Fédéralisme Régionalisme Fédéralisme Régionalisme -  Volume 17 : 2017  Les juridictions constitutionnelles suprêmes dans les États fédéraux : créatures et créateurs de fédéralisme 

Analyse transversale : les juridictions constitutionnelles suprêmes – créatures et créateurs de fédéralisme ?

Frédéric Bouhon
Chargé de cours, Université de Liège

11. – Comme nous l’avons expliqué dans l’introduction générale de la présente étude, cette dernière vise à mettre en lumière les rapports réciproques entre le caractère fédéral d’un État, d’une part, et la conception et le fonctionnement de la juridiction constitutionnelle suprême qui y officie, d’autre part. Autrement dit, sur la base de rapports produits par des experts universitaires à propos de huit ordres juridiques1, nous avons non seulement cherché à savoir si – et, le cas échéant, comment – la nature fédérale des États tend à se refléter dans la manière dont les cours constitutionnelles sont organisées par les règles de droit pertinentes, mais nous avons par ailleurs essayé d’apprécier l’influence éventuelle que ces juridictions exercent sur la dynamique fédérale des systèmes politiques concernés, en faisant par exemple évoluer les lignes du partage des compétences entre l’autorité fédérale et les entités fédérées.

2Nous partons ainsi de l’hypothèse que les juridictions constitutionnelles suprêmes sont susceptibles d’être à la fois des créatures du fédéralisme – dans le sens où certains de leurs traits pourraient être le résultat de considérations fédérales – et des créateurs du fédéralisme – dans la mesure où leur activité jurisprudentielle pourrait être un facteur de l’évolution des règles juridiques qui concrétisent le pacte fédéral propre à un État donné.

32. – C’est cette double causalité qui caractérise notre approche et qui fonde la structure de la présente contribution. Dans sa première partie, nous nous focalisons sur la conception des juridictions constitutionnelles suprêmes dans le cadre fédéral. Le second volet de l’article nous permettra d’aborder la production de ces juridictions et son effet sur l’architecture fédérale des États étudiés.

1. Fédéralisme et conception des juridictions constitutionnelles suprêmes

43. – Pour étudier l’influence éventuelle du caractère fédéral d’un État sur la conception de la juridiction constitutionnelle suprême qui y est établie, il nous paraît utile d’aborder six questions distinctes.

5Nous identifierons d’abord les sources normatives de ces juridictions, c’est-à-dire les règles juridiques sur lesquelles elles sont fondées, afin de constater l’influence respective de l’autorité fédérale et des autorités fédérées (1.1). Nous nous intéresserons ensuite à la composition des juridictions, dans le but de rechercher si les différentes composantes de l’État fédéral y trouvent une forme de représentation ou si leurs institutions contribuent au processus de sélection des juges (1.2). La section suivante portera sur le financement des juridictions constitutionnelles ; il s’agira de se demander si un partage des coûts entre l’autorité fédérale et les entités fédérées est prévu dans certains États (1.3). Nous traiterons ensuite de la compétence des hautes juridictions avec, en ligne de mire, la double question de savoir quelles normes (fédérales et fédérées) sont contrôlées et quelles normes (fédérales et fédérées) servent de référence au contrôle (1.4). Notre attention se portera aussi sur les modes de saisines des juridictions constitutionnelles suprêmes ; nous nous demanderons notamment si les composantes de l’État fédéral disposent, en tant que telles, d’un accent particulier auxdites juridictions (1.5). Enfin, la dernière section concernera l’effet des décisions prononcées par les cours constitutionnelles et visera en particulier à vérifier si, en fonction de la nature – fédérale ou fédérée – de la norme entreprise, ces effets sont les mêmes ou s’ils sont, au contraire, caractérisés par des différences (1.6).

1.1. Sources normatives des juridictions constitutionnelles suprêmes

64. – Dans les huit États de référence, l’existence et l’organisation de la juridiction constitutionnelle suprême reposent exclusivement sur des normes fédérales. Cette situation découle d’une évidence : la juridiction constitutionnelle suprême doit être établie par une norme commune, applicable sur tout le territoire et à tous les acteurs concernés. Or, seul le droit fédéral a en principe cette capacité2.  Les constitutions fédérales, en particulier, consacrent partout au moins les principes majeurs qui fondent la haute juridiction et laissent au législateur fédéral le soin d’adopter les règles qui les précisent3. Certaines constitutions fédérales, comme celles des États-Unis et du Canada, se bornent à prévoir le principe d’une cour suprême fédérale, tandis que d’autres, plus détaillées, contiennent des dispositions relatives notamment à la compétence et à l’organisation des juridictions constitutionnelles suprêmes.

75. – Ce constat de dominance du niveau fédéral peut toutefois être nuancé par deux observations.  

8Premièrement, il serait inexact de considérer que la constitution fédérale est la constitution de la seule autorité fédérale ; elle est celle de l’État fédéral, entendu comme l’ensemble composé de cette autorité et des entités fédérées. D’ailleurs, les institutions fédérales y sont autant soumises que les institutions des entités fédérées.

9Deuxièmement, même si les entités fédérées ne sont pas les auteurs des normes juridiques qui instituent et organisent les cours constitutionnelles fédérales, leur influence dans l’élaboration de ces règles n’est pas nulle. En effet, les modifications des dispositions constitutionnelles et des lois fédérales concernées requièrent notamment, dans les États étudiés, le soutien des chambres hautes au sein desquelles les entités fédérées bénéficient d’une représentation propre4. En outre, dans certains des États étudiés, comme les États-Unis ou la Suisse, les entités fédérées sont susceptibles de jouer, en tant que telles, un rôle décisif dans le processus de révision de la constitution fédérale.

1.2. Composition des juridictions constitutionnelles suprêmes

106. – Nous nous sommes également demandé si le caractère fédéral de l’État se reflétait dans la manière dont les juridictions constitutionnelles suprêmes sont composées. À cet égard, la question majeure consiste à savoir si le droit prévoit un système qui vise à assurer que les membres de la juridiction soient issus de différentes entités fédérées afin de garantir un certain équilibre, voire exige que chaque entité ait un représentant parmi ces hauts magistrats.

11L’analyse qui a été menée dans les huit États de référence montre que le droit ne se préoccupe de cet aspect que dans une minorité de cas (n° 7), mais que, dans d’autres cas, la pratique favorise une certaine diversité géographique (n° 8). Par ailleurs, il semble pertinent de relever que les entités fédérées sont parfois impliquées dans le processus de sélection des juges constitutionnels (n° 9).

127. – Comme l’a constaté la Commission européenne pour la Démocratie par le Droit (Commission de Venise), la représentation des minorités au sein des cours constitutionnelles n’est pas un objectif courant5. Cette observation vaut également, dans une certaine mesure, pour les États étudiés : nous n’avons recensé aucun cas où chaque entité fédérée bénéficierait d’une garantie juridique d’être représentée par au moins un juge au sein de la juridiction constitutionnelle suprême. En revanche, il apparaît que la diversité linguistique – qui joue un rôle déterminant dans certains États fédéraux – est quant à elle souvent prise en considération par les règles de nomination des juges.

13Cette tendance est particulièrement marquée en Belgique où la loi impose une composition linguistiquement paritaire : la Cour constitutionnelle doit nécessairement compter six juges francophones et six juges néerlandophones6. En outre, la Cour compte deux présidents, à savoir un pour chaque groupe linguistique. Au Canada, le droit impose que trois des neufs juges de la Cour suprême proviennent de la magistrature ou du barreau de la province de Québec7 ; par-delà les considérations linguistiques, ce principe permet une représentation, au sommet de la hiérarchie judiciaire, des deux systèmes juridiques (common law et civil law)8.

14Enfin, en Autriche, le droit aborde la question de la répartition géographique, mais c’est seulement pour prévoir qu’un quart des juges au moins doivent avoir leur résidence en dehors de Vienne.

158. – À la suite des constats déjà formulés, on aurait éventuellement pu s’attendre à ce que la Suisse (où la dimension plurilingue est également importante) connaisse des règles comparables à celles qui existent en Belgique et au Canada. C’était d’ailleurs la situation qui prévalait avant l’adoption de la Constitution du 17 juin 20009. Il apparaît cependant aujourd’hui que c’est la pratique, plutôt que des règles juridiques explicites, qui amène l’Assemblée fédérale à choisir les juges fédéraux de telle sorte que les trois langues officielles de la Confédération soient représentées au sein du Tribunal fédéral10.

16Des pratiques de ce type peuvent être observées dans d’autres États de référence. Au Canada, au-delà de la règle susmentionnée qui garantit la représentation du Québec à la Cour suprême, il apparaît que siègent habituellement trois juges de l’Ontario, deux des provinces de l’Ouest et un du Canada atlantique11. En Inde, malgré l’absence d’obligation juridique en ce sens, la composition de la Cour suprême est caractérisée par une grande diversité géographique, au point qu’elle offre une représentation des entités fédérées souvent mieux équilibrée que celle qui résulte de la distribution des sièges au sein d’autres institutions fédérales12. Enfin, en Allemagne, le processus de sélection des juges constitutionnels fédéraux tend à produire une juridiction qui est représentative de la diversité régionale, mais aussi religieuse et politique13.

17Parmi les États étudiés, ceux où la question que nous traitons ici semble recevoir le moins de considération sont l’Australie et les États-Unis. Dans le premier cas, on observe que trois quarts des juges de la Haute Cour sont originaires des deux plus grandes entités fédérées (Nouvelle-Galle du Sud et Victoria)14. Dans le second, il apparaît que cinq des neuf membres actuels de la Cour suprême proviennent de New York ou de Californie15.

189. – Pour compléter l’examen de l’influence que la structure fédérale d’un État pourrait avoir sur la composition des juridictions constitutionnelles suprêmes, il est nécessaire d’investiguer sur un point supplémentaire. Au-delà de la question de savoir si les entités fédérées bénéficient d’une forme de garantie, en droit ou en fait, d’être représentées au sein de la juridiction, il convient de se demander si ces entités exercent un rôle, direct ou indirect, dans le processus de sélection des juges constitutionnels.

19Dans la majorité des États étudiés, la participation des entités fédérées à la composition de la Cour est notamment assurée par le fait que la chambre du parlement fédéral qui a davantage vocation à représenter les entités fédérées (souvent la seconde chambre ou chambre haute) joue un rôle dans la désignation des juges16. L’influence de cette assemblée est la plus marquée dans les cas où elle détient la prérogative de choisir elle-même les juges ou une partie d’entre eux, sans l’intervention décisive d’une autre autorité. Cette configuration existe en Allemagne où le Bundesrat élit la moitié des juges du Tribunal constitutionnel fédéral17, en Autriche où un quart des juges sont choisis par le Conseil fédéral18 et en Suisse où les juges sont nommés par l’Assemblée fédérale – qui rassemble les membres du Conseil national et du Conseil des États19. Dans d’autres États, la compétence de la seconde chambre est partagée avec celle du chef d’État ; à cet égard, plusieurs scénarios sont envisageables. En Belgique, les deux chambres (Chambre des représentants et Sénat) sont, à chaque fois qu’une position de juge se libère à la Cour constitutionnelle, alternativement invitées à présenter une liste de deux candidats parmi lesquels le Roi procède à une nouvelle nomination20. La dynamique est inversée aux États-Unis : le Sénat est invité à approuver la nomination des candidats proposés par le Président et dispose donc d’un droit de veto21.

20Le rôle éventuel des entités fédérées dans le processus de nomination des juges constitutionnels se matérialise parfois autrement. Ainsi, en Australie, les procureurs généraux de ces entités sont consultés dans le cadre du processus de recrutement des juges22. En Inde, les juges de la Cour suprême et ceux des Hautes Cours des États sont sollicités par le président en vue de la sélection des nouveaux magistrats, de sorte que les pouvoirs législatif et exécutif jouent un rôle limité à cette occasion23. En ce qui concerne l’Allemagne, il est opportun d’ajouter que l’élection de juges constitutionnels fédéraux par le Bundesrat est précédée par une opération de présélection qui est menée par un comité constitué des ministres de la Justice des différents Länder24.

2110. – Lorsqu’on considère globalement la question, il ressort que le caractère fédéral d’un État exerce dans tous les cas étudiés une forme d’influence sur la manière dont la juridiction constitutionnelle suprême est composée. La mesure de cette influence varie considérablement d’un État à l’autre. Elle est notamment assez forte dans les États qui, comme la Belgique, le Canada ou la Suisse, connaissent le pluralisme linguistique – encore que même dans ces cas le droit n’impose pas une représentation de chaque entité fédérée au sein de la juridiction. En Inde, où les clivages linguistiques et religieux sont significatifs, on recherche aussi à assurer une certaine diversité géographique. Cette préoccupation se retrouve toutefois même dans des États qui sont a priori plus homogènes, comme l’Allemagne. Sous réserve du rôle éventuel de la seconde chambre, qui représente les intérêts des entités fédérées, elle semble avoir moins d’importance en Australie et aux États-Unis, malgré le fait que ces États disposent de très vastes territoires.

1.3. Financement des juridictions constitutionnelles suprêmes

2211. – Au stade initial de l’étude, il nous avait semblé opportun de chercher à savoir si la manière de concevoir le financement du coût des juridictions constitutionnelles suprêmes pouvait entretenir des liens avec le caractère fédéral de l’État concerné. Le travail collectif qui a été mené a permis d’aboutir sur ce point à un résultat parfaitement homogène en droit comparé : c’est partout l’autorité fédérale qui assume l’intégralité du budget desdites juridictions, tandis que les entités fédérées n’y contribuent nullement25.  

23Le niveau fédéral connaît donc partout l’inconvénient de devoir supporter les coûts engendrés par le fonctionnement de la juridiction constitutionnelle suprême, mais aussi l’avantage de pouvoir disposer d’un levier politique important, grâce à une certaine maîtrise des ressources financières. À cet égard, on doit cependant ajouter que, dans plusieurs États, des mécanismes particuliers contribuent à assurer l’indépendance de la juridiction constitutionnelle suprême. À titre d’exemple, on relève que la Cour constitutionnelle allemande établit elle-même le projet de budget qui fonde son financement et qui – après adoption par le Bundestag – le gère et l’exécute sans interférence du ministre de la Justice26. Le cas belge fournit une autre illustration intéressante : une règle coutumière prévoit que le montant de la dotation de la Cour constitutionnelle est déterminé annuellement par le Président de la Chambre des représentants, le ministre du Budget et les deux présidents de la Cour27.

1.4. Compétences des juridictions constitutionnelles suprêmes

2412. – Nous focalisons à présent notre attention sur les compétences qui sont attribuées aux juridictions constitutionnelles suprêmes, afin d’identifier celles qui sont éventuellement liées au caractère fédéral des États au sein desquels elles exercent leurs compétences. Dans cette perspective, nous examinons ici la manière dont les juridictions étudiées sont amenées, par le droit applicable, à remplir leur mission de justice constitutionnelle, c’est-à-dire à vérifier si les règles de droit adoptées par les autorités respectent effectivement les normes constitutionnelles, au sens de règles qui occupent le sommet de la hiérarchie normative28.

25Pour bien comprendre les implications de la dimension fédérale de l’État à cet égard, il nous paraît utile de préciser l’étendue de la compétence des juridictions constitutionnelles suprêmes, quant à la nature des normes qu’elles contrôlent, d’une part (n° 13), et quant à la nature des normes à l’aune desquelles elles exercent ce contrôle, d’autre part (n° 14). Nous nous demanderons ensuite si, de façon plus générale, le rôle de la juridiction, au sein de l’État dans lequel elle exerce ses missions, est assimilable à celui d’un arbitre ou d’un pacificateur dans les relations entre les composantes de l’État fédéral (n° 15).

2613. – En ce qui concerne, tout d’abord, les normes qui sont contrôlées par les juridictions constitutionnelles suprêmes, on observe diverses configurations, malgré de nettes tendances générales sur certains aspects de la question.

27À cet égard, le point commun le plus marqué est sans surprise le fait que les juridictions constitutionnelles sont toutes chargées d’exercer un contrôle sur les normes de rang législatif, qu’elles aient été élaborées par les autorités fédérales ou par celles d’une entité fédérée : c’est le cœur du métier de ces juridictions. Un écart remarquable, par rapport à cette tendance, apparaît dans le cas de la Suisse : alors que les normes législatives des cantons sont pleinement soumises au contrôle de constitutionnalité, les normes législatives fédérales échappent quant à elles assez largement à l’emprise du Tribunal fédéral. D’une part, le contrôle abstrait de ces normes n’est pas organisé par le droit positif ; d’autre part, si le contrôle concret, survenant à la faveur d’un cas d’application de ces règles, est envisageable, il n’en demeure pas moins que la Constitution suisse interdit au Tribunal fédéral – comme aux autres autorités – de refuser d’appliquer une loi fédérale au motif qu’elle serait inconstitutionnelle. L’influence que peut avoir le Tribunal fédéral au sujet d’une loi fédérale est dès lors limitée, mais pas nulle, car il lui est possible de développer, en cas de doute sur la portée d’une telle loi, une interprétation de cette dernière qui soit compatible avec la Constitution. Par ailleurs, si le Tribunal ne peut empêcher l’application de la loi fédérale, il peut identifier d’éventuelles inconstitutionnalités et les signaler au législateur fédéral qui pourra alors y réagir29. L’auteur de la contribution sur le droit suisse donne des éléments d’explication à propos de ce trait exceptionnel : la faible ampleur du contrôle juridictionnel qui pèse sur les lois fédérales est liée non seulement à la prééminence institutionnelle du Parlement fédéral, mais aussi à l’existence d’un contrôle démocratique et populaire poussé à l’égard desdites lois, lesquelles, après adoption par le Parlement, sont susceptibles d’être soumises au référendum populaire à la demande de 50.000 citoyens ou de huit cantons30. Le droit suisse opte, à cet égard, pour une formule qui offre une certaine primauté au principe démocratique sur celui du respect de la norme hiérarchiquement supérieure. Le fait que cette particularité concerne les lois fédérales et ne s’étende pas aux lois cantonales constitue un élément remarquable dans la perspective de notre sujet31.

28La comparaison entre les huit États de référence fait par ailleurs apparaître une deuxième tendance forte : dans les États où les entités fédérées disposent d’une constitution propre (c’est le cas en Allemagne, en Autriche, en Australie, aux États-Unis et en Suisse32), les juridictions constitutionnelles suprêmes sont presque toujours compétentes pour contrôler leur conformité par rapport aux règles hiérarchiquement supérieures. Les juges constitutionnels peuvent donc être amenés à contrôler les règles suprêmes des composantes de la fédération et, le cas échéant, à constater leur nullité. Cette possibilité leur donne un rôle-clé dans la structuration du système fédéral et dans l’arbitrage des conflits entre les normes fédérales et fédérées. Ainsi, aux États-Unis, ce type de contrôle est non seulement théoriquement possible, mais il est aussi exercé en pratique. Ce fut notamment le cas dans la célèbre et récente affaire Obergefell v. Hodges à l’occasion de laquelle la Cour suprême a explicitement considéré que l’interdiction du mariage homosexuel – qui était notamment consacrée par les constitutions du Michigan, du Tennessee et du Kentucky – était incompatible avec le droit fédéral33. La possibilité de mettre en cause les constitutions des entités fédérées existe aussi en Autriche34 ou encore en Allemagne35. Dans les ordres juridiques où les entités fédérées ne disposent pas de constitutions au sens formel, le droit constitutionnel matériel produit par ces entités est en règle soumis au contrôle de la juridiction constitutionnelle suprême, étant donné que les dispositions concernées sont le plus souvent inscrites formellement dans des normes législatives qui sont elles-mêmes contrôlables. On peut prendre l’exemple de la Belgique où mêmes les décrets et ordonnances spéciaux des Communautés et des Régions36, par lesquels celles-ci peuvent exercer ce qu’on appelle l’autonomie constitutive37, relèvent de la compétence de la Cour constitutionnelle au même titre que les décrets et ordonnances ordinaires des entités. L’Australie fournit une autre illustration : les Constitution Acts des entités fédérées – qui contiennent des règles matériellement constitutionnelles mais qui, formellement, peuvent être modifiées par des lois ordinaires – sont logiquement susceptibles d’être soumises au contrôle de la juridiction constitutionnelle suprême38. La Suisse fait, sur la question, aussi figure d’exception, puisque les constitutions formelles des cantons ne peuvent pas être contrôlées par le Tribunal fédéral, cette compétence étant attribuée à l’Assemblée fédérale qui l’exerce d’office, de façon gracieuse et non contentieuse, à la faveur de chaque révision d’une constitution cantonale39. Cette différence qui concerne le droit suisse s’ajoute à celle que nous avons identifiée au point précédent (contrôle limité sur les lois fédérales) et amène à constater que l’étendue de la compétence de contrôle du Tribunal fédéral, en matière de respect de la hiérarchie des normes, est plus étroite que celle des autres juridictions constitutionnelles suprêmes étudiées.

29Alors que la possibilité pour les juridictions constitutionnelles suprêmes de contrôler les constitutions formelles (et a fortiori les constitutions matérielles) des entités fédérées est plutôt courante, ainsi qu’on vient de le montrer, leur emprise sur les constitutions fédérales est plus rare et, lorsqu’elle existe, est toujours strictement limitée à certaines considérations particulières. Une telle possibilité existe dans trois des huit États de référence : en Allemagne, en Autriche et en Inde, la juridiction constitutionnelle suprême peut être amenée à vérifier si une nouvelle disposition de la constitution fédérale est compatible avec des principes de référence qui, dès lors, présentent dans une certaine mesure une nature supraconstitutionnelle. En Allemagne, le contrôle de constitutionalité des lois portant amendement à la Loi fondamentale est tout à fait concevable sur le plan formel40 aussi bien que sur le plan matériel41 et a été concrètement exercé à plusieurs reprises42. Dans l’ordre juridique autrichien, il est prévu que les modifications constitutionnelles qui portent atteinte à la nature fondamentale de la Constitution (Gesamtänderungen) doivent être soumises au referendum43. La Cour constitutionnelle est compétente pour vérifier si une modification constitutionnelle respecte effectivement cette règle, ce qui implique de chercher à savoir si ladite modification touche ou non à la nature fondamentale de la Constitution. Enfin, en Inde, la jurisprudence de la Cour suprême a établi des limites au pouvoir d’amender la constitution fédérale et a jugé qu’il était interdit de modifier la structure et les éléments fondamentaux (basic structure and features) de la Constitution44. La juridiction suprême indienne exerce concrètement ce pouvoir notamment pour imposer le respect du principe fédéral45.

30Le fait que, de façon générale, les juridictions constitutionnelles suprêmes exercent une emprise plus grande sur les normes fondamentales des entités fédérées que sur celles du niveau fédéral est le reflet de la hiérarchie des normes qui place typiquement la constitution fédérale au sommet de l’ordre juridique national. Même dans les États fédéraux où le degré d’autonomie des entités fédérées est particulièrement élevé, ces entités demeurent évidemment soumises au minimum à la constitution nationale. Les tendances que nous avons relevées montrent que les principes élémentaires qui caractérisent un État fédéral sont pris en considération dans la détermination des compétences de la juridiction constitutionnelle suprême.

31À propos de l’identification des normes que les juridictions constitutionnelles suprêmes ont le pouvoir de contrôler, nous devons encore formuler une observation complémentaire. Il apparaît en effet que dans presque tous les États de référence, ce pouvoir est étendu aux normes infra-législatives, telles que celles qui sont produites par les pouvoirs exécutifs, les administrations ou les institutions locales. Ce constat vaut non seulement pour les juridictions du modèle américain qui sont notamment caractérisées par une compétence juridictionnelle générale, mais aussi pour celles qui sont davantage façonnées selon le modèle kelsénien et dont la compétence est en principe plus limitée en raison du caractère spécialisé de ces juridictions. Ainsi, les juridictions constitutionnelles fédérales allemande et autrichienne comptent, parmi leurs prérogatives, celle de contrôler la conformité des normes infra-législatives par rapport à des normes hiérarchiquement supérieures46. C’est ici le cas belge qui constitue l’exception : seules les normes formellement législatives, à l’exclusion de toutes autres, peuvent être soumises à l’examen de la Cour constitutionnelle du Royaume47. Cependant, que l’on considère la tendance ou l’exception, on remarque que les normes fédérales et celles des entités fédérées sont ici traitées de la même façon : toutes sont contrôlables ou bien toutes sont exclues du contrôle. Il n’y a donc à cet égard pas de corrélation particulière à signaler en ce qui concerne l’organisation des juridictions constitutionnelles suprêmes et les principes du fédéralisme. Une nuance doit toutefois être apportée à propos du droit suisse : la quasi-immunité de contrôle dont bénéficient les normes législatives fédérales s’étend aux normes fédérales infra-législatives qui dépendent directement des lois fédérales48.

32Les développements qui précèdent peuvent être synthétisés sous la forme du tableau suivant, lequel indique, pour chaque État de référence, les types de normes que la juridiction constitutionnelle suprême peut contrôler.

Tableau n° 1 – normes contrôlées par les juridictions constitutionnelles suprêmes

O = oui  / N = non

All.

Aut.

Inde

USA

Aus.

Can.

Bel.

Suisse

Constitution fédérale

O

O*

O

N

N

N

N

N

Constitutions fédérées

O

O

s.o.

O

s.o.**

s.o.

s.o.

N

Législation fédérale

O

O

O

O

O

O

O

N***

Législations fédérées

O

O

O

O

O

O

O

O

Normes infra-législatives fédérales

O

O

O

O

O

O

N

O****

Normes infra-législatives fédérées

O

O

O

O

O

O

N

O

* les modifications portées à la nature fondamentale de la constitution fédérale autrichienne (Gesamtänderungen) doivent être soumises à un référendum – le respect de cette règle procédurale est soumis au contrôle de la Cour constitutionnelle.

** en Australie, on considère généralement que les entités fédérées disposent de constitutions propres (qui sont connues sous le nom de Constitution Acts) ; toutefois, les dispositions comprises dans ces constitutions peuvent en général être modifiées par des lois ordinaires dont elles ne se distinguent dès lors pas sur le plan formel.

*** la compétence du Tribunal fédéral envers la législation fédérale est limitée, mais pas inexistante.

**** l’immunisation des lois fédérales s’étend cependant aux normes infra-législatives qui dépendent directement de ces dernières.

3314. – Pour examiner la manière dont le caractère fédéral des États se reflète dans les règles de compétence des juridictions constitutionnelles suprêmes, il paraît ensuite utile d’identifier les normes de référence de ces juridictions, c’est-à-dire les règles à l’aune desquelles sont exercées les prérogatives de contrôle qui leur sont attribuées49. On observe, ici aussi, des tendances communes auxquelles se greffent de remarquables exceptions.

34En ce qui concerne les règles formellement constitutionnelles, on note d’emblée ce qui relève de l’évidence : toutes les juridictions constitutionnelles fédérales étudiées sont compétentes pour s’assurer du respect de la Constitution fédérale par des normes hiérarchiquement inférieures. Ce trait est un élément essentiel de la définition-même du rôle d’une telle juridiction, de sorte qu’on ne trouve aucune exception au principe. Ceci n’exclut cependant pas qu’on puisse identifier des cas où l’affirmation s’applique dans la nuance. Ainsi, en Belgique, la Cour constitutionnelle n’est habilitée à opérer un contrôle de constitutionnalité que sur la base de certaines dispositions, limitativement énumérées, de la Constitution fédérale50.

35Quant aux constitutions formelles des entités fédérées, pour les ordres juridiques où de telles normes existent, elles ne reçoivent pas partout le même statut. Dans certains États, elles font partie des normes de référence, ce qui signifie que les cours constitutionnelles fédérales sont alors les gardiennes non seulement des normes suprêmes de droit fédéral, mais aussi de celles du droit des entités fédérées. On rencontre notamment cette configuration en Suisse51 et en Autriche52. Il est par ailleurs intéressant de relever que, dans le second de ces cas, les constitutions des Länder peuvent être – selon l’objet de l’affaire dont est saisie la juridiction – soit des normes à contrôler, soit des normes de référence53. En revanche, dans d’autres ordres juridiques, les dispositions des constitutions fédérées ne font en principe pas partie des normes à l’aune desquelles les juridictions constitutionnelles fédérales sont habilitées à exercer un contrôle. Dans cette hypothèse, qui se réalise notamment en Allemagne54 et aux États-Unis55, l’incompétence de la juridiction s’étend d’ailleurs – logiquement – aux normes infra-constitutionnelles des entités fédérées. Le rôle de la juridiction constitutionnelle suprême est donc conçu sur la base d’une distinction plus nette entre le droit fédéral, dont elle surveille le respect par les autorités, et le droit des entités fédérées, dont elle n’est pas chargée d’assurer le respect et qu’elle ne traite dès lors que comme un objet soumis à son pouvoir de contrôle. Le cas australien est difficile à classer. Nous avons déjà relevé que les constitutions des entités fédérées sont en principe des règles formellement législatives, ce qui est de nature vider la question de savoir si les normes formellement constitutionnelles peuvent être contrôlées. Cependant, il existe dans ces législations certaines prescriptions, connues sous le nom de « manner and form provisions », que les parlements sont obligés de respecter56 et dont la High Court peut vérifier l’effectivité57. Enfin, au Canada, il existe des normes formellement législatives dites « quasi constitutionnelles » et les juridictions – dont la Cour suprême – doivent veiller à assurer que toutes les normes ordinaires y sont bien conformes ; l’auteur du rapport sur le droit canadien cite, à titre d’exemple, le cas de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec58.

36Une autre question, complémentaire, est celle de savoir si des normes infra-constitutionnelles – notamment des règles législatives –, peuvent servir de référence au contrôle exercé par la cour constitutionnelle suprême. Ceci revient à se demander si la juridiction peut entreprendre un contrôle de légalité au-delà du contrôle de constitutionnalité. Cette question présente aussi un intérêt dans le cadre du sujet que nous traitons, car il apparaît que le droit infra-constitutionnel fédéral n’a pas nécessairement le même statut que le droit infra-constitutionnel des entités fédérées. Ainsi, la dichotomie entre les deux niveaux de pouvoir que nous avons déjà observée dans les cas de l’Allemagne et des États-Unis à propos des normes de rang constitutionnel se retrouve en effet symétriquement à propos des normes législatives : seules celles qui sont élaborées par l’autorité fédérale peuvent être utilisées comme normes de contrôle, à l’exclusion de celles qui sont produites par les entités fédérées. Par-delà ces deux cas, on relève que la même différence apparaît dans une certaine mesure en Suisse : les dispositions de droit fédéral peuvent globalement servir de normes de contrôle, alors que le droit cantonal infra-constitutionnel ne peut l’être que dans le cadre de contentieux spécifiques59. Le cas suisse se distingue des cas allemand et américain en ce que la distinction qui se marque à l’égard des normes infra-constitutionnelles fédérales et fédérées existe alors qu’une différence similaire n’apparaît pas entre les normes constitutionnelles fédérales et fédérées. Enfin, en Belgique, le droit prévoit que les normes de référence du contrôle constitutionnel sont soit des règles constitutionnelles, soit des règles qui répartissent les compétences entre les composantes de l’État fédéral.  Or, certaines des règles qui relèvent de la seconde catégorie sont des normes infra-constitutionnelles ; en pratique, elles sont le plus souvent des lois fédérales adoptées à la majorité spéciale ou ordinaire, ce qui signifie que ces normes (fédérales) occupent une place importante parmi les normes sur la base desquelles la Cour exerce son pouvoir de contrôle60. En Belgique, des règles produites par les entités fédérées peuvent toutefois aussi contribuer à la répartition des compétences entre les composantes de l’État61 et elles sont alors susceptibles de servir exceptionnellement de normes de référence à la cour constitutionnelle62.

37Dans les autres États de référence, les normes infra-constitutionnelles reçoivent, sur la question qui nous intéresse ici, le même statut qu’elles soient fédérales ou fédérées. En Autriche, en Australie, au Canada et en Inde, cette identité de traitement implique que ces normes peuvent servir de règles de référence pour vérifier la compatibilité de règles hiérarchiquement inférieures (par exemple, pour contrôler la légalité d’un règlement adopté par un pouvoir exécutif). Dans ces quatre États, la juridiction constitutionnelle suprême, pour autant qu’elle soit valablement saisie, est globalement compétente pour vérifier la compatibilité d’une norme donnée à toute norme supérieure.

38Le tableau que nous proposons ci-après vise à résumer les analyses qui précèdent. Il ne reflète certes pas toutes les nuances que nous avons évoquées, mais il présente l’avantage d’offrir une synthèse comparative.

Tableau n° 2 – normes de référence des juridictions constitutionnelles suprêmes

O = oui  / N = non

Aut.

Aus.

Can.

Inde

Suisse

Bel.

All.

USA

Constitution fédérale

O

O

O

O

O

O

O

O

Constitutions fédérées

O

s.o.*

s.o.**

s.o.

O

s.o.

N

N

Normes infra-constitutionnelles fédérales

O

O

O

O

O

O

****

O

O

Normes infra-constitutionnelles fédérées

O

O

O

O

N***

N

*****

N

N

* sous réserve de ce que nous avons indiqué supra à propos des « manner and form provisions ».

** sous réserve de ce que nous avons indiqué supra à propos des lois quasi-constitutionnelles.

*** sauf dans le cadre de contentieux spécifiques.

**** pour autant qu’il s’agisse de vérifier une norme qui répartit les compétences entre les composantes de l’État fédéral.

***** sauf dans la mesure où de telles normes contribuent à la répartition des compétences entre les composantes de l’État fédéral.

3915. – Par-delà les réflexions qui précèdent, sur les compétences des juridictions constitutionnelles suprêmes quant au contrôle du respect de la hiérarchie des normes, il nous semble pertinent de poursuivre l’analyse en nous demandant comment est conçu – de façon générale – le rôle des juridictions concernées dans le cadre de la dynamique fédérale qui caractérise les États de référence.

40À cet égard, on relève d’emblée que le droit positif de certains États confie à la cour constitutionnelle suprême des procédures particulières qui visent spécifiquement à résoudre les conflits internes à la fédération. Ainsi, la Loi fondamentale allemande prévoit, parmi les compétences de la Cour constitutionnelle fédérale, celle de statuer en cas de divergences d'opinion sur les droits et obligations de la Fédération et des Länder, notamment en ce qui concerne l'exécution par les Länder du droit fédéral et l'exercice du contrôle fédéral63, ce qui comprend tous les conflits sur le partage des compétences64. En Suisse, la Constitution fédérale habilite notamment le Tribunal fédéral à connaître des différends entre la Confédération et les cantons ou entre les cantons65. De façon similaire, la Constitution de l’Inde prévoit que la Cour suprême tranche les conflits juridiques entre un ou plusieurs États et l’Union ou entre plusieurs États66. Quant à la Constitution du Royaume de Belgique, elle attribue à la Cour constitutionnelle le pouvoir de statuer sur les conflits entre les normes législatives adoptées par les différentes composantes de l’État fédéral67, ce qui revient à lui donner une mission primordiale pour assurer le respect du partage des compétences. Elle par ailleurs explicitement habilité à vérifier le respect du principe de loyauté fédérale.

41L’idée que la juridiction constitutionnelle suprême exerce un rôle significatif dans l’effectivité des principes sur lesquels repose le caractère fédéral de l’État ressort en outre de la plupart des contributions que nous avons rassemblées dans le cadre de la présente étude. De l’avis du contributeur canadien, la Cour suprême – avec les tribunaux fédéraux – joue en matière constitutionnelle un rôle d’arbitre quant au partage des compétences68. L’auteur du rapport belge relève que la Cour constitutionnelle – autrefois nommée Cour d’arbitrage – a été initialement conçue comme un « arbitre des règles du jeu fédéral », avant de devenir en outre un arbitre des droits fondamentaux69. Selon le rapporteur suisse, « l’arbitrage des litiges nés de la structure fédérale représente (…) une facette centrale de la juridiction constitutionnelle »70. Ceci s’applique bien entendu avec les nuances déjà mises en avant quant au pouvoir limité du Tribunal à l’égard des lois fédérales – il lui est notamment impossible d’annuler une loi en cas d’usurpation d’une compétence fédérale71. Le contributeur autrichien confirme le rôle central de la cour constitutionnelle avec des mots forts : celle-ci « continues to serve as an irreplaceable pillar of federalism in the framework of Austrian constitutional law »72 et elle exerce ses missions « as a clip for the federal state »73.

42On relève en revanche que le rapporteur allemand estime que la Cour constitutionnelle fédérale allemande n’est ni un arbitre, ni un pacificateur des relations entre les composantes de la République fédérale, parce que de tels rôles supposeraient des pouvoirs politiques discrétionnaires que la haute juridiction ne possède pas74. Nous ne pensons toutefois pas que cette affirmation négative découle d’une différence radicale par rapport à ce que nous avons constaté pour les autres États75. Le contributeur allemand insiste sur le fait que la Cour constitutionnelle fédérale ne dispose pas d’une marge d’appréciation politique et que sa jurisprudence est le fruit d’une analyse strictement juridique des normes dont elle est chargée d’assurer le respect. Le même auteur affirme d’ailleurs que la juridiction de la cour constitutionnelle dans les litiges fédéraux a été considérée comme « the ‘bedrock’ of constitutional adjudication in Germany »76.

1.5. Modes de saisine des juridictions constitutionnelles suprêmes

4316. – Sous la présente rubrique, il n’est évidemment pas question d’étudier dans le détail les règles de procédure qui organisent la saisine de la juridiction constitutionnelle suprême dans les États de référence ; notre ambition s’inscrit dans le cadre limité de l’étude et consiste à rechercher si – et, le cas échéant, selon quels principes – les recours sont ouverts, en tant que requérants, aux composantes (fédérale et/ou fédérées) de l’État. Cet exercice nous permettra d’identifier et de comparer les initiatives que l’autorité fédérale et les entités fédérées peuvent prendre en matière de contentieux constitutionnel.

44Dans plusieurs États, les recours peuvent notamment être introduits par certaines institutions fédérales et fédérées, lesquelles sont alors traitées sur le même pied par le droit en vigueur. En Belgique, les recours en annulation peuvent être introduits auprès de la Cour constitutionnelle soit par les particuliers, soit par des requérants institutionnels que sont le Conseil des ministres (fédéral), les gouvernements des communautés et des régions ou les présidents des assemblées législatives (fédérales et fédérées) à la demande des deux tiers de leurs membres. À la différence des particuliers, qui doivent justifier d’un intérêt à agir, ces requérants institutionnels bénéficient d’une présomption d’intérêt à agir77.

45Le droit suisse offre à la Confédération ainsi qu’aux cantons – placés à cet égard sur le même pied – une voie de recours spécifique, qui n’est pas ouverte aux particuliers, à savoir l’action78. Ce mode de saisine vise à trancher les conflits – positifs ou négatifs – de compétence entre autorités fédérales et autorités cantonales et les contestations de droit civil ou de droit public entre Confédération et cantons ou entre cantons.

46Le système autrichien permet lui aussi aux autorités fédérales et fédérées de demander à la Cour constitutionnelle d’exercer son pouvoir de contrôle. Si les modes de saisine de la juridiction se sont diversifiés au cours du temps, la possibilité pour le Bund de requérir un contrôle des normes produites par les Länder, ainsi que la possibilité réciproque, étaient organisées dès l’origine et constituent des éléments-clés du fonctionnement de la Cour79.

47Aux États-Unis, les institutions fédérales et fédérées se trouvent aussi dans une situation égalitaire dans la perspective du contentieux constitutionnel. Cependant, à la différence de ce que nous venons d’indiquer à propos des exemples précédents, les institutions ne bénéficient pas d’une situation privilégiée par rapport aux particuliers : « there is no procedure whereby constitutional issues can be referred to the Supreme Court by another branch of government »80.

48Le droit australien prévoit à cet égard des dispositions similaires : « the High Court’s jurisdiction is only enlivened when litigants bring a case involving the determination of the particular rights, duties or liabilities of a person »81. L’auteur du rapport national précise, sur un point important pour notre sujet, que lorsqu’une affaire comporte des enjeux constitutionnels, les procureurs généraux (attorneys-general) des entités fédérées doivent être avertis et que ceux-ci interviennent souvent dans lesdites affaires, spécialement quand elles concernent la répartition du pouvoir entre l’autorité fédérale et les États82.

49La situation en Allemagne appelle un exposé nuancé. Certes, la Cour constitutionnelle peut être saisie par des institutions fédérales ou fédérées83. Ainsi, les recours qui visent à trancher un conflit fédéral peuvent être adressés à la Cour soit par le gouvernement fédéral, soit par le gouvernement d’un Land84. De même, les requêtes par lesquelles la Cour est invitée à opérer un contrôle de constitutionnalité abstrait peuvent être introduites par les exécutifs tant fédéral que fédérés – ainsi que, en outre, par un quart des membres du Bundestag. Il est vrai que les assemblées législatives des Länder ne bénéficient pas, quant à elles, de cette faculté85. En revanche, on relève qu’une voie de recours particulière n’est ouverte qu’aux Länder (par le biais de leur gouvernement ou de leur organe représentatif) et au Bundesrat à l’exclusion des autres institutions fédérales ; il s’agit de celle qui vise à vérifier si le législateur fédéral satisfait bien aux conditions spécifiques lorsqu’il exerce les compétences concurrentes définies par l’article 72, alinéa 2, de la Loi fondamentale86 ; cet exercice est en effet de nature à réduire d’autant les compétences des Länder et justifie dès lors l’existence de cette voie de recours ad hoc87.

50Dans certains États, on constate l’existence d’une prérogative dont jouit un niveau de pouvoir en particulier. Ainsi, la loi sur la Cour suprême du Canada permet au gouverneur en conseil – institution fédérale – de soumettre au jugement de la Cour toute question de droit ou de fait touchant notamment l’interprétation des lois constitutionnelles, la constitutionnalité ou l’interprétation d’un texte législatif fédéral ou provincial ou les pouvoirs du Parlement canadien ou des législatures des provinces, ou de leurs gouvernements respectifs, indépendamment de leur exercice passé, présent et futur88. Cette prérogative est connue sous le nom de « renvoi » et amène la Cour à prononcer un avis. Les autorités provinciales intéressées peuvent éventuellement être entendues, à l’occasion d’une audition, par l’intermédiaire de leur procureur général89.

51Le cas indien mérite une attention particulière. D’une part, les affaires relatives à des conflits juridiques entre l’Union et les États ou entre les États – affaires qui relèvent de la compétence exclusive de la Cour suprême90 –, peuvent être introduites par les autorités tant fédérales que fédérées91, ce qui constitue un facteur d’égalité entre les niveaux de pouvoir. D’autre part, l’article 143 de la Constitution habilite le seul président – fédéral – à consulter la Cour sur toute question d’importance publique et à lui demander de rendre un avis (advisory opinion) qui liera les juridictions inférieures. On peut considérer que cette dernière prérogative, exercée une douzaine de fois dans la pratique, est à la source d’un certain déséquilibre, qui favorise le pouvoir exécutif fédéral, à tout le moins en ce qu’il peut choisir les questions sur lesquelles l’avis de la Cour est requis92.

52En synthèse, on observe que les différentes composantes de l’État fédéral tendent à être traitées de la même façon, en ce qui concerne le droit d’initier les recours. Cependant, lorsqu’un déséquilibre est constaté, on observe alors qu’il résulte le plus souvent de facultés supplémentaires accordées à l’autorité fédérale.

1.6. Effets des décisions des juridictions constitutionnelles suprêmes

5317. – Dans les États de référence, les effets des décisions de la juridiction constitutionnelle suprême ne varient pas en fonction du niveau de pouvoir sur lequel ils portent : ils sont identiques, qu’ils concernent des normes fédérales ou des normes fédérées. On doit toutefois rappeler que la compétence de ces juridictions varie d’un État à l’autre et que l’ampleur du contrôle sur les normes respectivement fédérales et fédérées peut être significativement différente, le cas suisse constituant une illustration marquante de cette asymétrie93. Sous cette réserve importante, on peut considérer que les juridictions constitutionnelles suprêmes sont conçues, dans les États fédéraux, de façon telle que leurs décisions ont la même influence sur les autorités fédérales que sur les autorités fédérées94.

54Au regard de ce constat, une comparaison détaillée des effets de ces décisions sortirait du champ de la présente étude. Tout en renvoyant aux huit rapports nationaux qui traitent de cette question en nuance, nous rappelons ici le commun dénominateur : chaque juridiction constitutionnelle suprême a le pouvoir de rendre inapplicables – donc sans effets juridiques – les normes qu’elle juge non conformes aux règles hiérarchiquement supérieures.

55Dans les États européens étudiés (Allemagne, Autriche, Belgique et Suisse), cette inapplicabilité peut être la conséquence d’une décision d’annulation, de cassation ou d’abrogation. Le premier terme (annulation) est applicable en Allemagne et en Belgique. Le second (cassation) est utilisé en Suisse et n’a pas une portée différente. Le troisième (abrogation) se rapporte à l’Autriche ; il se distingue des précédents en ce qu’il signifie que la norme est inapplicable ex nunc, alors que l’annulation ou la cassation a en principe un effet ex tunc95. Dans les autres États concernés par l’étude (Australie, Canada, États-Unis et Inde), l’exercice du reviewing power par la juridiction constitutionnelle suprême peut aboutir à une déclaration d’invalidité qui implique que la norme litigieuse, fédérale ou fédérée, ne peut plus être appliquée96.

56Pour compenser l’effet juridique radical de l’inapplicabilité, plusieurs ordres juridiques offrent à la juridiction constitutionnelle suprême le pouvoir d’aménager dans le temps les conséquences de ses décisions. Ainsi, en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Suisse, mais aussi au Canada, les juges peuvent maintenir, pendant un certain temps, les effets des normes jugées incompatibles avec les règles hiérarchiquement supérieures, et laisser ainsi à l’autorité une période raisonnable pour réagir à la décision juridictionnelle sans subir de désagréments97.

5718. – À ce stade, on peut essayer de tirer quelques enseignements synthétiques des six sections qui composent la première partie de cette contribution. De façon général, il apparaît que la manière dont les juridictions constitutionnelles suprêmes sont conçues est imprégnée par le fédéralisme qui caractérise les États étudiés. Ceci se marque tout particulièrement dans l’examen des compétences des juridictions, qui sont, parmi d’autres missions, amenées à vérifier si les composantes de l’État fédéral respectent effectivement la distribution des pouvoirs et des compétences au sein de l’ordre juridique considéré. Par-delà ce constat général, nous voudrions approfondir l’examen en développant un raisonnement en trois temps.

  • 1° / Quand on examine la manière dont les juridictions constitutionnelles suprêmes sont conçues, il apparaît qu’elles peuvent, dans une certaine mesure, être considérées comme des créatures de l’autorité fédérale. En effet, nous avons vu que ces juridictions sont établies par des règles de droit fédéral98 et qu’elles sont financées par des moyens budgétaires qui relèvent de l’autorité fédérale99. Il apparaît aussi que, sous la réserve d’aménagements observés dans certains États caractérisés par le plurilinguisme, la représentation des entités fédérées n’est guère assurée parmi les juges qui siègent au sein des cours constitutionnelles étudiées100. En outre, il ressort de l’analyse transversale des compétences de ces juridictions – avec bien entendu des nuances significatives propres à chaque ordre juridique – que les normes fédérales tendent à dominer parmi les normes de référence, alors que les normes produites par les entités fédérées sont plus nombreuses dans la catégorie des normes soumises au contrôle juridictionnel101. Enfin, cette première affirmation s’appuie encore sur le constat que, dans certains des États étudiés, des institutions fédérales bénéficient d’accès privilégiés à des modes de saisine particuliers de la juridiction constitutionnelle suprême102.

  • 2° / Notre examen n’amène cependant pas à conclure que les juridictions constitutionnelles suprêmes seraient conçues comme des instruments de domination des entités fédérées par l’autorité fédérale. En effet, il est indéniable que les entités fédérées sont prises en considération dans la manière dont les juridictions constitutionnelles suprêmes sont conçues. Ainsi, elles ont notamment une influence indirecte sur la législation organique desdites juridictions103. Il apparaît aussi que, si elles ne sont pas représentées par des juges constitutionnels, elles contribuent souvent au processus de sélection de ces derniers et y exercent, dans certains États, une influence déterminante104. Ensuite, en ce qui concerne les compétences des juridictions, il est indispensable de compléter le tableau dressé au paragraphe précédent en ajoutant qu’un pouvoir de contrôle dont les normes fédérales sont l’objet existe et est effectif dans de nombreux ordres juridiques105. Par ailleurs, l’accès aux juridictions constitutionnelles suprêmes est généralement organisé, malgré quelques nuances, de manière telle qu’un traitement égal est offert à l’autorité fédérale et aux entités fédérées106. Enfin, nous avons constaté que l’égalité est absolue quant aux effets des décisions des cours constitutionnelles107.

  • 3° / De la combinaison des deux points précédents, il découle que les juridictions constitutionnelles suprêmes sont globalement des créatures de l’État fédéral, entendu comme l’ensemble qui comprend non seulement l’autorité fédérale, mais aussi les entités fédérées. Certes, il existe une asymétrie entre la position de l’autorité fédérale et celle des entités fédérées, la première exerçant souvent, sur la conception desdites juridictions, une emprise plus marquée que les secondes ; cette asymétrie n’est toutefois pas inhabituelle dans les systèmes fédéraux. Par ailleurs, il apparaît que l’architecture générale assure un certain équilibre qui permet aux juridictions étudiées de jouer pleinement leur rôle-clé dans le contrôle du respect du pacte fédéral. C’est à la manière dont elles jouent ce rôle et influencent à leur tour la dynamique fédérale des États qu’est consacrée la deuxième partie de la contribution.

2. Fédéralisme et production des juridictions constitutionnelles suprêmes

5819. – Dans les pages qui précèdent, nous avons essayé d’analyser la manière dont les caractéristiques fédérales des États étudiés se reflètent dans la conception des juridictions constitutionnelles suprêmes qui y sont établies. Nous voudrions à présent inverser la dynamique et nous interroger sur l’influence qu’exercent éventuellement lesdites juridictions sur l’architecture fédérale des ordres juridiques concernés. Autrement dit, il s’agit de déduire de la jurisprudence produite par chaque cours constitutionnelle une estimation de sa propension à faire évoluer les règles qui déterminent le fonctionnement du fédéralisme, le cas échéant en les précisant, voire en les complétant.

59Nous avons choisi de présenter successivement des éléments de réponse pour chaque État de référence, en commençant par ceux dont on peut considérer, selon les auteurs des contributions nationales, que la juridiction constitutionnelle suprême exerce une influence limitée sur l’évolution de la dynamique fédérale, et en avançant ensuite progressivement vers les ordres juridiques où cette influence semble être la plus marquée. Pour chaque État, nous donnons le cas échéant une indication sur la nature des effets de la jurisprudence constitutionnelle en matière de fédéralisme. À cet égard, nous chercherons en particulier à savoir si les décisions d’une juridiction constitutionnelle donnée ont tendance à favoriser l’autorité fédérale ou, au contraire, à renforcer les entités fédérées dans le cadre du système de répartition des compétences qui caractérise toute fédération.

6020. – Nous relevons tout d’abord que l’auteur du rapport sur l’Allemagne montre que la Cour de Karlsruhe n’est pas un moteur de l’évolution du système fédéral allemand. Si l’on peut certes observer des évolutions jurisprudentielles dans ce domaine, elles tendent à survenir à la suite d’impulsions politiques, consacrées juridiquement, et n’en sont donc que le reflet ou le complément juridictionnel.

61Ainsi, après une révision de la Loi fondamentale en 1994, laquelle avait modifié les règles relatives à l’exercice des compétences concurrentes dans le but d’accroître l’autonomie des Länder, la Cour constitutionnelle fédérale a développé un contrôle plus strict sur l’exercice, par l’autorité fédérale, desdites compétences108. Elle s’est alors appropriée un pouvoir d’appréciation qui relevait précédemment du parlement, mais c’est consécutivement à une réforme engagée par ce dernier. On ne pourrait cependant conclure que l’influence de la Cour constitutionnelle sur la dynamique fédérale est nulle.

62Parmi d’autres exemples, on relève que la haute juridiction a estimé que si une disposition d’une loi requiert le consentement du Bundesrat, alors celui-ci est compétent pour examiner l’ensemble de la loi qui contient cette disposition109. Cette jurisprudence a considérablement étendu le champ d’application du veto du Bundesrat et a, indirectement, renforcé la position des Länder au sein du système fédéral110. Une seconde illustration peut être prise dans le domaine des mécanismes d’égalisation financière : la Cour a clarifié l’objectif et les limites de ces mécanismes prévus par la Constitution en veillant à chercher un équilibre entre l’autonomie des Länder (qui préconise l’indépendance de chaque Land sur le plan financier) et la solidarité fédérale (qui implique des transferts financiers en faveur des Länder plus pauvres)111. Enfin, il paraît utile de rappeler ici que la Cour de Karlsruhe a quelques fois été amenées à confirmer certaines compétences importantes des Länder, comme celles en matière d’éducation et de médias audiovisuels.

6321. – On l’a déjà relevé précédemment : en Autriche, la cour constitutionnelle est certes considérée comme un pilier du fédéralisme112, même si, actuellement, c’est dans le domaine de la protection des droits fondamentaux que son rôle est prépondérant113. Le fait que la cour contribue activement à la bonne application du pacte fédéral ne signifie cependant pas qu’elle prenne des initiatives de nature à faire évoluer le système. En effet, pour expliquer la nature de son influence sur les questions relatives au fédéralisme, l’auteur du rapport sur le droit autrichien qualifie la Cour constitutionnelle d’arbitre neutre dans ses positions sur le partage des compétences entre l’autorité fédérale et les entités fédérées114. Cette tendance, qui signifie que la haute juridiction ne favorise pas l’évolution juridique dans la matière considérée, résulte de l’application d’un principe d’interprétation historique, connu en Autriche sous le nom de Versteinerungstheorie, que l’on peut traduire par l’idée de théorie de la pétrification115. En conclusion : « the Court seeks to limit itself the applying positive law on the distribution of competences as originally intended and therefore guard the constitutional compromise as intended rather than having either a centralist or a decentralist effect»116.

6422. – La Cour constitutionnelle belge a contribué de manière plus active à préciser les règles de répartition de compétence entre les différentes composantes de la fédération. Elle a non seulement confirmé certains principes fondamentaux du fédéralisme, mais elle a aussi cherché à consolider la cohérence du partage de compétences.

65À ce titre, elle oblige parfois à la conclusion d’accords de coopération dans les matières complexes caractérisées par l’imbrication des compétences117. Elle a par ailleurs précisé les conditions auxquelles il convient de satisfaire pour qu’une composante puisse exercer des compétences qui reviennent en principe à une autre, retenant ainsi une interprétation stricte de ce qu’on appelle les « compétences implicites »118.

66La Cour constitutionnelle a aussi développé des principes cadres pour favoriser une attitude raisonnable des différents législateurs, tels que les principes d’union économique et monétaire, de loyauté fédérale et de proportionnalité dans l’exercice des compétences119. Même si le contentieux de la répartition des compétences est relativement limité – en comparaison de celui qui concerne les droits fondamentaux –, il demeure un aspect essentiel du rôle de la cour qui peut être considérée comme un arbitre des règles du jeu fédéral120.

6723. – Dans le rapport sur le droit australien, il apparaît que la High Court n’a pas joué un rôle parfaitement neutre dans l’évolution de la dynamique fédérale ; elle a en effet souvent avalisé la tendance de l’autorité fédérale à exercer ses pouvoirs jusqu’à ses extrêmes limites constitutionnelles, voire au-delà de celles-ci121. Le doctrine confirme d’ailleurs l’approche unitariste de l’interprétation constitutionnelle développée par la Cour depuis 1920122.

68Celle-ci se manifeste par exemple dans une interprétation large des compétences de l’autorité fédérale, sans référence au pouvoir résiduel des États123. Cette tendance est également présente dans la jurisprudence relative aux finances publiques, laquelle admet que l’autorité fédérale offre des subsides aux États en les soumettant librement à toutes sortes de conditions, même dans les domaines qui relèvent des compétences des États, ce qui lui permet d’influencer l’action publique dans ces domaines124.

69Malgré cette tendance dominante, il arrive à la High Court de juger que des normes fédérales sont inconstitutionnelles en ce qu’elles s’immiscent dans les compétences des États125. L’auteur du rapport estime en outre que des développements jurisprudentiels récents peuvent laisser penser à une évolution plus favorable à la préservation des caractéristiques fédérales de l’Australie126. Il ajoute que « given the twists and turns that have occurred in the history of Australian federalism, it is difficult to predict where current trends are likely to lead »127.

7024. – Comme l’indique l’auteur du rapport sur la Suisse, le tribunal constitutionnel de ce pays a fait preuve d’une jurisprudence créatrice dans le domaine du fédéralisme128.

71Parmi les actes majeurs, on relève que c’est la haute juridiction qui a déduit de la Constitution le principe de la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal qui lui est contraire (Bundesrecht bricht kantonales Recht)129 ; il s’agit là incontestablement d’une règle fondamentale de l’ordre juridique suisse. De façon plus générale, le Tribunal apporte des précisions et des éclaircissements sur la portée des dispositions constitutionnelles et arbitre les conflits que génère l’exercice des compétences130, ainsi que le montre le rapport suisse à travers plusieurs exemples131.

7225. – En ce qui concerne l’évolution du fédéralisme canadien, le rôle créatif, voire politique, des juridictions semble encore plus marqué. Les tribunaux – avec la Cour suprême à leur tête – ont développé des théories prétoriennes qui ont influencé sensiblement le partage des compétences entre l’autorité fédérale et les provinces132. Ceci s’explique notamment en raison du caractère vague des règles juridiques écrites et de la difficulté de procéder à des révisions constitutionnelles. La doctrine a parfois critiqué l’ampleur du pouvoir discrétionnaire dont bénéficie les juridictions dans le domaine du fédéralisme133.

73L’auteur de la contribution canadienne relate que le Comité judiciaire du Conseil privé – juridiction suprême jusqu’en 1949 – a œuvré au développement de l’autonomie des provinces, parfois au prix de tours de force juridique134, alors que la Cour suprême – après 1949 – a favorisé une lecture de la Constitution plus centralisatrice, favorable à l’autorité fédérale135. Cette tendance centralisatrice n’est cependant pas un mouvement sans nuance : il est accompagné « d’un respect assumé pour le rôle joué par les provinces dans ‘l’architecture constitutionnelle’ canadienne – et plus particulièrement, pour le caractère distinct, les valeurs sociales et l’autonomie législative du Québec»136. Plusieurs affaires célèbres, relatées dans la contribution nationale, montre une volonté de concilier l’unité et la diversité137, spécialement au cours de la période récente138.

7426. – La Cour suprême indienne a elle aussi exercé une influence considérable sur les relations entre les entités fédérées et l’autorité fédérale. Au cours des dernières décennies, elle a ainsi développé une lecture globalement plus favorable aux droits des entités fédérées au sein du système fédéral139 et est devenue un gardien effectif du fédéralisme140.

75Selon les auteurs du rapport sur l’Inde, cette tendance se marque en particulier sur les trois points suivants : (1) l’encadrement de la prérogative qui consiste, pour le président fédéral, à prendre le contrôle de l’administration d’un État en cas de crise constitutionnelle (President’s Rule)141 ; (2) l’interdiction, dans le chef de l’autorité fédérale, d’amender la constitution d’une manière telle que le caractère fédéral du régime serait atteint142 et (3) l’interprétation des règles relatives au partage des compétences au profit du champ d’action des États143. En revanche, les mêmes contributeurs observent que la jurisprudence de la Cour suprême est traversée par une tendance inverse – plus centralisatrice – sur certaines questions, telles que la faculté de conclure des traités internationaux (Treaty making powers) ou le pouvoir de modifier les limites entre les différents États144. Le portrait est donc nuancé.

7627. – Enfin, nous achevons cette succession d’analyses par le cas des États-Unis. On sait que l’histoire du fédéralisme américain est caractérisée par une extension du pouvoir de l’autorité fédérale. Cette tendance est notamment le fruit d’une série d’amendements à la Constitution des États-Unis, et de facteurs divers, mais elle découle aussi de décisions de la Cour suprême145.

77L’auteur de la contribution sur le droit américain montre cependant qu’il s’agit d’une évolution nuancée, en rappelant que la jurisprudence de cette haute juridiction est tiraillée, sur la question de la répartition des compétences, entre deux grands courants146. Selon le premier, la Constitution attribue des pouvoirs à l’autorité fédérale dans le but d’atteindre certains objectifs, de sorte que l’exercice des compétences par cette autorité se conçoit souplement et extensivement, pour autant qu’il soit compatible avec les finalités147. L’autre école se réfère à la notion de « dual federalism » et soutient une interprétation plus étroite des compétences de l’autorité fédérale, qui ne peut en aucun cas s’immiscer dans la sphère des compétences exclusives qui sont reconnues aux États148. Ce dernier courant a dominé la jurisprudence de la Cour suprême entre la fin du 19e siècle et 1937 ; il a ensuite repris de l’importance depuis les années 1990, sous la forme de la doctrine du « new federalism »149. C’est en revanche l’autre tendance, plus favorable à l’autorité fédérale, qui a emporté la conviction de la Cour suprême en dehors de ces périodes.

7828. – Des différentes synthèses qui précèdent, on peut à notre avis retenir deux enseignements transversaux.

  • 1° / L’échantillon constitué par les huit États de référence laisse apparaître que les juridictions constitutionnelles suprêmes qui relèvent du modèle américain ont développé une jurisprudence plus active – plus susceptible de faire évoluer le pacte fédéral et spécialement la répartition des compétences – que celles qui mettent en œuvre le modèle européen ou kelsénien150. Il est vrai que les États qui appartiennent à la première catégorie sont aussi, dans une large mesure, et à l’exception de la Suisse, des ordres juridiques fondés sur la common law ou dominé par celle-ci. Les juges y contribuent traditionnellement davantage à la création et à l’évolution des règles de droit. Dès lors, on peut considérer que les juridictions constitutionnelles suprêmes contribuent toutes à l’arbitrage du contentieux fédéral, mais qu’elles exercent une influence créatrice, sur la dynamique fédérale, qui varie en fonction des États.

  • 2° / Les informations rassemblées dans le cadre de la présente étude montrent qu’il n’est pas possible de découvrir une tendance claire quant à la nature ou à la direction de l’influence des juridictions constitutionnelles suprêmes, sur les questions fédérales. Si l’on a pu relever des mouvements centralisateurs forts, engendrés ou renforcés par la jurisprudence des cours constitutionnelles, notamment en Australie, au Canada et aux États-Unis, il n’y a pas lieu d’en déduire une tendance générale. On observe ainsi que la jurisprudence, lorsqu’elle fait évoluer les limites du partage de compétences, favorise tantôt les entités fédérées, tantôt l’autorité fédérale, même s’il semble que cette dernière l’emporte un peu plus souvent. Les différences, à cet égard, se marquent non seulement sur le plan spatial (renforcement des compétences fédérales en Australie ou au Canada versus renforcement des compétences fédérées en Inde), mais aussi, dans un même État, sur le plan temporel (alternance entre deux écoles aux États-Unis).

Conclusion générale

7929. – Nous pouvons à présent tirer les conclusions générales de notre étude des rapports entre les juridictions constitutionnelles suprêmes et les principes du fédéralisme.

80L’analyse transversale des huit contributions nationales nous a permis de mettre en lumière des tendances en ce qui concerne, d’une part, l’influence du caractère fédéral des États étudiés sur la conception de leurs juridictions constitutionnelles suprêmes et, d’autre part, l’influence de ces dernières, à travers leur jurisprudence, sur la dynamique fédérale des États concernés. Nous renvoyons aux conclusions intermédiaires, sur l’un et l’autre de ces aspects151, et nous bornons ici à tenter d’en présenter la synthèse.

81Pour tendre vers cet objectif, nous essayerons de répondre à la question posée dans le titre du présent article : peut-on considérer que les juridictions constitutionnelles suprêmes sont à la fois des créatures et des créateurs de fédéralisme ?

8230. –Nous pensons qu’il est possible de répondre affirmativement à cette double question. Les cours constitutionnelles sont des créatures de l’État fédéral dans la mesure où elles sont des institutions qui dépendent principalement de l’autorité fédérale, mais dont la conception tient largement compte de l’existence des entités fédérées, et ce quant à de multiples aspects. Ces hautes juridictions sont aussi des créateurs de fédéralisme – entendu dans un sens neutre –, dans la mesure où elles veillent au respect du pacte fédéral entre les composantes de l’État, voire contribuent – à un degré variable selon l’État considéré – à la détermination, à la précision et à l’évolution des règles juridiques qui concrétisent ce pacte. Comme le relève Élisabeth Zoller, les juges sont, dans les Etats fédéraux, « toujours une très grande puissance »152. C’est exactement le même constat que faisait Michael Burgess, dans son ouvrage de référence sur le fédéralisme : « [t]here is […] a powerful role to be played by the law courts, and in particular supreme courts and constitutional courts in all federations »153.

83Quant à la manière dont les juridictions constitutionnelles suprêmes sont des créatures et des créateurs, nous avons observé qu’une asymétrie existe quant à leur position par rapport, respectivement, aux autorités fédérales et aux entités fédérées. Il ressort de l’analyse comparative une tendance que l’on pourrait qualifier de favorable à l’autorité fédérale, tant en ce que cette dernière est le moteur de la conception de la juridiction, qu’en ce que la jurisprudence constitutionnelle est souvent de nature à renforcer, au sein de certaines structures étatiques, la position de l’autorité fédérale et l’étendue de ses compétences. Malgré ce constat, les résultats de notre étude nous amènent à nous séparer nettement de l’opinion d’André Bzdera qui voyait dans la juridiction constitutionnelle suprême une simple « auxiliary agency of the central government »154. En effet, si nous croyons pouvoir confirmer une tendance dans le sens que nous avons décrit, il convient d’ajouter que l’ampleur de celle-ci varie fortement d’un État à l’autre et – au sein d’un État donné – d’une époque à l’autre. Par ailleurs, cette tendance n’a nulle part une nature absolue qui impliquerait la soumission des entités fédérées.

84Les résultats obtenus grâce à la précieuse collaboration des contributeurs nationaux montrent que les juridictions constitutionnelles jouent, dans les États fédéraux, un rôle considérable et significatif : elles sont souvent le catalyseur de la dynamique fédérale, contribuant selon le cas à sa stabilisation ou à son changement et parfois, dans le second cas, à des évolutions de la ligne de partage des compétences. Si on admet l’idée de Daniel Harlberstam, selon laquelle « federalism is not an end-state but a process »155, on doit aussi reconnaître que les juridictions constitutionnelles suprêmes occupent, à côté des pouvoirs constituants et législatifs, une position-clé dans ce processus.

Notes

1  Les États étudiés sont, pour rappel, l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, le Canada, les États-Unis, l’Inde et la Suisse. Dans chaque contribution nationale, une présentation générale des caractéristiques majeures du système fédéral concerné est proposée. La présente étude n’ayant pas pour objectif de comparer les systèmes fédéraux en tant que tels, nous nous abstenons de procéder ici à une analyse générale et transversale des traits fédéraux des huit États de référence. Nous nous permettons dès lors de renvoyer aux contributions nationales dans lesquels le lecteur pourra trouver des données de base.

2  On pourrait théoriquement concevoir une juridiction constitutionnelle suprême qui serait instituée, à l’initiative des entités fédérées, par un accord formalisé entre elles. Un tel dispositif, qui est sans doute de nature confédérale, plutôt que fédérale, est improbable et n’est – à notre connaissance – nulle part mis en œuvre.

3  Voy. les articles 92 et suivants de la Loi fondamentale allemande ; les articles 71 et suivants de la Constitution australienne ; les articles 137 et suivants de la Constitution autrichienne ; l’article 142 de la Constitution belge ; l’article 101 de la loi constitutionnelle canadienne de 1867 ; l’article III, section 1, de la Constitution des États-Unis ; les articles 124 et suivants de la Constitution indienne ; l’article 188 de la Constitution suisse.

4  On sait que cette représentation propre n’est pas partout organisée de la même façon. Sans entrer dans les détails d’un sujet qui n’est pas essentiel pour notre propos, on peut rappeler ici que certains États fédéraux traitent les entités fédérées de façon à ce qu’elles bénéficient toutes du même nombre de sièges au sein de la seconde chambre ; c’est le cas du Sénat des États-Unis, du Sénat d’Australie et du Conseil des États en Suisse. Dans d’autres États, les entités fédérées sont représentées au prorata de leur démographie ; ceci s’applique dans une large mesure, sous réserve d’une représentation assurée aux entités fédérées les moins peuplées, au Rajya Sabha en Inde, au Bundesrat en Autriche et au Sénat en Belgique. Des formules intermédiaires sont instituées pour le Bundesrat en Allemagne et pour le Sénat du Canada.

5  Commission européenne pour la démocratie par le Droit, La composition des cours constitutionnelles, Éditions du Conseil de l’Europe, 1997, p. 9.

6  Article 31, alinéa 1er, de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle. La troisième langue nationale – à savoir l’allemand – est en outre valorisée par une règle qui impose qu’au moins un des juges soit en mesure de démontrer une connaissance suffisante de cette langue (article 34, § 4, de la même loi). Voy. Rosoux (G.), section 3.1.

7  Article 6 de la loi sur la Cour suprême.

8  Voy. Bérard (F.), section 3.1.

9  L’ancien article 107 de la Constitution prévoyait que, lors de l’élection des juges, l’Assemblée fédérale « aura égard à ce que les trois langues officielles de la Confédération y soient représentées ».

10  En outre, ladite Assemblée accorde une représentation équitable aux deux confessions chrétiennes et aux principaux partis représentés au niveau national. Voy. M. Hottelier, section 2.1.

11  Voy. Bérard (F.), section 3.1.

12  Voy. Saxena (R.) et Swenden (W.), section 2.

13  Voy. Grote (R.), section 4.

14  Voy. Aroney (N.), section 2.1.

15  Voy. Tarr (G.A.), section 3.1, qui indique que la question était considérée autrement dans le passé, avec notamment un siège qui revenait en pratique aux États de Nouvelle-Angleterre jusque dans les années 1930 et un autre aux États du sud jusqu’en 1971.

16  Les exceptions sont l’Australie, le Canada et l’Inde.

17  L’autre moitié est choisie par le Bundestag. Voy. Grote (R.), section 4.

18  Un autre quart est choisi par le Conseil national, tandis que la nomination de la moitié restante revient au gouvernement fédéral. Voy. Hinghofer-Szalkay (S.G.), section 3.

19  Voy. Hottelier (M.), section 2.1.

20  Voy. Rosoux (G.), section 3.1.

21  Voy. Tarr (G. A.), section 3.2.

22  Voy. Aroney (N.), section 2.1.

23  On relève d’ailleurs que, à propos d’un amendement à la Constitution qui visait à diminuer l’influence de la Cour suprême dans le recrutement de ses propres membres, la haute juridiction a considéré que la disposition projetée était incompatible avec la structure fondamentale de la Constitution et en particulier avec le principe d’indépendance judiciaire. Voy. Saxena (R.) et Swenden (W.), section 2.

24  Voy. Grote (R.), section 4.

25  Voy. Aroney (N.), section 2.2 ; Bérard (F.), section 3.2 ; Grote (R.), section 4 ; Hinghofer-Szalkay (S.G.), section 3 ; Hottelier (M.), section 2.2 ; Rosoux (G.), section 3.2 ; Saxena (R.) et Swenden (W.), section 2 ; Tarr (G.A.), section 2.1.

26  Voy. Grote (R.), section 4, in fine.

27  Voy. Rosoux (G.), section 3.2.

28  À ce sujet, voy. la définition de la justice constitutionnelle que nous avons proposée dans l’introduction générale, n° 6.

29  Voy. Hottelier (M.), section 3.1.3.

30  Voy. l’article 141 de la Constitution suisse.

31  On relève que la Cour constitutionnelle telle qu’elle a été instaurée en Autriche en 1919 n’était compétente que pour vérifier la conformité à la constitution des projets de loi des Länder. La situation fut revue avec l’adoption de la Constitution de 1920 qui établit sur ce point l’égalité entre les lois fédérales et fédérées. Voy. Hinghofer-Szalkay (S.G.), section 2.

32  Nous n’avons pas inclus l’Inde au sein de cette liste, car seul un État – Jammu-et-Cachemire – y dispose d’une constitution. Au Canada et en Belgique, les entités fédérées n’ont pas de constitution au sens formel du terme.  

33  576 US ___ (2015). Par extension, l’arrêt impose à tous les États, y compris ceux dont la constitution interdit le mariage entre personnes de même sexe, à permettre les unions homosexuelles.

34  Voy. Hinghofer-Szalkay (S.G.), section 2.

35  D’après l’auteur de la contribution sur le droit allemand, le Tribunal constitutionnel fédéral n’a toutefois jamais annulé de disposition d’une constitution d’un Land. Une affaire récente, relative au seuil électoral pour les élections communales en Rhénanie du Nord-Westphalie, aurait pu créer cette occasion : un seuil fixé à 2,5 % dans la Constitution du Land était contesté par les petits partis et le contentieux aurait pu aboutir devant la Cour de Karlsruhe qui aurait alors eu à contrôler la disposition constitutionnelle de RN-W par rapport à la Loi fondamentale. L’affaire a toutefois été tranchée par la Cour constitutionnelle de ce Land (Verfassungsgerichtshof für das Land Nordrhein-Westfalen) qui a jugé que la nouvelle disposition constitutionnelle n’était pas compatible avec certains principes essentiels de la Constitution de RN-W (voy. l’article 69, al. 1er, de ladite Constitution).

36  Ces décrets et ordonnances sont dits « spéciaux » parce que leur adoption requiert des majorités spéciales au sein des parlements compétents.

37  C’est-à-dire la possibilité de modifier, chacune pour ce qui les concerne, un certain nombre de règles institutionnelles qui ont été initialement consacrées par la législation fédérale.

38  Voy. Aroney (N.), section 1.1.

39  Voy. Hottelier (M.), section 1.1.

40  Article 79, alinéas 1er et 2, de la Loi fondamentale.

41  Article 79, alinéa 3, de la Loi fondamentale. Dans sa traduction en langue française, cette disposition se lit comme suit : « Toute modification de la présente Loi fondamentale qui toucherait à l’organisation de la Fédération en Länder, au principe de la participation des Länder à la législation ou aux principes énoncés aux articles 1 et 20, est interdite ».

42  Voy. not. BVerfGE 30, 1 et BVerfGE 94,49.

43  Article 44, § 3, de la Constitution autrichienne. Voy. aussi voy. S. Hinghofer-Szalkay, à la toute fin de la section 2.

44  Voy. Saxena (R.) et Swenden (W.), section 4.

45  Ibid.

46  En ce qui concerne l’Autriche, voy. Hinghofer-Szalkay (S.G.), section 4 ; en ce qui concerne l’Allemagne, voy. par exemple H. Maurer, Staatsrecht I, 6e édition, Munich, Beck, 2010, p. 654.

47  Voy. Rosoux (G.), section 4.1.

48  Voy. Hottelier (M.), section 3.1.3.

49  Sur la notion de « norme de référence », voy. not. Favoreu (L.), « Le principe de constitutionnalité, essai de définition d’après la jurisprudence du Conseil constitutionnel », in : Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann, Paris, Cujas, 1977, p. 37.

50  Il s’agit concrètement des dispositions du Titre II de la Constitution (soit, les articles 8 à 32, qui portent sur les droits fondamentaux), ainsi que des articles 170, 172 (certains principes en matière de finances publiques) et 191 (principe d’égalité entre les Belges et les étrangers).

51  Voy. Hottelier (M.), section 5.

52  Voy. Hinghofer-Szalkay (S.G.), section 2.

53  La situation est différente en Suisse puisque, comme nous l’avons vu supra (n° 13), le contrôle de la constitutionnalité des constitutions cantonales ne revient pas au Tribunal fédéral.

54  Voy. Grote (R.), section 5. Le Tribunal constitutionnel fédéral allemand n’opère de contrôle du respect de la constitution d’un Land que dans l’hypothèse où ce Land lui a conféré le pouvoir d’agir comme juridiction constitutionnelle de ce Land (art. 99 de la Loi fondamentale). Dans la pratique actuelle, cette possibilité n’est plus mise en œuvre par aucun Land.

55  Voy. Tarr (G.A.), section 3.2.

56  Voy. Aroney (N.), section 1.1.

57 Ibid., section 3.1.

58  Voy. Bérard (F.), section 4.1.

59  Voy. l’article 189 de la Constitution suisse.

60  Voy. Rosoux (G.), section 4.1.

61  Voy. spécialement le cas des « décrets spéciaux » qui sont adoptés en application des articles 138 et 139 de la Constitution.

62  Voy. par exemple C.C., arrêt n° 113/2014, considérants B.7. à B.12.

63  Article 93, alinéa 1er, 3.

64  Voy. Grote (R.), section 5.

65  Article 189, alinéa 2.

66  Article 131 de la Constitution.

67  Article 142, alinéa 2, 1°.

68  Voy. Bérard (F.), section 4.1.

69  Voy. Rosoux (G.), section 7.

70  Voy. Hottelier (M.), section 1.4.

71  Voy. supra, n° 14.

72  Voy. Hinghofer-Szalkay (S.G.), section 1.

73 Ibid., section 2.

74  Voy. Grote (R.), section 5.

75  Nous préciserons ces propos dans la deuxième partie de l’article, lorsque nous chercherons à déterminer l’influence des juridictions constitutionnelles suprêmes sur la dynamique fédérale des États étudiés. Voy. n° 19 et s.

76  Voy. Grote (R.), section 5.

77  Voy. Rosoux (G.), section 4.2.a.

78  La saisine du Tribunal fédéral par voie d’action est prévue par l’article 189, alinéa 2, de la Constitution. Les particuliers peuvent quant à eux saisir le Tribunal par le biais d’un recours. Sur cette distinction, voy. M. Hottelier section 3.2.

79  Voy. Hinghofer-Szalkay (S.G.), section 4

80  Tarr (G.A.), section 3.2. Il s’agit d’une différence notable par rapport au système des renvois qui peuvent être adressés à la Cour suprême du Canada (voy. infra, même numéro).

81  Voy. Aroney (N.), section 3.2.

82  Voy. Aroney (N.), section 3.2.

83  Les règles varient toutefois en fonction du type de contentieux qui est envisagé. L’article 93 de la Loi fondamentale énumère les différents contentieux pour lesquels la Cour est compétente et détermine également les institutions qui peuvent introduire les recours.

84  Voy. Grote (R.), section 5.

85  Voy. l’article 93, alinéa 1er, (3), de la Loi fondamentale.

86  Cette disposition autorise le législateur à légiférer dans certaines matières « pour autant que l’établissement de conditions de vie équivalentes sur le territoire fédéral ou la sauvegarde de l’unité juridique ou économique rendent nécessaire une législation fédérale dans l’intérêt de l’ensemble de l’État ».

87  Cette voie de recours est instituée par l’article 93, alinéa 1er, 2a, de la Loi fondamentale.

88  Voy. l’article 53, alinéa 1er, de la Loi sur la Cour suprême. Similairement, les gouvernements provinciaux peuvent saisir de la sorte les cours d’appel provinciales, dont l’avis est susceptible d’être examiné, en appel, devant la Cour suprême fédérale (voy. l’article 33 de la Loi sur la Cour suprême).  

89  Voy. l’article 53, alinéa 5, de la Loi sur la Cour suprême.

90  Voy. l’article 131 de la Constitution.

91  Voy. Saxena (R.) et Swenden (W.), section 3.

92  Ibid.

93  Voy. supra, n° 13.

94  L’auteur de la contribution sur le droit allemand relève qu’en pratique ce sont principalement des lois fédérales qui sont touchées par les décisions de la Cour ; l’auteur ajoute toutefois que ces décisions peuvent avoir un effet important sur l’action publique des Länder dont la compétence est ainsi précisée. Voy. Grote (R.), section 6.

95  Sur la comparaison entre les droits autrichien et allemand sur ce point, voy. Hinghofer-Szalkay (S.G.), section 4.

96  La déclaration d’invalidité n’est cependant l’unique type de décision qui peut être prise. Ainsi, en Australie, la High Court ne procède de la sorte que si un autre remède n’a pas pu être trouvé. Voy. Aroney (N.), section 4.

97  Voy. Grote (R.), section 6, Hinghofer-Szalkay (S.G.), section 4, Rosoux (G.), section 5.1, Hottelier (M.), section 4.5, et Bérard (F.), section 5.

98  Voy. supra, n° 4.

99  Voy. supra, n° 11.

100  Voy. supra, n° 7.

101  Voy. supra, nos 13 et 14, et les tableaux nos 1 et 2.

102  Voy. supra, n° 16.

103  Voy. supra, n° 5.

104  Voy. supra, n° 9.

105  Voy. supra, n° 13.

106  Voy. supra, n° 16.

107  Voy. supra, n° 17.

108  La Cour vérifie dorénavant si les conditions fixées à l’article 72, alinéa 2, de la Loi fondamentale sont effectivement remplies. Voy. Grote (R.), section 5.

109  Voy. Grote (R.), section 2.

110  Ibid., sections 2 et 5.

111  Ibid., sections 2 et 5.

112  Voy. Hinghofer-Szalkay (S.G.), section 1.

113 Ibid., not. sections 1 et 5.

114 Ibid., section 3.

115 Ibid.

116 Ibid.

117  Voy. Rosoux (G.), section 6.

118 Ibid.

119  Ibid.

120  Ibid., section 7.

121  Voy. Aroney (N.), section 1.2.

122  Voy. les références citées par Aroney (N.), p. 6.

123  Voy. Aroney (N.), section 1.2.

124 Ibid.

125 Ibid.

126 Ibid.

127 Ibid.

128  Voy. Hottelier (M.), section 1.3.

129  Ibid.

130  Ibid., section 1.4.

131  Voy. Hottelier (M.), not. sections 3.1.2 et 3.2.3.

132  Voy. Bérard (F.), section 2.2.2.

133  Ibid.

134  Ibid.

135  En ce sens, voy. aussi Bzdera (A.), « Comparative Analysis of Federal High Courts: A Political Theory of Judicial Review », Canadian Journal of Political Science, 1993, pp. 3–29, ici pp. 12-13.

136  Voy. Bérard (F.), section 6. Voy. aussi la section 2.1. où l’auteur évoque le développement prétorien de la théorie du pouvoir d’urgence et de la théorie des dimensions nationales.

137  Ibid., section 2.2.2.

138  Ibid., section 6.

139  Saxena (R.) et Swenden (W.), section 4.

140  Ibid.

141  Ibid.

142  Ibid.

143  Ibid.

144  Ibid.

145  Voy. Tarr (G.A.), sections 1 et 4.

146  L’auteur signale que le récent arrêt National Federation of Independent Business v. Sibelius (2012) a été l’occasion de récapituler la confrontation entre les deux thèses. Voy. Tarr (G.A.), section 4.

147  Voy. Tarr (G.A.), section 4.

148  Ibid.

149  Ibid.

150  Sur cette distinction, voy. l’introduction générale, n° 6.

151  Voy. supra, spécialement les nos 19 et 28.

152  Zoller  (E.), « Présentation de la Cour suprême des États-Unis », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 5, 1998, disponible sur le site Internet du Conseil constitutionnel de la République française.

153 Burgess (M.), Comparative Federalism. Theory and Practice, Londres et New York, Routledge, 2006, p. 158.

154 Bzdera (A.), « Comparative Analysis of Federal High Courts: A Political Theory of Judicial Review », Canadian Journal of Political Science, 1993, pp. 3–29, ici p. 21.

155 Halberstam (D.), « Comparative Federalism and the Role of Judiciary », in: A. Gregory et al., The Oxford Handbook of Law and Politics, Oxford, Oxford University Press, 2008, pp. 142-164, ici p. 149.

Pour citer cet article

Frédéric Bouhon, «Analyse transversale : les juridictions constitutionnelles suprêmes – créatures et créateurs de fédéralisme ?», Fédéralisme Régionalisme [En ligne], Volume 17 : 2017, Les juridictions constitutionnelles suprêmes dans les États fédéraux : créatures et créateurs de fédéralisme, URL : https://popups.uliege.be/1374-3864/index.php?id=1725.