ils étaient découragés. Mais on s’est dit que vraiment il fallait qu’on trouve une autre solution de lutte. Parce qu’on ne peut pas laisser les gens en fin de procédure attendre la régulation. […] Donc, on s’est dit, pourquoi ne pas essayer de créer quelque chose, d’aider les gens à travailler sur le dossier pour savoir comment faire un bon dossier.
38L’intention derrière cette proposition est que chaque personne « sans-papiers », qui le souhaite, forme un binôme avec une personne « soutien » ayant des papiers, qui l’accompagnera dans ses démarches administratives, grâce au suivi de son dossier individuel sur le long terme. Cet accompagnement tend par exemple à faciliter le travail avec différent·es intervenant·es, tels que des avocat·es, des assistant·es sociaux·ales, etc. Concrètement, toute personne, avec ou sans papiers, intéressée est invitée à participer à une formation initiale de deux jours, qui a lieu trois fois par an, au sein d’une occupation de la VSP-Bxl. Durant ce week-end participatif, l’histoire de la lutte et du collectif ainsi que le cadre juridique et administratif des procédures sont présentés. Une sensibilisation sur les violences institutionnelles et racistes auxquelles sont confronté·es quotidiennement les membres du collectif permet d’introduire les enjeux de YEAM !!!. Par la suite, lorsque des binômes sont formés, un suivi du comité de pilotage et divers moments d’échanges ou des formations, notamment juridiques, sont régulièrement proposés. Pour les membres du collectif, ce projet est aussi une manière de se réapproprier ses droits collectivement. Cela prend forme à travers la mise en place d’un réseau de connaissances politiques, juridiques et sociales porté, entre autres, par les savoirs d’expérience de chacun des membres, en tant que personnes « concerné·es ». Comme chacun·e aime le dire à la VSP-Bxl : « nous sommes nos propres avocats, car personne ne connait nos dossiers mieux que nous ». YEAM !!! est ainsi à la fois un espace de ressources et de transmissions d’expériences, un point d’appui pour les « concerné·es » et une opportunité de faire connaitre la lutte « par nous-mêmes et avec nos mots »96.
39En s’inscrivant dans la pensée de Fanon97, il est question ici d’interroger la nécessité, pour des personnes dont les identités finissent par être façonnées par les exigences floues des procédures – reproduisant un continuum coloniale –, de pouvoir se (re)créer de nouvelles subjectivités individuelles, ainsi qu’une conscientisation politique collective. Autrement dit, il s’agit de sortir de « l’aliénation »98 véhiculée, entre autres, par les discours politiques, médiatiques et institutionnels stigmatisants, en parlant soi-même de cette condition non-choisie de « sans-papiers » à partir de réalités vécues.
40Avoir la main sur l’imaginaire collectif à l’égard des personnes « sans-papiers » est devenu un point central. En effet, l’enjeu discursif est d’envergure lorsqu’il est question de migration. La VSP-Bxl a donc bien conscience qu’elle doit déconstruire de lourds préjugés et présupposés, émanant des discours particulièrement récalcitrants à leur présence, et issus du poids de siècles de croyance en une hégémonie occidentale, dont émane la peur et le rejet de l’étranger99. L’ensemble des espaces de formations et de présentations à l’intention du public – via notamment l’organisation de formations, comme celles du projet YEAM !!!, ou encore lors d’ateliers artistiques à l’initiative et par des membres du collectif comme des ateliers d’écritures, des scènes ouvertes de slam, la réalisation d’une bande dessinée, etc., ou encore lors d’interventions dans des institutions publiques (ex. des lieux culturels, des services sociaux, des universités, etc.) – témoigne de cette volonté de décentrer la production de savoir. Il n’est plus question d’être « sans-papiers », mais il s’agit d’être des artistes, des formateur·rices, des expert·es, etc., avec des rémunérations100 et en gardant toujours une vigilance et une conscience face au possible extractivisme culturel101 à l’œuvre lorsque on agit au sein de cadres institutionnels. Les membres du comité de pilotage de YEAM !!! sont aujourd’hui régulièrement sollicité·es à partir de ces positions. Leurs prises de parole ont pour ambition de sortir des assignations discriminantes, de parer à l’ignorance et de reprendre possession de discours à leur égard, tout en se présentant à partir d’une figure d’expertise. En même temps, ces prises de parole participent à consolider les démarches administratives et juridiques de chaque membre, puisque chaque expérience est un argument de plus dans certaines procédures.
41La « désaliénation » passe ainsi par plusieurs enjeux : être autonome dans la lutte, mobiliser ses savoirs d’expériences, ainsi que reprendre possession et porter des discours qui leur appartiennent. Ce positionnement politique et épistémologique participe à se présenter à partir d’un registre discursif où ils·elles se reconnaissent et sont reconnu·es comme des « agents épistémiques clairvoyants »102 et égaux. L’ensemble des outils mis en place par le collectif aspirent, ainsi, à jouer un rôle dans le renouvellement du narratif et des imaginaires sur la migration, afin de créer des brèches qui puissent agir concrètement sur la vie de ses membres. Cet élargissement du répertoire d’actions collectives s’inscrit plus profondément dans un changement de paradigme, dont l’intention n’est plus exclusivement d’avoir une adresse directe avec l’État, mais de tenter de mettre la pression sur les politicien·nes à travers la voix des citoyen·nes, soutiens de cette cause, qui les ont élu·es, et ce afin de modifier durablement le cadre législatif. Cela nécessite un travail sur le long terme afin d’engager une large part de la population dans cette lutte, en lui faisant prendre connaissance et conscience de la situation de vie de personnes qui les entourent au quotidien. Chaque nouvel outil participe alors à la diffusion de ce projet politique, à l’instar de cet article.
Conclusion
42Cet article met en lumière la complexité et la diversité des actions collectives mises en place par les membres de la VSP-Bxl depuis une dizaine d’années. Celles-ci ont d’abord émergé à travers une volonté de se rassembler pour obtenir une régularisation de la situation administrative de ses membres, mais, rapidement, il a aussi été question de faire face collectivement aux diverses formes de violences qu’ils·elles subissaient quotidiennement. Ces mobilisations font ainsi souvent suite à différents revers et difficultés que le collectif a traversés, non sans laisser des traces. En revendiquant un besoin de stabilité afin de pouvoir engager sérieusement une lutte politique élargie, le collectif a inscrit un nouveau rapport au temps dans les mobilisations des personnes « sans-papiers ». Cette recherche a ainsi pu mettre en avant que les pratiques de la VSP-Bxl s’inscrivent dans une pluralité de temporalités. En effet, le collectif attache de l’importance à penser et mettre en œuvre des pratiques sur un temps long, en parallèle de celles qui parent à l’urgence des situations. L’efficacité politique se situe partout où il est possible d’inventer de nouvelles formes de présence politique. Petit à petit, en sensibilisant, en tentant de faire bouger doucement les lignes, ils·elles créent des brèches pour « occuper » l’espace et faire émerger d’autres narratifs qui permettent (et permettront encore plus demain) de mobiliser politiquement la population. Pour le collectif, c’est l’une des clés pour créer un autre type de rapport de force avec les personnes au pouvoir.
43Finalement, nos deux voix rassemblées s’expriment ici afin que les apports théoriques d’une recherche puissent donner la possibilité aux messages politiques des personnes impliquées, de trouver une place dans le contexte académique, non pas par « effraction »,103 mais par reconnaissance. En effet, il nous semble essentiel que le savoir puisse être au service de l’action. Pour ce faire, il est important de sans cesse imaginer comment des pratiques et possibilités académiques peuvent s’engager aux côtés de ces outils de lutte sociale.
Voetnoten
1 Le terme « concerné·e » est utilisé par les membres de la VSP-Bxl, en premier lieu, pour s’identifier, dans leur contexte de lutte, en tant que personnes subissant les effets du non octroi d’un droit de séjour. C’est une réponse à l’invisibilisation et aux discriminations, d’où notre choix de l’employer tout au long de l’article pour évoquer les membres « sans-papiers » au sein des divers projets portés par la VSP-Bxl. Ce terme n’est cependant pas anodin ; c’est pourquoi il est en conversation au sein du collectif et, plus largement, son emploi dans le milieu militant anti-raciste/féministe/queer ainsi que dans le milieu scientifique fait débat. En effet, ces discussions mettent en lumière la question de la responsabilité commune en pointant que « tout le monde est [devrait être] concerné » par ces questions bien qu’on les vive de manières différentes.
2 Dans les milieux militants, les notions d’« allié·e » ou de « soutien » font référence à une personne qui ne subit pas directement une discrimination ou une oppression, mais qui décide de nouer une relation d’alliance au sein d’une mobilisation avec ceux et celles qui la subissent afin de contrer le système d’oppression en question. Comme l’expriment Le Gallo et Millette (2019), le terme « allié·e » n’est ni une auto-désignation de la personne, ni un fait immuable, mais un choix « des personnes concernées, où elles ont le pouvoir de reconnaître ou de refuser le statut de personne alliée, à partir de leurs objectifs et besoins ». S. Le Gallo et M. Millette, Se positionner comme chercheuses au prisme des luttes intersectionnelles : décentrer la notion d’allié.e pour prendre en compte les personnes concernées, dans Genre, sexualité & société, 2019, http://journals.openedition.org/gss/6006, consulté le 20 août 2024.
3 Les réflexions présentées dans cet article sont issues d’une collaboration ainsi que de l’ethnographie réalisée dans le cadre d’un mémoire de fin d’études : F. Delhaye, (Re)penser l’intégration à partir des marges : Récit des pratiques de résistance du collectif de la Voix des Sans-Papiers (Bxl), mémoire de master en socio-anthropologie, Mons, Université de Mons, 2023. Elles ont également été nourries par des échanges réguliers avec Modou Ndiaye, Thierno Dia, Taslim Mamadou Diallo, Alberto Isifin Tchama et Halidou Ouandaogo, responsables de la VSP-Bxl que nous remercions chaleureusement. Nous remercions aussi Léïla Duquaine, Aliette Griz et Milady Renoir pour leurs conseils et regards, ainsi que les relecteur·rices pour leurs critiques averties.
4 YEAM !!! est un projet qui met en lien les membres de la VSP-Bxl avec des soutiens pour un accompagnement administratif et juridique. https://www.facebook.com/VSPYEAM
5 C’est la demande de régularisation pour « circonstances exceptionnelles » selon l’article 9bis de la loi du 15 décembre 1980 relative à l’accès au territoire, au séjour, à l’établissement et à l’éloignement des étrangers. https://dofi.ibz.be/fr/themes/third-country-nationals/residence-permit-articles-9-9bis-9ter/circonstances-exceptionnelles
6 Cf. note 3, supra.
7 Ainsi qu’une présentation orale, dont est issu cet article, lors des journées d’étude « Migrations en Belgique : enjeux épistémologiques, histoire, action publique et mobilisations », les 16 et 17 novembre 2023 à l’université de Saint-Louis (Bruxelles).
8 P. Brücker, D. Veron et Y. L. Vertongen, Du mouvement des sans-papiers à la « crise » des réfugiés : évolution des catégories d’action et enjeux théoriques, dans Critique internationale, 2019, vol. 84, no 3, p. 15.
9 S. Mellas, Lecture postcoloniale des mobilisations de femmes sans papiers. Le cas de l’USPR, dans La Revue Nouvelle, 2022, vol. 6, no 6, p. 52.
10 La VSP-Bxl est un regroupement de personnes aux parcours et aux origines variés, vivant sans titre de séjour en Belgique. Elle revendique, défend et lutte pour les droits des personnes « sans-papiers » et contre le racisme d’État. Bien qu’il existait des liens d’interconnaissance préalables entre ces personnes, elles n’étaient pas organisées collectivement avant 2014. La composition du collectif a évolué dans le temps pour diverses raisons. Aujourd’hui, la VSP-Bxl compte plus de 300 membres réparti·es dans huit occupations.
11 Y. L. Vertongen, Papiers pour tous (Tome 1). Quarante ans de mobilisations en faveur de la régularisation des sans-papiers en Belgique (1974-2014), Collection : Transitions sociales et résistances, Académia, Louvain-la-Neuve, 2019.
12 Ibid., p.108.
13 Les personnes au sein de la VSP-Bxl vivent ensemble et s’auto-déterminent, dès le départ, comme un « collectif », composé de « membres », de « responsables » et de « porte-paroles » en fonction du niveau d’engagement de chacun·e, qui varie selon les périodes et les disponibilités. Cependant, de 2014 jusqu’à aujourd’hui, un noyau dur de « responsables » reste très engagé dans les comités de pilotage et de gestion de projets internes, certain·es alors qu’ils·elles ont obtenu un titre de séjour.
14 Une « occupation » est « avant tout un lieu de vie mais aussi un lieu pour pouvoir porter notre lutte ensemble ». Elle se formalise par l’ouverture (avec des réseaux militants pour le droit au logement) d’un bâtiment inoccupé privé ou public. Une négociation a ensuite lieu avec les propriétaires (publics ou privés), afin d’obtenir une convention d’occupation temporaire. Malheureusement, les négociations à l’amiable sont rares et finissent souvent devant la justice.
15 Y. L. Vertongen, Papiers pour tous (Tome 2). Le cas de la Coordination des sans-papiers de Belgique (2014-2020), Collection : Transitions sociales et résistances, Académia, Louvain-la-Neuve, 2019.
16 M. Veniard, « Ne pas parler à la place des premiers concernés » : questionnements méthodologiques autour de la variation dialogique d’un impératif langagier dans le milieu des militants pour les droits des étrangers en France, dans Glottopol, 2022, en ligne, https://doi.org/10.4000/glottopol.1698, consulté le 21 août 2024.
17 B. Fleury-Villate et J. Walter, L’engagement des chercheurs, dans Questions de communications, 2002, p. 105-115.
18 Ibid.
19 J-L. Le Grand, Implexité : implication : implications et complexité, 2006, en ligne, https://recherche-action.fr/labo-social/download/M%C3%A9thodologie/Implexit%C3%A9_%20implications%20et%20complexit%C3%A9.pdf, consulté le 10 août 2024.
20 Employé par les personnes « concerné·es », ce terme s’inscrit dans une histoire de lutte. C’est une auto-détermination visant à remplacer l’utilisation stigmatisante du mot « clandestin » et à mettre l’accent sur l’exclusion. (J-M. Faux, Les sans-papiers en Belgique. État de la question, dans Pensée plurielle, 2009, vol. 21, no. 2, p. 137-149). Dans le cadre de cet écrit, nous choisissons d’utiliser la terminologie de personne(s) « sans-papiers », en s’appuyant sur l’énoncé de Léticia Assemien (porte-parole du Comité des Femmes Sans-Papiers) : « Je revendiquerai ici le terme politique de « sans-papiers » comme identité collective de résistance quand le terme migrant est apolitique, globalisant, déshumanisant et bien entendu, diabolisant ». Guerre aux sans-papiers/migrants, Bandung du Nord, Bruxelles, le 17 décembre 2022. https://bruxelles-panthere.thefreecat.org/?p=5392
21 M. Deleixhe et Y. L. Vertongen, L’effet de frontière dans les mobilisations collectives de migrants en situation administrative précaire, dans Raisons politiques, 2016, vol. 64, no 4, p. 67-84.
22 P. Vicari, « Des campagnes de régularisation des sans-papiers en Belgique », en ligne, https://ep.cfsasbl.be/des-campagnes-de-regularisation-des-sans-papiers-en-belgique, consulté le 3 avril 2022.
23 A. Réa, Sociologie de l’immigration, La Découverte, Paris, 2021.
24 J. Siméant-Germanos, La cause des sans-papiers, Presses de Sciences Po, collection Académique, 1998.
25 L. Mathieu dans P. Brücker, D. Veron et Y. L. Vertongen, op.cit., note 47, p. 16 ou encore dans D. Veron, « Sans combat, il n’y aura rien du tout ! ». L’engagement des sans-papiers pour leur régularisation (région parisienne, 2008-2011), dans Critique internationale, 2019, vol. 84, no 3, p. 24.
26 A. Sayad, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité. Tome 3 : La fabrication des identités culturelles, Paris, Raison d’agir Éditions, 2021.
27 M. Deleixhe et Y. L. Vertongen, op. cit.
28 Nous reprenons ici, le terme « soutien », tel qu’il est employé dans la littérature scientifique. Nous employons dans ce papier parfois le mot « soutien » parfois « allié·e » pour parler des personnes avec papiers qui luttent auprès des personnes « sans-papiers ». Au sein de la VSP-Bxl, les membres du collectif emploie principalement le terme « soutien » pour évoquer les personnes présentes autour de la lutte de manière ponctuelle (ex : lors de manifestation) et pour des besoins logistiques. Cependant, la terminologie au sein du collectif s’est renforcée au fur et à mesure de la mise en place de projets internes, tels que YEAM !!! avec l’emploi du terme d’« allié·e ». Cela fait référence à des personnes dont la présence s’inscrit dans le temps long et avec lesquelles il y a une réflexion partagée afin de mettre en place ensemble des stratégies de lutte.
29 P. Brücker, D. Veron et Y. L. Vertongen, op.cit.
30 J. Siméant-Germanos, op. cit.
31 D. Veron, « Sans combat,…, op. cit.
32 D. Veron, Quand les sans-papiers prennent la parole, dans Variations. Revue internationale de théorie critique, 2013, vol.18, https://doi.org/10.4000/variations.641
33 Y. L. Vertongen, Soutien politique et soutien humanitaire. Retour sur les solidarités citoyennes avec les réfugié·e·s en Belgique, dans Mouvements, 2018, vol. 93, no 1, p. 127-136.
34 V. Clette-Gakuba, « Réflexions et problèmes sur la question des allié·es blanc·hes », en ligne, https://blogs.mediapart.fr/plis/blog/011221/reflexions-et-problemes-sur-la-question-des-alliees-blanches, consulté le 10 décembre 2021.
35 S. Mellas, op.cit.
36 M. Deleixhe et Y. L. Vertongen, op. cit.
37 T. Swerts et W. Nicholls, Undocumented Immigrant Activism and the Political: Disrupting the Order or Reproducing the Status Quo?, dans Antipode, 2021, vol. 53, Issue 2, p. 319-330.
38 S. Mellas, op. cit.
39 C. Tilly, Les origines du répertoire d’action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne, dans Vingtième Siècle, revue d’histoire, 1984, no 4, p. 89-108.
40 Voir notamment D.Veron, « Sans combat,…, op. cit., p. 26, ou encore M. Deleixhe et Y. L. Vertongen, op. cit.
41 J. Siméant-Germanos, op. cit., p. 69.
42 On retrouve l’occupation d’églises, comme celle du Béguinage à Bruxelles de septembre 2013 à juin 2014 par le mouvement des 450 Afghans dans M. Deleixhe et Y. L. Vertongen, op. cit., ou encore celle de l’USPR en 2021 dans S. Mellas, op. cit.
43 On retrouve par exemple l’occupation du lieu de travail de personnes « sans-papiers » entre le printemps 2008 et l’été 2010 en région parisienne dans D. Veron, Sans-papiers : d’un quotidien tactique à l’action collective, dans Variations, 2010, vol. 13/14.
44 D.Veron, « Sans combat,…, op. cit., p. 34.
45 P. Barron, A. Bory, S. Chauvin, N. Jounin, et L. Tourette, Derrière le sans-papiers, le travailleur ? Genèse et usages de la catégorie de « travailleurs sans papiers » en France, dans Genèses, 2014, vol. 94, no 1, p. 126.
46 J. Siméant-Germanos, op. cit.
47 D. Veron, Sans-papiers : d’un quotidien, op. cit. et S. Mellas, op. cit., p. 50.
48 T. Swerts et W. Nicholls, op. cit.
49 J. Siméant-Germanos, op. cit., p. 139.
50 M. Deleixhe et Y. L. Vertongen, op. cit.
51 J. Siméant-Germanos, op. cit., p. 66.
52 D.Veron, « Sans combat,…, op. cit., p. 25.
53 Ibid.
54 Cf. note 25, supra.
55 Cf. note 4, supra.
56 E. Swyngedouw, From Disruption to Transformation: Politicisation at a Distance from the State, dans Antipode, 2021, vol. 53, Issue 2, p. 486-496.
57 Ibid.
58 Ibid.
59 F. Vergès, Le ventre des femmes. Capitalisme, racialisation, féminisme, Paris, Albin Michel, (2e éd.), 2021.
60 Ce nombre, qui circule dans les médias ainsi que dans le milieu militant, n’est qu’une vague estimation non-sourcée. Il est en effet très difficile de déterminer et de chiffrer le nombre de populations invisibilisées du fait de statuts juridiques précaires « en dehors des radars ».
61 Hormis l’aide médicale d’urgence, mais qui reste elle-même limitée et compliquée d’accès.
62 La Caravane Européenne des Migrants a lieu du 20 au 27 juin 2014 sous l’initiative de collectifs de migrants venus de plusieurs pays d’Europe. Agence Belga, « 150 marcheurs européens sont à Bruxelles pour soutenir les migrants », en ligne, RTBF.be, le 21 juin 2014, consulté le 3 mai 2022.
63 P. Vicari, op. cit.
64 En lien avec la station de métro la plus proche du même nom.
65 Vsp, La voix des Sans-Papiers (Bruxelles). Historique (2014-2020), [inédit], Bruxelles, 2020, p. 2.
66 M. Deleixhe et Y. L. Vertongen, op. cit.
67 À la demande de chaque intervenant·e et avec l’accord spécifique de celles et ceux-ci au préalable, les citations ne sont pas anonymisées, extraits issus d’entretiens du mémoire de fin d’études de F. Delhaye. Cf. note 3, supra. Entretien du 28 février 2023.
68 Principalement d’Afrique subsaharienne et du Maghreb.
69 Cf. note 67, supra. Entretien du 2 avril 2023.
70 A. Sayad, op. cit.
71 Pour une chronologie détaillée de l’histoire du collectif, voir Vsp et Besp, « VSP, l’odyssée des sans-papiers ? », en ligne, https://ep.cfsasbl.be/vsp-l-odyssee-des-sans-papiers, février 2024.
72 Ces soutiens sont souvent d’ordre individuel ou issus de collectifs militants sans enjeux institutionnels. Les soutiens les plus présent·es aujourd’hui dans les projets de la VSP-Bxl, et qui seront à ce titre nommé·es par les membres du collectif « des allié·es », ont souvent d’abord été des « voisin·es solidaires ».
73 Cf. note 67, supra. Entretien du 28 février 2023.
74 Cf. note 85, infra.
75 Cette « réquisition » applique la loi dite Onkelinx du 12 janvier 1993 qui a rarement été mise en œuvre. Elle a pour effet, selon l’arrêté royal réglant le droit de réquisition d’immeubles abandonnés, visé à l’article 134bis de la nouvelle loi communale, qu’une entité publique puisse réquisitionner un bien privé/ou public à destination d’un service public. https://refli.be/fr/lex/1993025378
76 Recommandations écrites par le Bureau d’études des Sans-Papiers, composé de membres de la Coordination des Sans-Papiers (dont VSP-Bxl fait partie). Besp, « Sans-papiers : recommandations pour les élections fédérales, régionales et européennes du 26 mai 2019 », en ligne, https://ep.cfsasbl.be/Recommandations-pour-les-elections-federales-regionales-et-europeennes-du-26, consulté le 25 janvier 2023.
77 Aujourd’hui, le collectif est responsable de huit occupations réparties sur diverses communes bruxelloises.
78 Une domiciliation (démarche visant à déclarer son adresse qui est obligatoire pour la procédure de régularisation) est possible dans certaines occupations.
79 Cf. note 67, supra. Entretien du 28 février 2023.
80 Il est intéressant de pointer que ce temps long est également nourri par une temporalité administrative qui dépasse l’entendement en terme de traitement des dossiers ainsi que, plus généralement, la récurrence de la non-prise en charge ni de l’État, ni véritablement de certaines institutions dites « alliées ».
81 J. Siméant-Germanos, op. cit. et P. Vicari, op. cit., p. 14.
82 Ibid.
83 D.Veron, « Sans combat,…, op. cit., p. 35.
84 Ce renforcement policier s’inscrit dans le contexte de la loi TERRO1, du 20 juillet 2015 qui vise à « renforcer la lutte contre le terrorisme », mais également du « Plan Molenbeek », qui deviendra le « Plan Canal » ayant pour objectif la prévention et la répression grâce à des fonds structurels majeurs. Voir C. Thomas, L’organisation fédérale de la lutte antiterroriste en Belgique, dans Courrier hebdomadaire du CRISP, 2020, vol. 2463-2464, no 18-19, p. 5-66).
85 L’asbl SOS Migrants, via la personne de Serge Noël tient un rôle majeur dans l’histoire de la VSP-Bxl. C’est une association qui défend les intérêts des droits de migrant·es avec ou sans papiers. Elle a été garante lors de la signature de certaines conventions et a soutenu des projets comme le Journal des Sans-Papiers.
86 Une carte blanche publiée par un panel de signataires, dont des associations et des universitaires, met en exergue la brutalité de cette intervention et le caractère problématique et incohérent de ce type de descente policière, cherchant avant tout à intimider et à instiguer la peur au sein du collectif. « Liberté pour les militants de la Voix des sans-papiers », en ligne, La Libre.be, le 11 octobre 2016, consulté le 3 mai 2022.
87 Cf. note 67, supra. Entretien du 28 février 2023.
88 Cette grève de la faim avait fait dissensus au sein du collectif. Peu des membres actuel·les l’avaient suivi et cela reste un sujet très peu abordé. Elle eut lieu dans l’occupation de Ribaucourt en fin d’année 2014. R. Dhont, « Actions et grève de la faim de sans-papiers à Bruxelles : Un combat pour une vie digne », en ligne, https://www.solidaire.org/articles/actions-et-greve-de-la-faim-de-sans-papiers-bruxelles-un-combat-pour-une-vie-digne
89 #In my name: proposition de loi citoyenne pour la régularisation. https://inmyname.be/
90 Entre autres, pour la procédure de régularisation. Cf. note 5, supra.
91 Studio Baraka Grafika est un collectif qui dessine à seize mains, composé de quatre artistes de la VSP-Bxl et quatre auteur·es émergent·es. https://www.instagram.com/baraka_grafika?igsh=MTRjeGs4c2FqMGhoaA==
92 Exil·s et Création·s est un outil de réflexion et de veille travaillant, entre autres, sur l’éthique de la collaboration vis-à-vis de personnes en migration, lors de projets culturels, artistiques et/ou académiques. https://www.facebook.com/exilsetcreations
93 Cf. note 72, supra.
94 Cf. note 67, supra. Entretien du 23 mars 2023.
95 Le comité est composé de personnes avec et sans papiers.
96 Vsp, op. cit.
97 F. Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris, Editions Points, 2013.
98 Ibid.
99 P. Tevanian et J-C. Stevens, « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort, Paris, Anamosa, 2022.
100 Les rémunérations proviennent soit des organismes qui sollicitent des interventions, soit d’un subside de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
101 M. Millán, Extractivisme et vol culturel, une tradition Européenne, ZIN TV, en ligne, le 1 mars 2020, https://zintv.org/extractivisme-une-tradition-europeenne/, consulté le 25 novembre 2024.
102 M. Bessone, « Ignorance blanche », clairvoyance noire ? W. E. B. Du Bois et la justice épistémique, dans Raisons politiques, 2020, vol. 78, no 2, p. 15-28.
103 Proposition de P. Cingolani dans La république, les sociologues et la question politique, La Dispute, Paris, 2003, p. 151., cité par D.Veron, « Sans combat,…, op. cit., p. 27.
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Over : Aïsta Bah
Aïsta Bah est membre et porte-parole de La Voix des Sans Papiers de Bruxelles (VSP-Bxl), qui est un collectif autogéré né en 2014 de l’occupation d’un bâtiment situé à Molenbeek par 250 personnes dites « sans-papiers ». Elle a intégré le collectif dès sa création, ce qui a fait d’elle une militante et lui a permis de prendre part à la mise en place et à la réflexion de plusieurs projets, tels que YEAM !!!, le JSP (Journal des Sans-Papiers) et Exil·s & Création·s.
Over : Florence Delhaye
Florence Delhaye est doctorante au service de sociologie et anthropologie de l’UMons. Elle réalise une thèse portant sur les mobilisations collectives autour des « retours contraints » en migration, sous la direction du Prof. Aymar Nyenyezi Bisoka et avec un financement Aspirante FNRS. Son engagement avec le collectif de la VSP-Bxl, notamment en tant que membre du projet YEAM !!! et d’Exil·s & Création·s, est le point de départ de cette recherche académique.