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Fédéralisme et extrême droite au Royaume-Uni
Table des matières
Introduction
1Dans la présente contribution, nous allons explorer et analyser le discours de l’extrême droite au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Plus précisément, nous allons nous focaliser sur les enjeux liés à la décentralisation, au régionalisme et au fédéralisme à l’intérieur du Royaume, lorsque ces processus existent, et à l’extérieur, en nous penchant sur la position du Royaume-Uni vis-à-vis de l’Union européenne.
2Nous commencerons par resituer les enjeux liés à l’Union européenne dans le cadre très particulier du Royaume-Uni, et de la position de ses gouvernements successifs sur le plan international et diplomatique vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Union européenne. Nous nous pencherons plus particulièrement sur la position des principaux partis politiques en la matière (le Labour, les Conservateurs et les Libéraux-démocrates1). Ces quelques paragraphes sur ce qu’il conviendra d’appeler l’awkward partner2, ce partenaire réputé embarrassant, difficile et délicat depuis le début de son adhésion en tant que membre aux Communautés européennes en 1973 (George, 1998, 1 ; Rosamond, 2002, 197), nous permettront de mieux comprendre la perception des enjeux européens au Royaume-Uni dans l’opinion publique et dans le discours des partis politiques.
3Nous réaliserons ensuite un historique de l’existence et de la présence électorale de l’extrême droite au Royaume-Uni depuis le début des années quatre-vingt, date charnière pour cette dernière, ainsi qu’un état des lieux de la question dans la Grande-Bretagne contemporaine au niveau national et au niveau local. Nous verrons alors rapidement que pour plusieurs raisons seul le British National Party (le BNP) représente un intérêt pour notre propos. D’abord, le BNP est le seul parti à avoir véritablement développé la question européenne dans son programme politique. Ensuite, au niveau des futures échéances électorales, il est probablement le seul à avoir un avenir, même fragile, dans ce domaine. Enfin, il est beaucoup plus important en membres et en électeurs que le seul autre parti un tant soit peu connu, le National Front, dont il est issu et auquel il a pris l’essentiel des cadres, des idées, des membres et des électeurs. L’existence d’un seul parti susceptible d’être intéressant pour notre propos et la faiblesse de ce dernier au niveau électoral expliquent la rareté des travaux sur cette question au Royaume-Uni ces dix dernières années.
4Nous nous pencherons donc essentiellement sur la rhétorique régionaliste et fédéraliste dans le discours et le programme politique du BNP, notamment vis-à-vis de la question de la souveraineté du Royaume-Uni, du coût de l’Union européenne, de la monnaie unique et de la perte d’autonomie en termes de choix économiques, mais aussi par rapport à d’autres questions soulevées par le parti touchant à la justice, à la défense et à la coopération historique du Royaume-Uni avec les Etats-Unis plutôt que l’Union européenne sur de nombreux aspects de sa politique étrangère.
5En conclusion, nous verrons qu’une des particularités de l’extrême droite au Royaume-Uni est sa relative proximité «idéologique» avec les Conservateurs sur certaines questions traditionnellement propres à l’extrême droite, notamment par rapport à la construction européenne, au régionalisme et à la «devolution3». Cette absence de rupture entre partis traditionnels et extrême droite nous permettra de clôturer la présente contribution en resituant cette spécificité dans le cadre plus général de l’avenir de l’extrême droite au Royaume-Uni.
Le Royaume-Uni et le défi de l’Union européenne
6Souveraineté ou indépendance ! Dès le début des années quatre-vingt, les dossiers importants touchant à la construction européenne perturbent les oppositions classiques gauche vs droite, Etat vs marché, etc. dans le débat politique quotidien au Royaume-Uni. Aux clivages traditionnels s’est ajouté un nouvel axe de conflit opposant d’une part les partisans du maintien ou de la promotion de la souveraineté du Royaume et d’autre part ceux qui à l’inverse demandaient plus d’interdépendance entre ce dernier et le reste du monde, notamment et plus particulièrement vis-à-vis de l’Union européenne. Depuis une vingtaine d’années, les questions européennes ont surtout divisé les partis traditionnels en leur sein plutôt que d’intensifier les conflits et les lignes de démarcation entre ces derniers (Rosamond, 2002, 195).
7Même si de nombreuses personnalités politiques de droite comme de gauche veillent à entretenir auprès de l’opinion l’idée d’une relative indépendance, force est de constater qu’aujourd’hui, le système politique britannique est de plus en plus marqué et conditionné par les décisions prises au sein de l’Union européenne. De plus en plus de politiques publiques et de lois établies et appliquées au Royaume-Uni ne sont dans les faits plus déterminées par des décideurs nationaux mais proviennent directement ou indirectement du processus décisionnel de l’Union européenne. Malgré un pouvoir non négligeable au sein de ce dernier, les politiques que Westminster critique au niveau européen sont souvent malgré tout adoptées et appliquées au niveau national, ce qui témoigne de l’implication profonde du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne (Nugent, 1999, 381).
8Cette intégration bien réelle dans la réalité européenne, au même titre que ses nombreux partenaires, n’a pas empêché au fil des années le développement d’une thèse assez médiatisée dans l’opinion publique de ces derniers : la thèse du «partenaire difficile», de «l’awkward partner». Cette thèse développée autant dans les milieux journalistiques qu’académiques repose sur l’idée que les différents gouvernements britanniques successifs ont eu systématiquement une attitude négative, réservée et peu coopérative vis-à-vis des Communautés européennes depuis que le Royaume-Uni est devenu un Etat-membre en 1973 et que cette attitude traduit dans les faits une continuité avec les négociations diplomatiques d’avant l’entrée du Royaume-Uni dans l’Union européenne (Rosamond, 2002, 197). Continuité dans les négociations bilatérales ou multilatérales (intergouvernementales) qui était censée laisser progressivement la place à une gestion collégiale dans l’esprit communautaire de la future Union européenne.
9Nous pouvons expliquer cette attitude à partir de plusieurs sources de tensions qui, comme nous le verrons plus bas, sont significatives pour comprendre les positions du Labour et des Conservateurs mais aussi de l’extrême droite et plus particulièrement du British National Party sur les questions européennes. Il s’agit d’abord pour le Royaume-Uni d’éviter que ses relations avec l’Union européenne ne nuisent à celles qu’il a développé depuis bien plus longtemps avec ses partenaires du Commonwealth ainsi qu’avec les Etats-Unis. Une des préoccupations majeures du Royaume est de veiller à ce que rien ne menace le fameux axe atlantiste, ce qui ne va pas sans poser de problème au niveau de la construction d’une politique étrangère de défense et de sécurité commune.
10Ensuite, l’engagement progressif dans les différents traités européens ne va pas sans poser un sérieux problème au Royaume au niveau de sa souveraineté nationale. Ce débat existe dans de nombreux pays européens, a fortiori dans la rhétorique des formations politiques dites «nationalistes» ou «souverainiste», mais il a pris depuis longtemps une forme particulière au Royaume-Uni où il est habituel de penser que l’union européenne s’efforce d’élargir son pouvoir dans des domaines qui ne sont pas utiles et désirables. En effet, tant au niveau de l’opinion publique que de la classe politique, nombreux sont ceux qui pensent et s’opposent au fait que l’Union européenne cherche à développer des coopérations dans des domaines qui pourraient rester des prérogatives (Nugent, 1999, 395) nationales, et que de cette façon l’Europe va bien au-delà du principe de proportionnalité selon lequel seules les matières susceptibles de pouvoir être mieux gérées à un niveau de pouvoir supérieur doivent faire l’objet d’un transfert de compétence d’un niveau à un autre, en l’occurrence ici du pouvoir national au Royaume-Uni vers la Commission au sein de l’Union européenne. Nous verrons d’ailleurs plus bas que cette question est exacerbée dans le discours du British National Party.
11Enfin, un troisième point qui suscite un difficile débat sur l’Union européenne se situe au niveau de la contribution financière du Royaume à cette dernière. Nombreux sont les leaders britanniques, tous partis confondus, qui pensent que leur pays a réalisé un mauvais «deal» avec l’Europe sur le plan financier, qu’en tant qu’Etat membre qui n’est pas le plus prospère, le Royaume-Uni n’en est pas moins un des principaux contributeurs (Nugent, 1999, 382-383). Nous verrons également plus loin comment l’extrême droite britannique a réussi à développer une solide propagande sur cette question.
12Sur les trois principaux partis au Royaume-Uni, à côté du Labour et des Conservateurs qui sont depuis toujours divisés sur l’Europe, seuls les Libéraux-démocrates affirment depuis longtemps la nécessité pour leur pays de s’impliquer d’avantage dans l’approfondissement, le renforcement et l’élargissement de l’Union européenne en vue «de solidifier l’économie, de moderniser la démocratie et d’investir dans la sécurité européenne4». Ils critiquent à ce sujet, depuis longtemps également, la timidité des différents gouvernements sur cette question.
Le Labour, les Conservateurs et l’Europe
13Traditionnellement, jusque la fin des années quatre-vingts, les Conservateurs étaient moins réticents sur les questions européennes que l’opposition de l’époque incarnée par le Labour. Cette situation changera en 1988 et les années qui ont suivi lorsque Margaret Thatcher déclare à Bruges : «Ma première préoccupation (pour le futur de l’Europe) est ceci : une coopération active et volontaire entre Etats souverains et indépendants est le meilleur moyen de construire une Communauté européenne avec succès» (Nugent, 1999, 394). Ce discours marquera le début d’une ligne politique stricte où toutes les questions européennes devront être discutées sur une base limitée et intergouvernementale, politique qui sera relayée par John Major, le successeur de Margaret Thatcher.
14Au début des années nonante, le Labour va également changer d’orientation politique sur le plan européen en faisant notamment preuve de plus en plus d’ouverture vis-à-vis de la monnaie unique (Rosamond, 2000, 191 ; Deighton, 2001, 312), sans que cela ne l’empêche pour des raisons électorales d’évoquer également, lorsqu’on lui reproche de mettre en cause la souveraineté du Royaume, une «alliance de nations indépendantes choisissant de coopérer pour réaliser des objectifs qu’elles ne pourraient réaliser seules». Et le manifeste du Labour d’ajouter que les travaillistes «s’opposent à un super-Etat fédéral européen» (Nugent, 1999, 395). Nous retrouvons ici la thématique commune à tout la classe politique britannique qui craint «trop d’Europe sans que cela soit nécessaire».
15Enfin, la différence entre les deux partis traditionnels se marquera davantage lors du scrutin électoral de 1997 (élections générales) où le Labour avec Tony Blair à sa tête se positionnera de façon favorable vis-à-vis du Traité d’Amsterdam, traité vigoureusement critiqué par le leader conservateur William Hague. Tony Blair ira d’ailleurs jusqu’à réaffirmer sa confiance dans la monnaie unique en précisant cependant que le Royaume-Uni n’était pas encore prêt pour un éventuel changement de devise, il marquait ainsi sa différence avec son opposant conservateur très critique à l’égard de l’Euro. Il existe donc depuis quelques années une opposition grandissante entre le Labour et les Conservateurs. Il serait cependant exagéré de parler d’enthousiasme chez les uns et de rejet chez les autres étant donné la persistance de divisions internes sur ces questions (Nugent, 1999, 396), notamment chez les Conservateurs (Deighton, 2001, 307).
L’extrême droite au Royaume-Uni
16Les divisions historiques au sein du Labour et du parti conservateur sur l’Europe ainsi que la différenciation plus marquée et plus récente entre les deux grands partis britanniques depuis les deux dernières échéances électorales sur cette question ont sérieusement contribué à empêcher que les affaires européennes ne deviennent une marque de fabrique spécifiquement propre aux milieux fascistes et d’extrême droite dans le Royaume. En effet, contrairement au voisin français où le rejet catégorique de l’intégration européenne a constitué sans aucun doute un thème propre au Front National de Jean-Marie Le Pen susceptible de le différencier des «autres» (les partis traditionnels acquis à la cause européenne5), l’extrême droite britannique n’a jamais pu détourner l’attention des électeurs sur ces questions qui se posent de la même façon dans l’ensemble de la classe politique britannique. Ce phénomène a probablement contribué à rendre plus difficile les volontés de «respectabilisation» au British National Party qu’au Front national français qui depuis la signature du traité de Maastricht en 1992 jusqu’au élections présidentielles de mai 2002 s’est efforcé de dissimuler la dimension raciste, xénophobe et fascisante de son programme politique au profit de l’image du «dernier rempart» contre la disparition de la France dans l’Europe fédérale, bureaucratique et cosmopolite6.
17De façon plus générale, l’absence de spécificité de l’extrême droite sur l’Europe a sans aucun doute participé à la faiblesse historique de cette dernière au Royaume-Uni, faiblesse que de nombreux analystes interprètent également à partir de la démarche de Margaret Thatcher dès le début des années quatre-vingts. Il revient en effet aux Conservateurs et à l’autorité de cette dernière d’avoir fortement influencé les succès relatifs de l’extrême droite incarnée à l’époque d’abord par le National Front et ensuite par le British National Party7. Margaret Thatcher ne déclarait-elle pas déjà à la fin des années septante, dans la lignée d’Enoch Powell8, «que les conservateurs mettraient en place un contrôle d’immigration très strict car ‘les gens ont vraiment peur que ce pays soit submergé par des individus d’une autre culture’» (Couper et Martuccelli, 1994, 84). Ses discours sur la nation, le Royaume, l’Empire, le libéralisme ferme et autoritaire, la force idéologique et la mobilisation identitaire de ces derniers ont véritablement retiré toutes possibilités aux milieux fascistes et d’extrême droite de l’époque de réaliser une percée électorale significative. En promettant de défendre la majorité britannique blanche contre les revendications des minorités (Solomos, 1993, 81), Margaret Thatcher a réussi à imposer un projet politique cohérent, capable de séduire une grande partie des britanniques, notamment les électeurs qui auraient dans d’autres circonstances été attirés par l’extrême droite (Taguieff, 2002, 117).
18Une troisième explication au relatif succès des milieux radicaux britanniques réside dans le caractère discriminatoire et excluant pour les petites formations du scrutin uninominal majoritaire à un tour en vigueur au Royaume-Uni. Ce système assure un maximum de sièges aux grands partis capables de remporter le plus grand nombre de voix tout en évinçant de la Chambre des communes les petites formations qui n’ont pas déjà une assise électorale solide (Eatwell, 2000, 188 ; Taguieff, 2002, 117).
19Ces faiblesses n’ont pas empêché durant ces vingt dernières années l’émergence de deux partis politiques d’extrême droite qui méritent ici toute notre attention. Il s’agit du National Front, devenu aujourd’hui groupusculaire, et du British National Party qui lui a succédé. Ce dernier étant en définitive le seul parti qui semble avoir un avenir sur la scène politique britannique.
Du National Front au British National Party
20Dans les années soixante, de nombreuses négociations ont lieu entre divers groupuscules fascistes en vue de rassembler et de fédérer l’ensemble des partis, groupes et tendances d’extrême droite au Royaume-Uni au sein d’un seul et unique parti, unifié, qui pourrait faire campagne sur une plate-forme politique commune axée prioritairement sur la lutte contre l’immigration. Le National Front est né9. Dirigé par Martin Webster et John Tyndall, le NF profite déjà en 1972 du thème de l’asile politique pour dénoncer l’asile offert par le gouvernement britannique à près de 30 000 asiatiques chassés de l’Ouganda par Idi Amin Dada. A l’époque également, il propose de maintenir le Royaume-Uni en dehors et indépendant des Communautés européennes et des négociations visant l’intégration de ces dernières. Il est d’ailleurs le seul parti de toute la classe politique à proposer une telle ligne politique à l’époque (Bernstein, 1992, 64).
21Les années septante voit l’ascension lente mais progressive du National Front qui apparaît de plus en plus dans les médias par le biais de ses deux leaders, en raison notamment des débats de plus en plus nombreux sur l’immigration, l’asile politique, le risque d’«invasion», etc. Dès 1977, le National Front devient le quatrième parti au Royaume-Uni, parfois même le troisième dans certaines régions, succès relatifs qui ne dureront que deux ans jusqu’à que le parti fasse l’objet de campagnes de diabolisation de plus en plus nombreuses et efficaces de la part des mouvements antiracistes et antifascistes qui veilleront à retracer publiquement l’origine et le passé controversé des principaux leaders et cadres du parti. La diabolisation combinée à l’arrivée de Margaret Thatcher finira de renvoyer le National Front à un état plus groupusculaire, ses membres et électeurs partant chez les Conservateurs ou vers des groupes encore plus radicaux. Le National Front finit par imploser en quatre petites formations.
22En 1982, John Tyndall fonde le British National Party et parvient à rassembler sous sa bannière nombre de militants et de leaders issus du National Front et d’autres formations extrémistes. Aux législatives de 1983, le parti présente cinquante candidats mais n’obtient que des résultats médiocres, il continue néanmoins une lente progression jusqu’en 1990 où lorsque John Major remplace Margaret Thatcher, de nouveaux espoirs se présentent pour l’extrême droite. Beaucoup d’électeurs cessent alors de soutenir les Conservateurs, accusés d’être trop «mous» sur de nombreux dossiers polémiques comme l’Europe, l’immigration, les demandeurs d’asile, etc. En août 1990, lors des élection locales, le BNP parvient à remporter 12,5 pour cent des voix dans le quartier londonien populaire de Tower Hamlets, succès exceptionnel qui sera de courte durée car deux ans plus tard, en 1992, le BNP présente 17 candidats aux élections nationales et n’obtient en moyenne qu’à peine un pour cent des voix (Ivaldi, 2000, 69). Notons cependant le succès de Dereck Beackon, élu local lors d’une élection partielle dans le secteur de l’Ile aux Chiens dans l’Est de Londres en septembre 1993 (CRIDA, 1994, 68) ainsi que les 1 500 voix récoltées par John Tyndall aux législatives partielles de juin 1994.
23Indépendamment de ces deux scores, les effectifs du BNP seront peu nombreux (2 à 3 000 membres) et son assise électorale mitigée jusqu’aux élections générales de mai 1997 où le parti d’extrême droite présentera 55 candidats, la moitié à Londres et le reste dans les grandes villes du pays, ce nombre était suffisamment élevé pour que ce dernier puisse bénéficier des droits relatifs aux passages à la télévision et aux subsides destinés à financer la campagne électorale (tracts, affiches, etc.) (CRIDA, 1998, 109). Malgré l’appui médiatique et financier, le BNP ne recueillera finalement que 1,35 pour cent des voix dont 3 sièges et 8 500 votes à Londres où le parti s’en sortira un peu moins mal qu’ailleurs, notamment dans certains quartiers situés à l’est de la capitale. Enfin, un peu plus tard lors d’élections partielles, les candidats BNP récolteront entre 0,64 pour cent et 2,9 pour cent des voix à l’exception de Ken Francis qui obtiendra 11,23 pour cent des suffrages dans la section d’Ordnance situé au sein de la circonscription londonienne de Newham (Whine, 1998, 300).
24Ces faibles performances tant au niveau local que national témoignent qu’au fil des années le message du parti n’est pas parvenu à atteindre de nouvelles audiences (Eatwell, 2000, 186). Plus récemment, le BNP a présenté 68 candidats pour 5878 sièges aux élections locales de mai 2002 avec pour résultat un succès relatif dans seulement deux villes, Oldham et Burnley, deux villes secouées par de violentes émeutes «raciales» au printemps 2001 et où le BNP avait présenté 13 candidats. Enfin, lors des élections nationales de juin 2001 (élection des députés à la Chambre des Communes), le BNP n’est parvenu à franchir la barre des 10 pour cent que dans seulement trois circonscriptions sur 65910.
25Les médiocres résultats de l’extrême droite au Royaume-Uni témoignent des effets directs du système de scrutin majoritaire à un tour sur l’émergence de formations politiques plus marginales au sein du paysage politique britannique11. Hormis une série certes non négligeable de succès locaux, parfois liés à une seule personnalité politique, le British National Party n’a jamais réussi à obtenir suffisamment de suffrages pour siéger à la Chambre, obtenir au niveau national une certaine visibilité et constituer de ce fait une menace pour les partis traditionnels.
26L’aile droite du parti conservateur occupe aujourd’hui le créneau anti-européen, la lutte contre la société multiculturelle et les «privilèges» des minorités, lutte qui fit la gloire d’Enoch Powell dans les années septante et de Thatcher dans les années quatre-vingt. Si ces thèmes devaient un jour être mis de côté, l’extrême droite trouverait chez les conservateurs un réservoir inépuisable de cadres, militants et électeurs susceptibles de la rejoindre dans leur lutte contre l’importance croissante des populations originaires du Commonwealth au Royaume-Uni (Camus, 1998, 27).
27Aujourd’hui, le British National Party cherche à se reconstruire une nouvelle identité, plus respectable, moins basée sur le racisme et la xénophobie. Ses principaux leaders ont compris qu’ils ne parviendraient pas à percer électoralement sans reprendre à leurs comptes un ensemble d’idées et de projets politiques plus classiques et plus traditionnels sur la scène politique britannique12.
L’Europe «fédérale» dans le discours du British National Party
28Il n’est pas dans nos objectifs d’étudier en profondeur ce qui permet à de nombreux auteurs de considérer que le British National Party, le National Front et d’autres mouvements politiques, plus groupusculaires, sont des organisations de type fasciste ou d’extrême droite. Nous ne nous pencherons donc pas sur le caractère raciste, xénophobe, antisémite voire néo-nazi de ces derniers13. Nous allons essayer, en revanche, d’analyser comment s’articulent les problématiques fédéralistes et régionalistes dans le discours du British National Party qui comme la plupart de ses homologues européens (Front national français, Ligue du Nord italienne, etc.) développe une rhétorique spécifique à ce sujet, notamment et plus particulièrement sur l’Union européenne, sur les transferts de compétences des niveaux nationaux à la Commission européenne, et sur la monnaie unique.
29Citant Guy Hermet dans la conclusion de son dernier ouvrage consacré au populisme (Taguieff, 2002, 175), Pierre-André Taguieff caractérise comme «populistes» les leaders qui «exploitent, avec succès ou non, l’imaginaire populaire nourri par les idéaux démocratiques, où domine le désir d’abolir la barrière ou la distance, voire toute différence, entre les gouvernés et les gouvernants, entre ceux d’en bas et ceux d’en haut». Les leaders qui «savent ou prétendent répondre au rêve infracivique de voir s’effacer toute distance entre les désirs et leurs réalisations, ou satisfaire l’aspiration (bien sûr «irrationnelle») à l’abolition de toute temporisation, de tout délai, de toute inscription dans la durée, bref, de tout ce à travers quoi se rappelle à nous le principe de réalité» (Taguieff, 2002, 175).
30La définition du populisme d’après Guy Hermet et Pierre-André Taguieff mérite ici toute notre attention. Nous pouvons en effet considérer que dans le discours du British National Party, l’Europe, et plus particulièrement ses multiples institutions dont la Commission européenne, incarne par excellence l’obstacle supplémentaire qui vient interférer entre la population et les mécanismes de prise de décision, entre le «bon peuple» et le pouvoir. Il est question d’un obstacle supplémentaire dans la mesure où il existe déjà aux yeux du BNP de multiples intermédiaires entre les gens et la décision politique au Royaume-Uni : les partis, la bureaucratie, les partenaires sociaux, etc. Les institutions européennes viennent donc aggraver cet état de fait en multipliant les obstructions dénoncées par le BNP qui comme nombre de ses homologues européens cherche à abolir la distance «entre gouvernants et gouvernés».
31L’extrême droite prétend pouvoir écarter les «intermédiaires» au nom d’une mythique société où le peuple pourrait réaliser sa volonté en «temps réel», sans que cette dernière ne soit corrompue, manipulée ou instrumentalisée à des fins individuelles et non collectives. Son discours populiste vise à diaboliser un ensemble d’acteurs désignés comme responsables de tout ce qui ne va pas ou ne fonctionne pas parfaitement dans le processus de décision politique. Cette volonté de nier «la nécessité, reconnue par l’art de la politique, d’inscrire l’action dans une temporalité où rien n’est immédiatement ni simplement réalisable, où les demandes ne peuvent être satisfaites simultanément et instantanément» (Taguieff, 2002, 175), ce phantasme de l’annulation pur et simple du social et du politique, annulation présentée justement comme programme politique, s’affiche de façon radicale dans le discours du British National Party lorsqu’il évoque dans son manifeste les enjeux liés aux élections européennes de 199914.
32L’Europe y est décrite comme la preuve concrète d’une volonté «obscure» d’aliéner davantage le peuple au pouvoir, les gouvernants aux gouvernés. Aux fonctionnaires, aux chambres et aux conseils, aux partis politiques et aux multiples institutions qui organisent la vie du Royaume-Uni, vont s’ajouter «les banquiers non-élus et les bureaucrates de Bruxelles15». L’idée du spécialiste ou du technocrate «non-élu» est un argument récurrent dans la propagande du parti qui s’efforce par ce biais de révéler le déficit démocratique que représente l’ensemble des mécanismes de prise de décision au niveau européen, déficit qui s’ajoute au caractère arbitraire de ces derniers au niveau national, notamment par rapport au mode de scrutin majoritaire qui selon le BNP est un outil destiné à bâillonner la véritable «voix du peuple». Dans le «super-Etat fédéral» de demain au sein duquel le Royaume disparaîtra, le lien maigre et fragile entre le citoyen et le pouvoir sera définitivement rompu.
33Pour échapper à cette logique, les leaders du BNP proposent de contourner les décisions des «bureaucrates sans-visages et des politiciens corrompus16» en s’appuyant au niveau de l’Europe sur le Parlement européen, «ce fragile havre de démocratie noyé dans le totalitarisme de la Commission européenne17» et au niveau national sur le référendum. Celui-ci représente dans le discours de l’extrême droite un moyen efficace pour échapper à la corruption des «intermédiaires» (partis, commissions, syndicats, chambres et conseils, etc.) dont les intérêts «privés et égoïstes» n’ont rien à voir avec ceux du peuple. Le référendum est dans la rhétorique du BNP l’exemple idéal de la démocratie directe dans la mesure où il offre au peuple l’opportunité de proposer directement des lois et de voter directement leur application, sans passer par des représentants comme c’est le cas dans les démocraties représentatives. Le référendum permet de court-circuiter le pouvoir des «élites illégitimes» ou élues dans des conditions inéquitables (scrutin majoritaire à un tour, appui des médias, etc.), il donne l’illusion qu’il est possible de gouverner sans gouvernants, sans pouvoir, qu’il est possible de réaliser la volonté du «peuple» simplement sur base de cette dernière. En ce sens, tel que présenté dans le programme du BNP, le référendum s’inscrit parfaitement dans la logique mythique propre au populisme qui rappelons-le «tend à concilier par son discours ce qui dans la pratique est inconciliable, ou difficilement conciliable» (Wieviorka, 1993, 76).
Souveraineté nationale et construction européenne
34Le fédéralisme européen, l’Europe des Régions, la construction d’un «super-Etat», la «priorité principale qui est de diriger l’Union européenne vers un Etat politique unique18» représentent autant de menaces vis-à-vis de la souveraineté du Royaume-Uni. Celle-ci est décrite de différentes façons selon le tract, la revue ou le document de travail analysé.
35Pour rappel, depuis 1998, l’Irlande du Nord s’est vu dotée d’une assemblée qui pour des raisons de conflits entre partis n’a véritablement vu les transferts de pouvoir en provenance de Londres qu’à la fin de 1999. Pouvoir suspendu au mois d’octobre 2002 et replacé sous la tutelle de Westminster suite à l’incapacité des membres de l’exécutif à se mettre d’accord dans la gestion des affaires quotidiennes. D’autre part, en septembre 1997 deux référendums sont organisés au Pays de Galles et en Ecosse en vue d’établir une assemblée et un parlement régionaux. Assemblées qui organiseront leurs premières élections deux ans plus tard en mai 1999. Enfin, l’ensemble de ces processus de décentralisation et de régionalisation que les britanniques résument derrière le vocable de «dévolution» ont également favorisé l’émergence de campagnes pour la création d’un parlement en Angleterre, parlement «qui donnera (également) au peuple d’Angleterre l’opportunité de travailler lui-même à gérer ses propres problèmes et à apporter ses propres solutions19».
36Dans ce contexte, le Manifeste sur les Elections européennes de 199920 explique comment les «fédérastes» de Bruxelles encouragent les tendances séparatistes au sein du Royaume-Uni pour accélérer leur projet de «super-Etat» et leur domination sur l’ensemble des régions et nations européennes. A ce titre, le BNP insiste pour établir un parallèle entre deux logiques, d’une part la logique fédérale, à l’œuvre au niveau européen depuis plusieurs années, et d’autre part une logique de régionalisation, de fragmentation, de morcellement, de «balkanisation» du Royaume-Uni. Diviser pour régner, la régionalisation affaiblit les peuples en multipliant les entités collectives susceptibles de défendre des intérêts divergents, lorsque la fédéralisation veille au transfert du pouvoir vers les «bureaucrates de Bruxelles».
37Le BNP se place de cette façon dans un contexte quelque peu paradoxal dans la mesure où tout en faisant la promotion de la démocratie directe et locale, le parti s’oppose fermement au processus de régionalisation qui se traduit aujourd’hui de différentes manières, notamment et plus particulièrement au niveau des collaborations directes qui lient les régions et l’Europe, court-circuitant de cette manière l’autorité de la Couronne. Le BNP considère en effet «le système actuel de dévolution en Ecosse et au pays de Galles comme étant dans une large mesure un «coup» inspiré par l’Union européenne pour briser le Royaume-Uni et de cette manière sa forte opposition à l’Empire européen». A la place, il propose «un Etat fédéral britannique dans lequel tous les membres de la famille des nations britanniques auraient leur propre gouvernement afin de gérer tous les aspects pratiques touchant à la vie locale». Un Etat qui aurait également «un gouvernement suprême de la famille des nations britanniques qui s’occuperait des matières significatives au plan national comme la politique économique, la défense et les affaires étrangères21». L’idée de ce projet réside principalement dans la volonté de mettre un terme aux relations «Europe/régions» qui sont développées depuis plusieurs années et qui surtout «montent» les régions contre leurs propres pays. Le BNP voit également dans ce phénomène un processus radical qui distribue les «petits pouvoirs» aux régions et au niveau local tandis que les «gros pouvoirs» (monnaie, économie, défense, etc.) sont transférés vers Bruxelles, Berlin et Frankfort22. Dans ce contexte analyse le BNP, le Royaume risque de se transformer en une multitude de régions et municipalités toutes plus ou moins «à la botte» des «technocrates» de Bruxelles.
38Pour éviter les deux tendances extrêmes à l’œuvre, le parti opte pour une position intermédiaire. Pour lutter contre la fédéralisation à l’œuvre, il prône une Europe des Nations où le Royaume-Uni en tant qu’Etat unitaire et souverain coopérerait avec les autres nations européennes dans un esprit confédéral, position très proche des propos de Margaret Thatcher cité au début de la présente contribution23. Le BNP s’appuie à ce titre sur «l’identité ethnique commune des nombreux peuples d’Europe» pour promouvoir une Europe qui regrouperait les «nations blanches traditionnelles24».
39Et d’autre part, pour lutter contre le morcellement à outrance du Royaume-Uni en petites régions indépendantes, faibles face à Bruxelles et en conflit les unes avec les autres, le BNP reconnaît l’intérêt d’une certaine dévolution, d’une certaine régionalisation du Royaume mais uniquement sur les bases culturelles et historiques qui différencient les «peuples et les territoires» que sont le Pays de Galle, l’Ecosse, l’Angleterre et une partie de l’Irlande du Nord, régions pour lesquelles le BNP possèdent à chaque fois une antenne et un site Internet particulier. Ce type de régionalisation qui apparaît plus identitaire et culturel qu’économique ne doit donc en aucun cas déboucher sur un morcellement de la Couronne britannique25, et encore moins sur un axe de coopération Europe/régions qui s’opposerait à cette dernière.
Le coût de l’Europe et la monnaie unique
40Si les enjeux fédéralistes et régionalistes liés à la construction européenne occupent une place substantielle dans la propagande du British National Party, il convient de préciser que le coût de l’Europe pour la population britannique ainsi que le probable passage à la monnaie unique représentent deux des thèmes les plus dominants dans la rhétorique du BNP.
41La thématique du coût trop élevé de la participation à la construction européenne, et de surcroît «injustement» trop élevé, n’est pas une spécificité propre à l’extrême droite britannique, nous avons vu au début du présent article que l’ensemble de la classe politique adhérait à cette idée. Elle prend seulement, et à nouveau, une dimension beaucoup plus radicale dans le discours du BNP. Dans son éditorial du mois de janvier 2002 de la revue Identity26, Paul Golding met en garde ses lecteurs par rapport aux risques de voir leur pays devenir une «province» de l’Empire européen perdant autant son indépendance politique que son pouvoir économique. L’Euro, selon Golding, «est une tentative de créer, en l’absence de processus démocratique, une Europe unie, dirigée par des banquiers non-élus». Banquiers européens qui exigent des Britanniques des sommes faramineuses «quand nos écoles et hôpitaux s’écroulent et que nos pensionnés doivent se battre pour épargner davantage». Entrer dans l’Euro, ajoute Gambling, c’est laisser Frankfort gérer l’économie du Royaume-Uni en empêchant cette dernière d’intervenir sur ses propres taux d’intérêt en fonction de la conjoncture économique. Et de conclure que les vrais «anti-européens sont ceux qui veulent retirer démocratie, liberté et autonomie des mains des peuples d’Europe afin de soumettre ces derniers aux eurocrates de Bruxelles».
42Dans la même veine, un tract du BNP explique que «la Grande-Bretagne envoie presque deux millions de pounds par heure à l’Union européenne en contributions directes ! Ce qui fait près de 50 millions de pounds par jour 27». Cet argent continue le tract devrait servir à «payer notre NHS (National Health Service) et restaurer le lien entre la pension et les gains». Le coût «injustement trop élevé de l’Europe» est également développé dans le manifeste des élections européennes de 1999 où dans le paragraphe «Freedom to spend our own money», on apprend que lorsque les Britanniques découvrent un projet financé par l’Union européenne, ils doivent savoir que «pour chaque Livre qu’ils reçoivent, ils ont au préalable payé une livre et demi à Bruxelles28».
L’armée et les affaires étrangères
43Enfin, il convient également de préciser que le manifeste du BNP sur l’Europe consacre quelques paragraphes à d’autres thématiques, mais dans une moindre mesure. Il insiste par exemple sur l’armée britannique qui a perdu au fil des siècles des millions d’hommes pour défendre sa souveraineté, en vain étant donné que celle-ci risque de disparaître dans l’Union européenne. Armée qui a toujours privilégié un axe atlantiste de coopération avec les Etats-Unis ou plus globalement avec les pays du Commonwealth et qui devra désormais se battre dans des conflits avec laquelle elle n’a rien à voir étant donné les projets relatifs à la construction d’une armée européenne29. Le manifeste évoque également la «Justice européenne» qui supplantera la justice du Royaume, «une des meilleures du monde30», et qui de cette façon condamnera d’autant plus sévèrement les accusations de racisme et de xénophobie dont beaucoup de membres du BNP font l’objet31. Mais la plupart de ces points de programmes politiques bien que liés aux enjeux européens présentent un moindre intérêt pour notre propos.
Conclusion
44Malgré la rareté des travaux consacrés à l’extrême droite au Royaume-Uni et plus particulièrement au British National Party, nous avons essayé d’établir dans quelle mesure la rhétorique régionaliste et fédéraliste avait une place importante dans le discours de l’extrême droite britannique et un impact sur ses succès électoraux. Nous avons rapidement vu que l’Union européenne et les enjeux qui lui sont liés (monnaie unique, déficit de souveraineté, etc.) ne constituait pas une revendication ou un point de programme politique spécifique au BNP mais qu’au contraire, ces derniers faisaient l’objet de vifs débats au sein des deux grandes formations politiques ainsi que dans le discours d’un ensemble de partis œuvrant pour la dévolution au Royaume-Uni32. Le fait que les discours «souverainistes» et anti-européens n’aient jamais été une marque de fabrique propre à l’extrême droite constitue sans doute un premier élément d’explication du très relatif succès de cette dernière dans le Royaume au niveau local, régional et national. Seules l’agressivité et la violence de ce dernier sur cette question, notamment dans le vocabulaire utilisé pour désigné les responsables du «complot» européen, ont pu lui donner quelque originalité dans ce domaine.
45Comme la plupart de leurs homologues européens, les leaders du BNP ont cherché ces dernières années à se respectabiliser aux yeux de l’opinion publique en évitant autant que possible les déclarations xénophobes susceptibles de rappeler le lourd passé du parti et de ses principaux dirigeants dans ce domaine. Si elle n’avait pas été un thème de campagne généraliste pour l’ensemble de la classe politique, l’Europe aurait probablement été d’une grande utilité pour dissimuler la dimension raciste et xénophobe de leur parti.
46De la même manière, le régionalisme à l’œuvre au Royaume-Uni, la dévolution, n’a pu être utilisé par le BNP en vue de marquer sa spécificité au regard de la classe politique en général. Si ce dernier a mis l’accent dans sa propagande sur la nécessité de lutter contre les «intermédiaires» (les banquiers, les financiers, les bureaucrates, etc.), il n’a pu véritablement se positionner de façon originale dans le débat opposant les partisans de plus de dévolution, les défenseurs d’un Royaume uni et souverain et les adeptes d’une Europe fédérale forte, divisée en régions autonomes. Cette impossibilité d’exploiter la fibre régionaliste à des fins électorales s’explique par l’attachement des idéologues du BNP à la «Britishness», caractérisée par les liens de culture, de race, d’identité et de racine des «native British peoples of the British Isles» qui comprennent les «individual British nations of England, Wales, Scotland, Eire and Ulster33». Cet aspect «affectif» de leur programme politique rend celui-ci peu clair sur cette question, voire contradictoire au regard de l’ensemble des points abordés dans ce dernier.
47La faiblesse de l’extrême droite sur ces questions s’accompagne depuis plusieurs années, nous l’avons vu, de difficultés pour séduire un électorat potentiel qui reste jusqu’à ce jour plus souvent attiré par les discours musclés des milieux radicaux au sein du parti conservateur. Si nous ajoutons à ces difficultés les effets du scrutin majoritaire à un tour au niveau des élections nationales et la lutte active et «historique» de nombreuses associations contre le racisme34, nous comprenons mieux pourquoi l’extrême droite britannique n’a jamais véritablement réussi à percer sur la scène nationale. Il est donc permis de s’interroger sur l’avenir du BNP dans sa constitution actuelle, tant au niveau de ses membres et leaders qu’au niveau des idées qu’ils propagent et de son programme politique.
48Nous avons vu que l’Europe incarnait aux yeux de l’extrême droite l’archétype de l’intermédiaire «inutile» et «corrompu» entre le peuple «bon et brave» et le pouvoir. Les multiples institutions européennes et les milliers de fonctionnaires «anonymes» qui en constituent la bureaucratie représentent aux yeux du BNP la cible facile pour dénoncer les élites «lointaines», «cosmopolites», «animées par des intérêts privés et non collectifs». Cette analyse du fonctionnement politique de la société est très proche de ce que Chip Berlet mettait en évidence aux Etats-Unis lorsqu’il qualifiait de rhétorique «producerist» le discours sur le «bon peuple» qui est écrasé en haut par les élites internationales (banquiers, financiers, etc.) et en bas par les «parasites» et les profiteurs (les immigrés, les demandeurs d’asile, les gauchistes, etc.), les seconds étant manipulés volontairement par les premiers (Berlet and Lyons, 2000, 6).
49Le passage probable du Royaume-Uni à la monnaie unique, l’élargissement de l’Union européenne prévu par le Traité de Nice et le sentiment croissant chez de nombreux citoyens d’une distance entre la population européenne et «ceux» qui décident dans les institutions bruxelloises, ces différents facteurs risquent de rendre un jour le discours du BNP audible et acceptable pour une partie des électeurs britanniques, comme c’est déjà le cas dans de nombreux pays européens.
50Cela va dépendre du possible alignement futur des partis traditionnels sur l’Euro et l’intégration européenne et de l’appropriation complète du discours anti-européen par le seul BNP qui lui succèdera. Ce dernier pourra alors revenir sur la scène politique en exacerbant sa rhétorique sur les «élites» et les «profiteurs» de Bruxelles.
Bibliographie
51Berlet (C.) and Lyons (N.) (2000), Right-wing populism in America, New York, Guilford.
52Berstein (L.) (1992), «Ascension et chute des enfants de Mosley» in Collectif, L’Europe en chemise brune, Paris, Reflex, p. 57-71.
53Camus (J.-Y.) (1998), «L’extrême droite en Europe : où, sous quelles formes, pourquoi ?» in Pouvoirs, n° 87, p. 1-34.
54Chevenement (J.-P.) (1997), Le Bêtisier de Maastricht, Paris, Arléa.
55Copsey (N.) (1996), «Contemporary Fascism in the Local Arena : The British National Party and ‘Rights for Whites’» in Cronin (M.), The failure of British Fascism, London, Macmillan Press, p. 118-139.
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57Crida (Rapport) (1995), Panorama des actes racistes et de l’extrémisme de droite en Europe 1995, Paris, CRIDA, p. 64-72.
58Crida (Rapport) (1998), Panorama des actes racistes et de l’extrémisme de droite en Europe 1998, Paris, CRIDA, p. 105-111.
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60Eatwell (R.) (2000), «The extreme right and British exceptionalism : the primacy of politics» in Hainsworth (P.), The Politics of the extreme right, London, A Continuum Imprint, p. 172-190.
61George (S.) (1998), An awkward Partner. Britain in the European Community, Oxford, Oxford University Press.
62Ivaldi (G.) (2000), «L’extrême droite en Europe occidentale», La documentation française, Problèmes politiques et sociaux, n° 849, 22 décembre.
63Nugent (N.) (1999), «Britain and the European Union» in Jones (B.), Political issues in Britain today, Manchester, Manchester University Press, p. 381-396.
64Perrineau (P.) (2001), Les croisés de la société fermée. L’Europe des extrêmes droites, Paris, L’aube essai.
65Rosamond (B.) (2000), «Britain’s European Future ?» in Hay (C.), British Politics Today, Cambridge, Polity Press, p. 185-209.
66Searchlight with Tyne and Wear Anti-Fascist Association (2000), Fascism and the Labour Movement, Facing the threat, London, Searchlight, p. 36-42.
67Solomos (J.) (1993), «‘Race’, politique et société dans la Grande-Bretagne contemporaine» in Martiniello (M.) et Poncelet (M.), Migrations et minorités ethniques dans l'espace européen, Bruxelles, De Boeck, p. 69-88.
68Taguieff (P.-A.) (2002), L’illusion populiste, Paris, Berg International.
69Whine (M.) (1998), «Royaume-Uni» in Camus (J.-Y.), Les extrémismes en Europe, Etat des lieux 1998, Paris/Bruxelles, CERA/Editions Luc Pire, p. 299-314.
70Wieviorka (M.) (1993), La démocratie à l’épreuve. Nationalisme, populisme, ethnicité, Paris, La Découverte.
Notes
internet suivantes (octobre 2002) : http://www.labour.org.uk/ ; http://www.conservatives.com/ ; http://www.libdems.org.uk/
(octobre 2002) : http://www.england-bnp.com
Pour citer cet article
A propos de : Jérôme Jamin
Chercheur au Centre d'Etudes de l'Ethnicité et des Migrations (CEDEM) de l’Université de Liège