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CONCLUSIONS
1Au cours de ces derniers mois, la principale préoccupation des Congolais semble être la tenue des élections libres, démocratiques et transparentes. Il s’agira des premières élections, depuis celles de 1960. Avant d’atteindre à cet objectif, l’une des questions à se poser est de savoir quel bilan on peut faire de ce qui a été fait et de ce qui reste à accomplir pour achever la délicate période de transition.
2Nous pouvons utiliser l’image de l’escalier à construire. On comprend que les marches inférieures doivent être posées pour soutenir les marches supérieures. Nous pouvons représenter en noir les cases indiquant le pourcentage de travail déjà réalisé et en grisé les cases montrant le travail encore à réaliser. Dans l’état actuel du processus de transition, nous pouvons donc considérer que certaines marches ont été posées tandis que d’autres attendent encore la main de l’ouvrier. L’image des marches d’escalier permet de visualiser aussi le fait que chaque étape de la transition ne peut intervenir qu’après le début du travail de l’étage inférieur.
3Passons en revue les différents niveaux de travail à réaliser et tentons de mesurer le travail déjà fait.
4Le soubassement de tout système politique est la sécurisation et l’organisation militaro-policière. Où en est-on en République Démocratique du Congo à l’heure actuelle ?
5Si on part de la signature des accords de Lusaka dans un pays déchiré par les armées intérieures et extérieures, puis à la mise en place des institutions de la transition comme outil de pacification, on peut estimer que la situation de non-guerre entre les ex-belligérants représente déjà une avancée importante, représentant 20 % du travail à accomplir pour réaliser l’ensemble de la transition. Mais, la violence sévit toujours dans certaines régions de l’Est du pays. Les tensions politiques restent, bien entendu. La méfiance est toujours présente mais on n’utilise pas le recours à la force en premier. Lors du séminaire interinstitutionnel organisé à Kinshasa en février 2005, le ministre de la Défense avait projeté pour fin octobre le brassage de quelques 120 000 hommes, indispensables pour sécuriser non seulement le territoire mais également, toutes les opérations du processus électoral. Le travail réalisé dans le cadre du programme de désarmement, démobilisation, réintégration et réinsertion est difficile, profond et continu. Ce travail, on le sait, se fait parallèlement au travail de brassage de l’armée. Double objectif donc : sélectionner les soldats compétents pour les brasser dans l’armée et permettre aux surnuméraires de trouver un autre métier que celui de guerrier ou de bandit de grand chemin. Une part de ce travail a déjà été effectuée mais le brassage avance lentement à cause de la méfiance des ex-belligérants qui renâclent à démobiliser leurs soldats les plus performants. Les centres de brassage reçoivent souvent des jeunes recrues au lieu des anciens combattants. Par ailleurs, Amnesty international1 a stigmatisé l’autorité politico-administrative de la province du Nord-Kivu qui continue à entretenir une milice forte de 10 000 hommes lourdement armés. Plusieurs mouvements rebelles ougandais et rwandais restent actifs dans cette partie du pays et contribuent à l’insécuriser davantage encore. En conclusion, six brigades de 3200 hommes chacune ont déjà été brassées. La sécurisation n’est donc qu’à moitié réalisée. Les foyers de tensions militaires entretenues dans l’Est du pays, particulièrement dans les Provinces du Kivu, au Nord-Katanga et en province orientale constituent une menace qui pourrait faire déraper le processus électoral. Les forces brassées et intégrées ne sont pas encore en mesure de sécuriser l’ensemble du territoire national. Or, les marches supérieures ne peuvent être posées qu’après les premières phases de sécurisation. À l’heure actuelle, la Mission des Nations Unies au Congo (MONUC) assure le complément de sécurité minimale mais le niveau de sécurisation ne permet pas d’organiser des élections. Le niveau minimal de sécurité pour les élections doit en effet permettre de contrer une éventuelle tentative de coup d’État de la part d’acteurs politiques qui s’estimeraient lésés par les résultats des urnes.
6Le financement, quant à lui, est assuré par l’État congolais et par les pays donateurs. On sait que sur l’ensemble des quelques 400 millions de dollars nécessaires pour organiser les élections, y compris la sécurité des bureaux de vote et la logistique, il manque encore plusieurs dizaines de millions de dollars. Cette marche est donc, proportionnellement, plus avancée que la marche «sécurité». Cependant, le budget de l’État voté pour 2005 est basé sur un manque d’indépendance de la République Démocratique du Congo puisque près de la moitié des recettes provient de l’aide internationale. Le pays aura donc fort à faire, dans la gestion de la fin de la transition pour retrouver un équilibre économique et budgétaire. Concrètement, le budget électoral proprement dit a été évalué à 285 millions US$. De ces 285 millions, une partie conséquente a été promise : 21 millions devraient venir de fonds propres du gouvernement congolais, 8 millions d’appui budgétaire de la France explicitement destiné au processus électoral, et 200 millions du Fonds d’Appui au Processus Électoral au Congo, APEC en sigle, géré par le PNUD.
7De plus, deux autres budgets interviennent dans l’organisation des élections au sens large : l’un pour la logistique, l’autre pour la sécurisation des opérations. Le coût de la logistique est évalué à 103 millions, qui proviennent d’une augmentation pour ce faire du budget de la MONUC. Le coût de la sécurisation des opérations est quant à lui estimé à 43 millions US$, dont 24 millions, soit plus de la moitié, ont d’ores et déjà été trouvés. 11,5 millions US$ ont été promis par la Commission européenne, 2,5 millions US$ des Pays-Bas et 8 millions US$ de la Grande-Bretagne.
8En conclusion, au fur et à mesure des progrès dans le processus de préparation des élections, il semble garanti que les fonds nécessaires seront trouvés. Ainsi, on peut donc estimer que cinq sixièmes de la marche est posée et ce dernier effort doit être possible.
9Le fonctionnement des institutions s’avère à l’heure actuelle difficile, demandant encore la médiation de l’aide internationale. L’espace présidentiel, cet assemblage «4+1» composé de dirigeants à juste titre méfiants les uns vis-à-vis des autres fonctionne malgré tout. Le gouvernement se trouve dans la même situation de méfiance généralisée. Cependant, il ne faut pas oublier qu’à force de travailler ensemble, les risques de reprise de la guerre diminuent puisque les institutions reprennent leur poids et que l’avantage comparatif du recours aux armes s’éloigne avec la démobilisation même partielle et la pression constante de la MONUC et du Comité international d’Aide à la Transition. Autre facteur de fonctionnement des institutions : la pression populaire. Cette pression s’accompagne d’une montée de la tension sociale. En effet, en février 2004, suite aux revendications salariales des agents de la fonction publique, le gouvernement congolais avait conclu un accord relatif au barème salarial du personnel de l’administration publique. N’ayant jamais connu le moindre début d’exécution, le climat social s’est tendu à la suite des grèves des enseignants, rapidement suivie par celle des fonctionnaires. Depuis le mois de septembre 2005, toute l’administration publique est à l’arrêt. L’intervention en ordre dispersé des principaux responsables politiques n’a toujours permis de résoudre la crise sociale. La grève se poursuivant, risque de faire déclarer l’année scolaire 2005-2006, année blanche, et contribue à faire monter la tension sociale. De plus, la répartition des mandats dans les entreprises publiques entre les différentes composantes à six mois de l’échéance de la période de transition est analysée par les différents éditoriaux kinois comme une nouvelle illustration de la «politique du ventre» des dirigeants congolais. Ce qui alourdit encore plus le climat social. On peut ici utiliser une autre image : celle de l’étau qui fait pression sur le système politique congolais pour qu’il fonctionne. Les deux mâchoires de cet étau sont constituées de la communauté internationale d’une part et, d’autre part, du peuple congolais qui souhaite ardemment arriver aux élections. Le fonctionnement institutionnel fait sentir cette pression de façon permanente. On peut estimer ici que les trois cinquièmes de cette marche ont été posés.
10La législation concernant les élections est lente à se mettre en place. Mais le Sénat et l’Assemblée nationale, après les premiers mois de tâtonnements, de recherche de consensus sur les modalités de gestion des conflits internes, produisent maintenant des lois à un rythme de plus en plus rapide. Il reste l’adoption du projet de Constitution par référendum. La loi sur l’amnistie et la loi électorale doivent encore être votées. L’examen de chacun de ces textes prend plusieurs semaines devant chacune des assemblées. Il ne sert à rien de discuter de la loi électorale tant que la Constitution n’est pas adoptée par référendum. La loi sur la nationalité, la loi sur l’enrôlement et l’identification des électeurs ainsi que la loi référendaire ayant déjà été adoptées, on peut considérer que la moitié du travail législatif est accompli.
11On sait que le travail d’enrôlement et d’identification des électeurs prendra plusieurs mois. Débuté au mois de juin, l’enrôlement est en cours sur toute l’étendue de la République Démocratique du Congo. Il est pratiquement fini dans certaines provinces comme la ville-province de Kinshasa et le Bas-Congo où plus de 75 % d’électeurs sont enregistrés. Si, l’opération s’est bien déroulée dans ces deux provinces, il en va tout autrement dans le reste du pays. De problèmes logistiques comme le mauvais état des routes, l’absence de moyens de transport ont retardé le processus. Par ailleurs, selon, le Haut commissariat pour les réfugiés (HCR), il y a un total de 377 510 réfugiés congolais se trouvent dans neuf pays d’asile limitrophes de la RDC : Angola (12 958), Burundi (30 000), République centrafricaine (4600), République du Congo (56 452), Rwanda (39 500), Soudan (1500), Tanzanie (152 000), Ouganda (14 000) et Zambie (66 000) qui désirent rentrer pour se faire enrôler. La loi telle que votée ne prévoit pas d’enrôler les Congolais vivant à l’étranger d’où la crainte de réfugiés d’être privés de ce droit fondamental.
12Fin novembre, plus de 23,5 millions d’électeurs sont enregistrés. Ce qui constitue une performance si l’on en tient du contexte dans lequel l’enrôlement se déroule2.
13Les deux derniers étages de notre escalier représentent le dépôt des listes et les élections elles-mêmes. Elles ne pourront être abordées que si les marches précédentes sont complètes et solides. Actuellement, il est bien entendu impossible de prévoir à quel moment précis on pourra y travailler si on souhaite que l’escalier soit solide.
14Avance-t-on vers les élections ? Oui, certainement mais les étapes restant à franchir sont peut-être cruciales car pouvant empêcher de rendre la tenue des élections irréversible.
15Novembre 2005
Notes
Pour citer cet article
A propos de : Dr Bob Kabamba et Dr Pierre Verjans
Chargés de cours adjoints à l’Université de Liège