Tropicultura

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Lisy Razafinimpiasa, Lilia Rabeharisoa & Ludovic Temple

Chemins d’impacts de la recherche agronomique appliquée à un projet de fertilisation phosphatée de la riziculture pluviale à Madagascar

(Volume 40 (2022) — numéro 2)
Article
Open Access

Résumé

La croissance de la population des pays en développement impose parfois des besoins d’accroissement de la production agricole. Un projet de fertilisation phosphatée de la riziculture pluviale à Madagascar a été mené de façon participative entre des acteurs de recherche et des agriculteurs pour rehausser le rendement. Cependant, l’adoption de l’innovation a été très vite abandonnée par les agriculteurs. La démarche ImpresS (Impact des Recherches au Sud) a été utilisée sur ce projet pour évaluer ses impacts en élaborant un modèle répondant aux conditions d’adoption de l’innovation. Malgré l’abandon précoce de l’engrais cible (le phosphore minéral), la démarche ImpresS a permis d’identifier des processus qui ont amené aux impacts. Les résultats identifient un modèle d’innovation se présentant sous forme d’interaction ou de coproduction de connaissances entre les différents acteurs. Cette interaction permet de renforcer les capacités de tous les acteurs du projet à changer de pratiques ou à innover. En effet, les renforcements de capacités permettent à tous les acteurs engagés d’acquérir des impacts qui sont des nouvelles capacités techniques et fonctionnelles. Il en est déduit des réflexions collectives pour l’élaboration de futurs projets incluant une « culture d’impact » permettant une meilleure adoption de l’innovation apportée par la recherche.

Index de mots-clés : fertilisation phosphatée, modèle d’innovation, Madagascar, impacts, coproduction, renforcement de capacités

Abstract

Impacts pathways assessment of agricultural research applied on a phosphate fertilization project for rainfed rice in Madagascar.

Population growth in developing countries sometimes imposes the need to increase agricultural production. A project on phosphate fertilization for rainfed rice in Madagascar was carried out in a participatory way between research actors and farmers to increase yield. However, adoption of the innovation was quickly abandoned by farmers. The ImpresS approach (Impact of Research in the South) was used on this project to assess its impacts by developing a model that meets the conditions for adopting the innovation. Despite the early abandonment of the target fertilizer (mineral phosphorus), the ImpresS approach made it possible to identify processes that led to impacts. The results identify an innovation model in the form of interaction or coproducing of knowledge between the different actors. This interaction builds the capacity of all project stakeholders to change practices or innovate. Indeed, capacity building allows all involved actors to acquire impacts that are new technical and functional capacities. It is deduced from this collective reflections for the development of future projects including a “culture of impact” allowing a better adoption of innovation brought by research.

Index by keyword : phosphate fertilization, innovation model, Madagascar, impacts, coproducing, capacities strengthening

Introduction

1La croissance de la population des pays en développement impose parfois de répondre aux enjeux de sécurité alimentaire. Ces derniers de manière conventionnelle renvoient en partie dans la littérature aux besoins d’accroissement de la production agricole. Dans le contexte de Madagascar, la sécurité alimentaire est tributaire de la production rizicole qui gouverne le système alimentaire du pays (7).

2Elle s’adresse aux politiques agricoles et alimentaires qui régulent les conditions d’accès aux facteurs de production (terre, travail, intrant capital). Elle s’adresse aussi aux chercheurs qui suscitent l’innovation par la mise au point d’artefacts nouveaux (variétés, intrants, machines) ou de nouvelles institutions et organisations permettant de transformer les systèmes productifs existants.

3Le processus qui conduit à transformer les connaissances et autres produits de l’activité de recherche en changements techniques effectivement mis en œuvre (42) est cependant complexe. Il peut être étudié de différentes manières selon les référentiels méthodologiques qu’on mobilise. Une démarche repose sur des approches compréhensives des chemins d’impacts et processus. Elle est élaborée ou appliquée en général sur des compilations d’études de cas (5) ou sur une technologie donnée (22).

4La recherche agronomique étant cependant de plus en plus dépendante des financements de projets, nous proposons d’illustrer une application de ces démarches sur la situation d’un projet de recherche donné. Cette étude porte sur l’évaluation d’impacts d’un projet de lutte contre la déficience en phosphore (P) dans la riziculture pluviale sur le site d’Ivory, appartenant aux Hautes Terres malagasy et au moyen-ouest de la région de Vakinankaratra (Figure 1) (1, 11, 15, 23, 24, 32, 36).

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Figure 1 : Localisation du site d’étude

5La culture du riz, base de l’alimentation des Malagasy, occupe aussi bien les zones irriguées que les collines (appelées tanety, 31) où le phosphore est le principal nutriment limitant (32). Des études ont rapporté que l’apport paysan ne couvre que 1 à 10 kg.P/ha à partir de fertilisants essentiellement organiques alors que l’apport favorable en phosphore doit être de 24 à 29 kg.P/ha à partir d’engrais minéraux solubles (27). Dans les pratiques paysannes, les ressources organiques (essentiellement, le fumier de ferme) sont les principaux engrais accessibles aux agriculteurs malagasy et les engrais minéraux sont ajoutés en très petites doses.

6Madagascar est dominé par des sols ferralitiques. Les tanety, occupés notamment par la riziculture pluviale, sont des sols ferralitiques où les concentrations de phosphore soluble sont très faibles en raison de la fixation du phosphore sur les oxyhydroxydes de fer et d'aluminium (30). L’amendement par le fumier améliore la disponibilité des éléments nutritifs, soit directement par l'apport d'éléments nutritifs, soit indirectement en améliorant les propriétés physiques du sol (26). Selon Cong et Merkcx (10), cet amendement organique affecte notamment l'amélioration de la structure du sol et la rétention d'humidité du sol, la densité apparente et la stabilité des agrégats et l’amélioration de la disponibilité du phosphore. Cependant, l'utilisation d'amendement organique seul est peu susceptible de surmonter la carence en phosphore dans les sols fortement appauvris (3). La combinaison de ressources organiques avec des engrais minéraux peut offrir un moyen durable d'augmenter la fertilité des sols et la production agricole pour les petits agriculteurs (40).

7A Madagascar, des systèmes de culture ont montré des effets positifs sur la biodisponibilité du phosphore dans le sol (2). Il s’agit notamment des systèmes de culture à base de semis direct sous paillis (SCV). Le SCV consiste à recouvrir en permanence le sol par un mulch de résidus organiques et à effectuer une rotation de cultures légumineuses-céréales sans travail du sol (29). Dans les systèmes SCV ou les systèmes traditionnels avec travail du sol, le dosage du fumier seul n'a pas augmenté le rendement du riz par rapport à la combinaison du fumier et de l'engrais minéral NPK (13).

8Par ailleurs, des interactions positives des engrais organiques et de l’engrais minéral triple super phosphate (TSP) sur les rendements en grains de la culture de maïs ont, en effet, été rapportées avec un effet de substitution de 50 % des engrais organiques (3). Ces interactions positives pourraient être attribuées à l'amélioration de l'humidité du sol. Une telle interaction offre la possibilité d'une meilleure efficacité d'utilisation agronomique et économique des deux ressources nutritives. Le TSP est fréquemment utilisé pour surmonter la carence en phosphore dans de nombreux sols tropicaux.

9Un autre projet de recherche a également été conduit : « Overcoming phophate deficiency in irrigated and rainfed rice in Madagascar ». Il a pour but pour d’évaluer la déficience en phosphore dans les rizières à Madagascar, de développer des connaissances en collaboration avec les exploitants riziculteurs pour augmenter la production rizicole et de les diffuser auprès des usagers et des agents de soutien technique ou de vulgarisation (11).

10De nouvelles formes de fertilisation basées sur l’association de matière organique (MO) qui est le fumier provenant des fèces bovins et de TSP ont été testées afin de rehausser le rendement rizicole. Les expérimentations ont été réalisées de façon participative en associant le savoir-faire des paysans locaux. A l’issue des expérimentations, il s’est avéré que l’apport du phosphore minéral en combinaison à la matière organique a contribué à l’augmentation du rendement sur le riz pluvial.

11En effet, le fumier a pu améliorer l'efficacité d'utilisation du phosphore minéral dans le riz pluvial cultivé dans les sols déficients en phosphore (1, 11, 15). Lors de l’analyse coût/bénéfice des engrais, de meilleures valeurs de retour sur investissement (> 0) ont été enregistrées en combinant le TSP et le fumier (11, 15, 36). Le surplus de production lié à l’augmentation du rendement constitue le double de l’investissement en engrais.

12À la fin du projet, Razanakoto et al. (36) ont étudié l’évaluation des aptitudes des agriculteurs à adopter le changement technique de fertilisation des sols et donc d’innover à partir des enquêtes rapides auprès des usagers selon les critères classiques d’analyses diffusionnistes. Une fois le projet terminé, ces enquêtes révèlent l’abandon des pratiques d’association de fertilisants proposés et le retour aux anciennes pratiques ne pourvoyant qu’une très faible utilisation d’engrais dans la culture de riz (27). Dans les raisons explicatives, ces enquêtes identifient notamment l’aversion pour les risques encourus et la non accessibilité de l’engrais TSP recommandé (36). Nous proposons d’expliquer l’abandon précoce de cette innovation par une analyse compréhensive du processus.

13L’objectif est de documenter comment la connaissance de capacités d’apprentissages générées par l’activité de recherche transforme des modèles d’innovation et génère des impacts autres que ceux définis par des protocoles de recherches fixés par des projets donnés. Nous mobilisons pour cela le cadre méthodologique structuré par la démarche ImpresS mis au point pour évaluer les contributions de la recherche au développement au sein d’organisations de recherche. L’intention est d’améliorer l’efficacité de la gouvernance de la recherche au regard des besoins du développement sociétaux (6). L’implémentation institutionnelle et interdisciplinaire de cette démarche étant génératrice de la « culture d’impact ».

Cadre méthodologique d’évaluation des impacts par la démarche ImpresS

Cadre d’analyse

14La démarche ImpresS propose un cadre méthodologique pour évaluer la contribution de la recherche à un processus d’innovation et son impact sur le développement (5, 43). La démarche s’appuie sur la caractérisation de différents chemins d’impact dans la réalisation (inputs), en produits (outputs), en résultats intermédiaires sur les acteurs (outcomes), en impacts sur une première communauté d’usage (impacts de premier niveau) puis en termes de diffusion (impacts de deuxième niveau).

15Elle est basée sur une démarche participative d’implication des acteurs du processus d’innovation dans la caractérisation des chemins d’impacts sus cités (43). Les interactions entre acteurs au cours du processus structurent différentes ressources (outcomes) qui jouent un rôle clé dans l’activation systémique qui lie l’innovation à la réalisation de transformation structurelle des indicateurs (42).

16Dans un processus d’innovation, il existe une succession de situations d’apprentissage qui contribuent aux renforcements de capacités des acteurs ou aux impacts. Ces situations d’apprentissage sont constituées de conditions et de circonstances amenant les acteurs à acquérir des nouvelles connaissances et à les appliquer pour résoudre des problèmes, saisir des opportunités ou améliorer leurs façons d’agir. Parmi ces situations d’apprentissage, il y a les dispositifs expérimentaux, les dispositifs d’échange, les formations, les mises en réseau résultant de nouvelles capacités à innover (25) ou impacts.

17Au fur et à mesure de la progression de l’innovation, la combinaison de ces situations d’apprentissage constitue un mécanisme de renforcement de capacités qui vise à permettre l’acquisition de nouvelles capacités techniques ou fonctionnelles pour les acteurs engagés dans l’innovation (5). Les chercheurs adoptent différentes postures à travers un ensemble d’activités pour contribuer aux apprentissages dans une situation d’apprentissage. D’après la littérature, les chercheurs peuvent endosser des rôles tels qu’intervenant, entrepreneur, expert ou simplement apprenant (42). La compréhension de ces postures des chercheurs dans les situations d’apprentissage permet de rendre compte de leur contribution au renforcement de capacités à innover.

18Enfin, comme il s’agit d’un cas d’étude dont l’innovation a été rapidement abandonnée, il a été intéressant de se focaliser sur des impacts qui, dans la littérature, ont été considérés comme imprévus ou inattendus par la recherche ou « externalités ». Ces dernières peuvent révéler un effet de renforcement des capacités des acteurs, induit, au moins en partie, par la recherche (43).

19Les démarches d’évaluation standards ne permettent pas de révéler ces types d’impacts qui peuvent être d’origine sociale, technologique, territoriale ou environnementale (création de nouvelles organisations, risques environnementaux des nouvelles techniques, etc). Elles nécessitent ainsi une approche participative de l’évaluation des impacts qui fait appel à la participation de tous les porteurs du projet.

Le canevas méthodologique d’application de la démarche ImpresS

20Cette démarche suit des principes des recherches participatives (1, 22) afin d’assurer la qualité et la pertinence de l’évaluation en mobilisant les connaissances et les perceptions des différents acteurs dans le processus d’innovation (37). La méthode ImpresS a privilégié les témoignages d’acteurs au cours d’enquêtes ou entretiens individuels et de focus groups de type semi-directif (2).

21Lors d’une étape préliminaire, un premier entretien avec l’ingénieur du projet a été effectué pour ébaucher un aperçu général du processus d’innovation avec les acteurs impliqués et pour collecter les inputs et les outputs. Cet entretien a permis de ressortir des documents issus du projet : articles scientifiques (36, 30, 1), rapport de thèse (35), rapport et restitution finale du projet (11, 15), bulletins d’informations et fiches techniques sur l’utilisation du phosphore minéral (23, 24).

22La deuxième étape a consisté à interroger les agriculteurs dans le site d’Ivory en vue d’identifier les impacts. Les interviews semi-directives ont été dirigées par les questions principales suivantes : « Quels savoirs ou savoir-faire avez-vous acquis à l’issue du projet ? », « Lesquels de ces acquis adoptez-vous encore dans vos pratiques de culture ? » et « Quels sont les changements provoqués par l’adoption de ces acquis ? ». Trois catégories d’agriculteurs ont été interrogées, 13 partenaires impliqués depuis le début du processus (sur 20 agriculteurs au total), 10 usagers ayant adopté l’innovation après sensibilisation (sur 26 agriculteurs) et 5 non usagers ayant reçu la sensibilisation.

23La troisième étape a consisté à interroger séparément les femmes et les hommes en deux séances de focus groups de manière, d’une part, à comparer et à mettre en commun les impacts, et d’autre part, à repérer les projets de recherche-développement extérieurs qui ont permis aux agriculteurs d’acquérir des expériences sur la gestion de la fertilisation.

24Dans la quatrième étape, nous avons contacté deux agronomes pour confirmer les propos des agriculteurs : un du Fofifa (Centre national de recherche appliquée au développement rural) et un du Gsdm (Groupement du semis direct à  Madagascar).

25La cinquième étape a consisté à enquêter, selon le questionnaire développé par la méthode ImpresS (5), le coordonnateur et l’ingénieur de projet sur les renforcements de capacités, les situations d’apprentissage, les postures et les changements liés aux capacités acquises.

26Enfin, le récit de l’innovation et le chronogramme ont été construits à partir de ces interviews. Nous avons mis en lien les inputs, outputs, outcomes et changements transformationnels pour construire les chemins d’impact.

Les chemins de l’impact sur le développement du projet

Mis en récit de l’innovation et chronogramme

27Dans les Hautes Terres malagasy, l’apport de fumier à la dose de 5 à 10 T/ha (14) a été noté depuis longtemps dans la riziculture traditionnelle des bas-fonds (riziculture de submersion) caractérisée par des entretiens simplifiés et un repiquage de plants à disposition aléatoire. La riziculture améliorée est caractérisée par la fertilisation des terres par le NPK, les techniques culturales améliorées (repiquage en ligne, sarclage) et le choix variétal. L’IRAM (Institut de recherches agronomiques à Madagascar) a conduit des essais de fertilisation de 1961 à 1963 (14).

28Vers la fin des années 60 avec l’« Opération tanety », les collines ont fait l’objet d’une considération des organismes étatiques. Face à la pression démographique ainsi qu’à l’encombrement des bas-fonds, l’extension des surfaces cultivables a dû être prise en compte. Les exploitants agricoles ont à pratiquer la riziculture pluviale sur les sols des collines ou tanety. D’ailleurs, ces derniers représentent environ 65 % des sols de la surface agricole utile de Madagascar (31).

29Dans le moyen-ouest de la région du Vakinankaratra, les céréales sont souvent sujettes aux dégâts d’une plante parasite, Striga asiatica. Des systèmes de culture ont été mis au point pour réduire l’incidence de ce parasite. Depuis les années 90, des programmes de développement ont été menés notamment par l’ONG Tafa (Terre et Développement) pour promouvoir et diffuser l’agriculture de conservation. Depuis 1998, le Fofifa y a mené ses recherches sur l’amélioration variétale, la fertilisation et les systèmes de culture et la protection des cultures. Fin 2001, le Fofifa, l’Université d’Antananarivo et le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) ont créé le collectif « Systèmes de culture et rizicultures durables » pour assurer l’accompagnement agronomique et économique de l’augmentation des surfaces de riziculture pluviale. En 2002, le GSDM a été créé pour continuer la promotion de l’agriculture de conservation étendue à l’échelle nationale.

30Dans ces différents programmes, des sites de démonstration et de formation ont été ainsi installés pour sélectionner les systèmes de culture adaptés à la région. Ainsi, les agriculteurs ont pu acquérir des connaissances sur la fertilisation basée sur le fumier seul ou sur la combinaison du fumier et du NPK.

31Le projet intitulé « Overcoming phophate deficiency in irrigated and rainfed rice in Madagascar » a été coordonné par le laboratoire des Radioisotopes (LRI de l’Université d’Antananarivo-Madagascar) et la Division Gestion des Sols et des Eaux (Université Catholique de Leuven KUL-Belgique) puis financé par VLIR-UOS (Conseil interuniversitaire flamand pour le développement). En 2009, le processus d’innovation sur l’engrais phosphaté a démarré par le test de déficience en phosphore sur la riziculture pluviale du moyen-ouest. Il a été constaté la déficience en phosphore pour le riz, et que la biodisponibilité du phosphore dans le sol est plus grande pour le riz irrigué que pour le riz pluvial dans la région étudiée (32). Ici, la partie « riz pluvial » du projet a été pris comme étude de cas.

32Des agriculteurs d’Ivory ont été consultés de façon à les conscientiser sur la déficience en phosphore dans leur région et la baisse de rendement rizicole en conséquence. Pour relever cette déficience, les chercheurs leur ont exposé le manque de phosphore dans les engrais recensés dans la localité qui nécessite d’autres engrais phosphatés venant de l’extérieur.

33Le TSP a été proposé par les chercheurs aux agriculteurs curieux de découvrir l’efficience de l’engrais phosphaté sur le rendement. La consultation des agriculteurs a fait en sorte que le test sur l’efficience de cet engrais soit réalisé de manière participative entre les chercheurs et les exploitants riziculteurs. Les expérimentations ont été conduites sur des parcelles paysannes de manière à comparer les rendements obtenus à partir des doses croissantes de phosphore minéral (0, 20, 40, 80 kg.P/ha) associées ou non à des doses croissantes d’engrais organique. Les engrais nécessaires pour la réalisation des expérimentations ont été fournis par le projet.

34Le TSP a été acheminé soit depuis la capitale Antananarivo soit depuis la ville d’Antsirabe (à 87 km du site d’étude) mais s’est arrêtée lorsque le projet a pris fin en 2014.

35En 2011, un site de démonstration a été installé à Ivory pour les essais expérimentaux et dont les modalités techniques (variétés de riz, nombre de graines par poquet, espacement des semis, courbe de niveau, etc) ont été construites à partir des connaissances de l’équipe de recherche et des agriculteurs. Pour limiter l’invasion du striga, des associations culturales soja/riz ont été conduites chaque année.

36L’interaction entre les acteurs a relativement marqué ces agriculteurs car, selon eux, leurs savoir-faire ont été pris en compte dans la mise en œuvre du processus à la différence des autres projets où, considérés comme salariés, ils exécutent ce qu’on leur demande de faire durant les expérimentations.

37À l’issue de l’évaluation participative des résultats, la combinaison d’engrais P20 MO5 (20 kg.P/ha + 5 t.MO/ha) représentait la dose optimale pour un meilleur rendement rizicole pendant tous les essais.

38Les agriculteurs ont reçu gratuitement du TSP pour ensuite reproduire les essais dans leur champ individuel. Il a été constaté que les matériels de dosage d’engrais apporté par l’équipe de recherche ont été assez complexes pour les agriculteurs. Un système de mesure manuelle d’engrais plus simple a été testé et transféré aux agriculteurs pour faciliter les dosages.

39À la fin de chaque campagne culturale, l’équipe de recherche a procédé à une campagne de sensibilisation et de formation auprès d’une centaine de personnes composées d’élèves, d’éducateurs scolaires, d’agriculteurs et des autorités administratives locales. Divers supports de vulgarisation ont été élaborés : des affiches, des flyers et des supports vestimentaires imprimés sur lesquels la promotion des engrais phosphatés et les photos des agriculteurs ont été affichés. Il s’agissait d’une manière de montrer que l’innovation est le fruit d’une coproduction de connaissances avec les agriculteurs. 26 autres agriculteurs ont voulu tester la technique en achetant du TSP auprès de l’équipe de recherche.

40A la fin du troisième et dernier essai de culture, des visites échanges ont été organisées par l’équipe de recherche en invitant des techniciens issus d’autres régions. A l’issue des échanges, les agriculteurs ont été conduits à évaluer l’efficacité de l’innovation en portant un regard sur des critères économiques, spécifiquement, en choisissant une dose optimale d’engrais avec les moindres dépenses.

41L’évaluation participative des résultats a établi l’existence de la dose optimale de phosphore minéral de 20 kg.P/ha au lieu des fortes doses de 40 à 80 kg.P/ha appréciées des paysans. D’ailleurs, les fortes doses ne sont pas économiquement viables avec le cours des engrais et le prix du riz. La dose optimale par contre admet des bénéfices qui reviennent au double des investissements. Les calculs sur le retour sur investissement ont rapporté qu’un Ariary investi pour l’achat de phosphore minéral rapporte deux Ariary à la récolte grâce au surplus de production.

42Les agriculteurs ont aussi été amenés à créer une association d’agriculteurs pour faciliter l’achat et l’acheminement des engrais TSP dans le site à travers les échanges directs entre eux et les fournisseurs d’engrais. Malheureusement, cette association n’a fonctionné que pour une seule campagne culturale après la fin du projet. Le revendeur d’engrais aurait décliné la deuxième commande car, étant devenue moins importante, celle-ci lui engendrerait une perte économique s’il devait transporter une telle commande depuis la capitale Antananarivo. Cependant, l’arrêt de l’approvisionnement en TSP a conduit les agriculteurs à tester des proportions croissantes de NPK + MO ou de MO seule en se référant sur le dosage optimal P20 MO5.

43En 2014, un atelier de restitution finale a été organisé par les chercheurs pour synthétiser et disséminer les résultats de recherche auprès des intervenants/porteurs du projet ou invités : chercheurs, techniciens, paysans producteurs, les représentants du Ministère de l’Agriculture, et autres partenaires. Le Ministère de l’Agriculture, représenté par son Secrétaire Général a tenu à rappeler son rôle de soutenir la production agricole et de maintenir son intention à agir en ce sens.

44Des recommandations ont été avancées à l’issue des débats lors de l’atelier. Il a été évoqué notamment que, à long terme, chaque groupe de parties prenantes, concernées par le développement rural à savoir : autorité publique, chercheurs, organes de développement, opérateurs et exploitations agricoles, est tenu de se concerter pour mieux coordonner les activités qui lui est propre. Des synthèses périodiques ont notamment été évoquées pour les chercheurs qui ont du mal à homogénéiser leur communication auprès des agents de développement ou des opérateurs.

La contribution aux impacts par la coproduction de connaissances

45A travers ce processus d’innovation, la coproduction de connaissances entre l’équipe de recherche et les agriculteurs a produit respectivement des outputs et des outcomes qui ont contribué aux impacts (Figure 2). Au niveau des outputs, cette interaction a conduit à une diversité de produits tels que les nouvelles méthodologies relatives à l’accroissement de la pratique et à la production de la riziculture pluviale et les formations académiques (doctorat) et professionnelles (assistant de laboratoire). A partir de ces nouvelles connaissances, des formations et des sensibilisations des agriculteurs, des séances de visites échanges ainsi que des restitutions ont été organisées.

46En termes d’outcomes, les agriculteurs se sont appropriés des modalités techniques pour améliorer leur pratique et générer des impacts, à long terme, comme une meilleure gestion de l’érosion, une meilleure gestion de la quantité ou de l’achat de semence et une augmentation du rendement en soja. En outre, l’échange avec les techniciens agricoles externes a permis de se procurer de nouvelles manières de gérer des problèmes sociaux. C’est le cas de la création de l’association d’agriculteurs qui a pris en charge l’approvisionnement en engrais pour les agriculteurs désireux de continuer l’adoption dans le site.

47Ayant testé les combinaisons NPK + MO, les agriculteurs n’ont pas pu obtenir le même résultat qu’avec le TSP et ont pu conclure une très nette différence entre l’efficacité des engrais NPK et TSP. Cette expérimentation a permis aux agriculteurs de mieux stabiliser les quantités d’engrais qu’ils jugent favorables pour la riziculture pluviale. Certains agriculteurs peuvent ainsi être capables de connaître au préalable les quantités nécessaires d’engrais pour leur champ d’exploitation et de pouvoir gérer tranquillement leur trésorerie. Ce qui représente un souci de moins pour ces agriculteurs.

48Durant la temporalité d’existence du projet, des impacts positifs ont été constatés dans différents rapports intermédiaires de pilotage du projet quant à l’adoption temporaire de la technique, l’amélioration des sols, l’augmentation des surfaces de riz pluvial/soja et l’augmentation du rendement rizicole, contribuant ainsi à :

  • l’augmentation des revenus liés à la vente des semences et/ou de la production ;

  • la capacité à subvenir aux responsabilités sociétales, besoins quotidiens, urgences et imprévus, frais de scolarité, festivités et autres cultures ;

  • l’augmentation du stock pour les besoins alimentaires ;

  • la capacité à payer le salaire du personnel extérieur.

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Figure 2 : Chemin d’impact

La contribution aux impacts par le renforcement des capacités

49L’identification des situations d’apprentissages distingue différentes catégories de renforcement de capacités dont l’exploration permet de comprendre la contribution des chercheurs aux changements de pratique ou impacts. Trois situations d’apprentissages ont été trouvées et classées selon la phase du chemin de l’impact. 

50La première situation d’apprentissage est liée aux dispositifs de conception de l’innovation (inputs) : les entretiens avec les paysans et la « vitrine » d’interactions.

51Les entretiens avec les paysans ont conduit l’équipe de recherche à adopter une posture de « partenaire technique » pour proposer aux agriculteurs des solutions à la déficience en phosphore et pour augmenter la production rizicole.

52Cette situation d’apprentissage renforce symétriquement les capacités des chercheurs à acquérir de nouvelles manières d’organiser les échanges avec des agriculteurs. Essentiellement, à savoir écouter puis à dialoguer humblement avec les acteurs cibles tout en adoptant un langage approprié pour gagner leur confiance.

53Cette capacité est une ressource centrale pour faciliter les échanges par rapport aux questions que le chercheur pose et impliquer les agriculteurs dans la proposition de nouvelles idées pour mettre en œuvre l’innovation.

54La mise en place du site de démonstration a facilité la coproduction de connaissances amenant l’équipe de recherche et les agriculteurs à se comporter tout comme des apprenants et à renforcer leur capacité technique à maîtriser des intrants exogènes. De manière générale, cette capacité participe à des apprentissages qui sont redéployables sur de nouvelles situations.

55D’une part, la maîtrise de cette pratique a conduit les agriculteurs à intégrer certaines composantes de l’innovation pour adopter des bonnes pratiques en matière de riziculture pluviale et de culture pluviale en général.

56D’autre part, les chercheurs ont appris à mieux combiner les connaissances scientifiques et les connaissances profanes par des approches participatives et en tenant compte des réalités locales. En mobilisant les agriculteurs comme des partenaires, l’équipe de recherche a aussi pu renforcer sa capacité d’interaction avec les agriculteurs en apprenant à utiliser des phrases simples et adaptées à leur compréhension.

57Les discussions « ouvertes » ont suscité la curiosité des agriculteurs et renforcer leurs capacités d’intervention pour faire des remarques et exposer leurs problèmes, leurs souhaits ou leurs solutions pour résoudre le problème. Les agriculteurs impliqués dans des activités communes avec l’équipe de recherche se sont sentis responsabilisés aussi bien dans la réussite ou les échecs des résultats attendus.

58La deuxième situation d’apprentissage est liée aux produits de la recherche (outputs) : restitution annuelle, sensibilisation-formation et visites échanges. La restitution annuelle des résultats constitue une situation d’apprentissage qui a renforcé la capacité de gestion de l’équipe de recherche en termes de synthèse et d’évaluation participative des activités. Essentiellement, l’équipe de recherche s’est procurée de bonnes pratiques en matière d’organisation de réunion entre différents acteurs incluant les autorités administratives locales, les responsables du CSA (centre des services agricoles) et les agriculteurs.

59L’équipe de recherche a ainsi écouté et dialogué avec les agriculteurs de façon à les laisser exprimer leurs avis et leur façon de voir les choses à leur niveau pour améliorer leur existence. Quant à la sensibilisation et la formation, elles ont eu pour finalité de diffuser largement les nouvelles connaissances à d’autres bénéficiaires potentiels dans le site.

60En tant qu’expert et transmetteur de connaissances, l’équipe de recherche a appris de nouvelles manières de transmettre les nouvelles connaissances. Elle a su concevoir des supports de vulgarisation (tee-shirt, affiche, flyers) dans l’esprit de mettre en valeur les agriculteurs comme étant des producteurs de connaissances.

61En tant que partenaires, facilitateurs et apprenants, les chercheurs ont pu renforcer leur capacité fonctionnelle à organiser et à faciliter les échanges entre les techniciens externes et les agriculteurs locaux par le biais des visites échanges. Ces dernières ont représenté une occasion pour les chercheurs de bénéficier de nouvelles façons d’évaluer d’une manière participative la performance d’une innovation. Ils ont su porter l’évaluation avec un regard non seulement scientifique mais aussi économique et social.

62Ces visites échanges ont aussi débouché sur une troisième situation d’apprentissage qui est liée aux « outcomes »  du chemin d’impact et constitue une opportunité pour les agriculteurs d’exprimer leur problème à l’égard de l’accès au TSP. Cet apprentissage a amené les agriculteurs à interagir entre eux pour solutionner un problème collectif.

63En revanche, l’arrêt de l’association d’agriculteurs a créé une autre situation d’apprentissage qui a poussé les agriculteurs à expérimenter et à adapter la fertilisation, sans encadrement et selon les réalités locales. Ceci constitue une nouvelle manière de tester et d’adapter une technique par les agriculteurs d’une façon autonome. Certes, les impacts attendus en termes d’augmentation de la production rizicole actuelle ne sont pas aussi importants que lors du processus d’innovation, mais une meilleure gestion du système de riziculture pluviale est perçue par les agriculteurs.

64Le tableau 1 résume l’intensité de la contribution aux impacts ou aux externalités de connaissances induites par le renforcement des capacités des acteurs.

Tableau 1: Intensité de la contribution du renforcement des capacités aux impacts

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Discussion : la capitalisation positive d’une situation d’échec

65La démarche mobilisée et son application aux cadres d’analyse d’un projet a révélé les liens de causalités entre les outputs, les outcomes et les impacts dans un processus d’innovation donné. Elle a mis en évidence la contribution de la recherche aux externalités qui peuvent être d’ordre scientifique, social ou environnemental comme d’autres auteurs l’ont déjà souligné (12, 21). Cette démarche permet aux chercheurs de comprendre comment se construisent les impacts de leurs activités. Ceci permet de mieux gérer les impacts et de mieux agir dans l’objectif d’une plus grande efficacité du processus d’adoption de l’innovation par les utilisateurs.

66L’évaluation du processus d’innovation sous tendue par la situation de projet identifié révèle également le manque d’implications des acteurs publics. Nous avons constaté dans ce projet que l’accès aux engrais phosphatés a limité les conditions d’adoption de la nouvelle technique par les agriculteurs. L’implication des acteurs publics dans le processus d’innovation aurait pu créer des conditions institutionnelles et économiques nécessaires aux changements d’échelle temporels du processus d’adoption de l’innovation (9) contextualisé à un projet. (38). L’implication des acteurs publics, si elle peut apparaitre comme une condition nécessaire, n’est pas une condition suffisante. Ainsi la politique de promotion publique, médiatique et financière de l’innovation qualifiée de Système de riziculture irriguée (SRI) à Madagascar (40) ne s’est pas traduite par des adoptions significatives et reste qualifiée par des travaux de recherche de « mythes d’innovation ».

67Cependant dans notre situation d’étude, malgré l’abandon de l’innovation sur l’usage de l’engrais phosphaté, certaines caractéristiques de l’innovation (nombre de graine par poquet, espacement des semis, courbe de niveau, association culturale avec le soja) ont été reprises par les agriculteurs pour améliorer leur pratique de culture. Une autre trajectoire de l’innovation a été aussi constatée sur l’adaptation par les agriculteurs de la technique de dosage d’engrais phosphaté sur celle des engrais NPK.

68Ceci confirme d’autres travaux (18) qui démontrent que les agriculteurs ne sont pas réfractaires à l’innovation mais, en revanche, choisissent et adaptent ce qui leur convient par rapport au contexte réel. Cela peut donc conduire à des échecs d’innovations quand elles résultent de transferts technologiques non adaptés aux contextes locaux d’accès aux ressources nécessaires. Ces situations renvoient à la capacité d’adaptation et d’innovation des agriculteurs à utiliser, d’une manière autonome, les composantes de l’innovation pour répondre à leurs objectifs et à leurs contraintes.

69Dans le cas d’adoption des systèmes SCV, cette capacité d’adaptation se manifeste par la modification des modalités techniques qui conviennent aux agriculteurs selon leur perception des niveaux de fertilité de leurs sols et la nature d’engrais qu’ils sont en mesure d’apporter (28, 34). Même si les impacts en termes de rendement actuel sont moins importants qu’avec des engrais, les agriculteurs ont déjà pu bénéficier des renforcements de capacités en termes de gestion de la fertilité des sols et des cultures pluviales en général.

70La constitution de cette capacité à innover, à s’adapter et à prendre des décisions chez les agriculteurs devrait en soi devenir un objectif des processus d’innovation soutenus par la recherche. Elle sous-tend dans la littérature la nécessité de densifier l’interaction des chercheurs avec d’autres acteurs dans des situations d’apprentissage promouvant la conception, l’appropriation, l’adaptation et l’utilisation de l’innovation (41).

71Elle répond aux critiques adressées par Röling (38) aux modèles d’innovation linéaire conventionnels dans lesquels les transferts technologiques répondent davantage aux besoins de ceux qui les initient que des utilisateurs finaux.

72Dans ces nouvelles postures, les chercheurs jouent un rôle dans l’organisation et l’accompagnement des apprentissages de façon à ce que les agriculteurs puissent acquérir, expérimenter et adapter les nouvelles connaissances d’une manière autonome selon leur objectif. Ces postures évoluent également tout au long du chemin d’impact (8). Les chercheurs ne se considèrent pas seulement comme des producteurs de nouvelles connaissances mais endossent alors d’autres rôles tels qu’intervenant partenaire, formateur, facilitateur, co-constructeur de connaissances et d’expériences, amis et aussi personnes de confiance avec qui on peut discuter facilement.

73Cash et al. (2003) (9) mettent également en avant que les connaissances retrouvent leur utilité lorsque celles-ci sont coproduites par l’implication des chercheurs, des praticiens et des organisations de développement. Il est intéressant de revisiter en cela des démarches de Recherche Action en Partenariat (RAP) (16) pour accompagner la génération d’outputs et d’outcomes qui structurent le processus d’innovation.

74La mise en œuvre du dispositif expérimental en commun, les séances de restitution des résultats et de visites échanges constituent pour les partenaires de recherche des opportunités d’interactions. Ces interactions répétitives sont structurantes d’une confiance mutuelle de telle sorte que les opinions de chaque partie puissent être prises en compte dans la construction de l’innovation et facilitant ainsi l’adoption de ce que l’on peut qualifier d’outputs indirects : information, capacité d’expérimentation, etc.

75Ces démarches RAP d’accompagnement de l’innovation vont plus loin en considérant explicitement les utilisateurs comme producteurs de connaissances (20). Pourtant dans le projet structurant notre étude de cas, cette production de connaissances est une externalité révélée par une démarche d’analyse du processus.

76Pour mieux répondre aux besoins sociétaux d’améliorer les impacts de la recherche sur le développement, les organisations de recherche investissent la construction de référentiels méthodologiques dont la mobilisation génère une « culture d’impact » (20).

77La démarche ImpresS pour le Cirad et l’approche Asirpa (Analyse des Impacts de la Recherche Publique Agronomique) pour l’Inra (Institut National de la Recherche Agronomique) font partie de ces nouveaux cadres. Le Cirad s’est lancé depuis 2010 dans le processus d’utilisation de ces cadres pour créer des apprentissages internes partagés avec ces partenaires au sud sur un panel expérimental de 13 cas d’études (19).

78Les résultats conduisent à passer d’une vision exclusive du rôle de la recherche comme générateur d’outputs scientifiques à une vision plus systémique qui inclut l’appropriation de ces outputs. Cela en identifiant des stratégies et des interactions qui favorisent les changements de perception, de pratique et de comportement (6).

79Les principaux acquis de ces cas d’étude sont notamment de révéler les décalages entre les indicateurs d’impacts souhaités par les populations et ceux parfois qui pilotent les programmes de recherches. Ils génèrent par ces apprentissages collectifs un renforcement des capacités des parties prenantes à innover (43) et aux différentes échelles temporelles et territoriales qui matérialisent les processus d’innovation (17).

Conclusion

80La mobilisation de la démarche ImpresS met en connaissance d’autres impacts inattendus mais considérés comme déterminants et durables dans la gestion de la riziculture pluviale malgré l’abandon de la nouvelle technique liée à l’usage d’engrais chimiques par les agriculteurs. Elle documente également les éléments qu’il serait nécessaire d’endogénéiser comme objectifs initiaux dans l’évolution des modèles d’innovation.

81Ces derniers sous-tendent des projets de transformation des pratiques agricoles sur des artefacts techniques auxquels les agriculteurs n’ont pas accès en dehors de la temporalité d’un projet donné. Ces modèles d’innovation font référence à la coproduction de connaissances, aux postures des porteurs de projet et au développement des situations d’apprentissage qui renforcent la capacité des acteurs à adopter de nouvelles pratiques.

82La mobilisation de cette démarche documente des réflexions que nous pensons utiles pour les bailleurs de fonds ou les futurs porteurs de projet pour augmenter l’efficacité de leurs investissements en termes d’impact sur un développement en termes de réponses aux aspirations des agriculteurs et pas que celles de ceux qui portent les projets. Dans cette perspective, le renforcement d’une culture d’impact dans les différentes institutions est sans doute une contribution utile.

Remerciements

83Cette publication a bénéficié du soutien des activités du Challenge research program rice dans le cadre des activités portées par le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement)

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Om dit artikel te citeren:

Lisy Razafinimpiasa, Lilia Rabeharisoa & Ludovic Temple, «Chemins d’impacts de la recherche agronomique appliquée à un projet de fertilisation phosphatée de la riziculture pluviale à Madagascar», Tropicultura [En ligne], Volume 40 (2022), numéro 2, URL : https://popups.uliege.be/2295-8010/index.php?id=2046.

Over : Lisy Razafinimpiasa

DEA, Docteur, Malgache. Ecole Supérieure des Sciences Agronomiques, Université d'Antananarivo, BP 175, Antananarivo 101, Madagascar. Auteur correspondant : razafi.lisy@gmail.com, Téléphone : +261331291133

Over : Lilia Rabeharisoa

Professeur titulaire, Enseignant chercheur, Malgache. Ecole Supérieure des Sciences Agronomiques, Université d'Antananarivo, BP 175, Antananarivo 101, Madagascar. Laboratoire des Radio-Isotopes, Université d’Antananarivo, Route d’Andraisoro B.P. 3383, Antananarivo 101, Madagascar

Over : Ludovic Temple

Dr HDR Economie, Directeur de recherche, Français. INNOVATION, University of Montpellier, CIRAD, INRAE, Institut Agro, Montpellier, France. CIRAD, UMR INNOVATION, F-34398 Montpellier, France