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- Volume 23 (2020)
- number 1-2
- Géochimie des muscovites comme indicateur du fractionnement des pegmatites de la région de Kabarore-Mparamirundi (nord-ouest du Burundi, Afrique centrale)
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Géochimie des muscovites comme indicateur du fractionnement des pegmatites de la région de Kabarore-Mparamirundi (nord-ouest du Burundi, Afrique centrale)
Résumé
La région de Kabarore-Mparamirundi renferme de nombreuses pegmatites liées aux leucogranites de 986 ± 10 Ma investigués dans la chaîne Karagwe-Ankole. Elles sont intensément exploitées pour la columbite-tantalite et la cassitérite. Les éléments alcalins présents dans la muscovite (370 à 7590 ppm de Rb, 8 à 1470 ppm de Cs) sont modélisés par la cristallisation fractionnée de Rayleigh à partir d'une composition leucogranitique parentale (4,1 % de K, 321 ppm de Rb et 9 ppm de Cs). Le comportement décroissant du rapport K/Rb en fonction de Cs indique que la cristallisation fractionnée de Rayleigh est le principal processus de différenciation des divers faciès de pegmatites. De plus, la trajectoire continue depuis le granite parental jusqu’aux pegmatites exploitées démontre un lien co-génétique entre eux. Les pegmatites non exploitées et celles des exploitations abandonnées correspondent à des pegmatites qui sont les moins fractionnées selon le modèle (avec moins de 94 % de fractionnement) tandis que les pegmatites exploitées sont les plus fractionnées et constituent des produits de fractionnement de plus de 94 % de la composition initiale du leucogranite. Les éléments Rb, Cs, Ta, Sn et Li contenus dans les muscovites peuvent servir d’outil précieux dans l’exploration des pegmatites.
Abstract
Geochemical signature of muscovites as pathfinder for fractionation of pegmatites in the Kabarore-Mparamirundi area (northwestern Burundi, Central Africa). The Kabarore-Mparamirundi area hosts numerous pegmatites spatiotemporally related to leucogranites dated at 986 ± 10 Ma in Karagwe-Ankole belt. The deposits are intensively exploited for columbite-tantalite and cassiterite. Alkali metals in muscovite (Rb 370–7590 ppm, Cs 8–1470 ppm) are modeled by Rayleigh fractional crystallization from a parental leucogranitic composition (K 4.1 wt%, Rb 321 ppm and Cs 9 ppm). The power law declining behavior of the ratio K/Rb versus Cs indicates the Rayleigh fractional crystallization as the main process of differentiation of the various pegmatite facies. Moreover, the continuous trend from granite to the most evolved, exploited pegmatites demonstrates a co-genetic link among them. The fractionation model shows that unmined and abandoned pegmatites are less fractionated (less than 94% of fractionation) while mined pegmatites are highly fractionated and constitute fractionated products of more than 94% of the initial leucogranite composition. The Rb, Cs, Ta, Sn and Li elements in muscovite can be used as a valuable tool in the exploration of fertile and sterile pegmatites in this area.
Inhoudstafel
1. Introduction
1L'une des discussions actuelles dans les recherches sur les pegmatites est centrée sur la question de savoir si la formation des pegmatites est principalement due à la différenciation granitique ou à des processus anatectiques (Simmons & Webber, 2008). Il est admis que de nombreux champs de pegmatites se forment par différenciation de magmas granitiques (Černý, 1991a; London, 2008, 2014). Dans de nombreux cas, la connexion de pegmatites avec un pluton parental est déduite à partir de l’analyse des relations spatiales, de la détermination d'âge et des caractéristiques géochimiques (Mulja et al., 1995a, 1995b; London, 2008). Cependant, certains champs de pegmatites ne semblent pas être associés à des granites parentaux potentiels ou, lorsque c’est le cas, les granites et les pegmatites sont légèrement diachrones (Černý, 1991b; Shaw et al., 2016; Müller et al., 2017). Dans les zones très métamorphisées, la fusion partielle de roches quartzo-feldspathiques ou amphibolitiques peut produire des magmas pegmatitiques en l'absence de magmatisme felsique ou générer des pegmatites qui ne démontrent pas de relations génétiques avec des plutons granitiques associés (Shearer et al., 1992; Roda-Robles et al., 1999; Simmons & Webber, 2008; Müller et al., 2015).
2Un paramètre important dans la genèse de la pegmatite est le contenu absolu et la solubilité de l'eau et d'autres substances volatiles dans le magma pegmatitique (London, 2015; Thomas & Davidson, 2015). London (2009) indique que les masses fondues de pegmatites sont complètement miscibles avec des quantités de H2O d'environ 6,5 % déterminées par l’analyse des inclusions fluides. Par contre, Thomas et al. (2006) et Thomas & Davidson (2012) considèrent des teneurs élevées (> 10 %) en eau dans les masses de pegmatites. De nombreuses études ont été entreprises sur les pegmatites granitiques et se sont focalisées sur les pegmatites à éléments rares ainsi que sur les processus liés à leur zonation interne (Webster et al., 1997; Tindle & Breaks, 2000; Alfonso et al., 2003; London, 2005a, 2014; Alfonso & Melgarejo, 2008; Thomas et al., 2012). Elles se forment par ségrégation de magma résiduel extrêmement fractionné, riche en éléments rares et volatils. Cette richesse en éléments (Li, B, P…) qui modifient la structure du magma facilite la diffusion des éléments chimiques et donc le développement de grands cristaux automorphes. Elle diminue aussi la viscosité du magma et favorise la propagation des pegmatites à grande distance (i.e. en moyenne 2 km dans Černý, 1982; 10 km dans Baker, 1998) à partir du pluton parental, à la faveur des fractures dues aux mouvements tectoniques (Dingwell et al., 1992; Baker, 1998). Les pegmatites à éléments rares, qui sont largement distribuées au niveau mondial, sont d'âge archéen à cénozoïque (Černý, 1989) et sont associées au métamorphisme régional allant du faciès des schistes verts au faciès des amphibolites (Černý, 1989). Elles se présentent sous forme de lentilles ou de filons d’ordre centimétrique à métrique dans et autour du pluton parental. Elles se caractérisent par une composition minéralogique complexe (Černý & Ercit, 1985) et un fort enrichissement en éléments lithophiles et incompatibles tels que le béryllium (dans le béryl), le lithium (dans le spodumène et la pétalite), le rubidium (dans le lépidolite), le césium (dans la pollucite), l’étain (dans la cassitérite), le tantale et le niobium (dans la columbite-tantalite), et les éléments des terres rares (ETR). Elles sont souvent associées à une minéralisation de Nb-Ta-Sn-W (Simmons & Webber, 2008; Linnen et al., 2012) couramment utilisée dans l’industrie de haute technologie (European Commission, 2014).
3Les pegmatites à éléments rares se disposent généralement de façon concentrique autour du granite parent (Černý, 1991b). Cette zonation à caractère régional montre que les filons les plus primitifs (moins fractionnés) se trouvent aux abords du pluton source alors que les plus évolués (plus fractionnés), donc riches en métaux rares, sont situés loin de leur source. Ce caractère zonéographique a été observé dans plusieurs régions du monde entre autre les champs de pegmatites de la Winnipeg River (Goad & Černý, 1981), les systèmes de Harney Peak, Black Hills, Dakota Sud (Shearer et al., 1992), de Preissac-Lacorne, Québec (Mulja et al., 1995b), de Fregeneda, Salamanca, Espagne (Roda-Robles et al., 1999) et de Gatumba, Rwanda (Varlamoff, 1954, 1972; Hulsbosch et al., 2013, 2014).
4La concentration en éléments alcalins, c'est-à-dire Rb et Cs, des micas dioctaédriques sont de bons indicateurs de la différenciation magmatique des pegmatites et sont des marqueurs de leur potentiel de minéralisation (Černý et al., 1985). Le rapport K/Rb en fonction de Cs dans la muscovite est considéré comme l'un des meilleurs indicateurs de l'évolution de la pegmatite (Černý et al., 1985; Oyarzábal et al., 2009). Pendant la cristallisation fractionnée, les éléments incompatibles s'enrichissent dans la masse magmatique résiduelle tandis que les éléments compatibles s'épuisent. La concentration d'un élément particulier dans un minéral dépend de son coefficient de partage cristal-magma et de la concentration du magma au moment de la précipitation. Une séquence évolutive tout au long de la cristallisation, en fonction de la fraction cristallisée F, peut être établie quantitativement si la composition initiale du magma granitique, les proportions minérales au cours de l'évolution et les coefficients de partage requis sont connus. Le Rb et le Cs sont des éléments incompatibles (D < 1) dans les systèmes granite-pegmatite (Saleh et al., 2008). Par conséquent, il est prévu que les concentrations d'éléments incompatibles (c.-à-d. Li, Rb, Cs, Nb, Ta et Sn) augmentent pendant la cristallisation fractionnée dans le magma résiduel qui est manifestée et enregistrée dans la géochimie de la muscovite. Les diagrammes comme K/Cs - Rb, K/Rb - Sr et K/Rb - Ba montrent une séquence de fractionnement continu et évolutif dans les systèmes de granite-pegmatite (Černý et al., 1985; Oyarzábal et al., 2009). Par ailleurs, de nombreuses recherches dont celles de Beus (1956), Gordiyenko (1971), Shearer et al. (1985), Smeds (1992), Trumbull (1995) et Morteani et al. (1995) révèlent que la teneur en éléments en traces dans les micas est un outil important pour évaluer le potentiel économique des pegmatites. Černý et al. (2005) ont décrit les schémas de fractionnement de Rb, Cs, Ga et Tl dans les feldspaths et les micas. Les tendances d'enrichissement des éléments alcalins dans ces derniers se sont avérées utiles dans l'exploration géochimique des pegmatites (Trueman & Černý, 1982).
5Le but de cette étude est de déterminer le degré de fractionnement des pegmatites dans une région scientifiquement mal connue, mais fortement minéralisée, du nord-ouest du Burundi, plus particulièrement la région de Kabarore-Mparamirundi (K-Mp). Il sera question aussi de comparer ce fractionnement à celui déterminé par Hulsbosch et al. (2013, 2014) autour du pluton granitique de Gitarama situé à environ 70 km au nord-est de K-Mp. La géochimie combinée à la pétrographie du leucogranite à partir duquel ces pegmatites pourraient être dérivées sont envisagées.
2. Cadre géologique, métallogénique régional et de Kabarore-Mparamirundi
2.1. Contexte géologique et métallogénique régional
6Deux branches mésoprotérozoïques Kibarides (KIB) et Karagwe-Ankole (KAB), longues de 1500 km et orientées selon une direction NNE-SSW (Fig. 1), ont été mises en évidence en Afrique centrale (Tack et al., 2010). La KIB comprend le sud-ouest du Katanga en République Démocratique du Congo (R.D. Congo) et la KAB englobe les provinces de Kivu et de Maniema en R.D. Congo, le Burundi, le Rwanda, le sud-ouest de l'Ouganda (Ankole) et le nord-ouest de la Tanzanie (Karagwe) (Cahen et al., 1984). Les deux branches se sont formées et ont évolué entre les domaines pré-mésoprotérozoïques suivants: l’Archéen-Paléoprotérozoïque du craton du Congo à l’ouest et au nord, l’Archéen du craton de la Tanzanie à l’est et le bloc Bangweulu au sud. La KIB et la KAB sont séparées, au niveau des régions du Katanga et du Kivu-Maniema en R.D. Congo, par un socle paléoprotérozoïque rusizien (Lepersonne, 1974; Lavreau, 1985), orienté nord-ouest, s’étendant sous le lac Tanganyika pour rejoindre la bande paléoprotérozoïque ubendienne au sud-ouest de la Tanzanie (Klerkx et al., 1987; Theunissen et al., 1996).
Figure 1. Localisation géographique des branches Karagwe-Ankole et Kibara séparées par une chaîne paléoprotérozoïque (Ruzizi-Ubende) ainsi que du bloc Bangweulu, de la ceinture Irumide et des cratons du Congo et de la Tanzanie (carte modifiée à partir de Dewaele et al., 2011).
7Les roches mésoprotérozoïques de la KAB et de la KIB résultent d’un long processus de sédimentation, de déformation, de métamorphisme et de magmatisme dans un bassin peu profond dont l’histoire débute vers 1420 Ma (Fernandez-Alonso et al., 2012). Les sédiments déposés étaient pour la plupart siliciclastiques avec des intercalations d’unités métavolcaniques, peu de carbonates (Baudet et al., 1989) et intrudés par d’abondants massifs de granitoïdes de types S et de corps mafiques (Cahen et al., 1984; Tack et al., 1994, 2010; Fernandez-Alonso et al., 2012).
8Différents événements magmatiques enregistrés dans la KAB à des époques différentes témoignent de trois événements majeurs. A 1375 Ma, un événement majeur connu sous l’appellation d’"événement kibarien" est principalement caractérisé par la manifestation d'un magmatisme bimodal, avec la mise en place de corps mafiques à ultramafiques de type Bushveld le long de l'alignement Kabanga-Musongati (KM) (Duchesne et al., 2004), datés à 1374 ± 14 Ma (SHRIMP U-Pb; Tack et al., 2010). Par ailleurs, d’importants massifs granitiques peralumineux de type S accompagnés de corps mafiques (Cahen et al., 1984) ont été datés entre 1383 ± 17 Ma et 1371 ± 7 Ma (SHRIMP U-Pb, Tack et al., 2010). Deux domaines distincts au point de vue magmatique, métamorphique et tectonique, séparés par l’alignement KM, furent reconnus dans la KAB (Tack et al., 1994): le domaine occidental (WD) renfermant les granites de type S et le domaine oriental (EW) dépourvu de granites.
9A 1205 Ma (Tack et al., 2010), un magmatisme granitique de type A ayant une affinité alcaline s’est manifesté le long de certaines zones de cisaillement régionales et s’observe uniquement au Burundi. Trois petits massifs de ce type de granite constituent l’alignement nord-sud Gitega-Makebuko-Bukirasazi (GMB) sur 30–40 km. Ils sont juxtaposés à l’alignement KM (Evans et al., 2000).
10La déformation des métasédiments et des roches magmatiques de la KAB (orogène à l’âge Tonien) se produit aux environs de 1 Ga avec le début de l’ère néoprotérozoïque et constitue le troisième événement documenté. Cette phase tectonique a été responsable de la formation des plis droits et de différentes déformations structurales (diaclases, schistosité de plan axial, etc.) (Nahimana, 1988; Tack et al., 2010; Fernandez-Alonso et al., 2012).
11La relaxation post-cinétique de la KAB après l'événement de compression de 1 Ga a donné lieu à la mise en place d’une autre génération de granites de type S tardi- à post-orogéniques, leucocrates et peralumineux, non foliés, équigranulaires (Cahen & Ledent, 1979), datés à 986 ± 10 Ma (SHRIMP U-Pb sur zircon, Tack et al., 2010). Il s’agit d’un "granite à étain" et est la source parentale des pegmatites à Nb, Ta, Sn, Li, Be et des veines de quartz hydrothermales riches en Sn et W observées à plusieurs endroits au Rwanda, au Burundi, en Ouganda et en R.D. Congo (Varlamoff, 1972; Pohl & Günther, 1991; Pohl, 1994; Romer & Lehmann, 1995; Dewaele et al., 2010; De Clercq, 2012; Goldmann et al., 2013; Pohl et al., 2013; Hulsbosch et al., 2014, 2016; Melcher et al., 2015; Hulsbosch, 2019). Les pegmatites du Burundi ont été datées à 969 ± 17 Ma (roche totale Rb-Sr; Lehmann et al., 1994) et 969 ± 8 Ma (muscovite Rb-Sr; Brinckmann & Lehmann, 1983).
2.2. Contexte géologique et champs pegmatitique de la région de Kabarore-Mparamirundi
12La Figure 2A illustre la carte lithologique du Burundi avec les localités dans lesquelles se rencontrent les pegmatites à Nb, Ta, Sn et W et la région de K-Mp (zone encadrée) faisant l’objet de cette étude. Cette dernière appartient au domaine occidental (WD) de la branche Karagwe-Ankole (KAB). Cette zone est composée essentiellement de: (a) métasédiments phylliteux gris (Formation de Ngozi), gris-foncé à noir (Formation de Gisha-Mikiko), avec des bancs quartzitiques de la Formation de Ruganza; (b) métavolcanites amygdalaires et de dolérites; (c) corps granitiques à deux micas et pegmatitiques, rencontrés à Kayanza, dans la forêt de la Kibira et dans le complexe de Kimanga. Une schistosité régionale, omniprésente aussi bien dans les métasédiments que dans les métabasites et dans les granites Gr1-3, est observée. C’est une schistosité de plan axial qui résulte de la déformation de l’orogène de la KAB (Fernandez-Alonso & Theunissen, 1998). De nombreuses intrusions pegmatitiques se rencontrent un peu partout dans la région et certaines d’entre elles font l’objet d’exploitation de columbite-tantalite et de cassitérite. Cette partie du nord-ouest du Burundi est considérée comme exceptionnelle en matière de gisements de Nb-Ta et d’étain. Elle est exploitée par la société Comptoir Minier des Exploitations du Burundi (COMEBU) depuis 1989. Les pegmatites se disposent dans et autour du complexe de Kimanga. Il s’agit d’un complexe homogène caractérisé par la présence fréquente de granites pegmatitiques, de gneiss et d’amphibolites avec des intercalations, par endroit, de bancs quartzitiques et de micaschistes.
Figure 2. (A) Localisation géographique des pegmatites à Sn, Nb-Ta et W rencontrées au Burundi. Le polygone constitue la zone d’étude. (B) Indication des lieux échantillonnés au nord et au nord-ouest du Burundi. Les échantillons de micas proviennent de pegmatites en cours d’explotation, de pegmatites anciennement exploitées mais abandonnées, et de pegmatites non exploitées (carte réalisée à partir de la compilation des cartes géologiques du Burundi au 1/100 000 et Fernandez-Alonso et al., 2007). SuperG = Supergroupe.
3. Echantillonnage et méthodes analytiques
13Cinquante échantillons de pegmatites riches en micas ont été récoltés au nord et nord-ouest du Burundi (Fig. 2B). Ils ont été prélevés dans les sites en exploitation (Fig. 3A), sites abandonnés (Fig. 3B) et dans les filons non exploités (Fig. 3C). Afin d'étudier la chimie des muscovites, les échantillons ont été concassés au marteau et tamisés afin d’obtenir des grains compris entre 500 µm et 1000 µm, et ensuite lavés au Milli-Q pour éliminer tout produit poussiéreux et enfin séchés pendant 12 heures à 60 °C. Les échantillons ont été ensuite triés avec un stéréo-microscopique type Novax Holland pour se débarrasser des impuretés et des paillettes de muscovite oxydées, et pour concentrer la muscovite. Chaque échantillon (⁓1 g) de muscovite purifié a été pulvérisé à l’aide d’un broyeur Retsch MM200 avec des billes de meulage en agate. Les échantillons ont été analysés pour leurs éléments majeurs, mineurs et en traces respectivement par un spectromètre Varian 720 ES d'émission optique à plasma et couplage inductif (ICP-OES) et un spectromètre Agilent 7700 de masse à plasma et couplage inductif (ICP-MS) à la KU Leuven (Belgique).
Figure 3. Pegmatites représentatives des lieux échantillonnés pour les micas : (A) pegmatite provenant d’un site en exploitation (carrière Munege) avec un degré de kaolinisation élevé, (B) pegmatite d’un lieu non exploité au sein du complexe de Kimanga et (C) pegmatite d’un lieu anciennement exploité mais abandonné (site Kidunduri).
14Environ 100 mg d’échantillon de muscovite mélangés à 500 mg de métaborate de lithium (Spectroflux 100 LiBO2) sont chauffés à 1000 °C pendant 10 minutes dans des creusets de carbone et le produit est donc dissous dans 50 ml de HNO3 0,42 M. Pour chaque étape de la préparation analytique, des réactifs comme l’eau ultra-pure (> 18 M Ωcm) et l’acide nitrique (14 HNO3) sont ajoutés. Les standards de référence internationale NBS-70a, BCS-269, MA-N, NIST-610, NIM-G, GBW-7411, G-2, GA et BCR-2 ont été utilisés. La reproductibilité a été testée avec trois échantillons de muscovite pris au hasard. L’écart-type relatif (RSD) est de l’ordre de 1–3 % pour les résultats d’ICP-OES (pour les éléments majeurs) et de 4 % pour les éléments en traces. Le lithium a été déterminé à partir de la publication de Monier & Robert (1986).
15L’étude pétrographique a été faite en lumière polarisée non analysée (LPNA) et en lumière polarisée et analysée (LPA) au moyen d’un microscope optique Olympus BX60 (KU Leuven, Belgique). Les photomicrographies des lames minces ont été prises avec un système de capture d'image Deltapix DP200, monté sur un microscope optique Leica DM LM/P.
16Sur base des observations de terrain, de l’étude macroscopique et pétrographique, six échantillons de leucogranite d’environ 1 kg chacun ont été sélectionnés pour l’analyse géochimique en roche totale. Ils ont été pris dans trois massifs différents (Fig. 2B) du nord-ouest du Burundi dans la région de K-Mp : trois échantillons (DT03, DT04 et DT12) proviennent du complexe de Kimanga, deux (DT07 et DT09) dans le massif granitique de Kayanza et un échantillon (DT06) est du granite de la forêt. La géochimie de ces échantillons a été obtenue en utilisant la même méthodologie (fusion avec le métaborate de lithium) que celle des muscovites.
17La minéralogie de quatre échantillons de leucogranites non foliés et leucocrates (DT02, DT03, DT04 et DT12) a été déterminée et a servi pour la modélisation de l’évolution chimique des granites parentaux et des pegmatites exploitées dans la circonscription de la région de K-Mp. Pour l’étude minéralogique, les échantillons été broyés dans un premier temps à l’aide d’un Ball-mill type Retsch et type Fritsch et en second lieu avec McCrone Micronizing Mill (MMM) à une granulométrie inférieure à 500 µm. Ensuite, 2,7 g d’échantillon ont été mélangés à 0,3 g de monoxyde de zinc (ZnO) et ont été ensuite soumis au diffractomètre Philips PW1830 avec un setup Bragg/Brentano θ - 2θ, radiation CuK, 45 Kv et 30 mA pendant 54 minutes pour chaque échantillon. Environ 50 mg d’échantillon pulvérisé, pris après quartage (en trois fois), ont été soumis à l’analyse minéralogique. Les diffractogrammes obtenus ont été traités à l’aide du logiciel Diffracplus EVA (version 7; Bruker AXS). Afin de vérifier le lien co-génétique entre les pegmatites de K-Mp et le leucogranite Gr5 de cette région, certains paramètres pétrogénétiques des éléments alcalins K, Rb et Cs sont requis pour être incorporés dans le modèle de fractionnement de Rayleigh. Ce modèle a été utilisé par Hulsbosch et al. (2014) dans les pegmatites de Gatumba se trouvant autour du granite de Gitarama. Ces paramètres sont les coefficients de partage muscovite-magma Kd,K=3,12; Kd,Cs=0,03 et Kd,Rb=0,90 (cfr Hulsbosch et al., 2014), les coefficients de distribution DK=1,0035, DCs=0,48 et DRb=0,07 (déterminés à partir du modèle) et les concentrations initiales du magma. Les coefficients de distribution sont déterminés en multipliant les coefficients de partage du mica-magma (indiqués ci-haut) par le pourcentage minéral obtenu par analyse à la diffraction aux rayons X des échantillons de leucogranite. Les concentrations du leucogranite sont déterminées par l’analyse géochimique de la roche totale (4,1 % de K, 321 ppm de Rb et 9 ppm de Cs; voir section 5.2).
4. Résultats
4.1. Observations de terrain
18Les travaux de terrain effectués dans la région de K-Mp montrent que cette région possède des filons de pegmatites de dimensions d’ordre centimétrique à métrique de largeur, se poursuivant parfois sur plus d’un kilomètre de long. Certains filons sont exploités pour la columbite-tantalite et la cassitérite, d’autres ont été anciennement exploités et abandonnés, d’autres n’ont pas encore été exploités. Ils sont parallèles à la schistosité principale de l’encaissant. Différents faciès de pegmatites sont observés dans cette région: (1) des pegmatites à deux micas caractérisées par des feuillets de muscovite peu grisâtre d’ordre centimétrique et de très petites paillettes de micas noir (biotite). Le quartz et le feldspath constituent les phases minérales dominantes avec une texture graphique du quartz au sein de la masse feldspathique. De larges cristaux de tourmaline noire se présentent en intercalation graphique avec du quartz; (2) des pegmatites à muscovite composées, en grande partie, de gros cristaux de feldspath blanc laiteux (albite), de feldspath rose (orthose), de quartz, de muscovite et de grenat. La biotite est absente dans ce faciès mais on y retrouve de la tourmaline; (3) des pegmatites minéralisées en Nb-Ta et Sn qui sont intensément kaolinisées, avec néanmoins des reliques de feldspath. Ces pegmatites contiennent divers cristaux de quartz, de la muscovite et se caractérisent par un enrichissement en columbite-tantalite et cassitérite, surtout au contact pegmatite/encaissant, et peu de tourmaline. Le quartz se présente sous formes de cristaux équigranulaires ou comme noyaux de quartz gris à transparent au centre des pegmatites. La muscovite, blanche et vert transparent, est dispersée dans l’ensemble de la pegmatite mais se trouve concentrée au niveau des épontes. La tourmaline verte (elbaïte) est une phase minérale rare dans ce faciès.
4.2. Pétrographie
19L’étude pétrographique a porté sur les leucogranites récoltés dans la localité de Kabarore-Mparamirundi. Ils sont grossièrement grenus, non foliés, riches en quartz, feldspath, muscovite et pauvres en minéraux ferromagnésiens (Fig. 4A). La texture magmatique primaire porphyrique et pegmatitique ont été identifiées. Les principaux minéraux rencontrés sont le feldspath potassique, le plagioclase, le quartz et la muscovite (Fig. 4B, C).
Figure 4. Photos et microphotographies des échantillons de leucogranites montrant la composition minéralogique (Qz = quartz, F-Perth. = feldspath perthitique, F-Pl = feldspath plagioclase, Ms = muscovite, Micr = microcline, F-K = feldspath potassique (orthose); pointe du stylo-marqueur = 0,5 cm) : (A) et (D) Observation macroscopique du leucogranite du complexe de Kimanga avec comme minéraux feldspath blanc laiteux, quartz gris et muscovite blanc miroitant. (B) Observation microscopique de (A) : feldspath, quartz cataclasé et muscovite. (C) Même échantillon : inclusions de quartz formant une texture buissonnante au sein du feldspath généralement tectonisé. (E) D au microscope : orthose et quartz en inclusions dans le feldspath perthitique, quartz craquelé. (F) D, texture graphique du quartz dans le microcline.
20Le feldspath potassique est illustré par la microcline essentiellement perthitique qui forme généralement de grands cristaux maclés. Il renferme parfois des cristaux de plagioclase, des intercroissances du quartz et présentant ainsi une texture graphique (Fig. 4D, E, F) et quelques fois de la muscovite. Dans certains cas, le feldspath est soumis à la séricitisation et à la muscovitisation.
21Le plagioclase, minéral automorphe plurimillimétrique, apparaît sous forme de lattes rectangulaires à macles polysynthétiques avec une croissance perthitique fréquente. Il contient aussi du quartz vermiculaire rappelant la texture myrmékitique.
22Le quartz se présente en grains euédriques à subédriques et se rencontre aussi en inclusions sous forme graphique dans les phénocristaux de microcline. Il apparaît parfois avec des traces de déformation matérialisées par des cassures.
23La biotite est rare (< 1 %) voire absente dans les leucogranites. La chloritisation partielle même totale et la séricitisation constituent sa déstabilisation fréquente.
24Dans les leucogranites, la muscovite est automorphe et en lamelles. Sous forme de cristaux lamellaires, elle ceinture les phénocristaux de quartz, feldspath plagioclase et microcline.
4.3. Caractéristiques et classification des micas dans les pegmatites
25Sur base du diagramme de classification des micas établi par Tischendorf et al. (1997), lequel est fondé sur les cations présents dans le site octaédrique et sur les teneurs en Mg-Li (mgli) et en Fe + Ti + Mn-Al (VI) (feal), tous les échantillons étudiés appartiennent au groupe des muscovites et muscovites à lithium (Fig. 5, analyses du Tableau 1). Les échantillons provenant des pegmatites en exploitation ont une composante Mg-Li négative variant de -1,50 à 0,00, témoignant d’un enrichissement en Li ou d’un appauvrissement en Mg. Les échantillons à composante Mg-Li positive (0,00–0,14) sont ceux provenant des pegmatites non exploitées, suggérant ainsi une augmentation de Mg par rapport à Li. Les pegmatites ayant été exploitées et actuellement abandonnées ont une composante Mg-Li négative proche de 0,00 et se trouvent entre les pegmatites en cours d’exploitation et celles non exploitées (Fig. 5).
Figure 5. Position des échantillons dans le diagramme Mg-Li (mgli) – Fe + Ti + Mn - Al (VI) (feal) de classification des micas, établi par Tischendorf et al. (1997). Les valeurs sont en a.p.f.u (atoms per formula unit) et ont été calculées sur base de la feuille Excel "Muscovite Formula Unit Calculations - with optional calculated LiO2" mise au point par Tindle & Webb (1990) dans leur publication.
Tableau 1. Composition des principaux éléments majeurs (en %) des échantillons de muscovites obtenus par la méthode d’analyse ICP-OES ainsi que des éléments en traces (en ppm) et obtenus par analyse ICP-MS. PF = perte au feu. Les valeurs des paramètres "Mg - Li" (mgli) et "Fe + Ti + Mn - Al(VI)" (feal) sont en apfu (atoms per formula unit) et sont calculées grâce à la formule structurale de Tindle (2001). Etat pegmatite: 0 = pegmatite non exploitée, 1 = pegmatite exploitée et 2 = pegmatite exploitée précédemment et abandonnée actuellement; Kb = Kabarore, Mp = Mparamirundi, Ky = Kayanza, Ng = Ngozi, Kd = Kirundo, Cb = Cibitoke et Bb = Bubanza.
4.4. Géochimie des leucogranites et des micas
26Composition des éléments majeurs dans les leucogranites
27Le Tableau 2 contient les concentrations des oxydes (en %) et les éléments en traces (en ppm) résultant de l’analyse de six échantillons de leucogranite pris dans le massif de Kayanza, dans la forêt et dans le complexe de Kimanga. Il ressort de ce tableau que la concentration en silice dans tous les échantillons est élevée. Les leucogranites, dans son ensemble, contiennent des quantités importantes de SiO2 (73,6–78,6 %), d’Al2O3 (14–14,8 %) et moindres de K2O (1,5–6,3 %), de Na2O (3,2–5,1 %). Les teneurs en FeO (0,5–1 %), en CaO (0,2–0,9 %), en MgO (0,04–0,25 %), en TiO2 (0,01–0,09 %), en MnO (0,01–0,09 %) et en P2O5 (0,03–0,15 %) sont faibles. D'après le rapport A/CNK > 1, où A est Al2O3 et CNK la somme des cations CaO, Na2O et K2O, nos échantillons sont hyperalumineux.
Tableau 2. Composition des éléments majeurs et en traces obtenus respectivement par analyses ICP-OES et ICP-MS des échantillons de leucogranite de la région de Kabarore-Mparamirundi. PF = perte au feu, Km = Kimanga, Ky = Kayanza et Fr = forêt.
28Concentration des éléments majeurs et en traces dans les micas pegmatitiques
29Les données des principaux éléments majeurs et en traces des échantillons de muscovite issus des sites en exploitations (1), des endroits anciennement exploités mais abandonnés (2) et des pegmatites non exploitées (0) sont présentées dans le Tableau 1. Les concentrations des éléments majeurs (Si, Al, K et Fe), dans toutes les catégories d’échantillons, ne varient pas de façon significative. La teneur en SiO2 varie de 44,99 à 48,10 %, celle d’Al2O3 de 34,27 à 38,70 %, celle de K2O de 8,87 à 10,45 % et de 0,36 à 3,44 % pour le FeO. Les autres éléments majeurs (Na, Mn, Mg et Ti) sont faibles. Le Na2O a une concentration allant de 0,42 à 1,12 %, le TiO2 est celle de 0,01 à 0,39 %. La teneur en MgO varie de 0,01 à 0,85 % alors que celle MnO oscille entre 0,01 et 0,22 %.
30Les concentrations en Li, Ta, Nb, Sn, Ba, Sr, Zn, Rb et Cs dans les micas sont différentes en fonction de l’endroit où les échantillons ont été récoltés (Tableau 1). Les variations des éléments mineurs et en traces (Li, Rb, Cs, Ta, Nb, Sn, Sr, Ba, etc.) dans la muscovite reflètent les modifications de la composition du magma en ces éléments (Alfonso et al., 2003; Hulsbosch et al., 2014). Par conséquent, l'évolution de la différenciation magmatique peut être déduite à partir de la concentration des éléments alcalins, des éléments en traces et des terres rares dans les micas (Černý et al., 1985). Le Li se situe entre 160 et 1840 ppm dans les pegmatites non exploitées (exception faite à l’échantillon DT05 qui a 2560 ppm), compris généralement entre 1010 et 3980 ppm dans les zones abandonnées et se trouve entre 570 et 13 250 ppm dans les pegmatites en exploitation. La teneur en Ta est entre 3 et 15 ppm dans les muscovites des endroits non exploités (sauf celle de 33 et 67 ppm respectivement pour les échantillons DT05 et DT34), comprise entre 11 et 55 ppm dans les muscovites des pegmatites abandonnées et varie de 14 à 118 ppm pour les pegmatites en exploitation. Les échantillons des endroits non exploités ont le Nb qui se situe entre 57 et 203 ppm, exceptés DT05 et DT34 avec respectivement 344 et 267 ppm, ceux des pegmatites abandonnées ont le Nb compris entre 155 et 351 ppm, alors qu’il se trouve dans l’intervalle de 64 à 339 ppm dans les échantillons provenant des lieux en exploitation. Le Sn varie respectivement de 34 à 323 ppm, de 150 à 519 ppm et de 201 à 1 192 ppm dans les muscovites des endroits non exploités, abandonnés et en cours d’exploitation. Pour le Ba, sa teneur se trouve entre 3 et 60 ppm (sauf les échantillons DT10 et DT12 avec respectivement 211 et 565 ppm) dans les muscovites des lieux non exploités, entre 3 et 73 ppm (exception pour DT10 avec 211 ppm et DT12 avec 565 ppm) dans les échantillons prélevés dans les filons abandonnés, et dans les échantillons endroits en exploitation, elle varie de 3 à 241 ppm sauf dans le cas des muscovites DT16 et DT17 ayant respectivement 1 088 et 435 ppm. Les teneurs en Ba sont comprises entre 1 et 59 ppm dans les zones non exploitées, inférieures à 10 ppm dans les endroits abandonnés et entre 1 et 15 ppm dans les sites en cours d’exploitation.
31Les rapports K/Rb et K/Cs ont été un paramètre largement utilisé pour caractériser l’évolution géochimique des pegmatites à partir de la variation de la concentration des éléments alcalins (majeurs et en traces) contenus dans les muscovites (Alfonso et al., 2003; Roda-Robles et al., 1999; Hulsbosch et al., 2014). Les concentrations en Rb et Cs des échantillons de muscovite montrent des valeurs différentes en fonctions de l’endroit où les échantillons ont été récoltés. Elles varient dans l’intervalle de 370 à 7 590 ppm pour le Rb, et de 8 à 1 470 ppm pour le Cs.
32Le rapport K/Rb (en ppm/ppm) varie de 11 à 184 alors que celui de K/Cs (en ppm/ppm) varie significativement de 61 à 10 770. Les échantillons provenant des pegmatites non exploitées et anciennement exploitées mais abandonnées ont des concentrations en Cs généralement inférieures à 100 ppm et le rapport K/Cs supérieur à 1 000. Dans les zones où les pegmatites sont en cours d’exploitation, les teneurs en Cs sont généralement supérieures à 100 ppm, bien qu’il y ait trois échantillons qui ont une concentration inférieure à 100 ppm, avec le rapport K/Cs variant de 61 à 1 148. Le Rb se situe entre 370 et 3 080 ppm dans deux catégories de pegmatites (non exploitées et abandonnées) et le rapport K/Rb varie de 23 à 184. Le Rb, dans l’autre catégorie de pegmatite (en exploitation), est généralement supérieur à 2 000 ppm et le rapport K/Rb s’étale de 11 à 43.
33La Figure 6 montre différents diagrammes de K/Rb en fonction de Cs, Nb, Ba, Ta, Li, Sn, Sr et Fe/Mn, exceptée la Figure 6H qui est tracée avec K/Cs en fonction de Rb. Le diagramme log K/Rb - log Fe/Mn est faiblement corrélé positivement (Fig. 6I). Une corrélation négative est marquée au niveau du Cs, Ta, Li et Sn par rapport au K/Rb (Fig. 6A, D, E et F) et aussi du Rb par rapport au K/Cs (Fig. 6H). Les concentrations plus élevées en Rb, Cs, Ta, Li et Sn se rencontrent dans les pegmatites en cours d’exploitation alors qu’elles sont moins élevées dans les pegmatites non exploitées et abandonnées. Le Ba et le Sr ne sont pas corrélés au K/Rb (Fig. 6C et G).
Figure 6. Diagrammes K/Rb et K/Cs en fonction de quelques éléments en traces des échantillons de muscovite du nord-ouest du Burundi. Une distinction entre les pegmatites non exploitées, abandonnées ou en cours d’exploitation est marquée.
5. Interprétation et discussion
5.1. Cristallisation fractionnée dans les pegmatites
34La cristallisation fractionnée est une approche couramment proposée pour expliquer les grandes variations de composition observées dans certains corps pegmatitiques et/ou champs pegmatitiques. Par conséquent, différents degrés de cristallisation fractionnée d'un magma granitique parental rendent compte de différents faciès pegmatitiques avec un degré croissant de différenciation au fur et à mesure que le fractionnement évolue. Les éléments incompatibles, tels que Li, Rb et Cs, présenteraient les concentrations les plus élevées dans les dernières unités pegmatitiques, tandis que les éléments compatibles, tels que Ba et Sr, seraient plus concentrés dans les premières phases de cristallisation (Roda-Robles et al., 2012).
35Une corrélation négative est marquée au niveau du Cs, Ta, Li et Sn par rapport au K/Rb (Fig. 6A, D, E et F) et aussi du Rb par rapport au K/Cs (Fig. 6H), ce qui est compatible avec l’hypothèse d’une évolution magmatique progressive par cristallisation fractionnée.
36En outre, il a été observé que le Ba et le Sr dans la muscovite présentent une corrélation légèrement positive ou nulle, respectivement, avec le rapport K/Rb (Fig. 6 C et G). Le fractionnement de Ba et Sr est principalement régi par la cristallisation des feldspaths et des micas. Les micas sont incompatibles pour Sr et très compatibles pour Ba, et en particulier le feldspath potassique est très compatible pour le Sr et le Ba (London, 2008). Cependant, les données Sr et Ba n'indiquent pas un cours normal de fractionnement magmatique. Leur distribution est très probablement causée par un métasomatisme induit par les fluides donnant lieu à une albitisation généralisée, souvent décrite dans la région (Dewaele et al., 2011; Hulsbosch et al., 2013).
37La minéralisation de la cassitérite est indiquée par la teneur en Sn dans la muscovite (Smeds, 1992). Même si elle est estimée à partir de 600 ppm pour les pegmatites minéralisées (Smeds, 1992), elle est de l’ordre de 300 ppm pour les pegmatites de la région du nord-ouest du Burundi (Fig. 6F, Tableau 1). Comme l'ont indiqué Beus (1966) et Gordiyenko (1971), la teneur en Ta dans la muscovite est aussi un bon indicateur de la présence de minéralisation de Nb-Ta. Bien que ces derniers auteurs aient établi respectivement la distinction entre les pegmatites non minéralisées et minéralisées à partir de 20 et de 65 ppm de Ta dans la muscovite, dans le nord-ouest du Burundi, cette limite est d'environ 30 ppm de Ta (Fig. 6D, Tableau 1) pour les pegmatites en cours d’exploitation.
5.2. Modélisation géochimique
38Le rapport K/Rb en fonction de Cs dans la muscovite a été signalé comme un indicateur fiable dans cette évolution de la cristallisation du magma (Černý et al., 1985; Jolliff et al., 1992; Oyarzábal et al., 2009; Vieira et al., 2011; Roda-Robles et al., 2012). La connaissance de plus en plus précise des lois de distribution des éléments, ci-haut énumérés, dans les roches et les minéraux a permis de les exploiter pour la modélisation quantitative des phénomènes pétrogénétiques (Villaros & Pichavant, 2019). Sur base de ce mécanisme de fractionnement et dans l’optique d’évaluer la relation pétrogénétique et génétique entre le leucogranite de la région de K-Mp et les différents filons pegmatitiques trouvés dans cette localité, la loi de fractionnement de Rayleigh (Neumann et al., 1954) qui régit les concentrations des éléments au cours de la différenciation par cristallisation fractionnée d’un liquide magmatique est utilisée comme modèle géochimique. Cette modélisation permet d’une part l’évaluation quantitative de la cristallisation fractionnée de Rayleigh en tant que principal processus de différenciation des pegmatites (de la région du nord-ouest du Burundi, ce qui nous occupe) et, d’autre part, la validation de l’hypothèse proposant que le granite Gr5 est bien le magma parental des champs pegmatitiques de cette région, i.e. le système syngénétique granite-pegmatite.
39Le modèle général ayant servi à trouver les concentrations initiales des éléments alcalins du granite qui est à l’origine des différents filons de pegmatites exploités dans la région de K-Mp a été développé par Hulsbosch et al. (2014). Afin de vérifier la relation pétrogénétique entre le leucogranite de K-Mp et les filons de pegmatites par modélisation, une composition initiale du magma est requise. La composition du leucogranite est de 4,1 % en poids de K, et de 321 et 9 ppm de Rb et de Cs respectivement. Le modèle de transfert est utilisé pour vérifier et modéliser les trajectoires de fractionnement observées dans la Figure 6 résultant des échantillons de muscovite. La comparaison entre les concentrations des éléments alcalins dans la muscovite et les données des concentrations analytiques nous indique le degré de fractionnement des pegmatites affleurant dans la région de K-Mp. Les pegmatites de cette région suivent une trajectoire commune de cristallisation fractionnée de Rayleigh partant d’une composition initiale du leucogranite Gr5. Ainsi, les pegmatites non exploitées et les pegmatites anciennement exploitées mais abandonnées résultent des produits de fractionnement du magma parental jusqu’à F = 0,94. Les pegmatites enrichies en Rb et Cs et faisant l’objet d’exploitation résultent d’une différenciation plus importante (F ˃ 0,94).
5.3. Relation co-génétique entre le leucogranite Gr5 et les pegmatites de K-Mp
40La trajectoire modélisée K/Rb en fonction de Cs est comparable à la trajectoire analytique et couvre la variabilité globale. Cependant, pour une valeur K/Rb donnée, la trajectoire analytique est davantage enrichie en Cs que les valeurs modélisées. Comme le Cs est très soluble dans les fluides magmatiques-hydrothermaux (London, 2005b), il est souvent supposé que les micas enrichis en Cs précipitent d'un système de magma saturé de fluide (e.g. Černý et al., 2012; Dewaele et al., 2016; Van Daele et al., 2018). En d'autres termes, l'augmentation de Cs dans les micas pourrait théoriquement être modélisée dans un système cristal-magma-fluide (e.g. Hulsbosch et al., 2016; Hulsbosch, 2019). Cependant, cela nécessite une évaluation réaliste du pourcentage massique de fluide présent dans le système K-Mp pour lequel nous n'avons pas de bonnes estimations pour le moment.
41La variation de la trajectoire de ce rapport par rapport à certains éléments tels que Cs ou Rb, lorsqu'elle est tracée à l'échelle logarithmique, est compatible avec une cristallisation fractionnée en tant que seul processus impliqué dans la tendance géochimique. De plus, la continuité fréquente observée dans ce diagramme est considérée comme une preuve du lien entre les granites et les pegmatites (London, 2008; Hulsbosch et al., 2014). Le modèle de fractionnement des éléments alcalins dans les micas montre que les pegmatites du nord-ouest du Burundi résultent d’un seul système de différenciation magmatique continu partant d’une composition granitique parentale. Les tendances analytiques et celles calculées de K/Rb par rapport à Cs sont cohérentes (Fig. 7). Les relations spatio-temporelles entre pegmatites et les granites observées dans les autres localités de la branche Karagwe-Ankole (KAB) (Varlamoff, 1972; Dewaele et al., 2011; Hulsbosch et al., 2014) mettent en évidence les granites à "étain" (G4) comme les granites nourriciers des pegmatites à Nb-Ta et Sn. Les pegmatites les plus fractionnées sont situées plus loin du granite parental alors que les pegmatites moins fractionnées sont proches de la source.
Figure 7. Graphique de vérification du lien co-génétique entre les pegmatites de K-Mp et le leucogranite de cette région. Les pegmatites pas ou peu minéralisées ont une valeur de F ≤ 0,94 et les pegmatites exploitées en Nb-Ta et Sn ont un F > 0,94. La trajectoire des données analytiques est cohérente avec le processus de cristallisation fractionnée. La dérivation théorique est basée sur l'ensemble représentatif des paramètres pétrogénétiques utilisés dans le modèle de fractionnement de Rayleigh. Ces paramètres sont caractéristiques du champ de pegmatites du nord-ouest du Burundi : les coefficients de partage des éléments alcalins (Kd,K=3,12; Kd,Cs=0,03 et Kd,Rb=0,90 : cfr Hulsbosch et al., 2014), les concentrations initiales dans le magma parental
et les coefficients de distribution calculés (DK=1,0035, DCs=0,48 et DRb=0,07). Les deux trajectoires (calculée et modélisée) démontrent la pétrogenèse des paramètres du modèle appliqué et la cohérence du modèle de fractionnement lui-même.
42Une étude similaire à la présente a été faite par Hulsbosch et al. (2014) dans les pegmatites de la région de Gatumba (Rwanda) située au nord-est de la région de K-Mp. Ces pegmatites dérivent du granite parental G4 de Gitarama ayant comme composition initiale 3,1 % en poids de K, 222 ppm de Rb et 11 ppm de Cs. A la différence de la région de K-Mp, la région de Gatumba forme un véritable champ pegmatitique où quatre faciès (zones) de pegmatites ont été identifié(e)s. La première zone de pegmatites à biotite la plus proche de la source du G4 cristallise jusqu’en F = 0,69, la zone suivante de pegmatites à deux micas sont des produits de fractionnement allant de F = 0,69 à F = 0,92. Les pegmatites à muscovite constituent l’avant dernière zone et résultent des degrés de fractionnement compris entre 0,92 et 0,98. Pour les pegmatites minéralisées en Nb-Ta et Sn et les plus éloignées du granite parental, le système subit un fractionnement au-delà de F = 0,98.
43Les concentrations des éléments Rb, Cs, Li, Ta et Sn dans les micas, en plus d’être de bons indicateurs du fractionnement des pegmatites, constituent également un outil adéquat pouvant servir de guide d’exploration pour identifier les zones à pegmatites stériles ou minéralisées. Les micas de pegmatites minéralisées (exploitées) présentent des rapports de K/Rb faibles et des valeurs de Cs élevées. Les pegmatites stériles, et de ce fait non exploitées et/ou prospectées mais abandonnées, présentent des valeurs relativement faibles de Cs et élevées de K/Rb, ce qui indique un degré de fractionnement relativement faible de ces éléments dans le magma à partir duquel ils se sont formés. Ces mêmes éléments ont été largement utilisés par Möller & Morteani (1987) pour tester leur utilité comme outil d'exploration pour la découverte des pegmatites à Nb-Ta et Sn dans plusieurs régions de champs de pegmatites.
6. Conclusion
44Au regard des observations de terrain, des résultats pétrographiques, géochimiques et de la modélisation effectuée, quelques conclusions et perspectives peuvent être formulées en rapport avec le leucogranite de la localité de K-Mp et les pegmatites associées. Les pegmatites se présentent sous forme de filons de dimensions variables dans des métasédiments essentiellement phylliteux, parallèlement à la schistosité principale. Différents faciès de pegmatites s’observent: (a) des pegmatites à 2 micas, (b) des pegmatites à muscovite et (c) des pegmatites minéralisées à Nb-Ta et Sn intensément kaolinisées. En termes de potentiel économique, les pegmatites du nord-ouest du Burundi appartiennent à deux catégories: (a) les pegmatites non exploitées ou anciennement exploitées mais abandonnées et (b) les pegmatites suffisamment minéralisées en Nb-Ta et Sn et exploitées actuellement par la société TAMINCO.
45Les rapports K/Rb en fonction de Cs, Li, Ta et Sn dans les micas sont de bons enregistreurs de l’évolution magmatique tels que proposés dans d’autres travaux (Černý et al., 1985; Shearer et al., 1985; Morteani et al., 1995; Oyarzábal et al., 2009). Les pegmatites de K-Mp résultent d’un mécanisme de cristallisation par fractionnement de Rayleigh et dérivent d’un même parent qui correspond au granite Gr5 de la région. Les pegmatites pas ou peu minéralisées sont les produits de fractionnement allant jusqu’à F = 0,94 alors que les pegmatites faisant l’objet d’exploitation de Nb-Ta et d’étain cristallisent à partir de F = 0,94.
7. Remerciements
46La recherche de Denis Turimumahoro est financée par le programme de Coopération Universitaire Institutionnelle (VLIR-UOS) (Belgique) et l’Université du Burundi. Le Département des Sciences de la Terre et de l’Environnement de la KU Leuven au sein duquel s’est déroulée cette recherche est remercié pour leur hospitalité pendant toute la période de notre séjour. Nous remercions Dr Elvira Vassilieva pour son travail de qualité dans les analyses géochimiques par les méthodes ICP-OES et ICP-MS, Dr Sarah Dillis et Dr Rieko Adriaens pour leur contribution dans les analyses à la DRX, le lithopréparateur Mr Herman Nijs pour la clarté des lames minces qu’il a confectionnées, Ir Lucien Nahimana Directeur technique-adjoint des exploitations de la société minière COMEBU basée à Kabarore-Mparamirundi, pour son accord de récolter les échantillons dans son périmètre minier ainsi que les guides de terrain. Dr Kubwimana Désiré est reconnaissant dans ce travail pour son accompagnement sur terrain dans la région de Kirundo. Que les autorités de l’Office Burundais des Mines et Carrières (OBM) du Burundi qui nous ont accordé l’autorisation de transporter les échantillons à la KU Leuven - Belgique trouvent ici l’expression de notre grande gratitude. Nos sincères remerciements sont enfin adressés aux reviewers Prof dr Bernd Lehmann et Dr Sophie Décrée pour leurs commentaires combien riches, judicieux et constructifs qui ont aidé à améliorer ce manuscrit.
8. Références
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136Manuscrit reçu le 4 novembre 2019, accepté dans sa forme revue le 6 avril 2020, disponible en ligne le 20 mai 2020.
137Manuscript received 04.11.2019, accepted in revised form 06.04.2020, available online 20.05.2020.