Aux fondements sociaux des Mémoires algériennes
Le cas négatif des « Pieds-Noirs Progressistes »
Doctorant contractuel, Laboratoire du Centre d'Études Politiques de l'Europe Latine, Université de Montpellier.
Introduction
1En France, la résurgence régulière de controverses autour de la guerre d’Algérie met en scène différents groupes mémoriels dont l’objectif commun consiste principalement à rendre officielle leur lecture du passé colonial. Issus des populations créées par l’indépendance de l’Algérie1, ces groupes circonstanciels2 se rassemblent autour d’une expérience commune de la souffrance3 et revendiquent leur légitimité à témoigner du passé en tant que victimes. On assiste alors à une « guerre des mémoires »4 qui oppose non seulement ces différentes communautés, mais donne également lieu à des divergences internes. C’est le cas du réseau associatif pied-noir, marqué par une lutte pour la représentativité d’un groupe dont l’hétérogénéité politique et sociale a été démontrée5. Après l’obtention de réparations financières consécutives au rapatriement, la politisation de la cause pied-noir s’accompagne depuis une trentaine d’années d’une multiplication des demandes de réhabilitations mémorielles6.
2La création, en 2008, de l’Association Nationale des Pieds-Noirs Progressistes et de leurs Amis (ANPNPA), qui affirme ne pas se reconnaître dans les structures préexistantes, se présente comme une rupture dans cette évolution des mobilisations de rapatriés. On assiste alors à une situation paradoxale dans laquelle des individus qui partagent un vécu commun (la situation coloniale en tant que citoyens français et l’exil vers la métropole) se mobilisent pour des lectures historiques radicalement opposées. Le premier questionnement qui se pose est alors de chercher à expliquer comment des individus revendiquant une même expérience parviennent à s’opposer sur l’interprétation de ce même passé. Pour y répondre, nous inscrirons notre démarche dans la continuité des travaux sur la « nostalgérie »7, en cherchant à rendre intelligible le développement inédit d’un anticolonialisme critique au sein de la scène militante pied-noire, et plus largement les ressorts de la mémoire coloniale. Nous centrerons donc notre réflexion sur la problématique suivante : comment se construisent les mémoires communes au sein de la population des pieds-noirs ?
3Plusieurs auteurs ont étudié le traitement politique et institutionnel8 de cette multiplication des mémoires. Ici, nous souhaiterions suivre une approche par le bas de ces mémoires, en reprenant une microsociologie qui consacre les individus comme objets d’étude9. L’approche en termes de mémoire collective fondée par Maurice Halbwachs10 sera elle aussi reprise, au regard de la sociologie de la mémoire défendue par Marie-Claire Lavabre11. En axant notre perspective « du côté des mécanismes de la socialisation, familiale, scolaire ou partisane, du côté de la logique interne des représentations du passé (…) telle que la restituent les individus »12, l’intérêt sera de connaître les propriétés sociologiques des acteurs de ces usages politiques du passé13.
4Partant, nous aborderons l’ANPNPA comme une étude de cas14 en gardant pour fil conducteur l’objectif de comprendre comment on devient « Pied-Noir Progressiste ». Il s’agira dans un premier temps de cerner la singularité de ce groupe pour ensuite démontrer les processus de construction mémorielle observés. Nous nous appuierons sur un travail d’observation directe des individus mené à partir d’entretiens approfondis non-directifs15, lesquels consistaient à revenir chronologiquement sur les parcours biographiques des enquêtés, tous retraités. En comparant ces récits de vie au moment de leur retranscription, nous avons pu faire apparaître des invariants dans les trajectoires sociales des enquêtés. Dès lors, la problématique du façonnement des mémoires algériennes a pu être mise en perspective avec la notion de cadres sociaux de la mémoire initiée par Maurice Halbwachs16.
L’ANPNPA comme cas négatif des mobilisations de pieds-noirs
5« Le premier aspect c’était de contredire les nostalgériques en disant : ce que vous dîtes c’est une horreur, la colonisation c’est horrible, la France a commis des crimes pendant des années en Algérie, donc il s’agit de le reconnaître »17. Le discours des adhérents de l’ANPNPA, en s’inscrivant en faux par rapport à la tradition de l’espace pied-noir, se présente comme un cas négatif, dans la mesure où il « instaure la perplexité du jugement en cassant le fil de la généralisation »18 . En contextualisant ses conditions de possibilité, nous chercherons à en montrer la singularité. La nature oppositionnelle du mouvement implique en effet de revenir brièvement sur les mobilisations de pieds-noirs préexistantes.
6Les premiers rassemblements portaient des revendications d’abord financières : au lendemain du rapatriement, des associations comme l’Anfanmoa, le FNR19 ou le Recours avaient pour priorité la demande de dédommagements pour la perte des biens matériaux laissés en Algérie. Parallèlement, plusieurs « amicales » locales et nationales proposaient des évènements festifs destinés à créer de la sociabilité entre les rapatriés. On observe ensuite une évolution vers des fins plus culturelles et mémorielles. Ce basculement peut être daté à 1975, avec la création du Cercle Algérianiste qui initie un travail d’autodéfinition et établit une contre-histoire articulée autour de trois points principaux : la légitimation de l’entreprise coloniale, la commémoration des victimes françaises et la réhabilitation de l’action de l’OAS20. On retrouve ici la dynamique d’invention d’une tradition21, qui revient à inscrire un groupe épars dans une généalogie valorisante (ici, la « tradition pionnière »22 présente l’ensemble des français d’Algérie comme bâtisseurs du développement économique d’un pays autrefois désertique) pour unir ses membres autour d’une conscience collective.
7Au début des années 2000, grâce au rapprochement idéologique entre certains élus de droite et le tissu associatif pied-noir23, ce discours victimaire s’impose dans le processus d’établissement des lois mémorielles et aboutit à l’inauguration de stèles et musées favorables à ces thèses. Au gré d’un activisme soutenu et de relais politiques24, on assiste alors à une profusion de monuments mémoriels dits « nostalgériques », particulièrement dans le Sud de la France. Ce climat encourage alors les membres fondateurs de l’ANPNPA, installés à Marseille, à publier en ligne le 8 novembre 2008 leur déclaration d’intention qui souligne deux axes majeurs : « porter témoignage pour l’écriture d’une histoire dépassionnée de la France en Algérie ; œuvrer à la réconciliation des deux pays, au renforcement de l’amitié entre les peuples »25.
8Dans ce contexte, l’idée d’une mémoire anticolonialiste portée par des pieds-noirs se présente comme une énigme, non pas par la teneur du discours en elle-même mais par l’identité de ceux qui le tiennent. Car si les idées anticolonialistes ne sont pas l’apanage des Pieds-Noirs Progressistes, elles prennent chez eux une résonance particulière par le jugement sévère qu’elles portent sur leur propre position d’ex-dominants26. Construite « de l’intérieur », cette lecture critique du fait colonial s’appuie sur trois idées principales : une condamnation sans faille de l’action de l’OAS pendant la guerre d’Algérie (traduite par une opposition à toute réhabilitation de son action), la dénonciation en bloc du système colonial (avec notamment le refus de reconnaître quelconque « rôle positif à la colonisation ») et une acceptation de l’indépendance (et de la légitimité de la lutte indépendantiste).
9Pour appuyer ces lectures historiques et contrer les réécritures adverses, les acteurs de ce mouvement expriment un rapport intéressé à la recherche et aux travaux scientifiques sur l’Algérie.
« Il y a une nécessité de connaître. Donc les historiens ont à faire leur travail. Sur la question de l’Algérie, ils n’ont pas encore fini. Et peut-être plus que les historiens, les sociologues, les anthropologues… Il y a tout un travail multidisciplinaire à faire sur cette question de l’Algérie. On est loin de l’avoir entièrement épluchée, mise à jour, donc il y a un travail spécifique des historiens »27.
10Cette demande de légitimation par la science entre là aussi en rupture avec le sentiment de rancune d’une partie des militants pieds-noirs traditionnels envers les ouvrages scientifiques défavorables à leurs thèses. On remarque ici une sollicitation constante des chercheurs dénuée de toute méfiance. Face à des épisodes douloureux qui font l’objet de débats d’interprétation28, une responsabilité centrale est ainsi donnée à l’historien considéré comme neutre. C’est l’autre point de désaccord avec les discours nostalgériques : alors que les uns accusent les chercheurs de fausser l’histoire quand des publications contredisent leurs versions des faits (notamment sur le caractère inégalitaire du système colonial, mais aussi sur la prétendue « cohabitation heureuse » entre Arabes et Français et le rôle de l’OAS dans le cours des évènements), les Pieds-Noirs Progressistes invoquent au contraire le débat scientifique comme porte de sortie aux litiges mémoriels. Cette optique rompt dans la même logique avec l’auto-investissement de l’Histoire par les pieds-noirs eux-mêmes29 au profit d’une volonté d’apaisement des mémoires.
11 Le contre-discours de l’ANPNPA s’est donc fondé dans l’adversité, avec pour ambition centrale de contester la représentativité revendiquée par les organisations concurrentes30. La concurrence mémorielle se croise ainsi avec la lutte pour le statut de porte-parole d’une communauté pied-noire dont l’unité reste illusoire. Le mot d’ordre initial de l’ANPNPA de se démarquer des discours antérieurs (« Parlez en votre nom si vous voulez, mais pas en le nôtre »31) est symptomatique de la diversité des recompositions identitaires qui s’opèrent à partir de 1962. Pour comprendre cette pluralité, notre objectif sera d’interroger les « conditions sociales de la production de ces souvenirs »32. A cette fin, en considérant que les choix des acteurs mémoriels ne peuvent être compris qu’en les insérant à leur propre trajectoire, il s’est avéré éclairant de comparer les récits de vie recueillis33.
Les cadres sociaux de la mémoire coloniale
12L’analyse comparative des témoignages a permis de relever rapidement un grand nombre d’invariants dans leurs trajectoires sociales. Rassemblées, ces caractéristiques communes dessinent une trajectoire modale des « Pieds-Noirs Progressistes » qui s’inscrit en marge de la majorité des autres pieds-noirs. Or, le mouvement étudié revêt un aspect également marginal dans l’espace des mobilisations pieds-noires. Ce constat invite à penser par homologie structurale, au sens bourdieusien, c’est-à-dire à considérer que les pratiques sociales s’inscrivent par rapport aux autres pratiques qui les entourent. Ainsi, « un champ est constitué, d’un côté, par un espace des positions défini par la distribution des propriétés agissantes, et, de l’autre côté, par un espace des prises de position défini par la distribution des pratiques réalisées dans ce champ »34. Dans le cas étudié, on observe une articulation entre la position sociale des Pieds-Noirs Progressistes et leur positionnement sur le champ mémoriel.
13Pour vérifier cette hypothèse et par extension expliquer les diverses réappropriations des mises en récit du passé, il est nécessaire d’identifier les expériences de socialisation dont sont issues les mémoires algériennes. En ce sens, nous reprendrons la conception collective de la mémoire développée par Maurice Halbwachs et plus particulièrement l’idée de cadres sociaux de la mémoire35. En rupture avec la psychologie individuelle, cette perspective envisage la mémoire comme le résultat d’un processus de mobilisation de souvenirs conditionnée par l’environnement social. Ainsi, « c’est dans la société que l’homme acquiert ses souvenirs, qu’il se les rappelle, qu’il les reconnaît et les localise » et les souvenirs sont « rappelés du dehors puisque les groupes dont je fais partie m’offrent à chaque instant les moyens de les reconstruire. »36. En somme, « se souvenir, c’est faire s’identifier une mémoire individuelle à une mémoire collective »37. Pour notre objet, la notion de mémoire collective ne peut toutefois convenir entièrement puisqu’elle renvoie à des représentations unanimement partagées au sein d’un groupe, alors qu’apparaissent ici des divergences internes aux pieds-noirs. Nous privilégierions donc la notion de mémoire commune proposée par Marie-Claire Lavabre qui, tout en reprenant cette idée d’interpénétration de l’individu et du collectif, propose de distinguer « mémoire vive et mémoire empruntée », c’est-à-dire de considérer la mémoire au croisement de souvenirs directement vécus et de récits rapportés38. L’apport principal de cette sociologie de la mémoire tient à son attachement « à prendre en considération les expériences biographiques et historiques, les raisons et motivations des acteurs sociaux qui formulent les mémoires historiques »39.
14Par conséquent, l’attention sera portée sur les « groupes intermédiaires » qui participent au processus de transmission du passé et déterminent les conceptions de l’histoire. En l’occurrence, le cheminement vers la mémoire algérienne « progressiste » peut être balisé par trois cadres sociaux particuliers auxquels tous les enquêtés ont été confrontés dans leur vie.
Des repères familiaux déterminants
15Le premier cadre social à partir duquel la mémoire commune se forge est la famille, premier lieu de socialisation. En évoquant régulièrement le rôle du père dans leur conception du monde (et par extension de l’Algérie, de la situation coloniale40 et de la guerre d’indépendance), les enquêtés montrent qu’ils ne s’appuient pas seulement sur leur expérience vécue (qui se limite à l’enfance) mais aussi sur le récit qui en est fait par l’entourage familial :
« J’ai un souvenir marquant, je me souviens d’une altercation violente entre mon père et des pieds-noirs, certains étaient des amis. Une conversation avec des pieds-noirs qui en gros défendaient le système colonial, l’état de fait, voilà. Et je me souviens précisément de la réponse d’une extrême violence de mon père, qui était allé, entre autres, dans le Sud couper l’alpha avec des Algériens et qui donc avait vu une réalité différente de celle que connaissaient les Européens des villes du littoral. Et je me souviens qu’il leur avait dit ‘Est-ce que vous avez vu ? Moi j’ai vu dans les permanences sanitaires, j’ai vu une queue de vieux, de femmes, de gamins attendre des heures sous un soleil de plomb, ils avaient les yeux rouges, bouffés par les mouches pour qu’au bout de deux ou trois heures on leur mette des gouttes dans les yeux’ Enfin... il était dans une violence folle parce qu’il y avait ou, dans le meilleur des cas, une ignorance totale de la part de ses interlocuteurs, ou un déni. »41.
16Cette référence permanente à la mémoire du père confirme que les personnes interrogées s’appuient d’abord sur des récits rapportés, devenus dominants dans leur mémoire, pour y adosser des souvenirs vécus directement et conformer leur mémoire personnelle à leur mémoire familiale. Nous pouvons lier cette propension au fait que l’ensemble des enquêtés aient quitté l’Algérie dans leur enfance ou adolescence, leur conscientisation de la situation coloniale s’étant faite a posteriori.
17La variable générationnelle s’avère effectivement déterminante sur plusieurs points.
« Je pense que la revendication de l’identité, elle est différente selon les générations, déjà. Elle était beaucoup plus affirmée dans les générations les plus anciennes, celles qui ont peu d’activité professionnelle en métropole après le rapatriement, ou des activités particulières. Mais ceux, comme moi, qui sont arrivés ados, on a été happés par la vie, tout simplement. Les études, le métier, les rencontres… On n’a pas vécu dans cette nostalgie, elle se forgeait qu’au niveau des générations anciennes et beaucoup dans un cadre familial. Et par rapport aux regards qu’on porte, c’est essentiellement le vécu qu’on a eu pendant la guerre et l’engagement de notre environnement. Ceux qui sont dans l’association, c’est beaucoup ça. C’est pas des gens qui ont eu une réflexion postérieure, pour l’essentiel ce sont des gens qui avaient déjà une réflexion au moment de la guerre ou qui étaient dans des familles qui avaient cette réflexion-là »42.
18L’assimilation d’une mémoire particulière est ainsi rendue possible par l’existence de prédispositions aux valeurs défendues par l’ANPNPA (telles que l’antiracisme et l’anticolonialisme) chez ses adhérents. En soulignant les récurrences entre les récits de vie, nous remarquons que dès leur enfance, les enquêtés sont sensibilisés à un questionnement sur la situation coloniale qui se traduit par la transmission d’une empathie pour la situation des Algériens : « Une chance pour moi, ça a été que mes parents étaient essentiellement antiracistes »43 ; « Mes parents avaient un vision sociale, ils voulaient un changement »44 ; « Mon père, il avait une certaine ouverture, au fur et à mesure il a compris que cette société était inégalitaire et injuste »45. Nous retrouvons ici les prémices d’une sensibilisation à la cause indépendantiste, qui, sans se traduire forcément par un engagement pro-FLN au moment des faits, facilite l’acceptation progressive de l’issue de la guerre et l’absence de traumatisme historique46. Là aussi, une distinction se fait avec le discours dominant chez les pieds-noirs, du moins dans le champ militant. Cette différence de parcours est également à mettre en lien avec le contexte de classe dans lequel les « Pieds-Noirs Progressistes » interrogés ont grandi et qu’ils invoquent pour appuyer leurs représentations. C’est le deuxième cadre social de la mémoire identifié.
Un contexte de classe structurant
19Sous le régime colonial, l’Algérie se caractérise par une stricte séparation sociale, économique et juridique des populations qui se reflète géographiquement. Alors que le territoire est principalement rural, les Européens résident majoritairement dans les grandes villes côtières (Constantine, Oran, Alger), elles-mêmes marquées par une ségrégation de fait entre quartiers européens et quartiers arabes (couramment nommés « gourbis » ou « villages nègres »). Malgré l’existence d’interactions paradoxales47 qui concilient rapports amicaux et racisme antimusulman, cet isolement des populations a des conséquences sur les représentations48. Dans cette disposition démographique, les enquêtés se positionnement encore une fois à la marge de la majorité des Européens d’Algérie en venant pour l’ensemble d’un milieu rural qu’ils soulignent pour contextualiser leur d’appartenance d’origine.
« Alors, voilà : moi, je suis originaire d’une petite ville du centre de l’Algérie, qui s’appelle Tiaret. C’est très différent des villes de la côte, Alger, Oran, Philippeville… Donc c’est très différent parce que c’était une ville plus petite et aussi parce que les communautés des Européens d’Algérie et des Algériens, des arabo-berbères, ces communautés étaient beaucoup plus en proximité ou en interconnaissance puisque proximité, l’une avec l’autre. »49, « C’était dans le quartier arabe de Sidi Bel Abbès. Mes parents (instituteurs) y ont fait toute leur carrière. Dans le quartier, on était confrontés à beaucoup de misère. Et ça c’était le rôle de ma mère, c’était social. Elle allait dans les maisons, elle voyait les gens, toujours en train de soigner »50.
20Dans une société segmentée où la « phobie de l’encerclement »51 domine les imaginaires, la promiscuité entre Arabes et Européens dans les campagnes dénote et intervient inévitablement dans la perception de l’Autre. Il s’agit du cadre « de classe » qui détermine à la fois la vision de la société d’un groupe particulier et l’idée que ce même groupe se fait de sa place dans la société52.
21L’école du village (où élèves français et arabes se côtoient, contrairement au système des classes indigènes en vigueur dans d’autres zones) et l’environnement professionnel (avec une surreprésentation des enseignants et des ouvriers chez les parents des enquêtés53) sont les deux lieux principaux où les populations se brassent et où une conscience de classe ouvrière se développe. Dans une autre mesure, la langue aussi apparaît « comme un lieu où les hommes pensent en commun »54. La compréhension de la langue arabe, elle aussi minoritaire chez les Européens d’Algérie, participe au partage de représentations avec les Algériens musulmans : « Du côté de mon père, qui était un arabisant, qui parlait, qui les côtoyait, il y avait une compréhension, pas plus, du mauvais côté du système colonial ».
Une réflexion a posteriori
22Ainsi, l’évocation de l’Algérie coloniale se fait en s’appuyant sur des cadres sociaux liés aux conditions de vie d’origine. Toutefois, nous l’avons précisé, les adhérents de l’ANPNPA rencontrés ont passé la plupart de leur vie en France métropolitaine. Leur mémoire commune ne peut donc être exclusivement tributaire des années passées en Algérie. Le discours qu’ils portent aujourd’hui sur le système colonial dans lequel ils ont grandi a évolué, il n’était pas déjà assimilé dès 1962. En écrivant que « les récits de témoins évoluent sous l’influence de la mémoire collective de la société »55, Maurice Halbwachs explique que les souvenirs qui paraissent individuels sont orientés par des « conventions sociales ». Dans cette lignée, il semble évident que l’interprétation de l’histoire par les Pieds-Noirs Progressistes soit le fruit de réflexions postérieures à l’indépendance et à leur arrivée en France :
« Ils ont pas vécu hors-sol, les pieds-noirs. Donc c’est vrai que l’environnement politique métropolitain a eu une influence, la gauche est arrivée au pouvoir en 81… Tout ça, y a quand même des pieds-noirs qui ont rejoint ces forces de gauche, forcément. Ils sont pas tous nostalgiques, ils ont pas tous voté FN, pas du tout. Y a des gens qui, au travers de discussions, ont rejoint le courant majoritaire de la pensée politique métropolitaine. Et à partir de là, ils ont revisité le regard qu’ils avaient, ils se sont éloignés des visions racistes… Voilà. Bon… ça c’est peut-être pas forcément passé comme ça, on a pas fait tout ce qu’il fallait, c’était pas le comportement le plus juste. Voilà, tout ça c’est revisité, il y a eu cette évolution-là »56.
23 Chronologiquement, l’arrivée en France dans des conditions bien plus apaisées que les récits de chaos traditionnels57 s’inscrit dans la continuité d’un quotidien à la marge de leurs semblables. Plusieurs témoins ont en effet expliqué avoir quitté l’Algérie avant 1961, année du début de l’exode massif, et tous assurent avoir eu un point de chute précis en métropole (souvent chez un cousin ou une cousine). Ajoutons également que pour une partie d’entre eux, la raison du départ était d’abord scolaire, avec le souhait antérieur à la guerre d’intégrer un lycée ou une faculté métropolitaine58.
24Au-delà du rapatriement, qui se passe pour eux généralement sans encombre, l’épisode Mai 68 est souvent revenu dans les témoignages comme une période-clé où des valeurs de gauche s’affirment et deviennent structurantes pour la mémoire de l’Algérie. Précisons néanmoins que dans le contexte des Trente Glorieuses qui suit le rapatriement, la tendance chez les enquêtés est à un délaissement des questions algériennes au profit des préoccupations du quotidien familial et professionnel. La dernière intrigue reste alors de comprendre pourquoi, alors que les revendications financières, culturelles et mémorielles se multiplient, les individus observés restent en retrait. Si l’on comprend aisément pourquoi ils ne participent pas aux autres rassemblements de pieds-noirs, la tardivité de leur initiative pour faire entendre une voix discordante reste inexpliquée à ce stade de la démonstration.
25Il est important pour cerner la nature de l’ANPNPA de préciser qu’un grand nombre d’individus interrogés sont ou ont été adhérents à la Confédération Générale du Travail et au Parti Communiste. Cet étroit lien entre positionnement politique global et mobilisation mémorielle particulière doit être considéré puisque la défense d’une mémoire algérienne collective s’inscrit aussi dans un système de valeurs plus globales, et ne tient pas seulement à l’identité de Pied-Noir. Autrement dit, le positionnement sur le champ mémoriel suit l’engagement politique et inversement. Considérant que l’antiracisme et l’anti-impérialisme sont prégnants dans l’engagement communiste, nous pouvons affirmer que le souvenir de l’Algérie au sein de l’ANPNPA se fait « en fonction d’une vision acceptable du présent »59. Les motivations évoquées sont liées à des évènements contemporains : on retrouve l’idée halbwachsienne d’une reconstruction du passé selon les intérêts du présent.
26Dans un premier temps, la mobilisation pour une vision critique du passé colonial répond à des préoccupations relativement urgentes, dont celle de contester les lieux communs sur les pieds-noirs. S’opposer à l’image prégnante du pied-noir « colon raciste d’extrême droite », fait partie des arguments qui poussent des individus longtemps détachés des questions mémorielles à se rassembler. Cette dynamique se lance aussi en réponse au succès des mouvements nostalgériques qui parviennent à construire l’illusion d’une communauté homogène à des fins politiques60. La présentation à l’assemblée nationale d’un projet de loi visant à « reconnaître le rôle positif de la colonisation française »61 en est un exemple et marque le début d’une évolution des politiques mémorielles :
« C’est vrai qu’en fait toutes les raisons qu’on a avancées pour créer l’association, en fait elles existaient bien avant. Et sans doute, on a créé cette association trop tard. Sans doute aurait-il été bon de le faire avant. Ceci dit, en 2008, c’était le moment où les associations nostalgériques s’exprimaient beaucoup, pour le coup, en disant qu’elles parlaient pour l’ensemble des pieds-noirs. C’était très énervant mais c’était comme ça. C’était l’époque de Sarkozy, et il a multiplié les confidences et les échanges avec les organisations nostalgériques, elles ont été reconnues. C’était l’époque aussi où se multipliaient les stèles. Parce qu’il n’y a pas si longtemps qu’on voit ça. On aurait pu créer l’association avant mais on l’a pas fait, effectivement »62.
Le passé à partir du présent
27En outre, la curiosité pour le passé cultivée par les militants progressistes est symptomatique d’une mise en relation de la situation contemporaine avec l’histoire coloniale :
« Je pense que le traumatisme de l’Algérie, il est resté dans les têtes et que le regard qui est porté sur les populations aujourd’hui, la peur sur l’immigration africaine, l’interprétation qui est faite de l’Islam (même si c’est pas du tout les mêmes pratiques qu’à l’époque), etc., c’est lié quand même. Je pense que c’est pas déconnecté. C’est sourd… C’est pas repris par les populations pieds-noires. C’est vrai, ça va disparaître. La mémoire sera dissoute dans une communauté, spécifiquement, il y en aura plus. Voilà. Mais ce sera pas les pieds-noirs mais ce sera le phénomène colonial, parce que ça correspondait à une image de ‘la France forte, la France d’avant qui était d’une toute puissance et qui est aujourd’hui une puissance déclinante parce qu’on a laissé faire, gnagnagna’, etc. Et l’impact aussi de la guerre. Ça n’a pas été neutre, quand même. Toutes les familles y ont envoyé leur gosses là-bas, tout ça. Ils se sont dit que c’était ‘bien fait pour les pieds-noirs mais enfin faudrait pas quand même qu’on ait une invasion ’. Tout ça, ça reste »63.
28Cette volonté de se mobiliser pour témoigner de l’Algérie se retrouve dans les projets menés par l’association. Si l’opposition aux reconstructions historiques sur l’Algérie a constitué leur premier mot d’ordre d’action, d’autres objectifs ont vu le jour avec par exemple le souhait de travailler au rapprochement franco-algérien par l’organisation d’évènements culturels réunissant des artistes des deux rives de la Méditerranée ou par l’intervention des membres de l’association dans des collèges et lycées.
29Enfin, l’inquiétude évoquée quand à une perte de transmission de la mémoire pied-noire est également source de motivations. Ces objectifs se rejoignent dans la mesure où ils participent à une reconstruction du passé à partir des « intérêts du présent » du groupe intermédiaire et de la société globale. Au fil des entretiens, des sujets de société comme l’immigration en France sont ramenés à l’expérience individuelle et le souvenir devient un témoignage que l’auteur tend à « rendre utile ». A titre plus individuel, la curiosité développée pour l’histoire et la volonté de comprendre la colonisation et la guerre est aussi issue de réflexions personnelles quasi-cathartiques. Le cheminement intellectuel des enquêtés est notamment guidé par des lectures qui poussent à des réflexions inexistantes pendant la période coloniale. Suite à quoi les souvenirs individuels sont mis en conformité avec la conception de l’histoire assimilée. Car si les Pieds-Noirs Progressistes présentaient tous des prédispositions à leur mémoire commune actuelle, celle-ci est aussi le résultat de concessions et de questionnements. Les personnes interrogées n’échappent pas automatiquement à la nostalgie de « l’Algérie de papa » au moment de l’indépendance, ils s’en détachent progressivement à l’aide de considérations historiques et politiques développées sur le tard. Parmi ces indices, on retrouve le souci permanent de contextualiser les évènements sur le long terme :
« Il y a un géographe qui s’appelle Cote qui a écrit « L’Algérie retournée » et ça, c’est une chose que j’ai apprise dans mes études que je ne savais pas. Il expliquait que le drame de l’Algérie c’était qu’on avait retourné cette Algérie, c’est-à-dire qu’on en a fait un pays d’agriculture dans la plaine, ce qui n’était pas du tout leur façon de faire. On a pris la terre, etc. On peut rien comprendre si on n’élargit pas. On peut rien comprendre à l’Algérie si on ne connaît pas l’Algérie en 1830, c’est clair »64.
30Pour reprendre les termes de Maurice Halbwachs, les Pieds-Noirs Progressistes « infléchissent leurs souvenirs dans le sens même où évolue la mémoire collective »65, c’est-à-dire qu’ils font preuve d’une distanciation progressive par rapport à une période-clé de leur vie. Cet aspect évolutif évoque en miroir l’accusation portée contre leurs adversaires de vouloir « bloquer l’histoire »66 en maintenant des thèses à rebours des évolutions sociétales.
Conclusion
31En s’intéressant directement et en profondeur aux profils des adhérents de l’ANPNPA, plusieurs facteurs d’explications des divergences mémorielles ont pu être avancés. Situer le positionnement de l’association au sein de l’espace pied-noir a permis de définir l’intrigue qu’une telle situation posait. En privilégiant une démarche inductive basée sur des entretiens ethnographiques, on a pu souligner la récurrence des propos au sein de l’échantillon des enquêtés et ainsi monter en généralité les différents cas individuels. Par une mise en perspective des cadres sociaux qui les portent, l’originalité du discours « pied-noir progressiste » est rendue intelligible au prisme des appartenances collectives de leurs protagonistes : les enquêtés se distinguent par un ancrage social à la marge du reste des pieds-noirs (milieu rural, famille ouvrière et conditions particulières de rapatriement).
32Notons qu’une telle configuration présente des parallèles importants avec le cas des juifs algériens anticolonialistes dont l’engagement politique tout aussi inattendu s’inscrit également dans des « biographies dissidentes », lesquelles sont marquées par une série de groupes de socialisation comme la famille, le quartier ou l’école qui s’avèrent décisifs dans les processus d’identification à la lutte indépendantiste67.
33L’enseignement principal de l’étude des « Pieds-Noirs Progressistes » est donc de montrer que leur mémoire commune se forme à la fois par expérience du vécu et par localisation de repères impersonnels. Plus largement, une telle démonstration propose d’interpréter les oppositions mémorielles entre les associations de pieds-noirs à l’aune des origines sociales de leurs membres. Pour vérifier la portée générale de cette lecture théorique, il conviendrait de mener le même travail auprès des mémoires dites nostalgériques. Nous pourrions alors vérifier si les discours favorables à l’entreprise coloniale sont eux aussi conduits par un contexte et des intérêts particuliers. Pour s’en convaincre, on ne peut qu’encourager à la poursuite d’une approche par le bas des mémoires collectives68.
Notes
1 Quatre populations inédites naissent en 1962 : les Harkis, les anciens combattants en Algérie, les immigrés Algériens et les pieds-noirs ; ces derniers répondant à deux critères : le statut de citoyen français en Algérie et le rapatriement en France.
2 Vilain Jean-Paul et Lemieux Cyril, « La mobilisation des victimes d’accidents collectifs. Vers la notion de groupes circonstanciels », Politix, 2007, n°44, pp 135-160.
3 Ici, les pieds-noirs partagent le souvenir de l’exil de l’Algérie vers la France à partir de 1961, au moment de la guerre d’indépendance (1954-1962).
4 Blanchard Pascal et Veyrat-Masson Isabelle, Les guerres de mémoires. La France et son histoire. Enjeux politiques, controverses historiques, stratégies médiatiques. Paris,La Découverte, 2008, 336p.
5 Comtat Emmanuelle, Les Pieds-Noirs et la politique : quarante ans après le retour, Paris, Presses de Science Po, 2009, 320 p.
6 Comtat Emmanuelle, « Du vote des pieds-noirs aux politiques mémorielles à l’égard des rapatriés. Étude du lien entre une opinion publique catégorielle et l’action publique », Pôle Sud, vol. 45, no. 2, 2016, pp. 119-135.
7 La nostalgérie renvoie au sentiment exacerbé de nostalgie d’une Algérie Française idéalisée comme « pays de cocagne ». Savarese Eric, L’invention des Pieds-Noirs, Paris, Séguier, 2002, 283 p.
8 Michel Johan, Gouverner les mémoires. Les politiques mémorielles en France. Paris, PUF, 2010, 256 p. et Stora Benjamin, La gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 1991, 384 p.
9 Sur les pieds-noirs, voir Baussant, Michelle, « Exils et construction de la mémoire généalogique : l’exemple des pieds-noirs », Pôle Sud, 2006, n°24, pp 29-44 et Scioldo-Zurcher Yann, Devenir métropolitain, parcours et politique d’intégration de rapatriés d’Algérie à la métropole, de 1954 au début du XXI° siècle, Paris, Ehess, 2010, 462 p. Pour une approche plus historienne, voir Hureau Joëlle, La mémoire des pieds-noirs de 1830 à nos jours, Paris, Perrin, 2010, 375 p. et Jordi, Jean-Jacques De l'exode à l'exil : l'exemple marseillais, 1954-1992, Paris, L’Harmattan, 1993, 250 p.
10 Halbwachs Maurice, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997, 304 p.
11 Lavabre Marie-Claire, « La mémoire collective : entre sociologie de la mémoire et sociologie des souvenirs ? », 2016, disponible à l’adresse suivante : https://halshs.archives-ouvertes.fr/ (consulté le 15 mars 2018).
12 Lavabre Marie-Claire, Le fil rouge. Sociologie de la mémoire communiste, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1994, 319 p.
13 Andrieu Claire, Lavabre Marie-Claire et Tartakowsky Danielle (dir.), Politiques du passé : usages politiques du passé dans la France contemporaine, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2006, 262 p.
14 Passeron Jean-Claude, Penser par cas, Paris, Editions de l’EHESS, 2005, 292 p.
15 L’échantillonnage s’est fait sans obstacle grâce au concours généreux du président de l’Anpnpa qui nous a transmis les coordonnées d’une trentaine de membres. Nous retiendrons ici 27 entretiens exploitables (sélectionnés sur le double critère de pieds-noirs / adhérents à l’association) sur un total avoisinant les 300 adhérents. Une telle proportion invite donc à « assumer le caractère non-représentatif de l’échantillon » (Beaud Stéphane, « L’usage de l’entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l’entretien Ethnographique », Politix. Revue des sciences sociales du politique, 2006, vol. 9, numéro 25, pp 226-257.). Trois entretiens informatifs ont été menés auprès de membres de l’association « non pieds-noirs ».
16 Halbwachs Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, Albin Michel, 1994, 374 p.
17 E2, président de l’association, directeur de recherche en génétique à la retraite, né à Tiaret, fils de colons. Engagé au Parti Communiste et à la Confédération Générale du Travail, c’est lui qui nous a transmis les coordonnées des autres enquêtés.
18 Passeron Jean-Claude, Penser par cas, op. cit.
19 Association Nationale des Français d'Afrique du Nord, d'Outre-Mer et de leurs Amis et Fédération Nationale des Rapatriés.
20 Organisation Armée Secrète : groupuscule clandestin violent créé par des généraux français pendant la guerre pour soutenir le maintien de l’Algérie Française.
21 Hobsbawn Eric et Ranger Terence (dir.), L’invention de la tradition, Paris, Editions Amsterdam, 1983, 381 p.
22 Savarese Eric, L’invention des Pieds-Noirs, op. cit.
23 Comtat Emmanuelle, « Du vote des pieds-noirs aux politiques mémorielles à l’égard des rapatriés. Étude du lien entre une opinion publique catégorielle et l’action publique », op. cit.
24 Romain Bertrand parle de « levée du tabou anti-Oas » dans le champ politique. Bertrand Romain, Mémoires d’empire. La controverse autour du « fait colonial », Bellecombe- en-Bauges, Editions du Croquant, 2006, 224 p.
25 Anpnpa, « Déclaration d’intention », disponible à l’adresse suivante : http://www.anpnpa.org/?page_id=81 (consulté le 15 mars 2018).
26 La société algérienne sous le régime colonial était marquée par une stricte hiérarchisation des populations, notamment entre citoyens français et indigènes musulmans.
27 E11, instituteur, né à Oran. Animateur dans une association interculturelle en banlieue parisienne, il est l’auteur de Résistances pieds-noires à l’Oas, Paris, L’Harmattan, 2014.
28 A titre d’exemples, trois dates de massacres de masse cristallisent particulièrement les tensions : le 1er novembre 1954, le 17 octobre 1961, et le 26 mars 1962. Voir STORA Benjamin, La gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, op. cit.
29 D’où la notion d’ego-histoire qui renvoie au fait que longtemps, les publications sur les pieds-noirs sont restées l’œuvre exclusive de pieds-noirs.
30 Précisons ici qu’aussi revendiquée qu’elle soit, cette représentativité reste symbolique et statistiquement infondée puisque le Cercle Algérianiste, entité la plus importante numériquement, regroupe par exemple 8.000 adhérents pour une population totale de plus d’un million de pieds-noirs.
31 Anpnpa, « Déclaration d’intention », op. cit.
32 Andrieu Claire, Lavabre Marie-Claire et Tartakowsky Danielle, Politiques du passé : usages politiques du passé dans la France contemporaine, op. cit.
33 Dans une démarche historienne, confronter les enquêtés à une opération de remémoration poserait problème dans la mesure où la véracité des faits ne pourrait être strictement vérifiée. Ici, le risque de recréer une continuité biographique de soi ne constitue pas un biais majeur puisqu’il s’agit justement de saisir par un regard compréhensif le sens que les témoins donnent eux-mêmes à leur vécu et à leur engagement (Beaud Stéphane, op. cit.). De la même manière, les problématiques inhérentes au traitement des sources orales ne sont pas rédhibitoires ici, puisqu’il n’est pas question de vérifier les fondements historiques des mémoires étudiées.
34 Roueff Olivier, « Les homologies structurales : une magie sociale sans magiciens ? La place des intermédiaires dans la fabrique des valeurs », Trente ans après La Distinction, de Pierre Bourdieu. Paris, La Découverte, 2013, pp. 153-164.
35 Halbwachs Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, op. cit.
36 Ibid.
37 Ibid.
38 Lavabre Marie-Claire, « La mémoire collective : entre sociologie de la mémoire et sociologie des souvenirs ? », op. cit.
39 Ibid.
40 Balandier Georges, « La situation coloniale », Cahiers Internationaux de Sociologie, 1951, vol. 11, pp. 44-79.
41 E18, journaliste à La Marseillaise à la retraite, fils d’ouvrier, né à Arzew, membre du Parti Communiste.
42 E26, fonctionnaire à la retraite, membre du Parti Communiste, né à Sidi Bel Abbes, passionné d’histoire.
43 E11, précédemment cité.
44 E29, institutrice à la retraite, fille d’instituteurs. Née à Sidi Bel Abbès.
45 . E16, conseillère d’orientation à la retraite. Née à Aït-Kerma, fille d’un directeur d’usine.
46 La notion de traumatisme historique désigne les blessures morales provoquées par une politique publique, un lien de causalité pouvant être établi entre le niveau de traumatisme historique et les choix électoraux. Savarese Eric, « Un regard compréhensif sur le « traumatisme historique ». A propos du vote Front National chez les pieds-noirs », Pôle Sud, 2011/1, n°34, pp.91-104.
47 Nora Pierre, Les Français d’Algérie, Paris, Julliard, 1961, 340 p.
48 L’acceptation de ce système inégalitaire par les populations européennes est par ailleurs rendue possible par une légitimation officielle de l’entreprise coloniale.
49 E11, op. cit.
50 E29, op. cit.
51 Ruscio Alain, Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS, Cahiers libres, Paris, 2015, 310 p.
52 Halbwachs Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, op cit.
53 À l’exception près de deux fils de colons qui ont toutefois grandi dans une ferme où musulmans et français travaillaient ensemble.
54 Halbwachs Maurice, La mémoire collective, op. cit.
55 Halbwachs Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, op. cit.
56 E26, op. cit.
57 Jordi Jean-Jacques, De l’exode à l’exil. Rapatriés et Pieds-Noirs en France, Paris, L’Harmattan, 1993, 250 p.
58 Les milieux étudiants seront d’ailleurs les lieux de sensibilisation à la défense de l’indépendance pour certains d’entre eux.
59 Halbwachs Maurice, La mémoire collective, op. cit.
60 Savarese Eric, L’invention des pieds-noirs, op. cit.
61 Loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.
62 E2, op. cit. Pour un retour détaillé sur la genèse de l’Anpnpa, on conseillera l’ouvrage de Roger Hillel, fondateur du mouvement : La Triade Nostalgérique, Céret, Alter ego éditions, 2015, 221 p.
63 E26, op. cit.
64 E3, professeure d’histoire à la retraite. Membre du Parti Communiste et de la 4ACG, association culturelle fondée par des anciens appelés d’Algérie. Née à Tiaret, fille de fonctionnaires.
65 Halbwachs Maurice, La mémoire collective, op. cit.
66 Ruscio Alain, Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS, op. cit.
67 Le Foll-Luciani Pierre-Jean, Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale. Trajectoires dissidentes (1934-1965), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, 541 p.
68 Savarese Eric, « Pour une sociologie politique des mémoires algériennes », Annuaire de l’Afrique du Nord, XLI, Paris, CNRS, 2005, pp 128-136.