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Les Belges francophones et le fédéralisme. À la découverte de leurs perceptions et de leurs préférences fédérales
Résumé
Depuis de nombreuses années, le fédéralisme belge et son avenir en particulier retiennent l’attention des citoyens. Cependant, hormis les sondages, rares sont les tentatives pour mieux comprendre ce que pensent les citoyens belges du fédéralisme et comment ils voient son évolution. Dans cette perspective, le 29 septembre 2007, soixante-quatre citoyens belges francophones ont été réunis à l’Université de Liège pour une rencontre citoyenne sur le thème du fédéralisme en Belgique. Pendant toute la journée, les participants ont pu apprendre et discuter de thèmes liés au fédéralisme avec des experts et en petits groupes, selon une méthodologie inspirée des panels délibératoires et des assemblées citoyennes. Les données qualitatives et quantitatives récoltées tout au long de ces neuf heures d’échanges permettent d’éclairer les relations entre les perceptions des citoyens et leurs préférences vis-à-vis de l’évolution du fédéralisme en Belgique. Les premières analyses mettent en évidence la diversité des connaissances, des attitudes et des opinions partagées par les citoyens, parfois en contradiction profonde avec la réalité fédérale belge et son évolution possible. À des fins comparatives, trois rencontres citoyennes similaires ont été organisées : deux au Canada (Montréal et Kingston) et une autre en Belgique (Anvers).
Table of content
Introduction
1Depuis de nombreuses années, le fédéralisme en Belgique constitue un sujet récurrent et important d’actualité1. De nombreux chercheurs explorent cette thématique, principalement d’un point vue institutionnel. D’autres chercheurs s’attachent, toutefois, à mettre à jour les sentiments d’appartenances des citoyens, voire même leurs préférences fédérales. Les médias qu’ils soient francophones ou néerlandophones ne sont pas en reste : trimestriellement, ils commanditent et analysent des sondages afin de dresser une cartographie des opinions en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles. Ces recherches et ces enquêtes, bien qu’incontestablement importantes, négligent la double variable connaissance et compréhension du fédéralisme par les citoyens et présupposent ainsi que ceux-ci sont capables de donner un avis informé sur une thématique – le fédéralisme – plutôt complexe. Pourtant, les raisons et les mécanismes derrière les perceptions et les préférences fédérales des citoyens sont peu connus et les relations entre les perceptions et les préférences le sont encore moins. Explorer ces attitudes et opinions politiques permettrait d’éclairer les comportements politiques des citoyens belges et d’ainsi appréhender différemment l’étude de la dynamique fédérale dans ce pays traversé par des tensions importantes.
2Afin de mieux comprendre les perceptions et les préférences fédérales des citoyens, des rencontres citoyennes peuvent être organisées. Pendant toute une journée, la soixantaine de citoyens rassemblés s’informe et discute de thèmes liés au fédéralisme avec des experts et en petits groupes, selon une méthodologie inspirée des assemblées citoyennes classiques et des panels délibératoires. Une telle rencontre s’est tenue à l’Université de Liège le 29 septembre 2007. Les données qualitatives et quantitatives récoltées tout au long de ces neuf heures d’échanges permettent d’éclairer les relations entre les perceptions des citoyens et leurs préférences vis-à-vis de l’évolution du fédéralisme en Belgique. Les premières analyses mettent en évidence la diversité des connaissances, des attitudes et des opinions partagées par les citoyens, parfois en contradiction profonde avec la réalité fédérale belge et son évolution possible. À des fins comparatives, trois rencontres citoyennes similaires ont été organisées : deux au Canada (Montréal, mars et juin 2008, et Kingston, juin 2008) et une autre en Belgique (Anvers, novembre 2008)2.
3Cet article s’ouvre avec la présentation de la méthodologie et du protocole de recherche. Après avoir présenté la Rencontre citoyenne sur le fédéralisme de Liège, les résultats préliminaires de cette rencontre sont exposés en passant en revue les différents indicateurs de perceptions et de préférences fédérales. La conclusion revient finalement sur les relations entre les citoyens et le fédéralisme.
1. Cadre méthodologique
1.1. Des rencontres citoyennes…
4Si l’on veut comprendre les relations entre les perceptions et les préférences fédérales des citoyens3, les outils proposés traditionnellement par les sciences sociales, en général, et les sciences politiques, en particulier, sont peu efficaces pour atteindre cet objectif. On trouve, d’une part, des méthodes quantitatives avec en figure de proue le sondage et, d’autre part, des méthodes qualitatives avec en tête de la liste les entretiens ou les focus groupes. Néanmoins, les deux dernières décennies ont vu l’apparition et un renouvellement des techniques et méthodes aussi bien quantitatives que qualitatives.
5Deux éléments retiennent particulièrement l’attention dans cette vague de renouvellement : un mouvement de fond – ou en tout cas plus théorique et plus général – en réaction au déficit démocratique ou au malaise de la démocratie représentative et un mouvement de forme – plus technique – face aux méthodes de collecte de données classiques qui négligeaient jusqu’à présent le manque d’information et de délibération des personnes interrogées. En réponse au premier mouvement, les réflexions des théoriciens de la démocratie se sont multipliées à l’endroit de la démocratie délibérative4 et des initiatives pratiques ont vu le jour un peu partout dans le monde occidental et au-delà5. En réponse au second mouvement, certains chercheurs ont développés des outils permettant de capturer des opinions informées plutôt que des opinions prises sur le vif, sans la moindre réflexion et encore moins délibération de la part du répondant. The Deliberative Poll constitue l’outil le plus emblématique de cette nouvelle génération de sondages. Développé par J. S. Fishkin et R. C. Luskin, le sondage délibératif rassemble des personnes préalablement sondées sur une question précise, par exemple la peine de mort ou l’Euro, pendant un week-end afin d’apprendre, délibérer et finalement répondre à un nouveau sondage sur cette question6. Ces auteurs, ainsi que d’autres chercheurs qui ont suivi leur trace7, montrent que les opinions varient sensiblement après délibération et concluent, malgré les critiques parfois sévères à leur égard8, que des mécanismes de délibération sont nécessaires avant d’étudier les préférences politiques des citoyens9.
1.2. …sur le fédéralisme
6Partant de ces réflexions et de leurs développements concrets, une méthodologie particulière est proposée pour explorer les perceptions et les préférences dans les sociétés fédérales divisées où la question de l’avenir du système politique constitue une question importante. En effet, bien que par définition le sujet qui nous occupe – le fédéralisme – soit connu de tous et qu’une majorité de citoyens s’est fait sa propre opinion, tous les citoyens ne disposent pas des mêmes informations et des mêmes connaissances sur la question. Par conséquent, tenter de comprendre les perceptions et les préférences des citoyens – ou seulement de quelques citoyens – sur le fédéralisme dans leur pays sans leur donner l’opportunité de s’informer et discuter semble être un exercice limité scientifiquement même si ceux-ci ont certainement une opinion préalablement définie. Bien évidemment, il n’est pas question de créer un microcosme de délibération idéale qui serait complètement en inadéquation avec la réalité «concrète» des personnes interrogées.
7Avec ces deux limites à l’esprit, la méthode suivante a été utilisée pour tenter de mieux comprendre les perceptions et les préférences des citoyens sur le fédéralisme en Belgique – et au Canada. Une soixantaine de participants, de tout horizon, de toute opinion et de tout âge, est réunie pour une journée de discussions sur le thème du fédéralisme. Le panel s’ouvre par la passation d’un questionnaire écrit individuel d’une centaine de questions couvrant les thématiques des connaissances politiques, de la perception (la légitimité) du système politique fédéral et des gouvernements qui en découle, des identités et des sentiments d’appartenance, de la perception de l’autre communauté et finalement des préférences fédérales ainsi que des questions sociodémographiques10. Après la passation du questionnaire, le panel s’articule entre des moments en groupes de discussions (entre six et neuf personnes par groupe encadré par un animateur et un observateur11) et des séances plénières avec des experts et des personnalités politiques. Au total, les participants discutent et réfléchissent sur des thèmes liés au fédéralisme pour plus de quatre heures en groupes et rencontrent, en séance plénière, deux experts et deux personnalités politiques qui donnent d’abord un exposé sur le fédéralisme et répondent ensuite aux questions de l’assemblée. Ainsi, la dynamique de la rencontre citoyenne se base sur un mouvement d’aller retour entre les discussions en groupes et les rencontres avec des experts et personnalités politiques. Enfin, un questionnaire identique à celui administré en début de journée est distribué à la fin de la journée.
8L’objectif de cette rencontre est donc de permettre aux participants de s’informer et de réfléchir sur le fédéralisme. Le but n’est ni de pousser à un changement d’opinion – même s’il est assurément intéressant d’étudier les éventuels changements et non-changements de perceptions et préférences – ni d’obtenir un consensus entre les citoyens : l’expérience est donc individuelle même si elle se déroule – afin de susciter la délibération – dans un collectif. Les données récoltées tout au long du panel sont quantitatives – les réponses aux deux questionnaires, celui distribué au début du panel, en T1, et celui distribué à la fin du panel, en T2 – et qualitatives – les échanges en groupes enregistrés et codés. Ces deux types de données sont, en fait, complémentaires puisque chaque participant reçoit un code (par exemple, A1 ou I7) ; on peut ainsi suivre ses réponses aux deux questionnaires et ses interventions tout au long de la journée. La combinaison de ces deux types de données permettra de mieux comprendre les perceptions et les préférences fédérales des citoyens.
2. Présentation des données
2.1. La Rencontre citoyenne sur le fédéralisme de Liège
9Le 29 septembre 2007, soixante-quatre citoyens belges francophones ont été réunis à l’Université de Liège pour une rencontre citoyenne sur le fédéralisme belge. Le fédéralisme est un thème d’actualité en Belgique depuis de nombreuses d’années. Rares sont pourtant les avenues où les citoyens peuvent apprendre et échanger sur ce thème important avec des experts, des responsables politiques et d’autres citoyens. L’objet de la rencontre était de proposer une telle opportunité aux citoyens intéressés afin de mieux comprendre leurs perceptions et leurs préférences fédérales.
10Qui sont les soixante-quatre participants à cette rencontre citoyenne ? Tout d’abord, ceux-ci ne constituent certainement pas un échantillon statistiquement aléatoire et représentatif de la population des Belges francophones dans son ensemble – ce n’était d’ailleurs pas l’objectif de cette rencontre. Toutefois, venant d’horizons fort différents, ils représentent ainsi une diversité de points de vue qui, même s’ils ne peuvent être généralisés à l’ensemble de la population, peuvent nous aider à mieux comprendre, grâce à une analyse qualitative, les opinions et représentations politiques sur le fédéralisme belge.
11Plus concrètement, parmi les soixante-quatre personnes présentes12, trente-six sont des hommes et vingt-huit des femmes ; une grande majorité d’entre eux vit en province de Liège (91 %13). Deux tranches d’âge sont surreprésentées : les 18-30 ans (43 %) et les plus de 51 ans (40 %). Une autre catégorie de citoyens est largement présente : les personnes avec un diplôme universitaire (44 %). Ces caractéristiques de l’échantillon ne sont pas surprenantes au regard d’expériences participatives similaires. En effet, les hommes plutôt âgés, avec un niveau d’études élevé et s’intéressant à la politique sont généralement plus enclins à participer à ce type d’événements. Un intérêt pour la politique élevé est également partagé par les hommes et les femmes de notre échantillon puisque 70 % d’entre eux s’intéressent beaucoup ou assez à la politique – alors que la proportion est inversée dans l’ensemble de la population, si l’on en croit les résultats de l’European Social Survey14.
12Derrière ce portrait global des participants se cache au moins une réalité intéressante qu’il faut signaler : la présence de personnes qui généralement ne participent pas à de telles expériences politiques participatives mais qui étaient présentes pour «faire plaisir à l’organisateur et/ou à l’un de ses proches». Comme le montre le tableau 1, un quart des participants (quatorze personnes) s’intéresse peu ou pas du tout à la politique mais est venu pour faire plaisir à l’organisateur. La présence de ces personnes contribue grandement à la diversité des citoyens réunis pour cette rencontre.
Tableau 1 : Intérêt pour la politique et raison principale de participation à la rencontre citoyenne (en chiffres absolus, T2)
13Enfin, le Tableau 1 indique également que, pour un peu moins de la moitié des personnes présentes, la raison principale de participer n’était pas l’intérêt pour la question, mais bien une raison personnelle ; à cet égard, on peut qualifier le groupe réuni d’échantillon de convenance. Le participant B9 indique ainsi «je suis venu pour faire plaisir à [l’organisateur] et tant qu’à faire, peut-être un peu mieux m’informer sur tous ces sujets, qui à la base, ne sont pas mes préoccupations» (B9, P1)15. L’évaluation «tout à fait positive» de la journée pour 78 %16 des participants laisse néanmoins entendre que cet événement fut intéressant, même pour les personnes qui s’étaient déplacées pour des raisons non-académiques.
2.2. La question fédérale exacerbée
14Les tensions autour de la formation d’un gouvernement fédéral avant et au moment de la rencontre citoyenne de Liège constituent potentiellement des événements de nature à influencer sur les opinions et les attitudes des citoyens17. Néanmoins, au-delà de l’impossibilité même de mener une recherche en sciences sociales reposant sur des conditions où toutes autres choses restent égales, on peut avancer que les perceptions et les préférences des citoyens reposent sur des événements et des expériences qui sont antérieurs aux événements de l’actualité récente, même si celle-ci, à son tour, contribue à façonner les attitudes et les opinions politiques de tout un chacun. Depuis de nombreuses années, la Belgique connaît des tensions communautaires qui ont façonné la socialisation politique de plusieurs générations de citoyens ; dans cette perspective, le contexte politique avant la rencontre citoyenne participe à la formation, au développement et au renouvellement des perceptions politiques – tout comme la participation à une telle rencontre constitue un événement pouvant modifier les opinions politiques.
15Il appartient donc au chercheur de tenter de dégager, lors de l’analyse des données, les facteurs déterminant les comportements politiques et de distinguer éventuellement les causes immédiates des causes profondes. Enfin, l’actualité renouvelée du fédéralisme parmi les citoyens francophones a probablement favorisé le recrutement des participants pour la rencontre citoyenne, comme le laisse entendre un des participants : «le sujet m’intéresse fortement d’autant plus en fonction des circonstances que l’on traverse au niveau national» (B1, P1).
3. Présentation des résultats
3.1. Les connaissances politiques
16Quatre séries de questions, pour un total de quinze questions, mesurant les connaissances politiques des participants, ont été posées18. Deux éléments d’analyse ressortent de ces séries de questions. Premièrement, le niveau de réponses correctes est généralement élevé, révélant une bonne connaissance de base des thématiques politiques classiques : notamment le nom du premier ministre et des ministres-présidents, les résultats des élections, la répartition des compétences ou encore le montant des dépenses politiques et la connaissance d’événements historiques. Le niveau élevé de connaissances politiques de la plupart des participants contraste avec l’ensemble de la population et en particulier des jeunes citoyens19.
17Deuxièmement, les résultats d’une question retiennent particulièrement l’attention par leur évolution entre le T1 et le T2. Si le processus de fédéralisation a commencé au début des années 70, la Belgique est officiellement un État fédéral depuis 1993 seulement. Cette confusion possible entre les deux dates ressort clairement dans les réponses présentées dans le tableau 2.
Tableau 2 : La Belgique est officiellement un État fédéral depuis… (en chiffres absolus et en pourcentage)
18La différence entre le T1 et le T2 est remarquable à deux égards : d’une part, alors qu’un plus grand nombre de répondants opte pour 1970 au T1, une majorité répond correctement au T2 (signalant un phénomène d’apprentissage au cours de la journée) et, d’autre part, les personnes qui ont choisi 1970 au T1 n’ont pas, à une exception près, changé d’avis à la fin de la journée. Ce dernier élément montre que même après une journée entière de discussions certains participants conservent leur opinion antérieure ; on pourrait parler ici de «cohérence interne».
3.2. La légitimité du fédéralisme
19La thématique de la légitimité constitue le deuxième volet des indicateurs de perceptions. D’une manière générale, lorsqu’on demande directement aux participants le degré de satisfaction qu’ils accordent au système fédéral ou si le gouvernement fédéral assure suffisamment la protection des minorités, le constat est mitigé. Seuls 42 % des participants estiment après la rencontre (en T2) que le fonctionnement du système fédéral est satisfaisant ; une très légère majorité indique que le gouvernement fédéral assure suffisamment la protection des minorités (tableau 3). Néanmoins, après une journée de discussions sur le sujet, un grand nombre de citoyens (85 %) conclut que le système fédéral belge est la meilleure solution pour la coexistence pacifique entre les néerlandophones et les francophones – en T1, ils étaient seulement 67 % à le penser.
Tableau 3 : Le gouvernement/système fédéral… (en pourcentage, T2)
20Ainsi, la notion même de fédéralisme n’a pas nécessairement le même sens pour tous et est assez contrastée. Au cœur de la compréhension du mot fédéralisme s’entrechoquent plusieurs conceptions possibles. Un participant ressent cette tension : «il faut bien s’entendre sur ce qu’on appelle l’État fédéral. Il y a une grosse ambigüité sur le mot vraiment de fédéralisme» (B8, P1). Le fédéralisme est compris différemment selon le contexte : belge, européen ou dans d’autres pays fédéraux. Pour nombre de participants, le fédéralisme belge, a deux sens, négatifs tous les deux, un étant néanmoins moins négatif que l’autre20. Selon le premier sens, le moins négatif, le fédéralisme est la solution «la moins pire» aux tensions communautaires afin de conserver une Belgique «unie» ; le fédéralisme permet d’éviter la séparation du pays mais ce serait mieux si l’on n’avait pas besoin d’une telle solution complexe et coûteuse. Le deuxième sens, le plus négatif, du fédéralisme en Belgique est l’idée que fédéralisme rime avec séparatisme. Le fédéralisme n’est qu’un séparatisme caché ou, en tout cas, la route – inéluctable ? – vers le séparatisme. Une participante livre ainsi son ressenti : «au départ, si on a voulu éviter la scission, la séparation, on a fait croire qu’avec le fédéralisme, on allait pouvoir rester unis et on s’aperçoit que, on a toujours des reflux de séparation» (B5, P1). Le double sens négatif du fédéralisme résonne dans le commentaire d’un autre participant : «j’ai l’impression que c’est quelque chose qu’on a mis en place pour éviter une séparation mais ça fait pire» (B9, P1).
21Finalement, un troisième sens mais qui n’a pas eu beaucoup d’écho est celui du fédéralisme comme la solution permettant l’union dans la diversité des deux grandes communautés du pays ; ce qui est la définition classique du fédéralisme et également, dans une certaine mesure, la vision de la construction européenne. Un participant en atteste : «pour moi, le fédéralisme, je me trompe peut-être, c’est, comment dire, permettre d’un côté que chaque région, qui a sa propre culture et langue forcément, puisse quand même décider de ce qui est le mieux pour elle, tout en vivant avec une autre communauté, qui ferait la même chose. Et donc, ça rejoint… l’Europe, pour moi, ce serait plus ou moins la même chose» (B3, P1). Ce qui étonne nombre de participants c’est la conception paradoxale que peut prendre le terme fédéralisme : il peut s’agir d’une conception qui rassemble comme dans le cas européen ou qui divise comme dans le cas belge.
3.3. Nous, les Belges, francophones, Wallons, Liégeois, citoyens du monde !
22La question des sentiments d’appartenance renvoie à des questions classiques en sciences politiques et sociales : à quel groupe les citoyens s’identifient-ils le plus ou le moins, existe-t-il une hiérarchisation ou une exclusivité ou encore une complémentarité entres les identités ? Ceci dit, plusieurs participants ont marqué leur incompréhension, voire leur hostilité, face à ce type de questions, en particulier à l’endroit des questions de fierté. Certains de ces citoyens ne se sentent ni fiers ni pas fiers : «moi objectivement, je suis fier de rien, je suis juste conscient d’être effectivement belge, wallon, francophone, européen. Quant à dire que j’en suis fier, ni de l’un, ni de l’autre, pas spécialement» (B8, P2). D’autres se réclament d’une citoyenneté universelle comme le participant B3 : «je pense qu’il faut d’abord être humaniste avant de dire qu’on est..., avant de se séparer, il faut tous être frères» (B3, P2). Enfin, de nombreux participants opposent nationalisme (lié à la fierté) à humanisme (non lié à la fierté). Néanmoins, on ne peut réduire les sentiments d’appartenance et de fierté à du nationalisme (qui est une notion à la fois plus réduite et plus large).
23Malgré les réticences de certains aux questions d’identités, les résultats du questionnaire et les discussions montrent un fort sentiment d’appartenance en tant que francophone, Belge, Européen, et Wallon dans une moindre mesure (tableau 4)21. On notera l’évolution décroissante entre le T1 et le T2 qui peut s’expliquer partiellement par certaines discussions de la journée dont le contenu vient d’être évoqué. Notons également la complémentarité dans ce cas des sentiments d’appartenance plutôt que leur exclusivité : on peut se sentir à la fois francophone, Belge, Européen et, parfois, Wallon22.
Tableau 4 : Sentiments d’appartenance (en pourcentage)
24Cependant, même lorsqu’il existe une certaine complémentarité entre les identités, une hiérarchisation peut prévaloir. La participante B6 dépeint ses sentiments d’appartenance : «je me sens surtout belge à la base. C’est vrai que je n’ai pas une bonne connaissance du néerlandais mais je ne me sens pas spécialement wallonne pour la cause. Francophone, vu que je parle français, forcément, mais... […] c’est comme cela, je suis tombée dedans. Mais, j’aime bien me sentir européen. Très européen c’est important car c’est un rassemblement de pays, un essai de s’entendre bien avec tout le monde. Ce serait d’abord la belge puis l’européenne. Et wallon, il faut prendre cela comme... pas que cela n’a pas d’importance, je me sens wallon aussi mais pas... c’est plutôt le fait d’être belge qui est important, l’unité du pays et tout cela» (B6, P2). À la question de se sentir plus francophone ou plus wallon, un participant répond : «je me sens plus francophone que wallon. C’est vraiment parce que francophone, je le suis, de fait, je parle français, par contre, wallon, c’est quelque chose que nous avons inventé, ici en Belgique, au lieu de dire que la Belgique est un État unitaire, on a créé la Flandre et la Wallonie, c’est pour ca que je me sens plus francophone que wallon» (B3, P2).
25Cette question de la hiérarchisation entre une identité francophone et une identité wallonne renvoie à la réalité difficile à mesurer de l’identité franco-wallonne. Cette réalité est pourtant importante à considérer lorsque l’on traite des relations communautaires en Belgique : est-ce que les «communautés» en présence sont les francophones et les néerlandophones ou plutôt les Flamands et les Wallons, ou encore, comme on l’entend parfois, les francophones et les Flamands23 ? En d’autres termes, qui est le nous ? Théoriquement, ces quatre identités renvoient à des conceptions différentes (le territoire, voire la culture, pour la notion de «Flamand» et de «Wallon» ; la langue pour la notion de «néerlandophone» et «francophone»)24 mais en pratique elles se recouvrent et se confondent parfois.
26Par ailleurs, des discussions ressort une réalité mieux connue : la prépondérance d’un sentiment de fierté belge sur une fierté wallonne. De nombreux citoyens ont évoqué la situation économique précaire wallonne et certains problèmes liés à la gouvernance en Wallonie (généralement en comparaison avec la situation en Flandre) pour expliquer leur faible niveau de fierté wallonne. Au-delà de ces considérations, nombre de participants indiquent plutôt un choix positif à l’endroit de la fierté belge comme le souligne le participant B2 : «moi je le sens le sentiment national belge, absolument. C’est sentimental peut-être, même caractériel. C’est une explication qui pour moi est comme ça» (B2, P2).
27La prépondérance de l’identité belge peut être mise en perspective avec les échanges sur deux autres thématiques : la reconnaissance d’une nation distincte flamande et d’une nation distincte wallonne25. D’un point de vue quantitatif, la très grande majorité des répondants ne pense pas que la Wallonie forme une nation distincte du reste de la Belge ; ils sont toutefois 39 % à le penser de la Flandre. Une grande partie des citoyens présents à la rencontre se sent avant tout belge et on peut même se risquer à avancer que, pour eux, si nation il doit y avoir, celle-ci serait la nation belge. Le participant B2 abonde dans ce sens : «je crois que dans l’ensemble, c’est la nation belge qui représente le mieux» (B2, P2).
28Cette dynamique est essentielle à comprendre dans l’étude du fédéralisme belge. En effet, les résultats de la rencontre citoyenne laissent à penser qu’une frange plus ou moins grande de la population francophone s’identifie avant tout à la Belgique. On comprend alors aisément pourquoi ces personnes s’opposent assez farouchement au fédéralisme qu’ils comprennent comme étant du séparatisme, et pourquoi certains d’entre eux désirent le rétablissement de l’État belge unitaire. Cette vision particulière de la Belgique ne laisse, cependant, guère de place aux demandes flamandes, portées par le mouvement flamand depuis de nombreuses années26, ni même à la reconnaissance d’une nation flamande. Ces considérations introduisent le quatrième volet des perceptions : la perception de l’autre communauté, dans ce cas, la communauté néerlandophone/flamande.
3.4. Ces Flamands : qui sont-ils ?
29La dynamique principale du fédéralisme belge est la négociation politique entre deux communautés linguistiques et culturelles et, plus récemment, économiques, médiatiques et politiques. L’ensemble de la transformation de la Belgique d’un État unitaire à un État fédéral s’est articulée initialement autour des demandes linguistiques et culturelles des représentants du nord du pays (qui ont mené à la création des Communautés) et des demandes économiques des représentants du sud du pays (qui ont mené à la création des Régions). Pour étudier les perceptions fédérales des citoyens, il est donc nécessaire de jauger leurs perceptions de l’autre communauté. Tout d’abord, la langue différencie clairement les francophones présents des néerlandophones. En effet, peu d’entre eux parlent couramment le néerlandais (11 sur 64).
30Si la langue différencie les Flamands des Wallons, constitue-t-elle la seule différence ? Au vu des réponses des participants, il semble que non27. Les différences culturelles et économiques surgissent rapidement des discussions. Pour le participant B8, au niveau économique les Flamands se différencient clairement des Wallons : «les Wallons vont refaire le monde en discutant derrière un verre de bière. Le Flamand est pragmatique. Il se fout pas mal d’emmener un grand principe, mais demain, il a conclu un accord de vente avec celui-là et avec cela, il va aller vendre pour trois millions d’euros à Mons, à Liège ou à Charleroi. Le Wallon va faire de grands projets, va discourir, va monter une concession... et il n’aura pas vendu pour un balle» (B8, P3). Pour un autre participant, le culturel se combine avec l’économique : «les langues germaniques sont des langues d’action tandis que les langues latines sont des langues de réflexion» (B3, P3).
31Au cœur de ce débat se situe l’impact de l’économie sur les différences entre les francophones ou Wallons et les Flamands. Pour le participant B9, «il y a 50 ans, on aurait peut-être pu dire que le Flamand est fainéant et que le Wallon était quelqu’un d’actif. Je crois que c’est cyclique. Bon, maintenant, la balance, elle penche d’un côté. Avant, elle penchait de l’autre. C’est ça qui fait la force d’un pays comme la Belgique, c’est que on a cette balance et que, grâce à cela, on a cette stabilité nationale» (B9, P3). À côté de ces réflexions sur les différences entre les deux communautés, ce qui retient l’attention c’est l’utilisation récurrente de l’appellation de «Wallons» lorsque l’on évoque les différences économiques avec les Flamands alors que dans les discussions sur les identités il ressortait clairement que nombre de participants s’identifiaient comme francophones et non comme Wallons. Ainsi, on pourrait suggérer que l’identité wallonne n’est pas si inexistante que l’on pourrait le croire aux premiers abords et en particulier lorsque l’économie est en jeu.
32Concluons la description des perceptions en présentant les résultats d’une question-phare du questionnaire : la perception des préférences fédérales des néerlandophones par les participants. Ainsi, 73 % en T1 et 81 % en T2 des répondants indiquent qu’une majorité de personnes en Flandre désire davantage de compétences pour les Régions et les Communautés (graphique 128). Un autre groupe, représentant une dizaine d’individus, estime dans un premier temps que la préférence fédérale d’une majorité en Flandre va plutôt à la scission de la Belgique ; ce groupe diminue toutefois de moitié à la suite de la journée. Les quelques autres personnes oscillent entre le statu quo et le rétablissement de l’État belge unitaire (cette proposition ne reçoit plus aucune attention en T2). Rappelons qu’il faut considérer ces résultats comme éclairant les discussions en petits groupes et non pas comme des résultats généralisables à l’ensemble de la population.
Graphique 1 : Une majorité de personnes en Flandre désire… (T1 et T2)
3.5. Et l’avenir ?
33Au terme de l’exposition des perceptions fédérales des participants, on peut se tourner vers la thématique des préférences fédérales à proprement parler. Au total, vingt-huit questions abordant cette thématique sont posées dans le questionnaire. La majorité d’entre elles s’articule autour de propositions concrètes sur le futur de la fédération belge. Ces préférences potentielles sont souvent entendues dans les discussions sur le sort de la Belgique et sont donc posées dans les sondages classiques. Lors des discussions, les citoyens ont également pu échanger sur le contenu de ces préférences et donner leur opinion. Dans le contexte belge qui connaît une réforme institutionnelle importante à peu près tous les sept ans, il ne s’agit donc pas de politique-fiction que d’envisager ces évolutions possibles – même si certaines sont moins plausibles, voire même quasi-impensables politiquement.
34Allons directement au cœur de l’avenir de la Belgique avec la question : «Quelle politique souhaitez-vous pour la Belgique ?» (graphique 2). À cette question était accolée cinq propositions habituellement exposées dans les sondages classiques29 : «Davantage de compétences pour les Régions et les Communautés», «Le rétablissement de l’État belge unitaire», «Le statu quo de l’État fédéral actuel», «Moins de compétences pour les Régions et les Communautés», et «La scission de la Belgique». En T1, une sixième modalité était présente «Je ne sais pas».
Graphique 2 : Quelle politique souhaitez-vous pour la Belgique ? (T1 et T2)
35Un premier constat lorsqu’on observe le graphique 2 est la répartition des réponses : aucune modalité ne reçoit la majorité absolue des préférences ; une hiérarchie se marque toutefois : d’abord, le statu quo fédéral (42 %), ensuite, le rétablissement de l’État belge unitaire (23 %), et en troisième position, davantage de compétences – aux Régions et aux Communautés (16 %). Ainsi, les participants ne sont pas tous unis derrière une seule préférence ; ils se distinguent, en fait, même fortement les uns des autres. En effet, entre davantage de compétences et le rétablissement de l’État belge unitaire, la différence est importante au niveau des conséquences politiques. Le groupe des partisans du statu quo actuel semble venir médiatiser ses deux positions, mais une autre interprétation pourrait être qu’ils constituent une option à part entière.
36Un deuxième constat a trait à l’évolution entre le T1 et le T2. Le groupe des partisans du rétablissement de l’État belge unitaire s’est substantiellement réduit (passant de 23 % à 8 %), tandis que la modalité moins de compétences doublait d’importance (de 6 % à 17 %) et que le groupe du statu quo recevait un peu plus de suffrage (dépassant, avec 52 %, la majorité absolue). Seul le groupe préférant davantage de compétences restait plus ou moins inchangé (de 16 % à 20 %, c’est-à-dire trois personnes en plus).
37Ces résultats illustrent la discussion sur l’avenir de la Belgique, vu par les francophones. Au sein de notre échantillon et reflétant les données représentatives récoltées par les sondages30, ces derniers se divisent au moins en trois groupes sur ce sujet : les partisans d’une «refédéralisation» (que cela soit avec le rétablissement pur et simple de l’État unitaire ou via moins de compétences pour les entités fédérées), les supporters d’un statu quo – peut-être «amélioré» tel que suggéré par Paul Piret lors de son intervention – et, enfin, les tenants d’un approfondissement du système fédéral en confiant davantage de compétences aux Régions et aux Communautés. Ce constat doit être nuancé afin de refléter la diversité des opinions parmi les participants. Une participante estime que «c’est de toute façon pas la scission. Et après, revenir en arrière, refédéraliser comme disait le journaliste, c’est peut-être plus possible vraiment. Ce serait peut-être plus simple mais ce ne serait pas simple d’y repasser. Donc, comme il disait, un statu quo amélioré mais je ne sais pas vraiment qu’est ce qu’on pourrait vraiment améliorer» (B6, P4). Un autre participant a une vision un peu différente de l’avenir : «ce qui faudrait peut-être, c’est […] plus d’autonomie communautaire, ou communautaire et régionale, là je ne prends pas position donc fédérale dirons-nous, le plus d’autonomie va se jouer sur les moyens pour arriver à quelque chose et qu’on va par contre apporter au niveau fédéral les gardes fous sur certains grands résultats et grands équilibres auxquels on ne veut pas, ou on ne peut pas, toucher, sans quoi, on va vraiment mettre la maison par terre» (B8, P4).
38Par ailleurs, le tableau 5 indique qui a changé d’opinion entre le T1 et le T2. On remarque d’emblée que la moitié des répondants a changé/n’a pas changé de préférence entre le début et la fin de la rencontre. Ainsi, la participation à une journée de discussion a eu un impact sur 32 participants et n’en a pas eu sur 32 autres. En soi, que certaines personnes changent d’opinion et d’autres non n’est guère surprenant – l’objectif de la recherche n’est d’ailleurs pas de provoquer un changement de préférence. Ce qui est intéressant à comprendre, et cela méritera des analyses approfondies, c’est qui et pourquoi change ou ne change pas d’opinion. Sans chercher à entrer dans les détails, on peut noter qu’il n’y a pas de mouvement clair d’une préférence vers une autre préférence en particulier ; le changement affecte toutes les préférences.
Tableau 5 : Souhaits pour l’évolution de la Belgique en T1 (lignes) et en T2 (colonnes) (en chiffres absolus)
39Cette discussion sur les préférences fédérales des citoyens montre une diversité dans les préférences lorsque l’on pose une question «exclusive», c’est-à-dire que l’on oblige le répondant à se positionner par rapport à une préférence. Une telle question pourrait sembler trop restrictive puisqu’elle force à choisir parmi plusieurs propositions qui pourraient être appréciées également. Néanmoins, dans certaines situations, les citoyens doivent véritablement se positionner, par exemple, dans le cas d’un referendum, même si tous les referendums ne sont pas nécessairement obligatoires. Ceci dit, dans le questionnaire distribué lors de la rencontre citoyenne deux séries de questions demandaient aux répondants de se positionner sur une échelle allant de «Pas du tout d’accord» à «Tout à fait d’accord» par rapport à diverses politiques ou préférences fédérales.
40Parmi ces préférences, le statu quo fédéral actuel reçoit le soutien d’une majorité de citoyens (61 % en T1 et 58 % en T2). Ensuite viennent trois autres préférences : davantage de compétences, le rétablissement de l’État belge unitaire et moins de compétence (Graphique 3). Alors que le soutien pour la première est resté quasi-inchangé (45 % en T1 et 46 % en T2), le soutien pour les deux autres s’est «croisé» (de 44 % à 23 % pour le rétablissement de l’État belge unitaire et inversement de 27 % à 47 % pour moins de compétences).
Graphique 3 : Souhaits pour l’évolution de la Belgique (T1et T2)
41Beaucoup d’enseignements peuvent être tirés de ces résultats. Livrons-en trois. Premièrement, le statu quo de l’État fédéral actuel est loin de faire l’unanimité parmi les répondants, puisque 40 % d’entre eux ne sont plutôt ou pas du tout d’accord avec cette préférence fédérale. Deuxièmement, alors que l’on perçoit généralement une réticence dans le monde politique francophone relayée par les médias au sujet des transferts de compétence de l’État fédéral vers les entités fédérées, un peu moins de la moitié (autour de 40 % en T1 comme en T2) des répondants sont tout à fait/plutôt d’accord avec la proposition de donner davantage de compétences aux Régions et au Communautés. Un participant synthétise ces deux visions : «qu’ils mettent des compétences plus vers le niveau fédéral et d’autre vers les régions et communautés mais pas en tout cas ni la scission ni un retour vers l’État unitaire, ça je pense que c’est impossible» (B3, P4). Troisièmement, suite aux discussions de la journée, de nombreux participants ont le sentiment qu’un rétablissement de l’État unitaire n’est pas souhaitable et/ou possible ; certains d’entre eux, se tournent alors vers la diminution de compétences à l’endroit des entités fédérées. Un participant fait ce constat : «d’abord, il faut se rendre compte que la Belgique à papa, je crois qu’elle a vécu. Le système actuel a quand même tenu pendant pas mal d’années et il faut apporter les modifications avec l’étape où chacun se mette à la table, je veux dire que le nord et le sud sortent du talus. Il est certain que certaines compétences sont à refédéraliser» (B1, P4).
42Dans les prochaines années, l’évolution politique et constitutionnelle de la Belgique se fera vraisemblablement par à-coups, par réforme de l’État, par transfert de compétences, comme cela s’est fait depuis 1970, plutôt que par une décision finale entre «rester fédéralement ensemble» ou «se séparer». Afin d’éclairer quels pourraient être les prochains transferts de compétence, des questions visant des matières précises ont été posées31. Les résultats présentés dans le graphique 4 montrent une distinction entre l’emploi et la mobilité, d’une part, et les autres matières, d’autre part. Néanmoins, en T2, le soutien pour une éventuelle régionalisation/communautarisation de ces compétences a diminué pour chacune d’entre elles.
Graphique 4 : La Flandre, la Wallonie et Bruxelles doivent-elles pouvoir décider de façon autonome au sujet de… (T1 et T2)
43D’une manière générale, les résultats obtenus à Liège différent un peu des résultats plus élevés – pour chacune de ces propositions – de l’enquête conjointe des journaux De Standaard et Le Soir32. Outre la différence importante entre les deux échantillons – l’un étant aléatoire et représentatif, l’autre, celui de la rencontre citoyenne, ne l’étant pas du tout – cette différence entre les résultats rappelle indirectement l’objectif de la rencontre citoyenne : permettre aux citoyens de discuter et de s’informer sur les thématiques en question avant de leur demander leurs opinions. Dès lors, est-ce que les résultats du sondage De Standaard-Le Soir auraient également connu une baisse comme celle observée après la rencontre de Liège ? Bien évidemment, il est impossible de répondre à une telle question. On sait cependant que les soixante-quatre répondants de la rencontre citoyenne de Liège ont eu l’occasion de discuter pendant toute une journée de ces thématiques et qu’ils ont ainsi pu réfléchir à ces questions avant de donner leur avis. Cet élément est important lorsque l’on veut étudier les perceptions et les préférences politiques des citoyens.
En guise de conclusion
44Pour conclure, mentionnons que si plus de 70 % des citoyens présents sont prêts à s’engager dans un groupe pour défendre leur vision du futur de la Belgique, ils ne sont que 8 % à se dire prêt à prendre les armes et se battre pour une telle cause. Ces chiffres, ainsi que l’histoire du pays, laissent espérer que la voie politique plutôt que la voie violente sera toujours préférée dans la résolution du contentieux communautaire en Belgique, même si aucune solution miracle ne se profile à l’horizon. Le dialogue entre communautés pourra ainsi rester au cœur du fédéralisme «à la belge».
45Ce tour d’horizon des perceptions et préférences fédérales recueillies auprès de soixante-quatre citoyens belges francophones à Liège en septembre 2007 est largement préliminaire et ne présente que de premières analyses. Cet article montre néanmoins qu’une grande diversité caractérise les opinions, attitudes et comportements des participants à l’endroit du fédéralisme belge et plus généralement de l’avenir politique de leur pays. Surtout, tous ont livré avec beaucoup d’enthousiasme, voire de passion, leurs perceptions et préférences fédérales.
46Si d’aucuns déplorent qu’un grand nombre de citoyennes et citoyens se sentent, se disent ou soient désintéressés par la politique, l’expérience menée à Liège, et qui a été reproduite dans trois autres contextes, démontre clairement qu’un intérêt potentiel pour la politique demeure bien présent chez de nombreux citoyens.
Notes
To cite this article
About: Min Reuchamps
Aspirant du Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS au Département de Science politique, Université de Liège