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L’effet-choc du cinéma dans « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » : De la possession à la propriété, de l’hypnotisé à l’examinateur distrait
Inhoudstafel
À cette image rigide et fantomatique d’un mouvement perpétuel succède une signification dès que la rigidité se résout en un processus dont l’homme est la force motrice1.
Introduction
1Le cinéma, dès sa naissance, fut l’objet d’une fascination autant que d’une méfiance. De nombreux médecins, psychologues, psychanalystes, juristes et pédagogues, souvent français ou allemands, attirèrent l’attention de leurs compatriotes sur les méfaits du cinématographe2. Jugeant ce dernier dans un discours faisant voisiner la psychopathologie et la morale3, ils en condamnèrent les méfaits sur l’esprit et le corps humain. Pour quelles raisons ? D’une part, le spectateur souffrirait du choc physique provoqué par l’excès de stimuli (succession rapide des images) et l’effet de scintillement (effet «flicker») et, d’autre part, il ne serait plus maître de ses pensées et de ses actions. L’un entraînerait l’autre : au cinéma, le spectateur serait mis dans un tel état physique de perception qu’il ne serait plus maître de ses pensées ou de ses actions. En bref, il ne possède plus, il devient possédé. Les médecins dressèrent ainsi le portrait du spectateur en hypnotisé, du dispositif cinématographique en hypnotiseur. Par la suite, de nombreuses discussions visèrent à déterminer les proportions dans lesquelles l’expérience du cinéma pouvait contraindre le spectateur à une action, si celle-ci était immédiate ou différée, ou encore si celle-ci pouvait par exemple contraindre à tomber amoureux ou à assassiner. Si la littérature avait déjà précédemment pris l’hypnose pour thématique — dans l’air du temps autour de 1900 —, le cinéma, comme dispositif technique, favorisait cependant la pensée d’une expérience matérielle et spirituelle d’un nouvel ordre4. L’effet de choc provoqué par la succession automatique des images fut en effet fréquemment mobilisé dans les théories du cinéma au début du xxe siècle. À celui-ci, la question de la possession, soulevée par les médecins, s’y trouvait régulièrement associée. Mais il n’était toutefois pas fatal que la dépossession qui lui fut corrélative soit pathologique, ni même péjorative. C’est ce que nous essayerons de montrer avec l’essai intitulé « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique »5 de Walter Benjamin.
1. Automatisme cinématographique et possession : une vieille histoire marquée par la pathologie et le paternalisme
2À l’aide de trois arguments d’ordre historique et idéologique, nous commencerons par nuancer l’assimilation du cinéma à l’hypnose, ainsi que la valeur négative que cette assimilation devait prendre en France et en Allemagne.
3(1) Premièrement, le cinéma ne naquit pas dans un contexte favorable en Allemagne : le Reich venait de bannir l’hypnose publique, suspectée de pouvoir initier une action criminelle de l’hypnotisé pris sous la volonté de l’hypnotiseur6. De nombreux débats concernant l’ordre public avaient touché l’hypnose. On supposait qu’il était possible de commander l’exécution d’un crime sous l’effet d’une suggestion hypnotique. Le cas « Gabrielle Bompard » à Paris en 1890, ainsi que le cas « Ceslav Lubic Czynski » à Munich en 1894, donneront lieu à un déferlement de la littérature scientifique sur les dangers du crime hypnotique7. En France, Bernheim et l’école de Nancy développaient une théorie du crime sous hypnose. Selon cette théorie, les crimes de Bompard et Czynski n’étaient pas le fait d’individus singuliers : chacun pouvait devenir le médium d’un hypnotiseur criminel. Dans la mesure où le cinéma fut rapproché structurellement de l’hypnose dans la littérature savante, mais aussi physiquement dans les spectacles de foire où il participait du même programme que les séances d’hypnoses collectives et les jeux optiques divers8, il devait nécessairement hériter de la méfiance des pouvoirs publics à l’égard de l’hypnose.
4(2) Deuxièmement, par ces proximités structurelles et factuelles, le dispositif cinématographique entrait en concurrence directe avec la psychanalyse quant à la négociation de l’héritage de l’hypnose9. Si le cinéma en train de se faire, non pas seulement comme dispositif technique mais aussi comme construction d’une œuvre, était également occupé à autre chose — notamment devenir le divertissement des masses et, à l’inverse, développer ses prétentions artistiques élitistes —, la littérature scientifique témoigne plutôt d’une véritable mise en concurrence du dispositif cinématographique et de l’hypnotiseur. Les médecins répétaient avec le cinéma leur lecture animée par le pur esprit de sérieux, lisant les fictions mettant en scène des phénomènes hypnotiques comme de stricts documents scientifiques10, de la même manière qu’ils lurent des romans réduits à l’état de documents étiologiques. La différence tenait à ce que le cinéma fascinait et inquiétait au moins autant par son dispositif que par son contenu. Et c’est du dispositif que les médecins se méfient d’abord, craignant que le pouvoir qu’ils obtenaient sur les individus par l’hypnose ne tombe entre les mains d’autres hypnotiseurs n’ayant pas l’œil désintéressé du savant. Pour tenter de garder le contrôle de la machine hypnotique, les médecins développèrent un double discours. D’une part, ils relevèrent le potentiel scientifique du dispositif cinématographique lorsqu’ils s’adressent au petit cénacle de savants par le biais de revues spécialisées et, d’autre part, ils mirent en garde contre ses dangers lors de grandes communications publiques11. Sous couvert de science, les arguments des médecins trahissent souvent la volonté d’assurer une position de maîtrise reposant sur le contrôle subjectif.
5(3) Troisièmement, le dispositif cinématographique arriva dans un contexte historique marqué par le désenchantement œuvrant à une rupture de l’unité transcendantale qui prévalait jusqu’alors. C’est parce que le corps et l’esprit peinent à s’unifier, de même qu’à être chacun en eux-mêmes unitaires, parce qu’ils ne se synthétisent plus comme individus entiers face au monde, à se constituer en sujets autonomes, en d’autres termes parce qu’ils ont une propension à divers états de dissolution schizophrénique, que l’hypnose, ainsi que l’hypnotisme cinématographique, fonctionnent aussi bien. C’est du moins l’une des thèses majeures de l’étude de Tausk, qui en attribuait les causes à la mort de Dieu et au développement des grandes villes, posant le problème de l’hypnose et du cinéma à l’aune d’une condition subjective tendant à la schizophrénie12. Charcot contextualisera aussi l’efficacité hypnotique, contre Bernheim et l’école de Nancy qui tendaient à rendre tout le monde sensible à la suggestion hypnotique. Pour Charcot, l’hypnose était liée à l’hystérie, c’est-à-dire à un certain état pathologique de l’esprit. Selon cette hypothèse, l’efficacité de l’hypnose, tant pratiquée mécaniquement par le dispositif cinématographique que par l’hypnotiseur, pouvait ne tenir qu’à l’état d’une société favorisant une disposition subjective pathologique réceptive à l’hypnose.
6Pour toutes ces raisons — tropismes théoriques et débats publiques portant sur les crimes sous suggestion hypnotique, volonté de garder le contrôle de l’hypnose à des fins scientifiques, besoin de contrôle dans une société composée d’individus supposés plus sensibles à la suggestion hypnotique —, les médecins conçurent le choc physique provoqué par le défilement automatique des images sur un mode pathologique. C’est par conséquent pour le caractère contingent de ces raisons que la réduction du choc de l’automatisme cinématographique à l’état hypnotique et pathologique ne nous semble valoir qu’à l’époque à laquelle le cinéma naît, époque à laquelle il devait rencontrer l’hypnose13.
2. Benjamin et le cinéma
Typologies du spectateur : contemplateurs, blasés, hommes sans expérience
7Dans l’essai intitulé « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », Benjamin semble au plus près des préoccupations de nombreux médecins du début du xxe siècle sur le cinéma. À ce titre, il semble que l’essai partage avec les médecins et les réformistes le même fond pathologique. En effet, la dimension de choc y apparait sous les oripeaux de l’aliénation mentale. C’est l’idée même d’un vol des pensées, ce que le schizophrène étudié par Tausk ressentait, ou que l’hypnotisé subissait de fait, que Benjamin reprend lorsqu’il s’agit de définir le mode de réception propre à l’expérience cinématographique. Il cite ainsi Duhamel qui critique le cinéma pour son caractère automatique, vecteur d’un choc pour la pensée :
Duhamel, qui déteste le cinéma, qui ne comprend rien à sa signification, mais non sans avoir saisi quelques éléments de sa structure, souligne ce caractère lorsqu’il écrit : « Je ne peux déjà plus penser ce que je veux. Les images mouvantes se substituent à mes propres pensées »14.
8Benjamin affirme donc aussi, dans le sillage de Duhamel, que le fait de ne plus pouvoir penser ce que l’on veut, de subir le choc d’une substitution automatique d’images mouvantes à nos propres pensées, soit une composante structurelle du cinéma. Mais il n’empêche que Duhamel « déteste le cinéma », « ne comprend rien à sa signification ». Duhamel, curieusement, veut penser ce qu’il veut quand il se trouve devant une œuvre. Comme certains médecins qui s’arrogeaient le monopole d’une certaine distance critique, même au cinéma dont le dispositif anéantirait sans cesse la capacité à conserver les médiations assurant cette distance, Duhamel revendique le droit de pouvoir rester maître en son logis, de penser tout ce qu’il veut même quand il se trouve là où « quelque chose » lui résiste. Plutôt que de refuser cette expérience imposée par le cinéma, Benjamin l’accompagne. Dès lors, en quoi cette expérience, occasion d’un « vol des pensées », diffèrerait des développements précédents sur l’hypnose, en quoi nous permettrait-elle de faire valoir une autre conception de l’automatisme cinématographique, conception qui ne serait plus nécessairement pathologique ?
Adieu aux contemplateurs
9Sans présupposé, il s’agit d’appréhender le dispositif cinématographique en matérialiste : c’est une machine qui se greffe sur d’autres machines, suscitant certains types d’expériences. Benjamin analyse ainsi ce qui peut, en droit, surgir des nouveaux couplages produits par l’introduction de ce nouveau dispositif. Par la théorie du choc, il détermine dès lors le type d’expérience auquel est contraint le spectateur de cinéma. Il ne peut plus penser ce qu’il veut, cela signifie qu’il est soumis à une série d’images qui, comme série, l’empêche d’abord de mener tranquillement à bon port la barque des associations d’idées. Le spectateur ne perçoit pas l’œuvre cinématographique comme cette majestueuse œuvre d’art immobile dans laquelle il pouvait s’enfoncer, se recueillir, quitte à s’y perdre. Il ne perçoit pas l’œuvre cinématographique comme ce qui se maîtrise dans la perception naturelle, dans laquelle l’espace-temps n’effectue pas de saut, ce qu’il fait incessamment au cinéma par variations d’échelles et ruptures entre les espaces et les temps, passant d’une chambre à la rue en un fragment de seconde :
Que l’on compare l’écran sur lequel se déroule le film à la toile sur laquelle se trouve le tableau. Cette dernière invite le spectateur à la contemplation ; devant elle, il peut s’abandonner à ses associations d’idées. Rien de tel devant les prises de vues du film. À peine son œil les a-t-il saisies qu’elles se sont déjà métamorphosées. Impossible de les fixer15.
10Cela ne signifie tout de même pas que je pense ce que je veux devant une peinture, ce que semblait toujours vouloir Duhamel. La contemplation désigne un mode d’appréhension classique de l’œuvre d’art. Elle se définit, dans l’essai, par le recueillement devant l’œuvre. Les associations d’idées sont censées témoigner du rapport de conjonction entre le spectateur et l’œuvre, le cheminement du spectateur vers l’unité de l’œuvre : « Celui qui se recueille devant une œuvre d’art s’y abîme ; il y pénètre comme ce peintre chinois dont la légende raconte que, contemplant son tableau achevé, il y disparut »16. La contemplation est donc garantie par la position de deux unités : l’œuvre et le récepteur. Sur fond de ces unités, le « sens » qui se cache derrière la production des associations d’idées pourra aussi bien être le moi le plus étroit de l’individu (ce que semble vouloir Duhamel), que le moi absorbé dans l’unité de l’œuvre (ce que Benjamin évoque par l’anecdote du peintre chinois). Dans les deux cas, l’œuvre semble docile, bien que le contemplateur benjaminien finisse par faire disparaître son moi et ses propres associations d’idées dans l’identité de l’œuvre. Il n’y a dès lors plus de contemplation, car plus de contemplateur.
11Les médecins du début du xxe siècle devaient encore supposer l’intégrité du contemplateur. Ils étaient d’ailleurs les seuls à pouvoir la maintenir quand d’autres n’avaient plus du tout le loisir de penser quoi que ce soit par eux-mêmes. Mais le problème ne pouvait pas se poser comme ça au cinéma. Que le contemplateur se sauve de l’œuvre ou s’y confonde importe peu pour penser l’expérience cinématographique. Dans les deux cas, l’identité règne : dans l’œuvre et dans le contemplateur. Le dispositif cinématographique, au strict niveau matériel, rompt ces identités et, a fortiori, ce cheminement. Les associations d’idées sont sans cesse déstabilisées par l’apparition automatique d’une nouvelle image qui empêche de totaliser la série que l’on était peut-être en train de constituer. Cet empêchement n’est pas que subjectif ou psychologique. Comme la signification d’une image dépend de sa position par rapport à toutes les autres images, une incertitude plane sur la signification qu’on peut leur donner. C’est en ce sens que les images deviennent autant de chocs, n’ont plus rien de la docilité de l’œuvre aimée par le contemplateur. Pour encaisser ces chocs, le spectateur doit sans cesse se tenir aux aguets, se défendre, se battre avec ce qui le harcèle, c’est-à-dire se tenir prêt à parer sans cesse les coups de l’automate cinématographique. Le dispositif cinématographique est invitation au pugilat.
Blasés
12Dans la dernière version de l’essai (1938), une note de bas de page, de la main de Benjamin, nous indique l’une des références qui lui permet de soutenir la théorie du choc et de son danger corrélatif17 :
Le film est la forme d’art qui correspond à la vie de plus en plus dangereuse à laquelle doit faire face l’homme d’aujourd’hui. Le besoin de s’exposer à des effets de choc est une adaptation des hommes aux périls qui les menacent. Le cinéma correspond à des modifications profondes de l’appareil perceptif, celles mêmes que vivent aujourd’hui, à l’échelle de la vie privée, le premier passant venu dans une rue de grande ville, à l’échelle de l’histoire, n’importe quel citoyen d’un état contemporain18.
13Il s’agit de Simmel. Choc et danger sont en effet au cœur des analyses simmeliennes des effets de la grande ville sur la vie de l’esprit, mais aussi du type d’expérience prévalant dans ces foires dont le cinéma partageait l’espace. Dans l’essai de 1903 sur la vie de l’esprit dans les grandes villes, « Die Grossstädte und das Geistesleben », Simmel caractérisait la base psychologique du citadin par l’intensification des stimulations nerveuses résultant du changement ininterrompu de stimuli internes et externes19. Dans les grandes villes, l’environnement est devenu hostile. Il n’a plus la lente assurance des rythmes ruraux. C’est un monstre aux milles têtes. Il faut sans cesse réagir à des flux d’événements, sous peine d’être bousculé. L’intellect du citadin se développait alors démesurément, car c’est l’intellect qui protège l’individu du trop grand nombre de stimuli reçus. Cela ne signifie pas que l’on devienne intelligent à la fréquentation des villes. En affinité avec une psychologie de la perception de type bergsonien20, Simmel conçoit l’intellect comme l’outil par excellence d’organisation de l’environnement. D’abord pour s’en protéger21 — ce qui suppose de faire l’inventaire de tout ce qui appartient et n’appartient pas à ce corps que nous sommes —, ensuite pour s’y orienter — ce qui suppose de situer ce corps que nous sommes par rapport aux autres corps —, enfin pour y agir — ce qui suppose de prendre la mesure des actions et réactions possibles des corps les uns par rapport aux autres, et de mon corps par rapport aux différents corps. Sous toutes ces modalités, c’est l’intellect qui se développait comme outil pragmatique de perception. Dans l’environnement urbain, la prolifération des corps en mouvement conduit au développement excessif de l’intellect. Peut-être plus sous l’aspect de protection chez Simmel. Il s’agit d’éviter la collision, d’insérer les mouvements de ce corps, de la manière la plus fluide, dans l’ensemble des mouvements urbains.
14La contrepartie de ce développement tenait en l’extrême aridité dans laquelle allait vivre le citadin. Car la prédominance de l’intellect de protection investira nécessairement tous les champs de l’expérience. Au point que Simmel donnera un nom à ce qui lui apparait comme un nouveau type né dans l’environnement urbain : le blasé.
15Le blasé témoigne de l’impossibilité de maîtrise perceptive à laquelle le corps vivant est astreint dans l’environnement urbain. Alors que l’intellect était outil de discernement — pour la protection, pour l’orientation, pour l’action — du corps parmi d’autres corps, il est contraint à la clôture, la négation de toute une série de stimuli auxquels il ne peut plus donner de réponse. Il est littéralement débordé, en résulte une « sursimplifcation » perceptive. Le blasé apparaît comme celui qui se coupe de ses propres sensations, en les court-circuitant toujours-déjà par le biais d’un intellect de protection qui capitule devant la profusion de l’hétérogène. Cette tournure singulière de l’intellect, à la fois extrêmement développé car démesurément stimulé, et extrêmement appauvri pour les mêmes raisons, investit l'intégralité du champ de l’expérience. En toute chose, l’homme développe une appréhension superficielle, se contentant de quelques traits saisis à l’emporte-pièce pour affirmer : « déjà vu », « déjà vu », etc.
16Pour toute réponse à cet appauvrissement du champ de l’expérience, c’est comme si Simmel constatait que les blasés en appellent à un sublime mathématique pour sortir de leur torpeur léthargique : donnez-nous plus de stimuli que notre intellect ne puisse toujours-déjà réduire à du « comme rien ». Cela pourrait expliquer le succès des foires, analysé par Simmel dans un essai de 189622. Les foires apparaissent comme la réponse du sublime mathématique à l’expérience urbaine du blasé. Certes, comme le remarque Simmel, travail de l’intellect aidant, la perception se réduit à sa plus grande superficialité. La nécessité de suivre un flux incessant de stimuli visuels et sonores ne rendait possible qu’une perception superficielle. Mais néanmoins, en même temps, Simmel reconnait que ce type d’appréhension était le seul qui soit en mesure de répondre à l’épuisement nerveux qui prévaut dans les grandes villes. Il faut encore plus de stimuli pour que le blasé puisse espérer avoir quelque sensation stimulante. De ce point-de-vue, le cinéma peut faire l’objet d’analyses similaires : le mode de perception qui prévaudra au cinéma était déjà préparé par les foires et l’expérience des grandes villes. Le cinéma bombarde de stimuli le citadin qui ne peut plus trouver son compte qu’à en recevoir encore plus. Du sublime mathématique pour toute réponse au blasé des grandes villes, et peu importe le contenu.
17La référence simmelienne élargit la compréhension du choc perceptif provoqué par le dispositif cinématographique. Häfker dira que le cinéma est le lieu de production du blasé23. Tout à l’inverse du spectateur des médecins, mode d’être en proie aux suggestions hypnotiques provoquées par l’automatisme cinématographique, le spectateur simmelien tendrait à l’apathie et pourrait difficilement bouger le petit doigt pour quoi que ce soit. Dans les deux cas, l’automate, le choc perceptif et l’aliénation de la pensée sont au centre des analyses. Dans les deux cas, on insiste sur les effets délétères de l’intensification de la vie nerveuse. Mais leurs effets seront chaque fois compris différemment. Le contemplateur n’est pas alors devenu, comme chez les médecins, l’apathique hypnotisé, mais l’apathique blasé.
18S’agissait-il seulement de ça chez Benjamin ? Pour commencer, Benjamin n’interprétait pas le besoin de s’exposer au cinéma comme un criant appel à une sorte de sublime mathématique. Guère plus il n’en faisait le lieu de production d’un blasé, in fine, à force d’avoir subi de trop nombreuses stimulations sensorielles. Bien qu’il nous semble partager une façon similaire de lier les mutations de la perception aux mutations historiques pour penser les effets du choc moderne sur la perception avec Simmel, Benjamin ne qualifiera pas l’expérience perceptive du cinéma en termes de blasement et tentative de sortie du blasement. Il s’agissait plutôt au cinéma de s’entraîner à recevoir les coups du monde moderne.
Hommes sans expérience
19Le cinéma est la salle d’entraînement du citadin des grandes villes, le lieu où il apprend à encaisser les effets de choc. Pas seulement parce que les stimuli ont proliféré24. Une série d’événements historiques majeurs, par lesquels le blasé se grisera après la rédaction de l’essai sur les grandes villes par Simmel, a pétrifié l’exercice de l’intellect. D’où vient cette pétrification ? « Expérience et pauvreté »25 témoignait de la fin — ou à tout le moins de la chute du cours — d’un type d’expérience, la grande Erfahrung qui rattachait systématiquement le vécu à la tradition, qui avait les moyens de raconter et transmettre les événements, qui créait des personnages et des situations, qui permettait à tout un chacun de s’enrichir par le partage des expériences de chacun. Benjamin avait toutes les raisons d’utiliser le vocabulaire boursier de la « chute du cours » : c’est aussi par l’entrée sur le marché du monde moderne que l’Erfahrung a raté sa reconversion. Si l’expérience est, en son sens kantien26, une connaissance au moyen de perceptions liées entre elles27, la chute de son cours devrait être entendue comme un affaiblissement des liaisons sur lesquelles reposait la connaissance. L’opérateur de déliaison pour Benjamin est la guerre. Il s’intéresse à ceux qui vivent après la première guerre mondiale, mais qui ne cessent pourtant au quotidien d’en éprouver encore les effets : « Un vaste démontage », « une dispersion de l’héritage de l’humanité »28. Des guerres horribles, il y en a eu d’autres. Mais si le cours de l’expérience a chuté, si les hommes du front sont revenus plus pauvres en expérience, ce n’est pas parce que la Première Guerre mondiale a été plus horrible (bien qu’elle a pu l’être), ni parce qu’elle aura été la plus meurtrière (bien qu’elle le fut). C’est parce que les hommes partirent, pour la première fois, « en roue libre ». Au front, ils n’étaient plus qu’un rouage dans un mécanisme sur lequel personne n’avait de prise, dans lequel il ne tenait que du hasard que l’on vive ou que l’on meure. C’est dire que, pour la première fois, l’expérience de l’humanité — c’est-à-dire une connaissance au moyen de perceptions liées entre elles — ne fut d’aucun secours. L’homme prenait part à un mécanisme dont il n’était plus qu’un rouage, dans lequel toute intention, toute initiative, toute volonté, toute velléité d’activité était inutile : les choses arrivaient malgré lui. Rouage parmi les rouages, l’homme n’a pu que démonter toute l’expérience acquise, devenue inutile :
Car jamais expériences acquises n’ont été aussi radicalement démenties que l’expérience stratégique par la guerre de position, l’expérience économique par l’inflation, l’expérience corporelle par l’épreuve de la faim, l’expérience morale par les manœuvres des gouvernants29.
20L’inertie de la machine prenait le pas sur l’initiative de l’homme. Arrivent les choses, on n’y pouvait rien.
21C’est ainsi que l’homme fit table rase de l’expérience, n’en voulut plus rien savoir. Mais la table rase n’est plus maintenant un principe qui soit le lot de « ces esprits impitoyables, qui commençaient par faire table rase »30, ces esprits de constructeurs qui devaient d’abord détruire beaucoup avant de remonter les choses à leur guise. C’est maintenant une table rase radicale, qui se manifeste dans tous les champs de la vie humaine et qui partout ne veut plus de l’expérience : « La pauvreté en expérience : cela ne signifie pas que les hommes aspirent à une expérience nouvelle. Non, ils aspirent à se libérer de toute expérience quelle qu’elle soit »31. Réaction sanitaire au monde qui se mit à fonctionner en roue libre : se délester du poids de l’expérience exigé par le monde. Se protéger encore consistait en effet à éviter de lier ce qui se lie malgré nous, à faire l’expérience de ce qui arrive malgré nous. Et ainsi ils seront nombreux à rêver à une existence de Mickey — une expérience dans laquelle plus rien ne résiste, où tout vaut tout, rien ne vaut rien, où l’on est aussi léger et lourd que n’importe quoi32. Il s’agissait donc de n’être que rouage, aussi peu profond qu’un caillou, et laisser passer ce qui arrive sans jamais rien synthétiser, rien lier, rien connaître.
22Les blasés de Simmel opéraient des synthèses minimales, visant la protection, l’orientation, l’action dans un environnement devenu hostile par prolifération de stimuli. Les hommes sans expérience étaient peut-être parfois des blasés qui ont trouvé à la guerre une abondance folle de stimuli. Ce sont peut-être ces blasés qui se sont enthousiasmés pour une guerre qui allait leur permettre de consommer une foule de perceptions trompant leur ennui, les menant vers une sorte de sublime mathématique. Le futurisme, critiqué dans l’essai sur l’œuvre d’art, est appel à la guerre dans la valorisation effrénée de bruits et fureurs techniques liés à la vitesse. Mais l’événement de la première guerre mondiale ne s’arrêtait pas en 1918. Elle a produit un type d’homme qui n’a plus rien du blasé. La référence à la théorie du choc dans l’essai prend en compte cette mutation historique importante. Le cinéma, par son automatisme, entraîne la perception à recevoir ce qui ne peut plus que se donner comme coups, dès lors que les choses y arrivent comme autant de trouées dans l’ordre des causes par lesquels nous pouvions jadis peupler un monde maîtrisable. Le spectateur de cinéma est l’homme sans expérience qui ne peut toujours déjà prendre dans ses synthèses intellectuelles ce qui arrive. Tout advient par à-coups. À l’aspiration légitime des blasés au sublime mathématique — sursaturation quantitative de l’intellect par un nombre de stimuli de plus en plus grand — Benjamin répond ainsi par la position strictement inverse : un blocage de l’intellect. Il introduit un relâchement infini dans la carapace de l’intellect-protection du blasé.
3. Dispositif cinématographique et montage : cinéma de possession, cinéma d’appropriation
Le fait ne critique pas le droit
23Le spectateur de cinéma prendra le nom d’« examinateur distrait » dans l’essai. L’effet de choc du cinéma favoriserait même ce type de perception33. Les développements précédents permettent de comprendre cet aspect du spectateur de cinéma pour Benjamin. Dans l’essai, il attribue la naissance de la perception distraite dans l’art aux dadaïstes. L’œuvre s’était faite projectile. Son spectateur ne pouvait s’y recueillir, il devait plutôt apprendre à encaisser les coups. L’intellect était pétrifié devant tant d’insignifiance. Cela correspond bien, objectivement, à l’état subjectif de perception dans lequel le monde moderne — ville, bourse, effets de la guerre — a mis les hommes. Sous le nom de « distraction », l’effet de choc du cinématographe conserve son caractère pathologique. Néanmoins, on voit mal en quoi cette posture de pétrification première de l’intellect pourrait donner lieu à un quelconque « examen ». Jusqu’ici nous avons rencontré des hypnotisés, des contemplateurs déçus, des blasés, des blasés en quête de sublime mathématique et des hommes sans expérience ne pouvant que subir les coups du sort. Rien qui ressemble de près ou de loin à ce que l’examen suppose : du discernement, de la synthèse. On trouvera de nombreux commentaires critiquant le tour de prestidigitation que nous livre Benjamin en faisant surgir, à la toute fin de l’essai, un examinateur de son chapeau. Rolf Tiedemann, lisant Brecht, écrit :
La tendance du film à bombarder le spectateur de chocs précipite justement « le spectateur dans une dynamique à sens unique, où il ne peut regarder ni à gauche ni à droite, ni en bas ni en haut ». S’il est « envouté » quelque part, c’est-à-dire s’il retombe dans un comportement cultuel, c’est bien dans le film ; s’il y a un lieu où il est impossible de pratiquer la « vision complexe » exigée par Brecht — c’est-à-dire de tester et d’examiner —, c’est au cinéma34.
24Comme les médecins du début du siècle, Tiedemann observe plutôt qu’au cinéma le contemplateur de jadis — qui selon Benjamin pouvait encore rester libre de former ses associations de pensée — n’est plus que l’envoûté. Ceci nous contraint à dire que remplacer l’hypnotisé par le blasé ou par l’examinateur distrait n’est pas suffisant. À en rester sur le pôle d’une théorie de la réception, ou théorie subjective de la perception, qui plus est techniciste35, nous ne faisons jamais que substituer une interprétation des effets du choc à une autre. Les réformistes et les médecins, tout autant que Brecht, Benjamin ou Tiedemann semblent d’accord sur le fait que le dispositif cinématographique impose un effet de choc, mais les interprétations en diffèrent. S’il y a place pour parier sur la naissance d’un examinateur distrait, il faut encore en penser les conditions objectives de fonctionnement. Il faut regarder de plus près la façon dont le dispositif cinématographique peut rendre quelque chose à l’écran, quelque chose qui soit à la hauteur de ce que sa technique promettait en droit.
25Dès lors, sous quelles conditions objectives l’automatisme cinématographique se met à fonctionner comme assurant, de fait, la possibilité d’un examinateur distrait ?36 Ce n’est qu’en creux que nous trouvons réponse à cette question dans l’essai. Sous des apparences technicistes, l’essai défend une certaine pratique du cinéma. Benjamin ne méconnaît pas l’état stérile de majorité dans lequel le cinéma se trouve lorsqu’il rédige l’essai : « Aussi longtemps que le capitalisme mènera le jeu du cinéma, le seul service qu’on doive attendre du cinéma en faveur de la Révolution est qu’il permette une critique révolutionnaire des conceptions traditionnelles de l’art »37. La critique du contemplateur sur le plan du droit, au nom de la technique cinématographique, n’était qu’un aspect de ce « service à attendre du cinéma ».Quand Adorno, après lecture de l’essai sur l’œuvre d’art, transmet à Benjamin, par correspondance, ses bons souvenirs d’une visite aux studios de Neubabelsberg, il ne fait que critiquer le droit du cinéma au nom du fait de la production majoritaire. Ainsi, il écrit :
Ce qui m’a le plus impressionné, c’est de voir combien peu on se soucie du montage et des techniques de pointe dont vous tirez parti dans votre essai ; la réalité est plutôt construite mimétiquement de façon puérile et ensuite « photographiée ». Vous sous-estimez la technicité de l’art autonome et surestimez celle de l’art qui ne l’est pas ; ce serait peut-être, grossièrement formulée, mon objection principale38.
26C’est simplement dire que le cinéma peut aussi vendre des produits. Car il est bien entendu que le cinéma a, de fait, réussi à enfermer son public dans un monde pétrifié de sensations qui ne permettent en rien l’examen, mais plutôt l’empathie, l’identification, la création d’un petit royaume de rêve qui tantôt répond encore au blasement par une hyperesthésie visuelle, tantôt à l’homme sans expérience par la construction d’associations toutes faites, comme si rien n’était arrivé, comme si l’on croyait encore à la vieille expérience. Il est certain que l’effet de choc sera constamment amorti par l’industrie culturelle :
Adorno va assez loin dans sa critique en affirmant que les industries culturelles, et parmi elles le cinéma, organisent en quelque sorte le jugement de goût. Elles préforment le jugement. C’est une idée que reprend Bernard Stiegler, à propos des « industries de l’imaginaire », cette propension à préparer le plaisir. Le schématisme kantien de l’entendement et de l’imagination est décelé, son « secret a été déchiffré », il s’adapte sans équivoque à la ratio collective. Stiegler, à partir de cette lecture d’Adorno, parle d’« extériorisation industrielle du pouvoir de schématisation », et Hollywood devient la « capitale du schématisme industriel »39.
27Ces tentatives-là sont le seul terrain des critiques de Brecht, ou d’Adorno. La distraction liée au choc se réduit au divertissement. Mais, comme nous allons le voir maintenant, plutôt que suturer la plaie par un cinéma des synthèses toutes faites, cinéma qui atténue l’effet de choc, Benjamin va défendre un cinéma qui se soutient de l’expérience de choc même.
Le fait d’un cinéma de l’appropriation impossible : individus et choses
28L’homme à la caméra de Vertov est probablement l’un des intertextes de l’essai40. Ce cinéma a un potentiel foncièrement révolutionnaire, trop révolutionnaire pour le communisme institué qui ne l’était plus du tout — révolutionnaire — quand Vertov travaille en URSS. Ce potentiel ne repose pas sur ce qu’on appellerait trivialement le « contenu » des films, mais plutôt dans sa façon de monter les images, c’est-à-dire de faire fonctionner l’automatisme cinématographique. C’est une façon de monter les images qui empêche de broyer la promesse technique du cinéma par le recyclage de vieux cultes, notamment auratiques, jouant en même temps contre un certain communisme officiel recyclant lui aussi de vieux cultes (stalinisme). Le peu de respect pour ces nouvelles figures auratiques forcera la dénonciation de Vertov comme formaliste dès 1930. Ses conditions de travail deviendront difficiles. Annette Michelson l’appellera le « Trotsky du cinéma ». La référence à Vertov — Trotsky du cinéma — est dès lors doublement intéressante pour comprendre l’essai de Benjamin. Non seulement elle tient lieu d’exercice de l’examinateur distrait, mais elle est également gage de dissidence dans le communisme institué. Ces deux aspects sont fortement liés : tant le communisme que le cinéma majeur avaient réintroduit les figures de la propriété. La question de la dépossession induite par l’automatisme cinématographique a dès lors ici une double valeur révolutionnaire, celle d’un cinéma et d’un communisme dissidents41. La dépossession touche en même temps les individus et les choses, assurant la distraction et forçant l’examen.
Les individus
29Le cinéma occidental majeur et le communisme institué produisent de l’aura : culte de la vedette (Garbo ou Staline). Lorsqu’il parle des acteurs, Benjamin utilise le mot d’exil pour qualifier les multiples médiations qui séparent les gestes, actes, mots que dira l’acteur de leur recomposition sur la table de montage42. On dira évidemment que cet exil-là est le lot de tout acteur de cinéma. La plupart du temps, le montage recomposera l’épars, rendra à tous ces gestes un corps, et à tous ces corps une situation qui en déterminera les motivations, places, orientations. L’épars sera réinvesti par l’unité, on construira des scènes. Mais il n’empêche qu’un cinéma jouera de ces fragmentations plus qu’il ne les rendra aux unités s’emboîtant comme des poupées russes. L’homme à la caméra montait les anonymes dans une grande chaîne de gestes désappropriés. Les gestes n’appartenaient plus à l’individu qui les réalisait. Ils résonnaient avec une infinité d’autres gestes du monde, sans jamais devenir la propriété d’un corps déterminé. La mise en exil techniquement conditionnée par le fonctionnement même de l’enregistrement du jeu d’acteur au cinéma devenait palpable, visible, dans un cinéma qui ne s’appuyait plus sur un corps de propriétaire. Ce n’était plus « ma conscience », « mon bras », « mon geste », à qui arrivait ceci ou cela. L’exil de l’acteur signifiait cela : ces parties qui se totalisaient en un moi ne m’appartiennent plus, se morcellent et recomposent dans une série de gestes désappropriés. L’intellect qui n’en finissait pas de faire le tour du propriétaire, qui s’était résigné à ne plus rien posséder dans l’environnement urbain si ce n’est sauvegarder ce corps, qui se voyait malmené par un désir de sublime mathématique le débordant, se trouve ici bloqué par un certain type de montage. Les corps ne tiennent pas à leur place car l’individu ne trouve pas la bonne lorgnette par où il pourrait les assigner à résidence : ils s’y refusent objectivement. Il en résulte une indétermination du regard à porter sur ces comportements : « En effet, lorsqu’on considère un comportement en l’isolant bien proprement à l’intérieur d’une situation déterminée — comme on découpe un muscle dans un corps —, on ne peut plus guère savoir ce qui nous y fascine le plus : sa valeur artistique ou son utilité pour la science »43. L’intellect n’est pas débordé, il est grevé de l’intérieur : qu’est-ce que je regarde ; chose de science, chose, d’art, chose du monde, etc. ? Il y a choc — ici compris comme arrêt de la pensée — empêchant la détermination univoque et totalisante de la pensée. Le montage laisse le spectateur de cinéma en l’état d’homme sans expérience (Erfahrung). Ce dernier ne peut que subir l’effet de choc de l’automate cinématographique.
Les choses
30Le cinéma occidental majeur distribuait sans cesse les parts et places de chacun, notamment en distribuant les titres de propriété. Les partis, dès Staline, tendront à se bureaucratiser, à se hiérarchiser, à n’en pas finir de distribuer les titres de propriété, les terres sur lesquelles chacun est libre de régner. Le cinéma dont parle Benjamin fait « sauter l’univers carcéral » dans lequel les choses appropriées enchaînent les individus. L’homme peut alors faire « d’aventureux voyages ». Il ne s’agit plus seulement de se protéger de tout ce qui s’imposait à chacun comme par nature, mais d’envisager jusqu’à la possibilité d’agir en « connaissant mieux les nécessités qui règnent sur notre existence »44. Les séries de désappropriation de l’homme à la caméra valent également ici. Mais c’est aussi le cinéma de Chaplin. Le sérieux que l’intellect confère aux choses en les assignant à résidence s’y révèle comme une grande bouffonnerie. Ainsi le beau cas des Temps modernes, lorsque Chaplin se retrouve avec un chiffon rouge à la main, par hasard, en plein milieu d’une manifestation de chômeurs. Il faudra peu de temps pour que ce chiffon anodin soit surdéterminé par les manifestants et la police le prenant pour le leader45. C’est dire que le petit foulard rouge n’existait pas par soi, seul, dans son indétermination, avant de devenir l’objet d’une prise sociale. C’est en même tant que le foulard agité par Chaplin vaut comme geste et objet indéterminé et comme reprise. De là nait ce rire révolutionnaire : quand les choses codées du monde sont montrées comme de la mécanique plaquée sur de l’indéterminé. C’est le court-circuit, dans l’instant, de l’insignifiant et de la griffe du sens sur les choses qui produit un rire subversif. Ce qui était naturel — un geste de salutation ou un geste de ralliement — devient à la fois manifeste et étrange. Ainsi la pétrification des significations engendre le moment crucial d’exercice de la pensée : le rire avant la question. Le petit foulard agité n’a rien à voir avec un appel à la révolte, et pourtant il vaut autant pour cela. C’est en tant que des couches de significations partagées sont mobilisées (que ce petit foulard agité, dans ce contexte, vaut comme appel au ralliement de révolte), et que le petit foulard est tenu par un Chaplin réduit à l’état de chose (être sans profondeur dans Modern times, rendant les coups comme une machine),que la chose-foulard se met à avoir une existence anarchique. Chacun peut alors s’approprier ce bout de chiffon et y mener la barque d’une signification.
31Par la valorisation d’un cinéma de montage grevant le travail de l’intellect par la production d’agrégats vivants et de choses s’indéterminant, plutôt que d’un cinéma de la propriété et des objets, Benjamin pose le problème de l’appropriation46. Ce problème traverse l’essai : que ce soit avec la propriété de l’œuvre (section II pour la propriété bourgeoise d’œuvres uniques et section III pour le désir d’appropriation d’œuvres reproduites par les masses), avec la propriété des conditions d’exposition de l’œuvre (section II), avec la propriété de la signification de l’œuvre (appartenant à l’œuvre ou à l’artiste), avec la propriété qui tient du quadrillage de l’espace et du temps (les rues désertes, désappropriées, de Atget qui appellent la détermination du regard, section VI), avec l’acteur de théâtre qui est propriétaire de sa performance (à la différence de l’acteur de cinéma comme exilé ou, tout aussi bien, exproprié, section VIII), ou encore avec la vedette de cinéma comme façon de réintroduire de la propriété par la construction d’une personnalité (section X). Toutes ces questions de propriété et d’appropriation sont solidaires de la destruction de l’aura. Le cinéma est d’abord « liquidation de la valeur traditionnelle de l’héritage culturel » assurée par les différents aspects de la propriété47. On rétorquera que Benjamin écrit bien que le principal objet de l’essai n’est pas le cinéma comme outil de « critique révolutionnaire des rapports sociaux, voire des rapports de propriété »48. Effectivement, ne construit jamais cette critique de manière frontale, sous la forme d’une défense d’un cinéma didactique ou pédagogique. Mais il n’empêche que les procédés de montage décrits par Benjamin nous semblent tenir de cette « critique révolutionnaire de rapports sociaux », ainsi que des « rapports de propriété ». Sous les deux aspects de l’individu et des choses, l’essai défend un cinéma de l’appropriation et non un cinéma du propriétaire. L’aliénation mentale et corporelle du spectateur trouve son pendant dans un cinéma d’expropriation, occasion de toutes les réappropriations.
4. Politisation de l’esthétique : appropriation nécessaire et impossible
32Ce cinéma-là appelle un processus d’appropriation impossible, traître mais nécessaire. Toute affirmation sur ce cinéma est nécessairement prise violente de position. Sa vérité tient dans une nouvelle distance qui n’est plus celle de l’aura de l’art, dont la profondeur s’épuise dans l’insondable. C’est une distance matérialiste, ayant une profondeur strictement matérielle : plate et superficielle. Elle s’étend entre deux pôles se grevant l’un l’autre : l’indéterminé matériel et la série mécanique des appropriations, tant sur le plan des individus que des choses, entre eux et chacun en soi. En donner trop à l’indéterminé confinerait au mutisme, laissant libre champ à de nouveaux cultes mystiques. Le futurisme est critiqué par Benjamin à ce titre49. À l’inverse, en donner trop à la propriété ne ferait que rétablir l’ancien culte de significations devenues pseudo-naturelles dans l’ordre bourgeois. Par l’insistance sur les différentes puissances d’indétermination propres au montage, Benjamin proposait une esthétique qui ne puisse faire légitimement l’objet d’aucune récupération. Pourtant Rochlitz déplore que Benjamin, dans ce texte, ait abandonné tout ce qui faisait la force de ses réflexions antérieures sur l’œuvre d’art, au point de n’avoir plus aucune détermination positive qui puisse justement tenir l’œuvre d’art à distance du fascisme. À ne parler que du médium, pour Rochlitz, et plus encore à faire valoir des types de montage qui échappent aux logiques narratives classiques, produisant un éclatement de la signification des images, n’importe quoi peut sortir du chapeau du magicien. L’œuvre n’est plus là comme garde-fou des interprétations, aussi « crasses » soient-elles. Le peintre chinois pouvait au moins s’abîmer dans quelque chose. C’est dire que l’automate cinématographique, tel que pensé par Benjamin, peut aussi bien servir tout fascisme que tout communisme.
33La destruction de l’aura dans l’essai permettait d’ouvrir la dynamique politique avant tout état et toute politique instituée. Benjamin dira que la chose a perdu son autorité, en même temps qu’elle perdait son aura. L’aura se définissait là par le « hic et nunc » de l’œuvre, ce qui fait qu’elle se caractérise par une certaine trame déterminée d’espace et de temps. L’aura d’un objet lui conférait une actualité magique. Celui qui était pris dans une perception auratique d’objet était absorbé par l’actualité spatiotemporelle déterminée. Comme si la chose, ici et maintenant, arrachait celui qui la contemple à son propre espace-temps pour le faire approcher de l’ailleurs de l’objet ou de l’œuvre contemplé. C’est l’histoire du peintre chinois supra. La perception auratique est une perception de recueillement, c’est-à-dire une perception dans laquelle celui qui perçoit se noie dans l’ici et maintenant du perçu. Le cinéma valorisé par Benjamin dissout tout état du monde avant de le recomposer, il n’a pas de trame d’espace-temps déterminée car il est d’emblée reproduction technique et mise en série. C’est pourquoi, à l’actualité magique de l’aura se substitue l’actualité politique du montage50. Politique, car la reproduction cinématographique court-circuite l’autorité d’un temps ici et maintenant au profit de la nécessité de reconstruire du temps et de l’espace, une actualité, sur fond d’une conservation-liquidation d’un événement capté. C'est seulement par le montage que le monde techniquement reproduit retrouve un semblant d’actualité, une manière déterminée de signifier quelque chose. C’est le moment de trahison de l’utopique par la prise de position politique. La photographie nue appelle la légende, le magazine saura en produire comme autant de mots d’ordres, d’autres produiront des photomontages : à chaque fois c’est une prise de position politique qui canalise la production de significations.
34À ce niveau, il est certain que le cinéma accentuera encore le dirigisme de la légende51. Et tout un cinéma pourra faire valoir ses titres de propriété : la psychologie, l’histoire, la situation, l’objet, etc. Dans ce cas-là, aussi beaux soient la psychologie, l’histoire, la situation, l’objet, le cinéma prend le visage d’un automate qui donne des ordres. C’est parce que le cinéma peut prendre ce visage — barbarie qui détruit l’aura de l’œuvre pour en faire tout et n’importe quoi, jusqu’à servir des fins nauséabondes — que Rochlitz refuse l’essai et exhibe le concept d’œuvre d’art comme garde-fou. Il lui demeurait alors possible de juger des intentions, sinon de l’auteur, du moins de l’œuvre, ainsi que d’en contrôler et mesurer les effets de signification. Benjamin, à l’inverse, prend le risque d’une politisation de l’esthétique. Ce qui ne l’empêche d’avoir lui aussi ses garde-fous. La destruction de l’aura, quand bien même fut-elle conditionnée d’abord techniquement, doit encore se répéter activement par la création d’expériences qui en empêchent le retour. Peut-être forçons-nous un peu l’essai sous ce point. Mais sans cela, il faut suivre Rochlitz, et nier la présence de Vertov comme intertexte dans l’essai. Or l’essai a pour ennemi premier la récupération fasciste de l’effet de choc par sa mise au service de nouveaux cultes auratiques. Contre cet ennemi, il s’agissait d’abord de produire une série de concepts qui soient irrécupérables par le fascisme52. Mais il fallait encore produire, selon nous, une situation dans laquelle cette récupération soit impossible. Une couche plus discrète de l’essai défend ainsi un cinéma qui met en suspension les chaînes de propriété et, a fortiori, du mouvement qui pouvait y passer, par le montage. S’il y aura toujours quelqu’un pour produire une appropriation nauséabonde de ce qui se tenait dans son indétermination objective, le moment de capture de la signification ne peut apparaître que comme un acte politique nécessaire (sauf à rester muet) et nécessairement traître (sauf à croire que les corps et les choses sont toujours-déjà des propriétaires et des propriétés) : quand tout à coup quelqu’un vient pour dire « je » et « c’est ça », motifs de la capture. Benjamin n’a pas beaucoup d’affinité avec tout un cinéma de propagande, aussi noble soit la cause vendue. C’est sur fond d’une impuissance de la signification à se clore sur elle-même que tout le travail politique du montage et de l’examinateur distrait s’opèrent dans l’essai.
En guise de conclusion : au travail…
35Le cinéma valorisé par Benjamin renverse la domination du capital sur le travail. Par le problème de l’appropriation impossible, c’est un travail infini qui mobilise le spectateur. Le passé ne peut plus servir à assoir la domination. La théorie du choc reposait certainement sur une pétrification du travail de l’intellect. Mais pas pour prendre possession du spectateur de cinéma, pas pour lui imposer l’ordre régissant le monde de la propriété. Psychologie, histoire, situations, sont autant de titres de propriétés — sur l’esprit, sur les événements, sur les choses — qu’un certain type de montage mettait en suspens, et pas seulement la simple reproduction technique. Il y avait dès lors une infinité de places à prendre, d’actes d’appropriation à commettre.
Voetnoten
2 Pour plus de précisions sur les auteurs de ces textes, cf. Scott Curtis, « Between Observation and Spectatorship », dans Klaus Kreimeier & Annemone Ligensa (dir.), Film 1900: Technology, Perception, Culture, Herts, John Libbey publishing Ltd., 2009.
3 Andreas Killen, « The Scene of the Crime: Psychiatric Discourses on the Film Audience in Early Twentieth Century Germany », dans Klaus Kreimeier & Annemone Ligensa (dir.), Film 1900: Technology, Perception, Culture, op. cit., p. 102.
4 Plus encore, le cinéma participera à la mise en scène des inquiétudes qu’il suscitait, tantôt mettant en abîme le spectateur hypnotisé — le modèle Caligari —, tantôt produisant la métaphore de son pouvoir hypnotique sur le spectateur dans la salle — le modèle Mabuse. En effet, dans LeCabinet du docteur Caligari, film datant de 1919, adaptation du roman Im Banne der Hypnose écrit en 1897 par Hans Buchner, l’éponyme docteur conduit Cesare à commettre un crime par la simple suggestion hypnotique. Le cinéma s’appropriait là un contenu de représentation avec lequel il se trouvait en affinité. Dans le premier Mabuse, Docteur Mabuse le joueur, film datant de 1922, adaptation du roman éponyme écrit en 1922 par Norbert Jacques, le docteur devient tout œil sur l’écran, la caméra fermée à l’iris ne laissant place qu’à une relation entre le spectateur et l’œil de l’hypnotiseur. Là encore on donnait beaucoup à la représentation de l’hypnose — il ne s’agit que d’une métaphore —, mais en même temps on faisait clairement signe vers le pouvoir hypnotique du dispositif cinématographique. Et il y a une longue liste de films qui traiteront directement de l’hypnose, comme il y a une longue liste de romans qui s’y intéresseront tout autant.
5 Nous nous appuierons essentiellement sur la quatrième et dernière version du texte, qui date de 1939 (Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1939), trad. fr. M. de Gandillac, dans Id., Œuvres, III, trad. fr. M. de Gandillac, P. Rusch et R. Rochlitz, Paris, Éditions Gallimard, 2000, p. 269-316).
6 Andreas Killen, « The Scene of the Crime: Psychiatric Discourses on the Film Audience in Early Twentieth Century Germany », art. cit., p. 101.
7 Pour plus de détails sur ces débats, ainsi que sur les cas Bompard et Czynski, voir Stefan Andriopoulos, Possessed: Hypnotic Crimes, Corporate Fiction, and the Invention of Cinema, trad. angl. P. Jansen, Chicago, University of Chicago Press, 2008, p. 26 et sq.
8 Raymond Bellour, Le Corps du cinéma : Hypnoses, émotions, animalités, Paris, P.O.L, 2009, p. 46.
9 Ibid., p. 38, p. 49-50.
10 Stefan Andriopoulos, Possessed: Hypnotic Crimes, Corporate Fiction, and the Invention of Cinema, op. cit., p. 32.
11 Scott Curtis, « Between Observation and Spectatorship », art. cit., p. 96.
12 Tausk, Beinflussapparat, 1916.
13 Nous suivons ici Stefan Andriopoulos (cf. Possessed: Hypnotic Crimes, Corporate Fiction, and the Invention of Cinema, op. cit., p. 110) contre Raymond Bellour qui parie sur une affinité essentielle entre hypnose et cinéma dans son ouvrage Le Corps du cinéma.
14 Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1939), art. cit., XIV, p. 309. La phrase est issue des Scènes de la vie future (1930).
15 Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1939), art. cit., XIV, p. 309.
16 Ibid., XV, p. 311.
17 Note qui figurait dans le corps du texte dans la première version de l’essai. Cf. Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1938), art. cit., p. 107.
18 Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1939), art. cit., XIV, p. 309, note 2.
19 « La base psychologique sur laquelle repose le type des individus habitant la grande ville est l’intensification de la vie nerveuse die Steigerung des Nervenlebensqui résulte du changement rapide et ininterrompu des impressions externes et internes » (Georg Simmel, « Les Grandes villes et la vie de l’esprit », dans Id., Philosophie de la modernité, t. 1, trad. fr. J.-L. Vieillard-Baron, Paris, Éditions Payot & Rivages, 1999, p. 234).
20 Voir Henri Bergson, Matière et mémoire, Paris, PUF, 2004.
21 La première version de l’essai de Benjamin insiste sur cette dimension de protection. Le « lourd danger de mort auquel doit faire face l’homme d’aujourd’hui » contraint plus que jamais à une « attention renforcée » (Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1935), Id., Œuvres, III, op. cit., XVII, p. 107).
22 Georg Simmel, « Die Berliner Gewerbeaustellung », dans Die Zeit: Wiener Wochenschrift für Politik, Volkswirtschaft, Wissenschaft und Kunst, 8/95, 25 juillet 1896.
23 Voir Hermann Häfker, « Zur Dramaturgie der Bilderspiele », dans Der Kinematograph, 32, 7 août 1907.
24 C’est le sens premier de la référence à Simmel dans la dernière version de l’essai.
25 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté » (1933), trad. fr. P. Rusch, dans Id., Œuvres, II, trad. fr. M. de Gandillac, P. Rusch et R. Rochlitz, Paris, Éditions Gallimard, 2000, XX, p. 364-372.
26 On sait que le concept d’expérience est lié à Kant chez Benjamin, depuis Sur le programme de la philosophie qui vient (cf. Walter Benjamin, « Sur le programme de la philosophie qui vient » (1933), trad. fr. P. Rusch, dans Id., Œuvres, II, op. cit.,p. 364-372).
27 Immanuel Kant, Critique de la raison pure,trad. frJ. Barni revue par J.-L. Delamare et F. Marty, Paris, Éditions Gallimard, 1980, p. 180.
28 Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté » (1933), art. cit., p. 372.
29 Ibid., p. 365.
30 Ibid., p. 367.
31 Ibid., p. 371.
32 Ibid., p. 371.
33 Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1939), art. cit., p. 313.
34 Rolf Tiedemann, Études sur la philosophie de Walter Benjamin, Arles, Éditions Actes Sud, 1987, p. 115.
35 Rainer Rochlitz, par exemple, parlera de « fétichisation de la technique cinématographique (Rainer Rochlitz, Le Désenchantement de l’art, Paris, Éditions Gallimard, 1992, p. 205).
36 Qui demeure une possibilité : nous ne discutons pas ici du sujet empirique, soumis à toute une série de conditions d’ordre psychologique (fatigue, paresse, etc.) qui peuvent le détourner de cet exercice.
37 Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1939), art. cit., X, p. 295.
38 Theodor W. Adorno, « Autour de l’œuvre d’art », dans Id., Sur Walter Benjamin, Paris, Éditions Gallimard, 2001, p. 173.
39 Mathilde Girard, « Benjamin, Adorno, Kracauer : le cinéma, écueil ou étincelle révolutionnaire de la masse ? », dans Lignes 11, mai 2003, p. 214. La référence à Bernard Stiegler est issue de La Technique et le temps, III : Le temps du cinéma, Paris, Éditions Gallilée, 2001, p. 68.
40 Voir Miriam Bratu Hansen, Cinema and Experience, California, University of California Press, 2012, p. 87. Et ce, dit Hansen, même s’il n’est pas certain que Benjamin l’aie vu. Il est néanmoins certain qu’il l’a connu par la critique relativement longue qu’en a donné Kracauer dans la Frankfurter Zeitung du 19 mai 1929 (Siegfried Kracauer, Der Mann mit dem Kinoapparat, Ein neuer russicher Film, dans Id., Werke, 6.2, Francfort, Suhrkamp, 2004, p. 247-253).
41 Miriam Bratu Hansen nous a montré l’intérêt tactique de cette référence discrète à Vertov dans l’essai de Benjamin (cf. Miriam Bratu Hansen, Cinema and Experience, op. cit., p. 87 et sq.). La formule d’Annette Michelson se trouve dans son introduction à la traduction anglaise des écrits de Vertov (Kino-eye: The Writings of Dziga Vertov, trad. angl. K. O’Brien, Berkeley, University of California Press, 1984, LXI).
42 Il reprend ces analyses à Pirandello, dans son roman On tourne. Voir Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1939), art. cit., IX, p. 291.
43 Ibid., XIII, p. 304.
44 Cf. ibid., XIII, p. 305.
45 Georges Didi-Huberman, L’Œil de l’histoire, 1 : Quand les images prennent position, Paris, Éditions de Minuit, 2009, p. 219.
46 Ainsi que l’a fait remarquer Mathilde Girard : «Et en définitive, l’enjeu de L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée se situe là, au moment où la masse se réapproprie l’œuvre par sa reproduction, sa diffusion, et les éléments d’images que par là elle retrouve » (Mathilde Girard, « Benjamin, Adorno, Kracauer : le cinéma, écueil ou étincelle révolutionnaire de la masse ? », art. cit., p. 222).
47 Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1939), art. cit., II, p. 276.
48 Ibid., X, p. 295.
49 On peut lire à ce sujet Bernd Witte, Walter Benjamin, une biographie, Paris, Éditions du Cerf, 1988, p. 199-200.
50 Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (1939), IV, p. 282.
51 Ibid., VI, p. 286.
52 Ibid., Avant-propos, p. 271.