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- Vol. 39 - 2016
- Consulter, débattre, négocier et légiférer en matière d’assurance maritime aux niveaux central et municipal aux Pays-Bas (Anvers-Bruxelles, 1555-1571)
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Consulter, débattre, négocier et légiférer en matière d’assurance maritime aux niveaux central et municipal aux Pays-Bas (Anvers-Bruxelles, 1555-1571)
Résumé
En octobre 1555, un homme d’affaires, Giovanni Battista Ferrufini, propose au Conseil des finances de centraliser le courtage et l’enregistrement de contrats à Anvers en matière d’assurance maritime. En réponse, le gouvernement princier consulte des experts et des marchands versés dans cette matière. Après un certain temps, un lobbying s’effectue sous forme de pétitions rédigées par nombre de marchands avec l’aide de certains échevins de la cité scaldienne. Les débats entre partisans et opposants du projet Ferrufini se transforment en discussions législatives qui aboutissent, en 1558, à un compromis. Quand Ferrufini quitte la scène (vers 1561) que s’ensuivent de nouvelles contestations, le gouvernement princier agit de façon unilatérale et promulgue, en 1563, un modèle de contrat rigide. Mais, incapable de faire respecter les dispositions, un compromis doit de nouveau être trouvé. Celui-ci se matérialisa par l’ordonnance princière de janvier 1571. Une analyse détaillée des documents produits lors des débats mentionnés démontre que les positions d’acteurs importants évoluèrent au fil des discussions. Ces documents éclairent un peu plus le processus législatif de type consultatif qui était primordiale pour les acteurs de l’époque étudiée.
Table des matières
Introduction
1Entre 1555 et 1571, aux Pays-Bas espagnols, et en particulier à Anvers et Bruxelles, l’assurance maritime fit l’objet de nombreux débats. Lorsque, à la fin des années 1540 et au début des années 1550, de nombreuses affaires judiciaires furent portées devant le Tribunal de l’Échevinage d’Anvers concernant l’assurance maritime, elles attirèrent l’attention du gouvernement princier. Dès lors que la législation succincte qui s’ensuivit ne produisit pas d’effet, un homme d’affaires, Giovanni Battista Ferrufini, formula une proposition pour résoudre les problèmes. Il proposa de mettre en place un bureau d’enregistrement afin de centraliser le courtage en assurance. La réaction du gouvernement princier fut hésitante. La consultation d’experts et de marchands proches du monarque ouvrit la voie à un lobbying qui se manifesta sous forme de pétitions de la part d’un nombre croissant de marchands. Les débats finirent par aboutir à une impasse. Le projet Ferrufini donna lieu à des discussions entre partisans et opposants et dont les points litigieux étaient notamment le registraire, la liberté de courtage, et les termes standard dans les contrats d’assurance maritime. La plupart des partisans de Ferrufini étaient des marchands importants. Ils occupaient souvent des postes au sein du gouvernement central ou au nom de celui-ci, et ils n’étaient pas toujours activement impliqués dans l’assurance maritime. Les opposants étaient généralement des assurés et des assureurs. Finalement, après plusieurs années de controverse, un compromis fut trouvé en 1558, mais lorsque Ferrufini quitta la scène politique vers 1561, le gouvernement central imposa des lois plus restrictives que l’accord qui avait été négocié antérieurement. Plusieurs tentatives visant à faire respecter ces réglementations ayant échoué, les administrateurs princiers réitérèrent leur adhésion au compromis négocié, et celui-ci fut annexé à une ordonnance princière de janvier 1571. Il prenait la forme d’un contrat standard qui reprenait les termes convenus par toutes les parties prenantes au débat.
2Le présent article réexamine les débats qui entourèrent la proposition de Ferrufini, découverte par l’archiviste anversois Pierre Génard en 18821, en y ajoutant deux éléments au récit. Premièrement, le profil social et l’expertise en assurance des partisans et des opposants de Ferrufini sont précisés pour la première fois. Deuxièmement, d’autres documents que ceux publiés par P. Génard sont également analysés. Certains d’entre eux éclairent ainsi la position des nations de marchands – c’est-à-dire des communautés de marchands étrangers et organisées par privilèges, ou des groupes de marchands d’origine commune sans reconnaissance formelle –, et ils démontrent également que Ferrufini lui-même a négocié et revu à la baisse certaines de ses propositions initiales. Ces nouveaux matériaux permettent de tirer des conclusions plus nettes quant au processus législatif en matière d’affaires marchandes, ainsi qu’au sujet des relations entre la loi et l’économie aux Pays-Bas durant le XVIe siècle.
L’assurance maritime anversoise au milieu du XVIe siècle : un marché en transition
3à la fin du XIVe et au début du XVe siècle, la technique de l’assurance maritime fut exportée des villes espagnoles et italiennes vers Bruges2. Lorsque, à la fin du XVe siècle, Anvers reprit le flambeau des mains de Bruges en tant que première place économique des Pays-Bas suite à la Révolte flamande contre Maximilien d’Autriche, de nombreux marchands étrangers commerçant à Bruges partirent pour Anvers, avec leur savoir-faire en matière d’assurance. Vers 1520, l’assurance contre prime commença à être pratiquée occasionnellement à Anvers et sa popularité s’étendit vers des cercles plus larges de marchands lorsque des courtiers proposèrent des services de souscription de primes à la Bourse d’Anvers vers 15303.
4Un contrat d’assurance maritime (une police) était signé par un ou plusieurs assureurs qui s’engageaient à payer une somme d’argent pour des pertes résultant des risques du commerce naval, ceux-ci comprenaient généralement le naufrage, la saisie ou la capture par des pirates ou des corsaires. L’assurance contre prime pouvait concerner des parties de la valeur d’un navire ou d’une marchandise. Lorsqu’un marchand souhaitait couvrir le risque d’expédition maritime de sa marchandise, il contactait un courtier. Celui-ci sollicitait ensuite des marchands pour l’assurance, et négociait le prix (la prime) ainsi que la partie de la valeur à assurer. La prime était exprimée en tant que pourcentage de la valeur assurée. Si le risque était élevé, la prime s’élevait à un pourcentage supérieur. Des renseignements communiqués par les courtiers à propos de la route du navire, de son état et de la saison du voyage permettaient aux assureurs d’évaluer les risques qu’ils prenaient et d’adapter le taux de la prime en fonction4. Lorsque le risque se matérialisait, les assureurs étaient tenus de verser la compensation, qui correspondait à la valeur qu’ils avaient assurée. À Anvers, conformément à une « coutume de marchands », qui était également imposée par le Tribunal d’Échevinage, les assureurs devaient payer dans les deux mois suivant la demande dûment étayée de l’assuré. Lorsqu’un navire était porté disparu et qu’aucune nouvelle n’en était parvenue, l’assuré ne pouvait pas fournir de preuve de sa perte. Dans ces circonstances, il avait le droit, au bout d’un an, de renoncer à sa propriété sur la cargaison ou sur le navire assuré au bénéfice de ses assureurs, en échange de la compensation qui avait été convenue5.
5Dans les années 1530, voire 1540, les assureurs à Anvers étaient presque toujours d’origine italienne ou espagnole. Dans les premières décennies du XVIe siècle, de nombreuses expéditions vers les Pays-Bas avaient été assurées auprès d’assureurs de primes actifs à Bruges ou à l’étranger par exemple6. Dans les années 1490 et au début des années 1500, les assurances contre prime pour les transports d’alun depuis Mazarrón et Carthagène, ainsi que pour les envois maritimes de laine et de pastel depuis Bilbao et Bordeaux vers les Pays-Bas méridionaux, étaient signées à Burgos7. Lorsque l’assurance contre prime commença à être proposée à Anvers, à partir de 1520 environ, les marchands d’Europe méridionale basés à Anvers commencèrent à la pratiquer sur place, en tant que preneurs d’assurance et en tant qu’assureurs. Même durant les années 1530 et au début des années 1540, il arrivait parfois que des résidents des Pays-Bas originaires d’Anvers ou d’ailleurs contractent des assurances contre prime à Anvers8 ; ils ne signaient qu’occasionnellement des contrats d’assurance en tant qu’assureurs9. Il semblerait qu’une stratégie antérieure de couverture des risques du transport naval - connue des marchands néerlandais, allemands et français pendant les deux premières décennies du XVIe siècle – continua d’être appliquée. Cette stratégie consistait à étendre la responsabilité du capitaine ou de l’affréteur aux risques navals dans un contrat (contrat de transport ou d’affrétage)10. De plus, dans les années 1530 et 1540, les assureurs contre prime, principalement originaires d’Europe méridionale, ainsi que les preneurs d’assurance, étaient généralement des hommes d’affaires en vue qui commerçaient à grande échelle. Les assureurs étaient souvent impliqués dans la finance internationale11.
6Vers le milieu du XVIe siècle, le marché anversois de l’assurance subit de nouvelles transformations qui mirent sous pression l’équilibre des intérêts dans les contrats d’assurance et les mécanismes d’élaboration des contrats qui étaient à l’œuvre. Les registres du courtier d’assurances espagnol Juan Henriquez, résidant à Anvers, offrent un aperçu intéressant de ce marché de l’assurance en pleine évolution. Au cours de la période allant du 1er août 1562 au 24 septembre 1563, Henriquez enregistra les identités des marchands affréteurs et des assureurs, les destinations et les valeurs assurées pour 1488 polices d’assurance. Henriquez était à cette époque le courtier en assurance maritime le plus en vue à Anvers ; son activité était tellement prospère et importante qu’il dominait le marché du courtage12. Les polices avaient trait à l’assurance maritime de cargaisons expédiées de et vers la Péninsule ibérique, la Méditerranée, l’Afrique (occidentale), les colonies américaines et asiatiques, la France, la Grande-Bretagne et l’Europe du nord. Les comptes de chaque assureur et preneur d’assurance permettent de détailler les activités d’assurance de ces deux catégories.
7Tableau 1. Assureurs et preneurs d’assurance clients de Juan Henriquez, par catégorie de marchands, en 1562-1563
Origine des marchands |
Nombre estimé de marchands en activité à Anvers |
Nombre d’assureurs |
% de la valeur assurée totale |
Nombre de preneurs d’assurance |
% de la valeur assurée totale |
Espagne & Portugal |
450 |
89 |
45.54 % |
87 |
36.74 % |
Italie |
200 |
31 |
25.30 % |
34 |
21.20 % |
Pays-Bas |
500 |
46 |
24.72 % |
113 |
35.37 % |
Allemagne |
300 |
2 |
2.55 % |
6 |
0.42 % |
France |
100 |
4 |
1.81 % |
13 |
6.19 % |
Angleterre |
400 |
1 |
0.08 % |
2 |
0.08 % |
8Ces données (tableau 1) laissent clairement apparaître qu’au début des années 1560, le paysage anversois de l’assurance maritime avait acquis un caractère international bien marqué. Les marchands ibères et italiens apparaissaient toujours au premier rang des assureurs, mais ils avaient été rejoints par de nombreux autres, originaires des Pays-Bas pour la plupart. De plus, les livres de Juan Henriquez montrent qu’au début des années 1560, les assureurs occasionnels et de nombreux preneurs d’assurance, originaires plus souvent qu’auparavant des Pays-Bas, étaient des commerçants de petite envergure. L’ouverture du marché anversois de l’assurance mettait en question l’infrastructure existante : avec des assureurs et des preneurs d’assurance issus d’une catégorie croissante et diverse de commerçants, le marché devenait plus anonyme. Avant 1550 environ, comme la plupart des parties impliquées dans le marché de l’assurance appartenaient aux mêmes cercles de financiers et de commerçants issus d’une certaine élite, les contraintes en matière d’assurance reposaient sur la sociabilité mutuelle et la réputation de chacun. L’application des contrats pouvait à l’occasion – lorsque l’assuré et l’assureur avaient la même nationalité – être imposée par les dirigeants de leur nation14.
9En plus des défis engendrés par la croissance du marché et l’augmentation des interactions, le marché anversois de l’assurance fut frappé par un choc exogène vers la fin des années 1540 et le début des années 1550 : des raids de corsaires écossais et français entraînèrent une augmentation du nombre des litiges entre preneurs d’assurance et assureurs portés devant le Tribunal d’Échevinage d’Anvers. Des sentences enregistrées au cours de ces années-là démontrent que les avocats des assureurs maritimes tentaient de réfuter les nombreuses requêtes en indemnisation auxquelles ils étaient confrontés15. Dès 1548, ces événements attirèrent l’attention de la gouvernante générale des Pays-Bas, Marie de Hongrie, qui demanda à ses conseillers de l’informer sur la situation du marché anversois de l’assurance16. C’est ainsi qu’une première mesure du gouvernement central vint en réponse aux problèmes qui se posaient. Conformément à l’avis des conseillers, plusieurs projets de loi furent rédigés. C’était là une caractéristique typique du processus législatif au niveau du gouvernement central de l’époque : des conseillers étaient désignés pour rassembler les informations nécessaires à la rédaction d’un projet d’ordonnance princière. Bien souvent, ils prenaient l’avis d’experts. Lorsqu’il s’agissait d’affaires économiques, une mesure pouvait être sollicitée de la part de la gouvernante générale par des groupes de marchands qui envoyaient une requête contenant des exigences spécifiques. Dans le cas présent, on ne sait pas si une requête avait été soumise à ce sujet. Il est possible que les nombreux contacts de la gouvernante générale au sein du marché anversois, ainsi que son intérêt marqué pour son évolution (le prince était un emprunteur assidu à la Bourse d’Anvers), aient permis qu’à un moment donné, elle fut alertée de manière informelle de ce qui se passait. Le contenu des projets de loi susmentionnés révèle d’ailleurs un changement de politique. En 1537, une ordonnance princière était venue organiser le règlement des sinistres liés à des contrats d’assurance maritime17, mais, en 1548, le gouvernement central des Pays-Bas fit un pas supplémentaire. Les projets d’ordonnance concernaient principalement l’armement des navires et la constitution des convois. Cependant, des règles furent également fixées, et ce pour la première fois, afin de déterminer le contenu des contrats d’assurance maritime – même si le but de cette ordonnance était de réduire l’utilisation de l’assurance maritime – car on pensait que les navires assurés étaient moins armés et donc davantage susceptibles d’être abordés. Ces règles étaient conçues pour s’appliquer à tous les contrats d’assurance conclus à Anvers, indépendamment du statut ou de la nation des parties engagées dans les contrats. Les mesures princières suivaient en partie la politique du Tribunal d’Échevinage d’Anvers en matière d’assurance maritime : avant 1548, les juges-échevins d’Anvers imposaient des règles indépendamment de la nationalité des signataires des contrats d’assurance. Cependant, par opposition à l’approche des juges anversois, l’initiative princière ne concernait pas seulement les règles de procédure et le recouvrement de dettes (voir infra), mais également le contenu des contrats. Dans les stades initiaux du projet, les conseillers princiers étaient chargés de prendre connaissance de l’opinion de marchands qui possédaient une certaine expertise en la matière18. La consultation de marchands (dont des membres du consulat castillan à Bruges), de capitaines et de mariniers des ports des Pays-Bas eut lieu en 1549. Ensuite, des projets d’ordonnance furent communiqués et amendés en fonction de leurs commentaires19. Une ordonnance princière fut finalement promulguée en janvier 1550, qui contenait certaines règles relatives aux termes des contrats d’assurance, prévoyant notamment que toute assurance maritime d’une cargaison portait au maximum sur neuf dixièmes de sa valeur20. Il semble qu’en l’occurrence les opinions des marchands consultés furent prises en compte. Une version provisoire de l’ordonnance, datée de juin 1549, limitait la proportion de marchandise qui pouvait être assurée à un tiers pour les navires qui ne naviguaient pas vers la Méditerranée, et excluait également les assurances sur corps, que le texte de 1550 autorisait sous certaines conditions21.
La proposition d’un outsider
10En octobre 1555, Giovanni Battista Ferrufini, un marchand probablement originaire du Piémont mais résidant à Anvers, soumit une pétition au Conseil des finances des Pays-Bas, dans laquelle il se plaignait des discussions et procès quotidiens à Anvers, ainsi que des « tromperies et abuz » en matière d’assurance maritime dans cette ville. Ferrufini proposait de rendre obligatoire pour tous les marchands actifs dans les assurances maritimes à Anvers la rédaction de leurs contrats d’assurance par un courtier public. Ce fonctionnaire devait formuler les termes des contrats d’assurance dans la « meilleure forme possible » et se charger de leur authentification par un notaire assistant au moyen du sceau du souverain. Le but était de distinguer ces contrats d’autres – non officiels – qui n’auraient pas pu être présentés devant une cour de justice. Ferrufini avait clairement l’intention d’en tirer profit. Sans l’appeler par son nom, la proposition de Ferrufini impliquait un monopole qui combinait le courtage en assurance et l’enregistrement. De plus, il proposait d’établir la fonction de courtier public sous la forme d’un mandat qui devait être attribué ad vitam au bénéficiaire. Ferrufini demandait qu’on lui attribue ce mandat en échange d’une somme annuelle de 500 florins (ce qui correspond à 83,33 livres gros de Flandre) qui lui aurait été payée pour le restant de sa vie après une période d’essai de dix ans ; proposition lucrative pour le gouvernement central s’il en est. Ferrufini en ferait lui aussi son bénéfice, puisqu’il proposait de se faire payer pour chaque contrat d’assurance un montant de 0,25 % de la valeur assurée22.
11Certains éléments de la requête de Ferrufini indiquent que son auteur n’était pas fortement intégré au paysage de l’assurance à Anvers. Sa pétition s’accompagnait d’une déclaration signée par trente-trois marchands de différentes nationalités, basés à Anvers, qui soutenaient le projet de Ferrufini en confirmant que le taux de courtage mentionné était courant à Anvers. Même si ces individus déclaraient qu’ils assuraient des marchandises, ceci n’était vrai que pour une minorité d’entre eux. Six des marchands qui soutenaient la proposition de Ferrufini étaient mentionnés comme assureurs dans les comptes de Henriquez, datant de quelques années plus tard, et six en tant que preneurs d’assurance. Soulignons que parmi ces derniers figuraient quatre des six assureurs susmentionnés23. Pour six autres, il existe des indices qu’ils auraient été assureurs à un moment de leur vie. Cependant, les dix-neuf autres marchands signataires ne semblent pas avoir été impliqués dans l’assurance à Anvers même si tous appartenaient au gratin de la communauté marchande de la ville24. Il y avait là des banquiers de premier plan et des représentants royaux, comme Anton Palos, agent de la Couronne portugaise, et Lazare Tucher, qui avait été l’agent financier du monarque habsbourgeois. Il est probable que Ferrufini avait également ce profil d’outsider : avant octobre 1555, aucune trace n’atteste de son implication dans l’assurance, que ce soit en tant que preneur d’assurance ou assureur.
12Ferrufini assura, à sa proposition largement intéressée, le soutien de marchands bien connus des institutions centrales, mais il se méprit sur certaines caractéristiques apparemment oligarchiques de la procédure législative princière. Ferrufini la considérait comme un processus descendant, dans lequel le gouvernement central imposait les réglementations aux villes, sans doute parce qu’il connaissait la pratique princière consistant à consulter les marchands importants. Les « marchands principaulx », comme ceux qui figuraient sur la liste annexée à la requête de Ferrufini, se voyaient souvent demander leur opinion en matière de commerce par le prince et ses conseillers, parfois pour rédiger des rapports sur ces questions25. Ferrufini avait délibérément omis d’informer la ville d’Anvers de sa pétition, même si deux échevins anversois (Fernando de Bernuy et Johan Verheyden) avaient signé la déclaration annexée en leur nom propre. Pourtant, il ne faut pas oublier que la consultation préalable à la promulgation d’une ordonnance concernait généralement aussi les magistrats et parties prenantes locaux (voir infra).
13De plus, le côté outsider des propositions de Ferrufini apparaît clairement d’après leur contenu. Dans sa pétition, Ferrufini faisait référence au « commun stille ès escriptures et polis des dictes assurances »26, et plus tard, lorsqu’il clarifia certaines de ses idées en avril 1557, Ferrufini affirma que les courtiers présentaient souvent de nouvelles pratiques et dispositions de contrats comme des us et coutumes (« soubz umbre de cesdictz uz et coutumes »)27. Cependant, même si Ferrufini considérait que ces notions reflétaient des principes de base et recouvraient des contenus connus de tous, étant donné qu’il ne les définissait en aucune façon, rares étaient ce genre de règles qui étaient pratiquées dans le milieu anversois de l’assurance vers 1555. Au cours de la période comprises entre les années 1488 et 1555, les sentences du Tribunal d’Échevinage anversois ne contiennent que peu de références à des « coutumes » relatives à l’assurance maritime et aux accidents navals en tant qu’arguments présentés devant le tribunal. De plus, même si de telles mentions de coutumes concernaient des règles qui étaient imposées par le Tribunal d’Échevinage à tous les membres de la communauté marchande de la ville, elles avaient principalement trait à des questions de procédure et à des reports. En clair, elles ne concernaient pas tellement les termes de l’assurance28. En ce qui concerne le contenu des contrats, il n’y avait pour ainsi dire pas de standards urbains ou marchands. Encore dans les années 1560, la nation des Castillans de Bruges soulignait que personne ne savait quelles étaient les coutumes anversoises d’assurance maritime en matière de dispositions contractuelles, même si vers cette époque, il était plus couramment fait référence aux « coutumes de la Bourse d’Anvers » dans les contrats d’assurance29. Une comparaison entre les rares contrats d’assurance maritime établis à Anvers entre 1530 et 1560 soutient cette conclusion. Même si la formulation pouvait être similaire sous certains aspects, il y avait des différences à d’autres égards, que l’on peut attribuer à la nationalité (la baraterie, par exemple, n’était pas acceptée dans toutes les régions de l’Europe occidentale) ou à la négociation du contrat. Dans une certaine mesure, Ferrufini reconnaissait, dans ses annexes de 1557, l’absence de standards et, indirectement, la diversité de termes qui avait cours, car il insistait sur la nécessité d’une loi princière. Il soutenait qu’elle était indispensable puisque les coutumes d’Anvers en matière d’assurance maritime « ne fusrent oncques déclairés »30.
14Ferrufini ajouta à ses clarifications de 1557 une police type qui contenait ce qu’il considérait être « le style » et « les coutumes » des contrats d’assurance maritime à Anvers. Vu le nombre réduit de coutumes existantes en matière d’assurance dans la cité scaldienne et l’absence de règles relatives aux clauses dans les contrats d’assurance, Ferrufini avait élaboré un style commun de polices d’assurance d’après son propre modèle de contrat, plutôt que d’en défendre un déjà existant. Le contrat d’assurance obligatoire qu’il proposait et son appel à une législation princière pour l’imposer doivent être entendus comme des arguments soulignant l’aspiration largement feinte de Ferrufini au bien public. Malgré tout, l’apport de Ferrufini au développement de l’assurance maritime à Anvers réside dans le fait qu’il fut le premier à soumettre une proposition en vue d’une intervention législative princière. Ceci aurait du aider à réglementer de nombreux termes contractuels et, partant, à diminuer l’incertitude alors observée. Ferrufini anticipa les préoccupations princières qui étaient devenues publiques par l’ordonnance générale de 1550 et par une autre de 155131. Il mit en marche un processus qui aboutirait en fin de compte à des standards concernant les termes des contrats d’assurance sur le marché anversois.
De la consultation aux débats législatifs en passant par la contestation
15Les autorités centrales répondirent à la requête de Ferrufini en réalisant une enquête. Le Conseil des finances « sous-traita » la question à Gaspard Schetz pour analyse. En tant qu’agent commercial du souverain, Schetz était l’un des « marchands principaux » proches du monarque et possédait une expertise en assurance maritime32. Bien qu’il eût soutenu les revendications de Ferrufini en signant la déclaration concernant la rémunération de courtage, il fut désigné pour examiner la question. Ce que l’on qualifierait aujourd’hui de conflits d’intérêt n’étaient pas inhabituels à l’époque. Les « marchands principaux », dont certains partisans de la proposition de Ferrufini, étaient réputés représenter la communauté de tous les marchands d’Anvers33 – même s’ils n’étaient pas unanimes dans leurs opinions – et être de grands spécialistes en affaires marchandes34. Dans son rapport, Schetz confirmait que le marché anversois de l’assurance était passablement chaotique et nécessitait une réglementation princière par le biais d’une forme contractuelle obligatoire ; il se prononçait également en faveur de la proposition de Ferrufini de désigner un seul fonctionnaire qui aurait vocation à centraliser l’écriture et l’enregistrement de toutes les polices. Toutefois il ajoutait que les paiements au trésor du prince devaient être plus élevés. Dès cet instant du processus, Schetz s’attendait à des dissensions entre marchands anversois35. Le 5 décembre 1556, le rapport de Schetz fut envoyé au Magistrat d’Anvers pour obtenir un avis complémentaire concernant la faisabilité des projets de Ferrufini et les souhaits des marchands36. Ces actions indiquent clairement que – contrairement à Ferrufini – les autorités princières cherchaient à obtenir une législation qui fût largement soutenue par le gouvernement d’Anvers et les marchands qui y résidaient.
16Au cours des années qui suivirent, cette volonté de consultation résulta en une démarche conjointe par laquelle des hauts fonctionnaires princiers et municipaux cherchèrent à rédiger une ordonnance contenant des règles susceptibles d’être acceptées par les marchands travaillant à Anvers. Cette démarche était également une conséquence de contestations de la proposition de Ferrufini. Les réactions prirent de l’ampleur en octobre 1557 et en février 1558 lorsque, une fois les projets connus dans leur entièreté37, de nombreux marchands résidant à Anvers et ne soutenant pas la monopolisation du courtage et de l’enregistrement des contrats d’assurance projetée par Ferrufini, soumirent des pétitions élaborées au Magistrat anversois38. En tout, ce ne sont pas moins de 165 marchands qui s’élevèrent contre les projets de Ferrufini39. Des groupes entiers de marchands étrangers établis à Anvers étaient mobilisés au sein de la contestation. Dans l’agitation, neuf des partisans initiaux de Ferrufini changèrent de camp40. Afin d’évaluer les intérêts potentiellement différents au sein de la communauté marchande (en fonction de l’envergure des assureurs et preneurs d’assurance), nous avons recoupé les noms de ceux qui soutenaient la proposition de Ferrufini de 1555 et les noms des opposants avec les comptes de 1562-63 de Juan Henriquez, le courtier d’assurance maritime susmentionné, afin de déterminer l’ampleur de leurs activités d’assurance maritime. Bien qu’Henriquez ne fût par le seul courtier d’assurance à cette époque, sa part de marché était très élevée. Certains de ses contemporains le considéraient comme monopoliste de fait. Dix-sept marchands mentionnés dans les registres de Henriquez en tant qu’assureurs qui ne prenaient pas eux-mêmes d’assurances ont signé les protestations de 1557-58, ainsi que trente-cinq qui étaient à la fois assureurs et preneurs d’assurances, et vingt-sept marchands qui n’étaient que preneurs d’assurances. L’analyse montre que les rares assureurs et preneurs d’assurances du camp pro-Ferrufini qui étaient clients de Henriquez assuraient et s’assuraient le plus souvent pour des valeurs importantes. Les contestataires de 1557-58 étaient en majorité des preneurs d’assurances qui assuraient pour des montants bien moindres.
17Tableau 2. Position envers les propositions Ferrufini des assureurs et preneurs d’assurances clients de Juan Henriquez en 1562-1563 (valeur assurée, en livres gros de Flandre)
Position envers Ferrufini |
|
|||||||||||||||||
Pour en 1555 |
6 |
6765,81 |
5672,16 |
6 |
9994,58 |
10321,73 |
||||||||||||
Contre en 1557 |
52 |
4274,76 |
7832,14 |
62 |
4472,62 |
6229,21 |
18Source : voir note41.
19En octobre 1557, les opposants réagirent face au projet de monopolisation en matière de courtage et d’enregistrement. En février 1558, l’opposition se renforça encore, bien que Ferrufini eût modifié dans une certaine mesure ses projets initiaux. Certains membres importants de nations italiennes avaient proposé que des marchands élus soient désignés comme courtiers ou registraires des contrats d’assurance42. En réaction, Ferrufini proposa de conserver quatre courtiers désignés à côté d’un seul surintendant, qui était censé faire office de registraire43. Par conséquent, les nations pourraient élire un de leurs membres afin de contrôler les contrats d’assurance et de percevoir une commission. De plus, les chefs de la nation génoise faisaient pression pour que ce soient des marchands désignés qui rédigent le projet d’ordonnance concernant l’assurance44 ainsi qu’un modèle de contrat d’assurance45. Les démarches de lobbying cessèrent sous la pression des protestations de la majorité des marchands – pour la plupart des preneurs d’assurance et des assureurs d’envergure modeste – qui militaient pour la liberté de courtage. Ils considéraient en outre le monopole adouci, avec enregistrement centralisé et courtage par le biais de quatre commissaires, comme une grave atteinte à la liberté marchande. Ainsi leur contestation fit plier ceux qui privilégiaient le modèle à quatre courtiers. En février 1558, des marchands de toutes les nations, et parmi eux des partisans de la première heure de Ferrufini et des chefs de la nation génoise, revendiquèrent la liberté de choisir librement tant leur courtier d’assurances que les clauses des contrats, tout en exigeant qu’aucun registraire soit nommé46.
20Les démarches de lobbying susmentionnées ne concernaient pas les nations qui militaient en faveur de la loi de leur région d’origine47, même si les discussions abordaient probablement aussi certaines techniques d’assurance qui n’étaient pas acceptées par chaque nation48. Ceci était dû à la conviction que dans les affaires contractuelles, c’était la réglementation locale qui devait s’appliquer. Les chefs de la nation génoise, par exemple, soulignaient que c’était aux échevins anversois à promulguer une ordonnance et non au gouvernement princier49. Tous les pétitionnaires de février 1558 reconnaissaient la nécessité d’une réforme, mais ils insistaient sur le fait que tout projet d’ordonnance devait faire l’objet d’une concertation avec les marchands. Cette concertation était nécessaire en raison de leur expertise et devait viser à s’assurer de leur adhésion50. Les consultations étaient de pratique courante et les marchands soulignaient qu’ils devaient également être impliqués dans la rédaction des termes des contrats et des règles courantes. La majorité des marchands ne protestait pas contre une ordonnance qui réglementait le contenu des contrats, mais ils s’opposaient aux restrictions du courtage contrôlé, à l’enregistrement et à une législation imposée de manière unilatérale.
21à partir d’octobre 1557, le Magistrat anversois retarda les projets de Ferrufini. Les échevins anversois, qui ne s’étaient pas risqués à détailler des règles de base concernant les clauses des contrats, hésitaient également, car il s’avérait impossible de trouver un compromis51. La contestation répétée transforma alors les efforts de consultation en véritables négociations sur le contenu d’une ordonnance princière ; ces discussions impliquaient désormais également les dirigeants municipaux anversois. À l’été 1558, le gouvernement princier répondit aux pétitions transmises par le Magistrat d’Anvers en désignant de nouveaux commissaires : Gaspard Schetz, Lazare Tucher, Gaspard Ducci et Anton Palos52. Ce choix d’un groupe de commissaires issus de différentes communautés (des marchands allemands, italiens, portugais et des Pays-Bas) reflète les tendances particularistes des nations, même si celles-ci avaient déjà formellement uni leurs forces contre les projets de Ferrufini en février 1558.
22Au début de l’automne 1558, Ferrufini céda et réduisit encore davantage ses projets en admettant le libre choix des courtiers au lieu du monopole des quatre commissaires qui étaient censés assister le registraire officiel comme proposé précédemment53. Vers la fin décembre 1558, suite à des négociations avec des marchands et des représentants de la municipalité, les quatre commissaires susmentionnés rédigèrent un texte de compromis, accompagné d’un modèle de contrat d’assurance. Malgré l’opposition contre un enregistrement monopolisé, ce compromis stipulait qu’un surintendant inscrirait tous les contrats d’assurance, mais il confirmait en revanche que le courtage devait demeurer libre. Le surintendant ne pouvait faire office de courtier que si les parties le choisissaient à cet effet. Le contrat d’assurance standard obligatoire qui était annexé au projet de 1558 était sous certains aspects proche de celui qui avait été soumis par Ferrufini l’année précédente, mais il avait été adapté pour être en conformité avec les pratiques du Tribunal d’échevinage d’Anvers. Comme elle était une coutume bien acceptée qui était également reconnue par les juges-échevins anversois, l’assurance après perte, à laquelle s’était opposé Ferrufini, fut considérée légalement valable, néanmoins sous certaines conditions. À d’autres égards, le compromis corroborait certaines pratiques, comme par exemple la baraterie, pour en faire des règles de base, aux dépens des nations qui ne les acceptaient pas54. Certaines exigences formelles proposées par Ferrufini, mais toutefois pas l’entièreté, furent conservées dans le compromis.
23En janvier 1559, sur la base du compromis de 1558, les échevins d’Anvers purent accepter la candidature de Ferrufini au nouveau poste de surintendant55. A ce moment-là, les dirigeants municipaux firent preuve eux-mêmes d’un comportement particulariste, voire cupide. L’opposition au registraire ne s’était pas estompée, mais les dirigeants anversois tentèrent d’obtenir une part du gâteau en attirant Ferrufini via une opération financière. Ils combinèrent sa nomination avec un prêt de 8000 florins, qui devait être remboursé à un taux d’intérêt de 15 % à condition que Ferrufini obtienne l’approbation du gouvernement central pour le poste de surintendant56. En février et mars 1559, les dirigeants anversois étaient en discussion permanente avec les conseillers princiers dans le but de définir quelle autorité serait compétente pour contrôler le surintendant. Le gouvernement anversois tenta de faire en sorte que le registraire soit un fonctionnaire anversois, mais il échoua57.
24Après avoir obtenu l’autorisation princière pour sa nomination, Ferrufini prit les choses en main pour finaliser les derniers détails du compromis de 1558 en vue d’en faire une ordonnance. Une nouvelle fois, des marchands furent consultés pour la rédaction du projet, et l’écriture du texte eut lieu sous la supervision attentive du gouvernement anversois58. Vers la mi-1559, un projet fut finalisé59, dans l’esprit du compromis de 1558. Cependant, il ne fut pas imposé sous la forme d’une ordonnance princière ou même urbaine, en raison des protestations persistantes contre l’enregistrement des contrats d’assurance par un fonctionnaire unique. Il existe d’ailleurs des traces d’un procès intenté par la nation portugaise afin de faire annuler la nomination de Ferrufini60. Il est ainsi probable que Ferrufini n’ait jamais pris ses fonctions, et s’il le fit, ce ne fut pas pour longtemps61.
25Après le décès ou la retraite de Ferrufini vers 1561, de nouveaux projets visant à nommer un registraire furent bloqués en 156362. Cette opposition réitérée résulta en une loi princière unilatérale, datée d’octobre 156363, qui contenait un modèle de contrat obligatoire beaucoup plus contraignant que le compromis de 155864. En octobre 1570, un nouveau registraire, Diego Gonzalez Gante, fut nommé par le gouvernement central, et une nouvelle ordonnance princière, similaire à celle de 1563, fut promulguée65. Tout ceci provoqua une nouvelle réaction de la part des marchands anversois. De plus, en juin 1570, les échevins d’Anvers avaient proposé aux conseillers princiers dans le cadre de leur projet de loi municipale (costuymen) des règles qui restaient proches du compromis de 155866. Tout ceci résulta en une nouvelle ordonnance princière de janvier 1571 qui reprenait majoritairement les solutions de 1558. Celles-ci étaient cette fois imposées comme directive, et non en tant que contrat obligatoire67. Il ne reste pas de trace des activités d’un registraire officiel à Anvers après 1563 et octobre 1570, plus que probablement en raison du refus des marchands de coopérer.
Conclusion
26L’organisation et la réglementation du marché anversois de l’assurance maritime au milieu du XVIe siècle fit clairement l’objet de controverses. Le gouvernement central joua un rôle crucial dans la gestion des troubles et la recherche de solutions. Même si les fonctionnaires princiers étaient en grande partie d’accord avec la requête de Ferrufini, leur intuition immédiate fut de consulter ceux qui étaient impliqués dans l’assurance maritime. Tout au long du XVIe siècle, il s’agissait là d’un élément essentiel de la politique économique de l’administration princière. Ceci explique pourquoi le gouvernement central fut le premier à intervenir, avant même le Magistrat d’Anvers. Par ailleurs, la réglementation du marché de l’assurance maritime ne fut pas imposée unilatéralement par l’état, quelle que fût la gravité de la situation. Les délibérations et la consultation faisaient partie intégrante des processus législatifs. Par conséquent, la réglementation ne fut pas le résultat d’une adoption des souhaits de la communauté marchande ni de la sélection agile par celle-ci de solutions optimales, ce qui est pourtant avancé dans les travaux de certains historiens. En effet, il est encore courant dans les publications d’histoire économique de considérer que les solutions émergent « au sein du marché »68 de sorte que les législateurs ou les marchands qui appliquent les coutumes sont réduits au rang d’interprètes, alors qu’il convient de les considérer comme les créateurs qu’ils étaient réellement. Même si les circonstances mouvantes incitaient au renouvellement du cadre institutionnel, il n’y avait pas de solution préconçue. Trouver un compromis au sujet de l’organisation du courtage et du contenu des règles de l’assurance maritime était une entreprise difficile en raison de la diversité des recettes possibles et des opinions. Le Magistrat anversois était hésitant, tout en recherchant un accord entre l’ensemble des parties concernées. Au fil du temps, des consultations et des délibérations, les positions s’adoucirent et évoluèrent, jusqu’à ce qu’un compromis fût trouvé. Les marchands importants acceptèrent le libre accès au courtage, certains avec réticence, d’autres après avoir changé d’avis suite à la contestation de 1557-58. En février 1558, cela aboutit à l’abandon, par les nations italiennes, de la revendication d’élire des courtiers. Neuf partisans de la première heure de Ferrufini changèrent d’avis, passant du monopole de courtage à la liberté de choix, sous la pression de la contestation. Le compromis qui vit le jour à partir de 1558 était donc le fruit de ces débats. De plus, il est révélateur que les éléments dudit compromis puissent avoir été contestés par la suite : le fait qu’à partir de 1558, l’existence d’un registraire officiel et le modèle de contrat obligatoire, combinés avec la liberté de choix d’un courtier, étaient devenus des éléments établis des transactions conclues entre tous les protagonistes n’excluait pas, par la suite, un retour à des positions antérieures et de nouvelles dissensions.
27Un autre argument concernant les conséquences diverses de causes interdépendantes (politiques, économiques) dans les processus législatifs est fourni par les variations dans les solutions qui émergèrent des discussions sur l’enregistrement et les contrats standards en matière d’assurance maritime dans d’autres villes, où l’assurance maritime connut des évolutions comparables à Anvers. Dans les centres d’assurance de l’Europe méridionale comme Burgos et Florence, des contrats standards avaient été imposés respectivement en 1514 et 152369. En ce qui concerne Florence où, en 1524-26, deux contrats d’assurance maritime étaient conclus en moyenne chaque jour, il a été démontré que – en dépit de la domination d’un groupe restreint d’assureurs (entre 40 et 50 assureurs signaient 70 % de tous les contrats) – de nombreux assureurs occasionnels (environ 260 à 270) y étaient en activité à cette époque70. Au moment de résumer tous ces éléments, et de généraliser à partir de l’étude de cas détaillée de l’assurance maritime à Anvers, nous pouvons conclure que la croissance commerciale fut un catalyseur de changement, mais qu’elle n’amena pas d’autres standards de comportement économique que la résultante des contraintes et actions politico-économiques. Le processus législatif, aux niveaux central et municipal, garantissait largement l’équilibre et la prise en compte des opinions sur les questions qui étaient à la fois urgentes et compliquées à résoudre.
Notes
1 Génard P., Jean-Baptiste Ferrufini et les assurances maritimes à Anvers au XVIe siècle, dans Bulletin de la Société de géographie d’Anvers, t. 7, 1882, p. 193-268.
2 van Niekerk J. P., The Development of the Principles of Insurance Law in the Netherlands from 1500 to 1800, vol. 1, Kenwyn, 1998, p. 7, p. 201.
3 Concernant la diffusion d’assurance maritime contre prime à Anvers consulter : De ruysscher D., Antwerp (1490-1590) : Insurance and Speculation, dans Marine Insurance. Origins and Institutions, 1300-1850, (dir.) A. Leonard, Londres, 2016, p. 78-105.
4 Sur les caractéristiques de l’assurance maritime de prime, consulter : van Niekerk J. P., The Development…, op. cit., vol. 1, p. 1-87.
5 Voir note 28.
6 De Groote H., De zeeassurantie te Antwerpen en te Brugge in de zestiende eeuw, Anvers, 1975, p. 17.
7 Casado Alonso H., Comercio internacional y seguros marítimos en Burgos en la época de los Reyes Católicos, dans Congresso Internacional Bartolomeu Dias e a sua época, Porto, 1989, p. 606-608.
8 Pour la période de 1530 à 1550, quatre contrats anversois d’assurance maritime ont été conservés (ils datent de 1531, 1535 et 1541). Il y a deux autres documents contenant des références à des assurances maritimes signées à Anvers de 1540 et 1543, des jugements faisant mention des arguments de litigants lors de dix procès devant le Tribunal d’Échevinage d’Anvers qui portent sur des contrats d’assurance maritime et ce pour la période de 1540 à 1549, ainsi que six mentions d’assurés dans le registre d’un courtier d’assurance datant des années 1549-1550. Dans quatre de ces vingt-deux références à des contrats d’assurance maritime, l’assuré était un individu originaire des Pays-Bas. Voir Archives Municipales d’Anvers-FelixArchief (cité ci-après AMA), Notaires (cité ci-après N), n° 2070, fol. 95v.-96r. (22 octobre 1535), n° 3133, fol. 375 r.-v. (12 octobre 1540) ; AMA, Vierschaar (cité ci-après V), n° 1241, fol. 48v-49v (sentence étendue du Tribunal d’Échevinage d’Anvers, 7 mai 1547) ; De Groote H., De zeeassurantie…, op. cit., p. 119 (contrat, 7 juin 1535). Pour des références à des assurés d’origine sud-européenne (seize des 22 contrats mentionnés), voir : AMA, N, n° 3133, fol. 36r. (contrat du 12 février 1541 (n.st.), faisant référence à des assurés et assureurs espagnols) ; AMA, V, (sentences étendues du Tribunal d’Échevinage d’Anvers), n° 1237, fol. 23v.-24v. (31 octobre 1542) et fol. 50v.-51r. (22 novembre 1542), n° 1238, fol. 62r. (17 septembre 1543), n° 1241, fol. 4r. (1 mars 1548 (n.st.)), n° 1242, fol. 50v.-52r. (10 avril 1548 (n.st.)), fol. 111v. (14 juillet 1548), et fol. 270v. (12 janvier 1549 (n.st.)) ; Denucé J., L’Afrique au XVIe siècle et le commerce anversois, Anvers, 1937, p. 93-96 (registre de courtier, six mentions datant de 1549) ; Goris J.-A., Étude sur les colonies marchandes méridionales (portugais, espagnols, italiens) à Anvers de 1488 à 1567, Louvain, 1925, p. 641 (août 1543) ; Wijffels A., Business Relations between Merchants in Sixteenth-Century Belgian Practise-Orientated Civil Law Literature, dans From Lex Mercatoria to Commercial Law, (dir.) V. Piergiovanni, Berlin, 2004, p. 256-259 (procès devant le Tribunal d’Échevinage d’Anvers, 1540).
9 Des vingt-deux références à des contrats d’assurance maritime mentionnés, il n’y en a que trois qui concernent des assureurs des Pays-Bas. Cf. Goris J.-A., Étude sur les colonies marchandes…, op. cit., p. 641-642 (août 1543, contenant les noms de 54 assureurs, parmi eux 31 Italiens, 11 Espagnols, ainsi que trois marchands des Pays-Bas : Jacques de Cordes, Balthazar de Cordes et Aert Nieulant) ; AMA, V, n° 1242, fol. 111v. (14 juillet 1548, défendeur-assureur Aert Nieulant) et fol. 270v. (12 janvier 1549 (n.st.), défendeur-assureur Jacques Le Moins). Dix-huit des vingt-deux mentions concernent des assureurs sud-européens. Les sources non indiquées dans la note précédente et qui renvoient à des assureurs sud-européens : AMA, V, n° 1241, fol. 48v.-49v. (sentence étendue du Tribunal d’Échevinage d’Anvers, 7 mai 1547) ; Hofmeister A., Eine Hansische Seeversicherung aus dem Jahre 1531, dans Hansische Geschichtblätter, t. 5, 1886, p. 169-177 (contrat d’assurance maritime, juillet 1531, contenant les noms de 44 assureurs, dont 41 étaient des Espagnols, des Italiens ou des Portugais).
10 Archives de l’État à Anvers, Notaires, n° 522, fol. 57r-58r (contrat de transport, 22 juillet 1525) et fol. 63r.-64v. (contrat de transport, 31 juillet 1525). Ces deux contrats sont signés par des capitaines des Pays-Bas et ce pour le compte d’un marchand allemand, Joachim Pruner. Pour un exemple de responsabilité assumé par un affréteur, voir : Documents pour servir à l’histoire du commerce des Pays-Bas avec la France jusqu’à 1585. Actes notariés de La Rochelle, 1423-1585, M. A. Drost (éd.), La Haye, 1984, p. 32-34 (23 et 24 mars 1537 (n.st.)). La responsabilité étendue de capitaines n’est pas commune dans les contrats de transport signés par des marchands espagnols ou italiens. Dans les années 1540, ces derniers travaillent encore couramment avec des capitaines sud-européens. Cf. AMA, N, n° 3133, fol. 73r.-74r. (contrat de transport, 20 mars 1540) ; AMA, Certificatieboeken (cité ci-après CB), n° 5, fol. 18r. (certificat d’affrétage, 28 août 1542) et fol. 43r. (certificat d’affrétage, 28 août 1542), et AMA, CB, n° 6, fol. 41r.-v. (certificat d’affrétage, 21 avril 1544) ; Goris J., Étude sur les colonies marchandes..., op. cit., p. 630-632 (contrat de transport, 21 juin 1540). En ce qui concerne la prépondérance de capitaines d’origine sud-européenne travaillant pour des marchands espagnols et italiens basés à Anvers dans les années 1540, voir Ibid., p. 162-167.
11 Coornaert E., Les Français et le commerce international à Anvers, fin du XVe-XVIe siècle, vol. 2, Paris, 1961, p. 238-239. Parmi les assureurs de la police d’assurance maritime de 1531, on retrouvait des banquiers et hommes de finances tels que Giovanni Carlo d’Affaitadi, Gaspard Ducci et Ruiz Fernandez. Cf. Hofmeister A., Eine Hansische Seeversicherung…, op. cit., p. 173-177. Sur les preneurs d’assurance avant 1550, voir : De Groote H., De zeeassurantie…, op. cit., p. 19-20, p. 119-120.
12 Henriquez est mentionné dans la police d’assurance type qui était jointe à l’ordonnance princière d’octobre 1563. On considérait ses activités de courtage en assurance maritime comme un quasi-monopole. Cf. Ibid., p. 152, p. 154. Entre août 1562 et septembre 1563, Juan Henriquez est courtier pour une valeur totale assurée de 583 856 livres gros de Flandre. En février 1558, d’autres courtiers (leur nombre est inconnu) gagnent annuellement entre 200 et 300 florins (ce qui équivaut à un montant de ca. 33 à ca. 50 livres gros de Flandre). Cf. AMA, Privilegiekamer (cité ci-après PK), n° 1019, 127 (requête, février 1558), ce qui correspond à une valeur assurée de ca. 13 200-20 000 livres gros de Flandre (la commission de courtage était de 0,25 % de la valeur assurée). En résumé, on peut considérer le poids des affaires de courtage de Henriquez dans le marché de courtage en assurance maritime à Anvers comme considérable.
13 Wastiels A., Juan Henriquez, makelaar in zeeverzekeringen te Antwerpen (1562-1563), Gand, 1967, p. 870-884 (thèse de doctorat inédite en histoire). Les estimations du nombre de marchands étrangers à Anvers sont basées d’après Brulez W., De handel, dans Antwerpen in de XVIde eeuw, (dir.) W. Couvreur, Anvers, 1975, p. 128-131 ; Gelderblom O., Cities of Commerce. The Institutional Foundations of International Trade in the Low Countries (1250-1650), Princeton-Oxford, 2013, p. 33.
14 Ibid., p. 155-156.
15 AMA, V, sentences étendues du Tribunal d’Échevinage d’Anvers concernant des demandes en paiement d’indemnité d’assurance suite à une saisie ou capture de navire : n° 1241, fol. 4r. (1 mars 1548 (n.st.)), fol. 48v.-49v. (7 mai 1547), n° 1242, fol. 50v.-52r. (10 avril 1548 (n.st.)), et n° 1244, fol. 25v. (17 octobre 1555). Des autres sentences étendues de cette période se réfèrent à des calculs d’avarie après une capture de navire : AMA, V, n° 1242, fol. 127r. (18 août 1548), 1244, fol. 60v.-61r. (24 décembre 1555), fol. 126v.-127v. (12 mars 1556 (n.st.)), et fol. 128-130 (1 avril 1556 (n.st.)).
16 Sicking L., Neptune and the Netherlands : State, Economy and War at Sea in the Renaissance, Leyde, 2004, p. 250, note 152 (lettre, juin 1548). Voir également Archives Générales du Royaume à Bruxelles (cité ci-après AGRB), Papiers d’État et de l’Audience (cité ci-après PEA), n° 1633/1, lettre de la gouvernante générale aux conseils provinciaux (14 janvier 1549 (n.st.)).
17 Recueil des ordonnances des Pays-Bas, J. Lameere et H. Simont (éds.), 2e série, vol. 4, Bruxelles, 1907, p. 34-35 (ordonnance princière, 25 mai 1537) ; De Smedt O., De keizerlijke verordeningen van 1537 en 1539 op de obligaties en wisselbrieven. Eenige kanttekeningen, dans Nederlandsche Historiebladen, t. 3, 1940, p. 15-21. Durant les années 1540, les articles de l’ordonnance princière de 1537 en matière d’assurance maritime étaient considérés comme appartenant au droit municipal anversois. Cf. De ruysscher D., De ontwikkeling van het Antwerpse privaatrecht in de eerste helft van de zestiende eeuw : uitgave van het Gulden Boeck (ca. 1510-ca. 1537), (ontwerpen van) ordonnanties (1496-ca. 1546), een rechtsboek (ca. 1541-ca. 1545) en proeven van hoofdstukken van de Costuymen van 1548, dans Bulletin de la Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique (cité ci-après BCRALOB), t. 54, 2013, p. 65-324.
18 AGRB, PEA, n° 1633/1, lettre de la gouvernante générale aux conseils provinciaux (14 janvier 1549 (n.st.)) : « […] visiter ladite minyte et en communicquer a aulcuns bons personaiges marchans et aulcuns de votre gens eulx cognoissans en telz affaires […] ».
19 Sicking L., Los grupos de intereses marítimos de la Península Ibérica en la ciudad de Amberes : la gestión de riesgos y la navegación en el siglo XVI, dans Gentes de mar en la ciudad atlántica medieval, (dirs.) J. A. Solórzano Telechea, M. Bochaca et A. Aguiar Andrade, Logroño, 2012, p. 169, p. 177.
20 Recueil des ordonnances des Pays-Bas, J. Lameere (†) (éd.), 2e série, vol. 6, Bruxelles, 1922, p. 3-13 (19 janvier 1550 (n.st.)). En ce qui concerne l’histoire de cette ordonnance, consulter : Sicking L., Stratégies de réduction de risque dans le transport maritime des Pays-Bas au XVIe siècle, dans Ricchezza del mare, ricchezza dal mare, secc. XIII-XVIII, (dir.) S. Cavaciocchi, Prato, 2006, p. 797-798 ; Craeybeckx J., De organisatie en de konvooiering van de koopvaardijvloot op het einde van de regering van Karel V : bijdrage tot de geschiedenis van de scheepvaart en de admiraliteit, dans Bijdragen voor de geschiedenis der Nederlanden, t. 3, 1949, p. 188-193.
21 Sicking L., Los grupos des intereses marítimos…, op. cit., p. 197.
22 AGRB, PEA, n° 145, fol. 136r.-v. (requête de Giovanni Battista Ferrufini à l’attention du Conseil des finances, 1 octobre 1555).
23 Les assureurs sont Alessandro Bonvisi, Jeronimo de Salamanca, Anton del Rio, Jacob Lang, Marcos Nuñez Pérez et Christophe Pruynen. Les preneurs d’assurance sont Bonvisi, del Rio, Lang, Pruynen, Giovanni Battista Sforzoso et Jeronimo Spinosa.
24 AMA, V, n° 1242, fol. 270v. (12 janvier 1549 (n.st.), défendeur-assureur Gaspard Schetz) ; n° 1244, fol. 63r.-66r. (24 décembre 1555, défendeur-assureur Diego de Santa Cruz) ; Goris J.-A., Étude sur les colonies marchandes..., op. cit., p. 641-642 (août 1543, Diego de Santa Cruz et Silvestro Cattaneo sont mentionnés en tant qu’assureurs) ; Wyffels C., Een Antwerpse zeeverzekeringspolis uit het jaar 1557, dans Bulletin de la Commission royale d’Histoire (cité ci-après BCRH), t. 113, 1948, p. 103 (contrat du 8-9 février 1557, assureur Galeotto Magalotti) ; Hofmeister A., Eine Hansische Seeversicherung…, op. cit., p. 174 (des assureurs mentionnés sont entre autres un membre de la famille Micheli et Giovanni Carlo d’Affaitadi).
25 Voir, par exemple, AGRB, PEA, n° 1635/1, lettre du conseiller Albert van Loo à la gouvernante générale, 14 octobre 1553 (faisant mention de la consultation de Lazare Tucher concernant les effets d’un sursis de paiement au marché d’Anvers, imposé par ordonnance) ; AGRB, PEA, n° 1737/3, fol. 419r.-420r. (lettre de Gaspard Schetz, agent du prince à partir de novembre 1555, à la gouvernante générale concernant l’effet d’un monopole de commerce des grains sur le marché anversois, 30 octobre 1565).
26 AGRB, PEA, n° 145, fol. 136r. (requête de Giovanni Battista Ferrufini au Conseil des finances, 1 octobre 1555). Voir aussi : Génard P., Jean-Baptiste Ferrufini…, op. cit., p. 197 ; Moscarda D., L’italiano Giovan Battista Ferrufini, sovrintendente alle Assicurazioni in Anversa, dans Per Carlo Ghisalberti : Miscellanea di Studi, (dirs.) E. Capuzzo et E. Maserati, Naples, 2003, p. 80. Les historiens qui font référence à la proposition de Ferrufini (entre autres Jan-Albert Goris, Émile Coornaert, Wilfrid Brulez, Hans Pohl et Oscar Gelderblom) se sont tous basés sur l’article de P. Génard ; leurs analyses ne sont pas citées ci-après.
27 AMA, PK, n° 1019, 120 (analyse complémentaire par Giovanni Battista Ferrufini, avril 1557). Voir aussi : Génard P., Jean-Baptiste Ferrufini…, op. cit., p. 204 ; Moscarda D., L’italiano Giovan Battista Ferrufini…, op. cit., p. 83.
28 Les coutumes concernaient des délais de procédure, par rapport au paiement de l’indemnité par les assureurs (deux mois, un an), grosse avarie et la règle que l’assurance après perte était admise à condition que l’assuré n’était pas au courant de la perte avant la date du contrat. L’option du preneur d’assurance de renoncer à ses droits de propriété sur la marchandise assurée au bénéfice des assureurs, au bout d’un an et en échange de l’indemnité, est également décrite en termes de coutume. Cf. AMA, V, sentences étendues du Tribunal d’Échevinage d’Anvers : n° 1239, fol. 117v. et fol. 138v. (19 juillet 1544). Sur la distribution de dommages-intérêts suivant les principes de grosse avarie : AMA, V, n° 1241, fol. 104r. (16 juillet 1547), fol. 283r. (8 mars 1548 (n.st.)), n° 1244, fol. 61r. (24 décembre 1555), et fol. 126v. (12 mars 1556 (n.st.)). En ce qui concerne la légalité d’assurance après perte, voir : AMA, V, sentences étendues du Tribunal d’Échevinage d’Anvers : n° 1241, fol. 49r. (7 mai 1547), n° 1242, fol. 51v. (10 avril 1548 (n.st.)) et n° 1238, fol. 62r. (17 septembre 1543).
29 Cf. Coronas González S. M., La ordenanza de seguros marítimos del consulado de la nación de España en Brujas, Anuario de historia del derecho, t. 54, 1984, p. 390, note 18 (« […] el qual uso y costumbre [de Amberes] nunca se a visto por escrito, ny ay persona que sepa el dicho uso ny costumbre […] » ) ; Verlinden Ch., Code d’assurances maritimes selon la coutume d’Anvers, promulgué par le consulat espagnol de Bruges en 1569, dans BCRALOB, t. 16, 1950, p. 60 (référence à l’introduction du texte imprimé français). La remarque mentionnée porte sur la confusion perpétuée par rapport aux conditions générales en matière d’assurances maritimes. Des références aux « coutumes de la bourse d’Anvers », qui figurent dans des contrats d’assurance maritime à partir des années 1550, ne concernent pas une collection de coutumes, mais bien des pratiques générales d’assurance (aussi et surtout quand cette formule est combinée avec la phrase « coutumes de la Strada de Londres », qui est encore d’usage dans les années 1560). Les coutumes « de la bourse » comprennent également des usages marchands qui étaient connus à Anvers et/ou des pratiques (procédurales) du Tribunal d’Échevinage d’Anvers.
30 Génard P., Jean-Baptiste Ferrufini…, op. cit., p. 203 ; Moscarda D., L’italiano Giovan Battista Ferrufini…, op. cit., p. 82.
31 Recueil des ordonnances des Pays-Bas, J. Lameere (†) (éd.), 2e série, vol. 6, Bruxelles, 1922, p. 163-177 (ordonnance princière, 19 juillet 1551, art. 18-22).
32 Voir note 35. Gaspard Schetz, né à Anvers en 1513, était le fils d’un marchand et financier, Erasmus Schetz. Il est inscrit à l’Université de Louvain en 1531 et fréquente également les universités d’Erfurt et Marbourg en Allemagne. Il hérita de son père la seigneurie de Grobbendonk, acheta seul Wezemaal à Charles de Brimeu, seigneur de Megen, et acquit, avec ses frères Melchior et Balthazar, la propriété de Gaspard Ducci, seigneur de Kruibeke. Il fut nommé trésorier général au sein du Conseil des finances en 1564. Au cours de l’année 1576, il devint conseiller pour les États généraux et, à ce titre, participa aux négociations relatives à la Pacification de Gand. Il mourut en 1581, à Mons. Cf. d’Ursel B., Les Schetz. La Maison de Grobbendonck, Bruxelles, 2004, p. 143-257 ; Baelde M., De Collaterale raden onder Karel V en Filips II (1531-1578) : bijdrage tot de geschiedenis van de centrale instellingen in de zestiende eeuw, Bruxelles, 1965, p. 307-308.
33 AGRB, PEA, n° 1191/41, 43 (in 37) (projet d’ordonnance (princière ?) ca. 1547). Ce projet (échoué), datant de la fin des années 1540, stipule l’établissement d’un tribunal de marchands à Anvers. Quatre présidents, qui sont des « marchands principaux » considérés comme représentants des marchands faisant des négoces à Anvers, supervisent l’élection des juges.
34 Voir, par exemple, AGRB, PEA, n° 1633/1, lettre de la gouvernante générale aux conseils provinciaux, 14 janvier 1549 (n.st.).
35 AMA, PK, n° 1019, 104 (rapport de Gaspard Schetz, 8 octobre 1556). Voir aussi Génard P., Jean-Baptiste Ferrufini…, op. cit., p. 201-202.
36 Ibid., p. 203.
37 Ibid., 216. Au début, les plans n’étaient pas publics. Il apparaît que seuls les leaders de quelques nations étaient au courant des propositions de Ferrufini, mais non la totalité de leurs membres.
38 AMA, PK, n° 1019, 127 (requête de marchands, février 1558), 128 (requête de marchands, 13 octobre 1557) et 130 (requête de marchands, fin de 1557). P. Génard a édité ce document, l’autre requête datant de 1557 ainsi qu’une liste de noms d’opposants dont l’original semble perdu (Génard n’inclut pas de référence à la source) ; la liste des noms date de février 1558 et non d’octobre 1557 comme suggéré dans l’article de Génard. Cf. Génard P., Jean-Baptiste Ferrufini…, op. cit., p. 215-233
39 Ibid., p. 210-212, p. 213, p. 233. Voir également AMA, PK, n° 1019, 128 et 130 ne mentionnent pas de noms.
40 Il s’agit de Giovanni Carlo d’Affaitadi, Alessandro Bonvisi, Anton del Rio, Jacob Lang, Zacaria Leccaro, Galeotto Magalotti, Bartolomeo Micheli, Manuel Riccio et Giovanni Battista Sforzoso. Voir Génard P., Jean-Baptiste Ferrufini…., op. cit., p. 199-200, p. 210-212 et p. 233. Jacob Lang, Alessandro Bonvisi, Anton del Rio et Giovanni Battista Sforzoso sont mentionnés dans les régistres de Juan Henriquez de 1562-63. Pour les autres, et ce à l’exception de Leccaro et Riccio, il semble qu’ils aient été assureurs à un moment de leur carrière.
41 Ibid., p. 210-212, p. 233, p. 247 ; Wastiels A., Juan Henriquez…, op. cit., p. 870-884.
42 AMA, PK, n° 1019, 98 (requête, sans date, en italien, proposant l’installation de quatre courtiers d’assurance assistés par un scribe) et 100 (requête de marchands, sans date (début 1558), probablement de la nation de Lucques, qui propose de faire nommer un échevin comme registraire, ayant deux marchands comme assistants).
43 Génard P., Jean-Baptiste Ferrufini…, op. cit., p. 216.
44 AMA, PK, n° 1019, 119 (requête de la nation génoise, sans date (début 1558)).
45 A un certain moment, des marchands italien proposent un contrat type. Voir AMA, PK, n° 1019, 186 (rapport bref, sans date).
46 Génard P., Jean-Baptiste Ferrufini…, op. cit., p. 215-232.
47 AMA, PK, n° 1019, 100 (requête de marchands, sans date (début 1558)) et 119 (requête de la nation génoise, sans date (début 1558)).
48 Un exemple est la baraterie du capitaine, ce qui comprend les dommages causés par la conduite du capitaine ou de ses mariniers. Au milieu du XVIe siècle, ce risque n’était pas couvert dans les polices d’assurance maritime écrites à Gênes et dans des centres d’assurance espagnols, tandis que ce procédé était communément assuré dans les Pays-Bas, à Londres et à Rouen. Voir Rossi G., Insurance in Elizabethan London. The London Book of Order, Cambridge, 2012, p. 173-176 (thèse inédite en histoire) [sous presse au Cambridge University Press] ; van Niekerk J. P., The Development…, op. cit., vol. 1, p. 376-379.
49 AMA, PK, n° 1019, 119 (requête de la nation génoise, sans date (début 1558)).
50 Ibid., 127 (requête de marchands, février 1558). Voir aussi Génard P., Jean-Baptiste Ferrufini…, op. cit., p. 228 (s. 36-37) et p. 231-232 (s. 50).
51 Ibid., p. 234-235 (rappels du gouverneur général Emmanuel-Philibert de Savoie du 25 octobre 1557, 23 mars 1558 (n.st.), et 27 juin 1558).
52 Ibid., p. 237. Deux d’entre eux, Gaspard Schetz et Gaspard Ducci, ont de l’expérience en tant qu’assureurs. Concernant Ducci, voir Hofmeister A., Eine Hansische Seeversicherung…, op. cit., p. 173 (contrat de juillet 1531).
53 AMA, PK, n° 1019, 91 (explications complémentaires de Giovanni Battista Ferrufini, sans date) et 141 (lettre du magistrat d’Anvers au prince, 6 octobre 1558).
54 Ibid., 140 (rapport des commissaires princiers Schetz, Tucher, Ducci et Palos, décembre 1558).
55 Ibid., 131 (décision du magistrat d’Anvers, 18 janvier 1559 (n.st.)), 133 (idem, 6 février 1559 (n.st.)) et 159 (serment prêté par Ferrufini devant le magistrat d’Anvers, 15 février 1559( n.st.)).
56 Génard P., Jean-Baptiste Ferrufini…, op. cit., p. 249-250.
57 AMA, PK, n° 478, 143 (notes du conseiller municipal Jan Gillis, février-mars 1559 (n.st.)).
58 AMA, PK, n° 1019, 163 (lettre de Ferrufini au prince, mai 1559) et 161 (lettre du prince au magistrat d’Anvers, 18 mai 1559).
59 Ibid., 177 (projet d’ordonnance, 1559). Voir aussi Génard P., Jean-Baptiste Ferrufini…, op. cit., p. 261-267.
60 AMA, PK, n° 1019, 89 (rapport, sans date (probablement octobre 1561)).
61 Il est mentionné la dernière fois en 1561. Voir AMA, CB, n° 17, fol. 180 (certificat des échevins anversois, 26 septembre 1561).
62 De Groote H., De zeeassurantie…, op. cit., p. 81 (faisant référence à une lettre du duc d’Albe, alors gouverneur général, datant du 15 janvier 1570 (n. st.)).
63 Ordonnantie … Placcaerten van Vlaenderen, vol. 2, Anvers, 1662, p. 307-334 (ordonnance princière, 31 octobre 1563).
64 De ruysscher D., Van kade naar stadhuis. Informatieuitwisseling, fraudebestrijding en gereglementeerde innovatie in Antwerpse zeeverzekeringen (ca. 1550-ca. 1700), dans Tijdschrift voor Geschiedenis, t. 125, 2012, n° 3, p. 370-371.
65 Sur le registraire de 1570, voir Couvreur W., Recht en zeeverzekeringspractijk in de 17de en 18de eeuwen, dans Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, t. 16, 1939, p. 186-187 ; De Groote H., De zeeassurantie…, op. cit., p. 80-83 ; van Niekerk J. P., The Development…, op. cit., vol. 1, p. 203-205. L’ordonnance de 1570 est publiée dans Reatz Ch. F., Ordonnances du duc d’Albe sur les assurances maritimes de 1569, 1570 et 1571, avec un précis de l’histoire du droit d’assurance maritime dans les Pays-Bas, dans BCRH, 4e série, t. 5, 1878, p. 89-105.
66 De ruysscher D., Van kade naar stadhuis…, op. cit., p. 371.
67 Collection de lois maritimes antérieures au XVIIIe siècle, J.-M. Pardessus (éd.), vol. 4, Paris, 1838, p. 103-119 (ordonnance princière, 20 janvier 1571 (n.st.)).
68 Gelderblom O., Cities of Commerce…, op. cit., p. 119-121, p. 135-140, p. 199-200 et p. 201-209.
69 van Niekerk J. P., The Development…, op. cit., vol. 1, p. 486.
70 Ceccarelli G., Un mercato del rischio. Assicurare e farsi assicurare nella Firenze rinascimentale, Venise, 2012, p. 163-164, p. 177-202, p. 216-226, p. 263.
Pour citer cet article
A propos de : Dave De Ruysscher
Dave De ruysscher (MA, LLM, PhD) is legal historian and lawyer. He publishes on the history of commercial and contract law until the present day. The focus of his research is on early-modern commercial law, in particular on commercial paper (e.g. bills of exchange), marine insurance, partnership (companies) and bankruptcy. As of 2010, he is appointed lecturer at the Department of Interdisciplinary Legal Studies (Faculty of Law and Criminology) of the VUB. He is also part-time postdoctoral researcher of the Fund of Scientific Research – Flanders, at the University of Antwerp.
A propos de : Jeroen Puttevils
Jeroen Puttevils is a post-doctoral researcher of the Research Foundation Flanders (FWO-Vlaanderen). In 2012 he defended his PhD-dissertation titled "The Ascent of Merchants from the Southern Low Countries: from Antwerp to Europe, 1480-1585". From January to May 2013, Jeroen Puttevils was a Fulbright Visiting Scholar at the History Department of the University of Pennsylvania, USA. Currently, he works on a new research project "The Lure of Lady Luck: lotteries and economic culture in the fifteenth- and sixteenth-century Low Countries".
His book Merchants and Trading in the Sixteenth Century: the Golden Age of Antwerp is published by Pickering & Chatto (now Routledge) in 2015.