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- Volume 8 : 2008
- Numéro 1 - Fédéralisme et frontières internes : le...
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BHV et le principe de l’uti possidetis
1Une version développée de cet argumentaire sera mise en ligne ultérieurement. Les propos du prof. Behrendt ont été publiés dans Le Quinzième Jour du Mois, mensuel de l’Université de Liège, mai 2008 (propos recueillis par Patricia Janssens).
2Le 15e jour du mois : Le dossier «Bruxelles-Hal-Vilvorde» fait une fois encore l’actualité. Pour vous, le «problème» n’en est pas vraiment un.
3Christian Behrendt : Disons que le problème est avant tout politique, et non juridique. En effet, juridiquement, quelle est la situation de départ ? Au mois de mai 2003, un arrêt de la Cour constitutionnelle demande au Parlement fédéral de modifier la situation juridique de la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), circonscription que la Cour tient pour inconstitutionnelle depuis la réforme de la loi électorale de 2002. Celle-ci a mis fin à l’existence des circonscriptions électorales calquées sur les arrondissements administratifs et a mis en place, partout en Belgique, des circonscriptions électorales calquées sur les limites des provinces, sauf précisément pour BHV et le Brabant flamand. La difficulté provient ainsi du fait que la réforme électorale de 2002 a créé une exception pour la province de Brabant flamand et la Région de Bruxelles-Capitale : la province de Brabant flamand est en effet divisée au niveau électoral. Sa majeure partie relève de la circonscription de BHV (ensemble avec la Région de Bruxelles-Capitale), et l’autre partie constitue une circonscription à part, celle de Leuven.
4Dans son arrêt de mai 2003, la Cour constitutionnelle n’a toutefois pas annulé la loi de 2002 mais a sommé le Parlement de résoudre – avant juin 2007 – cette inconstitutionnalité dans le paysage belge pour l’élection de la Chambre des représentants. D’un point de vue purement juridique, la solution est donc singulièrement simple : il suffirait d’abroger la loi de 2002 et ainsi de revenir au système antérieur. Mais politiquement, cette option est difficilement envisageable car tous les grands partis politiques – du Nord comme du Sud – sont favorables à la réforme.
5Le 15e jour : Quel regard portez-vous sur les propositions flamandes ?
6Ch. B. : Pour répondre à l’injonction de la Cour constitutionnelle, la totalité des partis flamands – Groen peut-être dans une moindre mesure – souhaitent scinder la circonscription de BHV pour l’élection à la Chambre des représentants. En outre, ils estiment qu’il ne convient pas de s’arrêter en si bon chemin et proposent de scinder par ailleurs deux autres circonscriptions, à savoir celles de BHV pour l’élection au Sénat et pour les élections européennes (car au total il existe trois circonscriptions BHV). Enfin, la scission de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles complèterait le tableau. Vous voyez que l’on dépasse très largement la réaction juridique qu’exige l’arrêt de la Cour constitutionnelle, puisque celui-ci ne concerne que la circonscription de BHV pour l’élection à la Chambre des représentants.
7Examinons maintenant ces propositions sous l’angle des habitants francophones du Brabant flamand. Si les différentes scissions étaient réalisées, ces citoyens ne pourraient plus voter pour des partis francophones... sauf à imaginer la mise en place, en Flandre, d’une «Union des francophones» dont le seul programme consisterait à résister aux avancées flamandes ; un tel parti devrait toutefois affronter le difficile seuil des 5 % des électeurs. Les habitants francophones du Brabant flamand seraient donc privés de la possibilité de voter pour un député (ou sénateur ou eurodéputé) qui parle la même langue qu’eux. Et si l’arrondissement judiciaire de Bruxelles était scindé à son tour, cela priverait des milliers de francophones domiciliés dans le Brabant flamand de la possibilité d’être jugés, dans les affaires civiles, dans leur langue... La scission éventuelle de BHV et de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles n’est donc pas une question de détail. Notez par ailleurs ce paradoxe : ces réformes feraient perdre deux sièges de députés aux partis politiques flamands (à cause de leur faiblesse démographique à Bruxelles). N’est-il pas surprenant de constater que ceux-ci plébiscitent une solution qui leur ferait perdre des sièges ?
8Le 15e jour : Pour quelle raison sont-ils alors si pressés de scinder BHV ?
9Ch. B. : À mon avis, c’est parce que BHV est, en droit institutionnel interne, le dernier «pont» qui enjambe la frontière linguistique, ou, autrement dit, la dernière technique juridique qui fait fi des frontières linguistiques établies. Les «triplés» de BHV et leur «cousin germain», l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, nuancent les délimitations en général si précises du territoire flamand. Tout ceci n’est pas sans importance du point de vue du droit international, si jamais il devait y avoir éclatement du pays : en effet, un principe majeur du droit international tient en la règle «Uti possidetis, itea possideatis», ce que l’on peut traduire par «Tu posséderas comme tu as possédé». Autrement dit, lorsqu’un territoire accède à l’indépendance, il le fait en conservant les frontières qui étaient les siennes avant son accession à l’indépendance.
10Le principe de l’uti possidetis a été appliqué partout dans le monde lors de la décolonisation : en Amérique latine, en Asie, en Afrique. Ainsi par exemple, le Congo, État indépendant après 1960, reprend au mètre près les délimitations coloniales du Congo belge. Plus récemment, le même principe s’est aussi imposé en Europe : les pays baltes ont proclamé leur indépendance en conservant les anciennes frontières intra-soviétiques et les États de l’ex-Yougoslavie ont fait de même. Il est certes vrai que l’uti possidetis crée parfois des situations inéquitables du point de vue ethnique ou linguistique, mais il constitue un gage de stabilité géopolitique. Ceci explique qu’il est très largement admis par la communauté internationale. Lors de l’éclatement de la Yougoslavie, la Belgique a d’ailleurs signé une résolution du Conseil de l’Europe en faveur de ce principe.
11Dans l’hypothèse de l’éclatement de la Belgique, le principe de l’uti possidetis voudrait que les nouveaux États «ex-belges» se délimitent entre eux conformément au tracé des anciennes frontières régionales. Rhode-Saint-Genèse et les autres communes à forte présence francophone autour de Bruxelles feraient donc bel et bien partie du territoire du nouvel État flamand.
12Je sais que plusieurs arguments ont été invoqués pour contrer une telle application du principe de l’uti possidetis et donc pour justifier des prétentions visant à modifier le tracé frontalier. On a notamment invoqué la présence d’une forte minorité linguistique de l’autre côté de la frontière. On a aussi relevé que le principe serait difficile à appliquer s’il menait à la création d’enclaves. Enfin, on a soutenu que des consultations populaires pourraient avoir pour effet d’imposer une modification du tracé frontalier. Mais j’ai la faiblesse de croire qu’aucun de ces trois arguments ne serait capable d’exiger, en droit international, une modification du tracé frontalier régional dans l’hypothèse de l’éclatement de la Belgique.
13Le seul moyen qui, à mon sens, serait recevable en droit international, tiendrait en l’existence de techniques de «pont» qui enjambent la frontière régionale en question, frontière qui est en principe pressentie pour accéder, en cas de démembrement du Royaume, au statut de frontière interétatique. Or, les trois circonscriptions de BHV et l’arrondissement judiciaire de Bruxelles constituent les dernières techniques de pont qui existent au centre du pays. Abandonner ces quatre mécanismes est donc résolument contraire aux intérêts, tant à court qu’à long terme, des francophones. Céder sur ce point reviendrait à payer un prix prodigieusement important en termes institutionnels. BHV a la valeur d’un diamant pur : il est bon de le savoir. Si donc les partis flamands souhaitent l’acheter, ils doivent, me semble-t-il, être disposés à payer une contrepartie très substantielle. De même, il est bon de savoir que les mandataires francophones, gardiens du diamant, ne sont point obligés de le mettre en vente.