Fédéralisme Régionalisme

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Daniel Rodrigues

Fédéralisme, conflit ethnique et sécessionnisme : Le fédéralisme comme instrument de sécession non-violente

(Volume 10 : 2010 — Varia)
Article
Open Access

Résumé

Le fédéralisme est généralement compris comme étant un mécanisme de gestion et/ou de prévention des conflits dans des contextes multiethniques. Toutefois, l’Histoire nous montre, à travers certains cas où il a été voué à l’échec, que celui-ci n’est pas une panacée. Le rapport entre fédéralisme et sécession est aujourd’hui perçu par certains auteurs et praticiens d’une façon plutôt négative. Le premier est largement conçu comme la cause du second. Néanmoins, le fédéralisme ne pourrait-il pas être lui-même l’instrument d’un sécessionnisme sans violence? Le fédéralisme s’adapte à différentes circonstances et il peut remplir des objectifs différents dans des contextes divers. Le but de cet article est d’apporter une autre perspective sur les relations entre le modèle fédéral, la conflictualité ethno-nationale et le sécessionnisme.


1. Introduction

1L’idée selon laquelle le fédéralisme serait exclusivement un mécanisme de gestion et/ou de prévention des conflits est depuis longtemps au cœur d’études critiques visant à juger la performance de ce système d’organisation étatique en tant qu’instrument de la paix. Il existe des opinions contradictoires sur le modèle fédéral. S’il continue à être présenté comme un instrument efficace de maintien de la paix (aussi relative soit elle) dans des contextes multiethniques et multinationaux dans les manuels de conflict prevention et conflict resolution ; il est également la cible de nombreuses critiques qui mettent en cause son aptitude à éviter la sécession d’une ou plusieurs parties d’un territoire donné. Il est néanmoins curieux de constater que la relation entre fédéralisme et sécession est toujours envisagée dans une logique de succès ou d’échec. Le fédéralisme n’atteindrait ses objectifs que s’il parvient à éviter une fragmentation territoriale entraînant l’indépendance d’une région appartenant à un État donné. La question qui guidera cet article est de savoir si le fédéralisme peut se réinventer pour devenir un instrument positif du sécessionnisme non-violent. L’argument central est donc que la relation entre le modèle fédéral et la conflictualité ethno-nationale ainsi que le sécessionnisme peut et doit être revu au profit d’une approche différente, selon laquelle les concepts de fédéralisme et sécession ne sont pas incompatibles. Le fédéralisme, comme instrument de la paix, est alors un dispositif politique et institutionnel qui ne vise pas à éviter la sécession, mais bien à encadrer la maturation institutionnelle d’États en devenir.

2. L’option fédéraliste et le droit de sécession

2«Pourquoi le fédéralisme ?» Cette question, posée par H. Tulkens dans un article1 qui met l’accent sur la pertinence de cette forme d’organisation de l’État en termes économiques, est importante si nous voulons vraiment en comprendre la portée. Tulkens présente trois structures institutionnelles alternatives : unitaire (ou centralisée), fédérale et confédérale. L’organisation centralisée de l’État est incarnée par la France, «pays de l’État jacobin»2, puisque l’État unitaire est considéré comme «il modello di francese organizzazione dello Stato»3. Le centralisme n’est, selon G. Ammon et M. Hartmeier, ni une institution politique ou gouvernementale, ni un simple appareil administratif, mais une structure d’administration de l’espace dont l’objectif principal est de créer, maintenir et consolider la nation à travers son unité territoriale4. En conséquence, la mentalité centralisatrice a abouti à la négation de la diversité régionale. En tant que tel, ce modèle d’organisation de l’État a donné lieu à une structure où prévaut une inégalité plus prononcée que dans l’État fédéral5. Le fédéralisme est le résultat de la coopération entre les membres constituant la fédération. Il est une alternative viable dans les États multinationaux, en particulier ceux où les facteurs ethnique, religieux ou autre sont sources d’instabilité, voire de conflit. Toutefois, comme le souligne R. L. Watts, le fédéralisme n’est qu’une forme d’association politique parmi d’autres. Le partage du pouvoir (power-sharing), ainsi que de compétences, à travers des institutions communes existent dans d’autres formes d’organisation politique. Selon la typologie proposée par Watts, on peut donc trouver des unions, des unions constitutionnellement décentralisées, des fédérations, des confédérations, des federacies, des États associés, des condominiums, des ligues, des organisations intergouvernementales fonctionnelles conjointes ou des hybrides6.

3L’union est caractérisée par une constitution qui favorise l’intégrité des entités qui la forment par le biais d’institutions communes au sein du gouvernement et non une dualité des structures de gouvernance (par exemple, la Nouvelle-Zélande). Dans les unions constitutionnellement décentralisées, l’État peut être considéré unitaire en raison du rôle d’autorité ultime qui appartient au gouvernement central. Cependant, elles renferment des entités infranationales autonomes et protégées par la Constitution (par exemple, le Japon, l’Italie ou le Royaume-Uni). Quant aux fédérations, elles sont caractérisées par la combinaison d’entités fédérées fortes7 et d’un État fédéral fort. Chaque composante de l’État fédéral (État et entités fédérées) est en relation directe avec la population dans l’exercice de ses fonctions législatives, administratives et fiscales. Les confédérations sont le résultat de la combinaison de deux ou plusieurs États souverains qui maintiennent malgré tout leur souveraineté intacte. Le gouvernement commun détient, par conséquent, des pouvoirs limités, généralement relatifs à la politique étrangère, à la défense et/ou aux affaires économiques. Contrairement aux fédérations, les confédérations ont pour base un traité et non une constitution. Les federacies8 sont basées sur des accords politiques asymétriques par lesquels une entité plus importante est liée à une ou plusieurs unités plus petites. Celles-ci ont un degré élevé d’autonomie par rapport aux autres entités constitutives de l’État, mais aussi une influence plus faible dans le gouvernement de la federacy. Cette association politique ne peut être dissoute que par un accord mutuel. Selon Watts, cette forme d’organisation politique est d’usage dans les relations entre un État et ses périphéries, ou bien entre un État et des îles éloignées (par ex. Åland et Finlande ou Portugal et Açores). Les États associés ressemblent aux federacies. Ils s’en distinguent par la possibilité d’une dissolution unilatérale (par exemple, la France et Monaco, l’Italie et San Marino). Les condominiums sont des entités politiques dont le gouvernement est assuré conjointement par deux ou plusieurs États (c’était le cas de la principauté d’Andorre jusqu’en 1993). Les ligues sont des unions d’États indépendants constituées dans un but particulier et desquelles les États-membres peuvent se retirer unilatéralement. Les organisations intergouvernementales fonctionnelles conjointes sont des organisations ou des agences créées par deux ou plusieurs États dans le but d’effectuer certaines tâches spécifiques. C’est le cas, par exemple, de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Selon M. Bettati, les ligues et les organisations intergouvernementales fonctionnelles communes peuvent être une forme de confédération9. Finalement, les hybrides sont des systèmes politiques qui ont adopté et réuni les caractéristiques de diverses formes d’association politique (fédérale, confédérale, unitaire). La création de ces systèmes hybrides est une tendance récente, mais leur mise en œuvre dans des pays comme le Canada et l’Afrique du Sud ou des institutions supranationales comme l’Union européenne montrent qu’ils peuvent constituer une nouvelle voie pour l’organisation politique des systèmes de gouvernance politique10. Est-il possible que ces formes d’association politique, ou du moins certaines d’entre-elles, soient de réelles alternatives au centralisme ? Nous pouvons constater que la grande majorité de ces formes n’ont pas la capacité de gérer les idiosyncrasies infranationales, qu’elles soient ethniques, religieuses ou autres. En fin de compte, seules les fédérations, les confédérations, les federacies et les unions (décentralisées ou non) peuvent apporter une réponse institutionnelle à la pression centralisatrice et assimilatrice de l’État unitaire vis-à-vis de ses périphéries. Parmi ces systèmes politiques, celui qui paraît souvent le plus adéquat est le modèle fédéral. L’autonomie qu’il offre aux entités infranationales, notamment législative, ainsi que la participation aux décisions fédérales qu’il leur permet, sont en effet des facteurs explicatifs du rôle positif qu’il peut jouer en tant que promoteur de paix dans des contextes caractérisés par l’existence de certaines revendications ethno-nationalistes.

4Il est donc utile de comprendre les dynamiques de création d’une fédération. Celle-ci «peut se former de deux façons : par l’union d’États précédemment indépendants, par le morcellement d’un État précédemment unitaire»11. Ainsi, on peut parler, respectivement, d’un fédéralisme centripète (ou par agrégation) ou d’un fédéralisme centrifuge (ou par désagrégation)12.

5Les théories fédéralistes peuvent être regroupées au sein de deux tendances apparemment divergentes et contradictoires sur le plan doctrinal. Selon J. Ferrando Badía, il y a d’une part celles qui favorisent un fédéralisme interne s’opposant à l’État unitaire et promouvant le développement des entités locales autonomes (par exemple, les régions ou provinces). D’autre part, il y a les théories qui visent à décrire un fédéralisme à vocation internationale. Comme les précédentes, elles portent sur des mécanismes qui remettent en cause l’État-nation13 souverain en faveur de plus grandes unions ou organisations14. Dans les deux cas, l’État-nation classique est contraint de céder une partie de ses pouvoirs et compétences (et par conséquent de sa souveraineté15), aux entités fédérées dans le premier cas, et à l’organisation supranationale dans le deuxième cas.

6Le fédéralisme est généralement perçu comme un mécanisme plutôt efficace de gestion de la pluralité dans des contextes multiethniques où existe un certain nombre de revendications à caractère autonomiste, irrédentiste, sécessionniste ou autre16. Toutefois, l’éventualité d’une fragmentation territoriale ne peut pas être exclue. Selon V. O. Batkus, la sécession est la conclusion logique d’un processus de fragmentation territoriale, même s’il est possible de l’éviter17. Dans sa Verfassungslehre (ou «Théorie de la Constitution»), C. Schmitt est très clair sur ce qu’est une fédération ou, plutôt, sur ce qui la définit. Selon lui, il ne fait aucun doute qu’elle est avant tout une union durable qui, tout en reposant sur un libre accord, a pour objectif la préservation politique de chacun de ses membres18. Cette union est, de ce fait, le résultat d’une combinaison de facteurs centripètes (intérêts communs et menaces externes et/ou internes)19. Elle se concrétise grâce à un contrat qui l’institutionnalise et définit la cession d’une partie des compétences des États fédérés au profit de l’État fédéral (par exemple les affaires étrangères, la politique monétaire, la défense)20. Schmitt nous présente une autre caractéristique de la fédération qui se révèle être d’une grande importance. La fédération serait, selon lui, perpétuelle (ewig). Est-ce que cela signifie qu’une fois le modèle fédéral adopté, la simple présomption de sécession se trouve irrémédiablement exclue ? C’est en tout cas ce qui ressort de cette affirmation. Suivant cette idée de perpétuité présumée, il apparaît normal que le droit de sécession ne soit pas un droit constitutionnellement reconnu dans les fédérations21. Toutefois, l’observation des phénomènes fédératifs démontre que cela n’exclut pas son invocation par certains États au moment de leur entrée au sein d’une fédération ou même une tentative plus ou moins violente de s’en prévaloir qui peut être associée dans certains cas à une volonté populaire. Plusieurs exemples historiques en témoignent. Cela s’applique, notamment, aux États de Virginie, Rhode Island et New York qui ont négocié leur droit de sécession au moment de leur ratification de la Constitution américaine. En outre, plusieurs tentatives de sécession, réprimées par le gouvernement central (c’est-à-dire fédéral) peuvent être identifiées dans l’Histoire. Ce fut le cas dans certains pays considérés aujourd’hui comme des modèles de stabilité politique et de développement économique (comme les États-Unis, la Suisse, l’Autriche ou, encore, l’Australie). La guerre civile américaine a été, entre autres, la conséquence d’une perception différente de ce qu’était (ou devrait être) le droit de sécession des États-membres de la fédération.  Elle a opposé les États du Nord, préconisant un modèle juridique qui contestait ce droit, et la Confédération des États du Sud, partisans d’un droit de sécession ayant pour fondement la doctrine de l’annulation («nullification») développée par J. Calhoun22.

7Toutefois, un certain scepticisme persiste sur l’efficacité du modèle fédéral. Dans un article intitulé  «Is federalism a viable alternative to secession ?»23, W. Kymlicka soutient que c’est une erreur de voir dans le fédéralisme une solution infaillible pour éviter le sécessionnisme. Sans pour autant nier la valeur de cette forme d’organisation de l’État dans la gestion des différences ethniques et nationales, Kymlicka estime qu’il ne faut pas le surestimer. Selon lui, son efficacité demande un haut degré d’ingéniosité institutionnelle couplée à de la bonne volonté politique et, aussi, une part de chance24. Pour sa part, E. Nguyen n’hésite pas à présenter l’Espagne et la Belgique comme deux États dans lesquels le fédéralisme a contribué à l’exacerbation des revendications nationalistes au lieu de les atténuer25. L’auteur va plus loin en accusant la décentralisation d’être un modèle politique instigateur de la sécession et, par conséquent, du séparatisme. Selon lui, plus un État se décentralise pour répondre aux revendications (ethno-)nationales, régionalistes ou «micro-nationalistes», plus l’entité bénéficiant de ces mesures poursuit une politique séparatiste en direction de son indépendance26. Selon J. Snyder, l’ethno-fédéralisme est lui-même fréquemment la cause d’une division ultérieure27. C’est dans ce contexte qu’il analyse trois États ethno-fédéraux (la Yougoslavie, l’Union soviétique et la Tchécoslovaquie), seules entités étatiques postcommunistes qui se sont désintégrées.

8Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (ou droit à l’autodétermination) a généralement pour conséquence la transformation du modèle d’organisation de l’État. Le modèle fédéral est fréquemment privilégié, et non pas l’indépendance des territoires concernés. Il ne peut donc être considéré exclusivement comme un facteur de sécession28. Autodétermination n’est pas synonyme de sécession, même si la sécession peut être l’aboutissement d’un processus d’autodétermination. Les théories de la sécession distinguent deux autres types de sécession au-delà de celle fondée sur l’autodétermination. Nous suivrons la typologie proposée par J. Costa qui identifie trois types de théories de la sécession29. La première d’entre-elles se réfère aux théories dites de l’autodétermination, ou théories nationalistes. Le deuxième type renvoie à ce que Costa appelle les théories du choix. Enfin, le dernier type est constitué par les théories dites de la «cause juste». Ces théories se différencient par leur justification du sécessionnisme en tant que concept, qu’il soit la conséquence d’une décision unilatérale ou bien le résultat d’un processus de négociation. Les théories de l’autodétermination, ou nationalistes, sont fondées sur l’argument selon lequel les nations reconnues comme telles ont le droit à l’autodétermination, ce qui inclut le droit de devenir un État indépendant. Les théories du choix sont considérées comme étant les plus permissives. En fait, elles ne font que justifier la sécession par le simple souhait d’une majorité, exprimé par le recours au vote ou à un référendum. Les théories de la cause juste contestent l’idée de sécession per se. Des raisons satisfaisantes sont exigées pour valider la demande d’indépendance de la part d’une entité territoriale. Après une appréciation favorable, le territoire sécessionniste pourrait alors obtenir gain de cause (par exemple, en Suisse, la République et Canton du Jura). Dans le cas de minorités nationales, majoritaires au sein d’un territoire donné, il est fréquent d’enregistrer une augmentation des revendications vis-à-vis de l’État pour une plus grande autonomie (culturelle ou politique) et non d’une autodétermination (en tous les cas dans un premier temps). La sécession passe de la sorte en seconde place, hormis dans certains contextes où seule l’indépendance est envisagée par les élites et/ou la population locale. C’est habituellement avec cette intention que les arrangements fédéralistes sont établis, notamment les ethno-fédérations qui visent à promouvoir la cohabitation pacifique de différents groupes ethniques au sein d’un même État30.

3. Le fédéralisme transitoire

9Cette cohabitation pacifique de différents groupes ethniques au sein d’un même État n’est pas toujours évidente malgré l’existence de certains arrangements fédéralistes ayant pourtant ce but. En promouvant la sécession pacifique d’une ou plusieurs entités territoriales d’un État donné ou bien la dissolution d’un État, le fédéralisme transitoire aurait comme fonction  de préparer l’indépendance pacifique d’un nouvel État. Il serait ainsi perçu comme une étape préalable indispensable dans l’avènement d’un nouvel État indépendant et un instrument de sécession non-violente.

10Le modèle fédéral n’a pas encore été utilisé avec l’objectif explicite de préparer, et donc d’entamer, un processus de subdivision territoriale visant la fragmentation ultérieure d’un État. Néanmoins, force est de constater que plusieurs fédérations n’ont pas survécu aux forces centrifuges portées par des tensions politiques ou des rivalités ethniques. Ce fut le cas des ethno-fédérations tchécoslovaque, soviétique et yougoslave en Europe, mais également d’autres expériences fédératives telles que la Birmanie (1948-1962), l’Indonésie (1949-1950), la Lybie (1951-1963), le Mali (1960), le Cameroun (1961-1972), la Fédérations des Indes Occidentales (1958-1962), ou encore la Serbie-et-Monténégro (1992-2006). La scission de certains de ces États fut accompagnée d’épisodes de violence. Le cas récent de l’ex-Yougoslavie est sans doute le plus exemplaire de ce type de dynamique et il reste inscrit dans la mémoire collective européenne. Mary Kaldor appele ces conflits les «nouvelles guerres» dans son livre intitulé «New and Old Wars: Organized Violence in a Global Era»31. Tous les morcellements étatiques n’eurent pas de conséquences aussi dramatiques que celui qui a affecté les Balkans occidentaux au cours des années 1990. Deux exemples de sécession non-violente qui nous paraissent pouvoir correspondre à un modèle de fédération transitoire : la Tchécoslovaquie et le Monténégro. La Tchécoslovaquie est une référence pour l’étude du sécessionnisme non-violent au sein d’un système fédéral. Dans le cas monténégrin, le processus qui a conduit à l’indépendance du Monténégro est lui aussi notable, par l’absence de violence(s). Peut-on les considérer comme des exemples aboutis d’un fédéralisme transitoire ?  Le cas norvégien est lui aussi très intéressant, malgré le fait que le royaume de Suède n’était pas un régime fédéral, quoique certains aspects permettent de voir en lui une sorte de proto-fédération32.

11Le succès d’un régime fédéral en tant que mécanisme de gestion et/ou de prévention des conflits se résume classiquement non seulement à sa capacité à entretenir des relations intercommunautaires ou interethniques pacifiques mais aussi et surtout à la préservation de l’intégrité territoriale de l’État où il a été établi. Ainsi, il est clair que quand le projet tchécoslovaque d’un seul pays composé de deux nations a pris fin en 1993, c’est aussi son système fédéral qui a été remis en cause. Les critiques sur l’échec de ce projet de nation-building doivent être perçues comme des critiques envers le fédéralisme en tant que contribution utile à la gestion des tensions au sein de sociétés multiethniques. La notion de fédéralisme transitoire vise à apporter un éclairage théorique différent sur des dynamiques de ce type.

3.1. Le cas tchécoslovaque

12La fin de la Grande Guerre (1914-1918) a signifié, entre autres, la mort de plusieurs empires multinationaux (Autriche-Hongrie, Empire Russe et Empire Ottoman) et, par conséquent, un renouveau de la question des nationalités en Europe centrale et orientale. Celles-ci ont été placées pour la première fois au centre des négociations dans l’immédiat après-guerre. Les Traités de Saint-Germain-en-Laye (1919) et du Trianon (1920) apportèrent d’importants changements géopolitiques dans la région. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes apparut alors comme un principe inaliénable défendu par le président américain Woodrow Wilson et adopté par les puissances victorieuses33. Et ce, en dépit des nouvelles minorités (majoritairement germanophones) qui sont ainsi engendrées dans de nouveaux pays, souvent en quête d’identité34. Si la Tchécoslovaquie est née de la volonté commune des Tchèques et des Slovaques de vivre ensemble au sein d’un État commun35, elle résulte aussi des intérêts géopolitiques des Grandes Puissances.

13La question qui suivi fut de savoir quel système politique serait le plus adéquat pour le nouvel État tchécoslovaque. Comme ce fut le cas dans nombre de ces nouveaux États-nations d’Europe centrale et orientale, la République tchécoslovaque a opté pour une organisation unitaire de l’État. Ce choix fut basé sur l’idée selon laquelle il n’y avait qu’une seule nation tchécoslovaque, dont le peuple s’exprime dans deux langues différentes36. Les élites politiques étaient conscientes des spécificités du nouvel État37. S’il est vrai que le pays est le résultat d’un compromis entre ses deux principaux groupes ethniques (Tchèques et Slovaques), les relations entre eux ne furent jamais stabilisées dans le sens où la question slovaque fut à l’agenda politique jusqu’à l’éclatement du pays en 1992. Les Slovaques se sentirent trahis au lendemain de la création de la Tchécoslovaquie. Toutefois, et malgré l’existence de conflits politiques réguliers entre les deux communautés, il n’y a pas eu d’épisodes de violence. L’année 1918 marque le commencement d’une histoire à deux qui durera un peu plus de 80 ans, malgré un court interlude durant la Seconde Guerre mondiale avec la création d’un État slovaque indépendant éphémère38. On peut se demander pourquoi le modèle fédéral ne fut pas instauré d’emblée, évitant peut-être ainsi les tensions tchèques-slovaques qui eurent pour conséquence ultime la dissolution de la Tchécoslovaquie. Selon R. Schlesinger, une part de la réponse se trouve dans le fait que la Slovaquie, sous domination hongroise pendant dix siècles au sein de l’Empire d’Autriche-Hongrie, n’a pas eu les opportunités de développement dont les Pays tchèques ont disposé sous l’autorité autrichienne plus libérale. C’est pourquoi à l’heure de l’indépendance, elle avait besoin de l’aide tchèque pour créer les bases de son développement culturel et économique. Cependant, cette relation de grand à petit frère commença à changer quand ce dernier eut la perception que cette aide était devenue superflue et était payée au prix fort sur le plan de l’autonomie39.

14Au moment de la Révolution de Velours en 1989, la plupart des observateurs des évènements qui se déroulaient en Europe centrale et orientale estimaient que les arrangements fédéraux et/ou confédéraux étaient voués à un brillant avenir dans la région40. L’évolution politique de ces pays ne confirma pas cette analyse. Le fédéralisme allait, au contraire, perdre cette aura basée sur son statut de solution institutionnelle permettant de sauver l’intégrité territoriale des États multinationaux. La période entre 1990 et 1992 a vu l’érosion des compromis fragiles entre les responsables politiques tchèques et slovaques tant sur la nature de l’État que sur les relations entre les autorités fédérales et les républiques. Les élections de 1992 furent, pour ainsi dire, le catalyseur de la fin de la Tchécoslovaquie41. Les désaccords préexistants ne firent qu’empirer la situation jusqu’à ce que la solution trouvée soit la dissolution pure et simple de la fédération tchécoslovaque et son remplacement par deux États indépendants, le 1er janvier 1993. Ce fut le résultat d’accords politiques. Aucun référendum ne fut réalisé ni en République Tchèque ni en Slovaquie, nonobstant les promesses de Vladimir Meciar. La question du rôle du fédéralisme dans l’éclatement de la Tchécoslovaquie se pose. Le système fédéral ne fut instauré dans le pays qu’à la fin des années 1960, sous la tutelle du Parti communiste tchécoslovaque. Une des principales critiques faites à l’égard du fédéralisme tchécoslovaque réside dans le fait qu’il n’existait pas à l’époque de la Révolution de Velours de parti fédéral hormis le Parti communiste. Plusieurs sondages effectués après la dissolution montrent qu’une majorité de Tchèques et de Slovaques étaient pour la continuation de la fédération. Les responsables politiques tchèques et slovaques ne partageaient pas une vision commune du futur de la fédération. Les Slovaques ne toléraient plus une position ressentie comme subalterne, ou secondaire, au sein de la fédération, ce qui explique l’élection de Meciar. Les résultats du sondage post-sécession peuvent donc apparaître comme paradoxaux par rapport à ceux du scrutin électoral qui porta Meciar au pouvoir.

3.2. Le cas monténégrin

15La question du fédéralisme transitoire est tout aussi pertinente dans le cas monténégrin. Possédant déjà les pouvoirs d’un État souverain au moment de la chute de Slobodan Milosevic, la République du Monténégro pouvait être perçue comme un État quasi-indépendant. Néanmoins, après la guerre du Kosovo, son indépendance effective était, provisoirement, politiquement impossible. La stabilité de la région était prioritaire. Ainsi, et sous une certaine pression de la communauté internationale, la Communauté d’États Serbie-et-Monténégro, créée en 2003, a succédé à la République fédérale de Yougoslavie42. Il est essentiel de comprendre que malgré la création de cet État, perçu par beaucoup de Monténégrins comme une imposition des élites politiques de Belgrade, Podgorica et Bruxelles, l’accord de Belgrade stipulait qu’une des parties de cette Communauté d’États avait le droit de la quitter après une période de trois ans. C’est ainsi qu’un référendum sur l’indépendance fut organisé en 2006, soit précisément trois ans après l’établissement de la Communauté d’États Serbie-et-Monténégro. La majorité des électeurs se prononça pour l’indépendance du Monténégro à 55,53 % contre 44,47 % en faveur de l’union avec la Serbie. Le taux de participation total s’éleva à 86,49 %. Il importe de comprendre le rôle que le système fédéral (selon certains auteurs celui-ci était plus proche d’un système confédéral43) a eu dans le processus qui conduisit à l’indépendance du Monténégro. Est-t-il possible d’y voir une capacité spécifique du fédéralisme à doter un territoire donné des institutions politiques, des infrastructures et des outils économiques nécessaires à son existence ultérieure en tant qu’État indépendant ?

16Le Monténégro a su saisir les opportunités qui lui étaient offertes au sein de la fédération yougoslave pour préserver une grande partie de sa souveraineté. Le Monténégro possédait, en 2000, la plupart des pouvoirs et compétences qui étaient auparavant dans les mains du gouvernement fédéral yougoslave (à l’exception du contrôle de l’armée fédérale ainsi que du trafic aérien). Ayant atteint une quasi-indépendance vis-à-vis de la fédération et, par conséquent, de la Serbie, les autorités monténégrines n’ont pas vu d’un bon œil la perte de cet acquis. C’est pourquoi la création de cette Communauté d’États en partenariat avec la Serbie peut être vue comme une structure politique subordonnée à un processus de transition sur la voie de l’indépendance du Monténégro. Il s’agit d’une question de perception. Sur la base de l’idée de perpétuité de la fédération présentée par C. Schmitt, il paraît improbable que l’Union européenne ou le gouvernement serbe envisageaient l’indépendance monténégrine à court terme. D’un autre côté, les partisans de l’indépendance de Monténégro avaient cette idée en tête, l’union fédérale entre les deux républiques étant conçue comme temporaire44 et, donc, transitoire.

3.3. Les conditions d’un fédéralisme transitoire

17S’il est vrai que le fédéralisme est fréquemment perçu comme un instrument politique et institutionnel de promotion de la paix au sein des peace studies, il est tout incorrect de penser qu’il a nécessairement vocation à être éternel comme le défendait Carl Schmitt. Connecter fédéralisme et sécessionnisme peut paraître contradictoire mais dans certains cas une alliance provisoire peut soutenir un processus de séparation pacifique. Le fédéralisme pourrait ainsi être un instrument de sécession non-violente. Un fédéralisme transitoire consisterait en la promotion de la sécession pacifique d’une ou plusieurs entités territoriales d’un État donné ou la dissolution d’un État, produisant par conséquent un ou plusieurs États indépendants ou l’annexion d’entités sécessionnistes (et irrédentistes) à un autre État. Le développement d’un fédéralisme transitoire suppose la réalisation de plusieurs conditions : tension ethnique potentiellement violente, revendications structurelles pour une indépendance nationale, règlement institutionnel du conflit (pré- ou post-conflit armé), et légitimation des revendications directe (par la volonté populaire) et indirecte (par les représentants politiques).

18La première condition pour que le fédéralisme puisse assumer ce nouveau rôle et, par conséquent, remplir des objectifs différents de ceux pour lesquels il est habituellement instauré, est l’existence effective d’une situation de tension ethnique localisée dans un territoire donné susceptible d’engendrer un conflit armé. Ce climat de tension n’est pas inévitablement synonyme de conflit violent latent, mais devra malgré tout s’appuyer sur des revendications d’indépendance. Notons que dans les deux cas présentés, le conflit ne présentait pas un caractère violent. Il entraîne néanmoins la sécession non-violente d’une de ses composantes, en provocant la dissolution de l’État préexistant. Le conflit politique, au contraire, était présent et les tensions politiques centrées sur la question de l’avenir de la fédération de plus en plus récurrentes. L’élection de Meciar est le résultat de cette contestation d’une fédération qui tardait à répondre aux revendications slovaques. La révolution de velours a permis de mettre fin au régime communiste en Tchécoslovaquie mais pas de régler la question nationale.  Toutefois, le cas tchécoslovaque n’apparaît pas comme une illustration parfaite du fédéralisme transitoire. La demande d’indépendance s’est exprimée davantage dans le discours de partis politiques nationalistes qu’à travers une volonté populaire objectivée par un référendum comme ce fut le cas pour le Monténégro. On peut sans doute affirmer que l’échec de l’expérience multinationale tchécoslovaque doit plus à une décision politique qu’à une réelle volonté populaire. Il faut toutefois souligner la responsabilité du peuple qui mena au pouvoir des hommes politiques tels que Vaclav Klaus ou Vladimir Meciar, acteurs de la dissolution de la fédération tchécoslovaque. La volonté populaire en tant que fondement légitimaire de la sécession peut s’exprimer à travers certains instruments juridiques, tels que la réalisation de référendum. Ce fut le cas au Monténégro, contrairement aux républiques tchèques et slovaques. Sur la base de cette condition, le fédéralisme transitoire ne s’appliquerait pas dans un contexte de tensions où s’expriment de simples demandes de reconnaissance des spécificités locales (par ex. la Flandre Française ou la Comunidad Valenciana). Selon la nature des revendications, d’autres solutions sont possibles. Elles pourraient passer par la mise en œuvre de certaines mesures concernant le droit des minorités, que ce soit au niveau national ou supranational (par ex. la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires).

19Dans le cadre d’un fédéralisme transitoire, il est également nécessaire d’instaurer un processus de règlement des conflits. Selon K. Cordell et S. Wolff, il consisterait en trois phases : la négociation, l’implémentation et l’opération45. L’implémentation de structures politiques infranationales est essentielle. La préexistence d’un haut degré d’autonomie locale (législative, parlementaire et économique) a pour objectif de doter les régions sécessionnistes de compétences institutionnelles presque similaires à celle d’un État souverain indépendant et, par conséquent, de les préparer à l’indépendance. Ceci ne signifie pas néanmoins que la préexistence de cette autonomie locale est synonyme de fédéralisme, comme il fut indiqué lors de la présentation concise des formes d’association politique. Cette maturation de l’État par le biais d’une restructuration interne sur une base «fédéralisante» n’est qu’une variante de l’émancipation d’une nation sans État à l’intérieur d’une structure étatique préexistante.

20Dans le cadre d’un fédéralisme transitoire, il est essentiel de créer les conditions optimales pour que la transition soit l’aboutissement d’un double mouvement alliant les élites politiques (top-down) à la population en général (bottom-up). La garantie d’une transition unissant diverses volontés peut être légitimée à travers la conclusion d’accords sur la réalisation d’un référendum portant sur l’indépendance d’une entité. Celui-ci peut également être prévu par une clause dans des accords de paix. C’est notamment le cas pour le Sud-Soudan46, Bougainville ou l’Irlande du Nord. Lors de la signature d’accords de paix, un certain timing est dès lors défini pour la réalisation d’élections libres, souvent subordonné à d’autres conditions, notamment le transfert de pouvoir d’une entité à l’autre. Il faut donc prendre en compte le fait que la réalisation de ces conditions demande souvent du temps, spécialement pour ce qui est des mouvements électoraux.

21Enfin, l’acceptabilité de la sécession par la communauté internationale peut soulever des difficultés. Il est important de souligner l’importance des questions d’ordre géopolitique ainsi que celles liées au droit humanitaire, à la base de plusieurs interventions militaires et de création de nouveaux États (notamment au Kosovo). Il est donc fondamental d’être attentif à la dimension internationale de la question et au rôle des acteurs extérieurs qui auront à reconnaître les États nouvellement créés.

4. Conclusion

22Il est aujourd’hui évident que le modèle fédéral n’est pas la panacée attendue par plusieurs auteurs qui en ont fait l’apologie en espérant qu’il permette d’atteindre la paix perpétuelle chère à l’abbé Saint-Pierre ou J.-J. Rousseau. L’Histoire a montré que ce n’était pas un système parfait, parfois dans la violence comme ce fut le cas en ex-Yougoslavie. En tant que mécanisme de gestion et/ou prévention des conflits dans des contextes multi-ethniques le modèle fédéral peut être conçu comme un système de transition politique entre une situation de tensions ethniques ou nationales, ou bien de conflit armé, et la sécession pacifique de l’entité pour laquelle l’indépendance est la seule solution politiquement possible. Il existe certains exemples (imparfaits) de cet usage alternatif du modèle fédéral. Il est possible d’établir les conditions dans lesquelles ce modèle théorique est susceptible de se développer. L’étude des cas tchécoslovaque et monténégrin, et dans une moindre mesure le cas norvégien, permet de poser une série de constats empiriques essentiels pour le développement de ce concept. Un haut degré de self-government aux niveaux régional et local, une autonomie législative et parlementaire, permettent aux nations sans États de se doter de pouvoirs traditionnellement dans les mains d’un État souverain. Le fédéralisme fonctionnerait alors non plus comme un mécanisme complexe de décentralisation de l’État mais comme le préparateur de l’indépendance pacifique d’un nouvel État. Il serait, au contraire, perçu comme une étape préparatoire fondamentale dans l’avènement d’un nouvel État indépendant.

Notes

1 Voir Tulkens (H.), «Pourquoi le fédéralisme ?», Revue économique, nº 54, vol. 1, p. 469-476.
2 Ibid., p. 470. L'État moderne est depuis sa création la conséquence d’un processus d'homogénéisation. La politique unificatrice et centralisatrice effectuée dans différents États-nations en gestation, en partie à travers la négation des différences régionales et divers particularismes, a donné lieu à l'assimilation des périphéries, en dépit de leur réelle intégration. Mais ce jeu de mot est ici pervers. Leur vrai sens est modifié en faveur d'une idéologie d'État dont la matrice centralisatrice n’accepte pas et ne peut accepter l’existence de contre-pouvoirs, notamment les régions. Intégration est donc synonyme d’assimilation réelle des minorités, ce qui signifie globalement la fin des privilèges et particularismes locaux. En effet, les premiers États modernes ont été construits avec un succès plus ou moins fondé sur une double politique qui visait à renforcer le pouvoir royal, à savoir le pouvoir central, et a essayé d'imposer l'intégration, ou assimilation culturelle, des périphéries ainsi que des minorités (ethniques, religieuses ou autres). En tant que dispositif idéologique de gestion d’inégalité et d’exclusion à travers le déni des différences, l’universalisme anti-différencialiste est devenu une partie de cette politique de construction d’un espace unitaire. Voir Santos (B. de S.), A gramática do tempo: para uma nova cultura política, Porto, Edições Afrontamento, 2006, p. 263.
3 Stemmermann (K.), «Débat autour du fédéralisme en Italie. « Un fantôme hantait l’Italie » ou sur le chemin d’une structure sociale et économique fédérale», in Ammon (G.) et Hartmeier (M.) (dir.), Fédéralisme et centralisme. L’avenir de l’Europe entre le modèle allemand et le modèle français, Paris, Economica, 1998, p. 88.
4 Ammon (G.) et Hartmeier (M.), «Le fédéralisme et le centralisme : les deux principes fondamentaux de l’organisation territoriale», in Ammon (G.) et Hartmeier (M.) (dir.), op. cit., p. 15.
5 Ibid., p. 21.
6 Watts (R. L.), «Comparing Forms of Federal Partnerships», in Karmis (D.) et Norman (W.) (dir.), Theories of Federalism: A Reader, New York & Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2005, p. 235-237.
7 Ces entités peuvent avoir plusieurs désignations. On trouve donc des États, des régions, des provinces, des Länder ou des cantons : Amoretti (U. M.), «Introduction»,  in Amoretti (U. M.) et Bermeo (N.) (dir.), Federalism and Territorial Cleavages, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2004, p. 9.
8 En faisant cette distinction entre federation et federacy, Ronald L. Watts prétend montrer qu’il y a dans ce cas précis deux formes distinctes d’association politique. En raison de la difficulté liée à la traduction du concept de federacy, il nous a paru plus opportun de garder la terminologie en langue anglaise.
9 Selon Mario Bettati, les théories relatives aux confédérations n’est pas rigoureuse et permet d’élargir le concept à plusieurs formes d’organisation étatique ou d’association d’États. Il arrive toutefois à présenter quatre systèmes confédéraux : les unions administratives dont l’objectif est limité (Union postale universelle, Union internationale des télécommunications, par exemple) ; les alliances défensives (Organisation du traité de l’Atlantique Nord, par exemple) ; les organisations internationales lato sensu (Union européenne, par exemple) ; les unions royales groupant deux ou plusieurs États sous l’autorité d’un sujet physique (le monarque) (Autriche-Hongrie entre 1867 et 1918) : Bettati (M.), «Confédération», in Duhamel (O.) et Mény (Y.) (dir.), Dictionnaire constitutionnel, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 194.
10 Watts (R. L.), op. cit., p. 235 ; et Watts (R. L.), «Les principales tendances du fédéralisme au XXe siècle», Revue Internationale de Politique Comparée, vol. 10, nº 1, 2003, p. 18.
11 Malberg (R. C. de), Contribution à la théorie générale de l’État, Tome I, Paris, C.N.R.S., 1962, p. 102.
12 Quermonne (J.-L.), Les régimes politiques occidentaux, Paris, Éditions du Seuil, 2006, 5e édition, p. 280-281.
13 L’État-nation est un concept politique selon lequel les frontières physiques d’un territoire donné (l’État) se juxtaposent à une entité ethno-nationale, ethnoculturelle ou autre (la nation). Le concept d’État-nation s’oppose à l’idée ici défendue qui évoque la pluralité ethno-nationale dans un même État car il prône généralement un modèle unitaire de l’État (voir note 2). Ne pas confondre toutefois État et nation. Selon Arnold Van Gennep, «Il est vrai de dire que parfois Nationalité et Etat coïncident, et que parfois ils ne coïncident pas ; mas la définition du premier terme n’a pas à être donnée en fonction du second, ni inversement ; ils désignent deux séries de faits collectifs autonomes, qui obéissent à des règles propres de formation et d’évolution, et peuvent ou non réagir l’une sur l’autre. Autrement dit, parfois la nationalité tend à s’identifier avec l’Etat, mais cette tendance ne suffit pas à caractériser la nationalité par rapport à l’Etat.», Van Gennep (A.), Traité comparatif des nationalités, Paris, Éditions du C.N.R.S., 1995, p. 20-21.
14 Ferrando Badia (J.), El Estado unitario, el federal y el Estado autonómico, Madrid, Tecnos, 1986, p. 82-83.
15 La question de la souveraineté est complexe, en particulier quand il s’agit d’une souveraineté partagée. Cette dernière notion est au centre d’une discussion intéressante au sein de la doctrine. Selon R. Carré de Malberg, parler de souveraineté partagée est en soi une contradiction in adjecto puisque la «souveraine puissance», symbole du pouvoir, ne peut appartenir à deux États dans un même territoire. Ainsi, toujours selon cet auteur, la souveraineté n'est concevable qu’entière. Par conséquent, la défense du fédéralisme est, selon O. Beaud, le plus grand défi lancé à l’idée de souveraineté. Contrairement à Carré de Malberg, Beaud souligne l’existence de solutions qui visent à concilier et résoudre la contradiction entre souveraineté et fédéralisme. Pour cet auteur, la solution la plus simple relève des inventions sémantiques. Ainsi, et acceptant l’indivisibilité de la souveraineté, il propose de parler de «double souveraineté», «semi-souveraineté » ou de «souveraineté partagée». Quant à G. Lebreton, il oppose la souveraineté en tant qu’attribut de l’État souverain à la répartition de compétences entre l’État fédéral et les entités fédérées. Selon lui, si le peuple est le véritable souverain dans les démocraties, l’État ne peut être qu’un simple instrument à sa disposition, ayant par conséquent l’obligation de respecter et de mettre en œuvre la volonté populaire. Lebreton conclut qu'il est vain de demander à l’État de transférer «sa» souveraineté parce qu’elle ne lui appartient pas. Sur cette question, voir Beaud (O.), Théorie de la fédération, Paris, Presses Universitaires de France, 2007, p. 61 ; Lebreton (G.), «Évolution, Révolution, Dévolution: réflexions sur les révisions de la Constitution Française du 4 octobre 1958», in Barbiche (J.-P.) (dir.), Dévolutions et fédéralismes. Des faits et des idées, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 160 ; Beaud (O.), «Souveraineté», in Raynaud (P.) et Rials (S.) (dir.), Dictionnaire de Philosophie Politique, Paris, PUF, 1996, p. 629 ; Malberg (R. C. de), op. cit., p. 139.
16 Voir notamment Cordell (K.) et Wolff (S.), Ethnic Conflict: Causes - Consequences - Responses, Cambridge & Malden, MA, Polity, 2010; Harris (P.) et Reilly (B.), Democracy and Deep-Rooted Conflict: Options for Negotiators, Stockholm, International Institute for Democracy and Electoral Assistance, 1998, p. 155 et s. En tant qu’exemple de proposition du fédéralisme comme mécanisme de promotion de la paix, voir Collectif, Moldova-Transdniestria: Working Together for a Prosperous Future. Negotiation Process, Chisinau, Cu drag Publishing House, 2009.
17 Batkus (V. O.), The Dynamic of Secession, 1999, Cambridge, Cambridge University Press, p. 8.
18 Schmitt (C.), Théorie de la Constitution, Paris, Presses Universitaires de France, 1993, p. 512.
19 Voir Burgess (M.), Comparative Federalism: Theory and Practice, Abingdon, Routledge, 2006, p. 100.
20 Fleiner (T.) et Hottinger (J. T.), «La pertinence du fédéralisme dans la gestion des diversités nationales», Revue Internationale de Politique Comparée, vol. 10, nº 1, 2003, p. 79.
21 Exception faite de la Constitution soviétique qui établissait, du moins en théorie, le droit de chaque République fédérée de sortir librement de l’URSS.
22 «As Calhoun’s argument makes clear, the states’ rights view of ratification powerfully supports the logic of nullification and secession, which on nationalist grounds are ruled out, except as a revolutionary last resort. A more important consequence of this conflict of ideas of ratification, however, is their opposing conceptions of the political body which takes part in and results from this process. (…)
23 Voir Kymlicka (W.), «Is federalism a viable alternative to secession?», in Lehning (P. B.) (dir.), Theories of Secession, London & New York, Routledge, 1998, p. 111-150.
24 Ibid., p. 138.
25 Nguyen (E.), Les nationalismes en Europe. Quête d’identité ou tentation de repli ?, s.l., Le Monde, 1998, p. 193.
26 Ibid., p. 171.
27 Snyder (J.), «La gestión de la etnopolítica en Europa Oriental : una valoración de los enfoques institucionales», in Ferrero (R.) (dir.), Nacionalismo y minorías en Europa Central y Oriental, Barcelona, Institut de Ciènces Polítiques i Socials, 2004, p. 56-57.
28 Weinstock (D.), «Vers une théorie normative du fédéralisme», Revue internationale des sciences sociales, vol. 167, nº 1, 2001, p. 83.
29 Costa (J.), «On Theories of Secession: Minorities, Majorities and the Multinational State», Critical Review of International Social and Political Philosophy, vol. 6, nº 2, 2003, p. 64-67. Voir également entre autres Pavkovic (A.) et Radan (P.), Creating New States: Theory and Practice of Secession, Aldershot & Burlington, VT, Ashgate, 2007 ; Kohen (M. G.) (dir.), Secession: International Law Perspectives. Cambridge, Cambridge University Press, 2006 ; Wellman, (C. H.), A Theory of Secession: The Case for Political Self-Determination, Cambridge, Cambridge University Press, 2005 ; Moore (M.) (dir.), National Self-Determination and Secession, Oxford, Oxford University Press, 2003 ; Moore (M.), The Ethics of Nationalism, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 165 et s. ; Lehning (P. B.) (dir.), op. cit.; Buchanan (A.), Secession: The Morality of Political Divorce from Fort Sumter to Lithuania and Quebec, Boulder, CO, Westview Press, Ltd., 1991.
30 Voir Derbyshire (J.) et Derbyshire (I.), Encyclopedia of World Political Systems, vol. 1, Armonk, M.E. Sharpe, 2000. Selon ces auteurs, il n’y aurait aujourd’hui que deux ethno-fédérations au monde : la Bosnie-Herzégovine et l’Ethiopie. Cette appréciation paraît exagérée étant donné qu’il est possible de trouver d’autres ethno-fédérations, notamment la Suisse qui est sans aucun doute une fédération multi-ethnique.
31 Voir Kaldor (M.), New and Old Wars: Organized Violence in a Global Era, Oxford, Policy Press, 1999.
32 Sous le gouvernement danois, la première Assemblée constituante norvégienne a été établie et sa première Constitution rédigée (1813). Sa principale mesure a été l’introduction de la séparation des pouvoirs, ce qui fut respecté par les autorités suédoises lors de l’annexion de la Norvège par ce royaume l’année suivante. Bien qu’il ne s’agissait pas constitutionnellement d’un État fédéral, force est de constater que la Suède (du moins en ce qui concerne à sa province norvégienne) possédait certaines caractéristiques qui permettent de l’insérer dans le groupe plus large des proto-fédérations. En effet, la politique du gouvernement de Stockholm a permis à la Norvège de développer un statut légal et une forte identité. Bien que partageant le même monarque que la Suède, cette province bénéficiait d’une complète autonomie législative et parlementaire (le Stortung était le parlement norvégien), ainsi qu’une armée totalement autonome en temps de paix.
33 Malgré une apparente bonne volonté et un dessein favorable aux minorités d’Europe centrale et orientale, les Quatorze Points de Wilson (1918) étaient loin de répondre à toutes les revendications ethno-nationalistes de la région. Au contraire, Wilson ainsi que les Grandes Puissances désiraient, dans un premier temps, une simple réforme des Empires centraux. Cela n’étant pas possible, cette position de départ se mua en une apologie du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sévèrement limité par des considérations d’ordre géopolitique. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, selon Wilson, s’est ainsi très rapidement transformé et a donc été appliqué de manière différente selon les États. Certains États furent découpés, comme ce fut le cas de la Hongrie, essentiellement au profit de la Roumanie, et d’autres furent créés. Voir notamment Soutou (G.-H.), «1918 : le basculement vers une Europe d’États-nations», in Marès (A.) (dir.), La Tchécoslovaquie sismographe de l’Europe au XXe siècle, Paris, Institut d’études slaves, 2009, p. 19-34.
34 «En Europe centrale, rien n’est simple. Ni les faits, ni les mots. À plus forte raison quand il faut en rendre compte dans une langue tierce.
35 Krejci (J.), Czechoslovakia at the Crossroads of European History, London & New York, I. B. Tauris & Co., Ltd., 1990, p. 134-135.
36 Ibid., p. 138.
37 Le discours du président tchécoslovaque, Tomas Masaryk, lors des commémorations du 10e anniversaire de la République tchécoslovaque, le 28 octobre 1928, nous montre clairement qu’il y avait une perception du caractère multinational et multiconfessionnel du pays de la part des élites politiques : «Love your country, your nation, and your native tongue. You must live in harmony with all your fellow citizens though they may differ in calling, in language, or religion from yourselves. We are all equal, we must all be equally free.», Lowrie (D. A.), Masaryk of Czechoslovakia: A Life of Tomas G. Masaryk First President of the Czechoslovak Republic, London, Oxford University Press, 1930, p. 208.
38 Entre 1939 et 1945, la Slovaquie a eu une première expérience en tant qu’État indépendant sous le gouvernement de Monseigneur Tiso et sous l’égide de l’Allemagne nazie. Voir Spiesz (A.) et Caplovic (D.), Illustrated Slovak History: A Struggle for Sovereignty in Central Europe, Wauconda, Il, Bolchazy-Carducci Publishers, 2006, p. 208-233.
39 Schlesinger (R.), Federalism in Central and Eastern Europe, London, Kegan Paul, Trench, Trubner & Co., Ltd., 1945, p. 299-300.
40 Seroka (J.), «The Dissolution of Federalism in East and Central Europe», in De Villiers (B.) (dir.), Evaluating Federal Systems, Dordrecht, Juta & Co, Ltd & Martinus Nijhoff Publishers, 1994, p. 210.
41 Voir Wightman (G.), «The Development of Party System and the Break-up of Czechoslovakia», in Wightman (G.) (dir.), Party Formation in East-Central Europe: Post-communist politics in Czechoslovakia, Hungary, Poland and Bulgaria, Aldershot, Edward Elgar, p. 59-78.
42 Voir Morrison (K.), Montenegro: A Modern History, London & New York, I. B. Tauris, 2009, p. 182 et s.
43 Voir notamment Arfi (B.), «State Collapse in a New Theoretical Framework: The Case of Yugoslavia», International Journal of Sociology, vol. 28, nº 3, 1998, p. 15-42.
44 «The Montenegrin elite, which today governs the country, began to realize after 1997 that the federal state cannot be built upon the temporary consensus of political elites, as was the case in 1992. When in 1997–98 the consensus was definitely lost, the Montenegrin government and president had found themselves in an extremely vulnerable position of being at the mercy of Milosevic and the federal army. Now the Montenegrin political elites have an adamant desire to build a nation-state, which they consider the most effective instrument for protecting the established political order in Montenegro», Lukic (R.), cit. in Morrison (K.), op. cit., p. 190.
45 Voir Cordell (K.) et Wolff (S.), op. cit., p. 89 et s.
46 Pour ce qui est du Sud-Soudan, le référendum tenu en janvier 2011 est l’avant-dernière étape du processus de paix engagé avec les accords de paix de 2005. Avec presque 99 % de votes en faveur de la sécession, il marque la volonté des Sud-Soudanais d’avoir un État indépendant. Volonté que le président soudanais, Omar Hassan El-Béchir, a affirmé vouloir respecter.

Para citar este artículo

Daniel Rodrigues, «Fédéralisme, conflit ethnique et sécessionnisme : Le fédéralisme comme instrument de sécession non-violente», Fédéralisme Régionalisme [En ligne], Varia, Volume 10 : 2010, URL : https://popups.uliege.be/1374-3864/index.php?id=903.

Acerca de: Daniel Rodrigues

Centro de Estudos Sociais, Faculdade de Economia, Universidade de Coimbra, Portugal