Fédéralisme Régionalisme

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Béatrice Barbusse

Le modèle fédéral dans le sport français, un principe fondateur dépassé ?

(Volume 9 : 2009 — Numéro 2 - Le fédéralisme sans l'État fédéral)
Article
Open Access

Résumé

Dans le sport français, le fédéralisme s’est installé comme une évidence institutionnelle dès la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle dans un pays qui pourtant ne se pense pas fédéral. En outre, si son apparition est liée à l’émergence du sport comme nouvelle pratique sociale à côté d’autres pratiques physiques plus traditionnelles, il s’est rapidement imposé comme la pierre angulaire de l’ordre sportif français. Près d’un siècle plus tard, son monopole institutionnel est bousculé voire «concurrencé». Ces constats d’ensemble nous amènent à nous interroger sur les raisons pour lesquelles le sport a épousé le modèle fédéral dans un pays non fédéral, mais aussi sur ses limites actuelles. Est-il encore le modèle approprié aux circonstances contemporaines ? A-t-il toujours sa place dans le système de gouvernance du sport ? Ou bien, a contrario, reste-t-il le dernier rempart légitime face aux excès du sport contemporain (dopage, violence, corruptions, déficits…) ? À partir d’une approche socio-historique, il s’est agi dans cet article de reconstruire le fil de la généalogie du fédéralisme sportif tout en s’interrogeant sur ses perspectives. Au delà de la question du fédéralisme, c’est bien celle de la gouvernance du sport contemporain qui est posée.


1Le fédéralisme sportif, phénomène fortement répandu, constitue en France un exemple de fédéralisme dans un pays qui ne se pense pas fédéral. À l’origine du développement du sport, il constitue, depuis plus d’un siècle, la pierre angulaire de l’ordre sportif. Présent depuis si longtemps, il est d’ailleurs devenu un acteur si familier au sein de l’univers sportif qu’il est peu interrogé. En effet, on constate qu’il existe peu d’écrits et de travaux académiques sur ce thème. Ce dernier rentre dans la problématique de la gouvernance des organisations sportives, lui-même un sous-thème de la gouvernance des organisations associatives. Or si pour ces dernières, beaucoup d’études semblent exister on note en revanche un faible nombre encore de travaux à propos de la gouvernance des organisations sportives1 et en particulier des fédérations sportives2. En France, dans les années 1980 elles ont été étudiées par un nombre restreint de sociologues comme le souligne Emmanuel Bayle3, depuis lors, ce sont essentiellement des approches gestionnaires qui explorent la question de leur gouvernance4.

2Nous privilégierons dans cet article une approche socio-historique. Il s’agira plus précisément de reconstruire le fil de la généalogie du fédéralisme sportif. Loin d’être une catégorie donnée, il convient de saisir, dans un premier temps, pourquoi et comment le fédéralisme s’est imposé comme la pierre angulaire de l’ordre sportif français tout au long du 20e siècle. Puis dans un deuxième temps, face à la complexification du champ sportif contemporain, nous nous interrogerons sur les perspectives du modèle fédéral. Est-il encore le modèle approprié aux circonstances actuelles ? N’est-il pas totalement dépassé ? A-t-il encore sa place dans le système de gouvernance du sport ? Ou bien, a contrario, reste-t-il le dernier rempart légitime face aux excès du sport contemporain (dopage, violence, corruptions, déficits, etc.) ?

3En tout état de cause, l’objet de cet article est de montrer que si le modèle fédéral a permis de développer et de promouvoir la pratique d’activités physiques et sportives en France tout au long du 20e siècle, il est aujourd’hui mis à mal par la présence d’acteurs concurrents et plus généralement par l’évolution de l’univers sportif français. Dans un champ sportif entendu comme «un champ de forces, dont la nécessité s’impose aux agents qui s’y trouvent engagés, et comme un champ de luttes à l’intérieur duquel les agents s’affrontent, avec des moyens et des fins différenciés selon leur position dans la structure du champ de forces, contribuant ainsi à en conserver ou à en transformer la structure»5, le système fédéral, cadre institutionnel de référence jadis, est aujourd’hui un acteur parmi d’autres dont le positionnement est bousculé.

1. Les principes de gouvernance du mouvement sportif

1.1. Aux origines du modèle fédéral sportif

4Pour comprendre comment le fédéralisme s’est imposé comme univers institutionnel de référence dans le sport et identifier la nature de celui-ci, il faut revenir aux origines du sport en France. En effet, l’apparition du fédéralisme est d’abord liée à l’émergence du sport comme nouvelle pratique sociale à côté d’autres pratiques physiques plus traditionnelles. Une fois cette nouvelle activité sociale introduite, il lui faut un cadre d’exercice.

1.1.1. L’apparition du sport

5Étymologiquement, «sport» vient d’un vieux mot français «desport» apparu à la fin du 12e siècle qui signifie «se divertir», «s’amuser». Le mot va gagner l’Angleterre au 13e siècle pour resurgir plus tard en France, un peu modifié, où il est attesté en 1827. Si l’usage du mot est donc ancien, il faut noter que sa signification a évolué au cours du temps. Ainsi, c’est seulement à la fin du 19e siècle que le sport au sens moderne du terme est apparu. Comme le souligne le sociologue français P. Parlebas qui est le premier chercheur en France à s’être préoccupé des contours sémantiques du vocable «sport», même «si le signifiant possède une longue histoire, le signifié est neuf»6.

6En effet, au tournant du 19-20e siècle, on distingue trois types d’activités corporelles qui ont des significations différentes. Tout d’abord on trouve des jeux traditionnels pratiqués par des adultes (course en sac, courses de barques, les joutes, le grimper au mât de cocagne, le tir à la corde), en particulier par des hommes forts, athlétiques qui sont effectués les jours de fête au cœur du village ou du quartier. Ce sont des activités parfaitement codées et normées qui concernent le genre masculin, des lieux et des moments précis et sont constitutives d’une culture rurale avec des modes de sociabilité particulières. Ces jeux traditionnels pouvaient également être pratiqués par des enfants. On retrouve alors la marelle, la balle au mur, les gendarmes et voleurs, la balle au prisonnier, le coinchon, etc. Dans ce cas, ces activités qui engagent le corps appartiennent à une culture générationnelle datée historiquement.

7À côté, on trouve la gymnastique scolaire rendue obligatoire pour les garçons en 1880. Elle consiste à réaliser des mouvements d’ensemble exécutés avec ordre et discipline dont l’origine est allemande. À l’époque de son introduction en France, sa mission est clairement explicite. En l’occurrence, pour les Républicains, la gymnastique est un élément de l’éducation de l’individu, du citoyen car ils considèrent que c’est dans la discipline que se forge la conscience nationale et l’esprit patriotique7. La fonction manifeste de la gymnastique est ici fondamentalement éducative, citoyenne et patriotique.

8Enfin, on trouve les sports athlétiques qui apparaissent dans le dernier quart du 19e siècle et qui sont importés de l’Angleterre. Ces nouveaux sports sont pratiqués dans les Publics Schools8. Ses défenseurs considèrent que le sport est un vecteur du «self government» (discipline librement consentie, autonomie) qui permet ainsi de faire l’économie de la discipline. En dehors des Public Schools, ils sont pratiqués en premier lieu par des aristocrates. On trouve le lawn tennis, l’équitation, le tir, le cyclisme, l’automobile, l’escrime, le polo.

9En France, ce sont aussi les élites sociales qui vont s’emparer de ces nouvelles activités corporelles. «Favoriser une bonne condition physique, une saine émulation, un véritable amateurisme et un esprit sportif permettrait à l’élite naturelle venue de l’aristocratie et de la classe moyenne aisée de donner à la France de nouveaux dirigeants brillants»9. Telle est la fonction avouée des promoteurs de ces nouvelles pratiques sociales. Mais outre cette fonction déclarée, ces activités sportives ont à l’époque une fonction latente10. Acte de consommation ostentatoire elles visent à symboliser le statut social d’une personne appartenant à la classe supérieure que le sociologue Veblen qualifiait de «classe de loisir» ou de «classe oisive»11. Pour montrer que l’on appartient bien à cette catégorie sociale qui considère le travail comme une activité vile et non noble, il convient de consommer du «loisir ostentatoire» qui symbolise un style de vie «affranchie de toute occupation utile»12.

10Le sport dès ses origines modernes constitue donc «une activité gratuite et désintéressée où la manière d’être et de faire (style, fair-play) compte davantage que la performance»13. Il désigne un ensemble d’activités qu’il convient de pratiquer pour montrer que l’on appartient bien à la catégorie de la population qui n’a pas besoin de travailler et qui a pour vocation avouée de former une élite sociale digne de son rang. Les cadres de référence sont la compétition, l’amateurisme et une éthique comportementale. Introduit en France par des innovateurs sociaux qui appartiennent aux classes sociales favorisées à l’image du Baron Pierre de Coubertin, par la suite le sport a suivi le même processus sociologique de diffusion que la mode décrit par Gabriel Tarde14 et Georg Simmel15.

11Mais à côté de ces sports pratiqués dans un cadre amateur par une catégorie particulière de la population, des compétitions à caractère privée et professionnelle se développent également dans des disciplines comme la boxe, la course à pied, l’aviron, le golf et le cyclisme. Dans ce cas, les pratiquants ne sont pas amateurs car ils sont rémunérés par des organisateurs privés en fonction de leur résultat. Pour les défenseurs du sport à l’anglaise, ce type de pratique est inenvisageable.

12Dès la fin du 19e siècle, au sein de l’univers sportif une première opposition apparaît donc entre ceux qui à l’image de Pierre de Coubertin prône le modèle élitiste anglais amateur et ceux qui prônent le professionnalisme.

1.1.2. Un fédéralisme pluriel

13C’est à la fin du 19e siècle que des initiatives privées vont engendrer les premières sociétés civiles de sport16, puis des associations sportives à partir de 1901. Quand leur nombre a commencé à s’élever, le besoin est apparu de se regrouper. Ainsi, c’est en 1873 que va apparaître l’Union des sociétés de gymnastique de France (USGF), une institution d’éducation corporelle d’obédience laïque et républicaine. Du côté des sports, des organismes nationaux vont apparaître progressivement afin d’organiser des principes communs de compétition. Car pour qu’il y ait affrontement compétitif, il faut être non seulement plusieurs mais il faut appliquer des règles communes, et identifier des principes de classement. En 1889 apparaît ainsi l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) qui regroupent plusieurs sports alors en vogue : athlétisme, football, rugby, sports d’hiver, tennis, golf, etc. À côté, des Unions nationales unisports voient également le jour.

14Avant la 1ère guerre mondiale, des initiatives privées sont donc à l’origine de plusieurs regroupements de type fédéral. Leur pluralité renvoie aux clivages de la société française d’alors. On trouve l’USGF, républicaine et laïque, la Fédération gymnique et sportive des patronages de France (FGSPF) créée en 1903 regroupant des sociétés sportives catholiques, la Fédération sportive athlétique socialiste (FSAS) créée en 1908, l’USFSA qui sur la base du modèle britannique représente le courant libéral et humaniste, la Fédération de sociétés féminines et sportives de France (FSFSF) créée en 1917.

15Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale, que l’USFSA décide la création de fédérations autonomes pour chaque discipline. Ainsi durant les années 1920, de nombreuses fédérations voient le jour : fédération française de football (1919), d’athlétisme (1920), de rugby (1920), de tennis (1920), de natation (1920), etc. Progressivement, le modèle fédéral s’impose et se structure à partir du modèle organisationnel associatif. Chaque fédération a la charge de réglementer et d’organiser la pratique compétitive de sa discipline. Sans que cela soit obligatoire, un nombre grandissant de clubs y adhère pour pouvoir participer aux compétitions organisées au niveau local et national. Adhérents à une fédération, les clubs restent parfaitement libres et autonomes d’organiser leur structure comme ils l’entendent tout en respectant le cadre associatif de référence.

16Jusqu’aux années 1960, un mouvement sportif s’organise et s’autonomise engendrant un glissement progressif de la logique originelle. Une verticalité descendante prend ainsi le pas sur le mode organisationnel plutôt ascendant des origines :

«Le regroupement des associations en fédérations tend à privilégier la norme et les prescriptions. L’appartenance à la communauté devient plus objective, dans le sens où elle oblige à adhérer à un projet qui se constitue à l’extérieur des membres du groupe. À partir du moment où des textes écrits, des directives nationales disent à tous quelles sont les règles et le sens de la vie communautaire, les membres du groupe sont moins autonomes.»17

17Au niveau international, la première organisation à émerger en 1894 est, sous l’impulsion de Pierre de Coubertin, le Comité international olympique. Ce dernier vise à unifier et à internationaliser le sport naissant à travers l’organisation d’une nouvelle compétition, les «Jeux olympiques». Au même moment, se créent des fédérations sportives internationales qui commencent à organiser des compétitions au niveau international sous le même modèle que les fédérations nationales. Ces fédérations internationales sont des organisations non gouvernementales parfaitement autonomes qui prennent également une forme associative.

18Comme on le voit, en un demi-siècle, le modèle fédéral s’est progressivement imposé comme le pouvoir exclusif contrôlant, réglementant et organisant la pratique sportive tant sur le plan national qu’international. Le caractère fédéral des premières unions correspond tout à fait à l’époque à la volonté des dirigeants des nouvelles organisations sportives de développer une discipline dans un cadre compétitif tout en gardant leur identité propre. En effet, «chaque fois que des groupes ont besoin de travailler ensemble à la réalisation d’objectifs communs, mais ne souhaitent pas fusionner (souci de maintenir leur identité, etc.), une union fédérale est à la fois nécessaire et possible»18.

19Via le fédéralisme, c’est l’idée d’une communauté solidaire transcendant les enjeux politiques, religieux et économiques qui est privilégiée au départ même si des fédérations affinitaires apparaissent ici et là. Sur le plan théorique, la participation de tous est assurée via des systèmes de représentations traditionnelles au niveau local puis national tout en respectant une autonomie de fonctionnement aux sociétaires c’est à dire les clubs. Toutefois, nous avons noté que cette autonomie originelle perd de plus en plus de sa réalité au fur et à mesure que le modèle fédéral se développe.

1.2. Le fédéralisme, pierre angulaire de l’ordre sportif français

1.2.1. Institutionnalisation et mise sous tutelle du sport fédéral

20À partir de la Seconde Guerre mondiale, les fédérations sont mises sous tutelle de l’État. Une gouvernance partagée du sport se met ainsi en place. Après le contrôle imposé par le gouvernement de Vichy, c’est une ordonnance du 28 août 1945 qui crée le principe de délégation de pouvoir. L’État délègue le pouvoir aux fédérations d’organiser les compétitions sportives. Il faut ensuite attendre la loi Mazeaud du 29 octobre 1975 pour que les relations entre l’État et les fédérations soient davantage clarifiées. Celle-ci crée une première distinction entre les fédérations habilitées (l’habilitation remplace la délégation de pouvoir) à organiser les compétitions sportives (départementales, régionales et nationales), à attribuer des titres et à arrêter les sélections en équipe nationale et les fédérations simplement agréées (généralement les fédérations multisports ou affinitaires). Quelle que soit la nature des fédérations, elles sont toutes mises sous la tutelle du ministère en charge des Sports à l’exception de celles qui relèvent du ministère de l’Éducation nationale. En tout état de cause, la loi reconnaît officiellement, via le concept d’habilitation, aux fédérations le droit d’exercer une fonction de l’État à savoir la promotion et l’organisation des activités physiques et sportives.

21La loi du 16 juillet 1984 revoit la distinction entre fédération agréée et habilitée et revient à la délégation. Les fédérations agréées sont accréditées d’une mission de service public à condition qu’elles aient adopté les statuts types définis par décret en Conseil d’État. Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) auxquelles sont affiliées toutes les fédérations sportives est défini comme le représentant du «mouvement sportif». L’État peut soutenir l’action des fédérations par la mise à disposition de moyens financiers et humains par le biais de conventions d’objectifs. Selon P. Chifflet, cette loi «marque le sommet de l’engagement des pouvoirs publics et officialise l’ambiguïté du système fédéral : ni tout à fait associatif, ni tout à fait service public»19. Depuis, différents textes législatifs sont venus compléter la loi de 1984 afin d’adapter le cadre réglementaire aux évolutions du secteur sportif. Aujourd’hui, l’ensemble des textes régissant l’organisation et le fonctionnement du champ sportif français est spécifié dans le code du sport.

22À travers tous ces textes législatifs, le modèle fédéral est reconnu comme étant le modèle central autour duquel les acteurs du champ sportif doivent se regrouper. Une fédération est dès lors une union d’associations sportives régie par la loi de 1901 pratiquant le même sport ou plusieurs ou regroupant des licenciés appartenant à une même catégorie sociale (on parle alors de «fédérations affinitaires»). Avec l'arrivée du sport professionnel apparaissent des structures de type commercial. Ces dernières liées par une convention à l’association sportive d’origine sont également affiliées à leur fédération respective permettant ainsi à leurs joueurs d’avoir la licence qui leur donne le droit de participer aux compétitions sportives.

23La délégation à une fédération est accordée pour une durée de 4 ans (durée d’une olympiade). On en compte aujourd’hui plus d’une centaine. Globalement, le gouvernement du sport est fondé sur un modèle hiérarchique descendant : au sommet des fédérations internationales autonomes et responsables des compétitions continentales (championnats ou coupes du monde), à côté des fédération européennes indépendantes chargées de l’organisation des compétitions européennes (championnats d’Europe, coupes d’Europe), puis des fédérations nationales auxquelles sont affiliés des clubs locaux.

24Au niveau national, un modèle déconcentré s’est construit progressivement. Que ce soit au niveau du comité olympique, des fédérations ou du ministère chargé des Sports, il existe des structures au niveau local (départemental et régional) qui sont chargées à leur niveau d’appliquer les réglementations nationales et de participer à l’organisation locale des activités physiques et sportives. En fonction des appellations qui peuvent être distinctes selon les disciplines sportives, ce sont des ligues, des districts ou tout simplement des comités départementaux et régionaux. Au niveau du ministère il s’agit de directions départementales et régionales.

25Des années 1960 aux années 1980, le système fédéral est à son apogée. Grand organisateur du sport avec les pouvoirs publics, le pouvoir fédéral organise une verticalité centralisatrice descendante grâce aux structures locales mises en place et est devenu ainsi l’acteur incontournable du champ sportif.

1.2.2. Le modèle fédéral, «une utopie en acte»

26Selon P. Chifflet, le modèle fédéral en sport est porteur d’un certain nombre d’idéaux dont les origines se situent, comme on l’a vu, à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle sous l’impulsion d’une élite sociale.

27Une des volontés des premiers promoteurs du fédéralisme est ainsi de constituer une communauté. Ce concept tel que les premiers sociologues, comme Ferdinand Tönnies, Fréderic Le Play, Max Weber ou Emile Durkheim l’entendaient recouvre «tous les types de relations caractérisées à la fois par des liens affectifs étroits, profonds et durables, par un engagement de nature morale et par une adhésion commune à un groupe social»20. Appliquée au champ sportif, c’est l’idée que le sport transcende les clivages politiques, sociaux, ethniques et générationnels et donc rassemble tous les individus au delà de leurs différences. Autrement dit, en adhérant à un club qui lui-même est affilié à une fédération, les individus appartiennent à un ensemble qui les dépasse. Désormais, tous sont liés non pas seulement contractuellement (la licence que l’on obtient en adhérant à un club) mais surtout affectivement. Comme le rappelait P. de Coubertin, en voulant recréer les jeux olympiques, c’est une «communauté planétaire» ouverte à tous qu’il convient de construire. Ce faisant, le fédéralisme sportif se revendique comme «une sorte d’espéranto ludique et émotionnel»21 où tous ceux qui en sont membres font partie de la même «famille».

28Cet idéal est encore présent de nos jours. Prenons l’exemple du traitement par les acteurs eux-mêmes et par la communauté journalistique de la menace de grève des joueurs de football en 2008 à propos du changement dans la structure du conseil d’administration de la Ligue nationale de football. La plupart (présidents de club, ministre des Sports, entraîneurs, journalistes)22 appelaient «les familles» à s’entendre. Dans le même esprit, au lendemain du titre de Champion du monde obtenu par les handballeurs français en février 2009, le Président de l’organisation représentative des Présidents de club écrivait dans un communiqué de presse :

«cette permanence dans l’excellence concrétise avec bonheur le travail entrepris par l’ensemble des composantes de la famille du handball».

29À travers ces deux exemples, on voit bien que malgré l’entrée dans le professionnalisme de certains sports23, l’idée de faire partie d’une «famille» unie qui transcende les clivages perdure. Pour tous ceux qui ont l’habitude de naviguer au sein du champ sportif, il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre que «le sport est une grande famille».

30Conjointement, une autre idée forte est que le sport est porteur d’une éthique dont le cœur est le respect des règles. Quel que soit le statut des acteurs (sportifs, arbitres, dirigeants, entraîneurs) participant au champ sportif, tous sont censés respectés cette éthique par le simple fait qu’ils sont membres actifs de la communauté sportive. Pendant longtemps, considérant que l’éthique sportive suffisait à réguler les comportements, le fédéralisme sportif n’a pas mis en place des modalités de contrôle et de régulation spécifiques visant à mettre au jour des pratiques juridiquement illicites (corruptions, dopage, blanchiment d’argent, etc.).

2. Le modèle fédéral sportif en question ?

2.1. Un enchevêtrement d’acteurs

31Depuis les années 1970, le modèle fédéral est mis à mal. De plus en plus son monopole est entre autres remis en cause par l’apparition, en dehors de l’ordre fédéral, de nouvelles activités physiques et sportives. Mais au sein même de celui-ci et à sa marge, le développement d’un secteur professionnel bouscule également les repères du champ sportif.

2.1.1. La diversification des logiques d’engagement dans le champ sportif

32Lorsqu’on explore le champ des activités physiques et sportives, on constate que «le sport, véritable vitrine des activités physiques, n’est pourtant qu’un maillon de la chaîne des pratiques physiques»24. De la fin des années 1970 jusqu’au milieu des années 1990, on constate tout d’abord un tassement significatif du nombre de licenciés fédéraux25. Conjointement, de nombreuses recherches attestent qu’une myriade d’activités sportives se sont développées à partir des années 1980 en dehors de l’ordre fédéral si bien que l’organisation et la gestion de certaines activités physiques lui échappent de plus en plus.

33On trouve en effet des pratiques dîtes «ludosportives» qui s’effectuent en dehors du système fédéral dénommées pour cette raison «pratiques libres» ou «auto-régulées». Parmi ces activités de loisir et non centrées sur la compétition, on y retrouve des activités physiques et sportives comme la marche, la natation, le vélo, le footing, les sports de glisse (glisse sur eau, sur bitume, sur neige ou dans l’air), l’escalade, etc. Le développement de ces pratiques renvoie à «l’émergence d’un ‘mode de vie alternatif’ qui caractérise le désir d’échapper à toute volonté organisatrice réglant, codifiant et ritualisant la pratique»26. Elles sont le reflet selon J.-D. Urbain d’une évolution plus globale qui atteste la montée d’un «individualisme de masse» qui «tend à se soustraire aux encadrements collectifs, se réorganise ailleurs et à une autre échelle qui n’est plus celle d’une réalité institutionnelle séculaire»27.

34Ces nouvelles pratiques ont investi trois types d’espace :

  • Des espaces urbains publics et privés. Dans les villes, des lieux publics destinés à l’origine à d’autres fins que sportives (parkings, places, rues, berges) servent couramment à la pratique d’activités comme le roller, le skate, le biker, le street basket, etc. À côté, on trouve au sein même des villes des espaces privés comme les salles de remise en forme gérées par des sociétés commerciales privées qui proposent une gamme de plus en plus variée de produits sportifs.

  • Des espaces péri-urbains. À la périphérie des grandes villes, des lieux comme les bois, les parcs, les espaces verts, les plans d’eau, les bases de loisirs, des plaines de jeux aménagés servent de support de plus en plus fréquemment à des activités physiques récréatives.

  • Des activités physiques de pleine nature (APPN) ont investi les grands espaces naturels comme la campagne (randonnées pédestres, équestres, cyclismes, courses d’orientation, etc.), la montagne (escalade, alpinisme, randonnées, canyoning, rafting, via ferrata, etc.) ou les bords de mer (volleybeach, sandball, sports de glisse sur eau, etc.). Ces dernières peuvent être offertes et organisées par des sociétés commerciales privées.

35Il faut noter que ce développement d’activités ludosportives a provoqué une réaction de la part des mouvements fédéraux. Ainsi, certaines d’entre elles ont été incorporées progressivement au sein des structures sportives traditionnelles. Comme le note A. Loret, «très logiquement, les fédérations verront dans cette opération la possibilité d’accroître à moindre coût leurs effectifs de licenciés. Elles développeront donc des stratégies d’intégration en jouant essentiellement de leur savoir-faire en matière d’organisation classique d’épreuves à vocation compétitive»28. Au sein de la fédération française de cyclisme, est créée par exemple dès 1988 une commission nationale dédiée au développement du VTT. Cette incorporation «contrainte» et «forcée» selon A. Loret montre la volonté du système fédéral sous tutelle étatique de contrôler le développement de l’ensemble des activités physiques et sportives malgré la diversification de ces dernières.

36Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui des acteurs privés (des individus, des sociétés commerciales) ont investi le marché sportif à côté du système fédéral remettant ainsi en cause le monopole institutionnel du fédéralisme sportif.

2.1.2. L’autonomisation d’un secteur professionnel

37Depuis les années 1980, le sport professionnel s’est progressivement organisé pour devenir aujourd’hui un secteur à part entière du champ sportif. Pour pouvoir le mettre en place, les fédérations ont créé des institutions spécifiques appelées «ligues» qui sont toutes liées à leur fédération respective par une convention.

38Si l’on examine les dates de création de ces organisations sportives (voir tableau 1), on constate qu’une tendance de fond s’est nettement amorcée depuis la fin des années 1980. Durant ces vingt dernières années, hormis le football, discipline sportive à s’être professionnalisée dès les années 193029, sept sports sont devenus professionnels et d’autres, comme le hockey sur glace, étudient le passage au professionnalisme.

Tableau 1. Création des ligues professionnelles

39Ce constat qui touche surtout les sports collectifs vaut pour les sports individuels. De plus en plus de sportifs qui pratiquent un sport individuel, tels les judokas, athlètes, nageurs, tennismen, se professionnalisent en rejoignant des structures privées comme celle de la «Team Lagardère»30.

40Parallèlement, pour organiser la régulation du sport professionnel de nouveaux acteurs sont apparus : des syndicats de sportifs31, des organisations patronales32, des syndicats d’entraîneurs33, des agents de sportifs, etc. Enfin, pour bénéficier de l’émergence d’un secteur professionnel, d’autres se sont également engagés conséquemment dans le champ sportif : les médias et surtout les chaînes télévisées, les entreprises sponsors, les collectivités territoriales34 à tel point qu’il «nous faut considérer que l’action des collectivités en faveur du sport représente, aujourd’hui, une sorte ‘d’interface’ nouvelle et fortement ‘motrice’ entre les acteurs traditionnels que sont l’État et les fédérations sportives»35.

41Depuis deux décennies, un mouvement d’autonomisation du champ sportif professionnel à la marge de l’ordre sportif fédéral s’est incontestablement affirmé. Ce dernier n’est donc plus l’unique acteur de l’organisation et la gestion de l’élite sportive (sportifs de haut-niveau et sportifs professionnels)36. Tout cela ne s’est pas fait sans heurts. En effet que l’on prenne l’exemple du football37, du rugby38, ou du basket39, on constate que l’émergence d’un secteur professionnel s’est fait dans le conflit et au prix d’une construction lente faite d’arrangements et de compromis. Pendant longtemps, en référence à l’idéologie des pères fondateurs (ceux qui ont construit le fédéralisme et le mouvement olympique), les fédérations ont résisté en refusant le professionnalisme. Il a fallu parfois que des acteurs privés, comme dans le football et le rugby, menacent d’organiser des compétitions privées pour que les fédérations finissent pas accepter de créer des ligues chargées de l’organisation du secteur professionnel.

42Mais comme l’explique O. Nier et P. Chantelat, «la rhétorique est toujours la même : le sport professionnel doit rester un élément de la culture et doit se construire selon un modèle pyramidal assurant la continuité entre le niveau amateur et le niveau professionnel40. Cela explique que l’État français souhaite garder le contrôle sur le sport professionnel, via la délégation de service public de la fédération». Et même si les fédérations ont elles-mêmes délégué à des ligues professionnelles la gestion du secteur professionnel de leur discipline, les conventions qui lient les fédérations aux ligues montrent bien qu’elles entendent avec l’État garder le contrôle du développement du sport professionnel. Les fédérations sont d’ailleurs présentes au sein des conseils d’administration des ligues professionnelles. Elles continuent par ailleurs à contrôler la filière du haut-niveau à travers ses cadres techniques, la formation des entraîneurs, la réglementation et la gestion des équipes nationales.

43Le champ sportif, on le voit, s’est profondément complexifié en raison de la multiplicité des parties prenantes, de l’accroissement du cadre législatif et de la diversification des pratiques. Il y a un tel enchevêtrement des acteurs, des réglementations, des pratiques que l’univers fédéral ne peut plus à lui seul prétendre gouverner le sport et qu’il est amené lui-même à évoluer. Plus précisément, tout cela semble entraîner le déclin définitif du monopole fédéral mais pas des fédérations.

2.2. L’univers fédéral en mouvement

2.2.1. Pour une nouvelle gouvernance du sport

44Au total, tous ceux qui participent à l’organisation et à la gestion des activités physiques et sportives sont de plus en plus nombreux que ce soit au niveau local, national ou international. Comme nous venons de le voir, nous trouvons dorénavant dans le champ sportif des groupements sportifs qui proposent des activités sportives amatrices et professionnelles ; des entreprises de sport qui offrent des services sportifs ; un système fédéral (fédérations et leurs organes déconcentrés) en lien avec les pouvoirs publics qui réglemente et a en charge le sport de haut niveau ; des collectivités territoriales qui subventionnent les clubs et les fédérations, mettent à disposition des équipements sportifs ; des médias qui participent au financement du sport professionnel et retransmettent les spectacles sportifs ; des entreprises qui sponsorisent des clubs et des fédérations ; le mouvement olympique représentant le «mouvement sportif» qui fait fonction d’arbitre dans des conflits entre clubs, soutient financièrement certains projets sportifs, et est membre du CIO ; l’Union européenne qui contribue à la réglementation du sport professionnel41 ; les fédérations européennes et internationales qui organisent et réglementent les compétions qui sont de leur ressort ; les associations représentant les pratiquants (syndicats de sportifs), les dirigeants (association d’employeurs), les entraîneurs et les éducateurs ; les agents de sportifs, etc.

45Cette complexification du champ sportif, qui parfois se traduit par des tensions – pour reprendre une expression de la Cour des comptes42 – impose de nouvelles modalités de gouvernance du sport. En effet, un réseau complexe de parties prenantes s’est constitué. Au sein de cette configuration réticulaire, des rapports de force se sont construits et continuent à se construire mettant à mal le modèle fédéraliste qui s’était imposé comme un modèle unificateur de l’univers sportif. La majorité des acteurs du champ sportif souhaite ainsi la mise en place d’une gouvernance systémique43 où les fédérations seraient un maillon du réseau et non des instances qui imposent du haut vers le bas leurs décisions. Plus précisément, cette notion de gouvernance systémique «souligne la nécessité d’un ajustement mutuel entre les diverses parties prenantes concernées par l’organisation et la gestion du sport. En ce sens, les fédérations sportives ne peuvent plus imposer leur volonté aux parties prenantes en les écartant de la négociation»44.

46Au sein du mouvement sportif, on commence à en être conscient. À cet égard, Henri Sérandour, le Président du Comité National Olympique du Sport Français, instance représentative du mouvement sportif français, a insisté lors du discours inaugural de la 1ère conférence nationale du sport le 20 novembre 2008, sur l’impérieuse nécessité de penser une nouvelle gouvernance du sport. Selon lui c’est «une gouvernance partagée» qu’il convient de construire dans les années à venir qui permette à tous les acteurs de travailler non «les uns à côté des autres», mais «les uns avec les autres». Cette nouvelle gouvernance au fond «marque le passage d’une régulation/coordination des actions centralisée, hiérarchique et verticale (gouvernement) à une régulation/coordination horizontale en termes de réseaux fondés sur le consensus/compromis et le pouvoir partagé»45.

2.2.2. Professionnalisation et gouvernance du système fédéral

47Pour pouvoir faire face au développement du sport, les fédérations ont dû progressivement se professionnaliser. Cette professionnalisation s’est faite selon Bayle en trois temps : par le recrutement de techniciens du sport dans les décennies 1960-1970, puis par celui d’un personnel administratif dans les années 1980 et enfin par l’apparition de fonctions managériales (marketing, communication, stratégie, financière, juridique, etc.) à partir de la fin des années 198046. Sous la montée progressive de leur structuration organisationnelle, le sociologue Denis Bernardeau47 montre ainsi que les fédérations ont un cycle de vie évolutif qui les amène à passer d’une structure associative à une structure professionnelle entrepreneuriale.

48Aujourd’hui, même si chaque fédération a son propre rythme de professionnalisation, elles sont quasiment toutes devenues des organisations complexes et hybrides où salariés et bénévoles se côtoient et où les rationalités des acteurs sont différenciées. Celles qui évoluent le plus rapidement sont celles qui ont vu leur discipline devenir professionnelle. Ainsi, un rapport de la Cour des comptes de février 2009 montre que les fédérations françaises de football, de rugby, de basket-ball, de handball et d’athlétisme, employaient au total 426 salariés en 2007 contre 311 en 2001. Comme le note le rapport, cela aboutit parfois à «une superposition des fonctions entre élus, fonctionnaires affectés auprès de la fédération et cadres salariés, l’ensemble aboutissant à un partage peu explicite des responsabilités».

49Afin d’améliorer leur efficacité sur l’ensemble du territoire, le rapport observe que ces fédérations ont également renforcé le pilotage de leur organes déconcentrés en formalisant avec ces derniers des contrats, des conventions ou encore des plans stratégiques communs. Certaines ont également mis en place des systèmes d’information intégrés.

50En tout état de cause, les fédérations évoluent et montrent ainsi que depuis les origines du fédéralisme sportif, elles sont des organisations dynamiques, vivantes qui tentent de s’adapter à leur environnement. Mais face à l’évolution du champ sportif, la professionnalisation ne suffit pas.

51En 1993, le football voit éclore au grand jour l’affaire OM-Valenciennes. Certains joueurs de Valenciennes sont accusés d’avoir accepté de l’argent en provenance du club de Marseille. En 1999, une vingtaine de membres du Comité international olympique sont impliqués dans une affaire de corruption à propos de l’attribution des JO d’hiver à Salt Lake City48. En 2005, le Président de la Fédération française de tennis (FFT) est accusé de prise illégale d’intérêt et d’abus de confiance au sein de la FFT49. Depuis le début de l’année 2009, le Président de la Fédération internationale de handball (IHF)50 est fortement contesté pour des affaires financières. Entre autres, il est accusé d’abus de pouvoir qui lui aurait permis de bénéficier depuis 2001 de près de 500 000 euros sans justificatifs. Comme on le voit, l’éthique des origines fédérales est fortement bousculée par ce type de comportements.

52Face à des affaires de plus en plus nombreuses, les fédérations sont amenées à revoir leur modalité de fonctionnement. C’est ainsi que le Comité international olympique a revu dès le début des années 2000 son mode de gouvernance en s’appuyant sur le modèle de la gouvernance d’entreprise51. Pour ce faire, quatre piliers ont été privilégiés : transparence, démocratie, imputabilité et prédictibilité. Concrètement, le Comité international olympique publie à chaque olympiade un rapport d’activité avec des données financières précises, certains débats peuvent être suivis par les journalistes, un site Internet entièrement revu permet de se procurer un certain nombre de textes, rapports, procès-verbaux, etc., des sièges ont été ouverts aux athlètes, aux dirigeants des comités nationaux olympiques et de fédérations internationales, des procédures de vote à bulletin secret ont été instaurées pour des décisions importantes, une commission d’éthique a été mise en place, etc.

53De nombreuses fédérations britanniques, canadiennes, grecques, belges ont également revu leur mode de gouvernance. En France, une série de textes législatifs a tenté de transformer le fonctionnement des fédérations. Depuis 2002, une commission électorale indépendante est obligatoire, la présence d’un nombre minimum de femmes élues (en fonction du nombre de licenciées) est exigée, certaines fonctions dirigeantes peuvent être rémunérées. Malgré cela, «l’analyse des pratiques actuelles montre (…) des difficultés toujours présentes»52. Parmi elles, Bayle et Robinson notent à partir d’enquêtes empiriques, des pratiques de gouvernance mal définies, des professionnels qui ont tendance à prendre le pouvoir politique, des présidents omnipotents avec peu ou pas de contre-pouvoirs, un manque de clarté dans la délégation managériale. On le voit, les fédérations sportives françaises sont loin d’avoir trouvé les chemins d’une nouvelle gouvernance efficace et partagée.

54Après plus d’un siècle d’existence, le fédéralisme sportif, malgré des efforts d’adaptation, est un acteur parmi d’autres au sein du champ sportif dont le positionnement est fortement bousculé. Au delà de la question du fédéralisme, c’est bien celle de la gouvernance du sport contemporain qui est posée. À travers le pouvoir fédéral, c’est toute la structure organisationnelle du sport qui est à repenser.

55Face à l’enchevêtrement et à la juxtaposition d’acteurs et d’institutions qui interviennent dans la conduite des affaires sportives au niveau national, européen et international, face aux affaires de corruption, de dopage, de violence, l’heure est peut-être venue de refondre globalement la structuration du sport français. Et compte tenu de l’histoire de son élaboration, il y a de bonnes raisons de croire qu’il y a encore de la place pour le modèle fédéral dans la construction d’une nouvelle gouvernance du sport, même si des réalités de plus en plus nombreuses lui échappent.

56Mais une nouvelle gouvernance du sport et des fédérations impose à l’ensemble des acteurs concernés un changement dans leur manière de fonctionner, de décider mais aussi d’être et de penser. S’il s’agissait de diriger, de commander, il convient davantage dorénavant de conduire des négociations, de coordonner des actions, de communiquer et partager des informations, de contrôler les pratiques dirigeantes. Pour ce faire, les acteurs contemporains du champ sportif doivent savoir davantage piloter le changement que le diriger. Et tout cela nécessite à la fois des compétences et des conditions sociales qui ne sont pas encore tout à fait réunies.

Bibliographie

57Arcioni (S.), «La gouvernance des fédérations sportives internationales : proposition d’un cadre d’analyse», in Bayle (E.) et Chantelat (P.) (dir.), La gouvernance des organisations sportives, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 49-76.

58Barreau (G.), «Le modèle français du sport», Revue française d’administration publique 2001/1, n° 97, p. 15-28.

59Bayle (E.) et Chantelat (P.) (dir), La gouvernance des organisations sportives, Paris, L’Harmattan, 2007.

60BAYLE (E.), «Le processus de professionnalisation des fédérations sportives nationales», in Chantelat (P.) (dir.), La professionnalisation des organisations sportives, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 149-172.

61Bernardeau Moreau (D.), Sociologie des fédérations sportives, La professionnalisation des dirigeants bénévoles, Paris, L’Harmattan, 2004.

62Bourdieu (P.), Raisons pratiques, Paris, éditions du Seuil, 1994.

63Chambat, «Les fêtes de la discipline : gymnastique et politique en France (1879-1914)», in Arnaud (P.) et Camy (J.) (textes réunis par), La naissance du Mouvement Sportif Associatif en France, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1986, p. 85-96.

64Chifflet (P.), Idéologie sportive et service public en France, Mythe d’un système unifié, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2005.

65Dugas (É.), «Du sport aux activités physiques de loisir : des formes culturelles et sociales bigarrées», Sociologies, Théories et recherches, mis en ligne le 10 juillet 2007, http://sociologies.revues.org/document284.html (consulté le 13 novembre 2008).

66Finley (I.M) et Pleket (H.W), 1000 ans de jeux olympiques, Paris, éditions Perrin, 2008.

67Friedrich C.J., «Fédéralisme», Encyclopedia Universalis, Paris, Larousse, 1988.

68Gasparini (W.), Sociologie de l’organisation sportive, Paris, La Découverte, coll. «Repères», 2000.

69Henry (I.), «La gouvernance du sport : le regard des sciences politiques», in Bayle (E.) et Chantelat (P.) (dir.), La gouvernance des organisations sportives, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 159-172.

70Keucheyan (R.), Le constructivisme, des origines à nos jours, Paris, Hermann, 2007.

71Loret (A.), Concevoir le sport, pour un nouveau siècle, Presses universitaires du Sport, n° 24, 2004.

72Lupiéri (S.), «Les fédérations sportives bousculées par l’argent», Alternatives économiques, n° 141, octobre 1996, p. 45-49.

73Merton (R.K.), Éléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, Armand Colin/Masson, 1997 (1ère édition1953).

74Nier (O.) et Chantelat (P.), «Genèse et limites de la gouvernance du rugby d’élite français», in Bayle (E.) et Chantelat (P.) (dir.), La gouvernance des organisations sportives, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 195-216.

75Nisbet (R.), La tradition sociologique, Paris, Presses universitaires de France, 1984.

76Parlebas (P.), Éléments de sociologie du sport, Paris, Presses universitaires de France, 1986.

77Rapport de la Cour des comptes, «L’État et les fédérations sportives face aux mutations du sport», 4 février 2009.

78Robert (S.), «Amateurs et professionnels dans le basket français (1944-1975) : querelles de définition», Genèses, septembre 1999, p. 69-91.

79Suaud (C.) et Faure (J-M.), «Un professionnalisme inachevé», Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1994, vol. 103, n° 1, p. 7-26.

80Urbain (J.-D.), «Du sport pour soi au monde à soi», in Viard (J.), Potier (F.) et Urbain (J.-D.), La France des temps libres et des vacances, Datar, éditions de l’Aube, 2002, p. 107-117.

81Vailleau (D.) et Zintz (T.), «La gouvernance des fédérations sportives», Revue française de Gestion, n° 187, 2008, p. 15-34.

82Veblen (T.), La théorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard, coll. «TEL», 1970 (1ère édition 1899).

83Wahl (A.) et Lanfranchi (P.), Les footballeurs professionnels des années 1930 à nos jours, Paris, Hachette, 1995.

Notes

1 Arcioni (S.), «La gouvernance des fédérations sportives internationales : proposition d’un cadre d’analyse», in Bayle (E.) et Chantelat (P.) (dir.), La gouvernance des organisations sportives, Paris, L’Harmattan., 2007, p. 49-76.
2 Vailleau (D.) et Zintz (T.), «La gouvernance des fédérations sportives », Revue Française de Gestion, n° 187/2008, p. 15-34.
3 Bayle (E), «Le processus de professionnalisation des fédérations sportives nationales», in Chantelat (P.) (dir.), La professionnalisation des organisations sportives, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 149-172.
4 Ramantsoa (B) et Thierry-basle (C), Organisations et fédérations sportives, sociologie et management, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Pratiques corporelles», 1989 ; Bayle (E), «Le processus de professionnalisation des fédérations sportives nationales », in op. cit. ; Bernardeau Moreau (D.), Sociologie des fédérations sportives, La professionnalisation des dirigeants bénévoles, Paris, L’Harmattan, 2004 ; Chifflet (P.), Idéologie sportive et service public en France, Mythe d’un système unifié, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2005 ; Bayle (E.) et Chantelat (P.) (dir), op. cit. ; Vailleau (D.) et Zintz (T.), art. cit. Parmi tous ces travaux, seuls ceux de Bernardeau-Moreau et de Chifflet relèvent d’une approche sociologique. Au sein de l’ouvrage collectif dirigé par Chantelat et Bayle (La gouvernance des organisations sportives, 2007), les articles concernant le système fédéral relèvent exclusivement des sciences de gestion.
5 Bourdieu (P.), Raisons pratiques, Paris, éditions du Seuil, 1994.
6 Parlebas (P.), Eléments de sociologie du sport, Paris, Presses universitaires de France, 1986, p. 53.
7 Chambat (P.), «Les fêtes de la discipline : gymnastique et politique en France (1879-1914)», in Arnaud (P.) et Camy (J.) (textes réunis par), La naissance du Mouvement Sportif Associatif en France, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1986, p. 85-96.
8 Les Public Schools sont en réalité des écoles privées anglaises qui formaient les futures élites du pays.
9 Finley (I.M) et Pleket (H.W), 1000 ans de jeux olympiques, Paris, éditions Perrin, 2008, p. 10.
10 Merton (R.K.), Éléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, Armand Colin/Masson, 1997 (1ère édition 1953).
11 Veblen (T.), La théorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard, Collection TEL, 1970 (1ère édition 1899).
12 Ibidem, p. 29.
13 de Saint Martin (M.), «La noblesse et les sports nobles », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, novembre 1989, n° 80, «L’espace des sports », p. 22-32.
14 Tarde (G.), Les lois de l’imitation, Genève, Slatkine Reprints, 1979, p. 232 (1ère édition 1895).
15 Simmel (G.), «La mode», in Philosophie de la modernité, Paris, éditions Payot, 1989, p. 165-203 (1ère édition 1923).
16 Avant la loi de 1901 sur les associations, il fallait pour des Sociétés regroupant plus de 20 personnes avoir l’autorisation des pouvoirs publics afin d’éviter la constitution de lieux de réflexion politique.
17 Chifflet (P.), op. cit., p. 44.
18 Friedrich (C.J.), «Fédéralisme», Encyclopedia Universalis, Paris, Larousse, 1988, p. 820.
19 Chifflet (P.), op. cit., p. 127.
20 Nisbet (R.), La tradition sociologique, Paris, Presses universitaires de France, 1984, p. 70.
21 Chifflet (P.), op. cit., p. 73.
22 Ce passage se réfère au traitement médiatique fait de l’affaire de la grève par le journal sportif L’Equipe entre le 26 septembre 2008 et le 17 octobre 2008. À l’exception des joueurs et de leurs représentants, les autres acteurs ont employé le vocable «famille» pour caractériser les parties prenantes soit de manière spontanée soit en ne remettant pas en cause la formule proposée par les journalistes.
23 Cf. tableau 1 ci-dessous.
24 Dugas (É.), «Du sport aux activités physiques de loisir : des formes culturelles et sociales bigarrées», Sociologies, Théories et recherches, mis en ligne le 10 juillet 2007, p. 1.
25 Thomas (R), Sociologie du sport, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Que sais-je ?», 1993.
26 Urbain (J.-D.), «Du sport pour soi au monde à soi», in Viard (J.), Potier (F.) et Urbain (J.-D.), La France des temps libres et des vacances, Datar, éditions de l’Aube, 2002, p. 107-117.
27 On note que ce type de processus est aussi attesté dans d’autres domaines comme celui des mouvements collectifs. Ainsi de nombreuses études sociologiques dont celle précurseur d’A. Touraine ont montré l’apparition progressive de «nouveaux mouvements sociaux» dont la volonté est d’échapper aux mouvements sociaux traditionnels gérés et organisés par des institutions traditionnels (syndicats, partis politiques). Dorénavant, les collectifs, les coordinations sont florès alors que les effectifs syndicaux et des partis politiques déclinent.
28 Loret (A.), Concevoir le sport, pour un nouveau siècle, Paris, Presses universitaires du sport, n° 24, 2004, p. 21.
29 Le premier championnat de football professionnel a vu le jour en 1932. À l’époque, c’est une commission de la Fédération française de football qui organise et gère le championnat professionnel composé de clubs «autorisés» à avoir des joueurs rémunérés dans leur équipe dont la gestion dépendait d’une autre commission. Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale que les clubs vont se constituer en «groupement de clubs autorisés» pour devenir en 1946 «la Ligue nationale de football». Pour plus de détails, voir Wahl (A.) et Lanfranchi (P.), Les footballeurs professionnels des années 1930 à nos jours, Paris, Hachette, 1995.
30 Structure privée créée en juin 2005 pour accueillir des sportifs de haut niveau en formation ou non. Au début dédiée au tennis et à l’athlétisme, aujourd’hui elle accueille le judoka Riner. Elle leur offre des conditions d’entraînement et de reconversion professionnelles.
31 L’UNFP, l’Union nationale des footballeurs professionnels ; Provale, le syndicat des joueurs professionnels de rugby ; le syndicat national des basketteurs ; l’AJPH, l’association des joueurs professionnels de handball ; la FNASS, la Fédération nationale des associations et des syndicats de sportifs à laquelle sont affiliés la quasi totalité des syndicats de sportifs, etc.
32 L’UPCF, l’union patronale des clubs professionnels de football ; Prorugby, l’union des présidents de clubs de rugby ; l’UCPB, l’union des clubs professionnels de basket ; l’UPCH, l’union professionnelle des clubs de handball, etc.
33 L’UNECATEF, l’union nationale des cadres techniques du football ; Tech XV, le syndicat national des entraîneurs de rugby ; SCB, le syndicat des coachs de basket ; 7 Master, le syndicat des entraîneurs de handball, etc.
34 Depuis la loi du 13 juillet 1992 sur les activités physiques et sportives, les collectivités territoriales participent grandement au financement des clubs sportifs qu’ils soient d’ailleurs professionnels ou non. En 2006, après les ménages, les collectivités locales sont les deuxièmes financeurs du sport via la mise à disposition d’équipements sportifs, le versement de subventions en contrepartie de conventions d’objectifs, etc.
35 Loret (A.), op. cit., p. 31.
36 Les catégories de sportifs de haut-niveau et de sportifs professionnels ne se recoupent pas forcément. Un sportif de haut-niveau peut ne pas être professionnel, et inversement un sportif professionnel peut ne pas faire partie des listes des sportifs de haut-niveau. Enfin, certains peuvent être à la fois sportif de haut-niveau et sportif professionnel. Pour en savoir plus sur ces deux catégories, voir Barbusse (B.), «Le management des professionnels du sport. Le cas d’un club de handball», Revue Française de Gestion, «Le management des professionnels (coordonné par M.Thévenet)», n° 168-169, novembre-décembre 2006, p. 107-123.
37 Suaud (C.) et Faure (J-M.), «Un professionnalisme inachevé », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, vol. 103, n° 1, 1994, p. 7-26 ; Wahl (A.) et Lanfranchi (P.), Les footballeurs professionnels des années 1930 à nos jours, Paris, Hachette, 1995.
38 Nier (O.) et Chantelat (P.), «Genèse et limites de la gouvernance du rugby d’élite français», in Bayle (E.) et Chantelat (P.), op. cit., p. 195-216.
39 Robert (S.), «Amateurs et professionnels dans le basket français (1944-1975) : querelles de définition», Genèses, septembre 1999, p. 69-91.
40 Ce modèle est également défendu au niveau de la commission européenne.
41 L’Union européenne use de différents moyens pour réglementer le sport professionnel : des arrêts de la Cour de justice dont un des plus célèbres est celui du 15 décembre 1995 qui concerne le joueur belge Bosman. Cet arrêt autorise les clubs professionnels européens à ne pas limiter leur nombre de joueurs appartenant à des pays européens en vertu du principe européen de libre circulation des travailleurs communautaires. Par la suite, d’autres arrêts feront date. L’Union européenne a promulgué également une Charte et des conventions (sur la violence, le dopage) ainsi qu’un Livre blanc adopté par la Commission européenne. Pour en savoir plus, voir Pautot (M), Le sport et l’Europe, Les effets de la construction européenne sur les pratiques sportives, s.l., Presses universitaires du Sport, Groupe Territorial, 2009.
42 Rapport de la Cour des comptes, «L’État et les fédérations sportives face aux mutations du sport », 4 février 2009.
43 Henry (I.), «La gouvernance du sport : le regard des sciences politiques», in Bayle (E.) et Chantelat (P.) (dir.), La gouvernance des organisations sportives, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 159-172.
44 ibidem, p. 170.
45 Bayle (E.) et Chantelat (P.) (dir), op. cit., p. 13.
46 Bayle (E.), «Le processus de professionnalisation des fédérations sportives nationales», in Chantelat (P.) (dir.), La professionnalisation des organisations sportives, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 149-172.
47 Bernardeau Moreau (D.), Sociologie des fédérations sportives, La professionnalisation des dirigeants bénévoles, Paris, L’Harmattan, 2004.
48 Chappelet (J.-L.), «La gouvernance du Comité international olympique», in Bayle (E.) et Chantelat (P.) (dir.), op. cit., p. 27-48.
49 Ce dernier a été en juillet 2009 condamné à cinq mois de prison avec sursis et 30 000 euros d’amende pour prise illégale d’intérêt.
50 NZZ, édition internationale et autres, 10 janvier 2008 et Communiqué du Group Club Handball EEIG qui regroupe les 14 plus grands clubs européens de handball diffusé le 27 janvier 2008.
51 Bayle (E.) et Chantelat (P.) (dir), op.cit.
52 Bayle (E.) et Robinson (L.), «Les réformes de gouvernance des organisations sportives dans le monde anglo-saxon : quels enseignements pour les fédérations sportives françaises ?», in Bayle (E.) et Chantelat (P.) (dir.), La gouvernance des organisations sportives, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 116.

Para citar este artículo

Béatrice Barbusse, «Le modèle fédéral dans le sport français, un principe fondateur dépassé ?», Fédéralisme Régionalisme [En ligne], Numéro 2 - Le fédéralisme sans l'État fédéral, Volume 9 : 2009, URL : https://popups.uliege.be/1374-3864/index.php?id=837.

Acerca de: Béatrice Barbusse

Maître de conférences en sociologie à l’Université Paris 12, Laboratoire de recherche sur la gouvernance publique, territoire et communication (Largotec, EA 4688)