depuis le 05 février 2011 :
Visualisation(s): 4 (0 ULiège)
Téléchargement(s): 1 (0 ULiège)
print        
Roland Breeur

La chair est tombée sur un os. Pour une micro-phénoménologie du squelette

(Volume 21 (2025) — Numéro 5 : Perception amodale, intersensorialité, synesthésie (Actes n°15))
Article
Open Access

Résumé

Comment le squelette se manifeste-t-il au sein des expériences que nous avons de notre corps ? Fait-il partie de notre « Leib » ou de notre « Körper » ? Comment cet « individu sec et imperturbable » hante-t-il la chair, hanter au sens sartrien du terme ? Voilà l’enjeu de cet essai.

Keywords : body, lifet

¿Quién es ciego en mis ojos?

(A. Gamoneda, Canción Errónea)

Pour Xavier1

Introduction

1La plupart d’entre vous connait sans aucun doute le célèbre passage des préambules où Descartes annonce que comme les comédiens qui entrent sur scène, lui aussi avance masqué. Le masque des comédiens sert avant tout à dissimuler la chair : la rougeur qu’ils ont sur le front… Quant au masque cartésien, on aura pas mal spéculé sur la nature de ce que pour lui, il était supposé cacher.

2Je ne m’y attarderai pas. Je cherche plutôt à mettre cette idée de masque en rapport avec ce passage de la deuxième méditation où Descartes s’attarde à la « considération de son être » et commence par énumérer ce qui forme « à première vue » ce qu’on désigne sous le nom de corps : c’est-à-dire « avoir un visage, des mains, des bras et toute cette machine composée d’os et de chair, telle qu’elle paraît en un cadavre »2. Bref, le corps et son squelette.

3Je sais évidemment que les os ont été rajoutés à l’original latin qui lui ne parle que de « membrorum machinam », mais puisque ces membres sont ceux « qualis etiam in cadavere cernitur », je ne m’attarderai pas non plus à l’une ou l’autre réflexion d’ordre philologique liée à la traduction effectuée par le duc de Luynes. Au fond, je ne sais même pas si ce que je vais aventurer dans les réflexions qui vont suivre s’accorde encore avec la pensée de Descartes. Je dirai modestement qu’elles s’en inspirent : rien de plus.

4Je suis supposé parler de perception modale, c’est-à-dire d’une des facultés de l’âme prise sous le registre de son rapport avec le corps. Mais justement, dans un texte bouleversant auquel je m’attarderai tout de suite, l’auteur espagnol Francisco Umbral parle de la moelle comme étant l’âme des os.

5En général, le squelette ne joue qu’un rôle secondaire — c’est-à-dire non vital — dans les modèles de corps comme machine, celui de charpente : il protège les viscères, et ses articulations permettent au corps de se mouvoir. Descartes, on le sait, ne s’y attarde pas : « Les os, dit-il, ainsi que le veines, les artères, l’estomac, le foie, la rate, le cœur, le cerveau, ni toutes les autres diverses pièces dont (sa machine) doit être composée »…, il les suppose « du tout semblables aux parties de notre corps qui ont les mêmes noms », et que vous pouvez, si le cœur vous en dit, aller admirer chez « quelque savant anatomiste », voire le boucher du coin. Ce qui l’intéresse dans son modèle digne de la science-fiction, ce sont les mouvements de ces parties, même invisibles, et les fonctions qu’ils représentent3. Et puisque sa machine a la force de se mouvoir d’elle-même, ces mouvements internes qui la peuplent n’ont nullement besoin d’âme pour fonctionner. Bref, sa « statue » ou « machine de terre » est avant tout une affaire de ressorts et de poulies, de tuyaux, de filets, de soufflets, etc., tous censés produire ou transmettre les mouvements.

6Or, il ne s’agit bien sûr que d’un « masque », un artefact, ou une imitation, dit-il, qui arrive à contrefaire les fonctions de la veille, et qui ne dépendent que de la disposition de nos organes : soit manger, marcher, respirer… et cette machine arrivera même à « imiter les mouvements qui se voient en nous, lorsque nous hésitons » .

7Puisque ces mouvements se conçoivent fort aisément « sans aucune âme végétative, sensitive, ni aucun autre principe de mouvement et de vie »4, on peut donc fort bien « imaginer », voire construire une machine sans sa charpente osseuse : et les exemples ne manquent pas. La plus symboliquement provocatrice me paraît être l’immense machine fabriquée par l’artiste belge Wim Delvoye qui imite la fonction digestive et produit littéralement des excréments, bref de la merde.

8Qui sait, c’est peut-être la présence du squelette qui distingue un corps organique de sa contrefaçon d’acier, ou de terre. Non pas principalement en raison du fait que cette structure serait elle-même une matière vivante (à base de protéines, des fibres collagènes et les cellules de la moelle). Mais parce que le squelette muni de ses 206 os, contrairement à une structure d’acier, habite et hante le corps propre ou « vécu » ; « hanter », un peu dans le sens que lui donne Sartre lorsqu’il dira que sous le regard d’autrui, mon moi « vient hanter la conscience irréfléchie » . C’est dès lors de l’idée de cette hantise que j’aimerais partir pour méditer sur le genre de perception à l’œuvre dans l’expérience que l’on fait de son squelette propre, au sens où on a coutume de parler de corps propre.

1. Röntgen

9C’est en 1895 que le physicien allemand Wilhelm Röntgen découvre l’existence des rayons X : ils lui auront valu l’obtention du premier prix Nobel de physique. La principale propriété de ces rayons est de traverser la matière en fonction de sa densité et de l’énergie du rayonnement. Le premier cliché célèbre est celui de la main de son épouse, Anna Bertha Röntgen, réalisé le 22 décembre 1895.

Image 1000000000000136000001C90C60E7AF.jpg

Fig. 1 Radiographie de la main de Anna Bertha Röntgen.

10Cette photo est célèbre, une main décharnée portant un anneau de mariage. Mais aussi célèbres sont ces photos de mains brûlées suite aux dommages causés par une exposition trop longue aux rayons. La réalité de ces rayons aura confronté l’être humain à une nouvelle idée de la mort. Celle de rayons invisibles — symboles d’une nouvelle science — qui détruisent et brûlent la chair, et celle du squelette habitant cette même chair. On trouve une très belle évocation de cette idée dans ce passage de la Montage magique où Thomas Mann décrit comment Hans Castorp, après avoir subi une radiographie, est invité par le médecin à venir voir sa propre main sur l’écran lumineux. Voici ce qu’il écrit :

Et Hans Castorp vit ce qu’il n’avait dû s’attendre à voir, mais ce qui, en somme, n’est pas fait pour être vu par l’homme, et ce qu’il n’avait jamais pensé qu’il fût appelé à voir ; il regarda dans sa propre tombe. Cette future besogne de la décomposition, il la vit […] et, au milieu de cela, le squelette, fignolé avec soin, de sa main droite […] Avec des yeux pénétrants de visionnaire, et pour la première fois de sa vie, il comprit qu’il mourrait5.

11La tradition phénoménologique nous a accoutumés à penser le corps dans des termes opposant Leib et Körper : dans cette perspective, la vue du squelette ne nous serait accessible que par le biais d’un regard objectivant, voire scientifique. Ce regard objectif est lui-même conçu comme un appauvrissement de notre contact originel avec les choses du monde : il déshumanise le corps, le réduisant à un objet de connaissance ou du savoir. Ce regard scientifique, d’après cette approche, n’habite donc pas le monde, il le survole. Il nous affranchit de la contexture originelle des choses, qui est de l’ordre du sensible et du sens, pour nous élever au niveau des idées claires mais objectivantes.

12Certes, mais la pensée cartésienne nous a aussi appris à éviter les confusions. Au fond, la pensée merleau-pontienne sur la perception part de ce que Arnauld aurait surnommé une pensée douce, suave et convenable pour expliquer les choses : c’est-à-dire qu’il part des effets alors qu’une explication demande les causes. Expliquer le prodige ou cette « communion sacramentelle » qu’est la vision en renvoyant à, et en célébrant l’existence d’une foi perceptive, ou décrire comment une conscience s’incarne au monde en parlant du corps comme d’une « puissance de monde » ne relève pas moins d’un esprit de tautologie que celui qui cherche à expliquer les raisons du battement du cœur par un renvoi à l’une ou l’autre « qualité pulsifique ». Pour citer Arnauld :

Que si n’étant pas contents de ces mots, qui ne vous donnent aucune idée claire et distincte, vous vous demandiez ce que c’est donc que ces qualités pulsifiques et cette puissance de monde, on vous dira que vous êtes téméraire, qui osez rejeter ce qui est reçu de tout le monde, et que ces qualités et puissances ne se connaissent que par ses effets, qu’il ne faut pas demander davantage, etc.6

13Pour accéder à l’ordre des causes, il faut donc avant tout « réduire », au sens husserlien de mettre entre parenthèses, l’impulsion que l’on a de se fier aux « jugements naturels » (Malebranche) propres aux sensations. C’est cette « suspension » de jugement que Descartes met en pratique dans le premier chapitre du Traité sur le monde.

14Le but est de nous faire concevoir « qu’il peut y avoir de la différence entre le sentiment que nous avons (par exemple d’une flamme), c’est-à-dire l’idée qui s’en forme en notre imagination par l’entremise de nos yeux, et ce qui est dans les objets qui produit en nous ce sentiment »7. On se laisse en effet trop facilement duper par des idées que nous croyons être semblables aux objets dont elles procèdent. Souvent la sensation, et la représentation que l’on se forme à l’occasion de ce qu’elle nous fait sentir, ratent leur cible : comme dans l’exemple du gendarme dont parle Descartes. Celui-ci se croit blessé, alors que ce sentiment était produit par une boucle ou courroie calée « sous ses armes », et non pas par l’épée de son ennemi. C’est un phénomène troublant : elle nous oblige à comprendre qu’à l’origine, il n’y a peut-être rien de semblable à ce que ces idées sensibles nous donnent à croire et à voir.

15Penser veut dire distinguer, bref éviter les confusions : celles qui par exemple brouillent l’effet et sa cause, le monde des sensations et celui des idées claires et distinctes, le vécu et l’entendement. Poser ces distinctions signifie donc aussi ou surtout délimiter des domaines ou des registres : celui issu de l’agencement de l’entendement procédant par idées claires et distinctes, et celui déterminé par les idées confuses. Dans le premier, la pensée conçoit le corps à partir des notions appartenant à la matière comme res extensa, c’est-à-dire matière inerte et divisible à l’infini — c’est à ce niveau qu’il faut situer le traité de l’homme ou l’anatomie mécanique du corps. L’autre registre est celui partant des représentations issues de l’union de l’âme et du corps : c’est dans ce registre qu’on sait par expérience que « l’âme est véritablement jointe à tout le corps et qu’on ne peut pas proprement dire qu’elle soit en quelqu’une de ses parties à l’exclusion des autres »8. Ici, l’union nous fait vivre le corps comme « indivisible, à raison de la disposition de ses organes… ».

16C’est à ce niveau, je crois, que Descartes se situe lorsqu’il affirme « que je ne suis pas logé dans mon corps comme un pilote dans son navire, mais j’y suis conjoint très étroitement et tellement confondu et mêlé, que je compose comme un seul tout avec lui »9. Sans cela, au lieu de sentir la douleur, je ne m’apercevrais de la cause que par l’entendement, comme un pilote, en effet, qui s’aperçoit par la vue que quelque chose se rompt dans son vaisseau.

17Quantité de faux problèmes sont issus de la confusion de ces registres. Prendre l’attitude de l’entendement pour des questions de l’ordre du vécu — et se fier aux sensations pour établir des théories propres à l’entendement. En outre, bon nombre de penseurs ont cherché à combler l’écart en réduisant un domaine à l’autre : par exemple en cherchant à comprendre les représentations de l’entendement et de la science comme un appauvrissement aliénant de l’expérience dite originelle du monde.

18Confusion, en effet. Ce qui n’empêche toutefois pas d’imaginer comment des données du premier registre arrivent à hanter les pensées de l’autre. Je peux observer un corps et sa carcasse d’un regard distant et scientifique, cela va sans dire : mais leurs images peuvent aussi venir m’investir « du dedans ». Je trouve en cela très stimulant et même troublant cette image que donne Descartes du fontenier, installé devant « le regard » au sens de hublot ou lucarne et observant les tuyaux de sa machine10.

19Cette image me fait penser à ce film de SF de Richard Fleischer de 1966, intitulé Le voyage fantastique, dans lequel des médecins miniaturisés sont injectés, à bord du sous-marin miniature « Proteus », dans le corps de Benes afin d’aller y détruire un caillot de sang coincé dans son cerveau. Je me dis que le fontenier du Traité de l’homme, outre les ressorts, les tuyaux et le foisonnement des esprit animaux, a inévitablement dû percevoir le squelette. Il l’a vu du dedans… non pas à distance, mais en plein dedans, logé en lui.

2. Chair

20Je ne suis donc pas logé dans mon corps comme un pilote dans un navire : toutefois, dans ce navire que je suis réside un voyageur clandestin : le squelette. Partons donc des effets, du corps vécu ou de la chair, pour voir comment ce passager clandestin vient hanter notre « être-au-monde ».

21Hanter ne veut donc pas dire adopter le regard d’autrui, celui d’une conscience objectivante, mais éprouver « du dedans » la présence d’un aspect qui ne se laisse pas résorber dans notre rencontre avec les choses. Le corps, pour ainsi dire, est investi d’un élan intentionnel vers le monde, qui se manifeste comme un double mouvement, un mouvement « récessif » et l’autre « extensif », dans les termes de Drew Leder. Le corps est comme un point zéro qui s’investit dans le dévoilement des choses. Et dans cet élan vers les choses, les sens ne font que révéler les qualités de ce que l’on perçoit : je vois le bleu du ciel, je sens le sel de la mer, et le vent qui fait gonfler les voiles. Mais les sensations en tant que telles, je ne les perçois pas. Tout comme je ne perçois pas mon œil voyant : le sensible reste toujours du côté même de celui qui sent. Dans cette approche, les sensations ne sont que des manières de dévoiler les choses dans leur qualités immédiates. C’est pourquoi je n’ai pas de faible sensation d’un lointain, mais c’est le son même qui semble venir de loin. C’est donc du centre même du corps comme « nullpunkt » que s’organise une distribution du réel. Il y a donc toujours ce fait dynamique de dépassement continu du corps comme point immobile, cette conjonction d’une radicale mobilité et d’un point de gravité immuable. C’est d’ici que je suis là-bas. Or, cet ici, je ne le perçois pas, je le suis.

22Rien de surprenant dès lors à dire comme Malebranche, ou Francis Ponge, que l’on ignore pratiquement tout de son corps. Reconnaissons, pour parler dans les termes de Ponge, qu’on n’en a cure. C’est cet oubli du corps, cette « absence du corps », comme dit Drew Leder, qui caractérise notre rapport spontané et naïf au monde. On est, pour ainsi dire, toujours à la périphérie de son corps : je suis des yeux les lettres que tracent mon stylo, et non la main qui le dirige. Et si en courant, je sens comme une douleur, c’est avant tout aux chaussures que je l’attribue, et non aux pieds. Le corps se rétracte de son extension vers les choses. À moins d’avoir des crampes d’estomac, la machinerie digestive et toute son industrie chimique reste en retrait, voire « inconsciente » dans mon échange conscient avec les choses. C’est cet oubli des viscères et de cette machine interne que Drew Leder désigne donc comme le mouvement récessif, c’est-à-dire une récession dans la profondeur viscérale : les viscères, par exemple, et fort heureusement, ne font pas partie du pouvoir intentionnel et de notre investissement dans la manifestation des phénomènes11.

23Certes, mais tous ces mouvements et excursions corporelles dans le monde semblent doublés du dedans. Par exemple, chaque mouvement semble alourdi de l’intérieur par un dédoublement. Il est accompagné de celui perpétué clandestinement par le squelette : non pas « derrière mon dos », mais dans ma chair ! Comme un homunculus de phosphate de calcium, il habite le corps tout en subissant tous ses ébats du dedans. Lorsque je mords dans une pomme, je sens comme si le squelette lui-même serre ou desserre ses mâchoires ou mandibules. En général, alors qu’on a tendance à absorber le corps en entier dans la structure du vécu, le squelette, lui, reste en retrait et nous le fait sentir. Quand j’ai mal au derrière de rester trop longtemps assis, c’est comme si je sentais une pression venant du dedans. On dit qu’en général le squelette représente en moyenne 20 % du poids du corps : ce sont donc plus de 13 kilos qui s’enfoncent dans la chair de mes fesses comme dans un coussin moelleux. Ou quand je cours : je ressens bien sûr à chaque pas le goudron qui me martèle la plante des pieds. Mais aussi le tibia du squelette qui s’affaisse de tout son poids à l’intérieur de mes talons en étirant les tendons. Et puis le squelette se manifeste aussi par sa résonance propre : par exemple celle de la fort justement appelée boîte crânienne (avec sa voûte, son plancher et ses trois fosses…). Ce qui « littéralement » me frappe chaque fois que je me cogne à cette poutre, avant la douleur, c’est ce bruit sourd et bref de bois sec que forme ce cajon flamenco qu’est mon crâne. Ce retentissement, je l’entends du dedans, comme j’entends ma voix avec ma gorge, pour paraphraser Malraux.

24Ou prenons l’exemple du sommeil : Merleau-Ponty décrit quelque part le processus de l’endormissement comme celui d’une stratégie où je dispose mon corps de manière à attirer le sommeil et à me laisser envahir ou emporter par lui. Il faut ainsi mimer la posture du dormeur, faire comme si, attendant que le passage de la veille au sommeil se fasse. Or, ce passage s’annonce par une décontraction générale des muscles, ils s’étendent : le corps s’alourdit. C’est le moment où je sens comment le squelette pèse, c’est lui qui s’enfonce dans le matelas, c’est le crane qui plonge dans le coussin, écrasant la chair qui l’englobe.

25Néanmoins, il faut dire que le squelette reste assez discret et ne perturbe pratiquement jamais mon commerce avec les choses. Même si mes capacités motrices dépendent de lui. Et en cela il est têtu : très flexible d’un côté, mais si vous le forcez dans un autre, il se casse. Le squelette littéralement alourdit mon rapport dynamique avec le monde et l’espace (c’est l’une de raisons pour lesquelles l’être humain a du mal à s’envoler) : tout en restant en retrait, il est un voyageur discret mais obtus. Pris dans le mouvement extensif qui éclipse la présence du corps au profit du monde, le squelette disparaît avec lui. Mais il ne faut jamais le contrarier.

26Dans son ouvrage sur le corps « absent », Drew Leder joue avec le préfixe dis. En grec, dys renvoie à un élément exprimant un trouble : comme dans les termes dyscalculie, dyslexie, dysgraphie, dys-sophie… c’est aussi dans des moments de trouble que le corps dys-paraît : une douleur aigue ne se laisse parfois plus résorber dans mes activités motrices, une grippe intestinale manifeste l’existence des entrailles, de même les déformations du squelette, par exemple suite à l’arthrose et aux excroissances osseuses, nuisent aux mouvements ou aux articulations. Comme si le squelette avait décidé de bouger un peu, de grandir ou de faire des exercices de contorsion.

27Mais c’est surtout dans ce contexte précis de dys-parition que Sartre aborde le problème de la chair. Elle se manifeste à l’occasion de ces éclats du corps qui ne se laissent pas neutraliser au profit de mon rapport intentionnel. Elle est une épaisseur de réel qui ne se laisse pas diluer au profit des qualités sensibles des phénomènes, sans pour autant faire l’objet d’un regard objectivant. Comme si le corps me rattrapait par derrière, avec toute sa masse molle, vibrante et flasque qui pend au squelette comme des vielles loques à un porte-manteau. Je sens tout à coup qu’un lien indéclinable et inflexible me condamne à ce corps que je dépassais allègrement vers les choses. Loin d’être ce « milieu formateur » du sens du visible, la chair sartrienne est plus près d’un non-sens qui menace la cohésion du visible, qui gronde en lui, qui me rappelle malgré moi à ce corps alors que lui, pour sa part, m’expulse vers les choses. Ce lien non désiré, qui double et alourdit le lien spontané que le corps entretient avec les choses, c’est ce goût fade et nauséeux qui parfois me vient en bouche. Certes, tout comme l’œil ne perçoit pas son regard, la bouche ne goûte pas la saveur de sa langue. Ce goût est celui de la chair qui dys-paraît, qui s’impose au creux des deux mouvements : extensif et récessif. Ce goût, dit Sartre, « il m’accompagne jusque dans mes efforts pour m’en délivrer » : c’est, dit-il, « mon goût »12.

3. El Señorito

28Les premières photos à rayon X nous montrent une chair transparente parce que diluée en une sorte de vapeur lumineuse, blanchâtre et fantomale, au sein de laquelle ce dandy osseux pose devant l’objectif et nous dévisage de son regard vide. Il est là, il nous observe comme « un señorito » svelte, propret et soigné, bien fignolé et élégant ! Il ne lui manque plus que costume et cravate. Dans son ouvrage magnifique et singulier, Mortal y Rosa, Francisco Umbral établit un long monologue cherchant avant tout à conjurer la perte de son fils. Il parle d’un petit : et ce n’est que progressivement que l’on finit par se rendre compte que ce petit, ce n’est pas lui, mais son enfant. Surtout à l’occasion d’un passage où il écrit ceci :

Il y a une dimension du foyer que seul l’enfant découvre. De la personne démesurée qui le prend dans ses bras, seul un certain bouton l’intéresse. De la mer, seul un coquillage l’intéresse. Il sait réduire l’énorme à sa mesure, résumer le monde et se comprendre avec l’immense par le biais du petit13.

29On dirait que son livre est — par moments — structuré par l’antagonisme issu de ces deux perspectives : celui du petit qui réduit l’énorme à sa mesure, et l’adulte qui enfle sa mesure à quelque chose d’énorme. C’est aussi au creux d’une de ces méditations que l’auteur s’arrête et se penche sur l’image du squelette.

30« Parlons du squelette, de mon squelette, qui est celui que je connais le mieux, et pourtant je ne le connais pas du tout, parce que le squelette est la grande inconnue »14. Je paraphrase et traduit plus ou moins ce qu’il en dit :

Il dit comment, un peu pareil au corps, il y a un autre « señor » qui vit sa vie en nous et qui n’est pas mort, loin de là. Depuis que la radiographie existe, ce type a appris à prendre des poses, à poser, et on quitte l’hôpital avec l’assurance de porter en nous un squelette, une armature, quelque chose de bien dur en nous. Ce squelette en nous est un type ascétique et antipathique, un ermite, un solitaire, un contemplatif, un mystique insensible. Il ne réagit qu’aux coups, et ne connaît pas la caresse. C’est au moment où tu lui tapes dessus que tu comprends avoir une dureté humaine en toi, d’être quelque chose d’inflexible et physiologiquement têtu. Sa psychologie est celle d’une absolue intransigeance, intolérance. Le squelette est un de nos ancêtres. Quand nous voyons une radiographie de notre squelette, nous pensons à la ressemblance avec le grand-père, dont ne nous ne nous souvenons que le jour où il a dû être exhumé. Bref, nous portons l’ancêtre en nous, et non seulement dans l’âme. Et cet ancêtre s’ennuie, il a honte de nos fornications, en plus il ne boit pas d’alcool et ne lit pas le journal. Ce qui l’intéresse, c’est aller à la guerre : c’est pour cela qu’il est si dur, si ferme. Le squelette est un peu militaire sur les bords… Au fond, seuls les contorsionnistes ont pu imposer une culture à leur squelette, mais c’est évidemment une culture de cirque.

L’écrivain Italien Pitigrilli (nom de plume de Dino Segre) affirmait que l’élégance est une question de squelette. Aussi, la fonction la plus noble du squelette est celle de cintre. C’est la seule façon de se racheter un peu. La chair sera évaporée pendant que le squelette, l’ancêtre, lui restera. La chair, c’est pure actualité – l’os c’est l’éternité15.

31Or, c’est selon moi cet individu sec et imperturbable, dur et intransigeant, qui ne baise pas ni ne bois, qui vient du passé et file vers l’éternel, c’est lui qui hante la chair, au sens de Sartre. Prenons l’exemple de l’anorexie : Il y a dans la rage anorexique la hantise d’un corps dur, sec et décharné. C’est comme si, il ou elle sentait du dedans un appel le poussant à se dépouiller de sa chair, à se dégraisser et se débarrasser de toute cette masse de viande molle qu’est le corps, afin de perdre enfin le goût de la chair, « mon goût ». Dans cet assainissement, l’anorexique investit la faim et le besoin et en joue comme d’un désir : et ce désir est celui qui se délecte du rien et du refus de manger quoi que ce soit.16 Son nihilisme sec s’acharne sur tout ce qui le rappelle au vital : l’idéal est d’atteindre la contemplation de l’ermite. Voir le monde et ses nourritures terrestres sans être affecté ou tenté ; vaincre sa faim est un devoir, comme une prière ascétique quotidienne avec un fanatisme digne d’un chartreux. L’image du corps anorexique — on le sait — ne correspond à aucun critère esthétique. On dit que l’anorexique a une fausse image de soi et de ce qui est beau. C’est faux : il s’en moque. Ce qu’il voit et cherche à faire transparaître c’est le squelette en lui. Ce qu’il cherche à atteindre c’est la transparence du corps. La chair doit fondre comme du gras pour ne laisser qu’une peau aussi sèche et dure qu’un parchemin. La peau est une radiographie, qui en même temps révèle et cache ce militaire osseux en nous. De là cette image macabre du corps anorexique : on ne voit plus la chair, mais des os. Le corps doit être dur et insensible comme des os. Ce qu’il y a de plus propre en nous, ce sont les os : inodores et insipides.

32Ainsi, l’idéal dans l’imaginaire anorexique est en quelque sorte la face inverse et complémentaire du fantasme ou de l’image du zombie17. Celle-ci exprime la hantise d’une chair morte qui, au-delà de la vie, n’en finit pas de pourrir. Au contraire, l’imaginaire anorexique est celui d’un idéal de sérénité : celui d’un être sec aussi insensible qu’une momie, et qui n’a nul besoin de mourir, vu que jamais, il n’a vécu. S’il pouvait manger du sable, il le ferait, dans l’espoir qu’à chaque digestion, sa chair peu à peu se changerait en verre ou en cristal.

4. Autoportrait

33Dans La Prisonnière, Proust décrit comment certains traits de caractère relient involontairement M. de Guermantes avec un passé dont aucun membre de sa famille n’a pu garder quelque mémoire. Ainsi, dit le narrateur, « dans les manières de M. de Guermantes, homme attentif de gentillesse et révoltant de dureté, [...] je retrouvais encore intact après plus de deux siècles écoulés cette déviation particulière à la vie de cours sous Louis XIV ».18 Involontairement, il transmet dans ses gestes et ses attitudes, un ensemble singulier de passions et de sentiments qui semblent directement transmis depuis un passé immémorial, de génération en génération. C’est donc comme si ce passé lui-même, inaltéré, s’imposait en lui, le gouvernait, non pas en raison de l’une ou l’autre signification exclusive ou par désir de le préserver. Ce n’est donc nullement en raison de sa fonction vitale que ce passé se transmet, au contraire19, ni par usure, mais précisément parce qu’il reste en dessous et en dehors de nos rapports volontaires avec les choses. Il renvoie ainsi à un passé de manière directe, sans la médiation de pensées ou d’intentions, il tente de trouer la chair, le sens, évoquant la présence clandestine d’un passé qui depuis nos lointains aïeuls ne passa pas, et dont au demeurant personne n’a quelque souvenir. Ce passé s’impose, involontairement et sans utilité aucune. Il est là, inflexible, veillant avec une résistance inexplicable à toute forme d’adaptation. Cette transmission, voilà ce que j’appellerais l’âme des os, leur moelle.

34Je ne pourrais imaginer façon plus concluante pour illustrer ce que Francisco Umbral suggérait à propos de nos aïeuls perdurant en nous sous la forme dure et intraitable du squelette. Ces aïeuls, ce n’est pas le sens, ni l’histoire ni la vie qu’ils insufflent en nous et font perdurer dans la chair : mais ils la hantent de leur tronc insensible, nous contemplant du dedans de ce regard vide et indocile qui se cache derrière nos yeux, ou en imposant à nos gestes, comportements ou physionomie cet accent de famille : l’index courbé, le nez plat, tordu, convexe ou concave, cette démarche souple et élastique, ou plutôt raide et lourde, etc. Il y a comme une transmission directe du passé autour duquel nos chairs ou nos corps, nos expériences et désirs, ne font que pendre comme des chemises à un cintre.

35Dans son livre déjà cité sur le corps absent, The Absent Body, Drew Leder aborde aussi la façon dont petit à petit le corps, dans son mouvement récessif, absorbe une prothèse. Si le corps l’accepte sans trop de signes de rejets ou d’infections, cette prothèse lui appartient et disparaît dans la structure de son ossature globale. Mais pourquoi ne pas imaginer le squelette entier comme une immense prothèse ? Toute une lignée de vie organique, de chairs incarnées dans une série de générations pour l’absorber : il est en nous et on ne s’en aperçoit pratiquement plus. Mais de quoi lui, ce squelette, serait-il bien une prothèse ? des aïeuls ? et eux ? de leurs ancêtres ? et ces ancêtres ? On glisse ainsi jusqu’à l’infini des temps… bref, le squelette est une prothèse de rien.

36Dans un petit texte surprenant, l’écrivain néerlandais de la génération Cobra, Rudi Kousbroeck, décrit son désarroi lorsque dans un article du Scientific American de mars 1972, il lit la description d’un ours des cavernes de l’époque géologique du pléistocène : il aurait disparu très rapidement. Il y avait sous une illustration représentant l’ossature de l’ours, l’inscription suivante : « Between the hind legs of the adult bear is the animal’s penis bone »20.

37Ça alors ! Ce membre avait-il donc un os ? On s’imagine aisément la fragilité de tel osselet. Certes, comme le suggère l’auteur scientifique, cet os — garantissant une érection perpétuelle — donnait des avantages aux mâles, c’est-à-dire qu’il leur épargnait des moments de gêne en compagnie des femelles. Mais cet avantage restait limité : combien d’ours n’ont pas souffert de fracture au moment le plus intense de leurs ébats. Depuis, on dirait que la nature a châtré et émasculé le squelette, obligeant celui-ci à prendre passivement part à toute nos activités et lubies sexuelles, comme tiers exclu !21 Ou en tant que mystique ascétique.

38Mais ce n’est pas tout : dans son livre, un peu avant le passage paraphrasé sur le squelette, Francisco Umbral médite sur le sens et la nature des érections matinales sans destinataires :

Accident quotidien [...] agressif et ostentatoire [...]. Il n’y aurait pas au monde de destinataires dignes de telles érections [...]. Cette vantardise érective va dirigée contre le néant, contre la femme inexistante d’ombre et de rêve22.

39Quelque part, on pourrait y voir comme l’érection du membre fantôme de nos aïeuls, l’ours des cavernes du pléistocène. Mais surtout, ce qui me frappe est l’idée qu’il ne s’érige pour rien, pointant du doigt le vide. Doublement fantomale, cette érection est celle d’un membre fantôme, d’un os perdu dans l’évolution de la chair et de la nature — mais en outre, le squelette lui-même, à qui cet os aurait dû appartenir, incarne ce néant, ou plutôt le matérialise. On a coutume de décrire la chair comme le masque du squelette : or, il faut tout inverser, dit Umbral. Notre visage c’est la vraie vie. Et souvent la tête de mort a été utilisée comme masque. Dès lors, nous portons le masque à l’intérieur, llevamos la mascara por dentro23 Toutefois, ce crane ou cette tête de mort, c’est le masque « que se pone la nada, el disfraz con que nos mira nadie », le masque que porte le néant, le déguisement avec lequel personne ne nous regarde.

40Comme je le notais plus haut dans une note de bas de page, le contenu, encore très imprécis et un peu intrépide de mon exposé, m’était venu en discutant avec un ami philosophe de Barcelone, alors qu’on descendait en voiture traversant l’Espagne, cheminant par l’ancien et bien connu champ de Montiel, pour rejoindre Ciudad Real, ville au milieu des plaines de Castilla La Mancha et dans laquelle devait se tenir cette année-là la réunion de la SEFE.

41L’ami me parlait du texte de Francisco Umbral, et de sa conférence dans laquelle il comptait parler du squelette, de l’idée du corps rendu transparent par les rayons X, etc. Tous ces éléments, je m’en suis bien entendu fortement inspiré. Je les ai incorporés. Mais aussi, à un moment donné, je me suis dit : au fond Don Quichotte, dont la statue ornait mainte place de village, qu’est-il, sinon un porte-manteau ou cintre ambulant, dont le reste de chair, et dont les idées chevaleresques, les amours imaginaires et ses épreuves n’étaient qu’une vérité dissimulant le néant, c’est-à-dire, ce rien qu’il est en tant que squelette ? Ce squelette que sa chair ne dissimule même plus ? Comme en étant le destin inéluctable et dont la chair même semble hantée ?

42Léon Spilliaert est un peintre, ami de James Ensor, bien connu pour ses paysages abstraits où le vide semble vomi par l’horizon. Comme son ami ostendais, la mort le hantait. Un tableau représente un canal bordé de saules têtard : en flamand, knotswilg. « Knots » veut dire massue, matraque, gourdin. Dans un catalogue, sous ce tableau on lit : « knoestige wilgenstronken lopen verticaal over het blad als opgestoken vuisten » (des souches de saule déambulent verticalement sur la feuille comme des poings levés)24 : Non, vraiment, je ne vois pas de poings levés… En revanche, il ne faut pas beaucoup d’imagination pour voir dans ces saules des os, des tibias et des rotules. C’est un paysage hanté par la mort.

43Plus célèbre est toutefois son autoportrait de 1908 : face à un miroir apparaît, comme sur une radiographie, un visage d’anorexique, au sein duquel transparaît une tête de mort : la peau réduite à du papier, les yeux creux, sans regard. Ce portrait résume bien le contenu de ce que j’ai tenté de suggérer. Ou pour le dire avec les mots de ce grand auteur qu’est Francisco Umbral : « No somos sino una sucesión de esbozos, y tras el último esbozo viene la máscara, la calavera »25 (Nous ne sommes qu’une succession de croquis, et après le dernier croquis vient le masque, la tête de mort).

Image 100000000000029A00000208D541A25D.jpg

Fig. 2 Autoportait de Léon Spilliaert.

Bibliographie

Arnauld A., Examen du traité de l’essence du corps, (1680), Corpus des Œuvres de Philosophie en Langue Française, Paris, Fayard, 1999.

Chapoutot J., Le Grand Récit, Paris, PUF, 2021.

Clair J., Éloge du visible, Paris, Gallimard, 1996.

Descartes R., Œuvres philosophiques, Édition de F. Alquié, Paris, Classiques Garnier, Tome II, 1999.

Kousbroeck R., Het Meer der Herinnering, Amsterdam, Meulenhoff, 1986.

Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, Le Seuil, Paris, 1994.

Leder D., The Absent Body, University of Chicago Press, 1990.

Proust M., Á la recherche du temps perdu, Paris, Pléiade, Tome III, 1988.

Sartre J.-P ;, L’être et le néant, Paris, Gallimard, 1943.

Léon Spilaert 1881-1946, Koninklijke Musea voor Schone Kunsten van België, Bruxelles, 1982.

Umbral F., Mortal y rosa (1975), Austral, Madrid, 2011.

Notes

1 Les propos qui vont suivre ont fortement été inspirés par une conversation que j’ai eue avec mon ami philosophe de Barcelone, Xavier Escribano (voir Appendix). Nous traversions les plaines de Castilla La Mancha, en route pour Ciudad Real, croisant les chemins parcourus par Don Quichotte et son disciple. Il m’a alors parlé du passage sur le squelette dans le livre inégalable de F. Umbral, Mortal y rosa (1975), Madrid, Austral, 2011. La conférence qu’il a donnée pour la SEFE (Sociedad Española de Fenomenologia : International Conference) en formait elle-même le sujet. Ce que je cherche à développer lui est donc très redevable : je considère mes modestes pensées comme un hommage à notre amitié.

2 R. Descartes, Œuvres philosophiques, Édition de F. Alquié, Paris, Classiques Garnier, Tome II, 1999, p. 417 (désormais FA, suivi du tome).

3 R. Descartes, Traité de l’homme, FA, I, p. 380-1.

4 R. Descartes : « que son sang et ses esprits, agités par la chaleur du feu qui brûle continuellement dans son cœur et qui n’est point d’autre nature que tous les feux qui sont dans les corps inanimés », ibid., p. 480.

5 Cité par J. Clair, Éloge du visible, Paris, Gallimard, 1996, p. 51.

6 A. Arnauld, Examen du traité de l’essence du corps, (1680), Corpus des Œuvres de Philosophie en Langue Française, Paris, Fayard, 1999, p. 94.

7 FA I, p. 480.

8 Traité des passions, art. 30, FA III, p. 976.

9 Méditation Sixième, FA II, p. 492.

10 FA I, p. 391.

11 D. Leder, The Absent Body, University of Chicago Press, 1990, p. 53.

12 J.-P.S artre, L’être et le néant, op. cit., p. 404.

13 F. Umbral, Mortal y rosa (1975), Austral, Madrid, 2011, p. 44 : “Hay una dimensión del hogar que sólo descubre el niño. De la persona descomunal que le toma en brazos, sólo ke interesa un botón determinado? Del mar sólo le interesa una concha. Sabe reducir lo enorme a su medida, compendiar el mundo y entenderse con lo inmenso mediante lo pequeño.”

14 “Hablemos del esqueleto, de mi esqueleto, que es el que mejor conozco, y aun así no lo conozco nada, pues el esqueleto es el gran desconocido.” (Ibid., p. 39).

15 Ibid., p. 40-42.

16 « L’anorexie mentale n’est pas un ne pas manger, mais un ne rien manger. […] De cette absence savourée comme telle, il use vis-à-vis de ce qu’il a en face de lui, à savoir la mère dont il dépend. Si vous ne saisissez pas cela, vous ne pouvez rien comprendre, non seulement à l’anorexie mentale, mais encore à d’autres symptômes, et vous ferez les plus grandes fautes » (J. Lacan, Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, Le Seuil, Paris, 1994, p. 184-185).

17 Comme le remarque Johann Chapoutot dans son bel ouvrage sur le rapport entre l’histoire et les récits (Le Grand Récit, Paris, PUF, 2021, p. 349-50), le fantasme zombie est postérieur à la 2e guerre mondiale, et incarne « l’expression des peurs et angoisses d’un âge démocratique massifié ». Il l’oppose aux vampires, qui eux reflètent plutôt la nostalgie aristocratique, obsédée par le sang (et sa pureté). L’idéal et le fantasme anorexique serait plutôt, comme je l’ai suggéré, celui d’un ermite ou d’un stylite.

18 Ibid., p. 729.

19 Comme le dit Proust, « la constance d’une habitude est d’ordinaire en rapport avec son absurdité. Les choses éclatantes on ne les fait généralement que par à-coups. Mais des vies insensées, où le maniaque se prive de tous les plaisirs et s’inflige les plus grands maux, ces vies sont ce qui change le moins. » (Á la recherche du temps perdu, Paris, Pléiade, Tome III, 1988, p. 553)

20 R. Kousbroeck, Het Meer der Herinnering, Amsterdam, Meulenhoff, 1986, p. 171-174.

21 Cette idée est bien illustrée dans ce poème de Auden :

22 « accidente diario […] agresiva y ostentosa […] No habría en el mundo destinataria digna de tal erecciones […] Este alarde erectif va dirigido contra la nada, contra la mujer inexistente de sombra y sueno » (F. Umbral, Mortal y rosa, op. cit., p. 19).

23 Ibid., p. 25.

24 Léon Spilaert 1881-1946, Koninklijke Musea voor Schone Kunsten van België, Bruxelles, 1982, p. 51.

25 Mortal y rosa, op. cit., p. 24.

Pour citer cet article

Roland Breeur, «La chair est tombée sur un os. Pour une micro-phénoménologie du squelette», Bulletin d'Analyse Phénoménologique [En ligne], Volume 21 (2025), Numéro 5 : Perception amodale, intersensorialité, synesthésie (Actes n°15), URL : https://popups.uliege.be/1782-2041/index.php?id=1617.

A propos de : Roland Breeur

KULeuven

Appels à contribution

Appel à contributions permanent

Plus d'info