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De la CEE à l’UE : le jeu dangereux d’une progression vers la Fédération par la déconstruction de l’édifice juridique communautaire
Table des matières
Introduction
1L’Union européenne est plus que vraisemblablement aujourd’hui une Fédération1. Cela transparait notamment dans le vocabulaire employé par la dernière version2 des Traités sur l’Union européenne3 et sur le fonctionnement de l’Union européenne4 : « Principe d’attribution »5, « principe de subsidiarité »6, « compétences partagées »7 ou « principe de coopération loyale »8 ; tous ces termes relèvent plus du registre des Fédérations que de celui des organisations internationales. En fait, dès son origine, le processus d’intégration européenne a fait des références à une perspective fédéraliste9, et une « école fédéraliste »10 fait une lecture en termes fédéraux du processus d’intégration européenne, lequel devrait selon les auteurs de cette école, mener à des « Etats-Unis d’Europe »11. Si dans les années 1950, les différentes Communautés européennes12 relevaient plus de l’organisation internationale que de la Fédération13 – et la lecture fédéraliste relevait alors plus du militantisme pro-européen et d’une posture idéologique que d’une démarche académique étayée14 – il est certain que les développements de ces communautés, et notamment d’un droit communautaire, vont faire évoluer ce projet, tout du moins d’un point de vue juridique, vers une véritable Fédération15.
2Dans ce processus, le rôle du droit ne saurait être sous-estimé. En effet, un Etat fédéral, pour pouvoir fonctionner, doit être basé sur le principe de l’Etat de droit16. Il doit nécessairement en être de même pour une Fédération qui ne serait pas un Etat. A cet égard, au sein des Communautés européennes, la Cour de justice17 va jouer un rôle déterminant, conduisant selon ses propres termes, à la naissance d’« un nouvel ordre juridique de droit international, au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres mais également leurs ressortissants. »18
3C’est, en termes juridiques, par cette décision de 1963, qu’est réalisé pour la CEE le « saut fédéral » – avec non seulement une limitation des droits souverains des Etats membres (l’année suivante, la Cour parlera de « limitation définitive de ces droits souverains »19), mais aussi une immédiateté dans la relation juridique avec les individus. Ainsi le fédéralisme européen émerge au travers des mécanismes judiciaires de mise en œuvre du droit commun, et non sur la base d’un pacte fédéral initial ! C’est donc d’un processus de mise en œuvre d’obligations internationales par une juridiction supranationale, au profit des ressortissants des Etats membres de cette Communauté, plus que d’un processus politique à proprement parler que naît la Fédération européenne. Le droit joue dans ce contexte un rôle structurant.
4La première partie de cette contribution revient brièvement sur ce développement d’une Fédération fondée sur le droit – sans volontarisme politique expressément affiché. Nous soulignerons ensuite le paradoxe du passage, selon une logique politique volontariste cette fois, à une phase d’une intégration politique à finalité fédéraliste. Ainsi, la proclamation de valeurs de la nouvelle Union européenne par le Traité de Lisbonne telles que « la démocratie ou l’Etat de droit » (art. 2 TUE), sont davantage caractéristiques d’une Union politique que d’un régime juridique et institutionnel international. Or, un tel régime politique ne peut, étant donné le processus intégratif, qu’être de facture fédérale. Autrement dit, l’énonciation de ces principes semble confirmer, entre autres évolutions, le saut fédéraliste entamé via la jurisprudence près d’un demi-siècle plus tôt. En effet, même une organisation dotée de pouvoirs exécutifs substantiels – pensez à l’ONU et à son Conseil de sécurité – n’affiche pas d’exigence démocratique ou l’ambition de respecter l’Etat de droit ; on y reste plus proche du paradigme réaliste des relations internationales que de l’exigence de légalité d’une Fédération.
5Pourtant, c’est ce que montre notre seconde partie, cette évolution s’accompagne d’un véritable flottement dans la soumission au droit de la gouvernance de la nouvelle Union européenne. C’est un paradoxe qu’il nous est aisé à mettre en évidence, mais qu’il nous sera beaucoup plus difficile à expliquer, que ce soit selon la logique de l’intégration européenne, ou suivant celle du fédéralisme. Nous ferons donc le constat que l’on passe d’un jeu des juges imposant le droit au sein de Communautés européennes, à une Union européenne fondée sur un jeu du droit, remettant en cause le principe même – pourtant enfin affirmé tel quel dans le traité fondateur révisé – de l’état de droit.
1. La CEE : une OI basée sur le respect du droit via le dialogue des juges
6Dès l’origine, le Traité de Paris de 1951 instituant la CECA prévoit une Cour de justice aux compétences exceptionnelles du point de vue du droit international, puisque cette juridiction « assure le respect du droit dans l'interprétation et l'application du présent Traité et des règlements d'exécution. »20. Il ne s’agit donc pas uniquement d’une compétence d’interprétation du régime juridique institué par le Traité21, ou d’une compétence limitée au règlement des différends entre Etats partie au Traité, mais bien d’une mission assimilable à la garantie de « l’état de droit » dans le cadre de la mise en œuvre de ce traité22. Cette même Cour de justice verra ses compétences élargies par les deux traités de Rome instituant, respectivement, la CEE et la CEEA. On retrouve la formule aujourd’hui, quasi inchangée, à l’article 19 § 1 TUE23.
7Si l’on ajoute à cette compétence large l’agencement selon lequel « les Hautes Parties Contractantes s'engagent à ne pas se prévaloir des traités, conventions ou déclarations existant entre Elles en vue de soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application du présent Traité à un mode de règlement autre que ceux prévus par celui-ci »24, on voit que le système juridique prévu par le Traité dispose de mécanismes juridictionnels de mise en œuvre qui assurent une exclusivité de compétence juridictionnelle à la Cour de Justice des Communautés, puis de l’Union. C’est-à-dire d’un mécanisme centralisé d’interprétation et de contrôle de la mise en œuvre du régime juridique institué par les Traités, germe de la « fédération par le droit » que va matérialiser la Cour de Justice quelques années plus tard.
8Soulignons cependant que les conditions d’accès des particuliers (individus ou personnes morales) à la juridiction communautaire sont assez limitées. Cela se justifie par le fait que la principale voie de recours pour les acteurs privés se trouve – particularité unique du système juridictionnel de l’UE – devant le juge national25. Ce dernier n’a cependant pas le droit d’interpréter lui-même le droit de l’UE ! Il peut par contre dans toute affaire où le droit communautaire ou de l’UE est invoqué, adresser à la Cour une « question préjudicielle »26, sur la base de laquelle la Cour de Justice – sans trancher le différend sur le fond – donne à la juridiction nationale demanderesse son interprétation des traités ou du droit dérivé adopté pour leur application (règlements, directives ou décisions principalement27). Ce mécanisme particulier joue un rôle central dans l’émergence d’un fédéralisme tout à fait original (voir 1.1 ci-dessous). C’est ainsi structurellement d’un enchevêtrement – un métissage avons-nous il y a quelques dix ans écrit28 – des droits et des procédures nationales et communautaires que naît la Fédération européenne.
9Cette logique originale est due au fait que les mesures de mise en œuvre de tout le droit communautaire (aujourd’hui « droit de l’UE »), relèvent encore de la compétence et de la responsabilité des Etats membres.29 Cependant, bien que responsables, ceux-ci agissent sous le contrôle de la Commission européenne, « gardienne des traités »30. L’UE apparaît donc, en raison de ses origines internationales31 et du fait que l’objectif n’est pas d’instituer une structure supranationale de type étatique dotée de son administration propre de mise en œuvre, comme l’archétype d’un fédéralisme d’exécution32. En conséquence, c’est en se penchant sur les modalités de mise en œuvre par les Etats membres de leurs obligations découlant de leur appartenance aux Communautés européennes que la Cour de justice, dans un dialogue avec les juges nationaux, va faire émerger la structure et la nature fédérales du projet d’intégration européenne33. Ainsi, plus que des décisions politiques ou une logique fonctionnaliste, le droit et ses mécanismes de mise en œuvre – et plus particulièrement le dialogue des juges –34, joue un rôle central, voulu par les Traités et consolidé par la jurisprudence progressiste de la Cour de Justice, tant dans le processus d’intégration européenne, que dans la mise en œuvre des traités conduisant à la fédéralisation des Communautés européenne, puis de l’UE35.
1.1 De Van Gend & Loos à Simmenthal : l’imposition d’un droit de structure fédérale par les juges
10Le juge communautaire va imposer sa capacité à régler par le droit des différends que les Etats membres considéraient, dans la plupart des situations, comme relevant de leur propre marge d’interprétation politique. Ainsi dans l’arrêt fondateur de 1963 déjà cité, les gouvernements néerlandais (défendeur), allemand et belge (intervenants), soutenaient que la définition de l’effet juridique dans leur ordre interne d’une disposition découlant du traité, relevait de leurs droits constitutionnels internes respectifs36 ; ce qui est la logique du droit international dans son articulation avec les droits nationaux. Notons d’ailleurs que dans cette affaire l’avocat général – chargé selon les traités de présenter aux juges un projet de solution basé sur une étude du droit de la pratique37– parvient à la même conclusion que les Etats membres. La Commission européenne (intervenante), dont les arguments vont être repris par la Cour dans sa décision, soutient au contraire que « le droit communautaire doit recevoir une application effective et uniforme dans l'ensemble de la Communauté. Il en résulte, tout d'abord, que l'effet du droit communautaire sur le droit interne des États membres ne peut être déterminé par ce droit interne, mais le seul droit communautaire »38. Ce sont donc bien les juges européens eux-mêmes, incités par la Commission européenne « gardienne des traités », qui innovent par leur décision, sortant ainsi le principe de la mise en œuvre du droit communautaire du schéma international.
11De plus, les Etats membres font valoir devant la Cour que cette procédure initiée par la société Van Gend & Loos devant les juridictions néerlandaises équivalait à un détournement de procédure. Selon ses représentants, l’Etat néerlandais aurait le cas échéant pu, après épuisement des recours juridictionnels interne, faire l’objet d’un recours en manquement (recours en responsabilité pour non-respect du droit communautaire), à l’initiative de la Commission européenne. Ainsi le recours à la question préjudicielle en l’espèce, équivaudrait à mettre en cause – à tout le moins indirectement – la responsabilité de l’Etat néerlandais pour non-respect du droit de la CEE. Les juges resteront insensibles à cet argument et considéreront que le traité instituant la CEE leur donne compétence pour déterminer depuis Luxembourg (siège de la CJE), l’effet juridique de l’art. 12 TCEE au sein de l’ordre juridique néerlandais.
12L’argument des juges communautaires s’articule comme suit :
« […] la circonstance que le traité, dans les articles susvisés, permet à la Commission et aux États membres d'attraire devant la Cour un État qui n'a pas exécuté ses obligations n'implique pas pour les particuliers l'impossibilité d'invoquer, le cas échéant, devant le juge national ces obligations, tout comme le fait que le traité met à la disposition de la Commission des moyens pour assurer le respect des obligations imposées aux assujettis n'exclut pas la possibilité, dans les litiges entre particuliers devant le juge national, d'invoquer la violation de ces obligations »39. Et le juge communautaire d’ajouter «que la vigilance des particuliers intéressés à la sauvegarde de leurs droits entraîne un contrôle efficace qui s'ajoute à celui que les articles 169 et 17040 confient à la diligence de la Commission »41.
13Ainsi, et ce sera une constante de la jurisprudence du juge communautaire, celui-ci fonde son interprétation des dispositions des traités et du droit communautaire (de l’UE aujourd’hui) sur la promotion et la réalisation des droits que les particuliers doivent tirer du droit de l’UE, le cas échéant au détriment des privilèges de souveraineté que revendiquent les Etats membres. C’est ainsi que d’une organisation internationale – certes originale mais, en termes juridiques, pas nécessairement qualitativement distincte des autres organisations régionales existantes à l’époque (p.ex. le Conseil de l’Europe ou l’Organisation des Etats américains)– les juges vont en s’appuyant sur les droits que le traité confère directement aux particuliers42, permettre l’émergence d’un système juridique fédéral.
14L’édifice n’est cependant pas encore complet. Il faudra au juge communautaire, afin de consolider ce système, affirmer la primauté du droit communautaire sur le droit des Etats membres (l’équivalent du Bundesrecht bricht Landesrecht du droit allemand43). Ce sera fait dès 1964, avec l’arrêt Costa c. ENEL, dans lequel la Cour affirme que « que la force exécutive du droit communautaire ne saurait, en effet, varier d'un État à l'autre à la faveur des législations internes ultérieures, sans mettre en péril la réalisation des buts du traité […].”44 Autrement dit, le même principe d’interprétation uniforme qui avait justifié l’extension de la compétence d’interprétation du droit communautaire aux effets de celui-ci dans les ordres juridiques internes sert aussi à justifier la primauté absolue du droit de l’UE sur les droits nationaux. Et donc la Cour de conclure :
« qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments, qu'issu d'une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même; le transfert opéré par les États, de leur ordre juridique interne au profit de l'ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux dispositions du traité, entraîne donc une limitation définitive de leurs droits souverains contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible avec la notion de Communauté”45.
15Soulignons que si la primauté du droit communautaire sur les droits nationaux est affirmée dès 1964, il n’existe cependant pas de mécanisme de « contrôle de constitutionnalité » pour garantir l’effectivité de cette primauté. Certes, le mécanisme de mise en cause de la responsabilité (258-260 TFUE) permet de condamner un Etat en cas de non-respect du droit communautaire (de l’UE depuis fin 2009), ce qui a pour conséquence que « si la Cour de justice de l’Union européenne reconnaît qu’un Etat membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, cet Etat est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour. »46 Il n’empêche que les textes juridiques nationaux sur lesquels se fondent la violation de l’obligation n’en sont pas pour autant invalidés, et que donc la force exécutoire de l’arrêt ne concerne que l’Etat condamné47.
16C’est donc encore par une interprétation extensive de la fonction de la question préjudicielle que la Cour va, en 1979, instituer un contrôle diffus de conformité du droit national au droit de l’UE, en enjoignant à tout « juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel.”48 Ainsi la primauté sera effectivement assurée, non par un mécanisme de recours judiciaires hiérarchisés aboutissant à la CJE, mais par un pouvoir reconnu – selon la CJE par la structure même de l’ordre juridique communautaire49 – à tout juge national d’effectuer lui-même le « contrôle de constitutionalité communautaire » des normes nationales, afin de mettre correctement en œuvre le principe de l’effet direct.
17Au fondement du litige qui fait l’objet de la question préjudicielle dans cette affaire Simmenthal, la Cour constitutionnelle italienne s’était précisément saisie de la question de la validité d’une loi italienne dont la conformité au droit communautaire serait soulevée. Elle avait estimé dans des arrêts de 1975 et 1976, qu’elle seule, en vertu de l’art. 11 de la Constitution italienne, pouvait invalider une loi italienne adoptée par les institutions nationales, fût-elle contraire au droit communautaire. Comme le relèvent les avocats de la société Simmenthal dans leurs arguments qui vont permettre à la CJCE d’instituer ce contrôle de constitutionnalité diffus :
« [l]a solution imposée par la Cour constitutionnelle aurait des répercussions particulièrement graves sur la protection des particuliers: ceux-ci ne pourraient obtenir une protection entière et directe des droits qui leur sont conférés par les dispositions communautaires avant l'éventuel arrêt favorable de la Cour constitutionnelle; ils seraient dissuadés d'engager des actions judiciaires par un mécanisme lourd et complexe; l'administration publique ne serait pas encouragée à appliquer exactement et intégralement le droit communautaire aux opérateurs économiques italiens ou aux ressortissants des autres États membres. Ainsi serai[en]t méconnu[s] le principe de la primauté du droit communautaire […] »50.
18Selon une interprétation maximaliste suggérée par la juridiction constitutionnelle italienne, même la possibilité de poser une question préjudicielle à la CJCE serait subordonnée à l’aboutissement de la procédure constitutionnelle. Cette posture des autorités constitutionnelles italiennes, reviendrait à ré-instituer un contrôle judiciaire national indirect et temporaire sur l’effet direct du droit de l’UE, au détriment des particuliers. Comme le reconnait elle-même la Cour, la première question préjudicielle telle que formulée par la juridiction italienne qui la pose, revient « en substance, à voir préciser les conséquences de l'applicabilité directe d'une disposition du droit communautaire en cas d'incompatibilité avec une disposition postérieure de la législation d'un État membre. » Il ne s’agit donc pas de l’interprétation ou de l’application du traité, comme le prévoit l’art. 177 TCEE (aujourd’hui 267 TFUE). Il s’agit plutôt de l’interprétation de l’effet juridique d’un principe dégagé par la jurisprudence en 1964 (principe d’effet direct tel que dégagé par la CJE) sur les relations entre droit des CE (de l’UE aujourd’hui) et droit national ; voire même de se prononcer sur la validité du droit national au regard du droit communautaire.
19On le voit, les textes et les procédures relatifs à l’articulation entre le droit communautaire et le droit national ménagent un jeu que les juges tant nationaux que communautaires se sont efforcés d’exploiter, pour défendre la supériorité de leur autorité respective. Avec au final une solution qui permet d’affirmer la primauté du droit communautaire sur le droit constitutionnel national par le seul jeu d’une alliance entre les juridictions nationales de degré inférieur51 et la CJE. Il en résulte la mise hors-jeu de mécanismes instaurés par l’ordre juridique national dans une perspective souveraine.
1.2 Le droit communautaire : un droit appuyé sur un jeu de billard à trois bandes entre justiciables et juges
20C’est donc bien par ce dialogue des juges qu’est instauré un véritable ordre juridique de type fédéral52. Cet ordre ne repose cependant pas sur une hiérarchie judiciaire53 et ce, pour deux raisons. D’une part, les juges nationaux sont libres de poser ou non la question préjudicielle54. D’autre part, la réponse à la question formulée par la Cour de justice des CE n’a pas, dans le litige pendant, l’autorité de la chose jugée, la décision sur le fond du litige appartient toujours au juge national. De plus, cette décision d’un juge national sur la base de la réponse à sa question préjudicielle peut dans la plupart des cas faire l’objet d’un recours auprès d’une juridiction supérieure qui, la pratique le montre55, ne tient pas toujours compte dans son propre jugement d’appel de l’interprétation proposée par la CJE.
21Les deux pièces manquantes à la consolidation d’un système juridictionnel garantissant un ordre juridique européen (communautaire) de type fédéral vont encore être apportées par la Cour.
22La première ne vient pas d’une question préjudicielle, mais d’un recours en annulation, que la Cour refuse de connaître56. En effet, il existe en droit communautaire des décisions et des règlements qui peuvent, en l’absence de toute décision nationale, produire un effet direct à l’égard des particuliers57. En ces cas, et pour autant qu’il en soit « le destinataire » ou qu’il soit « directement et individuellement concerné », le particulier peut saisir la Cour de justice pour contester dans un délai de deux mois la validité d’un tel acte58. Cependant, en raison de la jurisprudence restrictive développée par la Cour concernant les conditions d’accès des particuliers à un recours en annulation59, il s’est trouvé des cas dans lesquels les particuliers étaient privés de tout recours, puisqu’aucun acte d’une autorité nationale ne pouvait être contesté devant une juridiction nationale. Face à cette situation, contraire au principe de l’Etat de droit, le Tribunal60 a proposé d’élargir les conditions d’accès des particuliers à sa juridiction61 ; ce qu’a immédiatement refusé la Cour elle-même62, considérant qu’il était de la responsabilité des Etats membres d’instituer des voies de droit dans leur système juridictionnel national, afin de permettre à des particuliers de contester devant les juridictions nationales la mise en œuvre de tels actes. En d’autres termes, la CJE affirme que les particuliers ne doivent pas avoir accès à elle directement pour contester la validité d’un acte de portée générale du droit de l’UE, mais qu’au contraire ils doivent pouvoir s’adresser au juge national, lequel peut alors, par le biais de la question préjudicielle, soulever la question de la validité d’un tel acte de droit dérivé63. Ainsi selon la Cour, la garantie du respect de la légalité et de la cohérence structurelle de l’ordre juridique communautaire ne doit pas dépendre d’un accès direct des particuliers à son prétoire, mais au contraire se matérialiser par la médiation du juge national, lequel seul peut alors initier un dialogue avec la CJE.
23Cette prise de position claire de la CJE conduira à deux modifications des Traités par le biais de la révision de Lisbonne de 2007. Il s’agit premièrement de l’ajout à l’art. 19 TUE – relatif à la Cour de justice de l’UE – de la règle suivante : « Les Etats membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ». D’un point de vue structurel, il paraît surprenant qu’une telle obligation incombant aux Etats parties à ce traité figure dans le titre III du TUE, consacré aux « dispositions relatives aux institutions (de l’UE) ». Sauf à comprendre, comme nous l’avons montré ci-dessus, que l’institution juridictionnelle de l’UE n’est pas limitée au « niveau fédéral » (l’institution de l’UE qu’est la Cour de Justice), mais qu’elle consiste au contraire et structurellement en la combinaison de la juridiction proprement communautaire avec les juridictions nationales, telle qu’articulée par la question préjudicielle64. C’est plus qu’un fédéralisme coopératif ; c’est un fédéralisme juridictionnel intégré65, puisque les ordres judiciaires nationaux et celui de l’UE peuvent en permanence et à tous les niveaux être connectés par les juges via le mécanisme de la question préjudicielle.
24L’autre modification élargit quelque peu l’accès des particuliers à la juridiction de l’UE contre des actes de l’UE par le biais du recours en annulation. Ce dernier, avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, était limité à des décisions66 des institutions de l’Union, soit dont le particulier était destinataire, soit qui le concernaient directement et individuellement67. Depuis 2009, ces recours sont ouverts à toute personne – pour autant qu’elle en soit le destinataire ou qu’elle soit directement et individuellement concernée – contre tous les actes, et non les seules décisions, des institutions, ainsi que spécifiquement contre les « actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesure d’exécution. »68
25La seconde et dernière pierre manquante à l’édifice juridictionnel d’un droit communautaire garantissant comme dans un système fédéral la protection des droits de tous ses sujets, concernait la question de la responsabilité d’un Etat membre vis-à-vis d’un individu placé sous sa juridiction, en cas de non-respect du droit communautaire (droit fédéral). Curieusement et contrairement à l’autre système juridictionnel supranational européen institué par la Convention européenne des droits de l’homme, le droit de l’UE ne prévoit pas de possibilité pour un individu d’exiger – et le cas échéant d’obtenir gain de cause et réparation – le respect du droit communautaire par un Etat qui lui impose une décision ou une situation en violation de ses obligations découlant du droit supérieur (communautaire).
26Cette lacune structurelle et procédurale du système sera comblée par une nouvelle création prétorienne, d’une subtilité remarquable. La CJE va affirmer que la question de la responsabilité d’une autorité pour manquement à ses obligations légales constitue un principe général de droit communautaire, et qu’à ce titre, il s’impose au juge national chargé de faire droit à la réclamation d’un particulier mettant en cause la responsabilité d’un Etat membre, même en cas de silence du traité69. Le droit communautaire étant silencieux sur les formes et modalités de mise en œuvre d’une telle responsabilité (puisqu’il n’en prévoit même pas le principe), il incombera au juge national d’utiliser les règles du droit national relatives à la responsabilité de la puissance publique vis-à-vis des administrés. Dans la mesure où le droit national ne prévoit pas une responsabilité spécifique de l’Etat pour non-respect de ses obligations européennes, c’est le principe (prétorien) de la primauté du droit communautaire qui oblige le juge national à mettre en œuvre cette responsabilité que la CJE avait quelques lignes auparavant dans cette même décision, identifié. Cette identification venait elle-même des ordres juridiques nationaux, puisque la CJE avait trouvé un principe de responsabilité de la puissance publique comme « principe constitutionnel commun aux Etats membres ». Ainsi, le fondement de cet ordre juridique fédéral procéderait d’une vertueuse circularité autoréférentielle70 exhumée par le dialogue des juges. C’est ainsi peut-être en ce sens qu’il faut comprendre la très discutée décision des juges constitutionnels allemands du 12 octobre 1993, dans laquelle ils justifient la primauté absolue du droit de l’UE sur le droit allemand – y incluse la loi fondamentale – par une injonction que leur donne cette même loi fondamentale. Là encore une « boucle étrange »71…
27Ce jeu du droit communautaire au fondement d’une Fédération internationale72 ressemble à s’y méprendre à un jeu de miroir. Et si le juriste peut constater l’efficacité de ces mécanismes et décrire leur fonctionnement, il restera bien en peine d’en expliquer le véritable fondement. De ce point de vue, nous allons montrer dans notre seconde partie que le passage, voulu par le Traité de Lisbonne, d’une Communauté européenne entourée d’une Union européenne – telle que le prévoyait l’art. A al. 3 du Traité de Maastricht73 - à une Union européenne succédant à la CE, telle que décrite par l’art. 1 § 3 TUE, ne permettra pas non plus de clarifier le fondement de la Fédération européenne.
2. L’UE : Une Fédération basée sur les jeux du droit
28Paradoxalement, l’Union européenne qui succède à la Communauté européenne avec le traité de Lisbonne, non seulement ne résout pas en termes politiques le fondement d’un système fédéral pour l’Union européenne. Au contraire cette évolution entamée à Maastricht (1992) et achevée à Lisbonne (2007) semble affaiblir certains des acquis cardinaux qui avaient permis de structurer, si ce n’est un système fédéral du point de vue de ses institutions politiques, tout au moins un ordre juridique dont le fonctionnement s’apparentait largement à celui d’une Fédération, comme nous l’avons montré dans notre première partie. Dans cette seconde partie, nous allons montrer que le droit de l’UE est à bien des égards moins structuré et consolidé que n’était le droit communautaire. Et qu’il (re)devient donc, plus « international » que « fédéral »74. Il n’est pas ici le lieu de traiter de cette complexe question dans son ensemble. Nous aimerions simplement, dans le cadre limité de cette contribution, mettre en évidence l’introduction dans le bel ordre juridique de l’Union européenne75, tel que fondé initialement sur ce droit communautaire d’essence largement prétorienne, de mécanismes menaçant de rétrograder le droit de l’UE à un régime international renforcé, en voie d’éloignement d’un système fédéral. Cette mutation génère ainsi un jeu76 probablement excessif – et donc dangereux pour l’intégrité de la structure – dans l’ajustement et l’ordonnancement soit disant fédéral de l’Union européenne.
2.1 L’UE hors du contrôle juridictionnel de la CJE ?
29Le Traité de Maastricht (conclu en février 1992) représente certainement l’évolution la plus spectaculaire dans le processus d’intégration européenne. Comme il l’affirme lui-même, il constitue « une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe »77. Sans entrer dans les détails, il agrège autour du processus d’intégration économique dont l’objectif principal est l’achèvement du marché intérieur, un processus de coordination des politiques dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité (2e pilier) et dans celui de la justice et des affaires intérieures (3e pilier). De plus, ce traité dissimule au sein du pilier communautaire (1er pilier) une Union économique et monétaire, dotée de ses propres institutions – à l’origine un Institut monétaire européen auquel succéderont un Système européen des Banques centrales et une Banque centrale européenne, dotée de sa propre personnalité juridique – donc une sorte de 4e pilier.
30Cette Union européenne nouvelle constitue ainsi un complexe et curieux objet institutionnel, puisqu’elle institue des mécanismes de coopération faisant usage des institutions communautaires78, sans pour autant utiliser la « méthode communautaire ». Cette méthode veut que les représentants des gouvernements nationaux ne puissent adopter des décisions dans le cadre de la Communauté que sur une proposition de la Commission. Il y a donc une médiation obligatoire et permanente de la Commission, qui empêche que le processus décisionnel soit in fine basé sur un rapport de force, comme dans les relations internationales classiques. En écartant dans le cadre des 2e et 3e piliers la Commission et le Parlement de ses processus décisionnels, l’UE institue un « retour » vers une approche « intergouvernementale » (c’est-à-dire de type international) au détriment des acquis de la méthode communautaire. De plus, le contrôle des actes et actions de mise en œuvre par la Cour dans ces mêmes piliers est écarté. En effet, l’art. L du Traité de Maastricht exclut du champ de compétence de la CJE les dispositions du Traité de Maastricht autres que celles portant sur le 1er pilier et les dispositions finales du TUE (articles L à S)79.
31Si notre démonstration de la première partie est correcte – à savoir que la dimension fédérale de la Communauté européenne est largement appuyée sur un jeu entre juges développant une interaction créatrice entre droit communautaire et droit national – il va de soi que cette exclusion est problématique, voire même une menace existentielle, pour la poursuite d’un projet fédéral fondé sur le droit au travers de l’Union européenne. Ce qui est pour le moins paradoxal, puisque selon les discours des acteurs et de la littérature dominante relative à l’Union européenne, le Traité de Maastricht constitue un passage d’une intégration principalement économique à une intégration politique, a priori plus à même d’être qualifiée de Fédération80. D’un point de vue juridique cependant, le Traité de Maastricht introduit un jeu81 dans la belle mécanique du droit communautaire, lequel ne plaide pas pour le renforcement d’une structure fédérale, mais traduit un glissement ou un retour vers du droit international, dépourvu de garanties de mise en œuvre.
32Bien évidemment, la Cour ne saurait se satisfaire de cette limitation qu’impose ce nouveau traité à sa compétence. Par une jurisprudence à nouveau audacieuse et créative, elle va étendre son rôle au-delà des limites que semble lui imposer le Traité. En effet, dès 2005 un important contentieux interinstitutionnel – principalement alimenté par la Commission européenne, mais aussi parfois par le PE, avec le soutien de certains Etats membres – va contester devant la Cour la validité de décisions PESC (2e pilier), sur la base de l’art. L déjà cité (et entretemps devenu art. 47 TUE)82. En effet, cet article, s’il exclut de la compétence de la Cour les 2e et 3e piliers, précise néanmoins que les dispositions finales du traité de Maastricht – dont l’art. L (47 TUE) – font partie du champ des dispositions sur lesquelles la Cour exerce son contrôle et son appréciation. En conséquence, par une combinaison du devoir que lui impose l’art. 220 TCE83 de garantir le respect du droit dans le cadre communautaire et sa lecture de l’art. 47 TUE pour l’interprétation duquel elle est compétente, la CJE s’estime autorisée à contrôler des décisions prises dans le cadre des 2e ou 3e piliers, dans la mesure où de telles décisions porteraient atteinte à l’intégrité du droit communautaire (le 1er pilier au sein duquel elle assure le respect du droit). Ainsi, la Cour, par une interprétation astucieuse des dispositions des différents traités, essaie de maintenir la cohérence et la structure d’un ordre juridique institutionnel de type fédéral, ajoutant même une claire hiérarchie entre le droit communautaire (issu du 1er pilier) devant lequel le droit issu de la coopération intergouvernementale des 2e et 3e piliers ne saurait prévaloir84. De la sorte la Cour parvient, malgré une contrainte institutionnelle qui semblait introduire un jeu dangereux dans l’édifice de l’ordre juridique communautaire, à réaffirmer et renforcer la place et le rôle de ce dernier.
33Le Traité de Lisbonne, en fondant la Communauté dans l’Union, aurait dû résoudre ce problème structurel, puisque l’art. 19 § 1 TUE précise que la Cour « assure le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités », donc tant le TUE que le TFUE. La déformation de la Fédération perpétrée par le Traité de Maastricht semble ainsi, après plus de 15 années (1993-2009), résorbée. Ce serait cependant trop simple.
34En effet, l’art 275 TFUE exclut expressément les dispositions de la politique étrangère et de sécurité commune et les actes adoptés sur leur base de tout examen par la Cour. Encore une fois, cette exclusion ne serait pas problématique en tant que telle – en particulier pour ce qui regarde les actes de politique étrangère qui souvent ont un statut particulier au sein des ordres juridiques domestiques. Elle est toutefois problématique dans la mesure où le développement et la consistance de la structure fédérale des communautés, et probablement à leur suite de l’Union, repose principalement sur l’imposition de solutions juridiques fédéralistes par la CJE. Consciente de l’enjeu, la Cour a une nouvelle fois fait preuve de créativité pour contourner cette limitation et rétablir un contrôle juridictionnel nécessaire au maintien de la structure fédérale que doit selon elle être l’Union. Par une décision du 28 mars 201785, la Cour a considéré que dans la mesure où un acte fondé sur une base juridique de la PESC pouvait porter atteinte à des droits fondamentaux tels que définis dans l’art. 6 TUE et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne86, elle pouvait le contrôler. Autrement dit, toute potentielle atteinte aux fondamentaux par des actes entrant pourtant dans le champ d’exclusion défini par le texte clair de l’art. 275 TFUE, sont susceptibles de contrôle juridictionnel au regard du droit primaire de l’UE.
35Notons qu’ici, ce n’est pas que dans les développements de son raisonnement que la Cour soutien pareille conclusion, mais dans le dispositif même de sa décision par lequel la Cour dit pour droit : « Les articles 19, 24 et 40 TUE, l’article 275 TFUE ainsi que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens que la Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer à titre préjudiciel, en vertu de l’article 267 TFUE, sur la validité d’un acte adopté sur le fondement des dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) […] »87.
36Nous retrouvons donc ici ce jeu de billard à trois bandes cher aux juges européens. C’est en s’appuyant sur la nécessité d’une mise en œuvre effective des droits des particuliers88 que le juge communautaire impose aux Etats membres et aux institutions intergouvernementales de l’UE (le Conseil) un respect d’un droit d’effet direct. La conséquence structurelle et institutionnelle de ce dernier estle renforcement d’une structure fédérale fondée sur un système judiciaire original et particulier, dont la charnière centrale est la question préjudicielle. C’est-à-dire le dialogue entre juges, et non une fondation politique voulue par des corps constituants89.
37Toutefois, comme nous allons le voir, si la distorsion introduite par l’UE du Traité de Maastricht a pu être résorbée ou contrôlée par la CJE, d’autres défis se développent dans le cadre même de l’UE, lesquels font craindre pour la possibilité de poursuivre ce jeu du droit dans un cadre fédéral. En effet, la tentative de constitutionnalisation formelle de l’UE – rédaction et signature d’un Traité établissant une Constitution pour l’Europe – ayant échoué90, deux options se profilent. Soit la consolidation d’une Fédération sans constitution formelle – c’est-à-dire la poursuite du processus original et de la méthode communautaire dans le cadre de l’Union européenne - soit le retour vers des formes moins structurées par le droit de coopération entre Etats européens, donc un éloignement de la forme fédérale.
2.2 Des mécanismes intergouvernementaux à la limite du hors-jeu
38Nous allons montrer dans la seconde section de cette seconde partie que plusieurs phénomènes inquiétants pour la poursuite de la construction fédéraliste se développent au sein de l’UE, au risque d’une irréversible déstabilisation de l’édifice de la Fédération résultant d’un trop grand jeu entre ses composantes. Entre autres, le développement de la méthode ouverte de coordination (2.2.1) ou de mécanismes de gouvernance économique (2.2.2) peuvent inquiéter. Au point de se demander si le jeu qui sert de modèle à cette nouvelle Union européenne « post-Lisbonne » n’est pas d’inspiration extra-européenne, et communément connu sous l’appellation de roulette russe.
2.2.1 Le développement de la Méthode ouverte de coordination (MOC)
39En 2000, lors du Conseil européen de Lisbonne, les chefs de gouvernement des Etats membres, en accord avec la Commission, décident de préparer l’Europe à la révolution technologique liée à l’essor des NTI et au développement d’Internet. On vise à faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale »91, le tout à l’horizon 2010. Il convient de noter que le Conseil européen n’était, jusqu’en décembre 2009, pas à proprement parler une institution (les institutions se trouvent dans le cadre de la Communauté – TCE – et le Conseil européen est prévu dans le seul cadre, à cette époque moins formel, de l’UE). Sa mission d’alors était de donner « à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les orientations politiques générales. » Formellement, cette mission n’est pas vraiment suffisante pour adopter un projet de réforme économique majeure, que la Présidence portugaise de l’UE (1er semestre 2000) et la Commission européenne (qui était en 2000 présidée par Romano Prodi) vont baptiser la « stratégie de Lisbonne ».
40En matière de politique économique, ni les Communautés, ni l’Union n’ont de compétences véritables92. Il ne serait donc pas possible de concevoir et d’entreprendre dans les limites du cadre légal tel que posé par les Traités une action en vue de faire
« face à un formidable bouleversement induit par la mondialisation et par les défis inhérents à une nouvelle économie fondée sur la connaissance. Ces changements touchent tous les aspects de la vie de chacun et appellent une transformation radicale de l’économie européenne. »93
41Néanmoins
« [c]ompte tenu de la rapidité et de l’accélération du changement, l’Union doit agir dès maintenant pour tirer pleinement parti des nouvelles possibilités qui se créent. Il faut donc qu’elle se fixe un objectif stratégique clair et qu’elle adopte un programme ambitieux en vue de mettre en place les infrastructures nécessaires à la diffusion des connaissances, de renforcer l’innovation et la réforme économique, et de moderniser les systèmes de sécurité sociale et d’éducation. »94
42Aussi le choix fait par les dirigeants européens en 2000 est de ne pas agir dans le cadre des traités – dont la juridicisation par le contrôle juridictionnel constituait le fondement matériel d’une Fédération européenne – mais de glisser dans la souplesse de l’informalité. Ainsi les conclusions de la Présidence d’affirmer :
« Il n'est nul besoin de nouveaux processus. Les grandes orientations des politiques économiques95 et les processus de Luxembourg, Cardiff et Cologne96 fournissent les instruments nécessaires, pour autant qu'ils soient simplifiés et mieux coordonnés entre eux […] ces grandes orientations des politiques économiques devraient se concentrer de plus en plus sur les conséquences à moyen et à long terme des politiques structurelles et sur les réformes visant à valoriser le potentiel de croissance économique, l'emploi et la cohésion sociale, ainsi que sur le passage à une économie de la connaissance. […]. Le Conseil européen consolidera ces améliorations en assumant un rôle phare d'orientation et de coordination […]. Le Conseil européen invite la Commission à élaborer chaque année un rapport de synthèse sur les progrès réalisés sur la base d'indicateurs structurels en matière d'emploi, d'innovation, de réformes économiques et de cohésion sociale, qui seront fixés d'un commun accord. »97
43Ainsi en complément – ou en contournement – de la méthode communautaire, les chefs de gouvernement des Etats membres et la Commission européenne98 vont avoir recours à une nouvelle méthode, la méthode ouverte de coordination (MOC)99 :
« L'approche retenue sera totalement décentralisée, conformément au principe de subsidiarité ; l'Union, les États membres, les collectivités régionales et locales, ainsi que les partenaires sociaux et la société civile seront activement associés dans diverses formes de partenariat. Une méthode d'évaluation des meilleures pratiques en matière de gestion des changements sera élaborée par la Commission européenne en coordination avec différents prestataires et utilisateurs, à savoir les partenaires sociaux, les entreprises et les ONG. »100
44S’agit-il encore d’un « jeu du droit », ou le jeu n’est-il pas ici d’écarter le droit, au profit d’une « gouvernance » inspirée des méthodes du nouveau management public ? On se réfère aux prestataires et aux utilisateurs, associés à des acteurs publics (l’Union, les Etats membres, les collectivités régionales et locales) ainsi qu’aux partenaires sociaux et à la société civile plus largement, dans la coproduction d’une politique de réformes économiques et sociales ; et non plus à des justiciables et à des autorités placés dans un rapport régi et contrôlé par un cadre juridique. C’est évidemment une évolution de la normativité, glissant d’une action publique soumise à des contraintes et contrôles juridiques (principe de légalité) vers des modalités de gouvernance managériales, fondées sur des indicateurs quantitatifs et a-juridiques101, glissement qui n’est pas propre à l’UE et qui peut s’observer à ce même moment dans de nombreux contextes102. Ce qui est cependant singulier à l’UE, c’est que sa nature fédérale repose précisément sur la mise en œuvre rigoureuse et progressiste du cadre juridique qui la fonde. Un tel jeu avec droit, pour l’UE, pourrait donc s’avérer, compte tenu des fondements spécifiques de sa nature fédérale, un jeu dangereux, voire mortifère pour l’idée européenne.
2.2.2 Les développements de la gouvernance économique103
45Le domaine de la gouvernance économique de la zone Euro est également un domaine dans lequel le jeu du droit flirte dangereusement avec le hors-jeu. Comme nous l’avons indiqué en introduction de cette deuxième partie, l’Union économique et monétaire a été insérée comme un traité dans le traité au sein du TCE, avec des institutions en phase de développement104– sans être véritablement des institutions de la CE. Elles ne figurent d’une part pas dans la partie relative aux institutions du TCE, et ne concernent d’autre part pas au même titre tous les Etats membres. En effet, certains ont obtenu le droit de ne pas participer à la monnaie unique : Danemark et Royaume-Uni par le biais de protocoles annexés au Traité de Maastricht ; Suède lors de son accession selon un « gentlemen’s agreement » dont il n’existe aucune trace écrite105, D’autres106 ne remplissent pas encore les critères pour rejoindre la zone Euro et font l’objet d’une dérogation au sens de l’art. 139 TFUE.
46Les principes et critères utilisés pour gouverner cette monnaie unique (dits « critères de Maastricht ») figurent en des termes abstraits à l’art. 126 TFUE107 et son précisés dans un Protocole annexé au Traité de Maastricht108. Une procédure prévoit notamment des mécanismes de contrôle, et le cas échéant de sanction, des Etats membres de la zone Euro qui ne respecteraient pas ces critères. Dans ce cadre, la Commission européenne ouvre, en novembre 2002 contre l’Allemagne et en avril 2003 contre la France, des procédures pour déficits excessifs. A l’automne 2003, considérant que la France n’a pris aucune mesure pour rétablir sa situation de déficit, et que les mesures prises par l’Allemagne étaient inadéquates, la Commission demande au Conseil de mettre en demeure ces deux Etats de prendre les mesures permettant de rétablir leurs comptes publics, conformément à l’art. 104 § 9 TCE. Le Conseil décidera « de ne pas statuer, à ce stade, sur la base de la recommandation de la Commission »109.
47La Commission saisira en janvier 2004 la CJE contre cette décision contraire à la procédure de l’art. 104 TCE. La Cour siégeant en assemblée plénière (ce qui est rarissime) et selon une procédure accélérée rendra un arrêt le 13 juillet 2004, annulant pour illégalité la décision du Conseil de suspendre la procédure, laquelle viole les termes de l’art. 104 TCE110. Suite à cette décision, le Conseil ne relancera pourtant jamais la procédure à l’encontre de ces deux Etats membres.
48En d’autres termes, les règles relatives à la gouvernance économique et financière de la zone Euro sont, d’un point de vue juridique et malgré l’intervention de la CJE, peu effectives. Ce qui pose un sérieux problème pour la solidité et la stabilité de l’édifice juridique, politique et économique de l’UE, comme le démontrera violement la « crise des dettes souveraines » qui éclatera fin 2009. Dans ce contexte dramatique, des décisions désordonnées et prises dans l’urgence et pour la plupart en marge du droit existant - essentiellement par le Conseil européen- qui, selon les Traités, n’en a pas les compétences.
49Il en est ainsi d’une modification des Traités selon la procédure simplifiée qui permet d’échapper aux contrôles démocratiques nationaux et soulève de très nombreuses questions juridiques111. L’on reste similairement perplexe face à la conclusion - hors du cadre de l’UE mais pour régler les problèmes de gouvernance de la zone Euro - de deux traités112, dont la matière et le recours aux institutions de l’UE (principalement la Commission, la BCE et le Conseil, le Parlement étant tenu à l’écart) semblent indiquer qu’ils relèvent des champs de compétences de l’UE.
50Notons en matière de gouvernance économique et monétaire (qui font l’objet d’un titre commun – Titre VIII – de la troisième partie du TFUE) une situation pour le moins curieuse. En effet, la politique monétaire constitue une compétence exclusive de l’UE pour les Etats membres dont la monnaie est l’Euro113, alors qu’en matière de politique économique, ce sont les Etats membres qui sont seuls compétents, ayant seulement le devoir de « coordonn[er] leurs politiques économiques et de l’emploi selon les modalités prévues par le présent traité, […]. »114 Ce qui notamment leur permet de conclure des traités entre Etats membres concernant la gouvernance économique de la zone Euro115, tels que le Traité de Bruxelles établissent le Mécanisme européen de stabilité du 2 février 2012, ou le Traité de Bruxelles du 2 mars 2012 sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire. Le premier lie les 17 membres de la zone Euro de l’époque, et le second 25 des Etats membres de l’UE116.
51Outre que ces traités renforcent la différenciation au sein de l’ordre juridique de l’UE, renforçant l’asymétrie d’un éventuel fédéralisme européen, l’on peut douter de la compatibilité de certaines procédures instituées par le traité SCG avec les dispositions des traités constitutifs de l’UE. Ainsi par exemple, le vote à la majorité qualifiée inversée prévu par l’art. 7 du TSCG contredit les termes de l’art. 126 § 13 TFUE sur la prise de décision par le Conseil dans le cadre de la procédure pour déficits excessifs. L’article 2 § 1 du TSCG prévoit que «le présent traité est appliqué et interprété par les parties contractantes conformément aux traités sur lesquels l’Union européenne est fondée […] y compris le droit procédural lorsqu’il y a lieu d’adopter des actes de droit dérivé. »
52La CJE n’est pas expressément compétente pour interpréter ou garantir l’application des procédures prévues par ce traité117 ; mais dans la mesure où ce traité renvoie à des mécanismes du droit de l’UE, les actes adoptés par les institutions de l’UE conformément aux procédures et règles du TSCG seront, en tant qu’actes de droit dérivé de l’UE, soumis aux contrôles de la CJE. Il s’agit là de l’introduction délibérée d’un jeu dans le processus décisionnel de l’art. 126 TFUE118, dont les limites et l’efficacité ont déjà été discutés par la Cour dans son arrêt de juillet 2004… Cette situation ne manque d’inquiéter quant à la sécurité juridique en matière de gouvernance économique de la zone Euro.
53Ces « arrangements » posent aussi la question des limites du jeu du droit dans un ensemble fédératif fondé sur une construction prétorienne ; le jeu avec le droit peut-il mettre en jeu le respect du principe de l’Etat de droit dans ce qui constitue, au dire des dirigeants politiques européens119, le cœur du projet d’intégration européenne ? Le soi-disant noyau dur de l’intégration semble ainsi juridiquement plus flou et incertain que les fondements antérieurs, peut-être plus périphériques mais plus denses juridiquement, notamment le marché intérieur. Ainsi le Royaume-Uni par exemple, qui s’apprête à quitter l’UE et n’est pas membre de la zone Euro, est par contre un fervent partisan du marché intérieur. On fait face, à tout le moins, à une situation paradoxale, avec un décalage, si ce n’est une antinomie, entre la densité des engagements politiques et juridiques.
54Plus aporique encore s’il se peut, le pacte budgétaire, inclut dans le TSCG, contraint fortement et mécaniquement – par l’obligation de respecter des critères économico-financiers et la soumission des choix projets de budget nationaux à l’évaluation d’un organisme indépendant de contrôle à mettre en place au niveau national120 – la capacité de choix des parlements nationaux en matière budgétaire. C’est la mise sous tutelle techno-financière de ce qui constitue le cœur du pouvoir parlementaire en démocratie : le vote du budget national. Conformément à l’art. 16 du TSCG, « dans un délai de cinq ans maximum à compter de la date d’entrée en vigueur du présent traité121 […] les mesures nécessaires sont prises conformément au traité sur l’UE et au traité sur le fonctionnement de l’UE, afin d’intégrer le contenu du présent traité dans le cadre juridique de l’UE. »
55Sur cette base, la Commission a présenté le 6 décembre 2017 un projet de directive reprenant l’essentiel du TSCG122, y inclus le Pacte budgétaire. Si les Etats membres adoptent cette directive123 pourra-t-on considérer que les institutions en adoptant des mesures limitant la compétence des Parlements nationaux d’adopter le budget national sans base juridique expresse dans les traités auront agi « dans les limites des attributions qui lui [leur] sont conférées par les traités, conformément aux procédures et, conditions et fins prévues par ceux-ci »124 ?
56Si la réponse est positive, cela veut dire que la matière couverte par le TSCG relève des compétences attribuées à l’Union par les traités125 et qu’en conséquence, selon le raisonnement développé par la CJE dans l’arrêt Pringle à propos du Traité établissant le MES, les Etats membres ont violé le droit de l’UE en concluant entre eux le TSCG, hors de la structure juridique de l’UE. Si au contraire la réponse est négative, alors l’art. 16 TSCG qui exige que le contenu de ce traité soit, « dans un délai de cinq ans maximum […] intégré dans le cadre juridique de l’Union européenne » ne pourrait être mis en œuvre que par une modification des Traités126 et non par un acte de droit dérivé, comme le propose la Commission européenne ! Politiquement, surtout sur ce sujet extrêmement sensible au cœur de l’enjeu démocratique national que constitue l’adoption par le Parlement national du budget national, personne n’imagine aujourd’hui possible de demander aux Parlements nationaux des Etats membres de ratifier une telle modification des Traités. Ce qui veut donc dire que toute décision de mise en œuvre de ce traité, au-delà du 1er janvier 2018, pourra être contestée en droit national ou de l’Union, l’exigence de l’art. 16 TSCG n’étant plus remplie depuis cette date.
Qu’en conclure ?
57Se pourrait-il que les règles du jeu du droit au sein de l’UE soient devenues si complexes que plus personne ne maîtrise les paramètres de la partie ? Ou est-ce que les institutions nationales et de l’UE, dans la partie complexe qu’elles disputent depuis 60 ans autour de la nature, la substance et la structure d’un droit européen, sont arrivées à ce qu’au jeu d’échec on qualifierait d’une situation de « pat »127 ? Ce qui pourrait donner lieu à trois scénarii.
58Premièrement, comme aux échecs, constatant le pat, il convient d’arrêter la partie. Sans jeu de mots, ce serait le constat d’échec du projet d’intégration européenne par le droit. Hélas pas impossible actuellement ; le résultat des élections européennes de mai 2019 nous dira si une coalition (même hétéroclite) d’opposants à l’UE seront en mesure de contraindre les institutions à une telle extrémité128.
59Deuxièmement, le jeu dans la structure juridique de l’UE étant devenu béant, il convient de remettre de l’ordre et de discipliner les joueurs en consolidant l’édifice juridique (et donc aussi politique) par une refondation d’un ordre juridique européen aux bases et à la hiérarchie normative mieux établies. Ce serait aussi la fin de l’actuelle partie de jeu du droit de l’UE fondé sur le seul dialogue des juges. Mais, après tout, le traité de Lisbonne a bien mis fin au droit communautaire, un choix symbolique et substantiel qui ne saurait être sans conséquences. Ce ne serait d’ailleurs que le constat que le droit de l’UE n’a pas, en l’état, pu perpétuer les conditions du jeu entre juges du droit européen. Ce serait simultanément l’annonce d’une nouvelle partie, très vraisemblablement dans un cadre fédéral plus classique, fondé sur une volonté politique claire. Mais une telle volonté politique existe-t-elle dans chaque129 pays européen ?Rappelons aussi qu’une tentative en ce sens (qui avait abouti à la signature d’un Traité établissant une Constitution pour l’Europe le 29 novembre 2004) a échoué, et que le Traité de Lisbonne, dont nous venons de souligner quelques apories qui rendent l’édifice non-durable, est la réponse juridique à cet échec politique.
60Troisièmement, peut-être faut-il oser appréhender l’actuel système juridique européen, y incluses ses apparentes tensions et contradictions au regard des formes connues du droit, comme un phénomène juridique nouveau, dont il revient aux chercheurs d’identifier la nature et les lois fondamentales130. Ce qui apparaît dans notre approche classique du droit comme un mauvais ajustement du système juridique de l’UE pourrait précisément constituer l’espace privilégié au sein duquel les lois fondamentales d’un nouveau droit sont en train d’émerger ou déjà de se déployer ? Peut-être une forme juridique spécifique à la gouvernance à multi-niveau ?
61Le futur de l’UE et de son droit sont aujourd’hui des plus incertains. Outre les développements préoccupants que j’ai identifiés dans la seconde partie de cette contribution, le processus du BREXIT remet en cause bien des certitudes et oblige à penser le droit de l’UE dans une dynamique bidirectionnelle, et non uniquement comme un processus « créant une Union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe »131.
62De quoi justifier de nouvelles règles du jeu pour ce fédéralisme singulier en chantier ?
Notes
1 Olivier Beaud a publié en 2007 un ouvrage intitulé Théorie de la Fédération (Paris, PUF). Il y indique en avant-propos : « La signature en 1992 du traité de Maastricht et la transformation corrélative de la Communauté économique européenne en une « union européenne » semblaient indiquer un approfondissement politique de l’Europe institutionnelle que les juristes ont tant de mal à qualifier. […] l’objet de cet ouvrage est d’ordre scientifique et vise à clarifier la notion de fédération d’un point de vue juridique. […] Autrement dit, cette théorie de la Fédération est une sorte d’étalon de mesure pour la construction européenne si l’on veut la juger à l’aune du fédéralisme. » Voir également Levrat (N.), « L’union européenne : une fédération internationale », in Jean-François Gaudreault-Desbiens (J.-F.) et Gélinas (F.) (dir.), Le fédéralisme dans tous ses états : Gouvernance, identité et méthodologie, Cowansville (Québec)/Bruxelles, Y. Blais / Bruylant, 2005, pp. 285-305.
2 Les Traités au fondement de l’Union européenne sont au nombre de deux (voir notes 3 et 4 ci-dessous). Ces deux traités ont la même valeur juridique, ce qui signifie qu’il n’y a en droit pas de hiérarchie entre eux (voir art. 1er al. 3 TUE). Ils ont été régulièrement et substantiellement modifiés. La dernière révision générale est le fait du Traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2017 à Lisbonne, et entré en vigueur le 1er décembre 2009. La toute dernière modification concerne l’article 136 du Traité sur le fonctionnement de l’UE a été modifié le 25 mars 2011 par une décision (2011/199/UE) du Conseil européen, publié au JOUE L 91/1 du 6 avril 2011.
3 Le Traité sur l’Union européenne (TUE) a été adopté à Maastricht le 7 février 1992, et modifié par la suite par les Traités d’Amsterdam (1997), Nice (2001) et Lisbonne (2007).
4 Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) a été adopté le 25 mars 1957 à Rome, sous l’appellation « Traité instituant la Communauté économique européenne ». Il a été depuis de nombreuses fois modifié. En 1993, avec l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht (voir note 3 ci-dessus), il est rebaptisé « Traité sur la Communauté européenne », avant d’être encore une fois rebaptisé par le Traité de Lisbonne (voir note 2 ci-dessus), « Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne », son appellation actuelle.
5 Art. 5 TUE.
6 Art. 5 § 3 TUE, et Protocole n° 2 « sur la mise en œuvre des principes de subsidiarité et proportionnalité ».
7 Art. 2 § 2 et 4 TFUE.
8 Art. 4 § 3 TUE.
9 Notamment en 1953, un projet de Traité instituant une « Communauté européenne de la défense » prévoyait à son article 38 que l’Assemblée de cette nouvelle Communauté – depuis 1952 existait déjà entre 6 Etats européens (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) une Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA, instituée par le Traité de Paris du 18 avril 1951) dotée d’une Assemblée parlementaire – devrait dans les six mois suivant son institution (art. 38 § 2 Traité CED) proposer une modification du traité qui serait soumise au Conseil puis au gouvernement des Etats membres, en vue de modifier les dispositions du nouveau traité. L’article 38 § 1 CED précisait que « Dans ses études, l’Assemblée s’inspirera notamment des principes suivants: l’organisation de caractère définitif qui se substituera à la présente organisation provisoire devra être conçue de manière à pouvoir constituer un des éléments d’une structure fédérale ou confédérale ultérieure, fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs et comportant, en particulier, un système représentatif bicaméral;” (c’est nous qui soulignons). Ce projet de traité ayant été rejeté par le Sénat français à l’été 1953, il n’est jamais entré en vigueur…
10 Parmi les plus importants auteurs de ce courant de pensée, citons Hendrik Brugmans, Fernand Dehousse, Guy Héraud, Alexandre Marc, Denis de Rougemont et Dusan Sidjanski.
11 Formule avancée par Winston Churchill dans un discours sur l’Europe tenu à l’Université de Zurich le 19 septembre 1946. Notons que le Président de la Convention sur l’Avenir de l’Europe (Valéry Giscard d’Estaing), qui en 2003-2004 rédigea un projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe (signé à Rome le 29 octobre 2004, mais jamais rentré en vigueur suite à son rejet par les électeurs français puis néerlandais les 30 mai et 2 juin 2005 respectivement) faisait pour désigner la Convention qu’il présidait, systématiquement référence à la Convention de Philadelphie, de laquelle émergeront la Constitution de 1787 des Etats-Unis d’Amérique..
12 Il existe depuis 1952 une Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), et depuis 1958 une Communauté économique européenne (CEE), et une Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA ou EURATOM), toutes composées des six mêmes membres, et dotées d’institutions symétriques (qui seront d’ailleurs fusionnée par un Traité de Bruxelles dit « de fusion des exécutifs » du 8 avril 1965).
13 Voir notamment Pellet (A.), « Les fondements juridiques internationaux du droit communautaire », Collected Courses of the Academy of European Law, 1994, vol. 5, no 2, p. 226. .
14 Voir p. ex., Brugmans (H.), Panorama de la pensée fédéraliste. La Colombe, 1956, ou Alexandre MARC, La révolution fédéraliste. Presses d'Europe, 1969.
15 Voir Levrat (N.), op.cit. (note 1) ; également Esposito (F.) et Levrat (N.) (eds), Europe: de l’intégration à la Fédération, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2010.
16 Elazar (D.), Exploring Federalism, U. of Alabama Press, 1987.
17 La Cour de Justice est instituée dans le cadre de la CECA, par le Traité de Paris du 18 avril 1951. Les Traités instituant la CEE et la CEEA lui attribueront des compétences. Pour ce qui concerne l’UE, ce ne sera que le Traité de Lisbonne (2007-2009) qui lui attribuera une pleine compétence (avec néanmoins quelques exceptions, notamment en matière de politique étrangère et de sécurité commune). Nous verrons ces évolutions et son rôle dans l’évolution des fonctions du droit au sein des Communautés, puis de l’UE, ci-dessous. En raison des différents cadres juridiques dans lesquels elle a été amenée à opérer, la Cour a connu diverses appellations, notamment Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE), et aujourd’hui Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Sa composition et ses fonctions dans les différents cadres juridiques montrent cependant clairement qu’il s’agit de la même institution. Aussi et compte tenu de la perspective diachronique de notre contribution, nous utiliserons par facilité l’abréviation CJE pour couvrir tant le CJCE que la CJUE.
18 Arrêt du 5 février 1963, Van Gend & Loos c. Administration fiscale néerlandaise, aff. 26-62.
19 « le transfert opéré par les États, de leur ordre juridique interne au profit de l'ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux dispositions du traité, entraîne donc une limitation définitive de leurs droits souverains contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible avec la notion de Communauté;”, Arrêt du 15 Juillet 1964, Costa c. ENEL, aff. 6-64.
20 Article 34 du Traité de Paris instituant la CECA.
21 De nombreux Traités créent des organes (souvent des comités d’experts) disposant de compétences d’interprétation du Traité qui les a institués ; ainsi par exemple les « Treaty bodies » dans le cadre de la mise en œuvre au sein des Nations unies des traités en matière de droits de l’homme ; voir p. ex. Kerstin MECHLEM, “Treaty bodies and the interpretation of human rights”, Vanderbilt Journal of Transnational Law, 2009, vol. 42, p. 905.
22 Ce qu’affirmera clairement la Cour – même si elle préférera le terme de « Communauté de droit » à celui « d’Etat de droit », les Communautés n’étant pas un Etat – dans son arrêt du 23 avril 1986, Les Verts c. Parlement européen, aff. 294-83, § 23.
23 Même si nous verrons ci-dessous (2.1.) que la compétence de la Cour au regard du TUE n’a pas été dès son origine acquise.
24 Article 87 du Traité de Paris instituant la CECA. Aujourd’hui art. 344 TFUE. Voir notamment l’arrêt du 30 mai 2006 (Commission c. Irlande, aff. 459-03) par lequel la Commission fait condamner l’Irlande pour avoir tenté de soumettre un différend écologique avec le Royaume-Uni à un Tribunal arbitral constitué conformément aux dispositions de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (Convention de Montego Bay).
25 Voir sur l’importance de ce principe et sur la primauté que lui attribue la CJUE par rapport à un recours direct, l’arrêt du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores c. Conseil, aff. C-50/00 P.
26 Voir art. 267 TFUE pour les modalités et limites de cette procédure.
27 Voir pour une définition des actes de droit dérivé de l’Union et une sommaire description de leurs effets juridiques respectifs, l’article 288 TFUE. En pratique, la CJE se reconnaîtra la capacité de connaître d’autres types d’actes, y compris des actes non prévus par les traités ; voir notamment en ce sens les arrêts AETR du 31 mars 1971 (aff. 22/70) ou Les Verts c. PE du 23 avril 1986 (aff. 294/83).
28 Levrat (N.) et Raducu (I.), « Le métissage des ordres juridiques européens (une « théorie impure » de l’ordre juridique) », Cahiers de droit européen, 2007, pp. 111-148.
29 C’est ce que rappelle très clairement l’art. 291 § 1 TFUE (nouvellement introduit par le Traité de Lisbonne). Voir aussi l’art. 4 § 3 al. 2 TUE qui inclut (depuis 1957) un principe de coopération loyale, lequel indique que « les Etats membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions. »
30 Expression consacrée par la doctrine, qui traduit la double mission assignée à la Commission par l’art. 17 TUE : « [la Commission] veille à l’application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci. Elle surveille l’application du droit de l’Union sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne. »
31 Si le droit international classique permet aux Etats de convenir ensemble de règles juridiques (qui deviennent donc des normes de droit international), il dépend pour sa mise en œuvre des structures et procédures étatiques. Si le droit international constitue un ensemble de normes primaires, il ne contient que très peu de normes secondaires, relatives à la mise en œuvre et aux conséquences juridiques de son non-respect ; de telles normes se trouvent au sein des ordres juridiques nationaux. Au mieux, les théories des relations internationales admettent que les Etats parviennent à instituer entre eux des régimes juridiques (« regime theory »), mais jamais un cadre institutionnel complet.
32 La principale exception à ce principe concerne la mise en œuvre de la politique de la concurrence au sein de la CEE (aujourd’hui de l’UE) ; en effet, les Etats parties au traité considéraient qu’en matière de respect des règles de concurrence au niveau du marché commun, les institutions nationales risquaient de ne pas avoir la neutralité nécessaire dans des situations opposant une entreprise nationale et celle d’un autre Etat membre. Ils ont donc décidé de confier en ce domaine des compétences exécutives directes à la Commission européenne (art. 89 du Traité de Rome instituant la CEE ; voir aujourd’hui l’art. 105 TFUE).
33 Voir Esposito (F.) et Levrat (N.), op.cit.
34 La « théorie de l’intégration européenne » s’est beaucoup développée autour de l’école néo-fonctionnaliste des relations internationales, et notamment les écrits de Ernst Haas. Voir notamment, Haas (E.), The uniting of Europe: political, social, and economic forces, 1950-1957. Library of World Affairs Series, no. 42. Stanford, California, Stanford University Press, 1958.
35 Bien que les principales jurisprudences progressistes de la Cour datent des années 1960, la doctrine juridique ne soulignera le rôle central du droit dans la réalisation des objectifs de l’intégration européenne qu’au début des années 1990, et en regardant le processus depuis l’autre côté de l’Atlantique. Ainsi les articles fondateurs de ce constat sont signés par des spécialistes du droit communautaire, mais professant dans des institutions nord-américaines ; Weiler (J.), « The transformation of Europe », The Yale Law Journal, Vol. 100, 1991, pp. 2403-2483 ; Burley (A.-M.) et Mattli (W.), « Europe Before the Court : A Theory of Legal Integration », International Organization, 47.1, 1993, pp. 41-76 ; et encore une fois Joseph Weiler, « A Quiet Revolution – The European Court of Justice and its Interlocutors », Comparative Political Studies, vol. 26, 1994, pp. 510-534. Le moment de ce constat est paradoxal, dans la mesure où comme nous allons le montrer (voir la partie 2 ci-dessous), c’est à partir du Traité de Maastricht (1991-1993) que cette prééminence et ce rôle central du droit vont être remis en cause.
36 Le gouvernement belge argumente notamment : « Il s'agit là typiquement d'une question de droit constitutionnel interne, qui ne ressortit nullement à l'interprétation d'un article du traité C.E.E. et qui, ne pouvant être résolue que selon les normes constitutionnelles et jurisprudentielles du droit interne néerlandais, relève du seul juge néerlandais. » (Recueil 1963, p. 13).
37 L’art. 252 al. 2 TFUE se lit comme suit : « L'avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l'Union européenne, requièrent son intervention. »
38 Arrêt Van Gend & Loos, cité note 18.
39 Ibid.
40 Aujourd’hui articles 258 et 259 TFUE, relatifs au recours en responsabilité contre un Etat membre pour non-exécution de ses engagements découlant du traité ou du droit dérivé.
41 Arrêt Van Gend & Loos, cité note 18.
42 Toujours dans le même arrêt, la Cour souligne « que l'objectif du traité C.E.E. qui est d'instituer un marché commun dont le fonctionnement concerne directement les justiciables de la Communauté, implique que ce traité constitue plus qu'un accord qui ne créerait que des obligations mutuelles entre les États contractants;” Ibid.
43 Art. 31 de la Loi fondamentale de la RFA.
44 Arrêt Costa, cité supra note 20, Recueil, p. 1159.
45 Ibid., p. 1160.
46 Art. 260 TFUE.
47 Voir Scharpf (F.), Governing in Europe: Effective and democratic?. Oxford University Press, 1999, notamment le Chapitre 2 qui examine l’utilisation stratégique par la Commission européenne de condamnations ciblées de certains Etats européens en vue de modifier leur vote dans le cadre du processus de libéralisation du secteur des télécommunications.
48 Arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal c. Administration des finances de l’Etat, 106/77, considérant 21.
49 La Cour de préciser « qu'au surplus, en vertu du principe de la primauté du droit communautaire, les dispositions du traité et les actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres, non seulement de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale existante, mais encore — en tant que ces dispositions et actes font partie intégrante, avec rang de priorité, de l'ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des États membres — d'empêcher la formation valable de nouveaux actes législatifs nationaux dans la mesure où ils seraient incompatibles avec des normes communautaires;” (arrêt Simmenthal, cité note 45, cons. 17).
50 Recueil 1978, p. 635. Le pluriel dans la dernière phrase se justifie parce que la suite de la phrase mentionne aussi les principes d’application uniforme et d’effet direct.
51 Bien que le mécanisme de la question préjudicielle (actuellement art. 267 TFUE) fasse obligation aux juridictions nationales « dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours de droit interne » de poser une telle question, alors que les juridictions de rang inférieur n’en n’ont que l’opportunité, la pratique a montré une grande résistance des juridictions supérieures à dialoguer avec le CJE. Ainsi en Allemagne – membre des communautés européennes depuis 1952 – il faudra attendre 2016 pour que la Cour constitutionnelle pose pour la première fois une question préjudicielle !
52 Par le mécanisme de la question préjudicielle, l’ordre juridique communautaire et l’ordre juridique national sont connectés dans un système juridictionnel unique. Bien que les ordres normatifs demeurent distincts, le mécanisme juridictionnel de mise en œuvre devient unique. Ainsi naît un système juridictionnel intégré, qui ne fait pas qu’articuler deux ordres juridiques distincts, mais les met en contact par une large zone au sein de laquelle on peut observer un métissage des normes et procédures, dans lequel il devient impossible de distinguer ce qui relève de l’ordre juridique national et ce qui est communautaire. Voir sur ces questions et les réflexions qu’elles suscite, notre contribution (avec Raducu (I.)) de 2007, citée supra note 27.
53 Par leur titre, Ronse (T.) et Waelbroeck (D.), pourraient laisser croire à un désaccord; mais le détail de leur argument rejoint ma démonstration. Voir « La Cour de justice, juridiction suprême », in Magnette (P.) et Remacle (E.) (eds), Le nouveau modèle européen. Institutions et gouvernance, Éditions de l'ULB, Bruxelles, 2000, pp. 89-103.
54 Seules les juridictions nationales « dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne » sont tenues de saisir la CJE d’une question préjudicielle. Pour les autres juridictions, ce n’est qu’une possibilité offerte par le Traité (art. 267 TFUE). Paradoxalement, les juridictions de dernier ressort ne posent que très rarement des questions préjudicielles à la CJE, alors que les juridictions inférieures recourent fréquemment à ce mécanisme.
55 Voir pour des éléments d’une telle pratique, Raducu (I.), Le système juridictionnel de l'Union européenne en tant qu'interface entre ordres juridiques dans un modèle d'intégration pluridimensionnelle. Thèse, 2009, Université de Genève et Niang (F.), De la fonction fédérative du juge de l’Union de droit commun. Université de Genève. Thèse, 2012. https://archive-ouverte.unige.ch/unige:21458.
56 Jurisprudence de 2002 déjà citée supra note 24, UPA c. Conseil.
57 Ce que la Cour de Justice affirme dès son arrêt fondateur de 1963 (voir ci-dessus note 18) en ces termes : « le droit communautaire, indépendant de la législation des États membres, de même qu'il crée des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique. »
58 Actuellement, cette procédure est prévue par l’article 263 TFUE.
59 Jurisprudence constante depuis l’arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann c. Commission, aff. 25-62.
60 Face à la surcharge que connaît la Cour de Justice, l’Acte unique européen (1987) autorise les Etats membres à instituer, si le besoin s’en fait ressentir, un Tribunal de première instance, lequel connaîtra des affaires portés par les particuliers devant la juridiction communautaire. Il s’agit donc d’un premier niveau de juridiction communautaire, contre les décisions duquel des pourvois peuvent, le cas échéant, être formés devant la Cour de Justice à proprement parler (cf. art. 11 de l’Acte unique européen, lequel devient l’art. 168A du TCEE). Aujourd’hui le Tribunal est défini aux articles 19 TUE, ainsi que 254 et 256 TFUE.
61 Arrêt du Tribunal (1ère chambre élargie) du 3 mai 2002, Jego-Quéré c. Commission, aff. T-177/01.
62 Arrêt du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores c. Conseil, aff. C-50/00 P. Bien qu’il ne s’agisse aucunement de la même affaire, les questions relatives à la recevabilité du recours en annulation étaient les mêmes. La Cour répond donc indirectement au Tribunal, moins de 3 mois après l’ouverture que celui-ci proposait d’effectuer.
63 Voir les termes de l’art. 267 TFUE qui permettent au juge national de soulever tant une question d’interprétation que de validité du droit dérivé.
64 Voir pour des développements substantiels sur cette mécanique particulière les deux thèses citées supra note 50.
65 Voir Raducu (I.) et Levrat (N.), op.cit. et Esposito (F.) et Levrat (N.), op.cit..
66 Les actes obligatoires du droit dérivé de l’UE sont divisés entre décisions, règlements et directives (voir 288 TFUE).
67 Voir supra note 54 l’arrêt Plaumann.
68 Art. 263 al. 4 TFUE.
69 Voir la très subtile décision du 19 novembre 1991, Andrea Francovich et Danila Bonifaci et autres contre République italienne, C-6/90 et C-9/90.
70 Voir la Lithographie de Maurits Cornelius ESCHER intitulé « Drawing Hands » (1948), sur laquelle on voit deux mains en train de se dessiner l’une l’autre.
71 Voir Raducu (I.) et Levrat (N.) op.cit. note 27, pour la définition et l’utilisation de ce concept dans les relations entre le droit de l’UE et les droits nationaux.
72 Voir la référence à Levrat note 1.
73 Voir JOCE du 29 Juillet 1992, N° C 191/4.
74 L’article 1 § 3 du TUE tel que révisé par le Traité de Lisbonne stipule sans ambigüité : « L’Union se substitue et succède à la Communauté européenne. » Signalons qu’en 2002, le traité de Paris qui avait institué la CECA en 1952 et qui avait été conclu pour une durée de cinquante ans, a expiré et qu’en conséquence, la CECA n’existe formellement plus depuis juillet 2002. La CEEA (Euratom) continue pour sa part une existence discrète (presque clandestine), en marge de l’UE (les deux protocoles au Traité de Lisbonne qui modifient le Traité instituant la CEEA, laquelle partage toujours ses institutions avec l’UE, sont ignorés – même pas mentionnés !!! – dans la plupart des ouvrages sur l’UE…). Par ailleurs, la communauté académique des spécialistes du droit de l’UE continue de se référer principalement au droit communautaire, comme s’il avait survécu à la disparition – politiquement assumée – de la CE. Cela ne contribue pas à la consolidation de l’édifice juridique.
75 Voir Besson (S.) et Levrat (N.) (eds), (Dés) ordres juridiques européens / European Legal (dis)orders,, Schulthess-Bruylant-LGDJ, (coll. Fondements du droit européen), 2012, 283 p.
76 Au sens mécanique et non ludique du terme.
77 Traité de Maastricht, art. A, JOCE du 29 juillet 1992, N° C 191/4.
78 L’article C du Traité sur l’Union européenne précise : « L'Union dispose d'un cadre institutionnel unique qui assure la cohérence et la continuité des actions menées en vue d'atteindre ses objectifs, tout en respectant et en développant l'acquis communautaire”.
79 Il existe aussi une exception relative à la dimension extérieure du 3e pilier En effet et malgré l’exclusion générale de la compétence de la Cour pour les 2e et 3e piliers, l’art. L TUE indique que la compétence de la Cour s’étend au « troisième alinéa de l'article K.3 paragraphe 2 point c); ».
80 Voir p. ex. Maurice Croisat (M.) et Quermonne (J.-L.), L'Europe et le fédéralisme: contribution à l'émergence d'un fédéralisme intergouvernemental, Montchrestien, 1996, qui reprend la plupart des arguments et propose une vision d’un saut fédéraliste suite au traité de Maastricht.
81 Contrairement à l’utilisation « ludique » à laquelle faisait référence le jeu des juges avec le droit, la présente référence au terme de jeu provient ici du champ de la mécanique. Ainsi selon le Petit Robert, le terme « jeu » peut signifier un « espace ménagé pour la course d’un organe, le mouvement aisé d’un objet », mais aussi par extension un « défaut de serrage, d’articulation entre deux pièces d’un mécanisme. »
82 Notons-le, ces décisions de la CJE sont rendues alors que le texte du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, qui devait étendre la compétence de la Cour à l’ensemble du droit de l’Union, était déjà connu.
83 Cet article de l’ancien TCE est équivalent par son contenu à l’actuel art. 19 § 1 TUE, si ce n’est qu’il impose à la CJE de garantir le respect du droit dans l’application que du TCE, et non du TUE de l’époque.
84 Voir sur ces développements la thèse de Bachoué-Pedrouzo (G.), Le contrôle juridictionnel de la coopération intergouvernementale dans l'Union européenne. Contribution au processus de juridictionnalisation de l’Union. 2012. Thèse de doctorat. Pau.
85 Arrêt du 28 mars 2017, Rosneft Oil Company c. Her Majesty’s Treasury e. a., aff. C-72/15.
86 Que l’article 6 § 1 TUE rend obligatoire puisqu’il précise à propos de cette Charte qui a été reçue par le Conseil européen le 7 décembre 2000, qu’elle « a la même valeur juridique que les traités. »
87 Arrêt Rosneft cité note 76, dispositif.
88 Pour la petite histoire, la CJE ne donne pas raison sur le fond à Rosneft, et donc ne fait qu’établir le principe de son contrôle.
89 La particularité constitutive du fédéralisme est que l’acte fondateur de la Fédération est un pacte (foedus) entre plusieurs corps constituant souverains, et non l’acte d’un seul fondateur d’un seul « peuple ».
90 Les 25 Etats membres ont mandaté fin 2001 une Convention (sorte de constituante associant toutes les forces politiques des Etats membres et des candidats déclarés) de laquelle est issu un Traité établissant une Constitution pour l’Europe. Ce traité a été signé à Rome le 29 octobre 2004. Pour entrer en vigueur, il nécessitait une ratification « selon leurs procédures constitutionnelles respectives » par tous les Etats membres. Le 30 mai et 2 juin 2005, les citoyens français et néerlandais ont rejeté ce traité. Après quelques années de flottement sur l’attitude à suivre (il est arrivé que l’on demande à des Etats membres (p. ex. Danemark 1992, Irlande 2002, 2009) de voter une nouvelle fois, les 27 Etats membres réunis à Berlin pour célébrer les 50 ans du Traité de Rome le 25 mars 2007 ont abandonné le projet constitutionnel.
91 Conclusions de la Présidence du Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000, § 5.
92 Voir notamment l’analyse de l’arrêt Pringle ci-après au point 2.2.2.
93 Conclusions de la Présidence du Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000, § 1.
94 Ibid., § 2. De même, l’Union européenne ne dispose, ni en 2000, ni aujourd’hui, d’une compétence attribuée par les traités en matière de réformes des systèmes de sécurité sociales ou d’éducations, tous deux de compétence nationale.
95 Dès le Traité de Rome instituant la CEE en 1957, le Conseil se voit confier la mission de corrdonner les politiques économiques des Etats membres (art. 145 TCEE). Avec la perspective de l’Union économique et monétaire, cette coordination est renforcée et « formalisée », donnant lieu à l’adoption des GOPE, sur la base desquelles le Conseil adopte des recommandations à l’attention des Etats membres (rappelons que les « recommandations » sont des actes juridiques mentionnés à l’art. 288 TFUE, lequel précise que celles-ci « ne lient pas » les Etats membres. Le processus et maintenant repris et décrit à l’art. 121 § 2 TFUE.
96 Le Traité d’Amsterdam (adopté en 1997 peu après l’élection de gouvernements de gauche en France et au Royaume-Uni inclut un titre sur l’emploi (actuellement titre IX de la partie III du TFUE (arts 145 à 150). Bien que l’emploi demeure une compétence nationale, les Etats membres s’engagent à coordonner leurs politiques en la matière. Le Conseil européens de Luxembourg (20-21 novembre 1997) prévoit l’adoption de « lignes directrices » par le Conseil en matière d’emploi. Le Conseil européen de Cardiff (15-16 juin 1998) prévoit un mécanisme de coordination des fonds structurels en faveur d’un soutien aux politiques nationales de l’emploi. Le Conseil européen de Cologne (3-4 juin 1999) instaure un « pacte européen pour l’emploi ». Des mécanismes de « reporting » et de « benchmarking », qui seront repris pour formaliser la MOC, ont été développés par ces trois processus.
97 Conclusions de la Présidence du Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000, §§ 35 et 36.
98 Par ailleurs, en vertu de l’art. 155 TCEE (aujourd’hui 17 § 1 TUE), la Commission est instituée en « gardienne des traités » ; ce qui paraît une mission incompatible avec son rôle dans le développement de la MOC.
99 Selon le § 37 de ces conclusions de Lisbonne : « La mise en œuvre de l'objectif stratégique sera facilitée par le recours à une nouvelle méthode ouverte de coordination permettant de diffuser les meilleures pratiques et d'assurer une plus grande convergence au regard des principaux objectifs de l'UE. Conçue pour aider les États membres à développer progressivement leurs propres politiques, cette méthode consiste à :
100 Conclusions de la Présidence du Conseil européen de Lisbonne des 23 et 24 mars 200, §,38.
101 Voir pour ce caractère a-juridique et une possible stratégie pour une solution, Frydman (B.), « From Accuracy to Accountability : Subjecting Global Indicators to the Rule of Law », 2018 ; consultable sur le site www.hrintegration.be/.
102 Voir notamment, Frydman (B.), Les transformations du droit moderne, E. Story-Scientia, 1999 ; Frydman (B.) et Van Waeyenberge (A.) (eds), Gouverner par les standards et les indicateurs: De Hume au rankings, Primento, 2013 ; ou encore Benyekhlef (K.) (ed.). Vers un droit global?. Les Éditions Thémis, 2016.
103 La présente section restera très sommaire, une contribution de Francis Maquil dans le même numéro intitulée « du jeu dans les normes au jeu de la gouvernance de la zone Euro » traitant de manière détaillée la problématique ici seulement esquissée.
104 La Banque centrale européenne (BCE) et le système européen des Banques centrales (SEBC) ne seront mis en place qu’avec la 2e phase de l’UEM, et opérationnelles qu’au début de la 3e (le passage à l’Euro).
105 C’est dans des entretiens donnés à la presse après la fin de son mandat de Premier Ministre (oct. 1991-oct. 1994) que Carl Bildt a révélé l’existence d’un tel accord informel et non écrit. Dans les faits, l’observateur peut constater que bien que la Suède remplisse les critères énoncés à l’art. 140 § 1 TFUE pour que le Conseil mette fin à la dérogation dont elle fait l’objet (et donc contraigne la Suède à adopter l’Euro) conformément aux termes clairs de l’art. 140 § 2 TFUE, aucune proposition de la Commission visant à ce qu’une décision du Conseil relative à la Suède puisse être adoptée n’a pas encore été formulée…!
106 Il s’agit actuellement de la Bulgarie, de la Croatie, de la Hongrie, de la Pologne, de la République tchèque et de la Roumanie.
107 Art. 104 C TCE suite au Traité de Maastricht.
108 Protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs. Il figure toujours comme Protocole n° 12, avec le même intitulé suite au Traité de Lisbonne. EN vertu de l’art. 51 TUE, les Protocoles ont la même valeur juridique que les Traités.
109 Conclusions du Conseil (ECOFIN) du 25 novembre 2003, § 5.
110 Arrêt du 13 juillet 2004, Commission c. Conseil, aff. C-27-04.
111 Un parlementaire irlandais, M. Pringle, a saisi les juridictions irlandaises pour contester la validité des actions de son gouvernement au regard de cette modification des traités et de la signature par l’Irlande d’un traité établissant un Mécanisme européen de stabilité (Traité MES du 2 février 2012) au regard du droit de l’UE. Débouté en 1ère instance, son pourvoi devant la Cour suprême irlandaise a conduit celle-ci à poser une série de questions préjudicielles à la CJE, laquelle a rendu un arrêt circonvolutionné le 27 novembre 2012 ne constatant pas de violation du droit de l’UE, ni dans la procédure de modification du TFUE selon 48 § 6 TUE, ni dans la conclusion du Traité MES. Voir CJE, arrêt du 27 novembre 2012, Thomas Pringle vs. Government of Ireland, aff. C-370/12.
112 Traité de Bruxelles du 2 février 2012 « établissent le Mécanisme européen de stabilité », et Traité de Bruxelles du 2 mars 2012 « sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire ». Ces deux traités ne sont pas publiés au Journal officiel de l’UE, puisqu’ils se situent juridiquement hors de l’ordre juridique de l’UE.
113 Art. 3 § 1 lit. c TFUE
114 Art. 2 § 3 TFUE.
115 C’est ce que nous explique la Cour dans l’arrêt Pringle, cité supra note 100.
116 Le Royaume-Uni et la République tchèque ayant refusé d’approuver ce texte dans le cadre de l’UE, les dirigeants européens dans l’urgence décident d’adopter ces dispositions sous la forme d’un traité international (formellement hors du droit de l’UE), dont les dispositions concernent principalement les Etats membres de la zone Euro (voir article 1 § 2 et 14 de ce traité). La Croatie (28e Etat membre) n’était pas encore membre de l’UE.
117 L’art. 8 TSCG prévoit qu’une ou plusieurs parties contractantes peuvent saisir la CJE (conformément à l’art. 273 TFUE) pour le seul contrôle du respect des obligations de mise en place de mécanismes nationaux de contrôle budgétaire tels qu’énoncés à l’art. 3 § 2 TSCG.
118 L’art. 126 TFUE correspond à l’ancien article 104 TCE.
119 En particulier, le Président français élu en 2017 (Emmanuel Macron) voudrait depuis son accession à la tête de l’Etat français constituer un noyau dur autour des Etats membres de la zone Euro, notamment en dotant celle-ci de son propre Parlement.
120 Voir les termes de l’art. 3 TSCG.
121 C’eût donc dû être avant le 1er janvier 2018.
122 Proposition de Directive du Conseil établissant des dispositions en vue du renforcement de la responsabilité budgétaire et de l’orientation budgétaire à moyen terme dans les États membres, COM(2017) 824 final du 6 décembre 2017.
123 Sur la base juridique de l’art. 126 § 14, 2e alinéa TFUE selon la Commission. Une référence au 3e alinéa nous paraîtrait plus appropriée, la directive n’ayant pas vocation à remplacer le protocole n° 12, selon ses propres termes.
124 Art. 13 § 2 TUE.
125 Rappelons l’art. 5 § 2 TUE selon lequel « en vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les Etats membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. »
126 Ce qui par exemple avait été fait par le Traité d’Amsterdam pour intégrer dans le cadre communautaire les traités de Schengen et Dublin.
127 Pour les lecteurs qui ne seraient pas férus d’échec, la situation de pat contraint d’arrêter la partie, aucun des joueurs n’étant plus en mesure de gagner (mais personne ne perd).
128 L’art. 17 § 7 TUE précise que le Conseil européen, « en tenant compte des élections au Parlement européen », propose un candidat à la Présidence de la Commission au PE, lequel doit ensuite l’élire » à la majorité des membres qui le composent. » Au vu de la situation politique dans de nombreux Etats européens, une telle issue n’est hélas pas à exclure.
129 Rappelons que l’unanimité des Etats membres est requise pour modifier les Traités au fondement de l’Union.
130 Voir dans cette perspective les travaux de Benoît Frydman, notamment «Comment penser le droit global? ». La science du droit dans la globalisation, 2012, vol. 2012, p. 17-48 ; et Les transformations du droit moderne. E. Story-Scientia, Bruxelles, 1999.
131 Art. 1er al. 2 TUE.