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Facteurs socio-économiques affectant l'utilisation des sous-produits agro-industriels pour l'embouche bovine à contre-saison dans l'Adamaoua, Cameroun
Notes de la rédaction
Reçu le 6 septembre 2008, accepté le 4 mars 2009
Résumé
La principale activité économique dans l'Adamaoua est l'élevage bovin. Le déficit alimentaire causant des pertes de poids de 129 à 187 g par jour en constitue une contrainte importante en saison sèche. Une solution possible à ce problème est l'utilisation des sous-produits agro-industriels. Mais l'adoption et l'exploitation pratique de ce potentiel restent encore faibles. Cette étude, dont l'objectif était d'identifier les principaux facteurs socio-économiques affectant l'utilisation de ces ressources, a permis de montrer, à l'aide d'interviews et d'enquêtes, que plus de 8 200 tonnes de sous-produits agro-industriels (son de maïs et de blé, tourteau de soja et de maïs) étaient produites annuellement dans l'Adamaoua et que 16 % seulement de cette production étaient utilisés par les éleveurs. Parmi les facteurs affectant l'utilisation de ces denrées, les prix se sont distingués comme facteurs les plus déterminants, la taille du troupeau ainsi que le nombre d'animaux sédentaires ont aussi montré un effet positif significatif sur l'utilisation de ces produits. En revanche, l'expérience dans l'élevage et l'âge de l'éleveur ont plutôt montré une corrélation fortement négative. Il en est de même du niveau d'éducation de l'éleveur qui n'a présenté une corrélation positive qu'avec le niveau d'utilisation du tourteau de coton. La distance des sites d'élevage au centre de production/distribution des sous-produits et/ou l'état d'enclavement de ces sites ont montré une corrélation positive très significative avec les prix des sous-produits. Le problème d'approvisionnement des sous-produits dû à l'enclavement ou à la distance de la plupart des sites d'élevage, leurs prix élevés et instables et la mauvaise connaissance des différents sous-produits ainsi que de leur valeur nutritive pour les animaux, ont été relevés comme des contraintes majeures à l'utilisation des sous-produits par les éleveurs. Compte tenu de ces résultats, une vulgarisation effective des sous-produits agro-industriels, couplée à une bonne organisation des éleveurs, pourrait permettre une amélioration du niveau d'utilisation de ces denrées.
Abstract
Socio-economic factors affecting the use of agro-industrial by-products for cattle fattening in the dry season in Adamawa, Cameroon. Cattle production is the major economic activity in the Adamawa. Feed deficiency that causes about 129 to 187 g weight loss per day is an important constraint during the dry season. A possible alternative to overcome this constraint is the use of agro-industrial by-products. However, the adoption and effective use of these potentials are still to be encouraged. This study, which objective was to find out the socio-economic factors that may affect the usage of these resources, permitted to show, through interviews and surveys, that more than 8,200 t of agro-industrial by-products (maize and wheat bran, soybean seed and maize seed cake) useable for cattle feeding were produced annually in Adamawa and that only 16 % of this production were used by livestock farmers. Among the factors affecting the effective use of these by-products, prices were the most determinant. The herds size and the number of sedentary animals had also shown a significant positive effect. On the other hand, livestock farming experience and the farmer's age had instead shown a strong negative correlation with the use of by-products; same was the level of farmer's education which showed positive correlation only with respect to cotton seed cake use. The distance from the livestock farming sites to the by-products production/distribution centre and/or difficult access to the sites had strong positive correlations with the by-products' prices. The problem of supplies as a result of long distance or of difficult access to cattle production sites, the high and unstable prices of agro-industrial by-products and poor awareness of the different types of by-products produced in the Adamawa, were noted as major constraints for their use as cattle feed. Based on the above results, an effective extension system and well organized farmers groupings could improve the level of utilization of agro-industrial by-products for cattle feeding.
Table des matières
1. Introduction
1L'Adamaoua camerounais est une région située entre les 6e et 8e degrés de latitude nord et entre les 10e et 16e degrés de longitude est. Elle s'étend sur environ 62 000 km2, à des altitudes comprises entre 900 et 1 500 mètres. Son climat est de type soudano-guinéen d'altitude avec une pluviométrie annuelle de 1 600 à 1 800 mm, répartie sur 7 à 8 mois. La température moyenne annuelle est de 23 °C (Pamo et al., 1986 ; Bring, 1999).
2La principale activité économique dans cette région est l'élevage bovin. En effet, l'Adamaoua abrite 28 % du cheptel bovin national (estimé à 10 millions de têtes environ) et contribue pour 38 % de la production nationale de la viande bovine (Enoh et al., 1999 ; MINPAT & PNUD, 2000 ; Djamen, 2003). En outre, avec un ratio de production/demande de viande estimé à 288,7 %, l'Adamaoua est un exportateur net de viande et domine le marché domestique de bœufs avec 32,4 % de ventes nationales (Leteneur, 1988 ; IRZ/GTZ, 1989).
3L'un des problèmes freinant le développement de cette activité est le manque de système alimentaire adéquat. En effet, comme dans d'autres régions d'Afrique tropicale, toute la population des ruminants est élevée sur les parcours naturels (Pamo, 1989 ; Ministère de la Coopération, 1993), entrainant ainsi un déficit alimentaire en saison sèche (Pamo et al., 1986). Ce déficit alimentaire, aggravé par la baisse de qualité de fourrage en saison sèche (Nantoumé et al., 2000 ; Onana et al., 2000 ; Enoh et al., 2005), entraine des contre-performances de l'ordre de 129 à 187 g par jour chez les bovins (Rippstein, 1985) et constitue ainsi un frein énorme pour le développement économique du pays et le bien-être de sa population dont le niveau de consommation annuelle de viande par habitant reste faible (inférieur à 45 kg, minimum selon FAO) (World Bank, 1987 ; IRZ/GTZ, 1989 ; Lunel, 2000).
4Une solution possible à ce problème est l'utilisation des sous-produits agro-industriels. Mais l'adoption et l'exploitation pratique de ce potentiel restent encore faibles dans l'Adamaoua.
5L'objectif de cette étude est, d'une part, d'identifier et caractériser les sous-produits agro-industriels utilisés/utilisables pour l'embouche bovine et de relever les principaux facteurs socio-économiques affectant leur utilisation par les éleveurs ; d'autre part, de proposer des solutions pour une utilisation accrue et durable de ces ressources par les éleveurs et l'amélioration du revenu de ces derniers. Le travail est sous-tendu par trois hypothèses de recherche :
6– la distance du centre principal de production et/ou de distribution des sous-produits agro-industriels (Ngaoundéré) aux sites d'élevage et/ou le niveau d'enclavement de ces sites sont des facteurs déterminants du prix des sous-produits, notamment du tourteau de coton,
7– les facteurs tels que le niveau d'éducation de l'éleveur, la taille du troupeau et le niveau d'appropriation des animaux (propriétaire ou berger salarié) affectent positivement le niveau d'utilisation des sous-produits agro-industriels,
8– l'éloignement du site d'élevage par rapport au centre de production des sous-produits, le niveau d'enclavement de ce site et les prix des sous-produits affectent négativement le niveau d'utilisation des sous-produits agro-industriels.
2. Matériel et méthodes
2.1. Choix de la zone d'étude
9L'Adamaoua camerounais est divisé administrativement en cinq départements : Vina, Mbéré, Djérem, Mayo-Banyo et Faro-Déo. Les investigations ont été menées dans la Vina et le Mbéré. Ces deux départements, divisés en secteurs de vulgarisation selon les distances par rapport au poste de vulgarisation le plus proche (Tableau 1), sont les plus importants en ce qui concerne l'élevage bovin dans l'Adamaoua (Tsapi, 2002) : ils abritent en effet environ 55 % du cheptel bovin et 61,7 % des éleveurs de l'Adamaoua (Tableau 2). En outre, c'est dans la Vina que se trouvent les deux principales agro-industries (Société des Moulins du Nord Cameroun, SMNC et la Maïserie du Cameroun, MaïsCAM) de la province. Dans ces deux départements, 9 villages dont 4 dans la Vina et 5 dans le Mbéré (Tableau 1), choisis en fonction de leur importance pour l'élevage bovin, ont constitué les points de repère pour mener les investigations.
2.2. Collecte des données
10Les données ont été collectées en 2002 et 2003 par une équipe pluridisciplinaire de cinq chercheurs (deux zootechniciens, un généticien animal, un agro-économiste et un agropastoraliste) à l'aide d'entretiens avec les agro-industriels et les responsables départementaux et d'arrondissement du Ministère de l'Elevage. Ces entretiens ont permis d'obtenir des données sur les quantités annuelles de sous-produits agro-industriels produites, ainsi que sur leur niveau d'utilisation par les éleveurs.
11En plus de ces entretiens, des enquêtes, dont l'intérêt reste d'actualité (en 2008) à cause de la persistance de la problématique de l'étude, ont été menées auprès d'un échantillon de 61 éleveurs choisis au hasard dans les 9 villages afin de recueillir leurs perceptions sur les facteurs socio-économiques affectant l'utilisation des sous-produits agro-industriels. Pour ce faire, le questionnaire était préparé de manière à obtenir des informations sur :
12– les types et quantités de sous-produits utilisés,
13– leur provenance,
14– les prix d'achat,
15– le niveau de satisfaction et les contraintes liés à leur utilisation,
16– les caractéristiques des éleveurs et de leur troupeau.
17Des observations et mesures directes sur le terrain ont aussi été utilisées pour la collecte de certaines données :
18– Le degré d'enclavement d'un village, défini comme étant la difficulté d'accéder dans ce village à l'aide d'un véhicule, a été estimé de façon suggestive par l'équipe pluridisciplinaire de chercheurs qui ont mené des enquêtes dans les 9 villages de la zone d'étude. Compte tenu des observations sur le terrain, chaque chercheur devait donner son point de vue sur chaque village en choisissant, sur une échelle pré-établie de 1 (village non enclavé) à 4 (village très enclavé), une valeur correspondant selon lui au degré d'enclavement du village. Ces points de vue, discutés tour à tour par les chercheurs, ont permis d'obtenir une moyenne de notation acceptée par tous et reflétant le degré d'enclavement des villages (Tableau 1).
19– La mesure des distances des villages au centre principal de production et/ou de distribution des sous-produits (Ngaoundéré) (Tableau 1) a été estimée à l'aide du compteur kilométrique du véhicule « Pick-up » de marque Hilux, double cabine à quatre roues motrices, utilisé pour cette étude ; les données issues du rapport du Programme National de Vulgarisation et de Recherche Agricole (PNVRA) (PNVRA, 2002) ont aussi été consultées.
2.3. Analyse des données
20Pour analyser les données, les statistiques descriptives telles les moyennes, les pourcentages et les fréquences ont été très utilisées. Pour tester les hypothèses et expliquer les relations cause-effet, la procédure du General Linear Model (GLM) du logiciel SAS, notamment l'analyse de régressions et des corrélations, a été utilisée. Les comparaisons entre les différents niveaux d'utilisation des sous-produits ont été faites par le test de Duncan.
3. Résultats et discussion
3.1. Production et utilisation des sous-produits agro-industriels dans l'Adamaoua
21Plusieurs sous-produits agro-industriels utilisables pour l'embouche bovine étaient produits par MaïsCAM et SMNC. Le tableau 3 donne les types, les niveaux annuels de production et d'utilisation des sous-produits issus de ces deux industries, ainsi que leurs principaux utilisateurs.
22Ce tableau montre qu'environ 8 200 t de sous-produits sont produites annuellement par les deux agro-industries et que les éleveurs n'utilisent que 16 % environ de cette production. En effet, tel que l'indique le tableau 3, parmi les quatre sous-produits issus de ces agro-industries, les éleveurs n'achètent que le son et le tourteau de maïs et en faibles quantités (37 % environ). A côté de ces denrées produites dans l'Adamaoua, il a été observé que le tourteau de coton, bien que produit hors de la province de l'Adamaoua, était utilisé par la plupart des éleveurs. Le faible taux d'utilisation des sous-produits par les éleveurs ainsi que la supériorité du tourteau de coton, constatés par les agro-industriels et les chercheurs, ont été confirmés par les résultats des enquêtes en milieu paysan. Ces résultats ont montré que parmi les sous-produits, le tourteau de coton en était le plus utilisé (81 % des éleveurs), suivi du son de maïs, du son de blé et du tourteau de maïs utilisés respectivement par 42 %, 19 % et 3 % des éleveurs. La supériorité du tourteau de coton pourrait s'expliquer par sa plus grande valeur nutritive (Njoya et al., 1998), mais aussi sa grande vulgarisation par la Société de Développement du Coton (SODECOTON) et les services de vulgarisation agricole comme produit de complémentation alimentaire efficace pour les bovins (IRZ, 1985 ; Njoya, 2003 ; Dugué et al., 2006). Bien que le tourteau de coton soit utilisé par la majorité des éleveurs, il y avait une grande variabilité entre les quantités moyennes annuelles utilisées par éleveur. En effet, ces quantités variaient de 0,15 t à 15 t avec une moyenne de 2,55 t. Cette différence serait due à la variabilité constatée entre les tailles de troupeaux par ménage (variant de 22 à 500 bœufs, avec une moyenne de 96 bœufs) et de la corrélation positive (δ = 0,64 ; p = 0,05)) trouvée entre cette taille et la quantité de tourteau de coton utilisée. En plus de la taille des troupeaux, beaucoup d'autres facteurs non maitrisés liés au système de distribution du tourteau de coton pourraient être à l'origine de cette variabilité. En effet, s'il est reconnu que la SODECOTON produit en moyenne 3 000 t de tourteau de coton par an (Njoya, 2003), les acheteurs de ce sous-produit sont encore mal connus ; la forte demande en aliments concentrés du bétail en saison sèche amène les commerçants nationaux et des pays voisins à spéculer en achetant de grandes quantités. Les producteurs de coton et les éleveurs doivent s'organiser pour acheter en gros le tourteau afin de le revendre à leurs membres à des prix intéressants et afin d'éviter qu'il soit exporté à l'étranger (Njoya, 2003 ; Dugué et al., 2006). Cette vive concurrence pour l'achat du tourteau de coton entraine, d'année en année, selon la loi de l'offre et de la demande, un accroissement du prix (au départ d'usine et sur le marché) du tourteau de coton (Branckaert et al., 1968 ; Hamadjam, 2006) et rend l'utilisation de cette denrée socialement moins durable.
23Pour ce qui est des autres sous-produits utilisés, malgré les faibles quantités moyennes utilisées (1,03 t par an pour le son et le tourteau de maïs et 0,81 t pour le son de blé), il a été constaté qu'à la différence du tourteau, il n'y avait pas une grande variabilité entre les quantités utilisées par éleveur ; ces quantités variaient de 0,4 t à 2,5 t pour le son et tourteau de maïs et de 0,5 t à 1,5 t pour le son de blé.
24Le tourteau de soja dont la production était encore faible n'était utilisé que par les provenderies (Tableau 3).
25Le fait que 19 % des éleveurs utilisent le son de blé, alors qu'ils n'en achètent pas (Tableau 3), pourrait s'expliquer par le rejet de la part non vendue (25 %) de ce sous-produit. En effet, comme expliqué par le Directeur de la SMNC et observé par les chercheurs, à la fin de chaque campagne, des quantités non vendues de son de blé étaient rejetées hors de l'usine et récupérées soit par les éleveurs pour leur bétail ou par les agriculteurs pour être utilisées comme fumier.
3.2. Facteurs socio-économiques affectant l'utilisation des sous-produits agro-industriels pour l'embouche bovine à contre-saison dans l'Adamaoua
26Les résultats obtenus montrent que l'utilisation des sous-produits agro-industriels pour l'embouche bovine dans l'Adamaoua était conditionnée par plusieurs facteurs.
27Les prix élevés et instables des sous-produits : les résultats de l'enquête ont montré que de 1998 à 2002, les prix du tourteau de coton et du son de maïs se sont accrus de 140 % et 100 % respectivement, dans les villages autour de la ville de Ngaoundéré et que ces prix s'accroissaient aussi au cours d'une même année. Cette variation intra-annuelle, causée par la forte demande en saison sèche, atteignait 33 % pour le tourteau de coton et 30 % pour le son de maïs (Tableau 4). Bien qu'une des causes de cette variation des prix soit l'accroissement de la demande par les éleveurs et les provenderies comme l'ont remarqué certains éleveurs (38 %), l'effet de monopole dans la production de ces sous-produits et donc dans la fixation des prix en serait une cause importante. En effet, à la SODECOTON, le prix départ usine du kilogramme de tourteau de coton s'est accu de 488 % entre 1968 et 2004. Au cours de la même période, le prix du marché s'est accru de 627 % environ (Branckaert et al., 1968 ; Hamadjam, 2006). Ces changements de prix affectaient beaucoup les quantités de sous-produits utilisés par les éleveurs. En effet, l'équation de régression (Equation 1) donnant la quantité moyenne annuelle de sous-produits utilisés par éleveur (Q(sai)) en fonction de l'expérience dans l'élevage (Exp), la taille du troupeau (N), le prix du tourteau de coton (Ptc) et le prix du son de maïs (Pma), (les nombres entre parenthèses indiquant respectivement le seuil de probabilité et le coefficient de détermination), montre que 82,3 % des variations dans la quantité étaient expliquées par les prix :
28où Q(sai) = nombre de tonnes de sous-produits utilisés par an, Exp = expérience (nombre d'années dans la profession d'éleveur), N = taille du troupeau, Ptc = prix du tourteau de coton en franc CFA et Pma = prix du maïs en franc CFA.
29Cette équation indique que quand le prix du tourteau de coton croît, la quantité des sous-produits utilisés croît, ce qui est le contraire avec le prix du son de maïs. Ceci s'expliquerait par l'effet de substitution entre le tourteau de coton et le son de maïs : si le prix du sac de tourteau passe par exemple de 5 000 FCFA (7,62 €) à 7 000 FCFA (10,67 €), alors que le sac de son maïs coute 1 000 FCFA (1,52 €), l'éleveur préférerait acheter 5 à 7 sacs de son, s'il trouve que le tourteau est très cher. Cette opération tend donc à accroître les quantités utilisées. L'effet est contraire pour le son de maïs, car il faudrait cumuler les prix de plusieurs sacs pour acheter un seul sac de tourteau.
30L'expérience dans l'élevage avait plutôt un effet négatif significatif sur la quantité de sous-produits utilisés (voir Equation 1) ; il en est de même pour le facteur âge de l'éleveur qui présentait une forte corrélation négative et significative (δ = -0,82 ; p < 0,05) avec la quantité de sous-produits utilisés. Ceci s'expliquerait par le fait que la plupart des éleveurs enquêtés étaient de tradition éleveurs et donc, leur expérience coïncidait avec leur âge (en moyenne 30 ans) et ils avaient déjà des enfants pour les aider à chercher du fourrage pour les animaux et réduire ainsi la quantité de sous-produits à acheter.
31Comme présumé, la taille du troupeau avait un effet positif significatif sur la quantité de sous-produits utilisés (voir Equation 1).
32Le niveau d'éducation de l'éleveur : pour ce facteur, il y avait une corrélation négative significative entre le niveau d'éducation formelle et l'utilisation des sous-produits agro-industriels en général (Tableau 5). Ceci s'expliquerait par le fait que la plupart des analphabètes enquêtés étaient de la tribu Dourou. Or, ceux-ci sont de grands producteurs de maïs et donc utilisent beaucoup de son de maïs produit localement. En outre, leur village (Ngangassaou), peu enclavé et proche de Ngaoundéré (Tableau 1), principal centre de production des sous-produits, faciliterait l'acquisition et l'utilisation de ces denrées. Il a été noté cependant que pour l'utilisation du tourteau de coton en particulier, le niveau d'éducation formelle avait un effet positif significatif malgré la position stratégique en faveur des analphabètes (Tableau 5). Ceci s'expliquerait par la supériorité de la rentabilité du tourteau de coton par rapport aux sons de maïs/blé dans la complémentation alimentaire chez les bovins (constat des éleveurs enquêtés) et la corrélation positive existant entre l'adoption des technologies rentables et le niveau d'éducation formelle (Ngu, 1984 ; Deffo et al., 2003).
33La distance du site d'élevage au centre de production des sous-produits et/ou le degré d'enclavement de ce site ont montré un effet important sur l'utilisation des sous-produits. En effet, l'analyse des corrélations a montré que cette distance a une corrélation positive et très significative avec les prix du tourteau de coton (Tc) et du son de maïs (Ma) (δ = 0,55 et p = 0,0001 pour le Tc et δ = 0,87 et p = 0,0001 pour le Ma). C'est ce qu'a confirmé le classement/test de Duncan (Tableau 5) comparant les niveaux d'utilisation des sous-produits dans les différentes zones (secteurs) du site d'étude. Les éleveurs des zones de Ngaoundéré1 (Nyambaka et Idool) et Ngaoundéré2 (Mandourou et Ngangassaou) situées à proximité de la ville de Ngaoundéré (Tableau 1) utilisent plus de sous-produits que ceux des zones de Meiganga (Bakongué, Mbarang, Gumbéla), Dir et Djohong qui sont plus éloignées. Ce tableau montre qu'il n'y avait aucune différence significative entre Ngaoundéré1 et 2 et entre Meiganga et Dir concernant l'utilisation des sous-produits en général, mais que ces zones étaient différentes dans leur utilisation du tourteau de coton seul. Ceci s'expliquerait d'une part, par l'utilisation du son de maïs et de mil produits localement dans certaines zones et d'autre part, par le phénomène d'enclavement des villages. En prenant par exemple le cas de Ngaoundéré 1 et 2, le 1, situé à une moyenne de 95 km de Ngaoundéré, devrait utiliser moins de sous-produits que le 2 situé à 77 km. Mais le 2 (par le village Mandourou) étant plus enclavé que le 1 (Tableau 1) reçoit significativement moins de tourteau de coton que le 1. Néanmoins, le village Ngangassaou, qui se trouve dans le 2 et qui est un site important de production de maïs, produirait assez de son de maïs localement pour compenser ce manque à gagner. De même, la zone de Djohong située à 260 km de Ngaoundéré devrait utiliser plus de sous-produits que la zone de Dir située à 340 km, mais Djohong étant deux fois plus enclavé que Dir (Tableau 1), utilisait significativement moins de sous-produits que Dir.
34La sédentarisation des troupeaux : par mesure de sécurité, les éleveurs n'amènent généralement en transhumance qu'une partie de leur troupeau. Le test de Duncan (Tableau 5) montre que le nombre d'animaux sédentaires affectaient significativement le niveau d'utilisation des sous-produits et en particulier le tourteau de coton et que cet effet était plus ressenti quand la taille du troupeau sédentaire était supérieure à 100 têtes.
35Le niveau d'appropriation des troupeaux : en milieu paysan, les gens prenant soin des animaux sont soit les propriétaires eux-mêmes, soit des bergers salariés employés parfois par des propriétaires non résidants. Cela peut avoir un effet sur la nutrition des animaux. Le classement de Duncan (Tableau 5) montre en effet que le salarié donnait significativement plus de sous-produits aux animaux que le propriétaire. Ceci pourrait s'expliquer par le fait que ceux qui emploient les bergers sont généralement des personnes riches exerçant des activités extra-agricoles leur permettant d'acheter les sous-produits pour leurs animaux (IRZ/GTZ, 1989 ; Djamen, 2003). Le berger, dont le salaire dépend du bon état des animaux, a l'obligation de fournir ces sous-produits aux animaux.
3.3. Les principales contraintes à l'utilisation des sous-produits agro-industriels pour l'embouche bovine à contre-saison
36Certains des facteurs expliqués ci-dessus constituent des contraintes majeures à l'utilisation des sous-produits par les éleveurs :
37– Le problème des prix élevés et instables : ceci est causé surtout par l'effet des monopoles dans la production des différents sous-produits. Les prix augmentent avec la distance par rapport à la source de production ou d'approvisionnement (effet du cout de transport), mais aussi avec la longueur de la saison sèche (Tableau 4). Branckaert et al. (1968) avaient noté par exemple que le prix du kilogramme de tourteau de coton qui était de 12,75 FCFA (0,02 €) à la SODECOTON atteignait 24,75 FCFA (0,038 €) à Yaoundé situé à 1 000 km environ de la SODECOTON, soit un accroissement de 94,12 %. Les prix varient aussi suivant le type de client : selon les résultats des interviews avec les industriels et des enquêtes, les paysans producteurs de coton et les gros clients (provenderies) sont généralement privilégiés pour l'achat du tourteau de coton dont ils ont des prix préférentiels.
38– Problème d'approvisionnement : à cause de l'éloignement et/ou l'enclavement de certains sites d'élevage, le circuit de commercialisation des sous-produits était composé de plusieurs intermédiaires (producteurs, grossistes, éleveurs, groupements d'éleveurs, détaillants) à la recherche, chacun, d'une marge bénéficiaire. Ainsi, parmi les éleveurs enquêtés, plus de 50 % achetaient les sous-produits aux détaillants, 19 % aux producteurs et 19 % aux grossistes. C'est ce complexe distance, enclavement, intermédiaires commerciaux qui expliquerait la grande différence entre le prix de tourteau de coton à Ngaoundéré (4 500 francs – 6,86 € – environ le sac de 60 kg) et ce même prix à Djohong, zone éloignée et très enclavée (8 000 francs – 12,20 €).
39– Absence de données sur la valeur nutritive des sous-produits et insuffisance de leur vulgarisation : selon le Directeur commercial de la SMNC, les éleveurs étaient encore non informés de plusieurs sous-produits, notamment du son de blé et de leur qualité nutritive pour les animaux. La méconnaissance du son de blé par les éleveurs était due, entre autres, au fait que ce produit était nouveau dans la province, puisque la SMNC qui le produisait n'avait été créée qu'en 2000 afin de profiter des opportunités de transport offertes par la création récente de la gare ferroviaire de Ngaoundéré (Lieugomg et al., 2003).
40– Compétition entre les éleveurs et les provenderies pour l'utilisation des sous-produits agro-industriels : bien que la plupart des éleveurs (58 %) aient porté leur préférence sur les sous-produits agro-industriels par rapport aux résidus de cultures existant localement, il est important de noter que les provenderies constituaient les acheteurs privilégiés de ces denrées (Tableau 3) et que leur développement récent dans le sud du pays, couplé à la réduction récente des importations de poulets congelés par le Ministère camerounais du Commerce, crée une concurrence dont la balance économique pèse en faveur des monogastriques et donc des provenderies.
4. Conclusion
41Plus de 8 200 t de sous-produits agro-industriels sont produits annuellement dans l'Adamaoua. Parmi ces produits, le son de maïs est le plus connu et utilisé par les éleveurs pour l'embouche bovine de contre-saison, les autres étant très peu ou pas utilisés. A coté de ces denrées produites sur place, le tourteau de coton est utilisé par la majorité des éleveurs, mais son utilisation ne semble pas durable à cause de son prix élevé et instable et de la compétition sévissant entre les éleveurs, les provenderies au nombre croissant et les exportateurs des pays voisins pour l'utilisation de ce produit. En dehors de cette concurrence et des prix élevés, l'éloignement de la plupart des sites d'élevage ainsi que leur enclavement par rapport au centre de production et/ou de distribution des sous-produits, le manque d'un système d'approvisionnement et de vulgarisation efficace des sous-produits, se présentent comme des contraintes majeures à l'utilisation des sous-produits agro-industriels dans l'Adamaoua. On aurait pensé que l'utilisation des résidus de récolte produits localement pourrait être une solution endogène aux contraintes ci-dessus, mais cette solution se heurte aussi à de nombreuses contraintes dont la plus importante est leur faible qualité nutritionnelle comparée aux sous-produits agro-industriels, notamment le tourteau de coton (Dzowela, 1987 ; Nantoumé et al., 2000). En effet, la plupart des éleveurs (58 %) ont porté leur préférence aux sous-produits agro-industriels (tourteau de coton) parce qu'ils sont plus appétés par les animaux, plus nutritifs, favorisent une plus grande croissance des animaux et une plus grande production laitière.
42Compte tenu des résultats ci-dessus, pour une amélioration durable de l'utilisation des sous-produits agro-industriels par les éleveurs bovins de l'Adamaoua, il faudrait entreprendre des activités dans quatre directions :
43– Un regroupement des éleveurs en associations ou en groupes d'initiative commune (GIC) à objectif d'approvisionnement en sous-produits agro-industriels. Ceci permettrait de mieux entrer en compétition avec les gros acheteurs (provenderies), de réduire le nombre d'intermédiaires et donc de lutter contre les prix élevés et instables et le déficit d'offre des sous-produits dans les zones d'élevage éloignées ou enclavées.
44– Une étude sur la valeur nutritive des différents sous-produits devrait être menée afin de faciliter la décision des éleveurs dans le choix des denrées à utiliser pour un résultat donné et compte tenu de leurs moyens financiers.
45– Un désenclavement des zones d'élevage enclavées afin de faciliter leur approvisionnement en sous-produits.
46– Une bonne vulgarisation des sous-produits agro-industriels et une formation pratique des éleveurs à leur utilisation pourraient aussi contribuer à l'amélioration du niveau d'utilisation des sous-produits.
Bibliographie
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Pour citer cet article
A propos de : Victor Deffo
Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD). B.P. 65. CAM-Ngaoundéré (Cameroun). E-mail: vdeffo@yahoo.fr
A propos de : Jean François Bruno Ottou
Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD). Direction scientifique. B.P. 2067. CAM-Yaoundé (Cameroun).
A propos de : Ombionyo Messiné
Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD). B.P. 65. CAM-Ngaoundéré (Cameroun).
A propos de : Lot Ebangi Achundoh
Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD). B.P. 65. CAM-Ngaoundéré (Cameroun).
A propos de : Mathias Djoumessi
Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD). B.P. 65. CAM-Ngaoundéré (Cameroun).