depuis le 01 septembre 2015 :
Visualisation(s): 1709 (4 ULiège)
Téléchargement(s): 0 (0 ULiège)
print
print
Bérengère Piret

Nomenclature du personnel judiciaire colonial. Dire le droit et rendre la justice à Stanleyville, 1935-1955

(Vol. 42 - 2020)
Article
Open Access

Résumé

On considère généralement que la fonction fait l’homme, au Congo c’est davantage l’homme qui fait la fonction. En raison de la multiplicité des missions confiées aux fonctionnaire territoriaux (assurer le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique, construire et entretenir les voies de communication comme les édifices publics, définir et faire exécuter les programmes agricoles, etc.), du contrôle réduit dont ils font l’objet et de l’absence de contre-pouvoir qui leur est opposé, leur formation et leur personnalité s’avèrent déterminantes. Loin de dresser la prosopographie du personnel du tribunal de district de Stanleyville, nous baliserons uniquement les principaux éléments de leur parcours. Ceux-ci doivent nous permettre de comprendre qui ils sont lorsqu’ils agissent au sein de ladite juridiction.

Index de mots-clés : Congo (belge), Histoire de la justice, Stanleyville (Kisangani), Magistrats, Personnel judiciaire

Abstract

We generally assume that the function makes the man, in Congo it is more the man who makes the function. Owing to the multiplicity of tasks entrusted to territorial officials (ensuring the maintenance of public order and tranquillity, building and maintaining communication routes such as public buildings, defining and implementing agricultural programmes, etc.), the limited control to which they are subject and the absence of counter-power, their training and personality are decisive. Far from drawing up a prosopography of the staff of the Stanleyville District Court, we will only outline the main elements of their career path. These should enable us to understand who they are when they act within that jurisdiction. 

Index by keyword : (Belgian) Congo, Legal History, Stanleyville (Kisangani), Magistrates, court officials

1Bérengère Piret

Introduction

2Le 18 décembre 1952, Michel Kreutz préside le tribunal de district de Stanleyville (actuelle Kisangani, RDC) et entend une affaire d’escroquerie. Avant celle-ci, il a tranché des centaines de cas de vols et d’agressions physiques, des dizaines de détournements et de faux ainsi que quelques viols et rébellions notamment. La juridiction au sein de laquelle il œuvre est compétente pour « l’ensemble des infractions pénales commises par les justiciables indigènes »1. Quand il conclut à la responsabilité d’un justiciable, il peut prononcer une peine de privation de liberté allant d’un jour à la perpétuité et/ou une amende. Il peut également requérir la peine de mort. Le juge n’est pas le seul acteur à intervenir dans le prononcé de cette peine, il est obligatoirement accompagné d’un substitut du procureur du roi et d’un greffier. Dans de rares cas, il entend également un défenseur (professionnel ou non) ainsi qu’un expert.

3L’activité judiciaire et la carrière de Michel Kreutz, comme celles de ses confrères, sont peu connues. Les historiens se sont en effet principalement concentrés sur les structures judiciaires coloniales (belges2, françaises3 et britanniques4 notamment). Lorsqu’ils ont envisagé leurs acteurs, ils ont principalement considéré les jurisconsultes5 ainsi que les magistrats des cours et tribunaux supérieurs6. Les « petits juges » et, de manière générale, le personnel des tribunaux inférieurs ont fait l’objet d’un nombre particulièrement réduit de recherches scientifiques jusqu’à présent. Or, celles-ci sont cruciales pour comprendre le fonctionnement de la justice coloniale. Leur implication est en effet décisive en raison de la rareté du personnel judiciaire et de l’importante autonomie qui lui est accordée. Le présent article n’ambitionne ni de proposer une étude globale des cadres judiciaires de la colonie (statut, nomination, effectifs, etc.) ni de déployer un questionnaire prosopographique les concernant, mais il vise à baliser les principales étapes de la formation et de la carrière du personnel des tribunaux « secondaires » du Congo belge afin d’interroger les ressorts de leur action judiciaire. Cette enquête est menée à partir du cas constitué par le tribunal de district de Stanleyville entre 1935 et 1955.

L’administration du personnel d’Afrique est l’administration de sa rareté

4Le personnel colonial se caractérise avant tout par son nombre réduit7. Depuis la période de l’État indépendant du Congo, cette réalité est dénoncée par les principaux dirigeants congolais comme par les acteurs de terrain ; tous se plaignent de ne pas disposer des moyens nécessaires afin de remplir les tâches qui leur incombent. Le gouvernement tempère toutefois leurs revendications, car il a la volonté de limiter strictement le cout de l’administration de la colonie. Il doit en outre faire face au manque de candidats au départ. Jusqu’aux années 1920, et dans une moindre mesure jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Belges sont en effet particulièrement réticents à s’engager dans une carrière africaine8. L’administration bruxelloise n’en augmente les effectifs qu’à la suite de la création d’organes de gouvernement ou de la multiplication des ressorts institutionnels9. Elle renforce également les cadres ultramarins lorsqu’elle y est contrainte par des pressions extérieures. Elle agit notamment de la sorte dans le contexte de la reprise du Congo par la Belgique (1908) ainsi qu’après 1945, quand le système colonial est battu en brèche.

5Le profil, globalement ascendant, dessiné par les effectifs coloniaux se tasse à l’occasion de la Seconde Guerre mondiale. Les agents se trouvant sur le vieux continent lorsque le conflit éclate ne peuvent en effet rejoindre le Congo à la suite de l’interruption des communications intercontinentales. En outre, le personnel de la colonie est mobilisé au sein de l’armée métropolitaine ou de la Force publique congolaise entrainant le départ de près de 10 % des cadres européens dans les centres de Léopoldville et d’Élisabethville et de plus de trente pour cent ailleurs10. Les agents engagés sur place — des missionnaires, des colons, des femmes européennes ainsi que des Congolais — ne parviennent pas à compenser leur perte. Cette situation affecte profondément l’administration de la colonie et spécialement l’occupation des postes de l’intérieur. Les cadres réduits suffisent à peine à y assurer la gestion quotidienne ainsi que les missions qui leur sont confiées dans le cadre de « l’effort de guerre »11.

6La signature de l’armistice n’est pas accompagnée de la restauration des effectifs coloniaux. Les agents mobilisés au front et ceux qui ont passé la guerre dans la colonie sont en effet autorisés à prendre leurs congés en Europe de sorte que les cadres du Congo sont particulièrement clairsemés à la fin de l’année 1945 et dans les mois qui suivent. Ce n’est qu’à partir du milieu de l’année suivante que les chiffres du personnel repartent à la hausse. La colonie a alors recruté une cohorte particulièrement nombreuse, couramment désignée comme étant celle de « la relève ». Le nombre élevé de candidats qui ont répondu à l’appel lancé par le ministre des Colonies atteste de l’intérêt inédit des Belges pour le Congo. Celui-ci serait principalement nourri par l’importance acquise par la colonie durant le conflit, par l’exacerbation du sentiment national à cette occasion comme par l’attrait financier de la carrière ultramarine12.

7Après le pic constitué par l’immédiat après-guerre, les effectifs de la colonie augmentent encore de manière régulière au début de la décennie suivante13. Ce renforcement du cadre européen est présenté comme étant une réponse à la dette que le gouvernement a contractée envers les Congolais à l’occasion de la guerre, mais cette politique de recrutement doit surtout être envisagée comme une réaction aux critiques qui ébranlent l’édifice colonial et au projet de dépenses publiques qui est alors institué — le « plan décennal »14. À l’échelle de la colonie, le cadre des magistrats comme celui des agents de l’ordre judiciaire est en effet presque doublé entre 1947 et 1955. Cette augmentation n’est pas seulement théorique. Le nombre de magistrats effectivement en poste triple au cours de cette même période quand celui desdits agents est multiplié par deux. Le personnel judiciaire sera encore renforcé après la réforme de l’organisation judiciaire de 1958 prescrivant le remplacement des fonctionnaires-magistrats par des juges professionnels. Dans le cas du tribunal de district de Stanleyville, le nombre de juges et de greffiers a pratiquement doublé. Le nombre d’officiers du ministère public est également relevé, bien que ce soit dans des proportions moindres (fig. 1).

Image 10000201000001E0000000FBDD8484584BEB119A.png
Figure 1. Personnel affecté au tribunal de district de Stanleyville, 1945-195515

8Malgré le renforcement de ses effectifs, la magistrature coloniale se caractérise encore en 1956 par son « effrayante insuffisance »16. L’augmentation du nombre de magistrats n’est en effet pas proportionnelle à la croissance de la population de la colonie. Aussi, en 1907, il y avait 51 magistrats pour 2 635 résidents européens quand, au 1er janvier 1956, on en compte 125 pour 100 000 Occidentaux. Les écarts sont encore plus importants quand on considère la population congolaise.

Des magistrats et des greffiers

Le juge, un acteur central ?

9Le décret d’organisation judiciaire prévoit que le juge du tribunal de district soit le commissaire de district du même lieu17. Cette disposition véhicule l’une des principales caractéristiques de l’organisation judiciaire du Congo belge selon laquelle l’exercice de la justice est confié tant à des juges professionnels qu’à des fonctionnaires appelés fonctionnaires-magistrats pour la circonstance18. Inscrite au cœur du dispositif judiciaire congolais depuis le début du 20e siècle, celle-ci est légitimée par la supposée proximité les unissant à leurs justiciables (le ressort moyen d’un tribunal de district s’étend sur 147 000 km2) et par leur connaissance du contexte dans lequel ces derniers évoluent. Cet argument est rapidement rattrapé par des motifs pragmatiques. L’octroi d’attributions judiciaires à des agents de l’ordre exécutif évite en effet le recrutement de docteurs en droit dont les exigences salariales sont particulièrement élevées et permet dès lors d’assurer la justice à moindres couts. La confusion des pouvoirs qui en résulte n’est pas remise en cause. Le législateur estime en effet que si ce principe est souverain en métropole, il ne peut être appliqué de manière absolue dans la colonie en raison du contexte particulier qui la caractérise. Il en appelle à l’organisation politique « traditionnelle » dans laquelle le chef local concentre les pouvoirs exécutifs et judiciaires et argüe que les Congolais ne pourraient comprendre d’autres modèles. L’appartenance du fonctionnaire-magistrat au corps exécutif se marque dans sa tenue. À l’instar de ce juge de Léopoldville, le juge stanleyvillois siège dans son uniforme de territorial — chemise et short beige (fig. 2). Le prestige de son uniforme doit rejaillir sur son activité judiciaire.

10La compétence juridictionnelle dont le commissaire de district est investi se greffe à la multiplicité des autres attributions qui lui incombent. Ce personnage constitue en effet un relai entre les autorités provinciales et les territoriaux chargés de la gestion des ressorts composant le district qui lui est confié. Aussi, il règle tant les questions relatives au maintien de l’ordre (opération de police, administration de la justice, organisation du régime carcéral, etc.), qu’aux travaux publics (tracé et entretien des voies de circulation, etc.), à l’hygiène (prévention des maladies épizootiques, remblai des marais, etc.), au commerce et à l’agriculture (plan des cultures obligatoires, fixation des prix de vente, etc.) notamment19. Il est probable que ce fonctionnaire délaisse l’une de ces activités. Accaparé par la charge de travail qui lui incombe, il n’a en effet pas l’occasion de se consacrer à chacune d’elles. Il peut également arriver qu’il en néglige une par manque d’intérêt. Le législateur prévoit dès lors qu’il peut déléguer ses attributions judiciaires à l’un ou à plusieurs de ses assistants qui sont alors désignés juges de district suppléants. Cette faculté s’impose presque comme une règle générale puisque, entre 1935 et 1955, le commissaire de district en titre intervient seulement dans un tiers des affaires jugées par la cour stanleyvilloise. Il exerce en réalité la mission de juger par opportunité20. Il se réserve les causes considérées comme les plus graves en raison de l’identité des victimes, de la nature de l’infraction ou de son incidence politique. Il se saisit en priorité des abus de confiance commis au préjudice de sociétés coloniales, des vols ancillaires portant sur des sommes importantes, des détournements perpétrés au détriment de la colonie ainsi que de la répression des faits insurrectionnels. Le commissaire de district de Stanleyville connait notamment ceux qui trouvent place dans le cadre de la révolte de Masisi-Lubutu en 194321.

11Les juges de district, qu’ils soient juges de lege ou juges suppléants, ne sont généralement pas des juristes ; à peine plus d’un sur dix est en effet titulaire d’un doctorat en droit22. Un nombre significatif d’entre eux (30 %) a suivi une formation universitaire en commerce, en science ou en philosophie par exemple quand près de la moitié de ces juges n’a pas poursuivi d’études supérieures (40 %). Ils n’ont dès lors d’autres notions du droit et de la justice coloniale que celles qui leur ont été enseignées pendant le cursus suivi pour accéder au service territorial, couramment désigné par le terme la « territoriale »23. Ce cursus est dispensé dans deux établissements : l’École coloniale et l’Université coloniale24. Les candidats ayant choisi de suivre la formation organisée par la première s’y inscrivent pour quatre ans durant lesquels ils se verront enseigner des cours de politique indigène, d’ethnographie, de cartographie, de zoologie africaine et de langues congolaises ainsi que de droit colonial25. Ce volet de la formation s’articule autour des cours d’Encyclopédie du droit pénal et du droit civil, de Droit public, de Droit public colonial comparé, de Droit pénal congolais, de Droit des gens, ainsi que de cours consacrés à la Charte coloniale et à l’Organisation judiciaire26. La réussite de cette formation leur permet de soumettre leur candidature au ministère des Colonies27 et, le cas échéant, d’intégrer les cadres de la territoriale.

12Sa maitrise réduite des questions juridiques et judiciaires incite le juge à céder le pas devant l’officier du ministère public qui est, quant à lui, un docteur en droit. Et Antoine Rubbens28 de considérer que l’« originalité du tribunal de district réside dans le fait que le jugement est rédigé par l’officier du ministère public. Ce n’est que par déférence qu’un jeune substitut permet parfois à un vieux juge de donner un avis sur la cause »29. Dans la plupart des affaires, le réquisitoire de ce dernier est donc intégralement repris par le président d’instance pour constituer le jugement30. La meilleure preuve de ce phénomène réside dans le nombre extrêmement limité de cas dans lesquels le territorial s’écarte des réquisitions formulées par le ministère public (2,38 % des cas sur quelque 3 500 affaires dépouillées). Si le juge adopte invariablement l’avis du substitut quant à la qualification des faits et à la culpabilité du ou des prévenus, il peut par contre s’éloigner de la peine requise. Et de prononcer tantôt une sanction plus élevée tantôt une sentence atténuée par rapport à celle proposée par le juriste. Cette divergence est l’expression du libre arbitre du juge, d’une part, et le reflet des préoccupations extra-judiciaires qui l’animent, d’autre part. Ce fonctionnaire-magistrat ne peut en effet pas s’abstraire de toute préoccupation étrangère à la justice. Le magistrat Antoine Sohier31 le reconnait en écrivant « ainsi un juge fonctionnaire territorial ne peut-il en rendant ses jugements, ne pas penser à sa politique indigène, aux circulaires de ses chefs à son programme économique »32. Aussi, il peut user de l’appareil judiciaire à des fins administratives ou politiques. Il prononce par exemple des peines exemplaires à l’égard des Congolais qui ont agressé des Occidentaux et ont enfreint la colour bar par la même occasion. Il condamne par contre les détournements commis par des chefs médaillés par des sentences modérées. Le commissaire de district a en effet besoin de ces auxiliaires afin de faire respecter l’ordre public dans les ressorts dont ils ont la charge.

13La dualité des conceptions de l’action judiciaire, l’une portée par les fonctionnaires et l’autre par les magistrats professionnels, mise en évidence pour d’autres espaces est dès lors peu visible au Congo33. L’avocat Jean De Merten estime que le fait que le « jeune substitut et le vieux routier de la territoriale tombent si souvent d’accord parait un témoignage évident de l’esprit d’équité et de sagesse qui caractérise cette juridiction »34. Cette situation s’expliquerait davantage par une conjugaison de facteurs dont nous ne pouvons déterminer l’influence exacte avec précision, mais parmi lesquels figurent le faible intérêt des fonctionnaires pour la question judiciaire et le stage que les magistrats professionnels font au sein de la territoriale. Depuis 1937, ils sont en effet contraints d’officier pendant plusieurs mois en tant qu’agent territorial afin de cerner les réalités et les responsabilités auxquelles ces hommes de terrain sont quotidiennement confrontés35. « C’est là un des moyens les plus efficaces pour amener un contact assez intime entre les pouvoirs politique et judiciaire. […] Il faut que les agents politiques de tout rang sachent que l’observation des lois est un devoir primordial et, de leur côté, les magistrats ne doivent pas voir dans tout agent politique un homme enclin à se mettre au-dessus de la légalité »36. En raison de ce principe, après avoir obtenu son doctorat en droit à l’Université de Louvain, Simon Clercx officie comme administrateur territorial adjoint dans la province de Stanleyville (1946-1947) avant d’être nommé substitut du procureur du roi près le tribunal de district de ce lieu (1947-1950) puis juge du tribunal de première instance de Léopoldville (1950-1957)37.

14La distribution des rôles au sein du tribunal de district invite donc à décentrer le regard. Dans la majorité des cas, la personne centrale de cette instance est en effet l’officier du ministère public et non le juge. Malgré le déséquilibre apparent pouvant se noter entre ces deux personnages, il n’en demeure pas moins que certains juges marquent la cour de leur empreinte. C’est notamment le cas de Michel Kreutz, administrateur territorial (1934-1948) puis commissaire de district (1948 à 1953) à Stanleyville38. Ne jouissant d’aucune formation juridique hormis celle dispensée par l’Université coloniale, il accorde toutefois une grande importance à ce volet de son activité. Entre 1935 et 1955, il préside d’ailleurs le tribunal au cours de plus de 350 audiences soit dans plus de 15 % des affaires jugées dans cet intervalle. À ce titre, il contribue largement à forger la jurisprudence de cette cour et est un acteur de premier plan du tournant répressif observé autour des années 195039. La longévité de son affectation stanleyvilloise est toutefois exceptionnelle, la majorité des juges sont en effet en poste à Stanleyville pour trois ans, période correspondant à un terme. Il n’est dès lors pas possible de conclure, à partir de ce cas, à la professionnalisation des juges de district.

Michel Kreutz, le parcours d’un juge colonial

Après avoir suivi la formation générale dispensée par l’Université coloniale (1923-1927), Michel Kreutz quitte la Belgique avec le grade d’administrateur territorial de deuxième classe ce qui lui assure un traitement annuel de 60 000 francs40. Il est attaché au district de l’Uélé (province Orientale) où il assure des fonctions administratives, mais également judiciaires puisqu’en 1930 il est désigné en qualité de juge suppléant du tribunal de district du ressort. En 1931, il embarque pour son deuxième terme avec le grade d’administrateur territorial de première classe et est affecté à Stanleyville où il est au service du commissaire de district. Il conserve cette fonction durant ses termes suivants tout en poursuivant son ascension au sein de la territoriale : il est nommé administrateur territorial principal en 1938 et son traitement annuel est porté à 80 500 francs.

Au fil des années, Michel Kreutz s’est distingué par les qualités qu’il déploie au service de sa fonction. Celui-ci lui vaut d’être fait chevalier de l’ordre de Léopold en 1933 avant d’être promu officier dix ans plus tard. La confiance dont il est investi s’incarne également dans le fait que les autorités provinciales le désignent pour remplacer, temporairement, le commissaire de district durant la guerre. Au lendemain de l’armistice, il rentre en Belgique avec le grade de commissaire de district de deuxième classe. Après un congé prolongé en métropole au cours duquel il s’est marié, il emprunte, pour la septième fois, la route vers le Congo. En 1947, il regagne Stanleyville où il officie alors au titre de commissaire de district, fonction qu’il conserve jusqu’en 1953. Arrivé à la fin des vingt-trois années que comprend la carrière coloniale, il demande à pouvoir réaliser un terme supplémentaire au cours duquel il est affecté à l’administration provinciale. Il est finalement admis à la retraite le 3 aout 1957, alors qu’il bénéficie d’un traitement de 438 750 francs.

15À l’instar de Michel Kreutz, les juges de district sont des hommes âgés d’une quarantaine d’années en moyenne. Ils sont d’anciens « broussards » jouissant d’une réelle expertise coloniale puisqu’ils comptent, pour la majorité d’entre eux, quinze ans de service au sein de la territoriale la première fois qu’ils président le tribunal de district.

L’importance de l’officier du ministère public

16Les officiers du ministère public sont des magistrats de carrière, c’est-à-dire des docteurs en droit dont la fonction judiciaire constitue l’unique attribution41. Comme en Belgique, ils sont chargés de la recherche et de la poursuite des infractions ainsi que de l’application des jugements. Concrètement, ils assurent la recherche de preuves, procèdent aux interrogatoires, désignent les experts et, l’enquête terminée, ils saisissent le tribunal. Ils sont également responsables de l’instruction des affaires alors que cette mission est du ressort du juge d’instruction en métropole. À de fréquentes occasions, ils exercent aussi les poursuites en siégeant à l’audience et en veillant à l’exécution du jugement. Ils sont par ailleurs encore commissionnés pour réaliser l’inspection de certaines institutions, dont les tribunaux, les prisons et les cimetières, ainsi que la vérification des comptes-rendus d’audience et des décisions des tribunaux indigènes42.

17Ils sont nommés à cette fonction après avoir obtenu le titre de docteur en droit dans une université belge ou étrangère43. Aussi, durant la période léopoldienne et les premières années du Congo belge, les étrangers sont nombreux au sein du personnel judiciaire congolais44. Après la « seconde reprise » intervenant dans les années 1920, les autorités de la colonie décident de nationaliser le personnel colonial, dont le corps judiciaire, de sorte que tous les officiers du ministère public attachés au tribunal de district de Stanleyville entre 1935 et 1955 sont Belges.

18Afin d’être engagés au sein de la magistrature coloniale, les candidats complètent leur formation juridique par quatre mois de cours dispensés dans le cadre de la section juridique de l’École Coloniale. Celle-ci s’articule autour de cours consacrés au Droit civil et droit pénal du Congo belge et du Ruanda-Urundi, au Droit public et administratif du Congo belge et du Ruanda-Urundi ainsi qu’à l’Organisation judiciaire, compétence, procédure civile et pénale du Congo belge et du Ruanda-Urundi. En plus de ceux-ci, les candidats suivent des cours relatifs à l’Organisation administrative et politique indigène ainsi qu’à l’Hygiène coloniale et prophylaxie. Ils suivent également un cours de « Langue indigène »45.

19Fort de ce double diplôme, ils soumettent leur candidature au ministre des Colonies. Leur engagement est toutefois loin d’être automatique. Les autorités du Congo tiennent en effet à recruter des candidats de qualité affichant une morale irréprochable46 : « la justice doit être confiée à des hommes sages et expérimentés »47. En 1939 par exemple, alors que quinze individus soumettent leur candidature, elles ne retiennent que cinq postulants48. Le dépôt de leurs dossiers auprès dudit ministre atteste du fait qu’il est l’autorité sous laquelle les magistrats exercent leurs fonctions. Pour des raisons pratiques évidentes, celui-ci est toutefois représenté par le gouverneur général49.

20Ils sont nommés, à titre provisoire, pour un terme de trois ans50. Après avoir entendu le procureur général, le gouverneur général les désigne pour remplir les fonctions de substitut du procureur du roi ou de juge du tribunal de première instance ou même pour les attacher au service intérieur d’un parquet général. Au terme de cette période de stage, le magistrat provisoire doit encore réussir un examen de « langue indigène » et défendre un mémoire traitant d’une question de droit ou de législation spécifique au Congo belge ou au Ruanda-Urundi. Le choix du sujet de celui-ci est totalement libre, certains magistrats dressent un bilan critique de l’organisation judiciaire « européenne » quand d’autres étudient les dispositions criminalisant le vagabondage et la mendicité ainsi que les épreuves dites superstitieuses notamment51. À la suite de la réussite de ces épreuves, le candidat est nommé magistrat à titre définitif pour vingt-trois ans en 1935 puis vingt-sept ans à partir de 195152. Les magistrats jouissant d’une carrière métropolitaine de minimum quatre ans souhaitant s’engager dans la voie coloniale accèdent à la magistrature congolaise sans devoir suivre de formation complémentaire ou réaliser de stage53. Ils sont en outre assurés d’être nommés à une position équivalente, sinon supérieure, à celle occupée en Belgique. Précisons qu’il n’existe, a contrario, aucune garantie de reclassement pour les magistrats coloniaux désireux d’intégrer la carrière belge54. Aussi quand, en 1934, Antoine Sohier met un terme à sa carrière congolaise et renonce à sa fonction de procureur général à Élisabethville, il n’obtient qu’un poste de substitut du procureur du roi dans la ville d’Arlon55. Son prédécesseur, Fernand Dellicour, n’est quant à lui pas parvenu à retrouver une place au sein de la magistrature métropolitaine. Les magistratures belges et coloniales doivent dès lors être considérées comme deux corps distincts, bien qu’une certaine porosité les unisse56.

21Calqué sur les dispositions belges en la matière, le statut des magistrats coloniaux n’appelle pas de commentaire particulier à l’exception d’un point précis, leur inamovibilité57. Si celle-ci est acquise pour les magistrats assis de la métropole58, ce principe garantissant l’indépendance du corps judiciaire est transposé au Congo avec certaines restrictions. Le législateur accorde une inamovibilité relative au juge de carrière et ne l’étend ni au magistrat stagiaire ni au fonctionnaire-magistrat. Il estime en effet que le manque constant de personnel ne permet pas, sous peine de risquer la désorganisation institutionnelle, d’attendre le recrutement d’un nouveau magistrat afin de remplacer un collègue malade, en congé ou arrivé au terme de sa carrière. Il prévoit dès lors que les officiers du ministère public, les fonctionnaires-magistrats et les stagiaires peuvent être déplacés, « de manière provisoire et pour des besoins urgents », par le corps exécutif. Cette expression a donné lieu à de très nombreuses discussions en raison de l’application abusive qui en a été faite, car la mobilité des magistrats a représenté un remède à l’insuffisance des cadres59.

22Les officiers du ministère public œuvrant au sein du tribunal de district de Stanleyville sont des substituts du procureur du roi près le tribunal de première instance de ce ressort. Pour la plupart d’entre eux (87,09 %), ce poste ne constitue pas leur première affectation au Congo. Ils ont précédemment officié en tant qu’agent territorial ou substitut près d’un autre siège de justice, dont le tribunal de première instance de Lusambo et celui de Luebo (province du Kasaï) en particulier. Ils jouissent dès lors, en moyenne, d’une expérience coloniale de six ans lorsqu’ils sont nommés à Stanleyville. Si celle-ci est directement profitable à leur activité stanleyvilloise, elle n’est comparable en rien à celle engrangée par les commissaires de district ou leurs suppléants. Les premiers n’ont en outre pas l’occasion de rétablir l’équilibre par une meilleure connaissance du ressort, car à l’instar des seconds, ils conservent rarement la même affectation pendant plus d’un terme. Leur mutation régulière constitue une entrave à la bonne administration de la justice. Ils maitrisent rarement la langue des justiciables et ignorent les réalités quotidiennes auxquelles ces derniers sont confrontés60.

23L’évolution de la carrière des magistrats professionnels est encore plus mouvementée que celle de leurs collègues territoriaux, car à de très nombreuses reprises, ils sont déplacés pour les « besoins urgents du service ». Ainsi, à l’entame de son deuxième terme, Robert Van Raemdonck est nommé substitut du procureur du roi près le tribunal de première instance de Coquilhatville (province de l’Équateur), mais il n’y reste toutefois que quelques mois. Il est ensuite provisoirement désigné pour le tribunal de Stanleyville (1938-1939) puis celui de Léopoldville (1940) avant de revenir à Stanleyville (1940). En à peine trois ans, il parcourt dès lors plus de 3 600 km de voies navigables pour relier ces différents sièges61. Si cet exemple est loin de constituer un cas isolé dans l’entre-deux-guerres, la situation des magistrats se stabilise après le conflit. Leur nombre renforcé permet alors de mieux organiser ce corps. Les déplacements sont moins nombreux, mais ils restent de mise.

24Les mutations dont ils font l’objet n’affectent toutefois pas seulement le lieu de leur activité, elles peuvent également porter sur la nature de celle-ci. Au Congo, les magistrats sont en effet tantôt parquetiers tantôt juge de siège. C’est notamment le cas de Philippe Van der Keilen qui occupe successivement les fonctions d’officier du ministère public près le tribunal de première instance de Lusambo (1944-1946) puis de Stanleyville (1947-1948) avant d’être nommé juge du tribunal de première instance d’Élisabethville (1950-1953) puis procureur du roi près de cette dernière instance (1954-1956)62. Dans des situations extrêmement rares, la mutation de leur activité se fait plus radicale. Le gouverneur général détache les docteurs en droit de leurs fonctions judiciaires afin de leur confier des postes à responsabilités au sein de l’organisation coloniale. Ainsi, après y avoir officié en tant que substitut du procureur du roi près de diverses juridictions pendant quatre termes (1933-1946), André Schöller est nommé chef de cabinet du gouverneur général. À ce titre, il représente la colonie au cours de diverses missions diplomatiques qui le conduisent en Rhodésie, en Afrique du Sud, au Kenya et en Uganda (1951) ainsi qu’en Éthiopie (1955). Il termine sa carrière au sommet de la hiérarchie coloniale en tant que vice gouverneur général en 195863.

25Les officiers du ministère public ne sont pas soumis au même régime que leurs homologues métropolitains. Ils partagent néanmoins des attributs essentiels, dont leur uniforme. Les magistrats congolais doivent en effet revêtir « la toge de mérinos de laine noire à grandes bandes garnies dans le bas de soie noire, la toque de soie noire unie [...]. Le collet et les revers de la toge seront en soie noire »64. Il semble toutefois qu’au quotidien, ils portent la tenue coloniale.

Le greffier

26Le plumitif d’audience est tenu par le greffier. Le gouverneur général met cet agent de l’ordre judiciaire à la disposition du procureur général qui l’affecte à l’un des greffes ou des parquets de son ressort65. Cet Occidental y est chargé de la rédaction du registre de rôle ainsi que des feuilles d’audience et de jugement. Il y tient également le registre des états de frais, celui des amendes, des confiscations et des quittances, ce qui fait de lui un acteur-clé dans la production documentaire placée au cœur de cette étude66. Ce fonctionnaire est attaché au siège du tribunal67.

27Les greffiers officient, en moyenne, pendant moins de deux ans au tribunal de district de Stanleyville ce qui explique leur nombre important (53). Ils sont dès lors attachés à cette instance pour une durée moins longue que ne le sont les juges et les officiers du ministère public. Cet emploi constitue en effet la première affectation des agents de l’ordre judiciaire qui sont ensuite affectés dans des juridictions supérieures68. Ce parcours est notamment celui de Léon Barrea69. Ce commis de greffe de la prison d’Anvers a renoncé à son emploi afin de suivre les cours inférieurs de l’École coloniale pour rejoindre, en 1936, le Congo belge en qualité d’agent de l’ordre judiciaire. Il y est nommé au tribunal de district de Stanleyville (1935-1940) avant de cumuler cette occupation avec celle de secrétaire adjoint des parquets établis dans le ressort du tribunal de première instance de ce lieu (1937-1948). Il occupe par la suite cette dernière fonction à Léopoldville (1948-1951) puis à Élisabethville (1951-1954).

28Le législateur aurait souhaité que le juge et l’officier du ministère public soient assistés d’assesseurs indigènes70. Leur présence n’est toutefois attestée par aucun document à l’exception de la photographie reproduite dans ce texte.

Des autres auxiliaires de justice

29Outre ces trois acteurs principaux, le tribunal peut s’appuyer sur des interprètes, des défenseurs et des experts. À la différence des premiers, ces auxiliaires de justice n’ont jusqu’à ce jour fait l’objet d’aucune étude. La connaissance que nous en avons est dès lors extrêmement fragmentaire.

L’interprète, un acteur aussi indispensable qu’invisible

30Les interprètes sont des acteurs-clés du processus pénal colonial71. Ils constituent en effet un relai entre le personnel judiciaire et les justiciables qui ne maitrisent généralement pas, ou si peu, la langue de l’autre72. Cette lacune les rend particulièrement dépendants de l’intervention de ces médiateurs qui peuvent abuser de leur position en vue de favoriser ou de desservir les personnes incriminées73. Leur influence est encore accrue par le fait qu’ils n’assurent pas uniquement la traduction linguistique. Ils rationalisent également les témoignages des justiciables afin que ceux-ci répondent au contexte judiciaire, ou à tout le moins à la lecture qu’ils s’en font74.

31En dépit de ces éléments, les interprètes ne jouissent d’aucune formation et ne sont nullement soumis à un statut particulier puisque, dans la majorité des cas, les magistrats désignent en effet un de leurs boys à cette fonction75. Le Code de procédure pénale prévoit toutefois qu’ils prêtent le serment de remplir fidèlement la mission qui leur est confiée, mais les archives judiciaires sont muettes à ce sujet76. Elles occultent d’ailleurs plus largement toute trace de leur intervention. Dans les rares situations où celle-ci est rendue visible, les feuilles d’audience se bornent uniquement à préciser que « le tribunal a fait appel à un interprète » sans consigner de détails à son sujet77. De manière exceptionnelle, elles enregistrent leur identité. Ainsi, en 1952, Patrice Lumumba alors commis au service postal de Stanleyville, sert de traducteur-interprète lors de l’instruction préparatoire d’une affaire de recel d’arachides. Au terme de celle-ci, il se voit allouer une indemnité de septante-cinq francs78.

Des défenseurs de circonstance et des défenseurs professionnels

32Depuis 1889, le Code de procédure judiciaire permet aux parties de se faire assister d’un conseil, professionnel ou non79. Les avocats inscrits au tableau de Stanleyville peuvent être Belges ou étrangers, mais ils doivent posséder un diplôme de docteur en droit ainsi qu’une attestation d’honorabilité80. Un des défenseurs les plus renommés de Stanleyville, maître Scharff, est d’ailleurs Grec et officie simultanément à son action judiciaire en tant que consul de Grèce en ce lieu.

33Le barreau stanleyvillois ne compte qu’un nombre réduit de membres ; ils sont deux à porter la toge avant la Seconde Guerre mondiale et pas plus de trois ou quatre par la suite81. Ils parviennent néanmoins à répondre aux demandes qui leur sont faites, car celles-ci sont peu nombreuses (1,04 % des affaires). Ils sont surtout sollicités dans des affaires d’abus de confiance ou d’accident de roulage où ils représentent généralement la partie civile, à savoir une entreprise coloniale dans la majorité des cas. Les justiciables congolais requièrent principalement leurs services lorsqu’ils font appel de la décision rendue par le tribunal de district de Stanleyville. Bien qu’il n’existe actuellement pas de données comparables pour d’autres tribunaux de district de la colonie, leur présence doit y être encore plus réduite. Les stanleyvillois profitent en effet de la proximité du tribunal de première instance et des cabinets d’avocats qui le bordent82, quand les habitants de Buta par exemple ne peuvent pas en faire autant83. Ils doivent dès lors faire appel aux défenseurs non professionnels.

34L’intervention d’un avocat n’est pas sans influencer le cours des débats. Le défenseur induit généralement une discussion quant au contenu des normes appliquées ou à l’opportunité de celles-ci. Il remet notamment en question la définition du viol84 ou l’intérêt qu’il y a à poursuivre les faits d’abus de confiance commis par un capita de commerce c’est-à-dire un agent commercial congolais n’a été soumis à aucun contrôle depuis plusieurs années85.

35Le Code de procédure judiciaire prévoit que tous les justiciables doivent pouvoir être défendus. S’ils n’ont pas les moyens de désigner un avocat, ils peuvent être représentés gratuitement par un notable de la localité où siège l’instance. Dans de rares cas, ils se tournent vers leur employeur ou vers un missionnaire. Aussi, en 1938, un homme prévenu d’homicide involontaire et de port d’arme comparait devant le tribunal de Stanleyville assisté du Révérend Père Nicolas Bergh86. Généralement, ils se dirigent néanmoins vers un agent du gouvernement qui, en tant que « tuteur des noirs », est obligé d’accepter ce mandat sous peine de sanctions disciplinaires87. Ces derniers sont également mandatés par la Colonie. En effet, quand elle se constitue partie civile, le gouverneur général ou le gouverneur de province désigne un mandataire parmi les commissaires de district ou leurs délégués88. Celui-ci est ponctuellement choisi au sein des agents qui jouissent d’une réelle connaissance du contexte de l’infraction. Ainsi un administrateur territorial est retenu dans le cadre d’un vol perpétré dans le bureau du territoire89, un percepteur des Postes est chargé d’une affaire d’abus de confiance commis par un clerc du service des Postes90 et un chef de bureau des Finances est investi de la connaissance d’un détournement de deniers publics accompli par un collecteur d’impôts91.

Des experts au service du juge : médecins, graphologues et spécialistes en dactyloscopie

36L’officier de police judiciaire et le juge peuvent encore désigner, à titre d’expert, toute personne devant pallier leur méconnaissance dans un domaine médical ou technique92. Sa participation au processus pénal est particulièrement floue93. Après avoir fait le serment d’accomplir sa mission en honneur et conscience, l’expert examine la question qui lui est soumise et en fait rapport à l’autorité judiciaire94. Selon la typologie dressée par Frédéric Chauvaud, l’expertise mise en œuvre par les juridictions congolaises consiste en une simple évaluation de la situation et des justiciables95. L’expert mène cette mission en amont du jugement et ne comparait dès lors jamais en personne devant l’institution stanleyvilloise, mais il y intervient uniquement par la voie de ses rapports. Ces derniers sont toutefois peu nombreux, ils figurent dans moins de 3 % des dossiers traités par le tribunal de Stanleyville.

37Durant les années 1930, le tribunal sollicite essentiellement des expertises médicales. Elles ont à dessein d’évaluer les dommages subis à la suite de la perte d’un organe ou d’un membre par un Congolais victime de coups et blessures par exemple. Elles doivent également se prononcer quant à l’âge et à la santé mentale des prévenus afin de confirmer leur responsabilité pénale96. Si ces expertises sont généralement menées par des médecins, en raison du nombre limité de praticiens coloniaux et de l’étendue du ressort dont ils ont la charge, leur intervention se fait toutefois avec un certain délai97. À plusieurs reprises, ils ne sont dès lors pas en mesure d’établir de diagnostic utile98. Ainsi, le docteur Ghisellini « ne peut, au point de vue anatomique, établir la cause du décès étant donné l’état du cadavre en putréfaction très avancée »99. La rareté du personnel médical oblige également la justice et les justiciables à solliciter d’autres « experts ». Dans les affaires de violence sexuelle par exemple, outre les docteurs en médecine, des policiers et les femmes européennes – missionnaires, femmes d’agents coloniaux ou de colons par exemple – sont également sollicités afin de se prononcer sur la puberté et la virginité des victimes ainsi que la transmission d’une maladie vénérienne100.

38La palette d’experts s’étoffe à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Le personnel du tribunal fait alors appel à des graphologues afin d’établir le caractère fallacieux de documents probants101 et à des spécialistes de la dactyloscopie en vue de prouver la présence du prévenu sur les lieux de l’infraction ou son usage de l’arme du crime102. Les membres de l’ordre judiciaire sollicitent également l’expertise des agents du laboratoire de la police technique de Léopoldville dans le cadre d’analyses (chimiques et biologiques notamment) approfondies103. Enfin, dans le cas d’accidents de la route ayant entrainé des blessures, voire des décès, le juge mandate un garagiste dans le but de déterminer si la cause de la collision est d’origine humaine ou mécanique104.

39Bien que la nature des expertises commandées soit de plus en plus variée, leur nombre reste strictement réduit. À l’aube des années 1950, les auxiliaires du juge interviennent en effet dans moins d’une affaire sur cent. Le Congo n’est pas touché par la montée des expertises observée en Europe à la même époque105. Les autorités coloniales, entendant limiter le cout de la justice et hâter son exécution, se gardent généralement d’y recourir. Elles sont en outre confrontées à un manque criant de personnel qualifié disponible sur le sol congolais.

Conclusions

40La nomenclature du personnel judiciaire colonial éclaire plusieurs des caractéristiques principales de l’institution au sein de laquelle il œuvre : la justice congolaise est une entreprise peu couteuse essentiellement administrée par des non professionnels en opposition au principe de séparation des pouvoirs.

41L’expérience coloniale est fondée sur l’exploitation des richesses. La maximisation des profits implique de limiter strictement le cout de l’administration du Congo, dont celui de l’exercice de la justice. Étant donné que les magistrats comptent parmi les agents de l’État aux prétentions salariales les plus élevées, le législateur colonial prescrit de limiter strictement leur nombre et de recourir à un personnel non-professionnel. Ceux-ci sont des agents de l’ordre exécutif qui assurent cette fonction en plus de leur mission principale — assurer le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique ; construire et entretenir les routes, les ponts comme les édifices publics ; définir et faire exécuter les programmes agricoles ; gérer la main-d’œuvre indigène ; etc. Exceptés la cour d’appel et le tribunal de première instance, tous les juges coloniaux sont des fonctionnaires ; le juge du tribunal de district étant le commissaire de district par exemple.

42Bien que la plupart des juges non-professionnels ne jouit d’aucune formation juridique, la rhétorique coloniale se plait à répéter que leur connaissance du terrain et de leurs administrés pallie ce manque. Et d’argüer également que la réunion des pouvoirs administratifs et judiciaires dans leur chef répond à la conception africaine « traditionnelle » du pouvoir. Les magistrats professionnels et les observateurs sont par contre nettement plus réticents quant à ce choix. Ils avancent que les territoriaux font un usage opportuniste de la justice et soulignent que le nombre de peines de privation de liberté a tendance à être démultiplié lorsque l’administrateur est chargé d’une nouvelle construction. Leurs critiques sont encore plus acerbes concernant le fait de faire juger des justiciables européens par des magistrats non-professionnels, qu’ils soient.

43Dans le cas du tribunal de district, la prépondérance des hommes de terrain est toutefois annulée par la centralité de l’officier du ministère public. En effet, l’examen des décisions rendues par la juridiction stanleyvilloise entre 1935 et 1955 met en évidence que, de manière presque systématique, le juge se borne à lire les réquisitions consignées par le substitut du procureur du roi. La présence de ce parquetier et la place qui lui incombe au sein de l’instance en fait une juridiction particulière au sein des tribunaux « européens » de la colonie. Bien qu’elle ne soit pas une institution supérieure — réservée aux Européens —, le législateur a veillé au respect de garanties judiciaires étant donné les compétences dont cette instance est investie : elle peut en effet entendre les infractions criminelles les plus graves et les sanctionner par une peine de perpétuité voire la peine de mort.

44Bien qu’ils occupent des rôles déterminants d’intermédiaires, les autres membres du tribunal — le greffier, l’interprète et l’expert — n’ont à l’heure actuelle fait l’objet d’aucune étude. Les archives judiciaires ne consignant que de rares traces de leur intervention, il est difficile de dépasser les textes légaux les concernant. Les interprètes et les experts souffrent en outre du fait d’être désignés pour une affaire ce qui implique la multiplication de ces acteurs.

Notes

1 Arrêté royal du 22 décembre 1934, dans Bulletin officiel du Congo belge, 1935, t. 1, p. 12-63.

2 Lamy é. et De Clerck L. (éd.), L’ordre juridique colonial belge en Afrique centrale. éléments d’histoire, Bruxelles, Académie royale des Sciences d’outre-mer (ARSOM), 2004 ; Piret B., La justice coloniale en procès. Organisation et pratique judiciaire, le tribunal de district de Stanleyville (1935-1955), thèse de doctorat inédite, Université Saint-Louis – Bruxelles, 2016 ; Plasman P.-L., Un état de non-droit ? L’établissement du pouvoir judiciaire au Congo léopoldien (1885-1889), dans Piret B. et alii (éd.), Droit et Justice en Afrique coloniale. Traditions, productions et réformes, Bruxelles, Université Saint-Louis Éd., 2013, p. 27-49.

3 Lire notamment : Brunet-La Ruche B., « Crime et châtiment » aux colonies. Poursuivre, juger et sanctionner au Dahomey de 1894 à 1945, thèse de doctorat inédite, Université Toulouse 2 Le Mirail, 2013 ; Durand B. et Fabre M (éd.) Le juge et l’Outre-mer, 6 t., Lille, Centre d’Histoire Judiciaire Éd., 2005-20014 et Farcy J.-Cl., Quelques données statistiques sur la magistrature coloniale française (1837-1987), dans Clio@Themis, n° 4, mars 2011 (http://www.cliothemis.com/Quelques-donnees-statistiques-sur).

4 Ibhawoh B., Imperial Justice. Africans in Empire’s Court, Oxford, Oxford University Press, 2013 et Roberts R., Litigants and Households. African Disputes and Colonial Courts in the French Soudan, 1885-1912, Portsmouth, Heinemann, 2005.

5 Pour le cas français, lire notamment : Gérard-Loiseau S., Le portrait du magistrat français au travers des archives, dans Auzary-Schmaltz N. (éd.), La justice française et le droit pendant le protectorat en Tunisie, Paris / Tunis, Maisonneuve & Larose / Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, 2007, p. 139-152 et Renucci F. (éd.), Dictionnaire des juristes ultramarins (XVIIIe-XXe siècles), rapport broché édité au GIP Droit et Justice, 2012. Concernant le cas belge, voir : Genin V., The international situation in the Belgian Congo from the perspective of International Lawyers, présentée à l’occasion du colloque international The Belgian Congo between the two World Wars, Bruxelles, 17-18/03/2016.

6 Dumont A., Muller F. et Rousseaux X., La compénétration des magistratures métropolitaine et coloniale. Analyse du cas belge (1885-1939), dans ce même numéro ; Lamy é., La magistrature coloniale belge, dans Allott A., Royer J.-P., Lamy é. e.a. (éd.), Magistrats au temps des colonies, Luisant, Distique, 1988, p. 75 et suiv. et Montel L., Le contrôle des magistrats dans le Congo léopoldien, d’après les registres du Service du personnel d’Afrique (SPA), dans Piret B. et alii (éd.), Droit et Justice en Afrique coloniale. Traditions, production et réformes, Bruxelles, Université Saint-Louis Éd., 2013, p. 51-78. Les magistrats supérieurs actifs durant la colonisation font l’objet d’une entrée individuelle dans la base de données Prosopographie des magistrats belges http://www.digithemis.be/index.php/en/applications/magistrats/acces.

7 Cette caractéristique n’est pas propre au Congo. Elle est également observée dans d’autres espaces coloniaux, c’est notamment le cas pour les territoires ultramarins français. Durand B., Les magistrats coloniaux entre absence et errance, dans Durand B. et Fabre M (éd.), Le juge et l’Outre-mer. Les roches bleues de l’empire colonial, Lille, Centre d’Histoire Judiciaire Éd., 2005, p. 47-70.

8 Lauro A. Sexe, race, et politiques coloniales. Encadrer le mariage et la sexualité au Congo belge 1908-1945, Bruxelles, Peter Lang, 2019 (à paraître) et Montel L., Le contrôle des magistrats dans le Congo léopoldien, d’après les registres du Service du personnel d’Afrique (SPA), dans Piret B. et alii (éd.), Droit et Justice en Afrique coloniale. Traditions, production et réformes, Bruxelles, Université Saint-Louis Éd., 2013, p. 55 et suiv.

9 de Saint Moulin L., Histoire de l’organisation administrative du Zaïre, dans Zaïre-Afrique, n°224, 1988, p. 5-31.

10 Lonneux M., 1944-1946, l'administration territoriale au Congo belge face aux défis du retour à la paix, mémoire de licence inédit, UCL, 2006, p. 56.

11 Les autorités du Congo belge usent de l’expression « effort de guerre » pour désigner la réquisition de civils congolais et le renforcement de la charge fiscale qui leur est imposée. La pression qui pèse sur les Congolais ne cesse d’être amplifiée ; à partir de 1942 ils sont contraints de s’adonner à la culture pendant soixante jours par an marquant le rétablissement du travail forcé. de Saint Moulin L., L’effort de guerre 1940-1945 au Zaïre, dans Zaïre-Afrique, 1985, n°192, p. 91-107 et le Polain P., Dysfonctionnement ou compromis ? La répression judiciaire et administrative des travaux agricoles imposés au Congo belge (1940-1945), dans Crimes, Histoire & Sociétés, à paraître.

12 Lamy é., La magistrature coloniale belge, dans Allott A., Royer J.-P., Lamy é. e.a. (éd.), Magistrats au temps des colonies, Luisant, Distique, 1988, p. 75 et suiv.

13 On dénombre 28 magistrats effectivement en poste en 1925, 36 en 1935 ainsi qu’en 1945 et 126 en 1955. Les agents judiciaires (c’est-à-dire les secrétaires, greffiers, huissiers et commis) sont 29 en 1925, 33 en 1935 et 104 en 1955. Rapport annuel sur l’administration de la colonie du Congo belge présenté aux Chambres législatives, Bruxelles, Vromant, 1920-1955.

14 Vanthemsche G., Genèse et portée du « Plan décennal » du Congo belge (1949-1959), Bruxelles, ARSOM, 1994.

15 Piret B., La justice coloniale en procès. Organisation et pratique judiciaire, le tribunal de district de Stanleyville (1935-1955), thèse de doctorat inédite, Université Saint-Louis – Bruxelles, 2016, p. 238.

16 Sohier A., Les effectifs judiciaires, dans JTOM, 1956, n°71, p. 80.

17 Décret 26 novembre 1934, dans BO, 1934, p. 1238-1242.

18 Le personnel de la territoriale a fait l’objet de mémoires et de thèse, mais l’activité judiciaire de ses membres n’a pas été étudiée plus en avant. Lire notamment : Dembour M.-B., Recalling the Belgian Congo. Conversations and Introspection, Londres/New-York, Berghahn, 2000 et Van Leeuw Cl., L’administration territoriale au Congo belge et au Ruanda-Urundi. Fondements institutionnels et expérience vécue 1912-1960, mémoire de licence inédit, UCL, 1981.

19 De Clerck L., L’organisation politique et administrative, dans Lamy É. et De Clerck L. (éd.), L’ordre juridique belge en Afrique centrale. Éléments d’histoire, Bruxelles, ARSOM, 2004, p. 123 et Id., L’administration coloniale belge sur le terrain au Congo (1908-1960) et au Ruanda-Urundi (1925-1962), dans Annuaire d’Histoire administrative européenne, n°18, 2006, p. 198.

20 Lamy é., La magistrature coloniale belge, dans Allott A., Royer J.-P., Lamy é. e.a. (éd.), Magistrats au temps des colonies, Luisant, Distique, 1988, p. 65.

21 Piret B., La justice coloniale en procès. Organisation et pratique judiciaire, le tribunal de district de Stanleyville (1935-1955), thèse de doctorat inédite, Université Saint-Louis – Bruxelles, 2016.

22 La situation stanleyvilloise s’inscrit dans la moyenne relevée à l’échelle du Congo belge par l’historienne Marie-Bénédicte Dembour (Dembour M.-B., Recalling the Belgian Congo. Conversations and Introspection, Londres/New-York, Berghahn, 2000, p. 20).

23 À ce sujet, lire notamment : Van Leeuw C., L’administration territoriale au Congo belge et au Ruanda-Urundi. Fondements institutionnels et expérience vécue. 1912-1960, UCL, mémoire de licence inédit, 1981 et Dembour M.-B., Recalling the Belgian Congo. Conversations and Introspection, Londres/New-York, Berghahn, 2000.

24 L’École coloniale est fondée à Bruxelles en 1910 quand l’Université coloniale voit le jour à Anvers en 1920. Ces institutions proposent chacune une préparation aux carrières coloniales, mais le spectre des formations offertes par la première est plus large. Elle permet en effet de former les candidats officiers et sous-officiers de la Force publique, les futurs enseignants (missionnaires et laïcs) et les magistrats professionnels ainsi que les agents des télécommunications (à partir de 1949). La seconde n’est par contre destinée qu’aux administrateurs. Niyihangeje C., Université Coloniale de Belgique, 1920-1945, mémoire de licence inédit, UCL, 1976 et Colman G., Naar een elite voor de gewestdienst van Belgisch-Kongo en Ruanda-Urundi. De studenten van de Koloniale Hogeschool te Antwerpen (1920-1960), mémoire de licence inédit, UGent,1987. Les archives de ces institutions forment les fonds éponymes déposés au service d’archives du SPF Affaires étrangères.

25 . De Clerck L., L’administration coloniale belge sur le terrain au Congo (1908-1960) et au Ruanda-Urundi (1925-1962), dans Annuaire d’Histoire administrative européenne, n°18, 2006, p. 192.

26 SPF AE, fonds Université coloniale, 3.864, arrêté du 23 novembre 1937 et Van Leeuw C., L’administration territoriale au Congo belge et au Ruanda-Urundi. Fondements institutionnels et expérience vécue. 1912-1960, UCL, mémoire de licence inédit, 1981, p. 143.

27 Annuellement, il y a entre quinze et trente-cinq candidats diplômés de cette formation. Gann L. H. et Duignan P. (éd.), The Rulers of Belgian Africa, 1884-1914, Princeton, Princeton University Press, 1979, p. 180 et suiv.

28 Antoine Rubbens (Lokeren, 06/09/1909 – Bruxelles, 14/08/2000) : avocat et professeur de droit. Reyntjens F., Antoine Rubbens, dans Biographie Belge d’Outre-Mer, t. 9, Bruxelles, ARSOM, 2015, col. 332-336 et cf. supra, chapitre 4.

29 Rubbens A., Réorganisation judiciaire, dans L’Essor du Congo, 06/06/1945, p. 2.

30 Cornil P., Réflexions sur la justice pénale au Congo belge, dans JTOM, 1953, n°33, p. 36.

31 Antoine Sohier (Liège, 07/06/1885 – Bruxelles, 22/11/1963) : Premier Président de la Cour de cassation de Belgique, Procureur général près la cour d’appel d’Élisabethville et membre du Conseil colonial. Lamy É., Antoine Sohier, dans Biographie Belge d’Outre-Mer, t. 8, Bruxelles, ARSOM, 1998, col. 392-406,nbv.

32 Sohier A., Un début de carrière judiciaire. Souvenirs et réflexions, dans JTOM, n°100, 1958, p. 145-146.

33 Sarr D., La Chambre spéciale d’homologation de la Cour d’appel de l’AOF et les Coutumes pénales de 1903 à 1920, dans Annales africaines, 1975, p. 101-115 et Manière L., Deux conceptions de l’action judiciaire aux colonies. Magistrats et administrateurs en Afrique occidentale française (1887-1912), dans Clio@Thémis, n°4, 2011, 34 p. http://www.cliothemis.com/Deux-conceptions-de-l-action consulté le 14/09/2015.

34 De Merten J., Projets de réorganisation judiciaire : critiques et suggestions, dans RJCB, 1946, n°2, p. 48.

35 Conseil colonial. Compte rendu analytique des séances, Bruxelles, 1937, p. 25-30. Face au manque de magistrats, la réalisation de ce stage n’est plus systématique après la Seconde Guerre mondiale. Les motifs présidant à son imposition dans certains cas ne nous sont pas connus.

36 De la formation des fonctionnaires coloniaux, Bruxelles, Hayez, 1909, p. 3 (tiré à part du Bulletin de la Société belge d’Études coloniales, 1909, n°4).

37 SPA, K(5829), 33.338.

38 SPA, K(2013), 10.495 et SPA, K(3981), 24.059.

39 Le début des années 1950 est caractérisé par une intensification du taux des sanctions judiciaires. Celle-ci est instituée dans le cadre d’une stratégie de domination renouvelée prônée par le gouvernement colonial. Piret B., La justice coloniale en procès. Organisation et pratique judiciaire, le tribunal de district de Stanleyville (1935-1955), thèse de doctorat inédite, Université Saint-Louis – Bruxelles, 2016.

40 La colonie met également un logement à disposition de ces agents, assure les frais de transport ainsi que les soins de santé. Concernant le traitement des magistrats et son évolution : Claessens A., Magistrats dans la colonisation belge, 1945-1960, mémoire de licence inédit, UCL, 1987, p. 60 et suiv.

41 Lamy É., Le droit judiciaire, dans Lamy É. et De Clerck L. (éd.), L’ordre juridique belge en Afrique centrale. Éléments d’histoire, Bruxelles, ARSOM, 2004, p. 212.

42 Décret du 7 juillet 1924, dans BO, 1924, p. 156.

43 Outre l’obtention d’un doctorat en droit, ils ne peuvent être nommés magistrats de carrière qu’à la condition expresse d’être âgés de vingt-et-un à trente ans et d’avoir accompli leur service militaire (décret du 20 août 1912, dans BO, 1912, p. 862 et suiv.).

44 D’après une première estimation, il y aurait plus de 12,85 % de non-Belges parmi les magistrats de l’État léopoldien. Le Polain P., Montel L., Ngongo E. et Piret B., Magistrates of Congo (1885–1960): Prosopography and biography as combined tools for the study of the colonial judicial body, dans Hondeghem A., Rousseaux X. et Schoenaers F. (éd.), Modernization of the Criminal Justice Chain and the judicial System. New Insights on Trust, Cooperation and Human Capital, Bruxelles, Springer, 2016, p. 221.

45 SPF AE, Fonds École coloniale, 4.183, Programme des cours, 1952.

46 Lauro A., Les politiques du mariage et de la sexualité au Congo Belge 1908-1945. Genre, race, sexualité et pouvoir colonial, thèse de doctorat inédite, ULB, 2009, p. 52 et suiv.

47 Rapport annuel sur l’administration de la colonie du Congo belge présenté aux Chambres législatives, Bruxelles, Van Gompel, 1921, p. 22.

48 Lamy é., La magistrature coloniale belge, dans Allott A., Royer J.-P., Lamy é. e.a. (éd.), Magistrats au temps des colonies, Luisant, Distique, 1988, p. 35.

49 Loi du 10 août 1921, dans BO, 1921, p. 9 et suiv. À ce sujet, lire de Lannoy F., Le ministère public dans l’Organisation Judiciaire Congolaise, dans RJCB, 1945, n°4, p. 121-138 et Halewyck de Heusch M., La Charte coloniale, t. 2, Bruxelles, Weissenbruch, 1914, p. 200-278.

50 Décret du 13 novembre 1934, dans BO, 1934, p. 1238-1242.

51 Ces mémoires n’ont pas fait l’objet d’une conservation systématique. Seuls une cinquantaine d’entre eux sont actuellement disponibles, ils composent le portefeuille 158 A du fonds Justice.

52 Loi du 11 juillet 1951, dans BO, 1951, p. 606 et suiv.

53 Arrêté royal du 13 avril 1936, dans BO, 1936, p. 417 et suiv.

54 Au sujet de la compénétration des magistratures métropolitaines et coloniale, lire l’article d’Amandine Dumont, Françoise Muller et Xavier Rousseaux dans ce même numéro.

55 Lamy É., Antoine Sohier, dans Biographie Belge d’Outre-Mer, t. 8, Bruxelles, ARSOM, 1998, col. 392-406 col. 394-395.

56 Le Polain P., Montel L., Ngongo E. et Piret B., Magistrates of Congo (1885–1960): Prosopography and biography as combined tools for the study of the colonial judicial body, dans Hondeghem A., Rousseaux X. et Schoenaers F. (éd.), Modernization of the Criminal Justice Chain and the judicial System. New Insights on Trust, Cooperation and Human Capital, Bruxelles, Springer, 2016, p. 225.

57 L’inamovibilité des magistrats est au cœur de nombreux débats et publications À ce sujet, lire notamment : Colin J.-P., De l’indépendance de la magistrature congolaise, dans RJCB, 1935, p. 8-15 ; de Merten J., Le magistrat, son statut, sa fonction, dans RJCB, 1950, p. 80-84. ; Halewyck de Heusch M., La Charte coloniale, t. 2, Bruxelles, Weissenbruch, 1914, p. 200-278 ; Heyse Th., L’indépendance de la magistrature et le statut des magistrats, dans Belgique coloniale, 1956, p. 37 et suiv. et Piron P., L’indépendance de la magistrature et le statut des magistrats, Bruxelles, Académie royale des sciences coloniales, 1956.

58 Muller F., L’inamovibilité des magistrats du siège en Belgique : un principe constitutionnel malmené (1845-1867), dans Heirbaut D., Rousseaux X. et Wijffels A., Histoire du droit et de la justice. Une nouvelle génération de recherches, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 471-482.

59 Celles-ci sont résumées par Pierre Piron. Piron P., L’indépendance de la magistrature et le statut des magistrats, Bruxelles, Académie royale des Sciences coloniales, 1956.

60 Vanderlinden J., Aspects de la justice indigène en pays zande en 1956, 1957 et 1958, dans Gilissen J. (éd.), L’organisation judiciaire en Afrique noire, Bruxelles, Éd. de l’Institut de Sociologie, 1969, p. 171.

61 SPA, K(6521), 38.724.

62 SPA, K(5760), 32.788.

63 SPA, K(6613), 39.468.

64 Arrêté royal du 13 août 1953, dans BO, 1953, p. 1591-1605.

65 Concernant les agents de l’ordre judiciaire, lire notamment : Gohr A., Pouvoir judiciaire, dans Goddyn M. (éd.), Les Novelles. Corpus Juris Belgici. Droit colonial, t. 1, Bruxelles, Larcier, 1931, p. 198.

66 Au Congo belge, le greffier assume également la rédaction des exploits avant de les signifier ou de les faire signifier par un huissier (décret du 11 juillet 1923, dans BO, 1923, p. 641 et suiv.). Le législateur colonial s’est distancié des pratiques métropolitaines en la matière estimant que la plupart des justiciables congolais ne jouissaient pas des compétences nécessaires à la rédaction de cet acte et que les huissiers – agents territoriaux, commissaires de police et auxiliaires africains principalement – ont à peine l’occasion de réaliser la signification selon les formes prescrites. Sohier A., Droit de procédure du Congo belge, dans Goddyn M. (éd.), Les Novelles. Corpus Juris Belgici. Droit colonial, t. 3, Bruxelles, Larcier, 1938, p. 198.

67 Malgré le fait que le greffier soit rivé au chef-lieu du ressort, il ne semble pas officier auprès d’autres instances établies au même lieu.

68 Pour rappel, le tribunal de police et le tribunal du parquet ne comptent pas de greffier. Le juge assume personnellement les tâches qui lui incomberaient (cf. supra, chapitre 3).

69 SPA, K(876), 5.227 et SPA, TK(4592), 1.850.

70 Gohr A., Organisation judiciaire du Congo belge, dans Goddyn M. (éd.), Les Novelles. Corpus Juris Belgici. Droit colonial, t. 1, Bruxelles, Larcier, 1931, p. 159.

71 L’historiographie du Congo belge est totalement muette à leur sujet faute de sources écrites les concernant. Ils sont par contre au centre d’un ouvrage récent consacré aux interprètes ainsi qu’aux clercs, et aux intermédiaires coloniaux de manière plus générale (Lawrance B. N., Osborn E. L. et Roberts R. L. (éd.), Intermediaries, Interpreters and Clerks : African Employees in the Making of Colonial Africa, Madison, University of Wisconsin Press, 2006).

72 Le Code d’instruction criminelle métropolitain ne prévoit pas l’intervention de traducteurs ou d’interprètes au cours de la procédure judiciaire. Ce point constitue dès lors une particularité rendue nécessaire par la situation coloniale et la variété des langues usitées au Congo. Sohier A., Droit de procédure du Congo belge, dans Goddyn M. (éd.), Les Novelles. Corpus Juris Belgici. Droit colonial, t. 3, Bruxelles, Larcier, 1938, p. 306.

73 Cette dépendance se trouve encore renforcée dans le cadre de l’exercice de la justice « coutumière ». Ne connaissant pas ou peu les coutumes en vigueur, les interprètes peuvent en effet adapter sinon inventer le droit coutumier. Ces acteurs sont dès lors au cœur de la production du savoir et de la pratique judiciaire locale. Ginio R., Negociating Legal Authority in French West Africa : The Colonial Administration and African Assessors, 1903-1918, dans Lawrance B. N., Osborn E. L. et Roberts R. L. (éd.), Intermediaries, Interpreters and Clerks : African Employees in the Making of Colonial Africa, Madison, University of Wisconsin Press, 2006, p. 115-138.

74 Roberts R., Text and Testimony in the Tribunal de Première Instance, Dakar, during the Early Twentieth Century, dans Journal of African History, vol. 31, 1990, n°3, p. 458.

75 Le tribunal de district de Stanleyville ne connaît que des interprètes occasionnels. Il semblerait dès lors que les interprètes jurés ou assermentés n’officient qu’auprès des tribunaux de première instance et d’appel. Lamy é., La magistrature coloniale belge, dans Allott A., Royer J.-P., Lamy é. e.a. (éd.), Magistrats au temps des colonies, Luisant, Distique, 1988, p. 64.

76 Décret du 11 juillet 1923, dans BO, 1923, p. 644. Malgré ce serment, les fausses déclarations qu’ils pourraient faire devant le tribunal sont condamnées semblablement à celles formulées par des témoins.

77 GGJ, 252, RMP 17.728.

78 GGJ, 211, RMP 18.564. Cette taxe est déterminée librement par le juge de district. Elle est remise à l’intéressé par l’intermédiaire du greffier de l’instance concernée. Décret du 11 juillet 1923, dans BO, 1923, p. 641 et suiv. Décret du 11 juillet 1923, dans BO, 1923, p. 641 et suiv.

79 Décret du 27 avril 1889, dans BO, p. 87-94.

80 Décret du 7 novembre 1930, dans BO, 1931, p. 26 et suiv.

81 Le tableau de Stanleyville se compose de maître Scharff (1935-1946), maître Hubert (1936), maître Orban de Xivry (1938-1954), maître Dewitte (1947-1950), maître Marrès (1947-1953), maître Rom (1950-1951), maître Henry (1951), maître Strimelle (1951-1952) ainsi que de maître Lardicos (1953). À l’échelle du Congo, il y a, en 1953, cinquante avocats, dont trois femmes. Ils sont nettement plus nombreux que leurs collègues français. À la même époque, il y a en effet seulement douze avocats pour toute l’AEF. Rolland M., L’organisation de la justice au Congo belge, dans Revue internationale de droit comparé, vol. 5, 1953, n°1, p. 101.

82 Mayné M., Propos sur le barreau colonial, dans JTOM, n°43, 1954, p. 1-2.

83 Un tableau d’avocats est formé au siège de chacune des cours d’appel ainsi qu’au siège des tribunaux de première instance déterminés par le gouvernement général. Les défenseurs qui y sont inscrits sont toutefois autorisés à plaider devant toutes les juridictions de la colonie. Décret du 7 novembre 1930, dans BO, 1931, p. 26 et suiv.

84 GG, 21.882, Lettre du procureur du roi de Stanleyville, J. Orbaen, au substitut du procureur du roi de Stanleyville, n.n., Stanleyville, 11/02/1949. Réf. : 707/J.S.

85 GGJ, 3.012, RMP 17.937.

86 GGJ, 90, RMP 5.091.

87 Décret du 10 mars 1938, dans BO, 1938, p. 216.

88 Ordonnance du gouverneur général du 14 octobre 1925, dans BA, 1925, p. 617.

89 GGJ, 3.017, RMP 21.291.

90 GGJ, 2.993, RMP 6547.

91 GGJ, 3.009, RMP 11.726.

92 En Belgique, seuls les procureurs du roi et les juges d’instruction sont autorisés à réquisitionner des experts. Le législateur colonial s’est distancié de ce principe en vue de fluidifier et de simplifier la procédure pénale (Sohier A., Droit de procédure du Congo belge, dans Goddyn M. (éd.), Les Novelles. Corpus Juris Belgici. Droit colonial, t. 3, Bruxelles, Larcier, 1938, p. 305). Contrairement aux dispositions métropolitaines, il n’est pas prévu que les parties puissent assumer des experts.

93 Le même constat peut être formulé à l’égard des experts métropolitains. Ces acteurs du monde judiciaire sont restés dans l’ombre jusqu’aux études récentes de Frédéric Chauvaud (Chauvaud F., Experts et expertise judiciaire. France, XIXe et XXe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes (PUR), 2003) et de Michel Porret (Porret M., Sur la scène du crime : pratique pénale, enquête et expertises judiciaires (XVIIIIe-XIXe siècle), Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2008).

94 Décret du 11 juillet 1923, dans BO, 1923, p. 641 et suiv.

95 Chauvaud F., Experts et expertise judiciaire. France, XIXe et XXe siècles, Rennes, PUR, 2003, p. 257-259.

96 GGJ, 3.001, RMP 6783 ; GGJ, 3.003, RMP 10.169 et GGJ, 3.017, RMP 21.080.

97 En dépit du nombre réduit de médecins présents sur le territoire de la colonie, les autorités judiciaires ne font jamais appel aux infirmiers et assistants médicaux congolais.

98 GGJ, 3.011, RMP 17.414.

99 GGJ, 211, RMP 18.808.

100 Notamment : GGJ, 229, RMP 16.571 et GGJ, 231, RMP 14.289.

101 GGJ, 263, RMP 12.152 ; GGJ, 774, RMP 21.227 et GGJ, 2997, RMP 7375. Lauro A. et Piret B.,
Sexual Violence, Female Consent and Colonial Justice in the Belgian Congo (1908-1960), à venir.

102 GGJ, 3.013, RMP 18.569.

103 GGJ, 3.005, RMP 10.349.

104 GGJ, 58, RMP 7032 et GGJ, 238, RMP 16.701.

105 Lemesle B. (éd.), La preuve en justice de l’Antiquité à nos jours, Rennes, PUR, 2003.

Pour citer cet article

Bérengère Piret, «Nomenclature du personnel judiciaire colonial. Dire le droit et rendre la justice à Stanleyville, 1935-1955», C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société [En ligne], Vol. 42 - 2020, URL : https://popups.uliege.be/1370-2262/index.php?id=686.

A propos de : Bérengère Piret

Bérengère Piret est professeure d’histoire contemporaine à Université Saint-Louis. En tant qu’historienne de la période coloniale, elle s'intéresse à la manière dont la justice coloniale est construite, représentée et utilisée dans l’espace colonial belge. Elle a publié plusieurs articles et ouvrages sur l'histoire de la justice et des prisons, de la colonisation et des archives (coloniales). Son dernier livre, Justices. Organisation et pratique judiciaires coloniales, Congo, Ruanda, Urundi (Archives d'État de Belgique, 2020) examine le rôle de la justice dans la légitimation du régime colonial belge, le travail forcé et l'imposition d'un ordre public et moral colonial.