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Les lois mémorielles relatives à la guerre d’Algérie
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1Les lois mémorielles sont l’une des modalités que mettent en œuvres les États pour assurer le souvenir et la transmissions d’évènements survenus dans le passé et considérés comme fondateurs (notamment, les commémorations, célébrations officielles par les institutions d’un évènement du passé, particulièrement en matière militaire, ainsi que la réalisation de médailles et monuments divers).
2Une loi mémorielle est un texte législatif adopté par l’organe constitutionnellement compétent et selon la procédure constitutionnellement requise dont le texte, qui n’est pas ou qui n’est pas exclusivement créateur de normes juridiques, a pour objet principal, voire unique, de reconnaître l’existence d’un évènement passé en se bornant à en affirmer la réalité mais sans créer de mécanisme normatif et, en particulier, sans prévoir de sanction1. Comme on le verra ci-dessous, le caractère non normatif de certaines lois mémorielles a fait l’objet de nombreuses et vigoureuses critiques2.
3Le territoire qui constitue aujourd’hui l’Algérie était, avant la conquête française (débutée le 14 juin 1830), un ensemble de subdivisions administratives de l’Empire ottoman avec un statut autonome. La colonisation progressive de divers territoires situés en Afrique du nord par la France jusqu’aux débuts de la IIIe République aboutit à la création d’une entité spécifique, appelée Algérie et regroupant cet ensemble de territoires sous un statut départemental3. Surtout l’Algérie fut, dès le règne de Louis-Philippe Ier, une colonie de peuplement, selon un processus assez semblable à celui qu’a connu le continent américain (arrivée massive de colons originaires de France et d’autres États européens : Italie, colonie britannique de Malte, Espagne, Allemagne…). La population de l’Algérie s’est donc rapidement trouvée divisée entre, d’un côté, les « européens » (soumis au statut civil de droit commun et, sauf les étrangers, titulaires de la citoyenneté et donc des droits politiques, représentant environ 10% de la population ) et, d’un autre côté, les « indigène » ( soumis à un statut civil « coranique », ayant la qualité de « sujets » français4 et non de citoyens, dépourvus de droit politiques avant 19475, représentant environ 90% de la population), sans parler des importantes disparités économiques entre les deux groupes. Après la fin de la conquête, l’Algérie n’a pas été définitivement pacifiée et des troubles périodiques ont éclaté, sans pour autant jamais prendre le caractère d’un mouvement développé (notamment : révolte de la Kabylie en 1871, insurrection dans la région de Sétif en 1945).
4Si la presse, dès l’époque des évènements, comme les historiens, ont précocement employé le terme « guerre » à propos du conflit algérien, l’État français n’en n’a fait usage que tardivement. En effet, on ne parle de manière officielle de « guerre d’Algérie » que depuis vingt ans6, l’expression officielle précédente ayant été jusqu’alors « d’opérations de maintien de l’ordre »7. Il convient de relever que le terme de « guerre » apparait particulièrement inadéquat au plan juridique, compte tenu des particularités de l’espèce : en effet, une guerre qualifie l’ensemble des opérations militaires offensives et défensives opposant deux États souverains8, alors que jusqu’en 1962 l’Algérie, qui n’avait jamais constitué un État, était un ensemble de départements d’outre-mer français9, de sorte que le conflit présentait un caractère exclusivement interne, d’où le choix des termes « d’opérations de maintien de l’ordre » précité. La situation de la Tunisie et du Maroc était différente dans la mesure où ces deux territoires étaient juridiquement des États, liés pour un temps par un traité de protectorat avec la France. D’ailleurs, les opérations ont surtout consisté en des actions de guérilla et de contre-guérilla, de diverses actions clandestines (transports d’armes ou de documents, attentats, divers massacres de civils et pratique de la torture dans les deux camps…) et non de batailles rangées10. Le conflit a présenté les caractéristiques d’une guerre civile). Rappelons que ce conflit a fait de nombreuses victimes, ce qui explique que, en France comme en Algérie, les pouvoirs législatif et règlementaire aient adopté à la fois des textes de nature indemnitaire (aide et assistance aux combattants et victimes et à leurs ayants-droits) et de nature mémorielle (reconnaissance publique des souffrances subies) : 25.600 militaires français tués, 65.000 militaires blessés, plus de 10.000 civils français tués, 42.000 incidents violents ayant concerné des civils11, entre 30.000 et 100.000 harkis (supplétifs musulmans de l’armée française)12, entre 250.000 13et 350.00014 morts algériens selon les estimations, 2 millions d’Algériens déplacés dans des camps de regroupement par l’armée française, un millions de français rapatriés en France…
5Le terme « conflit armé » nous parait par conséquent plus adéquat que celui de « guerre » en ce qui concerne l’Algérie. Toutefois, en raison de l’usage très répandu de cette expression, nous utiliserons dans les pages qui suivent le terme de « guerre d’Algérie » pour désigner ce conflit.
6Le terme « guerre d’Algérie » est donc utilisé dans le présent article pour qualifier les opérations militaires qui se sont déroulées entre le 1er novembre 1954 (déclaration de revendication de l’indépendance de l’Algérie par le Front de Libération Nationale à la suite d’une série d’attentats concertés opérés simultanément sur l’ensemble du territoire algérien) et le 19 mars 1962 (signature des accords d’Évian mettant en place le cessez-le-feu et prévoyant l’indépendance à la suite de la consultation directe de la population intéressée par référendum). L’indépendance de l’Algérie est intervenue le 3 juillet 1962, à la suite du référendum, organisé en Algérie le 1er juillet précédent. Il s’agit dans le présent article d’étudier les différents textes normatifs (principalement législatifs15)
7Le présent article abordera l’étude les lois mémorielles relatives à la période considérée adoptées en France et en Algérie. L’objectif est de montrer en quoi, une fois l’indépendance de l’Algérie acquise et mise en œuvre, les deux anciens ennemis ont mis en place, chacun de leur côté, un ensemble de textes ayant une nature à la fois mémorielle et normative, dans le but de protéger les intérêts moraux et matériels de ceux qui avaient été concernés par les évènements survenus durant cette période. La source des textes cités est celle de leur version déposée en ligne sur le site du journal officiel de ces deux États16.
8On étudiera successivement, d’une part, la nature des lois mémorielles adoptées à propos de ce conflit et, d’autre part, le contenu des lois mémorielles relatives à la guerre d’Algérie.
La nature de la loi mémorielle
9On verra successivement que si la loi mémorielle n’est pas normative et se trouve donc être en principe sans incidence sur la situation juridique de ses destinataires, elle est cependant susceptible de menacer l’exercice de la liberté d’expression, qui est constitutionnellement protégée.
Une loi non normative
Rappel de la notion de loi
10La loi est classiquement définie comme étant la norme, soit directement votée par le peuple selon la procédure référendaire, soit votée au nom du peuple par ses représentants selon la procédure législative dans un cadre parlementaire. Il ressort de cette définition que la loi est, par essence, avant tout normative, c’est-à-dire créatrice de droits et d’obligations à l’égard des personnes juridiques qui en sont les destinataires, dont elle va affecter et modifier la situation juridique17.
11Or, une loi mémorielle n’a pas, ou en tout cas n’a pas exclusivement un caractère normatif. En effet, le qualificatif « mémoriel » induit que le texte a pour objet de reconnaitre l’existence d’un évènement passé en se bornant à en affirmer la réalité mais sans créer de mécanisme normatif et, en particulier, sans prévoir de sanction18. Autrement dit, la loi mémorielle (ou en tout cas, la disposition à caractère mémoriel figurant à l’intérieur d’une loi contenant également des dispositions à caractère normatif) est adoptée selon la procédure législative par l’organe constitutionnellement qualifié mais elle n’a qu’un simple caractère déclaratif et ne modifie nullement l’ordre juridique.
Une notion faisant débat
12Le long débat provoqué en France par les lois mémorielles a d’ailleurs finalement conduit le constituant français à modifier la loi fondamentale nationale par l’adoption d’un nouvel article 34-1, qui permet au Parlement, comme cela existait d’ailleurs pendant la IV° République, d’adopter des « résolutions », c’est-à-dire des textes déclaratifs, donc non normatifs, adoptés selon une procédure non législative19.
13Il peut donc exister, et on verra ci-dessous, des exemples à propos de la guerre d’Algérie, deux types de loi mémorielle : d’une part, celle qui est partiellement mémorielle (qui, à côté de normes, contient aussi des éléments mémoriels) et, d’autre part, celle qui est exclusivement mémorielle (qui ne contient aucune norme et se borne à un unique contenu mémoriel)20.
Une loi susceptible de menacer l’exercice de la liberté d’expression constitutionnellement protégée
Le débat sur la liberté de la recherche
14Quelle est la légitimité du Parlement pour adopter un texte (normatif ou déclaratif) relatif à la survenue (ou non) d’un évènement ? En effet, les parlementaires ne sont pas des historiens et procèdent par une affirmation à caractère politique pour qualifier un évènement du passé, à la suite d’une analyse politique et selon des critères politiques et non à la formulation de conclusions au terme d’un processus scientifique et selon une méthodologie de recherche et d’analyse. La mission du législateur est de voter des lois au nom du Peuple et non d’interpréter un évènement du passé.
15Quelle place reste-t-il à la liberté de la recherche scientifique, en tant que modalité particulière de la liberté de pensée et de la liberté d’expression constitutionnellement garanties21, face à une injonction, ou en tout cas à une affirmation, émanant du pouvoir politique qui, par ailleurs, adopte le budget consacré à la recherche et définit les modalités concrètes de l’appréciation de la carrière des enseignants-chercheurs universitaires ? Quelles conséquences tirer, pour les chercheurs, de l’article 4 alinéa 2 de la loi du 23 février 2005 disposant que « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. » ? Comment, en particulier, en apprécier le rôle positif, par évènement ou globalement ? Sur des critères juridiques, économiques, politiques, sociaux, culturels, autres ? Le caractère embarrassant de ces questions a d’ailleurs finalement amené le législateur à abroger cette disposition le 16 février 2006.
16Au demeurant, le choix des épisodes historiques mis en avant par le législateur n’est pas neutre mais est éminemment politique et porté par de claires considérations idéologiques, ce qui conduit, dans le cadre d’États déjà traversés par de nombreuses divisions, à la mise en place de concurrences mémorielles qui nuisent à la concorde nationale sans nécessairement mieux respecter les souffrances des groupes concernés. Ainsi, la mémoire de la guerre d’Algérie, résulte de concurrences mémorielles entre différents groupes :
17En France : Français vivant en Algérie, parfois depuis plusieurs générations rapatriés en France, jeunes soldats du contingent mobilisés, soldats français mutinés, militaires et auxiliaires, Français ayant pris fait et cause pour l’indépendance algérienne22. Français d’origine algérienne globalement regroupés sous l’appellation de « harkis » mais avec une diversité de statuts, Français d’origine algérienne ayant ou non été impliqués dans le conflit avec tel ou tel camp.
18En Algérie : anciens combattants et auxiliaires de l’Armée de Libération Nationale, militants des différents mouvements indépendantistes dont, principalement, le Front de Libération Nationale et le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques, civils algériens ayant subi des dommages du fait du conflit, familles des harkis demeurés en Algérie après 1962.
Loi parlementaire ou arbitrage présidentiel en matière mémorielle ?
19En France, le pouvoir de dégager certaines orientations mémorielles au travers d’un discours politique fédérateur nous parait relever essentiellement du pouvoir d’arbitrage reconnu au Président de la République par l’article 5 de la Constitution du 4 octobre 1958 (comme cela fut le cas lorsque fut reconnue par le Chef de l’État le 16 juillet 1995 la responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs durant l’occupation allemande)23. Ainsi, lors d’un discours prononcé à Rivesaltes le 14 février 2011, Nicolas Sarkozy, alors Président de la République en exercice, a reconnu la responsabilité de l’État français dans les massacres des harkis commis en Algérie pour n’avoir pas assuré leur protection alors qu’ils étaient à son service. À Perpignan le 14 avril 2012, François Hollande, alors candidat à la présidence de la République, avait affirmé la nécessité de la reconnaissance de la faute et de la responsabilité de l’État dans l’abandon et le massacre des Français rapatriés d’Algérie et des harkis, ainsi que du traitement indigne de leur accueil sur le territoire national. Cette situation explique sans doute l’émotion particulière qui fut ressentie, durant la dernière campagne présidentielle, lorsqu’Emmanuel Macron, candidat à la fonction de chef de l’État et donc à cette mission en matière mémorielle, avait assimilé lors d’un discours prononcé le 16 février 2017 la colonisation à un crime contre l’Humanité, avant de revenir sur ses propos. Par la suite, en tant que Président de la République, Emmanuel Macron a reconnu le 13 septembre 2018 que la responsabilité de la disparition de Maurice Audin (militant de l’indépendance algérienne) incombait à la politique mise en place par les gouvernements français successifs et a affirmé qu’il n’incombe pas à la République de minimiser ou d’excuser les crimes commis des deux côtés durant le conflit algérien. Par ailleurs, le 21 septembre 2018, Emmanuel Macron a décoré trente-sept harkis ou descendants de harkis, à titre de réparation symbolique des torts subis.
20On remarquera que les interventions du chef de l’État se limitent, soit à une affirmation factuelle, soit à la reconnaissance d’un tort subi, au travers de la délivrance d’une décoration. Le rôle joué en matière mémorielle par le chef de l’État dans le cadre de sa fonction d’arbitrage apparaît plus cohérente que par l’adoption d’une loi mémorielle. On pourrait ici, par référence aux rois de France procédant à la guérison miraculeuse de certaines maladies, parler d’une « thaumaturgie mémorielle ». En effet, par la déclaration qu’il prononce dans une circonstance particulièrement solennelle, le Président de la République fait un constat de nature politique (et non juridique) et affirme la position officielle de l’État sur un évènement du passé, dans une optique de réconciliation nationale et avec une forte portée symbolique.
21Le discours présidentiel est, notamment, le moyen de limiter les effets de la concurrence mémorielle. Cette dernière résulte de ce que la survenue d’un évènement particulier peut affecter différents groupes, qu’ils aient été dans des camps antagonistes ou pas, de manière différente et spécifique. Par exemple, en ce qui concerne la mémoire de la guerre d’Algérie en France, le même évènement a été vécu et fait l’objet de mémoires différenciées de la part des différents groupes concernés : pieds noirs, anciens combattants, appelés du contingent, militaires professionnels, Français ayant soutenu les indépendantistes algériens, Français d’origine algérienne ayant eu des parcours variés à l’époque (harkis, FLN…). Il y aura donc une concurrence mémorielle puisque chaque groupe défend les aspects mémoriels spécifiques d’un évènement les ayant tous affectés et met en avant d’abord ses propres souffrances. Le discours du Président de la République peut ainsi permettre de rechercher une mémoire commune (ainsi, la dénonciation du colonialisme n’a pas empêché qu’un hommage soit rendu au travail accompli par les civils et les militaires outre-mer, ce qui permet un apaisement en forme de « guérison » dans une société très fragmentée).
22Les interventions politiques en matière mémorielle, qu’elles émanent des parlementaires ou du chef de l’exécutif, ne sont pas dépourvues d’arrières pensées électoralistes24.
Le contenu des lois mémorielles
23On abordera successivement l’étude des lois adoptées en France et en Algérie.
Les lois mémorielles adoptées en France
24En France, on constate plusieurs vagues d’adoption de textes relatifs aux conséquences du conflit, principalement à la suite de revendications portées par des associations.
Les cas des rapatriés
25Rappelons que plus de 10.000 civils français ont été tués et que 42.000 incidents violents ont concerné des civils25. Par la suite, la presque totalité de la population française d’Algérie a quitté l’Algérie à l’indépendance en y perdant ses biens. À la suite des actions menées par les associations26 regroupant les rapatriés, diverses lois relatives au versement d’indemnisations pour la perte de biens ont été adoptées. La notion de rapatrié a été définie par la loi du 26 décembre 196127, adoptée avant même l’indépendance de l’Algérie survenue le 3 juillet 1962, mais applicable aux Français contraints de quitter, dans des conditions matérielles et humanitaires souvent difficiles, le territoire des anciens protectorats du Maroc et de Tunisie et dont l’effet juridique a été étendu à l’ensemble des Français partis d’anciennes colonies françaises, le plus gros contingent étant numériquement celui des Français d’Algérie.
26Aux termes de ce texte, un rapatrié est un citoyen français qui, alors qu’il demeurait sur un territoire colonisé ou administré par la France, a dû ou cru devoir le quitter au moment de son indépendance. A priori, cette loi n’a pas de caractère mémoriel, dans la mesure où elle définit le titre juridique de « rapatrié28 » et met en œuvre un ensemble de mesures destinées à permettre aux réfugiés nouvellement arrivés sur le territoire de la métropole en étant pour la plupart d’entre eux totalement démunis puisqu’ayant abandonné leurs biens lors de leur exode, de recevoir le versements d’aides diverses, en numéraire ou en nature, afin de faciliter leur installation et la poursuite de leur existence en France.
27Ce premier texte a été, par la suite complété par un ensemble d’autres lois destinées à mettre en place une indemnisation par l’État français des biens perdus du fait des politiques de spoliation des ressortissants français menées par les nouvelles autorités des territoires devenus indépendants (tel fut, notamment, le cas en Algérie avec l’ordonnance n° 62-020 du 24 août 1962 et le décret n° 63-88 du 18 mars 1963, qui ont institué la législation dite des « biens vacants »). Cette dernière a mis sous contrôle administratif de l’État algérien les biens appartenant à des ressortissants français ayant quitté le pays et en a organisé la gestion, sans versement d’aucune indemnité29.
28Le temps passant, l’État français a fini par adopter en 197030, 197831,198532 et 200533 une législation portant indemnisation partielle des biens perdus, d’abord comme avance dans l’attente d’un règlement définitif avec l’État algérien, puis finalement pour solde de tout compte, et définit un ensemble de critères et de procédures34. Certes, de telles lois sont normatives et sont centrées sur un objectif d’indemnisation dans le cadre d’un régime de responsabilité des fautes de l’État français. Toutefois, en arrière-plan, les lois de 1970, 1978 et 1985 présentent en réalité un fort caractère mémoriel induit et implicite. En effet, elles créent un statut particulier de citoyens français (les rapatriés) et mettent en place en leur faveur un statut et un régime juridique (indemnisation des biens spoliés outre-mer, essentiellement en Algérie).
29Ces lois ne font aucunement référence aux conditions politiques de l’accession des anciens départements français d’Algérie à l’indépendance et aux circonstances dans lesquelles les rapatriés ont été obligés. Toutefois, les conditions dramatiques, au plan humain comme au plan économique, du départ de leur terre natale des rapatriés d’Algérie, comme de leur installation en métropole, a puissamment contribué au développement d’un massif réseau associatif35, ainsi qu’à l’apparition d’un sentiment de communauté et d’appartenance, fondée à la fois sur les souvenirs du passé et sur les revendications pour l’avenir. À noter que, par contre, la loi du 23 février 200536 a un caractère à la fois matériel (mise en place d’une contribution nationale) et mémorielle (expression de la reconnaissance de la Nation). En effet, les demandes des associations de rapatriés ont présenté un caractère à la fois matériel (indemnisation) et moral (reconnaissance des souffrances subies et de la responsabilité de l’État français37). Comme nous l’avons déjà mentionné, la polémique née de la reconnaissance du caractère positif de la colonisation a conduit le législateur à abroger cette disposition le 16 février 2006. Par contre, ont été maintenues les dispositions exprimant la reconnaissance de la Nation à l’action entreprise outre-mer par les Français et leur accordant ainsi une compensation morale.
30Une proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale le 21 décembre 201638, qui a pour objet de reconnaître la faute et la responsabilité de l’État français dans l’abandon et le massacre des Français rapatriés et des harkis, ainsi que le traitement indigne de ceux qui ont été accueillis en France39, reprenant explicitement les mots utilisés par François Hollande dans son discours précité de 2012.
Les cas des militaires (militaires engagés, appelés du contingent, supplétifs)
31Également à la suite d’actions conduites par des associations, des lois ont été adoptées au sujet des appelés du contingent et des militaires engagés dans le conflit40. Rappelons qu’environ 25.600 militaires français ont été tués et 65.000 militaires blessés41.
32En particulier, la loi du 18 octobre 199942, précitée, a reconnu que les actions militaires effectuées en Algérie entre 1954 et 1962 constituent bien des opérations de guerre, ouvrant pour les vétérans concernés le droit au statut d’ancien combattant et la possibilité de percevoir une retraite à ce titre. Au-delà de son contenu normatif, ce texte présente bien aussi une dimension mémorielle dans la mesure où les vétérans concernés souhaitaient pouvoir bénéficier d’une reconnaissance de la Nation semblable à celles de leurs frères d’armes des deux guerres mondiales par la reconnaissance de leur droit moraux au travers de l’octroi du statut d’ancien combattant et de l’organisation de cérémonies contribuant au culte du souvenirs des combats et des sacrifices43.
33Particulièrement révélateurs du caractère éclaté de la mémoire de cette période (ou faudrait-il plutôt écrire « des mémoires » ?) sont les débats sur le choix de la date de commémoration officielle de la guerre d’Algérie en France avec le choix extrêmement controversé du 19 mars, date du cessez-le-feu44. La date du 19 mars, qui a été finalement imposée par le gouvernement et qui correspond à une journée du souvenir ni fériée, ni chômée, était souhaitée par une majorité d’associations d’anciens combattants, dans la mesure où elle coïncide avec la fin des combats mais récusée par les associations de rapatriés et de harkis dans la mesure où elle ne signifie pas la fin du conflit (survenue le 3 juillet, date de l’indépendance) mais le commencement des massacres de civils et de l’exode. En même temps les dates butoirs du 1er novembre (début du conflit) ou du 3 juillet (indépendance) pouvaient difficilement être célébrées en France alors qu’elles le sont déjà en Algérie45. Quant à la date du 5 décembre, retenue par le Président de la République pour un jour unique de célébration des harkis, elle était une simple date d’opportunité d’agenda présidentiel sans aucune référence historique. Tel est également le cas de la journée de célébration des harkis le 25 septembre qui n’a pas de résonnance historique particulière. Ajoutons que le souvenir des soldats tombés lors du conflit algérien est également commémoré, avec l’ensemble des victimes de guerre françaises de tous les temps, le 11 novembre.
34Au sein des personnels militaires, des dispositions spécifiques ont été prises au sujet des harkis, c’est à dire des musulmans algériens qui étaient membres de l’armée française ou d’unités supplétives françaises avant l’indépendance de l’Algérie (environ 250.000 personnes engagées soumises à des statuts variables, plus leurs familles). Ils convient de rappeler que les harkis ont connu un sort particulièrement tragique après la fin du conflit algérien du fait des violences commises à leur encontre comme à celles de leurs familles par les nouvelles autorités du pays et de l’indifférence des autorités françaises qui, à l’exception de quelques initiatives individuelles menées par des officiers désireux de protéger leurs compagnons d’armes, n’ont pas cherché à organiser l’évacuation dans les meilleurs conditions possibles de l’ensemble de ces militaires et des leurs46. Rappelons que la plupart de ceux qui furent évacués en France furent ensuite regroupés dans des camps de transit durant des années, sans bénéficier de conditions dignes d’accueil. Ces circonstances expliquent la mise en œuvre d’une reconnaissance mémorielle spécifique à leur égard.
35Initialement, il n’existait pas de dispositif spécifique pour les harkis. Le premier texte qui leur est consacré est la loi no 94-488 du 11 juin 1994, relative aux anciens supplétifs et leur famille. Son article 1er, qui a un contenu de nature mémorielle, dispose : « La République française témoigne sa reconnaissance envers les rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie pour les sacrifices qu’ils ont consentis ». Les autres dispositions de ce texte ne sont pas mémorielles mais relatives aux modalités de versement d’une indemnisation et aux critères d’attribution du statut permettant d’en bénéficier. La loi précitée du 23 février 2005, relative à la reconnaissance par la France des souffrances subies par les différents groupes concernés, contient des dispositions spécifiques relatives au versement d’une retraite militaire aux harkis. À la suite d’une journée nationale unique d’hommage aux harkis organisée le 25 septembre 2001, le décret du 31 mars 2003 a pérennisé cette commémoration par l’institution d’une Journée nationale d'hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives en reconnaissance des sacrifices qu'ils ont consentis du fait de leur engagement au service de la France lors de la guerre d’Algérie et qui est organisée chaque 25 septembre.
Les lois mémorielles adoptées en Algérie
36En Algérie, on constate également deux vagues d’adoption de textes relatifs aux conséquences du conflit. Rappelons qu’il est généralement estimé qu’entre 250.00047 et 350.00048 Algériens, selon les estimations, sont décédés au cours du conflit. Par ailleurs, environ 2 millions de civils Algériens ont été déplacés dans des camps de regroupement par l’armée française dans le cadre des opérations de contre-guérilla.
Les textes relatifs à l’octroi de statuts
37D’une part, plusieurs lois sont adoptées au lendemain de l’indépendance avec un objet de création d’un statut en faveur des anciens combattant (moujahidines) de l’Armée nationale de libération (ANL) et des militants du Front de Libération Nationales (FLN), ou de leurs auxiliaires civils, ainsi que des martyrs (chahid, pluriel chouada). En particulier, la loi n° 63-99 du 2 avril 1963 (modifiée par l’ordonnance n° 66-35 du 2 février 1966 et par la loi n° 88-19 du 11 juillet 1988) est relative à l'institution d'une pension d'invalidité et à la protection sociale des victimes de la guerre de libération nationale. Son bénéfice a été étendu aux invalides dont la cause d’invalidité est postérieure au 1er juillet 1962 (indépendance de l’Algérie) mais qui ont le statut d’anciens combattants par la loi n° 64-170 du 8 juin 1964. Elle a été complétée par de nombreux décrets et arrêtés (notamment en matière de revalorisation de pensions).
38Par ailleurs, le décret n° 74-03 du 16 janvier 1974 (modifié en 1988 et en 2001) est relatifs aux aides versées aux victimes d’engins explosifs durant la période du conflit.
39Ensuite, la loi n° L.63-321 du 21 août 1963 (modifiée en 1966) est relative à la protection sociale des anciens moudjahidines. Il convient également de mentionner l’ordonnance précitée n° 62-020 du 24 août 1962 et le décret précité n° 63-88 du 18 mars 1963, qui n’ont aucun caractère mémoriel, mais ont eu des conséquences considérables sur la situation des Français ayant dû quitter l’Algérie à l’indépendance. En effet, ces textes ont institué la législation dite des « biens vacants », qui a mis sous contrôle administratif de l’État algérien les propriétés appartenant à des ressortissants français ayant quitté le pays et en organisait la gestion, sans versement d’aucune indemnité49.
40La loi n° L.99-07 du 5 avril 1999 est relative au statut juridique de moudjahid et de chahid.
41Le décret n° 87-151 du 11 juillet 1987 définit les conditions d’obtention du statut d’ancien membre de l’Armée de Libération Nationale.
Les textes à caractère mémoriel
42Des textes ayant à la fois un caractère normatif et un caractère mémoriel ont également été adoptés en Algérie. Ainsi, l’article 1er de la loi n° 91-16 du 14 septembre 1991 dispose que cette dernière a pour objet de fixer les principes qui régissent le statut de diverses catégories d’anciens combattants et de leurs ayants-droits ainsi que la protection et la préservation du patrimoine historique et culturel de la guerre de libération nationale.
43L’article 2 dispose par ailleurs que l'État garantit la dignité des anciens combattants et de leurs ayants-droits, veille au respect des symboles de la guerre de libération nationale et œuvre pour la glorification des Chouhada (martyrs).
44L’article 3 dispose qu’il incombe à l’État et à la société de garantir le respect et la considération dus à ces deux catégories. Les dispositions suivantes ont un caractère normatif et définissent les conditions d’octroi des différents statuts prévus ainsi que les droits et allocations ouverts.
45Toutefois, on retrouve dans le texte d’autres dispositions à caractère mémoriel. Ainsi, l’article 31 dispose que les agents de l’États, des administrations publiques et des entreprises ont un devoir de respect et d’assistance envers les bénéficiaires de ces statuts, leurs veuves, leurs enfants mineurs et leurs enfants handicapés sans limite d’âge.
46L’article 32 énonce que les autorités officielles et les fonctionnaires de l’État ont l’obligation de les respecter dans toutes les situations, notamment s’ils portent des médailles, des insignes ou des symboles indiquant leur qualité.
47L’article 33, prévoit que l’État les protège ainsi que leurs ayants-droits contre toute agression, attaque ou moquerie, en raison du port de médailles, d’insignes ou de symboles ou en raison de la présentation de cartes indiquant leur qualité et les protège aussi contre toute humiliation ou irrespect des droits qui leur sont conférés par la législation.
48Enfin, le titre VI relatif à la protection des monuments et des symboles de la guerre de libération et le titre VII, relatif au patrimoine historique et culturel de la guerre de libération contiennent des articles à vocation essentiellement mémorielle, relatifs à l’identification et à la valorisation du patrimoine historique, aux modalités de sa protection et aux conditions concrètes de commémoration.
49Différents textes de nature réglementaire sont également intervenus.
50Les décrets n° 82-123 et suivants sont relatifs aux recrutements de documentalistes, bibliothécaires et chercheurs de différents grades au sein du ministère des moudjahidine, ce qui constitue sans doute la mise en place de structures chargées des aspects mémoriels des activités de ce département ministériel.
51Les décrets n° 84-310 et suivants instituent différentes décorations destinées à récompenser les anciens combattants et en définit les conditions d’attribution.
52Le décret n° 91-32 du 21 décembre 1991 institue le 18 février comme journée nationale du chahid (martyr).
53L’arrêté du 8 mai 1995 est relatif à la création d’un musée du moudjahidine, commémorant le souvenir des anciens combattants et de la guerre.
54L’arrêté du 28 janvier 2001 est relatif à la classification des cimetières militaires abritant les sépultures de combattants morts durant la guerre d’indépendance et des stèles commémoratives.
55Par ailleurs, la loi n° 11-03 du 17 février 2011, relative à la cinématographie, impose dans son article 6 la délivrance d’une autorisation préalable à la diffusion des films, notamment lorsqu’ils sont relatifs au déroulement de la guerre d’indépendance, ce qui peut constituer un moyen pour l’État d’assurer un certain contrôle mémoriel, aux dépens de la liberté de création.50
56Enfin, le 15 juillet 2019, le secrétaire général par intérim de l’Organisation nationale des moudjahidines a réclamé que le Parlement algérien discute et adopte une loi criminalisant la colonisation française de l’Algérie et qu’une demande de compensation soit présentée à la France en réparation de la mise en place d’une colonisation de peuplement51. À l’heure où nous écrivons, il ne semble pas qu’un projet en ce sens soit à l’étude.
Conclusion
57Ainsi, il apparaît qu’en France comme en Algérie, le législateur a été amené à adopter à propos des conséquences du conflit une législation d’abord normative (reconnaissance de statuts et mise en place de procédures) puis aussi mémorielle (rappel des dommages subis par telle partie de la population). Pour l’instant ces mémoires apparaissent comme étant concurrentes et antagonistes. Près de soixante ans après la fin du conflit, peut-être est-il temps d’espérer, comme lors de la réconciliation entre la France l’Allemagne, une histoire et des mémoires plus apaisées de part et d’autre du Mare nostrum.
Notes
1 Chandernagor Françoise, « Lois mémorielles : un monstre législatif », Le Figaro, 29 décembre 2011 ; Foirry Anne-Chloé « Lois mémorielles, normativité et liberté d’expression dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Pouvoirs, 2012, p 142 ; Frangi Marc, « Les associations de propriétaires de biens perdus outre-mer » in Benoit Bruno et Frangi Marc (dir.), Guerres et associations, PUL, 2003, p. 105 et Frangi Marc, « Les lois mémorielles : de l’expression de la volonté générale au législateur historien », RDP, 2005, pp. 251-252. voy. aussi Michel Johan, Gouverner les mémoires, les politiques mémorielles en France, PUF, 2010, 207 p.
2 Rappelons que le débat sur les lois mémorielles a débuté en France avec l’adoption de la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 (dite loi Gayssot) tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe. Ce texte a été critiqué dans la mesure où il reprend largement la loi n° 72-546 du 1er juillet 1972 (dite loi Pleven), déjà relative à la lutte contre le racisme. Par ailleurs, l’article 9 de la loi Gayssot a créé un délit spécifique de contestation de l’existence des crimes définis par le statut du Tribunal international de Nuremberg (notamment les crimes contre l’humanité commis à l’occasion de la Shoah) et a modifié sur ce point la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. Or, antérieurement à l’adoption de ce texte, la législation existante avait déjà permis de condamner les auteurs d’écrits négationnistes. Le Conseil constitutionnel (décision 2015-512 QPC du 8 janvier 2016 a écarté le grief tiré de l’inconstitutionnalité de la loi au regard de la liberté d’expression mais a déclaré inconstitutionnelle une disposition de la loi au regard du principe d’égalité devant la loi pénale).
3 L’Algérie fut divisée en départements. Bien que située outre-mer, elle ne relevait pas du ministère des colonies mais, soit d’un ministère spécifique (ministère de l’Algérie sous le IIe Empire), soit du ministère de l’Intérieur (à partir de la IIIe République), comme l’ensemble des autres départements français. Il est à noter que le Maroc et la Tunisie, qui étaient des États liés à la France par un traité de protectorat, relevaient du ministère des Affaires étrangères (cf : Frangi Marc, « L’indemnisation des Français d’outre-mer, bilan de la loi du 16 juillet 1987 », RFFP, 1998, n° 63, p. 85.) . Le ministère des colonies étaient compétent pour les autres territoires placés sous la souveraineté française (Indochine, Afrique Occidentale Française, Afrique Orientale Française, Madagascar…)..
4 Initialement, la population « indigène » comprenait à la fois des algériens musulmans et des algériens juifs. Ces derniers, dans le cadre de la loi Crémieux de 1870, reçurent le bénéfice de la citoyenneté française, contrairement aux musulmans. L’accès de musulmans au statut civil de droit commun et à la citoyenneté française était possible dans le cadre de mesures individuelles, par exemple en faveur d’anciens militaires, mais était très peu pratiqué (voy. Montagnon Pierre, Histoire de l’Algérie, des origines à nos jours, Pygmalion, 2012, Frangi Marc, « L’indemnisation des Français d’outre-mer, bilan de la loi du 16 juillet 1987 », op. cit., p. 85 ; Frangi Marc, « Les associations de propriétaires de biens perdus outre-mer » op. cit., p 252. et Pervillé Guy, La guerre d’Algérie, Que sais-je ?, PUF, 2005, 128 p.
5 Le statut de 1947 (loi n° 47-1853 du 20 septembre 1947, portant statut organique de l’Algérie), sans accorder l’égalité des droits politiques, prévoyait la mise en place de deux collèges électoraux, l’un composé des européens, l’autre des musulmans, désignant chacun une moitié des membres de l’Assemblée algérienne, qui était l’organe délibérant du territoire, notamment chargé de voter le budget. Cette situation était évidemment inégalitaire puisque 10% de la population désignait le même nombre de représentants que les 90 restants (voy. Montagnon Pierre, op.cit.). Son application a été suspendue en 1956.
6 Loi n° 99-882 du 18 octobre 1999, qui emploie effectivement le terme « guerre d’Algérie » (l’usage de ce nouveau terme permettant d’accorder le statut d’anciens combattants aux appelés engagés sur ce théâtre d’opération ; beaucoup d’entre- eux parvenaient à l’âge de la retraite, et donc de la liquidation des droits vers l’époque du vote de ce texte, et ont pu bénéficier en complément du versement de leur pension civile, de la retraite du combattant). Les termes « guerre d’Algérie » sont repris par la loi n° 2012-1361 du 6 décembre 2012 instituant un jour de commémoration, ni férié, ni chômé du souvenir des victimes civiles et militaires de ce conflit, fixée au 19 mars chaque année, jour du cessez-le-feu.
7 Décret n° 56-1032 du 12 octobre 1956 instituant, pour les combattants français en Afrique du Nord, la médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l’ordre en Afrique du nord et qualifiant les opérations militaires de « maintien de l’ordre » et non « de guerre ». Cette dernière terminologie fut ensuite d’usage courant chez les dirigeants français dans les premières décennies de la Ve République.
8 Juridiquement, le déclenchement de l’État de guerre, résulte de l’adoption par le Parlement d’une loi autorisant la déclaration de la guerre (article 35 de la Constitution du 4 octobre 1958). Bien que les troupes françaises aient été engagées dans de nombreux conflits armés, la dernière déclaration de guerre formelle a été adoptée le 2 septembre 1939 (article 9 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875).
9 Frangi Marc, « Les associations de propriétaires de biens perdus outre-mer », op. cit., p. 105 et Frangi Marc, « Les lois mémorielles : de l’expression de la volonté générale au législateur historien », RDP, 2005, p. 252.
10 Pervillé Guy, La guerre d’Algérie, op. cit. ; Montagnon Pierre, Histoire de l’Algérie, des origines à nos jours, op. cit. ; Stora Benjamin, Les mots de la guerre d’Algérie, Presses Universitaire du Mirail, 2005, 120 p.
11 Selon le ministère français de la Défense.
12 Mari Jean-Paul faisant le bilan des pertes de la guerre d'Algérie dans Le Nouvel observateur, 28 février 2002.
13 Mari Jean-Paul, ibid. et Pervillé Guy, La guerre d’Algérie, op. cit., p. 113.
14 Mari Jean-Paul, ibid. Stora Benjamin, Les mots de la guerre d’Algérie, pp. 23-25.
15 La loi, au sens classique du terme, désigne un texte normatif adopté par le peuple, soit directement par la procédure référendaire, soit indirectement par les représentants dans le cadre de la procédure législative et qui a pour effet de modifier la situation juridique de ses destinataires. Toutefois, ainsi que cela sera développé ci-dessous, les lois mémorielles se caractérisent par la circonstance que leur contenu n’est pas (ou n’est pas exclusivement mémoriel) mais comprend également des termes qui ne sont pas destinés à modifier une situation juridique mais seulement destinés à affirmer une position de nature politique et non normative.
16 Le texte des lois adoptées en France a été consulté sur le site : legifrance.gouv.fr (journal officiel en ligne) ; celui des lois adoptées en Algérie a été consulté sur le site : joradpdz/HFR/Index/htm (journal officiel en ligne).
17 Mathieu Bertrand, « La normativité de la loi : une exigence démocratique », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 21, janvier 2007.
18 Frangi Marc, « Les lois mémorielles : de l’expression de la volonté générale au législateur historien », op. cit, pp. 251-252.
19 Frangi Marc, ibid. ; Deslandes Mathieu, « La fin des lois mémorielles », Journal du dimanche, 9 novembre 2008 et Hochmann Thomas, « Le problème des lois dites mémorielles sera-t-il résolu par les résolutions ? La référence à l’article 34-1 de la Constitution dans le discours contemporain sur les relations entre le Parlement et l’histoire », Droit et culture, vol. 66, n° 2, pp. 57 et s.
20 Frangi Marc, « Les lois mémorielles : de l’expression de la volonté générale au législateur historien », op. cit., pp. 251-252.
21 Article 11 de la déclaration de 1789, intégrée au préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La libre communication des pensées et des opinions est l’un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi ». De ce texte, le Conseil constitutionnel a déduit le principe de la liberté de la recherche et celui de la liberté des universitaires (C.C., n° 83-165 DC du 20 janvier 1984 et n° 93-322 DC du 28 juillet 1993). voy. not. Foirry Anne-Chloé, « Lois mémorielles, normativité et liberté d’expression dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Pouvoirs, 2012, p. 142 ; Kerviche Erwann, « La Constitution, le chercheur et la mémoire », VIIe Congrès français de droit constitutionnel, AFDC, 25-27 septembre 2008. ; Mathieu Bertrand, « Les lois mémorielles ou la violation de la Constitution par consensus », Recueil Dalloz, 2006, p. 301. ; Wachsmann Patrick, « La liberté d’expression », notice 16, in Renoux Thierry-Serge (dir.), Protection des libertés et Droits fondamentaux, Paris, La Documentation française, 2011, p. 243.
22 Appelés « porteurs de valises ».
23 Frangi Marc, « Les lois mémorielles : de l’expression de la volonté générale au législateur historien », op. cit, pp. 243-244 et Frangi Marc, Le Président de la République, L’Harmattan, 2e édition 2018, p. 138.
24 Frangi Marc, « Les lois mémorielles : de l’expression de la volonté générale au législateur historien », op. cit, pp. 251-252. ;. Gensburger Sarah et Lefranc Sandrine, À quoi servent les politiques de mémoire ?, Presses de Sciences po Paris, 2017 et Michel Johan, Gouverner les mémoires, les politiques mémorielles en France, op. cit.
25 Selon le ministère français de la Défense.
26 Frangi Marc, « Les associations de propriétaires de biens perdus outre-mer », op. cit., p. 105.
27 Loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961.
28 Frangi Marc, Guerres et associations, op. cit., pp. 108-109.
29 Ibid., p. 107.La question est particulièrement délicate : le point de vue des autorités algériennes est que les ressortissants français sont volontairement partis après l’indépendance et que c’est l’abandon de leurs propriétés qui a nécessité la mise en place de la législation des biens sous séquestre sans indemnisation (cf la déclaration au Figaro le 11 mars 2000 du président Algérien estimant qu’en 1962 les Français sont partis « de leur propre initiative »), dans le cadre du nouvel État algérien, qui prônait une gestion collectiviste de l’économie dans le cadre d’un régime d’inspiration communiste. Toutefois, les nombreuses exactions commises à l’encontre des Français d’Algérie, particulièrement dans les dernières semaines du conflit, ont aussi constitué une menace qui a incité les intéressés à fuir.
30 Loi n° 70-632 du 15 juillet 1970. voy. Ribs Jacques, L’indemnisation des Français dépossédés outre-mer, Paris, Dalloz, 1971.
31 Loi n° 78-1 du 2 janvier 1978.
32 Loi n° 87-549 du 16 juillet 1987. voy. Blanquer Roland « Le feuilleton de l’indemnisation », Historia, numéro spécial Algérie, juin 1987, pp. 173-174.
33 Loi n° 2005-158 du 23 février 2005, portant reconnaissance de la nation et contribution nationale aux rapatriés.
34 Frangi Marc, « L’indemnisation des Français d’outre-mer, bilan de la loi du 16 juillet 1987 », op. cit., p. 85.
35 Frangi Marc, « Les associations de propriétaires de biens perdus outre-mer », op.cit., pp. 106-107.
36 Loi n° 2005-158 du 23 février 2005, portant reconnaissance de la nation et contribution nationale aux rapatriés.
37 La question de la responsabilité de l’État français est délicate. Certes, l’État français peut toujours, au plan moral, présenter des excuses ou des regrets quant aux conditions de départ et d’accueil des rapatriés (tel était l’objet de la loi précitée de 1999 et est encore l’objet de proposition de loi du 21 décembre 2016 qui sera abordée ci-dessous). Par contre, au plan juridique, la circonstance que l’État français a fait le choix d’accorder l’indépendance à ses anciennes colonies, dont l’Algérie, puis de ne pas exercer en faveur de ses ressortissants spoliés par les nouvelles autorités locales de protection diplomatique aux fins d’obtenir leur indemnisation en préférant sauvegarder les bonnes relations, notamment commerciales, avec le nouvel État, quitte à procéder lui-même par la suite à une indemnisation directe de ses ressortissants) relève d’un choix discrétionnaire dans le cadre de la théorie des actes de gouvernement et ne permet pas d’engager la responsabilité juridique de l’État pour faute (CE, 17 février 1999, Dame Teytaud et CJCE 25 janvier 2001, Dame Teytaud). C’est pourquoi, à notre sens, les indemnisations versées dans le cadre des lois précitées relèvent davantage d’une logique de solidarité nationale dans le cadre d’une responsabilité sans faute de l’État français (Frangi Marc, « L’indemnisation des français d’outre-mer, bilan de la loi du 16 juillet 1987 » op. cit. et
38 Proposition de loi n° 4341, Assemblée nationale, 21 décembre 2016.
39 Frangi Marc, « L’indemnisation des Français d’outre-mer, bilan de la loi du 16 juillet 1987 », op. cit. et Frangi Marc, « Les associations de propriétaires de biens perdus outre-mer », op. cit. Même si l’État français avait mis en place une structure d’accueil, celle-ci fut rapidement dépassée par l’ampleur des départs, qui avaient été fortement sous-évalués. Par ailleurs, il reste dans la mémoire collective des rapatriés, le souvenir brûlant de leur arrivée, notamment quant aux propos de Gaston Deffere, maire de Marseille qui avait déclaré qu’ils n’étaient pas les bienvenus. Par ailleurs, de nombreux vols furent commis dans les cadres contenant les biens meubles envoyés en France. Quant aux harkis, ceux qui ne furent pas abandonnés par l’armée française à la vindicte des vainqueurs, furent, dès leur arrivée en France, pour la plupart, placés dans des campements forestiers, dans de très difficiles conditions matérielles.
40 Durand Georges, « Anciens combattants d’Algérie : du lobby à l’association cultuelle » in Benoit Bruno et Frangi Marc (dir.), Guerres et associations, op. cit. p. 75.
41 « Guerre d’Algérie, combien de morts ? », L’Histoire, 1991, n°. 140, disponible à l’adresse : lhistoire.fr (consulté le 31 décembre 2019).
42 Loi n° 99-882 du 18 octobre 1999, qui emploie pour la première fois de manière officielle le terme « guerre d’Algérie ».
43 Durand Georges, « Anciens combattants d’Algérie : du lobby à l’association cultuelle », op cit., pp. 76-77.
44 Loi n° 2012-1361 du 6 décembre 2012.
45 Cela rappelle la situation ayant prévalu entre 1871 et 1918 en France et en Allemagne : si cette dernière célébrait avec éclat sa victoire (Sedantag), y compris dans les trois départements annexés d’Alsace-Lorraine, la France se limitait à honorer les anciens combattants sans se référer particulièrement à une date de bataille. Frangi Marc, « Les lois mémorielles : de l’expression de la volonté générale au législateur historien » op.cit., p. 245, note 12.
46 On a déjà mentionné supra, la reconnaissance par l’État français, par la voix du Président de la République comme par le vote des lois susmentionnées de sa responsabilité dans les souffrances subies par les harkis et leurs familles.
47 Mari Jean-Paul, op.cit. et Pervillé Guy, La guerre d’Algérie, op.cit., p. 113.
48 Mari Jean-Paul, op.cit. et Stora Benjamin, Les mots de la guerre d’Algérie, op.cit., pp. 23-25.
49 Frangi Marc, « Les associations de propriétaires de biens perdus outre-mer », op.cit., pp. 107 et s.
50 Voy. la polémique provoquée en 2018 à propos du film « Ben M’Hidi » retraçant la biographie d’un dirigeant indépendantiste. Ce film a été, sur la base de la législation précitée, l’objet d’une interdiction de projection par les autorités algériennes (ministère de la culture et ministère des Moudjahidines, c’est-à-dire des anciens combattants), notamment au motif que le réalisateur aurait touché aux symboles de la révolution algérienne en montrant qu’il existait des conflits et des discussions entre les dirigeants indépendantistes (« Les vraies raisons de l’interdiction du film ‘Ben M’hidi’ », DzVID, 5 septembre 2018, disponible à l’adresse suivante : dzvid.com (consulté le 31 décembre 2019).
51 Métaoui Fayçal, « L’ONM exige le vote d’une loi pour ‘demander des comptes’» à la France », TSA, 15 juillet 2019, disponible à l’adresse suivante : tsa-algerie.com (consulté le 31 décembre 2019) et « ‘Ils ont détruit un pays’ : la colonisation française bientôt criminalisée en Algérie ? », RT en Français, 16 juillet 2019, disponible à l’adresse suivante : francais.rt.com (consulté le 31 décembre 2019).
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About: Marc Frangi
Maître de conférences (Dr-HDR) de droit public à l’Institut d’Études Politiques de Lyon et chercheur au Centre de droit constitutionnel de l’Université Lyon III.