Bulletin d'Analyse Phénoménologique Bulletin d'Analyse Phénoménologique -  Volume 21 (2025)  Numéro 5 : Perception amodale, intersensorialité, synesthésie (Actes n°15) 

Une perception « totale », harmonieuse et omniprésente. Quelques remarques sur ce que la synesthésie n’est pas

Leonardo Capanni
Chercheur indépendant

Résumé

Cet article vise à présenter la complexité du concept de synesthésie, souvent désigné comme le « mélange » de nos sens. Pour ce faire, il introduit les trois principales acceptions du terme et se concentre sur la signification clinique, qui est la plus étudiée aujourd’hui, et sert de point de référence pour les deux autres. Dans ce contexte, la synesthésie est décrite comme un phénomène relativement rare dans lequel deux ou plusieurs percepts (pas typiquement liés) sont involontairement associés, de manière vive et cohérente, au fil du temps. La section principale de l’article explore les controverses non résolues — allant de la phénoménologie effective de la synesthésie aux méthodes de recherche appropriées et aux processus neuronaux impliqués — qui compliquent sa définition. Plus précisément, il aborde, d’une part, les subdivisions internes de la synesthésie et leurs liens avec des phénomènes cross-sensoriels connexes, et, d’autre part, le débat de longue date entre ceux qui considèrent ces associations dans leur continuité avec les processus perceptuels normaux et ceux qui soulignent leur nature « irrégulière » et idiosyncratique. Une caractérisation précise du terme reste encore à établir.

1. Introduction : les trois sens du concept

1Encore aujourd’hui, on ne s’entend pas tout à fait sur ce que le mot synesthésie peut réellement désigner. En commençant par son étymologie : ce terme se compose du préfixe d’origine grecque syn, « avec », « ensemble », et du mot aisthêsis, « sensation », « perception », mais aussi « entendement », « discernement », des concepts dont l’articulation reste quelque peu ambiguë. On trouve déjà le terme dans les écrits des Anciens, notamment chez Aristote et Galien, mais dans un sens qui diffère plutôt de son acception actuelle : chez le premier, le terme synesthésie désigne une forme de « sentiment commun » qui serait à l’origine de l’amitié et — potentiellement — de toute notre vie sociale (synaisthesis en tant que « capacité de compréhension immédiate des actions et des passions d’autrui »1). Chez le deuxième, le terme désigne une forme particulière de « sens intérieur » ou de « connaissance de soi », qui se manifeste lorsque des sensations d’origines diverses émergent dans notre conscience, pour ainsi dire, « d’un seul coup »2.

2Par ailleurs, et en particulier à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, ces définitions éthiques et médicales du terme se sont développées dans une signification plus spécifique, de nature avant tout perceptive. Aujourd’hui, la synesthésie désigne une combinaison involontaire, automatique et continue dans le temps entre un stimulus inducteur initial (qui peut être non seulement sensoriel, mais aussi émotionnel ou cognitif) et au moins une perception concurrente, ou accessoire, qui va se développer dans un deuxième canal non stimulé. Environ 4,5 % de la population adulte serait ainsi affectée par des contenus perceptifs « supplémentaires » dont la plupart des gens n’ont jamais fait l’expérience3. Par exemple, la vision ou même seulement l’idée d’une certaine lettre peut susciter chez un synesthète des taches ou des bandes de couleur à différentes positions du champ visuel ; de même, la saveur d’un aliment peut provoquer un fourmillement sur le dos des mains, ou un bruit strident évoquer une forte odeur de bois brûlé, et ainsi de suite — avec des combinaisons qui semblent osciller entre 734 et plus de 150 possibilités différentes5.

3Ce sont ces « imperfections » associatives, si subjectives et difficiles à détecter, qui constituent la référence commune pour les trois significations principales du terme. En premier lieu, nous aborderons une déclinaison psychologique de la synesthésie, que nous examinerons plus en détail dans notre exposé. Il s’agit d’une condition neurologique au statut clinique encore incertain, mais apparemment non pathologique, qui semble, d’une part, être associée à une amélioration des performances individuelles, notamment en ce qui concerne la mémoire (on peut rappeler les cas célèbres du mnémoniste Solomon Cherechevski ou, plus récemment, de Daniel Tammet)6, la distinction des couleurs ou la vitesse de lecture. D’autre part, et selon une perspective apparemment opposée, des phénomènes de synesthésie peuvent apparaître parallèlement à une grande variété de problématiques, allant de simples difficultés d’orientation et de calcul aux nombreux troubles du spectre de l’autisme7, en passant par des formes communes de migraine ou, dans des cas parfois très graves, par des épilepsies ou des schizophrénies. Il n’y a pas si longtemps encore, ce type de synesthésie réelle ou perceptive était en fait considéré comme un stigmate évident d’« aberration mentale »8.

4En revanche, le deuxième sens présent dans la littérature fait référence au domaine de la linguistique, où la synesthésie est souvent considérée comme une variante purement sensorielle du mécanisme à l’origine des métaphores. La métaphore, quant à elle, peut être décrite comme un transfert de signification et une mise en interaction entre deux champs lexicaux ou conceptuels différents (le tenor et le vehicle d’Ivor Richards, le frame et le focus de Max Black), créant une ressemblance nouvelle. Un processus qui, dans le cas spécifique de la synesthésie — comme pour toute métaphore d’ailleurs — peut concerner aussi bien des expressions d’usage quotidien telles que « voix glaciale » ou « couleurs éclatantes » que de véritables symboles de sophistication poétique. Ces derniers, avec leur aspect inhabituel et aliénant (le « lieu muet de toute lumière » de Dante, les « parfums pourpres du soleil des pôles » de Rimbaud)9, pourraient être à l’origine d’un grand nombre d’œuvres d’art, voire de toutes, selon l’un des neuroscientifiques pionniers dans la relance des études sur ce thème, Vilayanur Ramachandran10. Certains auteurs ont même tenté d’inverser les relations et d’interpréter les métaphores comme des généralisations conceptuelles, devenues de plus en plus abstraites avec le temps, de celles qui étaient à l’origine des synesthésies perceptives.

5Nous nous approchons ainsi de la troisième variante, dite esthétique, du terme, qui est peut-être la plus difficile à définir et, sans aucun doute, celle qui a donné lieu au maximum de malentendus au fil des années. Dans ce cas, les phénomènes d’associations permanentes et idiosyncrasiques (donc variables de personne à personne) en quoi consistent les synesthésies sont élevés sur le plan d’un principe soit artistique, soit d’usage11, qui implique une participation « totale » et réciproque des perceptions du sujet. Un des cas les plus célèbres est celui du père jésuite Louis-Bertrand Castel, qui, pendant la première moitié du XVIIIe siècle, a associé son nom à un projet de « musique visuelle » inspiré des recherches newtoniennes sur l’optique et les correspondances entre sons et couleurs. Il cherchait à christianiser — pour ainsi dire — ce contenu à travers un clavecin capable d’émettre des couleurs plutôt que des sons. Un instrument que ce « Don Quichotte des mathématiques » (comme le nommait Voltaire) imaginait en lien avec la Trinité harmonique du bleu (do, le Père), du jaune (mi, le Fils) et du rouge (sol, le Saint-Esprit), dans le but de combler l’écart qui sépare finalement la nature transitoire des notes (émises dans une succession temporelle) de la nature permanente des couleurs (perçues en simultanéité spatiale). Un clavecin oculaire capable de toucher toutes les cordes de notre sensibilité pour glorifier l’excellence du Créateur de la manière la plus pure possible.

6Cette tentative grandiose — mais avortée12 — s’ajoute à une liste à peu près interminable de soi-disant synesthésies artistiques, allant de la musique « céleste » des pythagoriciens à l’art vidéo contemporain, en passant par les tableaux de Giuseppe Arcimboldo au XVIe siècle, le théâtre kabuki japonais du XVIIe siècle, ou les concerts colorés tentés par Alexandre Scriabine dans les années 1910. Et pourtant, elle n’épuise pas la complexité d’une définition de la synesthésie en tant que phénomène esthétique. En effet, en plus de cette première acception de la synesthésie comme influence répétée et mutuelle des canaux sensoriels entre eux, le terme a également été utilisé pour désigner un rétablissement « à travers l’œuvre » (et les sens qui la perçoivent) d’une prétendue harmonie et homogénéité originales. Il s’agit d’une sorte de « synthèse » de toutes les différentes sensations, pouvant se référer, sur le plan individuel, à un stade distinct des opérations logiques quotidiennes (on peut citer ici diverses altérations liées aux drogues, à l’extase, aux états primitifs ou psychotiques, à l’hypnose, etc.), et, sur le plan collectif, à une étape antérieure ou alternative de notre culture (ce qu’ont fait, par exemple, les Romantiques ou de nombreuses Avant-gardes avec la notion de Gesamtkunstwerk)13.

2. La synesthésie au minimum

7Il convient néanmoins de mettre de côté, pour l’instant, ces possibles ramifications linguistiques et esthétiques afin de se concentrer sur quelques-uns des principaux critères suivis dans la définition d’une synesthésie « authentique ». L’un des objectifs de cette communication est de revenir sur un concept qui, aujourd’hui, tend à être utilisé dans un nombre croissant de domaines, mais peut-être pas toujours avec la même rigueur. En 2008 et en 2016, par exemple, deux auteurs du domaine des media studies pouvaient écrire, dans les premières lignes de leurs essais, des affirmations assez catégoriques telles que : « In the age of ubiquitous digital media, synesthesia is everywhere »14 ou « By now it goes without saying that cinema is and has always been a synesthetic experience »15. De la même manière, en 2015, un article inspiré, cette fois, des recherches de Ramachandran, pouvait penser l’importance de l’étude des synesthésies comme « what provides us with the neurological basis for enactive, embodied, cross-modal learning and behavior »16. Les choses ne sont malheureusement ni aussi simples ni aussi prometteuses.

8Pour s’orienter dans la vaste littérature contemporaine sur ce sujet17, j’ai choisi une contribution du neuroscientifique anglais Jamie Ward, placée en ouverture d’un numéro spécial sur la synesthésie et paru dans les Philosophical Transactions of the Royal Society en 201918. Cet article tente de résumer les trois critères que chaque synesthésie devrait minimalement remplir pour être identifiée comme telle. Premièrement, comme nous l’avons vu, elle doit consister en une association entre un stimulus initial déclenchant et un (ou plusieurs) stimuli liés, qui coexisteront de différentes manières avec le premier ; dans la plupart des cas, soit l’inducteur, soit le concurrent reste visible pour le sujet. Cette synesthésie peut être qualifiée d’« uni-modale » (comme dans le cas graphème→couleur, qui semble être le plus fréquent)19 ou de « multi-modale » (dans des associations telles que son→saveur ou odeur→vision), selon l’implication d’un ou de plusieurs canaux sensoriels.

9Deuxièmement, les synesthésies se distinguent d’autres formes similaires de perception par leur caractère involontaire : il est impossible de provoquer volontairement ce type de manifestation, même si elle peut ne pas être suscitée dans certains cas — par exemple, si l’inducteur se trouve en dessous du seuil de conscience ou s’il survient de manière totalement inattendue. Ce caractère automatique du phénomène apparaît clairement dans les tâches de type Stroop, qui consistent généralement à nommer la couleur physique d’un mot véhiculant une information non pertinente par rapport à sa coloration réelle (par exemple, reconnaître la couleur du mot /vert/ lorsqu’il est écrit en rouge). Dans des situations similaires, soulignent Émilie Caspar et Régine Kolinsky dans l’un des rares articles scientifiques en français sur le sujet, « les synesthètes présentent des temps de réponse plus longs lorsque la couleur dans laquelle le graphème leur est présenté ne correspond pas à la couleur du concurrent (condition incongruente) que lorsqu’elle y correspond (condition congruente [...]) »20.

10Troisièmement, les expériences concurrentes de toute synesthésie doivent se présenter comme perceptions, alors que les stimuli inducteurs initiaux peuvent également être de nature conceptuelle (par exemple, le résultat d’une opération mathématique) ou émotive (un visage connu, une douleur dentaire, un orgasme, etc.). Un concept nouveau, celui d’« ideasthésie », a même été proposé pour mettre l’accent sur les propriétés sémantiques plutôt que sensorielles de l’inducteur. Selon le neuroscientifique Danko Nikolić21, cela pourrait être décrit comme une « sensation de concepts » qui non seulement associe différents éléments sur le plan sémantique, mais provoque également une activation sensorielle supplémentaire. Toutefois, en l’absence d’une définition claire de la synesthésie véritable, un terme similaire risque d’englober un grand nombre d’expériences encore plus difficiles à appréhender (bien plus que celles où la synesthésie semble déjà impliquée), perdant ainsi de vue le phénomène qu’il est censé expliquer.

11Les trois critères énumérés par Ward sont encore loin d’être partagés ou respectés par tous, et le mot synesthésie risque toujours d’acquérir des « applications de plus en plus larges » (pour reprendre les mots que Sigmund Freud attribuait au concept de suggestion dans Psychologie des masses et analyse du moi, 1921), ce qui pourrait en affaiblir la signification. Deux neuroscientifiques, Mary-Ellen Lynall et Colin Blakemore, ont observé qu’à l’heure actuelle, « we are left with more certainty about what synesthesia is not, than about what it is »22.

3. Essais d’une phénoménologie

12La principale caractéristique permettant de distinguer une synesthésie d’une stratégie mnémonique ou d’un simple jeu d’imagination réside généralement dans sa reproductibilité : la lettre /c/ n’est pas seulement rouge, douce ou rugueuse pour le sujet à un moment donné, elle conserve cette tonalité, cette saveur ou cette texture précise même après plusieurs années. Ce facteur de constance constitue la base de nombreuses méthodes élaborées au cours de la seconde moitié du XXe siècle pour détecter ces phénomènes, après une série de tentatives remontant aux travaux d’Hermann Kaiser dans les années 187023. Ces procédures ont pris leur forme moderne avec le « test d’authenticité », affiné en Angleterre à partir de 1987 par l’équipe de Simon Baron-Cohen24. Ce test repose sur un mécanisme relativement simple : deux sujets (dont un seul se déclarant synesthète) associent des couleurs à un ensemble de mots lus aléatoirement par un examinateur. Par la suite, un contrôle-surprise vérifie si les mêmes associations sont reproduites de manière exacte plusieurs semaines, mois ou années plus tard.

13La permanence des associations a ainsi été érigée depuis un certain temps en modus operandi de la synesthésie, considérée comme la preuve la plus fiable de sa nature essentiellement perceptive. Cependant, selon les travaux de Lynall et Blakemore (2013) et de Ward (2019), entre autres, ces types de tests ne devraient plus être considérés comme le « gold standard » pour la détection du phénomène. Il existe encore trop peu d’études sur le développement de la synesthésie tout au long de la vie d’un individu et — du moins en théorie — rien n’exclut qu’une synesthésie puisse s’affaiblir ou se modifier avec l’âge, ou pour d’autres raisons, jusqu’à disparaître. Des recherches ont en effet montré qu’une éventuelle atténuation du phénomène avec l’âge se produit précisément dans le cas de l’imagerie mentale, un phénomène neurologiquement similaire25 qui consiste à reconstruire, avec les « yeux de l’esprit » (comme on le lit souvent), des perceptions passées ou des projections futures, sans lien avec une stimulation sensorielle immédiate. Les études plus récentes semblent suggérer que le test d’authenticité pourrait donc n’être utile que comme indicateur de consistance.

14Outre la répétitivité et la constance dans le temps, de nombreuses autres propriétés ont été évoquées pour tenter de caractériser scientifiquement la synesthésie. Par exemple, l’association entre un stimulus inducteur et une perception concurrente se présente presque toujours de manière « unidirectionnelle » : si une impulsion visuelle déclenche automatiquement une impulsion auditive, il est très rare que l’inverse se produise chez le même individu. Cela reste cependant possible, comme en témoignent les cas de l’artiste visuelle Marcia Smilack ou du compositeur et chef d’orchestre David Caldwell, longuement interviewé par Oliver Sacks dans Musicophilia. En voici un extrait :

Les associations tonalité-couleur de David fonctionnent dans les deux sens : la vision d’un carreau de verre transparent jaune d’or posé sur le rebord de ma fenêtre le fit penser à si bémol majeur (« Cette tonalité a quelque chose de clair et de doré », remarqua-t-il. Était-ce la couleur du cuivre ? Il me dit que les trompettes sont des « instruments en si bémol » et que beaucoup de musiques pour cuivres sont écrites dans cette tonalité). Mais les déterminants de ses couleurs lui échappaient : ses associations provenaient-elles de son expérience ou de conventions ? Étaient-elles arbitraires ? Avaient-elles une « signification » ?26.

15On pourrait être tenté de répondre négativement et de souscrire à ce qu’écrivait Ward : il n’y a probablement ni signification profonde, ni avantage particulier à percevoir un sol majeur en jaune ou un jeudi en vert (les couleurs sont souvent citées car, selon des études, plus de 90 % des perceptions concurrentes synesthésiques prennent cette forme visuelle — un autre aspect qui mérite d’être expliqué)27. L’avantage pourrait résider dans le domaine socio-cognitif. En effet, les recherches montrent que les synesthètes obtiennent de meilleurs résultats aux tests de « pensée divergente » et sont plus nombreux à travailler dans les secteurs artistiques par rapport à la population générale (environ 24 % contre 2 %, selon une étude australienne également reprise en Angleterre). Cependant, il reste très difficile de quantifier ou même de décrire de manière cohérente des facteurs tels que la créativité ou l’empathie individuelle, ainsi que le talent artistique au sein d’un groupe.

16Une autre tendance souvent soulignée à propos des synesthésies, depuis les travaux de Francis Galton dans les années 1880 sur l’imagerie mentale et la visualisation des nombres, est celle de leur transmissibilité et de leur supposée origine génétique. Des statistiques montrent, par exemple, qu’environ 42 % des synesthètes déclarent avoir un parent présentant une « condition » comparable28, bien que les associations puissent impliquer des types de synesthésie différents (que ce soit par les canaux sensoriels concernés ou par le contenu perceptuel des perceptions concurrentes). Dès 1995, le neuroscientifique Richard Cytowic rapportait des cas de familles comptant au moins un synesthète dans chacune de quatre générations, ainsi que celui d’une autre famille avec quatre synesthètes sur cinq frères29.

17Les recherches sur la composante génétique de la synesthésie figurent aujourd’hui parmi les plus prometteuses et les plus débattues, mais même dans ce domaine, il demeure difficile d’établir des points de référence concrets. Comme l’écrit Germana Pareti, la synesthésie pourrait n’être qu’un « épiphénomène » lié à un ou plusieurs gènes destinés à d’autres fonctions, ou encore faire partie de ces structures « neutres »30, inoffensives, qui ne participent à aucune démarche adaptative spécifique, mais qui sont néanmoins transmises de génération en génération et peuvent éventuellement se révéler utiles pour d’autres fonctions (que Stephen Jay Gould et Richard Lewontin ont comparées aux « écoinçons » de la basilique Saint-Marc de Venise)31. La synesthésie pourrait effectivement jouer un rôle que les études actuelles n’ont pas encore réussi à concevoir.

18Cependant, ces dernières années, de nombreuses autres recherches ont mis en lumière l’importance d’un autre facteur essentiel dans chaque synesthésie et tout au long de l’expérience sensible : la culture et l’éducation. Ce facteur se manifeste clairement dans des cas où les couleurs associées aux perceptions concurrentes, par exemple, correspondent exactement aux couleurs des lettres magnétiques ou des textes avec lesquels les sujets ont appris à lire32. Des études explorent également la possibilité de provoquer temporairement ces correspondances chez des adultes non synesthètes, notamment par l’hypnose ou à travers de brefs entraînements avec des livres écrits en lettres colorées33. La question qui se pose, comme nous le verrons, est de savoir si l’on peut qualifier ces phénomènes de véritablement synesthésiques ou non.

19Dès 1864, le médecin lyonnais Jean-Louis Chabalier soulignait déjà l’importance des processus d’apprentissage pour expliquer la formation de ces « étranges » combinaisons sensorielles :

Depuis quelques années il est une méthode d’enseignement par laquelle on apprend à lire aux petits enfants en matérialisant chaque lettre par une coloration particulière ; sous la forme d’un objet quelconque, dont la dénomination commence par la première lettre que l’on veut classer dans leur mémoire. Ainsi pour apprendre à retenir la lettre A, on la symbolise sous la forme d’un âne : l’enfant commence d’abord à retenir la figure pour se rappeler la lettre ; ce genre d’instruction produira, j’en suis convaincu, de nombreux cas de pseudochromesthésie34.

20La même explication a été avancée en 1904 par le journaliste Ernest Gaubert, dans les colonnes du Mercure de France, pour tenter d’expliquer ce qui s’était imposé comme l’une des principales références européennes dans le débat sur l’audition colorée : le sonnet « Voyelles » d’Arthur Rimbaud (écrit en 1871, mais publié pour la première fois en 1883)35. Aujourd’hui, la tendance est plutôt de nuancer l’opposition entre nature et culture. Des auteurs comme Ophelia Deroy et Charles Spence36, par exemple, suggèrent l’existence d’une « période critique » durant l’enfance où le développement effectif des synesthésies serait possible — même si cela ne concerne que ceux qui y sont génétiquement prédisposés. Autrement dit, il est probable de considérer la synesthésie comme dépendante d’une condition héréditaire, tout en étant susceptible d’être influencée de manière substantielle par des facteurs environnementaux, comme le montre, par exemple, le cas de jumeaux monozygotes présentant des expériences différentes avec les mêmes inducteurs37.

21Nous en venons ainsi à la quatrième caractéristique secondaire, si l’on peut dire, de la synesthésie clinique, après celles de reproductibilité, d’unidirectionnalité et d’hérédité des associations (Ward, 2019). Ce quatrième aspect ne semble pas strictement nécessaire pour identifier une synesthésie, mais il fait souvent partie intégrante du phénomène et est reconnu comme tel par la communauté scientifique. Il concerne la nature générique de la perception concurrente, dont les contenus consistent le plus souvent en percepts simples et répétitifs, principalement visuels (couleurs, lignes, spirales, diagrammes, etc.), mais pas exclusivement (démangeaisons, bruits, saveurs, odeurs, etc.). Ces percepts manquent en tout cas de propriétés narratives ou sémantiques précises, contrairement, par exemple, à des phénomènes comparables tels que les délires, les hallucinations ou les faux souvenirs.

22On peut lire, par exemple, ce témoignage rapporté par Cytowic, l’un des chercheurs ayant le plus contribué à conférer une légitimité scientifique à ce phénomène éminemment privé :

The percepts are unelaborated : blobs, lines, spirals, and lattice shapes ; smooth or rough textures ; agreeable or disagreeable tastes such as salty, sweet, or metallic. Replication, with radial or axial symmetry, is common. Synesthetic percepts never go beyond an elementary level. To do so would turn them into figurative hallucinations38.

23À cet égard, il est important de rappeler que, selon Cytowic, chaque synesthésie doit se conformer à cinq « critères diagnostiques » précis : elle doit être involontaire et engendrée par un stimulus inducteur ; projetée dans l’espace externe, et non seulement d’ordre mental ou linguistique ; constante et spécifique dans ses associations (bien que générique dans ses contenus) ; inoubliable et répétable même après des années ; enfin, et surtout, elle doit avoir une nature émotionnelle. Cytowic a même supposé jusqu’à présent une implication de l’hippocampe et du système limbique en général dans le mécanisme d’activation d’une synesthésie. Comme on peut le constater, ces critères ne sont pas loin des trois conditions minimales mises en évidence par Ward (2019) trente ans plus tard : déclenchement d’un concurrent par un inducteur, automaticité du processus et nature perceptive de la manifestation synesthésique.

4. Vraies et fausses synesthésies

24De manière plus générale, il convient de noter qu’il a longtemps été difficile non seulement de décrire les constituants d’une synesthésie réelle, mais aussi d’en parler en public. Il était rare de confier des « anomalies » perceptives aussi minimes à un professionnel de la santé. Au-delà de la difficulté à percevoir l’éventuel écart par rapport à la moyenne perceptive des autres, le maximum que l’on pouvait attendre d’un tel aveu — pensait-on dans la plupart des cas — n’était rien d’autre qu’une certaine forme de stigmatisation sociale ou, pire encore, la prescription d’une évaluation psychiatrique. Comme nous l’avons déjà mentionné, et comme le montrent de nombreux témoignages tout au long du XXe siècle, il a longtemps été courant de lier les synesthésies à des comportements « extrêmes », qu’il s’agisse des rêveries joyeuses de l’enfance ou, à l’inverse, des pensées agitées et incontrôlées d’un psychopathe.

25Un autre aspect qui mérite d’être approfondi est sans doute lié à la question interculturelle. Aujourd’hui encore, dans différentes régions du monde, des enfants et des adolescents « affectés » par la synesthésie risquent d’être exclus de leur communauté en raison de la crainte d’une influence « maligne » de ces perceptions particulières — même si, dans une partie de la littérature en sciences sociales plus récente, on souligne souvent la structuration pan-sensuelle ou même syn-esthésique des cultures indigènes (par opposition à la » tyrannie de la vue » qui règnerait en Occident)39.

26Cependant, si notre conscience occidentale a longtemps favorisé une hiérarchisation sensorielle précise, ignorant les principales caractéristiques de la synesthésie (et, dans de nombreux cas, même son nom)40, le risque actuel est plutôt celui d’une surextension du terme. Aujourd’hui, pour cette raison, on tend à distinguer au moins deux catégories principales de synesthésie : d’une part, la synesthésie « congénitale » ou véritable, habituellement présente dès l’enfance et dont nous avons parlé jusqu’ici ; et d’autre part, une synesthésie dite « adventice » et caractérisée par l’absence d’une régularité évidente dans la connexion entre inducteur et concurrent. Dans ce cas, ce n’est donc pas l’absence d’une des propriétés de base qui est en cause, mais plutôt le fait que le lien entre les deux stimuli ne se manifeste pas de manière continue dès les premières années du sujet.

27De plus, cette variante adventice de synesthésie se divise en deux sous-groupes distincts, en fonction de la nature temporaire ou permanente de la manifestation. La première forme, dite « induite » et transitoire, résulte généralement de causes pharmacologiques, qu’il s’agisse de substances psychotropes comme le LSD, la mescaline ou la psilocybine41, ou, plus rarement, de produits courants tels que l’alcool, la caféine, le tabac ou le Prozac. Elle peut également se manifester en lien avec des états modifiés de conscience, tels que l’hypnose, le choc, la méditation, l’acupuncture ou la privation de sommeil. La deuxième forme, qualifiée « d’acquise », est susceptible de persister à vie et découle le plus souvent de causes pathologiques ou traumatiques — comme des tumeurs, des infarctus, des crises d’épilepsie ou des dégénérescences rétiniennes — mais peut également, selon certains auteurs, résulter de l’utilisation prolongée de dispositifs de substitution sensorielle42. La sérotonine a été proposée comme un facteur unificateur pouvant relier ces différentes typologies de phénomènes. Ce neurotransmetteur43 est connu pour voir son activité altérée soit lors de la consommation de substances psychoactives (synesthésie induite), soit à la suite d’une nécrose ou d’une lésion cérébrale (synesthésie acquise), soit dans le cadre des troubles du spectre de l’autisme (où la synesthésie congénitale semble se manifester presque trois fois plus souvent que dans la population générale). Il convient de préciser que ces études attendent encore une confirmation définitive.

28Nous arrivons ainsi à l’un des problèmes les plus épineux au sein du débat actuel sur ce sujet : celui des paramètres permettant de distinguer les formes authentiques de la synesthésie (congénitales ou adventices) de toutes les manifestations qui ont en commun avec elle seulement un certain « air de famille ». Un ensemble de processus qui, à leur tour, pourraient être regroupés en quatre macro-catégories de référence (dans ce cas aussi, en laissant de côté les nuances intermédiaires). Tout d’abord, la classe des illusions, qui désigne, dans son sens général, la distorsion perceptive d’une ou de plusieurs qualités d’un objet présent dans la réalité, ou au moins dans l’écosystème sensoriel du sujet (contrairement à ce qui se passe avec les synesthésies) ; ensuite les hallucinations, qui, à bien des égards, seront des expériences similaires aux illusions (dans le langage courant, les deux termes se superposent souvent), mais se développant en toute absence de l’objet tout en étant dotées d’un « sens de réalité » qui les rend difficilement distinguables des perceptions véridiques ; après cela, nous avons les imageries mentales déjà mentionnées, qui, dans le même sens, semblent ne pas être liées à une stimulation directe des canaux perceptifs ; enfin, il y a l’ensemble plus vaste des perceptions normales, auxquelles la synesthésie serait annexée à titre d’expérience « seconde », capable d’augmenter (au moins selon certains chercheurs) la portée informative de l’inducteur44.

29Les processus les plus probables auxquels nous pouvons rattacher ces expériences sui generis que sont les synesthésies semblent être au nombre de deux (même s’il n’est pas facile d’entrer ici dans les détails : la question, comme beaucoup d’autres sur ce terrain, est loin d’être réglée). D’un côté, il y a les perceptions « sans cause apparente » qui composent la classe des hallucinations, avec laquelle le phénomène tend encore à être rapproché45 (bien que certains préfèrent parler de pseudo-hallucinations, étant donné que dans le cas des synesthésies, il ne s’agit pas de manifestations psychotiques et, surtout, le sujet se montre presque toujours conscient de l’« irréalité » de ses propres percepts)46. De l’autre côté, dans des écrits comme ceux de Bence Nanay, les synesthésies sont souvent classées dans la catégorie des imageries mentales, ces quasi-perceptions qui — en mobilisant différentes modalités sensorielles — combleraient les nombreuses « lacunes » de notre expérience47. Cela suggère une possible connexion entre ces deux phénomènes, car dans le cas des imageries mentales, des aspects de première importance comme la rapidité d’activation ou la persistance de l’image tendent à diminuer avec le temps ; c’est justement ce qui semble se produire pour les synesthésies, bien qu’il ait longtemps été affirmé le contraire (comme mentionné au chapitre 3). La question de la consistance de l’expérience synesthésique reste donc délicate à trancher, en l’absence d’études de longue durée sur des échantillons appropriés.

30Ce bref examen des caractères extérieurs de la synesthésie doit également prendre en compte deux autres distinctions — d’abord du point de vue du concurrent, puis de celui de l’inducteur — fréquemment rencontrées dans la littérature scientifique, mais qui, une fois encore, peinent à faire consensus. La première concerne la division proposée entre synesthètes associateurs, qui localisent le concurrent dans leur espace intérieur (ils constituent la grande majorité), et synesthètes projecteurs, qui perçoivent en revanche le concurrent dans l’espace extérieur, où il peut « se superposer » à d’autres composantes de l’horizon sensoriel (10-15 % du total des synesthètes). Une classification qui peut à son tour être affinée : d’une part, entre associateurs qui « voient » le concurrent comme projeté sur un écran mental et ceux qui en ont simplement une vague impression de le connaître ; et d’autre part, entre projecteurs qui « ressentent » le concurrent sur le site du stimulus initial et ceux qui le localisent dans un lieu indéterminé de l’espace environnant. La distinction originale entre associateurs et projecteurs, en tout cas, a tenté de s’appuyer objectivement sur des tests de colour interference. Lors de ces tests, on montrait aux sujets des lettres colorées, leur demandant dans certains cas de nommer la couleur « réelle » et, dans d’autres, la couleur synesthésique48. C’est à partir de ces expériences que les deux groupes ont été définis, une distinction qui semble corroborée par des données de neuroimagerie : les associateurs se montrent généralement plus rapides pour identifier la couleur réelle, tandis que les projecteurs sont plus prompts à reconnaître la couleur concurrente.

31Cependant, ces expériences étaient basées sur des échantillons de référence trop petits pour être significatifs (12 sujets dans l’article le plus souvent cité, celui de Dixon et collaborateurs). Lorsqu’on prenait en compte des questionnaires plus larges ou un plus grand nombre de sujets, les résultats ont souvent révélé des valeurs intermédiaires. De plus, dans des tests similaires sans limitation de composition, certains synesthètes externalisaient leur concurrent dans certaines épreuves mais pas dans d’autres, ou changeaient leur réponse lors de contre-essais. En général, les synesthètes ont souvent du mal à décrire en termes objectifs (ou même seulement verbaux) les données de leur conscience, et des tests de ce type risquent soit de polariser les réponses des participants, soit de ne pas envisager d’autres variations de ce phénomène (en dehors des cas célèbres de synesthésies graphème-couleur). Selon l’essai de Lynall et Blakemore mentionné précédemment, il serait plus prudent, pour le moment, de parler en termes de « tendances » plutôt que de distinctions catégoriques ; et de se concentrer non pas sur le sujet lui-même, mais sur l’expérience du concurrent qu’il perçoit (qu’on peut nommer par exemple non pas associative et projective, mais internalisée ou externalisée).

32Vers le début des années 2000, en lien avec la classification que nous venons de décrire, on a également tenté de distinguer — cette fois en ce qui concerne non pas le stimulus concurrent, mais l’inducteur — entre synesthètes de type inférieur (lower) et de type supérieur (higher)49. Les premiers nécessitent la présence effective d’un stimulus pour que le concurrent se manifeste, tandis que pour les seconds, une simple image mentale de l’inducteur semble suffisante. Les synesthètes de type supérieur paraissent de loin les plus fréquents, notamment dans des cas de stimulation conceptuelle ou émotive, ou en ce qui concerne des séries ordonnées de signes (nombres, lettres, notes, périodes historiques, jours de la semaine, etc.). Cette observation avait déjà été faite par le médecin allemand Georg Sachs dans sa thèse sur l’albinisme en 1812, qui est considérée comme la première source scientifique connue sur la synesthésie en tant que phénomène perceptif50. Cette différence entre les deux types d’inducteurs, inférieur et supérieur, se manifeste clairement dans des situations ambiguës, par exemple lorsqu’un graphème oscille entre un « 5 » et un « S » : dans ce type de cas, la couleur du concurrent chez un synesthète de type supérieur varie en fonction du contexte (on peut considérer l’inducteur comme un numéro dans la série « 4, 5, 6 » ou comme une lettre au sein du mot « muSique »), tandis que celle d’un synesthète de type inférieur reste inchangée. Il peut également arriver que la même couleur soit déclenchée par un nombre spécifique (5), par son équivalent en chiffres romains (V), ou simplement par un réseau de cinq points, ce qui indiquerait alors un synesthète de type supérieur.

33De la même manière que pour la distinction précédente, des tentatives ont été faites pour relier cette répartition à l’activation de différentes régions cérébrales, en suivant ici les hypothèses des neuroscientifiques Vilayanur Ramachandran et Edward Hubbard : si, dans les cas de synesthètes associateurs-projecteurs, il est surtout question d’une augmentation du flux sanguin vers des régions impliquées dans les processus de mémoire dans le premier cas, et des régions liées à des processus perceptifs et moteurs dans le second ; pour la distinction inférieur-supérieur, on a mentionné la plupart du temps le gyrus fusiforme d’un côté, et le gyrus angulaire de l’autre. Cependant, établir une relation directe entre ces différences anatomiques et les modèles conceptuels correspondants reste très difficile, du moins dans l’état actuel de nos connaissances. Il est reconnu que le cerveau des synesthètes semble fonctionner de manière légèrement différente par rapport à celui des non-synesthètes. Bien que cela soit un point de consensus, les détails et l’ensemble des conditions nécessaires pour déchiffrer ces phénomènes restent encore trop peu connus. Les critiques formulées à l’égard de la distinction entre synesthètes associateurs et projecteurs s’appliquent également ici ; il serait peut-être préférable d’utiliser les catégories d’inférieur et de supérieur uniquement en lien avec l’expérience donnée, et non avec l’ensemble du sujet.

34En général, la synesthésie peut être perçue non pas comme la défaillance ou l’apparition d’une fonction mentale particulière absente chez la plupart des individus, mais plutôt comme un « symptôme » — souvent bénéfique — qu’on ne serait pas encore en mesure de comprendre sous tous ses aspects. En 2011, dans l’une des études les plus complètes réalisées à ce jour, Novich et ses collaborateurs ont analysé plus de 19.000 personnes se déclarant synesthètes, en les regroupant en cinq macro-clusters. Ces groupes ont été définis en fonction de la phénoménologie des concurrents, et il a été observé que les sujets appartenant aux mêmes clusters partageaient souvent deux formes ou plus de synesthésie (environ 80 % des cas)51. Les cinq groupes identifiés étaient les suivants : séquences colorées (généralement associées à des séries ordonnées tels que lettres, nombres, heures de la journée, noms de villes, etc.) ; musiques colorées (déclenchées par des inducteurs sonores comme la hauteur, le timbre, l’accord ou le nom de l’instrument) ; sensations colorées (liées aux qualités tactiles, aux émotions, aux concepts, ou encore aux expériences olfactives et gustatives) ; séquences spatiales (avec des représentations tridimensionnelles d’éléments dans une séquence) ; et accouplements non visuels (englobant des associations où les concurrents sont tactiles, sonores, olfactifs, gustatifs, etc.).

35Cette approche par « étiquettes collectives » peut s’avérer utile, notamment pour la vérification — encore à accomplir — des substrats neuronaux. Cependant, il faut rappeler que ces définitions sont toujours en cours en développement et, surtout, que l’article de Novich et collaborateurs ne se concentre que sur 22 types de synesthésie, un nombre probablement insuffisant pour couvrir les nombreuses combinaisons possibles.

5. Conclusion

36Nous arrivons ainsi à la dernière question que je voudrais aborder pour conclure cet article : que se passe-t-il réellement dans le cerveau et le corps d’un synesthète ? Nous n’avons pas de réponses définitives à ce sujet, bien sûr, mais les principaux modèles explicatifs semblent se diviser en deux grandes hypothèses, toutes deux reposant sur l’idée commune d’une hyper-connectivité entre différentes régions cérébrales. D’une part, certains chercheurs suggèrent un dysfonctionnement de nature « structurelle » des mécanismes normaux d’élagage synaptique (synaptic pruning) pendant la phase de développement neuronal, selon lequel on pourrait faire l’hypothèse que nous naissons tous synesthètes mais que seuls certains d’entre nous le restent jusqu’à l’âge adulte (théorie de l’activation croisée, 2001)52. De l’autre, certains chercheurs ont plutôt opté pour un affaiblissement « fonctionnel » des processus régulant le flux des informations sensorielles vers ce qu’on appelle une région de convergence : une théorie de la rétroaction désinhibée (également de 2001)53 qui a été développée, par exemple, dans les recherches sur l’hypnotisme de Cohen Kadosh, dont nous avons parlé auparavant. Suivant cette théorie nous serions toutes et tous des synesthètes « en puissance », comme le montrerait la possibilité d’un développement de formes temporaires (induite) du phénomène, bien qu’un petit nombre d’entre nous seulement — à certaines occasions particulières — puisse le devenir « en acte ».

37Une des conclusions les plus fréquentes consiste à ne pas opposer ces deux interprétations de l’origine des synesthésies, mais plutôt à tenter de les intégrer. Elles pourraient, en effet, rendre compte de mécanismes distincts se rapportant à la même gamme d’expériences : d’un côté, les mécanismes d’ordre uni-sensoriel pour la théorie de l’activation croisée, et de l’autre, les mécanismes d’ordre multi-sensoriel pour la théorie de la rétroaction désinhibée. De plus, ces deux approches soulignent une certaine continuité entre la perception de la population générale et celle des synesthètes (surtout la théorie de la rétroaction désinhibée, bien sûr) : cela a conduit plusieurs chercheurs en sciences humaines et sociales, comme nous l’avons évoqué plus tôt, à élargir considérablement le champ d’application de la notion de synesthésie. Elle est ainsi utilisée comme un dispositif « théorique » pour modéliser les relations entre esprit, corps et société, ou comme un mécanisme permettant d’analyser l’expérience cinématographique ou photographique, par exemple54. Cela nous mène à l’un des débats les plus complexes de toute l’histoire et la théorie de cette notion ambiguë : celui concernant le caractère « exceptionnel » ou pas des synesthésies. Ce débat oppose ceux qui considèrent les synesthésies comme proches des perceptions normales, et ceux qui, au contraire, soulignent leur singularité et leur divergence. Selon la première hypothèse, les synesthésies pourraient être comprises au sein d’un continuum plus large de correspondances inter-, multi-, ou cross-sensorielles, qui, tout comme les synesthésies, impliquent une interaction automatique entre différentes modalités sensorielles. Toutefois, à la différence des synesthésies, ces correspondances se caractérisent par une prévisibilité, une bidirectionnalité, et une certaine universalité ou intelligibilité des associations55.

38Selon la seconde hypothèse, et en laissant de côté les degrés intermédiaires, certains chercheurs soutiennent que les perceptions normales et les « caprices » associatifs d'une synesthésie partagent très peu de points communs. Bien que certaines similitudes indéniables puissent exister, tout comme des mécanismes neuronaux communs, il subsisterait des différences fondamentales (relatif vs absolu, transitif vs intransitif, malléable vs rigide, unidirectionnel vs bidirectionnel, etc.) qui distingueraient nettement ces deux phénomènes. Les frontières exactes restent à préciser, et presque toutes les études insistent sur la nécessité d’approfondir notre compréhension de leurs relations mutuelles. Une chose semble toutefois claire, et c’est sur ce point que nous conclurons cet aperçu : l’« extravagance » associative inhérente à la synesthésie, ainsi que son contraste frappant avec la croyance populaire56 en une séparation nette des cinq sens, ont permis et continuent de favoriser une transformation profonde de nos conceptions de la perception. Ces évolutions tendent à accorder un rôle de plus en plus important aux dynamiques multisensorielles. Ce qui pourrait s’avérer utile, à ce stade, serait de réfléchir plus en profondeur sur les frontières des différents phénomènes sensoriels, plutôt que de chercher — comme cela arrive parfois — à les dissoudre sans distinction, selon des positions théoriques préconçues.

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Notes

1 V. Ferry, R. M. Zagarella, « Sentir en commun. Une approche rhétorique de la sociabilité », Rivista Italiana di Filosofia del Linguaggio, 9, 2015, p. 96.

2 D. Heller-Roazen, « Company », October, 117, 2006, p. 36. Pour se limiter ici aux développements occidentaux du terme : S. Butler, A. Purves (éd.), Synaesthesia and the Ancient Senses, Durham, Acumen, 2013 ; F. Bouchet, A.-H. Klinger-Dollé (éd.), Penser les cinq sens au Moyen Âge. Poétique, esthétique, éthique, Paris, Garnier, 2015 ; T. Tornitore, Scambi di sensi. Preistorie delle sinestesie (sec. XV-XVII), pres. di M. David, post. di R. Pierantoni, Torino, CST, 1988.

3 J. Simner et al., « Synaesthesia: The prevalence of atypical cross-modal experiences », Perception, 35, 8, 2006, p. 1024-1033.

4 Selon Sean Day, chercheur multi-synesthète et ancien président de l’American Synesthesia Association de 2001 à 2015. Cf. son blog http://www.daysyn.com/Types-of-Syn.html (qui s’appuie sur plus de mille témoignages), ou son récent ouvrage Synesthetes: A Handbook (San Bernardino, International Foundation Artecittà, 2016).

5 Selon deux neuroscientifiques et auteurs à succès comme Richard Cytowic et David Eagleman (2009).

6 Voir A. Luria [1968], L’homme dont le monde volait en éclats, préf. d’O. Sacks, trad. de F. Mariengof et N. Rausch de Traubenberg, avec la collab. de Mme Chaverneff, Paris, Seuil, 1995 ; D. Tammet D. [2006], Je suis né un jour bleu, trad. de N. C. Ahl, Paris, Les Arènes, 2007 ; ou N. Rothen et al., « Enhanced memory ability: Insights from synaesthesia », Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 36, 8, 2012, p. 1952-1963.

7 Chez les personnes autistes, la fréquence de synesthètes serait presque trois fois plus élevée (18,9 %) que pour un groupe adulte témoin (7,2 %) : cf. S. Baron-Cohen et al., « Is synaesthesia more common in autism? », Molecular Autism, 4, 40, 2013, p. 1-6 [en ligne].

8 G. A. Reichard, R. O. Jakobson, E. Werth, « Language and synesthesia », Word, 5, 2, 1949, p. 224.

9 D. Alighieri, Enfer (V, 28). Concernant la situation française pendant la seconde moitié du XIXe siècle et le cas de Rimbaud en particulier (la poésie citée est « Métropolitain »), le discours est complexe : de nombreuses publications font référence à ce sujet, mais les études d’ensemble sont rares. On peut se référer, au moins, à Hernández Barbosa (2013), Estay Stange (2014) et Nicolas (2020).

10 Cf. V. S. Ramachandran, W. Hirstein, « The science of art: A neurological theory of aesthetic experience », Journal of Consciousness Studies, 6, 6/7, 1999, p. 15-51. Pour une approche plus récente, voir Sathian, Ramachandran (2020).

11 On pense ici à certaines orientations récentes observées en marketing, en communication, en architecture, en media studies, etc. On peut consulter, en se limitant au seul champ du design : D. Riccò, Sinestesie per il design. Le interazioni sensoriali nell’epoca dei multimedia, pref. di G. Anceschi, Milano, ETAS, 1999 ; M. Haverkamp [2008], Synesthetic Design: Handbook for a Multi-Sensory Approach, trad. by M. Dudley, Basel, Birkhäuser, 2012 ; ou K. Gsöllpointner et al. (éd.), Digital Synaesthesia: A Model for the Aesthetics of Digital Art, Berlin – Boston, De Gruyter, 2016.

12 Voir T. L. Hankins, « The ocular harpsichord of Louis-Bertrand Castel ; Or, the instrument that wasn’t », Osiris, 9, 1994, p. 141-156 ; ou, plus en détail, C. Gepner, Le Père Castel et le clavecin oculaire. Carrefour de l’esthétique et des savoirs dans la première moitié du XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2014.

13 Dans une très abondante bibliographie, il faut considérer au moins les travaux de G. Berghaus, « A theatre of image, sound and motion: On synaesthesia and the idea of a total work of art », Maske und Kothurn, 32, 1/2, 1986, p. 7-28 ; M. Lista, L’Œuvre d’art totale à la naissance des avant-gardes, 1908-1914, Paris, CTHS – INHA, 2006 ; T. Picard, L’art total. Grandeur et misère d’une utopie (autour de Wagner), Rennes, PUR, 2006 ; H. M. Brown, The Quest for the Gesamtkunstwerk and Richard Wagner, Oxford – New York, Oxford UP, 2016.

14 « Dans l’ère des médias numériques omniprésents, la synesthésie est partout » (traduction par l’auteur) : M. Whitelaw, « Synesthesia and cross-modality in contemporary audiovisuals », The Senses & Society, 3, 3, 2008, p. 260.

15 « À ce stade, il va sans dire que le cinéma est et a toujours été une expérience synesthésique » (traduction par l’auteur) : J. M. Barker, « Haunted phenomenology and synesthetic cinema », Studia Phænomenologica, 16, 2016, p. 373. Une des racines les plus profondes de cette idée se trouve notamment dans les écrits du philosophe Maurice Merleau-Ponty, en particulier dans sa Phénoménologie de la perception (1945, chap. “ Le sentir ”). Voir en ce sens A. J. Abath, « Merleau-Ponty and the problem of synaesthesia », in Deroy (2017, p. 151-165).

16 « Ce qui nous fournit la base neurologique pour l’apprentissage et le comportement enactifs, incarnés et multimodaux » (traduction par l’auteur) : R. Williams et al., « Synesthesia: From cross-modal to modality-free learning and knowledge », Leonardo, 48, 1, 2015, p. 52.

17 Cf. par exemple la vue d’ensemble proposée par J.-M. Hupé, M. Dojat, « A critical review of the neuroimaging literature on synesthesia », Frontiers in Human Neuroscience, 9, 103, 2015, p. 1-37.

18 J. Ward, « Synaesthesia: A distinct entity that is an emergent feature of adaptive neurocognitive differences », in Fisher, Tilot (2019, p. 1-13).

19 Des évaluations récentes estiment que 64 % des synesthésies sont concernées, mais même dans ce cas — la discussion reste ouverte. Fassnidge et al. (« A deafening flash! Visual interference of auditory signal detection », Consciousness and Cognition, 49, 2017, p. 15-24, 2017) soulignent, par exemple, qu’une typologie de synesthésie « nouvelle », qu’ils appellent vEAR (visually-evoked auditory response), consiste en la perception d’un son à la suite de la vision d’un mouvement rapide ou intermittent, en l’absence de toute stimulation auditive. Ce phénomène, s’il est vraiment susceptible d’être classé parmi les synesthésies, pourrait concerner plus de 20 % de la population générale.

20 É. A. Caspar, R. Kolinsky, « Revue d’un phénomène étrange : la synesthésie », L’Année psychologique, 113, 4, 2013, p. 641 (italiques ajoutés par mes soins).

21 Voir D. Nikolić, « Is synaesthesia actually ideaesthesia? An inquiry into the nature of the phenomenon », Proceedings of the Third International Congress on Synaesthesia, Science & Art, Granada (April, 26–29), 2009 ; ou A. Kirschner, D. Nikolić, « One-shot synesthesia », Translational Neuroscience, 8, 1, 2017, p. 167-175.

22 « Nous avons plus de certitude sur ce qu’est la synesthésie que sur ce qu’elle n’est pas » (traduction par l’auteur). M.-E. Lynall, C. Blakemore, « What synesthesia isn’t », in Simner, Hubbard (2013, p. 959).

23 De son Compendium der physiologischen Optik. Für Mediciner und Physiker (Kreidel’s Verlag, Wiesbaden 1872) à son article « Association der Worte mit Farben » (dans Archiv für Augenheilkunde, 11, 1882, p. 96).

24 S. Baron-Cohen et al., « Hearing words and seeing colours: An experimental investigation of a case of synaesthesia », Perception, 16, 6, 1987, p. 761-767.

25 C. Craver-Lemley, A. Reeves, « Is synesthesia a form of mental imagery? », in S. Lacey, R. Lawson (éd.), Multisensory Imagery, New York et al., Spinger, 2013, p. 185-206.

26 O. Sacks [2007], Musicophilia – La musique, le cerveau et nous, trad. par C. Cler, Seuil, Paris 2009.

27 On peut consulter, du point de vue historique et culturel : J.-P. Guillerm (éd.), Des mots et des couleurs II, Lille, PUL, 1986 ; J. Le Rider, Les couleurs et les mots, Paris, PUF, 1997 ; J. Gage, Colour and Meaning: Art, Science, and Symbolism, London, Thames and Hudson, 1999 (en part. p. 261-268) ; et J. Müller-Tamm, « The colours of vowels: Synaesthesia in physiology and aesthetics, 1850–1900 », Word & Image, 36, 1, 2020, p. 18-26.

28 K. J. Barnett et al., « Familial patterns and the origins of individual differences in synaesthesia », Cognition, 106, 2, 2008, p. 871-893.

29 R. E. Cytowic, « Synesthesia: Phenomenology and neuropsychology. A review of current knowledge », Psyche, 2, 10, 1995 [en ligne].

30 G. Pareti, « Il 5 è rosso e maschile. Siamo tutti sinesteti nel nostro intimo ? », Confinia Cephalalgica et Neurologica, 30, 2, 2020, p. 88.

31 S. J. Gould, R. C. Lewontin, « The spandrels of San Marco and the Panglossian paradigm: A critique of the adaptationist programme », Proceedings of the Royal Society of London. Series B, 205, 1161,‎ 1979, p. 581-598.

32 N. Witthoft, J. Winawer, « Learning, memory, and synesthesia », Psychological Science, 24, 3, 2013, p. 258-265.

33 R. Cohen Kadosh et al., « Induced cross-modal synaesthetic experiences without abnormal neuronal connections », Psychological Science, 20, 2, 2009, p. 258-265.

34 J. L. Chabalier, « De la pseudochromesthésie », Journal de médecine de Lyon, 1, 2, 1864, p. 102.

35 Au sein d’une bibliographie vraiment vaste, il faut au moins considérer : V. Segalen, « Les synesthésies et l’école symboliste », Mercure de France, 150, 1902, p. 57-90 ; R. Étiemble, Le sonnet de voyelles. De l’audition colorée à la vision érotique, Paris, Gallimard, 1968 ; Y. Reboul Y., Rimbaud dans son temps, Paris, Garnier, 2009 (en part. p. 223-248 « Voyelles sans occultisme »).

36 O. Deroy, C. Spence, « Training, hypnosis, and drugs: Artificial synaesthesia, or artificial paradises? », Frontiers in Psychology, 4, 660, 2013, p. 1-15 [en ligne].

37 Voir D. Smilek et al., « Synaesthesia: A case study of discordant monozygotic twins », Neurocase, 8, 4, 2002, p. 338-342 ; ou H. G. Bosley, D. M. Eagleman, « Synesthesia in twins: Incomplete concordance in monozygotes suggests extragenic factors », Behavioural Brain Research, 286, 2015, p. 93-96.

38 R. E. Cytowic [1989], Synesthesia: A Union of the Senses, 2nd ed., foreword by A. K. Ommaya and J. Cole, Cambridge (MA) – London, The MIT Press, 2002, p. 69.

39 Il faut citer, en premier lieu, les travaux des anthropologues canadiens David Howes et Constance Classen, par exemple leur ouvrage Ways of Sensing: Understanding the Senses in Society (London – New York, Routledge, 2014, en part. p. 152-174), ou encore l’ambitieux projet en quatre volumes Senses and Sensation: Critical and Primary Sources (London et al., Bloomsbury, 2018), qui tente de collecter 101 écrits fondamentaux sur le sujet.

40 J. Jewanski et al., « The evolution of the concept of synesthesia in the nineteenth century as revealed through the history of its name », Journal of the History of the Neurosciences, 29, 3, 2020, p. 259-285.

41 D. D. Luke, D. B. Terhune, « The induction of synaesthesia with chemical agents: A systematic review », Frontiers in Psychology, 4, 753, 2012, p. 1-12 [en ligne].

42 Cf. par exemple le contraste entre J. Ward, T. Wright, « Sensory substitution as an artificially acquired synaesthesia », Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 41, 2014, p. 26-35 ; et L. P. Kirsch, et al., « Mixing up the senses: Sensory substitution is not a form of artificially induced synaesthesia », Multisensory Research, 34, 3, 2020, p. 297-322.

43 B. Brogaard, « Serotonergic hyperactivity as a potential factor in developmental, acquired and drug-induced synesthesia », Frontiers in Human Neuroscience, 7, 657, 2013, p. 1-13 [en ligne].

44 Cf. par exemple, M. Sollberger, « Synaesthesia and the relevance of phenomenal structures in perception », Abstracta, 5, 2, 2009, p. 139-153 ; et M. Sollberger, « Rethinking synesthesia », Philosophical Psychology, 26, 2, 2013, p. 171-187.

45 J. D. Blom, A Dictionary of Hallucinations, New York et al., Springer, 2010. Cf. aussi J. D. Blom, « Defining and measuring hallucinations and their consequences », in D. Collerton, et al. (éd.), The Neuroscience of Visual Hallucinations, Chichester, Wiley-Blackwell, 2015, p. 32, où, sur une liste de plus de trente manifestations différentes, la synesthésie est la seule qui ne dispose pas d’une référence historique précise.

46 Ça arrive très rarement de confondre couleur synesthésique et couleur réelle. Du reste, pour d’autres auteurs, cette notion de pseudo-hallucination possède des frontières cliniquement trop floues pour être utilisée.

47 B. Nanay, « Hallucination as mental imagery », Journal of Consciousness Studies, 23, 7/8, 2016. p. 65-81 ; B. Nanay, « Synesthesia as (multimodal) mental imagery », Multisensory Research, 34, 3, 2020, p. 281-296.

48 À ce sujet, voir en particulier : D. Smilek et al., « Synesthetic photisms influence visual perception », Journal of Cognitive Neuroscience, 13, 7, 2001, p. 930-936 ; et M. J. Dixon et al., « Not all synaesthetes are created equal: Projector versus associator synaesthetes », Cognitive, Affective, & Behavioral Neuroscience, 4, 3, 2004, p. 335-343.

49 V. S. Ramachandran, E. M. Hubbard, « Synaesthesia — A window into perception, thought and language », Journal of Consciousness Studies, 8, 12, 2001, p. 3-34.

50 J. Jewanski et al., « A colorful albino: The first documented case of synaesthesia, by Georg Tobias Ludwig Sachs in 1812 », Journal of the History of the Neurosciences, 18, 3, 2009, p. 293-303.

51 S. Novich et al., « Is synaesthesia one condition or many? A large-scale analysis reveals subgroups », Journal of Neuropsychology, 5, 2, 2011, p. 353-371.

52 V. S. Ramachandran, E. M. Hubbard, « Psychophysical investigations into the neural basis of synaesthesia », Proceedings of the Royal Society B, 268, 1470, 2001b, p. 979-983. Voir également : E. M. Hubbard, D. Brang, V. S. Ramachandran, « The cross-activation theory at 10 », Journal of Neuropsychology, 5, 2011, p. 152-177.

53 P. G. Grossenbacher, C. T. Lovelace, « Mechanisms of synesthesia: Cognitive and physiological constraints », Trends in Cognitive Sciences, 5, 1, 2001, p. 36-41.

54 Cf. P. E. S. Freund, « Social synaesthesia: Expressive bodies, embodied charisma », Body & Society, 15, 4, 2009, p. 21-31 ; S. Casini, « Synesthesia, transformation and synthesis: Toward a multi-sensory pedagogy of the image », The Senses and Society, 12, 1, 2017, p. 1-17 ; ou E. Morselli, « Eyes that hear. The synesthetic representation of soundspace through architectural photography », Ambiances, 5, 2019, p. 1-30 [en ligne].

55 Nous pensons ici à des phénomènes bien connus, tels que la correspondance entre des sons arbitraires comme baluba ou takete et des formes visuelles arrondies ou dentelées, ou encore à de véritables illusions comme celle du ventriloque ou l’effet McGurk (où un son /da/ est perçu à la place de /ba/ en raison de la vision d’une bouche prononçant /ga/), l’effet de rebond (motion-bounce effect), l’illusion de flash induite par le son (sound-induced flash illusion), etc. — autant de situations perçues de manière similaire par la majorité des individus. À ce sujet, voir C. O’Callaghan, « Seeing what you hear: Cross-modal illusions and perception », Philosophical Issues, 18, 1, 2008, p. 316-338.

56 Ceci est vrai en Occident, du moins. Cf. du point de vue des sciences humaines : R. Jütte [2000], A History of the Senses: From Antiquity to Cyberspace, trans. by J. Lynn, Cambridge, Polity, 2005 ; P. Vannini, D. Waskul, S. Gottschalk (éd.), The Senses in Self, Society and Culture: A Sociology of the Senses, New York – London, Routledge, 2012 ; ou Gélard M.-L., Les sens en mots, Paris, Pétra, 2017.

To cite this article

Leonardo Capanni, «Une perception « totale », harmonieuse et omniprésente. Quelques remarques sur ce que la synesthésie n’est pas», Bulletin d'Analyse Phénoménologique [En ligne], Volume 21 (2025), Numéro 5 : Perception amodale, intersensorialité, synesthésie (Actes n°15), URL : https://popups.uliege.be/1782-2041/index.php?id=1583.

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