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- Vol. 38 - 2016
- Introduction
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1Le présent volume rassemble six contributions centrées sur le lien entre la fête, le divertissement - que ce soit sous une forme organisée, voire institutionnalisée, ou spontanée -et sa réglementation. Il couvre un large espace chronologique, de la fin du moyen âge à nos jours, dans des zones géographiques variées (Europe, Afrique) et des contextes non moins différents (armées, villes, diocèses, etc.).
2Quentin Verreycken aborde d’abord la question du temps libre dans les armées bourguignonnes. Occuper ce temps passe, pour les soldats, par l’adoption de comportements, le développement de pratiques pouvant engendrer désordres et troubles, aux conséquences parfois dramatiques. D’où la production de normes disciplinaires visant à limiter ou à interdire certaines sources récurrentes de problèmes, telles que la présence féminine dans l’entourage des troupes ou les jeux de hasard. Mais derrière cette moralisation, l’auteur perçoit également une volonté de Charles le Hardi de renforcer la discipline dans ses armées. Avec en point de mire la question des résultats engrangés.
3La deuxième contribution concerne un tout autre contexte, celui de la province ecclésiastique de Cambrai, de l’établissement de celle-ci en 1559, jusqu’au début du XVIIIe siècle. Ici comme dans l’ensemble des diocèses, les fêtes d’obligation constituaient une contrainte majeure pour les fidèles, privés en ces jours-là de pouvoir travailler et invités à se plier à certaines obligations religieuses. Par ailleurs, cette oisiveté forcée, que d’aucuns espéraient voir consacrée à la sanctification, rendait propice le développement de comportements festifs profanes ; pensons à la fréquentation des cabarets et aux danses. D’où une série de critiques des autorités ecclésiastiques et la production d’une législation épiscopale destinée à limiter les abus. Pourtant, force est de constater que les progrès viendront plus tard seulement, lorsque seront prises des mesures radicales de réduction des fêtes.
4Les modifications des frontières politiques purent-elles influencer les comportements festifs et dans quelle mesure ? Philippe Moulis et Matthieu Fontaine examinent cette question dans les régions des Pays-Bas devenues françaises sous le règne de Louis XIV. Il s’agit de mesurer, au travers des festivités civiques (commémorations de victoires ou de naissances, deuils princiers,…), la fidélité des populations à leur « ancien maître ». Simultanément, le nouveau pouvoir développe un processus de reconnaissance en imposant une série de manifestations.
5Classée au patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2005, la ducasse d’Ath a connu au cours de son histoire nombre de vicissitudes, ce dont ce nouveau statut devrait dans le futur la protéger. Adrien Dupont analyse ici une période particulièrement agitée en la matière, celle des années 1786 à 1819, soit de la mise en place des premières réformes par Joseph II au début du régime hollandais, en intégrant les quelque dix années du régime français, dépassant ainsi les cloisonnements chronologiques traditionnels. Il examine le poids de la production normative durant ces différents régimes politiques et les motivations des attaques portées à l’encontre de la manifestation (rationalisme, esprit philosophique, anti-cléricalisme,…). Manifestement, au-delà des lois et décrets et de leurs implications ponctuelles, c’est un véritable bouleversement dans le statut même de la ducasse qui se produit alors.
6Amandine Lauro envisage la question des craintes exprimées au Congo colonial à l’égard des danses. Ou, plus précisément, par rapport aux comportements déviants ou immoraux auxquels elles peuvent se trouver liées ou auxquels on les pense liées. En cela, il faut prendre en compte les conceptions religieuses des missionnaires, mais aussi la vision des autorités civiles, soucieuses de s’assurer un contrôle sur la société. Dans les années 1930, des changements sont perceptibles. La société coloniale évolue, de nouveaux modes d’expression festifs se font jour, influencés notamment par l’Occident, en milieu urbain spécialement. Pourra-t-on les maîtriser, les contrôler ? Le « danger » semble alors, du point de vue européen changer les perspectives, notamment à l’égard des comportements festifs traditionnels.
7Réglementer la fête, le divertissement dans le but de limiter les excès s’est fait de tout temps. Marie-Sophie de Clippele aborde ici une autre question : l’utilisation de la norme en vue de protéger et de pérenniser la fête en tant que patrimoine immatériel à sauvegarder. Elle examine de manière minutieuse la prise en compte de ce patrimoine au niveau international, avec pour point d’orgue la Convention de l’Unesco de 2003. Mais au-delà, elle s’intéresse aux politiques développées dans cette ligne en Belgique notamment, où le découpage politique entraîne des variations importantes, singulièrement d’une communauté à l’autre.
8Ces contributions permettent, au travers de leur diversité thématique, de mettre en lumière quelques traits liés à la réglementation du divertissement. On notera tout d’abord, à toutes les époques, les craintes suscitées par celui-ci. Le temps libre, l’oisiveté sont propices aux débordements qu’ils soient jugés peu compatibles avec la morale au sens large ou avec le fonctionnement et le bon ordre de la société.
9Dès lors, s’impose le recours à la législation. On voit intervenir les autorités civiles et religieuses et cela à différents niveaux. Il peut s’agir d’autorités locales, mais aussi centrales ou nationales, chacune pouvant être concernée dans ses valeurs et responsabilités propres. Mais on peut voir aussi les deux sphères agir de concert dans un objectif commun qui émerge du lien Église/État. La teneur des normes varie en intensité. On peut aller du simple contrôle à l’interdiction pure et simple.
10La fête peut correspondre également à un idéal politique. Elle vient servir celui-ci. Davantage même, elle peut être magnifiée à cette fin. À l’inverse, la fête peut subir les foudres du pouvoir, spécialement dans des périodes de transition ou de rupture, au point parfois de la mettre à mal.
11À un autre niveau, la fête constitue pour les populations une référence, un élément identitaire qu’il faut sauvegarder. En ce sens, elle suscite la résistance. Critiquée, contestée, elle parvient souvent à résister, quitte pour cela à s’adapter ou à se faire discrète pour ensuite mieux rebondir.
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About: Philippe Desmette
Philippe Desmette est professeur à l’Université Saint-Louis Bruxelles. Ses travaux portent sur l’histoire religieuse et ecclésiastique à l’époque moderne, notamment dans les anciens Pays-Bas. Il a notamment publié Dans le sillage de la Réforme catholique : les confréries religieuses dans le Nord du diocèse de Cambrai (1559-1802), Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2010, 423p. (Mémoire de la Classe des Lettres. Collection in-8, 3e série, t. L).