Résistances coloniales et mémorielles de collectifs militants partisans de l’Algérie française face à la politique de réconciliation des mémoires algériennes du président Macron
Emmanuelle Comtat est docteure en science politique, chercheuse UMR LARHRA (Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes) et CNRS France et enseignante permanente à la Faculté de Droit de l’Université Grenoble Alpes.
1En janvier 2021, la remise au président de la République française par l’historien Benjamin Stora1, d’un rapport officiel dressant un état des lieux sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie » et formulant des recommandations dans l’espoir d’aller vers une réconciliation2, montre que ce passé continue d’être sensible et de diviser la société française devenue multiculturelle et accueillant en son sein des personnes originaires des anciennes colonies3.
2Depuis le début de son premier quinquennat, le président de la République, Emmanuel Macron, a en effet initié une politique de réconciliation des mémoires algériennes en France, ainsi qu’avec l’Algérie, dans laquelle il reconnaît officiellement certains drames subis par les différents groupes mémoriels avec pour principe « Non à la repentance, oui à la reconnaissance »4. Toutefois, elle n’a pas reçu l’accueil espéré au sein de l’ensemble des associations porteuses de mémoires algériennes en France en raison des plaies mal cicatrisées de la guerre d’Algérie (1954-1962), et d’enjeux de reconnaissance matérielle ou symbolique qui s’inscrivent dans le présent. Elle n’a pas trouvé d’écho en Algérie, auprès des autorités politiques, où elle s’est soldée par une crise diplomatique5.
3Au moment des bilans avec les commémorations des 60 ans de l’indépendance algérienne et la disparition des témoins, constatons l’absence de récit national officiel en France (son élaboration est en construction) et d’un discours consensuel sur l’Algérie à la fois à l’époque coloniale et sur la guerre d’Algérie, bien que la colonisation soit largement condamnée par l’opinion publique. Cela donne lieu à une fragmentation des mémoires et à des demandes d’arbitrage faites à l’État de façon clientéliste par des mémoires collectives concurrentes.
4Intéressons-nous ici à la manière dont les collectifs de Pieds-noirs nostalgiques de l’Algérie française, qui œuvrent pour la reconnaissance du passé colonial de la France, perçoivent la politique mémorielle menée par le président Macron, ainsi qu’à leurs revendications. L’étude des associations revendicatives nationales (Cercle Algérianiste6, CLAN-R7, ANFANOMA8, FNR9, ADIMAD10, etc.) qui se sont imposées comme les interlocutrices des pouvoirs publics est privilégiée, bien qu’il ait existé une multitude d’associations et d’amicales locales.
5Étudions comment ces associations qui prétendent représenter l’ensemble des rapatriés d’Algérie11, interagissent dans l’espace public depuis plusieurs décennies pour que l’État réhabilite le passé colonial et la mémoire des partisans de l’Algérie française. Nous observerons quel est le référentiel mémoriel de ces associations, puis quel est le répertoire d’actions collectives utilisé pour que leurs revendications soient mises à l’agenda, et enfin nous analyserons les relais politiques dont elles disposent et pour quelles raisons ils sont ravivés. Ainsi, nous examinerons comment ces questions que l’on croyait appartenir définitivement au passé semblent s’être inscrites durablement dans la vie politique française.
6Nous nous fondons sur les résultats de travaux sur les comportements électoraux et sur les formes de mobilisations des rapatriés dans l’élaboration des politiques de la mémoire12* et sur un matériau qualitatif13 et quantitatif14 collecté auprès de Pieds-noirs et de descendants.
I. Référentiel mémoriel des associations nostalgiques de l’Algérie française
7Les associations de rapatriés sont apparues au moment du rapatriement des Français d’Afrique du Nord avec pour objectif de défendre les intérêts matériels et moraux de ce groupe dans leurs recours auprès des pouvoirs publics. Elles ont été très actives dans les années 1960 et 1980, période où les Pieds-noirs s’organisaient pour faire valoir le droit à l’indemnisation des biens laissés outre-mer, avec alors un nombre maximal d’adhérents. À partir des années 1970, de nouveaux enjeux apparaissent sur le terrain de la mémoire. Dès lors, les associations vont faire pression pour que l’État réhabilite celle des Européens d’Algérie et réintègre le passé colonial dans son grand récit national, comme une période glorieuse de l’histoire de France. Elles militent aussi pour la reconnaissance des victimes européennes durant la guerre d’Algérie (enlèvements, assassinats, mutilations et viols de civils). Cependant, à la fin des années 1980, elles connaissent un déclin relatif en raison de divisions internes (positionnement pas rapport au Front National15, le parti d’extrême droite qui sort alors de l’ombre, et par rapport au RPR16, le parti de droite, qui se réclame du gaullisme17), de l’échec partiel de certaines revendications (l’indemnisation n’a pas été à la hauteur des espérances ; les mémoires coloniales restent suspectes). Mais certaines (dont le Cercle algérianiste, « pilote » sur les questions mémorielles depuis sa création en 1973), particulièrement dynamiques dans le sud de la France, se remobilisent fortement au tournant du millénaire18, lorsque la France « sort » de « l’amnésie collective » relative sur son passé colonial qui s’était imposée pour rétablir la concorde nationale après l’indépendance de l’Algérie en 1962. La période voit alors resurgir dans l’espace public des conflits mémoriels entre collectifs porteurs de mémoires algériennes concurrentes agissant, dans une « surenchère victimaire », pour que leurs versions respectives du passé soient reconnues et légitimées19. Aujourd’hui, les témoins de ce passé disparaissent et de nombreuses associations de rapatriés cessent leurs activités faute d’adhérents et de renouvellement dans les nouvelles générations20, laissant la place à des « minorités actives » disposant de relais politiques solides21, notamment dans le sud de la France où vivent de nombreuses familles de rapatriés depuis 1962. Bien que la moyenne d’âge des membres de ces associations soit élevée (elle avoisine les 80 ans, s’agissant maintenant d’individus qui étaient jeunes adultes ou adolescents en 1962), constatons que leurs dirigeants sont parfois un peu plus jeunes (certains étaient enfants lors de la décolonisation) et bien mobilisés. Ces associations réunissent aussi des alliés » fiers de ce passé22.
8Intéressons-nous maintenant au référentiel mémoriel de ces associations qui se mobilisent pour la réhabilitation de l’Algérie française. Elles partagent généralement un même système de représentations qui constitue une sorte « d’idéologie ». Elles diffusent ainsi, à l’intérieur dudit groupe marginalisé, un « contre-récit » mémoriel dans un registre nostalgique et traumatique-victimaire « d’identités blessées », à contre-courant du récit anticolonial qui s’est imposé dans la société française depuis 1962 et faire le deuil de son empire. Ce « contre-récit » était pourtant le récit officiel de l’État français23 jusque durant la guerre d’Algérie (1954-1962)24. Les fondateurs de ces associations de Pieds-noirs l’ont repris à leur compte tandis que l’État l’abandonnait. Ce « contre-récit » « nostalgérique »25 exalte « l’épopée coloniale » associée à la grandeur de la France et à la puissance de son empire. On y trouve une idéalisation de l’Algérie française que les membres de ces collectifs refusent de renier parlant, au contraire, « d’œuvre française » (fierté de la mise en valeur du territoire algérien par les colons européens26, comme si « rien » n’existait sur ce sol avant la présence française27). Les souffrances endurées par le peuple algérien à l’époque coloniale sont occultées28 tandis que sont évoqués les sacrifices des premiers colons européens dans la mise en valeur du territoire, puis les blessures des rapatriés lors de la décolonisation29. Dans ces récits, les associations dénoncent la condamnation de la mémoire des Pieds-noirs depuis 1962 et les stéréotypes faisant de l’ensemble de ce groupe de riches colons oppresseurs et racistes, sans distinction de statut social ni de conviction politique, alors que l’immense majorité de cette population appartenait à un vaste prolétariat urbain (recensement officiel de l’INSEE de 1954). Elles exigent que l’État reconnaisse sa part de responsabilité dans l’abandon des Pieds-noirs et des Harkis en 1962. Cette mémoire défendue par les associations partisanes de l’Algérie française a été probablement dominante dans les récits individuels des rapatriés (en raison du choc de la décolonisation et de l’amertume d’avoir tout perdu), mais il est difficile de déterminer dans quelle mesure elle trouve encore un écho aujourd’hui. Elle semble s’être peu transmise aux descendants nés et socialisés dans l’hexagone. Il existe toutefois d’autres récits minoritaires renvoyant à la pluralité des mémoires d’un groupe hétérogène socialement.
9Les Pieds-noirs nostalgiques de cette époque ont le sentiment d’appartenir à une « mémoire bannie », car associée étroitement à la colonisation. Ils continuent de revendiquer et « d’incarner » le passé colonial que l’État français voudrait « oublier ». Ils rappellent la responsabilité de l’État dans la conquête de l’Algérie et dans la mise en place d’une colonie de peuplement officielle, encourageant Français et Européens à s’y installer. Ils ont le sentiment « d’assumer » seuls le poids de l’histoire. Notons que ce groupe (ses anciens) a été socialisé à l’époque coloniale où les réalisations des colons et de leurs descendants étaient saluées par la France, comme l’attestent les cérémonies officielles organisées par les pouvoirs publics commémorant avec faste à Paris et à Alger en 1930 le Centenaire de la conquête de l’Algérie30* ou comme le montre le soutien apporté au maintien de l’Algérie française par la classe politique française durant la guerre d’Algérie. Ce groupe a vu ensuite « son monde » s’effondrer/collapser brutalement lors du processus de décolonisation, sans y être préparé, et son système de représentations être remis en cause. Depuis, il lutte pour la réhabilitation de l’Algérie française avec un sentiment de trahison et d’avoir été les laissés pour compte de l’Histoire (promesses non tenues de conserver l’Algérie française, désolidarisation de l’État à l’égard de leur mémoire). Des témoins interrogés au sein d’associations indiquent qu’ils entendent résister contre l’effacement de leur mémoire et des sacrifices qui ont été les leurs et ceux de leurs ancêtres à l’époque coloniale. Observons que la plupart des membres de ces associations appartenaient généralement au « petit peuple » européen qui résidait dans les villes d’Algérie et ne faisaient pas partie de la catégorie sociale des propriétaires terriens. L’Algérie française avait donné à leurs ancêtres migrants — venus d’Espagne, de Malte ou d’Italie — la possibilité d’un nouveau départ dans la vie, d’où un attachement viscéral à un passé moralement condamné aujourd’hui. Avec la perte du territoire algérien, ils ont eu le sentiment de « tout perdre ». Les riches colons, rentrés quelquefois en métropole avant l’indépendance de l’Algérie où ils avaient diversifié leurs activités et leurs capitaux, font pour leur part rarement partie d’une association de rapatriés, prenant ainsi leur distance avec la colonisation qui leur a pourtant profité.
10Par ailleurs, les associations de nostalgiques de l’Algérie française se retrouvent sur un socle de revendications communes qui constitue la « Charte nationale des Rapatriés Mémoire et justice » signée par la plupart des associations revendicatives nationales et soumise aux candidats à la présidentielle de 2017 et de 202231. Elles demandent la reconnaissance de la responsabilité de l’État français et une réparation nationale dans l’abandon de ses ressortissants français et des Harkis32. Elles réclament aussi « l’établissement de la réalité des faits » pour les exactions commises durant la guerre d’Algérie33. Elles souhaitent enfin le respect de la mémoire des rapatriés et la sauvegarde de leur culture34.
11Des responsables d’associations nationales de rapatriés, contactés par nos soins en 2021 et en 2022 pour évoquer leur perception de la politique mémorielle d’Emmanuel Macron, ont fait part de leurs déceptions à propos du rapport Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie qu’ils jugent très déséquilibré et qui n’irait pas, selon eux, dans le sens d’un « travail de mémoires » et d’une réconciliation. Ainsi, selon eux, seules sont proposées à la reconnaissance dans ce rapport les exactions commises par la France contre les nationalistes algériens et leurs soutiens du PCA35, mais celles perpétrées par le FLN (Front de Libération nationale) sont passées sous silence. Ils déplorent ainsi que la question des disparus civils européens après la signature des accords d’Évian et celle de la tuerie de Français à Oran, le 5 juillet 1962, soient peu évoquées. Ils regrettent également l’absence de proposition d’une date commémorative qui ait une signification pour les rapatriés tandis que des dates sont annoncées pour honorer la mémoire des anciens combattants français ou des nationalistes algériens. Ils reprochent également l’absence de reconnaissance d’une figure illustre issue de leur « groupe mémoriel » tandis que le rapport propose de rendre hommage à l’émir Abdelkader, qui a résisté à la conquête par la France au XIXe siècle, ainsi qu’à Gisèle Halimi, avocate anticolonialiste proche du FLN, proposée d’entrer au Panthéon36. Ils estiment être les grands oubliés d’une politique mémorielle d’État qui entend pourtant réconcilier la France avec son passé colonial. Selon eux, il ne s’agirait, de la part de l’État français, que d’une opération de « repentance » qui ne dirait pas son nom, dont l’objectif serait un rapprochement diplomatique avec l’État algérien pour renforcer l’influence de la France en Afrique du Nord37. Ils voient aussi, de la part d’Emmanuel Macron, des visées électoralistes auprès des Français d’origine algérienne, dans la perspective de la présidentielle et des législatives de 2022. Ils doutent que le gouvernement algérien, qui puise, selon eux, sa légitimité dans la guerre de libération nationale, soit désireux de s’amender. Ils estiment qu’il s’agit d’un travail de mémoires « à sens unique » qui place la France en situation de faiblesse face à l’Algérie et qui entretient auprès des descendants d’immigrés algériens l’idée que la France est « coupable » et a une « dette » envers eux, ce qui ne favoriserait pas, selon eux, la réconciliation et le « vivre ensemble ». Les responsables d’associations de Pieds-noirs disent ne pas avoir été consultés au cours de la préparation de ce rapport et regrettent que sa rédaction ait été confiée à l’historien Benjamin Stora dont les engagements militants de gauche38 n’augurent pas, selon eux, que ce « travail de mémoires » puisse être mené de manière impartiale et équitable à l’égard de l’ensemble des mémoires algériennes39. D’une manière générale, ils suspectent les universitaires français de soutenir les mémoires des nationalistes algériens par préférence idéologique ou par conformisme au « politiquement correct » et à la norme anticolonialiste qui s’est imposée depuis 1962.
12Pour tenter de dissiper les tensions suscitées par le rapport Stora40, le président de la République a invité à l’Élysée le 26 janvier 2022 des représentants de « la grande famille des rapatriés d’Algérie » ainsi que des maires de villes du sud de la France41 et a prononcé un discours rendant hommage à ce groupe et reconnaissant leur contribution à la mise en valeur du territoire algérien et leurs souffrances lors de la décolonisation42. Certaines associations (dont le Cercle algérianiste) ont rejeté ce geste à l’égard des rapatriés et ne se sont pas rendues à l’Élysée, car elles n’ont pas pardonné à Emmanuel Macron d’avoir, lors d’un déplacement en Algérie au cours de la campagne présidentielle de 2017, qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité » et de « barbarie » (elles lui reprochent de ne jamais s’être excusé de ces propos), qu’elles perçoivent comme une insulte aux sacrifices de leurs aïeux dans la construction de l’Algérie43 et parce que le chef de l’État n’a pas désigné, dans son discours à l’Élysée, les responsabilités de ceux qui ont participé aux massacres de Pieds-noirs et de Harkis44. Ainsi ces collectifs militants pro-Algérie française ne désirent peut-être pas tant « tourner la page » qu’entretenir une mémoire traumatique, avec le soutien de partis politiques cherchant à se positionner sur des enjeux nationalistes et identitaires, alors que la génération des Pieds-noirs qui a tout perdu en Algérie en 1962 a aujourd’hui disparu et que celle des jeunes descendants (les 18-35 ans) souhaite maintenant une réconciliation et l’apaisement des mémoires45.
II. Modes d’action et répertoire d’actions collectives des associations de rapatriés
13Les associations nationales revendicatives de rapatriés ont d’emblée posé le groupe qu’elles prétendaient défendre en « victime » de la décolonisation et ont demandé aux pouvoirs publics réparation. Le répertoire d’actions collectives46 utilisé est très varié. Les formes d’actions et de mobilisations légales ont été privilégiées47, inscrites dans les registres de la participation conventionnelle et non conventionnelle. Elles ont été initiées dès les années 1960 avec la question de l’indemnisation des biens. Elles s’inspirent de modes d’action venus des Etats-Unis visant à interpeller les gouvernants pour les contraindre à mettre à l’agenda des revendications de groupes d’intérêts catégoriels et influencer la décision publique48. Les associations nationales de rapatriés ont ainsi agi en groupes de pression49, menant des actions de sensibilisation et de lobbying auprès de la classe politique.
14Ainsi les associations ont fréquemment recouru à l’envoi de lettres aux représentants politiques locaux ou nationaux, de droite et de gauche, pour leur faire part des attentes des rapatriés ou de leurs mécontentements, en vue d’obtenir leur soutien et de connaître leur position (qu’elles diffusent ensuite dans leurs bulletins de liaison auprès de leurs adhérents). Elles font aussi signer des pétitions qu’elles transmettent aux élus (sur le choix d’une date de commémoration, etc.).
15Les associations ont également longtemps brandi la menace du bulletin de vote50, lançant des appels au vote auprès de leurs membres (« vote sur enjeu », « vote sanction », « vote chantage », abstention, etc.), pour « forcer » les hommes politiques à soutenir leurs revendications. Cette stratégie d’instrumentalisation politique des mémoires trouve son origine dans la très grande défiance à l’égard des représentants politiques héritée de la guerre d’Algérie51. Elle s’est déployée localement dans le sud de la France. Elle est moins pratiquée aujourd’hui en raison du vieillissement de cette population. Les descendants tiendraient, pour leur part, moins compte du passé dans leurs choix électoraux52. En outre, certains responsables d’association ont aussi apporté publiquement leur soutien au FN/RN, ou profité de la concurrence entre la droite gaulliste (UMP/LR) et l’extrême droite pour voir aboutir des revendications dans une surenchère mémorielle et électoraliste. L’existence de « coalitions de causes » entre collectifs militants et partis politiques « alliés » (associations de Harkis, d’anciens combattants comme l’UNC-AFN ou le Souvenir français, des élus du centre-droit, de droite gaulliste ou du FN/RN, etc.) a favorisé une meilleure prise en compte des demandes des associations de rapatriés. De par ce type d’alliances avec des élus53 depuis le début des années 2000, certaines associations de Pieds-noirs (à travers leurs dirigeants) ont pu être mieux intégrées au « jeu politique » local et associées aux prises de décisions sur des projets de politiques publiques mémorielles (elles deviennent alors des « insiders » au lieu d’être écartées)54. Ont ainsi été nommés dans certaines municipalités du Midi, des adjoints ou conseillers municipaux en charge du dossier « rapatriés », souvent originaires de ce groupe ou issus de son tissu associatif55.
16Par ailleurs, les associations organisent des manifestations dans le cadre de mobilisations contestataires (manifestations contre la date commémorative du 19 mars56, « marches du 5 juillet 1962 » à Marseille pour faire reconnaître les disparitions d’Européens à Oran, manifestations en 2017 dans des villes du Midi contre les déclarations d’Emmanuel Macron comparant la colonisation à un crime contre l’Humanité, etc.). Ces formes d’actions se sont intensifiées durant les deux dernières décennies en raison de la résurgence des conflits mémoriels. Ces marches protestataires pacifiques réunissent généralement des rapatriés âgés souhaitant interpeller les pouvoirs publics pour les forcer à inscrire leurs revendications à l’agenda.
17Les associations organisent également des commémorations57, souvent non officielles et parfois controversées, qui suivent un calendrier alternatif correspondant aux dates de tueries d’Européens en Algérie58 ou d’exécutions de partisans de l’Algérie française devenus « martyrs » de la cause59. Elles utilisent le registre de « l’émotion », en « ravivant », lors de ces cérémonies, le traumatisme et la colère, pour « rendre publique » leur mémoire, (re) mobiliser les rapatriés, et entretenir une conscience victimaire. Elles invitent des élus locaux et des représentants de l’État (préfets, etc.) à les rejoindre afin de compter leurs soutiens. Elles proposent aussi aux médias de couvrir ces cérémonies pour les « légitimer ».
18En outre, les associations organisent des événements culturels mettant en scène leur « contre-récit » mémoriel (expositions montrant les réalisations des colons ou de l’Armée en Algérie française ou faisant connaître les violences subies par leur groupe lors de la guerre d’Algérie, organisations de conférences ou de congrès60 avec des intervenants souvent défenseurs de l’Algérie française ou vantant le rôle de l’Armée durant la colonisation, etc.) auxquels sont conviés là encore des élus locaux et la presse. À ce titre, Louis Aliot, maire RN de Perpignan, a inauguré dans sa ville en 2021, en réaction aux commémorations du 19 mars 1962, une exposition temporaire, présentée comme un lieu de recueillement à la mémoire des Harkis et des Pieds-noirs qualifiés de « victimes oubliées de la guerre d’Algérie », montrant à partir de photos et de documents les exactions commises (dépouilles de victimes, corps mutilés, etc.) contre ces « communautés » après le cessez-le-feu en Algérie. Ces expositions répondent aux mêmes objectifs de lutter contre l’occultation de leur mémoire, dont elles s’estiment être les victimes, et l’oubli. Le temps de ces rencontres, un microcosme est recréé avec ses sociabilités, ses valeurs partagées (la défense de l’Algérie française) et un soutien affiché à l’action de l’Armée à l’époque coloniale (soutien à l’Armée d’Afrique, aux Parachutistes de la Bataille d’Alger en 1957, et aux généraux putschistes de 1961).
19Par ailleurs, les associations ont recours à des actions judiciaires (dépôt de plaintes sur les disparus civils européens de la guerre d’Algérie61 ; plainte pour injure déposée contre Emmanuel Macron en 2017 quand il a qualifié la colonisation de crime contre l’Humanité, etc.), y compris si les faits sont prescrits ou pas recevables en droit. L’objectif n’étant pas d’obtenir une décision de justice que de rendre publics des faits et d’exercer ainsi une pression politique sur les gouvernants pour les décider à élaborer des politiques publiques de reconnaissance mémorielle à l’égard des rapatriés.
20Les associations se sont aussi servies de « fenêtres d’opportunités » médiatiques internationales en faisant des emprunts dans les modes d’action à d’autres groupes mémoriels concernés par des disparitions forcées (descendants de disparus de la guerre civile espagnole ou familles de disparus en Argentine et au Chili) pour faire reconnaître la question des disparus civils européens pendant la guerre d’Algérie, étape permettant d’accéder au rang de « victimes » et d’obtenir la réhabilitation de l’Algérie française.
21Enfin une grande partie de l’activité de ces associations s’est reportée aujourd’hui sur Internet et les réseaux sociaux afin de laisser à la postérité leur mémoire, de renforcer l’entre-soi et de faire connaître les avancées du dossier « rapatriés »62.
22Ces formes d’actions ont donné des résultats inégaux selon les dossiers, mais auront contribué à ce que les hommes politiques soient sensibilisés à la « cause des rapatriés ». 60 ans après la perte de l’Algérie, des candidats continuent aux élections de faire des promesses aux Pieds-noirs ou aux Harkis, alors même que les rapatriés sont de moins en moins nombreux. De même, périodiquement à l’approche d’une élection, la presse nationale s’intéresse à l’existence d’un hypothétique « vote pied ».
III. Relais politiques et mise à l’agenda de revendications de rapatriés
23Observons maintenant ce qui pousse des hommes politiques (maires, députés, ministres, etc.) à soutenir des revendications d’associations de rapatriés alors que le passé colonial est aujourd’hui condamné et qu’il divise la société française.
24Ces liens avec des édiles locaux sont parfois anciens et remontent à la guerre d’Algérie (ils peuvent même être antérieurs) et aux prises de position d’hommes politiques partisans de l’Algérie française. Ils ont pu orienter les flux de rapatriés en 1962, là où ces derniers espéraient trouver du soutien. Ainsi Jean puis son fils Jacques Médecin, maires successifs de droite antigaulliste de Nice ; François Delmas, maire de centre droit de Montpellier ; Henry Mouret, puis Félix Ciccolini, respectivement maires de centre gauche et SFIO d’Aix-en-Provence ; Paul Alduy, maire de Perpignan ont eu à gérer l’afflux des rapatriés et à faire face à des situations d’urgence dans l’accueil. Ces édiles locaux du sud de la France ont ainsi su saisir « l’opportunité » d’aider les Pieds-noirs à leur réinstallation qui allaient ensuite se réinscrire dans le corps électoral de leurs communes. Des raisons électoralistes en fonction « d’affinités électives » les ont donc conduits à soutenir les rapatriés et à établir avec eux des réseaux de nature clientéliste. Dans une enquête quantitative réalisée par nos soins en 2002, la moitié des Pieds-noirs déclaraient avoir déjà effectué un « vote de reconnaissance » à l’égard des hommes politiques qui les avaient aidés au moment du rapatriement63. D’autres élus du Midi ont plus tard emboîté le pas, constatant le poids électoral de ce groupe, même si leur famille idéologique et leurs valeurs politiques ne les portaient pas à soutenir spontanément les rapatriés (c’est le cas de Gaston Defferre64, maire socialiste de Marseille de 1953 à 1986, et de George Frêche, maire PS de Montpellier de 1977 à 2004). Ainsi ces hommes politiques, puis leurs successeurs, ont pris l’habitude de « dialoguer » avec les associations de rapatriés (en leur procurant des locaux associatifs, en soutenant parfois leurs revendications, en assistant à leurs cérémonies, etc.), qui jouent un rôle d’interlocutrices avec des membres de cette « communauté », et de présenter sur leurs listes, aux municipales, des candidats choisis parmi les rapatriés ou leurs descendants, qui demeurent un électorat courtisé.
25Par ailleurs, depuis les premiers succès électoraux du FN dans les années 1980, les études de référence en science politique ont mis en évidence que la filière « rapatriés » est l’une des composantes de l’extrême droite française65. Dès la création du FN en 1972, Jean-Marie Le Pen a été l’un des rares hommes politiques français à soutenir publiquement la mémoire de l’Empire colonial et celle des Pieds-noirs. De plus, le bastion méridional de ce parti correspond aux régions d’implantation des rapatriés66. Dès les années 1980, des réseaux se constituent entre des dirigeants d’amicales de Pieds-noirs et ce parti dans des villes du Midi (Marseille, Toulon, etc.)67. Des Pieds-noirs ou leurs descendants figurent depuis parmi les candidats du FN/RN dans ces régions68. Aujourd’hui des élus FN/RN du Midi continuent de tenir compte de cet électorat et n’oublient pas de soutenir la mémoire de ce groupe, bien que Marine Le Pen ait souhaité élargir sa base électorale en s’adressant désormais davantage aux laissés pour compte de la mondialisation qu’à ceux de la décolonisation. Depuis les municipales de 2014, les villes du Midi remportées par le FN/RN veillent à prendre en compte les demandes d’associations de Pieds-noirs qui trouvent ainsi des appuis. L’étude des parcours biographiques de certains élus FN/RN ou apparentés du sud de la France révèle aussi une fidélité à une mémoire, celle de l’Algérie française. Ainsi Robert Ménard, descendant de Pied-noir et réélu maire de Béziers depuis 2014 avec le soutien du FN/RN, milite pour la suppression de la date du 19 mars pour commémorer la Guerre d’Algérie, revendication chère aux associations de rapatriés. David Rachline, maire FN/RN de Fréjus depuis 2014 soutient activement la mémoire de l’Algérie française et a inauguré en 2015 une stèle « en hommage à tous ceux qui sont tombés pour que vive la France en Algérie ». Louis Aliot, fils d’une Pied-noir, maire de Perpignan depuis 2020 et député FN/RN des Pyrénées-Orientales, a dans une lettre ouverte datée du 3 mars 2021 pris position contre le rapport Stora, en réponse à une demande de soutien du Cercle algérianiste69. Ces soutiens affichés aux nostalgiques de l’Algérie française renvoient à des proximités idéologiques qui établissent un continuum entre imaginaires et stéréotypes coloniaux et lutte contre l’immigration.
26En outre, la résurgence des mémoires algériennes ces vingt-cinq dernières années et leur politisation vont « contraindre » les hommes politiques de tous bords à prendre position sur ces enjeux. Les liens « clientélistes » établis de longue date conduisent des élus locaux de droite ou du centre à soutenir leur électorat rapatrié. L’attachement de la droite à l’idée d’empire, avant l’arrivée au pouvoir de de Gaulle, la mène à privilégier les mémoires Pieds-noirs et Harkis. De plus, avec Jacques Chirac70, une nouvelle génération ayant participé à la guerre d’Algérie accède aux plus hautes fonctions de l’État. Lorsqu’il devient président de la République en 1995, il va favoriser la réconciliation des milieux rapatriés avec la droite gaulliste en se montrant plus à l’écoute des associations de Pieds-noirs et de Harkis et en rompant avec la fidélité exclusive des gaullistes à la mémoire du général de Gaulle. Ce rapprochement est décisif. Jusque-là, de nombreux Pieds-noirs étaient défiants à l’égard du RPR (Rassemblement pour la République, le parti gaulliste) en raison de l’hostilité à l’égard du général de Gaulle71. Jacques Chirac (1995-2007) puis son successeur, Nicolas Sarkozy (2007-2012) vont ainsi encourager une politique de reconnaissance mémorielle à l’égard des rapatriés72 (gouvernements Raffarin et Fillon), approche adoptée à gauche auprès de groupes mémoriels concurrents lorsque celle-ci était au pouvoir73. La cohabitation (1997-2002) — avec un président gaulliste, Jacques Chirac, et un Premier ministre socialiste, Lionel Jospin — n’est pas sans effet sur ces « retours de mémoires » et leur politisation. Ce positionnement en faveur d’un groupe porteur de mémoire au détriment des autres marque une « rupture » dans la gestion du passé colonial algérien. Jusque-là les gouvernants successifs avaient respecté un « équilibre » entre les mémoires, et surtout les avaient maintenues à distance du pouvoir politique, pour préserver « l’unité nationale ». Ce changement de cap au sommet de l’État favorise l’insertion des enjeux mémoriels dans le clivage gauche-droite. Désormais vont s’affronter, en plus des divisions sur les thématiques identitaires, deux approches mémorielles du passé algérien, l’une, de reconnaissance des crimes coloniaux de la France, et l’autre, d’anti-repentance. S’ajoute à ce contexte politique, celui « post-21 avril 2002 »74 de concurrence exacerbée entre la droite et l’extrême droite75. Dès lors, la mémoire de l’empire est devenue plus « acceptable » chez des gaullistes qui « chassent » sur les terres de l’extrême droite. Ainsi, depuis le début des années 2000, les exemples se sont multipliés de soutiens d’élus UMP/LR76, divers droites ou centristes apportés à des revendications mémorielles des rapatriés ou à des commémorations77, y compris à certaines qui auraient autrefois indigné la famille gaulliste78. C’est ainsi que des représentants de droite des circonscriptions du sud de la France prennent dès 2003 l’initiative de propositions de lois mémorielles en faveur des rapatriés79 en soutien à leur électorat. Ils sont relayés par des personnalités politiques nationales80. La loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés voit ainsi le jour. Le deuxième alinéa de l’article 4, invitant à reconnaître le rôle positif de la colonisation, suscite une vive polémique en France et dans ses anciennes colonies. Il est abrogé par décret du président de la République, Jacques Chirac, le 15 février 2006. Des politiques publiques mémorielles en faveur des rapatriés ont également été décidées localement dans des villes du Midi81. Des municipalités de droite de ces territoires se sont également opposées à la date commémorative du 19 mars que les élus de gauche défendent (avant sa reconnaissance comme date officielle par le Parlement en 2012)82.
27À l’issue des municipales de 2020, la compétition entre la droite et l’extrême droite reste vive dans certaines villes du Midi, ce qui devrait continuer d’influencer les politiques mémorielles. En revanche, le faible nombre de maires LREM83 dans ces circonscriptions, hormis les transfuges de LR, ne permet pas de savoir s’ils vont s’inscrire dans le sillage de leurs prédécesseurs de droite (« dépendance au sentier ») avec des politiques mémorielles spécifiques à l’égard des rapatriés ou s’ils vont entamer un travail de mémoire réunissant les différents acteurs du drame algérien.
28En conclusion, le drame algérien aura montré comment des acteurs ordinaires, dont la vie a basculé après un événement historique qui les dépasse, se seront mobilisés et auront « résisté » pour défendre leur mémoire. L’État français aura laissé les Français d’Algérie porter seul le poids de l’Histoire de la colonisation et un passé controversé. C’est au moment où les associations de rapatriés mènent leurs ultimes combats pour imposer « leur vérité historique » avant de disparaître que l’État français décide de lever le voile sur son passé colonial. Il aura fallu ce temps, celui des morts et celui des témoins, pour que l’on puisse peut-être examiner et parler de cette période plus sereinement.
Notes
1 L’historien Benjamin Stora a été chargé en juillet 2020 par le président de la République de « dresser un état des lieux juste et précis » sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Dans son rapport, il formule une trentaine de préconisations : Stora Benjamin, « Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie », janvier 2021, disponible à l’adresse suivante : https://www.elysee.fr (consultée le 20 octobre 2021).
2 « France-Algérie : l’heure des vérités », Le Monde, 4 octobre 2021, disponible à l’adresse suivante : https://www.lemonde.fr (consultée le 20 octobre 2021).
3 Les descendants de l’immigration postcoloniale continuent d’être victimes de discriminations et de stéréotypes raciaux forgés à l’époque coloniale. À la présidentielle de 2022, plusieurs candidats ont stigmatisé cette immigration rendue responsable des problèmes de la société française, notamment Éric Zemmour (candidat de Reconquête), qui a évoqué la menace du « grand remplacement », mais aussi Marine Le Pen (RN/Rassemblement National) et Valérie Pécresse (LR/Les Républicains).
4 Ancien élève du philosophe Paul Ricœur (spécialiste de la mémoire) et premier président né après 1962, Emmanuel Macron confère au passé algérien un défi mémoriel similaire à ce qu’a été la Shoah pour le président Chirac (1995-2007) quand ce dernier a reconnu la responsabilité de la France dans les rafles antijuives du Vel’ d’Hiv en juillet 1942. Ainsi Emmanuel Macron suit sa politique, sorte de « en même temps » mémoriel, de reconnaissance de mémoires algériennes concurrentes. À ce titre, il reconnaît officiellement en 2018 la responsabilité de la France dans l’enlèvement et l’exécution par des militaires en 1957 du mathématicien communiste proche du FLN Maurice Audin. Il reconnaît également au nom de la France en 2021 l’assassinat de l’avocat du FLN (Front de Libération Nationale), Ali Boumendjel pendant la bataille d’Alger en 1957. À la veille des commémorations du 17 octobre 1961, Emmanuel Macron dénonce « des crimes inexcusables pour la France » à propos du massacre d’une centaine d’Algériens lors de la répression, par les forces de l’ordre dirigées par le préfet de police de Paris, Maurice Papon, d’une manifestation pacifique organisée à l’appel de la Fédération de France du FLN contre le couvre-feu décrété suite à l’assassinat de policiers français. Le 20 septembre 2021, Emmanuel Macron a annoncé une loi « de reconnaissance et de réparation » pour les Harkis, victimes d’un « abandon de la République française » qui a conduit à des massacres en Algérie, en leur demandant pardon. Le 30 septembre 2021, le président rencontre 18 « petits-enfants » de témoins de la guerre d’Algérie (descendants de nationalistes du FLN ou d’immigrés algériens, de rapatriés, de Harkis ou d’anciens combattants) afin de réconcilier les nouvelles générations. Le 26 janvier 2022, Emmanuel Macron reçoit à l’Élysée des associations de rapatriés. Dans le discours qu’il prononce à cette occasion, il dénonce « un acte impardonnable pour la République » en évoquant la fusillade par des militaires français, rue d’Isly à Alger, le 26 mars 1962, de manifestants européens, faisant de nombreuses victimes. Il reconnaît aussi les « injustices » et les « drames » subis en 1962 par les Pieds-noirs d’Algérie, lors du processus de décolonisation. Par ailleurs, Emmanuel Macron fait déposer par le préfet de police de Paris, Didier Lallement, une gerbe au Père-Lachaise, le 8 février 2022, devant la sépulture collective des neuf victimes communistes de la manifestation anti-OAS du métro Charonne à Paris, « violemment réprimée par la police » le 8 février 1962.
5 Début 2021, Emmanuel Macron a invité l’État algérien à entreprendre un « travail de mémoire » sur son passé. Cette invitation n’a pas été suivie de l’autre côté de la Méditerranée. Face à ce refus, Emmanuel Macron a, le 30 septembre 2021, critiqué publiquement les dirigeants algériens en les accusant d’entretenir une « rente mémorielle » et « la haine contre la France » pour légitimer leur pouvoir. En réaction, des dirigeants algériens ont évoqué la « faillite mémorielle » de la France ». Ces tensions mémorielles prennent place dans un contexte de difficultés entre l’Algérie et la France portant sur la question de l’extradition des ressortissants algériens en situation irrégulière en France que l’Algérie refuse d’accueillir et sur la réduction du nombre de visas accordés par la France : « Entre Paris et Alger, une crise à la mesure des espoirs déçus d’Emmanuel Macron », Le Monde, 4 octobre 2021, disponible à l’adresse suivante : https://www.lemonde.fr (consultée le 18 octobre 2021).
6 Le Cercle algérianiste, fondé en 1973, œuvre pour la défense de la mémoire et des particularismes culturels des Français d’Algérie.
7 Le Comité de Liaison des Associations nationales de Rapatriés a été fondé en 2000. Il s’agit d’une fédération d’associations de rapatriés qui rassemble des associations nationales et locales (FNR, GAMT, VERITAS, CDHA, RANFRAN, etc.) pour être plus efficace dans leurs actions auprès des pouvoirs publics.
8 L’ANFANOMA (Association Nationale des Français d’Afrique du Nord, d’Outre-Mer et de leurs Amis) est la plus ancienne association revendicative. Elle a été fondée par des Pieds-noirs du Maroc et de Tunisie au moment de l’indépendance de ces protectorats en 1956. Dès le rapatriement de 1962, des Pieds-noirs d’Algérie l’ont rejointe et ont réorienté son action sur la défense de leurs intérêts.
9 La FNR (Fédération Nationale des Rapatriés) a été créée à Lyon en 1966 par des rapatriés d’Algérie.
10 L’Association pour la Défense des Intérêts Moraux et Matériels des anciens détenus de l’Algérie française est une association controversée fondée en 2003 de la fusion de deux associations régionales également appelées Adimad fondées en 1967 et en 1968. Leur objectif est la réhabilitation des anciens membres de l’OAS (Organisation Armée Secrète) qui est une organisation terroriste fondée en 1961 ayant mené des actions pour le maintien de l’Algérie française.
11 Les rapatriés constituent un groupe très hétérogène aux plans socio-économique, culturel, politique et religieux. Les associations pro-Algérie française réunissaient moins de 5 % des Pieds-noirs en 2002 dans une enquête quantitative produite par nos soins dans plusieurs départements français.
12 Comtat Emmanuelle, Les Pieds-noirs et la politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, 320 p. ; Comtat Emmanuelle, « Du vote des Pieds-noirs aux politiques mémorielles à l’égard des rapatriés. Étude du lien entre une opinion publique catégorielle et l’action publique », Pôle Sud, 2016/2, no 45, pp. 119-135 ; Comtat Emmanuelle, « Les disparus civils européens de la guerre d’Algérie. Processus de construction d’une cause victimaire militante », Papeles del CEIC/International Journal on Collective Identity Research, 2017, vol. 1, 27 p.
13 Une centaine d’entretiens semi-directifs ont été réalisés depuis 1999 lors de séries d’enquêtes auprès de rapatriés, notamment en 1999-2006 (dans le cadre de ma thèse), en 2012 lors des commémorations des 50 ans du départ d’Algérie, en 2017, après la polémique suscitée par les propos du candidat Macron lors de la campagne présidentielle. Quelques entretiens complémentaires ont été menés auprès de responsables d’associations de Pieds-noirs en 2021-2022, après la remise du rapport Stora et dans le cadre des commémorations des 60 ans de l’indépendance. Les communiqués des associations de Pieds-noirs, leurs bulletins de liaison et leurs sites internet sont aussi utilisés comme matériau.
14 Nous avons réalisé une enquête par questionnaire auprès de 6.000 rapatriés en 2002 (l’enquête « Pieds-noirs 2002 », IEP de Grenoble) et nous utilisons aussi des données de l’IFOP sur le vote des Pieds-noirs en 2012.
15 Le Front National (FN) est un parti d’extrême droite fondé en 1972, Il est dirigé par Jean-Marie Le Pen de sa création à 2011. Après une traversée du désert d’une décennie, le FN commence à obtenir des scores électoraux plus importants à partir des élections européennes de 1984 alors que la France s’enfonce dans la crise économique et connaît des taux de chômage élevés. Ce parti s’implante alors durablement dans la vie politique française. Il est dirigé par Marine Le Pen dès 2011 qui a mené une stratégie de « dédiabolisation », espérant attirer de nouveaux électeurs. Le parti change de nom en 2018 pour devenir le Rassemblement National (RN). Marine Le Pen est qualifiée en 2022 pour la seconde fois au second tour de la présidentielle.
16 Rassemblement pour la République.
17 Le général de Gaulle a accordé à l’Algérie son indépendance, ce qui a été perçu comme une trahison par de nombreux rapatriés.
18 La France a ouvert une partie de ses archives sur la guerre d’Algérie en 1992.
19 Avec notamment le débat sur la torture lors de la guerre d’Algérie relancé en 2000 ; la loi controversée de février 2005 dont l’alinéa 2 de l’article 4 invitait à reconnaître « le rôle positif de la colonisation » ; les émeutes urbaines dans les banlieues françaises à l’automne 2005 où résident des populations issues des anciennes colonies ; les divisions à propos du choix d’une date de commémoration de la guerre d’Algérie, etc.
20 La présence des descendants est rare au sein des associations nostalgiques de Algérie française. La plupart d’entre eux ont préféré « tourner la page » parce qu’ils ne veulent pas être marginalisés en raison d’un passé et d’une origine. De plus, ils ne connaissent généralement pas l’Algérie en dehors d’images mentales transmises par la famille : Buono Clarisse, Pieds-noirs de père en fils, Paris, Balland, 2004, pp. 149-185
21 Ainsi Suzy Simon-Nicaise, actuelle présidente nationale du Cercle Algérianiste, âgée de 8 ans lors du rapatriement, a été élue conseillère municipale en 2014 à Perpignan sur la liste conduite par Jean-Marc Pujol (UMP/LR), lui-même d’origine pied-noir. La minorité de descendants qui fréquente les associations de rapatriés a un profil particulier. Figurent parfois parmi elles des personnes ayant une « double casquette » qui militent ou exercent un mandat local auprès des gaullistes, des centristes, du FN/RN ou qui ont rejoint Éric Zemmour et son mouvement Reconquête. On retrouve également des nostalgiques de l’Algérie française qui éprouvent de l’insatisfaction dans leur vie quotidienne ou qui ne se reconnaissent pas dans la France d’aujourd’hui, notamment en raison de la présence d’immigrés magrébins : Comtat Emmanuelle, Les Pieds-noirs et la politique, op. cit., pp. 121-138.
22 Il s’agit d’anciens combattants, de personnes proches des partis d’extrême droite ou de collectifs identitaires, etc.
23 Jordi Jean-Jacques et Planche Jean-Louis, « 1860-1930 : une certaine idée de la France », in Jordi Jean-Jacques et Planche Jean-Louis (dir.), Alger 1860-1939, Paris, Autrement, 1999, pp. 49-54.
24 Ce changement de cap se produit à partir de l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle en 1958 et surtout dès son discours du 16 septembre 1959 annonçant le lancement de sa politique d’autodétermination du peuple algérien.
25 Ruscio Alain, Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS, Paris, La Découverte, 2015, 320 p.
26 Grands travaux d’assainissement, d’adduction d’eau et d’irrigation, édification de villes et de villages, de routes, de voies ferrées, de ports, de ponts, développement économique grâce à la viticulture, la céréaliculture, la culture maraîchère, l’extraction minière, la découverte de gisements de gaz et de pétrole dans le Sahara en 1956, etc.
27 Affirmation de l’existence d’une terre « vide » d’hommes largement sous-exploitée (un « no man’s land » algérien) avant la conquête.
28 Les récits occultent la confiscation des terres par l’État redistribuées ensuite aux colons, la paupérisation de la population musulmane, les mécanismes de domination et d’acculturation, l’accès restreint et conditionné à la citoyenneté française, le Code de l’indigénat en vigueur de 1881 à 1927, les stéréotypes coloniaux, le racisme ordinaire ou d’État et les discriminations au quotidien, etc. En revanche, ils insistent sur les « bienfaits » que la France aurait apportés aux populations colonisées dans le cadre de sa « mission civilisatrice » et de son idéologie de « partage » du Progrès (médicalisation, vaccination, scolarisation, diffusion de la culture française et des valeurs de la République).
29 Sacrifices des premiers colons dans un environnement souvent hostile (épidémies, mauvaises récoltes, climat de violence). Évocation des attentats, des assassinats, des enlèvements de civils européens durant la guerre d’Algérie. Perte du territoire, des biens et déracinement avec le rapatriement de 1962. Insuffisance ressentie des mesures d’accueil mises en place par l’État français dépassé par l’ampleur du retour : Scioldo-Zürcher Yann, Devenir métropolitain. Politique d’intégration et parcours de rapatriés d’Algérie en métropole, Paris, EDESS, 2010, 461 p. Hostilité de nombreux métropolitains à leur égard en raison de l’envoi d’appelés du contingent pendant la guerre d’Algérie et de l’installation de - 800.000 Pieds-noirs en métropole en 1962 avec qui il fallait désormais partager le logement et l’emploi. Absence d’une indemnisation correcte de leurs biens après un bras de fer avec l’État français étalé sur plusieurs décennies.
30 Henry Jean-Robert, « Le centenaire de l’Algérie, triomphe éphémère de la pensée algérianiste » in Bouchène Abderrahmane (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale, Paris, La découverte, 2014, pp. 369-375.
31 Elle a été élaborée en 2016 par le Comité de liaison des associations nationales de rapatriés (CLAN-R), en vue de la présidentielle de 2017. Charte nationale 2017 des rapatriés, disponible à l’adresse suivante : https://clan-r.org (consultée le 20 octobre 2021). Elle a été mise à jour pour la présidentielle de 2022. Charte nationale 2022 disponible à l’adresse suivante : https://clan-r.org (consultée le 10 mai 2022).
32 Demande de reconnaissance par la France de sa responsabilité dans l’abandon de ses ressortissants européens et Harkis en 1962 ; reconnaissance des préjudices subis en Algérie, Maroc et Tunisie au moment des indépendances ; indemnisation des biens ; reconstructions de carrières civiles et militaires ainsi que le règlement des dossiers de retraites ; pénalisation des injures et des discriminations à l’égard des rapatriés de toute origine.
33 Notamment l’accès aux rapports et dossiers, ainsi que l’ouverture d’enquêtes sur le drame des Harkis, sur la fusillade de manifestants européens rue d’Isly à Alger le 26 mars 1962, sur les disparus civils européens de la guerre d’Algérie, sur la tuerie de Français à Oran le 5 juillet 1962. Par ailleurs, est également demandée l’abrogation de la commémoration du 19 mars 1962 (cessez-le-feu, suite à la signature des accords d’Évian, le 18 mars 1962).
34 Demande de création d’un historial de l’expansion de la France outre-mer au XIXe siècle et au XXe siècle ; édification d’un mémorial à Paris dédié aux Morts pour la France originaires de l’Outre-mer ; mise en valeur de l’Armée d’Afrique ; exclusion de toute repentance sur l’expansion Outre-mer ; « objectivité dans l’enseignement » ; accès aux registres d’État civil des Français d’Algérie ; sauvegarde des cimetières chrétiens et juifs en Algérie, Maroc et Tunisie.
35 Parti communiste algérien, voy. Ruscio Alain, Les communistes et l’Algérie, Paris, La Découverte, 2019, 664 p.
36 Depuis, cette proposition a été abandonnée en raison de la polémique suscitée par le soutien de Gisèle Halimi au FLN qui combattait la France durant la guerre d’Algérie.
37 Pour nouer plus facilement des contrats commerciaux et renforcer la coopération antiterroriste.
38 Selon sa fiche autobiographique sur le site de l’Université Paris 13, Benjamin Stora a été un militant trotskiste jusqu’en 1986 : disponible à l’adresse suivante : https://benjaminstora.univ-paris13.fr (consultée le 16 octobre 2021).
39 Communiqué du Clan-R, le Comité de liaison des associations nationales de rapatriés, daté du 28 juillet 2020, disponible à l’adresse suivante : https://www.asafrance.fr (consultée le 14 mai 2022).
40 Le Premier ministre, Jean Castex (2020-2022), et le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer (2017-2022), fils d’un avocat pied-noir ancien membre du Haut-conseil des rapatriés, ont tenté un rééquilibrage de la politique mémorielle du président Macron en prenant publiquement position sur le passé colonial (« Si on fait de la repentance plus-plus, on fait de l’intégration moins-moins », déclare Jean-Michel Blanquer, le 4 octobre 2020 sur BFMTV ou encore « Nous devrions nous autoflageller, regretter la colonisation, je ne sais quoi encore ! », dénonce Jean Castex, invité au journal télévisé du 20h de la chaîne TF1, le 1er novembre 2020).
41 Robert Ménard, maire de Béziers, a répondu présent à cette invitation à l’Élysée, mais les élus du RN, dont Louis Aliot, maire de Perpignan, n’ont pas été conviés.
42 Discours d’Emmanuel Macron disponible à l’adresse suivante : https://www.elysee.fr (consultée le 14 mai 2022).
43 « Emmanuel Macron cherche à apaiser sa relation avec les Pieds-noirs d’Algérie », Le Monde, 26 janvier 2022, disponible à l’adresse suivante : https://www.lemonde.fr (consultée le 2 mai 2022).
44 Interview de la présidente du Cercle algérianiste sur la chaîne de TV CNews disponible à l’adresse suivante : https://www.facebook.com (consultée le 2 mai 2022).
45 Comtat Emmanuelle, Les Pieds-noirs et la politique, op. cit., pp. 129-132 ; Morin Paul Max, Les jeunes et la guerre d’Algérie, Paris, PUF, 2022, p. 296.
46 Tilly Charles, « Les origines du répertoire d’action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne », Vingtième Siècle, 1984, no 4, pp. 89–108.
47 Des actions illégales d’occupation ou de destruction de locaux ont été menées dans les années 1980 par des associations radicalisées proches de l’extrême droite. Elles étaient autant spectaculaires que marginales et ne sont plus des formes d’actions pratiquées aujourd’hui.
48 Hassenteufel Patrick, Sociologie politique : l’action publique, Paris, Armand Colin, 2011, 320 p.
49 Esclangon-Morin Valérie, Les rapatriés d’Afrique du Nord de 1956 à nos jours, Paris, L’Harmattan, 2007, pp. 225-236 et pp. 280-288.
50 En 2002, la moitié des Pieds-noirs interrogés dans une enquête par questionnaire déclaraient pratiquer le « vote sanction » à certaines élections, 60 % tenaient compte du rapatriement dans leurs choix politiques et 44 % avaient déjà voté pour le FN : Comtat Emmanuelle, Les Pieds-noirs et la politique, op. cit., p. 250. Toutefois, à la présidentielle de 2012, 31 % des enfants de Pieds-noirs envisageaient de voter pour François Hollande, candidat issu du PS qui n’a fait aucune promesse aux rapatriés et qui souhaitait restaurer l’image de la France en Algérie, preuve probable que les jeunes générations se sentent moins concernés par ce passé : Sciences Po, CEVIPOF, IFOP, « Le vote pied-noir 50 ans après les accords d’Évian, Élections 2012 », Les élections sociologiques, no 6, 2012.
51 Des hommes politiques n’ont pas tenu leur promesse de conserver l’Algérie française, dont le général de Gaulle.
52 Sciences Po, CEVIPOF, IFOP, « Le vote pied-noir 50 ans après les accords d’Évian, Élections 2012 », op. cit. ; IFOP, « Le vote pied-noir : mythe ou réalité », Focus, no 107, 2014, p. 1 ; Comtat Emmanuelle, Les Pieds-noirs et la politique, op. cit., pp. 273-279.
53 Ces rapprochements ont été favorisés par le renouvellement des générations et par la « banalisation » du vote gaulliste chez les rapatriés : Comtat Emmanuelle, « Du vote pied-noir aux politiques mémorielles à l’égard des rapatriés : étude du lien entre une opinion publique catégorielle et l’action publique », Pôle Sud, 2016, no 45, pp. 121-145.
54 Maloney William, Grant Jordan, MacLaughlin Andrew, « Interests Groups and Public Policy: the Insider/Outsider Model Revisited », Journal of Public Policy, 1994, vol. 14, no 1, pp. 17–38.
55 À l’issue des élections municipales de 2020, des villes du sud de la France remportées par la droite (Nice, Aix-en-Provence, etc.) ou par le FN/RN (Perpignan) ont un élu en charge des Rapatriés tandis que celles qui ont basculé à gauche ont renoncé à ce portefeuille municipal (Marseille).
56 Les associations de rapatriés refusent de commémorer le cessez-le-feu de la guerre d’Algérie, suite à la signature des Accords d’Évian le 18 mars 1962, car les violences n’ont pas cessé après cette date (drame des Harkis, attentats et assassinats de l’OAS ou du FLN, disparitions des civils européens ou algériens). De plus, ils ne veulent pas célébrer une défaite et le retrait de la France d’Algérie.
57 Commémoration des disparus civils européens de la guerre d’Algérie ; des victimes du 5 juillet 1962 à Oran.
58 Fusillade de la rue d’Isly, le 26 mars 1962 ; tueries du 5 juillet 1962 à Oran, etc.
59 Hommages à des personnages ayant combattu pour le maintien de l’Algérie française et dans l’OAS, comme au lieutenant Degueldre, fondateur des commandos Delta de l’OAS, à Claude Piegts, membre de l’OAS, au lieutenant-colonel Bastien-Thiry, organisateur en 1962 de l’attentat du petit Clamart contre le général de Gaulle, tous trois condamnés à mort et exécutés. Hommage également au général Salan, chef de l’OAS et putschiste en 1961, condamné à la perpétuité puis amnistié en 1968.
60 Le Cercle algérianiste organise un Congrès annuel. Celui de 2022, intitulé « 60 ans après ! Le temps des hommages et de la transmission », a lieu du 24 au 26 juin à Perpignan, ville dirigée par le RN, qualifiée dans le prospectus du Congrès de « capitale des Français d’Algérie ». Lors de ce grand rassemblement de Pieds-noirs, le maire, Louis Aliot (RN), inaugure de nouvelles salles dédiées à la mémoire des Harkis et à celle de l’Armée d’Afrique. Des tables rondes sont aussi organisées avec pour thèmes de réflexions : « En quoi l’Armée peut-elle être un outil de transmission de la mémoire de la guerre d’Algérie », « Face à la montée de la déconstruction de l’histoire de l’Algérie française, peut-on un jour espérer endiguer le phénomène ou faut-il le voir comme une fatalité ? », ou encore « Des valeurs, une force, une mémoire familiale en héritage ». Ont également lieu des cérémonies en hommage aux disparus européens au Mémoriel de Perpignan et aux unités ayant combattu en Algérie devant le monument aux morts de la ville. Sont également proposés la projection de films sur les Harkis ou les Pieds-noirs, ainsi qu’un concert de Jean-Pax Méfret (ancien journaliste au Figaro Magazine et à Valeurs actuelles, mais aussi ancien agent de liaison de l’OAS condamné et incarcéré en 1961) qui a composé des chansons nostalgiques de l’Algérie française et de l’Indochine. Des moments de retrouvailles et de convivialité sont également proposés autour d’un méchoui, rappelant le « berceau » nord-africain, et d’un dîner de clôture.
61 Comtat Emmanuelle, « Les disparus civils européens de la guerre d’Algérie. Processus de construction d’une cause victimaire », op. cit.
62 Scioldo Zürcher Yann « Memory and influence on the Web : french colonial repatriates from 1950 to the present », Social Science Information, Sur les sciences sociales (SSI), Vol. 51, no 4, 2012, pp. 475-501.
63 Comtat Emmanuelle, Les Pieds-noirs et la politique, op. cit., pp. 287-288.
64 Gaston Defferre, maire de Marseille de 1953 à 1986, a d’abord exprimé de l’hostilité à l’arrivée massive de 400.000 rapatriés dans sa ville en 1962 que ces derniers n’ont jamais oublié : « Qu’ils aillent se réadapter ailleurs. » : Paris Presse, juillet 1962.
65 Jean-Marie Le Pen est un de ceux qui pendant la guerre d’Algérie a lutté pour le maintien de l’Algérie française. Le FN a orienté son discours sur la « nostalgie » de l’empire : Bon Frédéric et Cheylan Jean-Paul, La France qui vote, Paris, Hachette, 1988, p. 256 ; Camus Jean-Yves, « Origine et formation du Front national » in Mayer Nonna et Perrineau Pascal (dir.), Le Front national à découvert, Paris, FNSP, 1996, pp. 17-19.
66 Toutefois, s’il conserve son ancrage méditerranéen, le FN a progressé, ces vingt-cinq dernières années, dans le Nord et l’Est, en voie de désindustrialisation. Or ces territoires ne sont pas ceux où les rapatriés se sont réinstallés en 1962 : Gombin Joël, « Le changement dans la continuité. Géographie électorale du FN depuis 1992 » in Crépon Sylvain, Dézé Alexandre et Mayer Nonna (dir.), Les faux-semblants du Front national. Sociologie d’un parti politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, pp. 395-416 ; Bon Frédéric et Cheylan Jean-Paul, La France qui vote, op. cit., p. 245.
67 Veugelers John, Empire’s Legacy. Roots of a Far Right Affinity in Contemporary France, Oxford, Oxford University press, 2020.
68 Stora Benjamin, Le transfert d’une mémoire. De l’Algérie française au racisme anti-arabe, Paris, La Découverte, 1999, p. 95 ; Veugelers John, « Ex-Colonials, Voluntary Associations, and Electoral Support for the Contemporary Far Right », Comparative European Politics, 2005, no 3, pp. 408–431 ; Veugelers John, « Colonial past, voluntary associations, and far-right voting in France », Ethnic and Racial Studies Review, vol. 38, no 5, 2015, pp. 775–791.
69 Mairie de Perpignan, « Lettre ouverte à Benjamin Stora par Louis Aliot, maire de Perpignan », 10 mars 2021, disponible sur le site de la mairie de Perpignan à l’adresse suivante : https://www.mairie-perpignan.fr (consultée le 21 octobre 2021).
70 Jacques Chirac est un ancien combattant de la guerre d’Algérie, il a été officier pendant 14 mois à partir de 1956. Il est resté sensible à ce passé.
71 Le général de Gaulle a mené une politique qui a conduit à l’indépendance algérienne, vécue comme une trahison par les Français d’Algérie.
72 Une Mission Interministérielle aux Rapatriés (MIR) et un Haut Conseil des Rapatriés (HCR) sont créés en 2002 pour régler les questions spécifiques à ce groupe, dont celle des disparitions. Le 5 décembre 2002, Jacques Chirac inaugure, quai Branly à Paris, un Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie. En 2003 est instaurée une Journée nationale d’hommage aux Harkis, fixée au 25 septembre. En juillet 2004, Le ministère des Affaires étrangères autorise une plus large ouverture des archives en sa possession et l’accès aux dossiers des Européens disparus aux historiens et aux familles. Les articles 1 et 2 de la loi no 2005-158 du 23 février 2005 expriment pour la première fois la reconnaissance de la Nation pour les souffrances et les sacrifices endurés par les rapatriés, les membres des formations supplétives, les disparus, les victimes civiles et militaires et leurs familles lors des processus d’indépendance des territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. En 2006 est inaugurée au Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie une plaque commémorative : « La Nation associe les personnes disparues et les populations civiles, victimes de massacres ou d’exactions durant la guerre d’Algérie ou après le 19 mars 1962, ainsi que les victimes civiles des combats de Tunisie et du Maroc, à l’hommage rendu aux combattants morts pour la France en AFN ».
73 Une génération de gauche a été socialisée ou est entrée en politique au moment de la guerre d’Algérie. Sa conscience politique et ses valeurs la portent à soutenir les minorités issues de l’empire colonial qui constituent aussi une partie de son électorat. Ainsi des municipalités de gauche ont milité pour la reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961 d’une centaine d’Algériens à Paris. Le maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë (2001-2014), a inauguré en 2011 une plaque du souvenir dédiée « aux nombreux Algériens tués lors de la sanglante répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 », initiant un début de reconnaissance officielle. Il a été suivi par sa successeur, Anne Hidalgo et par d’autres maires de villes de gauche. Cette pression exercée par des élus locaux de gauche a abouti à la reconnaissance de cet événement par l’État à la veille de son 60e anniversaire.
74 Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen accède au second tour de la présidentielle face à Jacques Chirac, ce qui provoque un séisme politique en France.
75 Haegel Florence, Les droites en fusion. Transformations de l’UMP, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, 340 p.
76 Bertrand Romain, Mémoires d’empire, Bellecombes-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2006, 219 p. ; Savarese Éric, Algérie, la guerre des mémoires, Paris, Non Lieu, 2007, 176 p.
77 En 2007, un Mur des Disparus, financé par des fonds privés, est inauguré à Perpignan en présence du secrétaire d’État aux anciens combattants. En 2009, l’inauguration à Sète d’un Mémorial en l’honneur des rapatriés a lieu en présence du maire UMP de la ville. En mai 2014, Christian Estrosi, député-maire de Nice a inauguré le Mémorial Notre-Dame d’Afrique à Théoule-sur-Mer.
78 En 2003 est inaugurée à Perpignan une stèle en hommage à ceux qui se sont battus pour l’Algérie française dont des membres de l’OAS, en présence du 1er adjoint d’origine pied-noir, Jean-Marc Pujol (devenu maire de cette ville de 2009 à 2020), délégué par le maire UMP de l’époque.
79 Elles sont l’aboutissement de revendications anciennes des associations de rapatriés.
80 Dont l’ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, et les ministres, Philippe Douste-Blazy et Michèle Alliot-Marie.
81 Elles portent sur des mémoriaux, des projets de création de centres culturels ou de musées, l’édification de stèles, de statues et de plaques commémoratives en tous genres financés par des municipalités en hommage aux rapatriés.
82 Le choix d’une date commémorative de la guerre d’Algérie épouse le clivage gauche-droite : les élus de gauche, avec la FNACA (Fédération Nationale des Anciens Combattants en Algérie, Maroc et Tunisie dont certains de ses dirigeants sont proches du PC) soutiennent la date du 19 mars (cessez-le-feu après la signature des accords d’Évian, le 18 mars 1962) tandis que ceux de droite et du centre, avec des associations Pieds-noirs, Harkis et d’anciens combattants (UNC-AFN, Souvenirs français…) s’y opposent au profit du 5 décembre (date de commémoration officielle de 2003 à 2012, lorsque la droite était au pouvoir). La loi du 6 décembre 2012 instaurant le 19 mars journée nationale officielle du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats au Maroc et en Tunisie a été votée par une majorité de gauche à l’Assemblée nationale lorsque François Hollande (PS) venait d’être élu président de la République. Pour imposer cette date, des maires PS ou PC ont inauguré une rue du 19 mars 1962 dans leur commune (selon l’INSEE, la France compte plus de 1.000 rues à ce nom) tandis que des maires FN/RN et parfois de droite les débaptisent (comme à Beaucaire) une fois arrivés au pouvoir et réclament l’abrogation de cette date officielle de commémoration. Ainsi la date du 19 mars n’est plus seulement celle de la fin de la guerre d’Algérie, mais devient le symbole de la « guerre des mémoires » entre partisans de l’Algérie française et partisans de l’indépendance algérienne.
83 La République en Marche, le parti d’Emmanuel Macron.