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Le témoignage comme vecteur d’authenticité muséale
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À la suite de l’adresse des critères d’authenticité perçus par les publics, l’autrice explore les nombreux procédés dont le milieu muséal fit preuve avec le temps pour provoquer chez les publics ce qu’elle propose comme étant un « effet d’authenticité » ou une « authenticité complète ». De plus, on examine dans cet article certaines nuances et défis du patrimoine immatériel et du mentefact dans le cadre des institutions muséales, incluant la typologie des témoignages oraux formée par Gaynor Kavanagh. Le témoignage y est finalement présenté comme vecteur d’authenticité à divers niveaux.
Abstract
Following a criteria review of authenticity as perceived by the public, the author explores the many processes that the museum community has demonstrated over time to provoke in the public what she suggests as an “effect of authenticity” or “complete authenticity”. In addition, this article examines certain nuances and challenges of intangible heritage and mentifacts in the context of museum institutions, including the typology of oral testimonies formed by Gaynor Kavanagh. The testimony is finally presented as a vector of authenticity at various levels.
Table des matières
Introduction
1Bien que l’authenticité puisse être sujette à plusieurs définitions et interprétations selon le domaine d’étude, elle désigne généralement une certaine exactitude, ou une notion de vérité, et renvoie presque indéniablement vers le concept d’origine (de l’objet, du lieu, etc.) (cova & cova 2002, p. 34). Un objet est-il toujours ce qu’il a été à son origine? Celui-ci est-il réellement ce qu’il semble être? Néanmoins, l’authenticité ne relève pas uniquement de l’origine, loin de cela. Elle consiste aussi un « construit social hybride » qui dépend de son contexte et de son environnement : elle « s’appuie à la fois sur l’objet lui-même, la certification de sa provenance, le lien indiciel établit avec les contextes culturels et historiques dont il [l’objet] provient, ainsi que sur un ensemble de dynamiques sociales et communicationnelles. » (duval, gauchon & malgat 2020, p. 245) En effet, le « concept d’authenticité du témoin n’alimente pas tant le champ des connaissances que celui des émotions ». (desvallées & mairesse 2011, p. 413) C’est pourquoi nous ne nous concentrerons pas dans cet article sur la fabrication de faux, les restaurations (et dérestaurations) ou le marché de l’art, mais plutôt sur le ressenti d’authenticité par les publics lors de visites muséales.
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3Dans le domaine muséal, on ne peut parler de nos jours d’une unique vérité, mais plutôt de la volonté de rejoindre un plus grand nombre de personnes possible en produisant chez elles un sentiment d’authenticité. Lorsque ces publics se rendent au musée, ils s’attendent généralement à admirer de vrais objets et cherchent à apprendre d’eux, à les contempler ou bien à se divertir grâce aux activités en lien avec ceux-ci. En théorie, le musée « doit assurer la communication du patrimoine de manière objectivement efficace, socialement légitime et subjectivement authentique. » (poulot 1988, p. 69) Dit aussi sommairement, cela semble réalisable, mais tout ce que l’institution peut réellement contrôler est son effort d’être « objectivement efficace » au sein de sa mission. La légitimité sociale dépend des perceptions des publics et des relations que ceux-ci construisent avec l’institution, les thèmes abordés dans ses expositions et les œuvres ou objets exposés. Dans le cadre de plusieurs études effectuées sur l’authenticité des musealias dont celle, récente, de Stephen Schwan et Silke Dutz, de nombreux critères ont été identifiés comme étant décisifs dans la perception des publics : si l’objet est original (Evans et al. 2002 ; Gurian 1999), s’il a une importance historique ou personnelle (Frazier, Wilson, Gelman & Hood 2009 ; Gjersoe, Newman, Chituc & Hood 2014), s’il est unique (Newman & Bloom 2012), s’il est de grande valeur monétaire (Frazier et al. 2009 ; Gjersoe et al. 2014), si sa forme, fonction et apparence esthétique sont particulières et s’il porte des traces d’usage (Littrell, Anderson & Brown 1993 ; Revilla & Dodd 2003) ou une connexion forte au passé (Latham 2013). Concernant les œuvres d’art, le lien direct avec l’artiste peut être d’une certaine importance ainsi que leur valeur monétaire (Newman & Bloom 2012), tandis que les objets d’institutions de sciences et de technologies sont souvent évalués plutôt sur leur fonctionnalité et leur état complet (Hampp & Schwan 2014, 2015).
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5Tous ces critères traduisent les attentes des publics et sont liés aux capacités des institutions muséales de refléter un caractère authentique d’une façon ou d’une autre. Il est plausible de se demander à ce stade comment construire de la vérité en nous basant sur les critères des visiteurs. Cependant, ce n’est pas uniquement le cas. Si ces critères sont d’une grande importance pour aider les chercheurs en muséologie à comprendre la pensée des différents publics, nous verrons plus loin que la construction de l’authenticité se fait de plus par la juxtaposition de points de vue pertinents qui permettent, ensemble, au visiteur de produire sa propre interprétation, qu’il s’agisse d’un objet muséalisé, d’une œuvre d’art ou de patrimoine immatériel.
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1. La quête de l’effet « authentique »
7Dans la perspective de l’histoire de la muséologie, il est nécessaire de rappeler les procédés mis en place par le musée pour répondre à ces attentes. Depuis le XIXe siècle, des dispositifs analogiques existent pour renforcer l’impression de réalité : ceux-ci « offre[nt], à la vue des visiteurs, des objets originaux ou reproduits, en les disposant dans un espace précis de manière à ce que leur articulation en un tout forme une image, c'est-à-dire fasse référence, par ressemblance, à un certain lieu et état du réel hors musée, situation que le visiteur est susceptible de reconnaître et qu'il perçoit comme étant à l'origine de ce qu'il voit. » (Montpetit 1996, p. 58) Les premiers dispositifs étaient effectivement le panorama dans les musées d’ethnographie et le diorama dans les musées de sciences naturelles. Les intérieurs d’époque, communément appelés period rooms, faisaient aussi partie de ces premières astuces immersives, qui perdurent aujourd’hui, surtout dans les lieux historiques et centres d’interprétation. Ces intérieurs étant des « pièce[s] détachée[s], passée[s] de l’usage, dans un environnement de vie quotidienne, à la contemplation, dans un environnement muséal » (Labrusse 2018, p. 78), ils inspirent une impression de distance avec les publics, qui ne peuvent s’identifier au mode de vie représenté. Ils peuvent donc tout autant susciter des critiques, car ils valorisent une culture matérielle d'antan qui n'a aucun autre impact sur la société actuelle que de provoquer une réaction émotionnelle, voire nostalgique, pour une époque que le visiteur n’a jamais connue, mais peut s’imaginer.
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91957 fut marquée par un bond de l’interprétation muséale avec Interpreting Our Heritage de Freeman Tilden. Il énonce notamment que l’authenticité est impossible sans recherches minutieuses, car ce sont elles qui font « dépasser la pure joie esthétique et comprendre quelles forces […] se sont employées à créer la beauté qui [nous] entoure. » (Tilden 1992, p. 246) Toutefois, la vision de Tilden s’amarre plus facilement aux parcs naturels, son domaine de prédilection, qu’à l’intérieur d’un musée traditionnel. Les années 1970 sont marquées par la notion de musée-forum de Duncan Cameron, qui stipule qu’un musée ne doit et ne peut plus se contenter de véhiculer une unique vision de la société dans une scénographie élitiste et datée. Cette fausse réalité, idéalisée dans le passé, ne l’est plus. Le musée-forum servirait comme espace de débats et de discussions sur les réalités des musées et de la société dans laquelle ils évoluent. (cameron 1971, p. 19) Dans celui-ci, « le musée sert de temple, acceptant et incorporant les manifestations du changement. » (cameron 1971, p. 24) Au cours des années 1980, un changement de paradigme s’opère au sein des musées de sciences et techniques. Plutôt que de demeurer dans la contemplation d’objets authentiques accompagnés de savoir vérifiable, l’exposition scientifique devient un lieu où le visiteur est au centre de son expérience, celle-ci maintenant sensible, et peut poser des actions pour interagir avec son environnement (belaën 2003, p. 27-28), notamment au Centre des sciences de Montréal. Les musées d’histoire naturelle ont aussi adopté depuis une trentaine d’années l’immersion comme dispositif communicationnel. Le Biodôme de Montréal, avec ses environnements naturels reconstitués, en est un bon exemple. (belaën 2003, p. 29)
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11Dans le cas des dioramas comme dans le cas de l’immersion technologique d’aujourd’hui, « l’effet de réalité visuelle » d’un ensemble scénographié peut être plus convaincant que l’authenticité d’objets exposés seuls. (Beuvier 1999, p. 124) Toutefois, les objets authentiques muséalisés servent à garantir, ou du moins donner l’impression de l’exactitude de la représentation complète. C’est donc une question de cohérence et d’atmosphère qui peut prévaloir, surtout chez les publics moins initiés à la matière exposée. Habituellement,
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« une part de l'interprétation du dispositif est toujours laissée au récepteur, exactement comme la lecture d'un roman fait naître des images mentales personnelles dans le chef du lecteur. Dans les expositions d'immersion, il n'y a pas (ou peu) de place pour la rêverie intime, le visiteur est dans le rêve ; l'illusion sature l'espace, happe le regard et le corps du visiteur, ne laisse aucune échappée vers l'introspection. » (Drouguet 2011, p. 13)
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14C’est pourquoi Noémie Drouguet est d’avis qu’il est important de garder une distance avec l’immersion pour éviter de tomber dans le spectaculaire et ainsi oublier la pertinence d’une exposition muséale.
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16Aujourd’hui, les musées (surtout les grands) se trouvent à balancer entre le rôle et l’engagement social qu’ils se font le devoir de respecter et le choix d’accepter le financement de partenaires, corporatifs ou privés, qui ne partagent pas les mêmes valeurs. D’ailleurs, il est impossible de nier le lien entre les grandes entreprises et la composante marketing des institutions muséales. Celles-ci cherchent toujours plus d’innovations, plus de publics, plus de capitaux. Cela n’est pas péjoratif ; les musées doivent survivre dans un monde où la culture n’est pas nécessairement prioritaire. Il est donc essentiel de chercher de nouveaux moyens d’innover. Bien sûr, l’importance donnée aux boutiques de souvenirs, notamment dans l’espace du musée, donne un indice de la direction dans laquelle les institutions sont dirigées. Cependant, ce phénomène commercial se trouve uniquement dans les plus grands musées, généralement de beaux-arts ou de société. Les institutions plus modestes, à défaut de posséder une réelle boutique, peuvent parfois afficher quelques publications ou petits produits à vendre à l’accueil. Quelle est la pertinence d’aborder le marketing des musées lorsqu’il est question de son authenticité? Le musée du XXIe siècle, qui devient de plus en plus sa propre entreprise, peut parfois brouiller les limites de l’authenticité. La vérité, pour les entreprises, n’est pas basée historiquement, scientifiquement ou ethnographiquement, mais plutôt sur la valeur monétaire de l’intérêt des visiteurs. Le processus de marketing fait par les entreprises, tout comme celui des institutions muséales qui en ont la possibilité, a son propre impact sur la valeur d’authenticité reconnue par les visiteurs. La commercialisation de la culture peut effectivement causer une perte de confiance de la part des publics pour ce qu’elle présente comme produit. (cotter 2016)
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18Un musée, par exemple, qui propose dans sa boutique des répliques d’une poupée ancestrale de son exposition permanente, devient un lieu paradoxal qui représente les opposés unicité/multiplicité, fabrication artisanale/fabrication en série. Cela peut, même inconsciemment, confondre le visiteur en lui donnant une expérience mitigée d’authenticité. De plus, il existe un autre paradoxe de l’authentique, soit celui lié au « local » et au passé révolu (reconnaissable, mais non trouvable de nos jours) dont le public-consommateur doit débourser pour en vivre l’expérience. Le public doit donc faire le compromis de devoir payer pour avoir accès à de la culture. (cova & cova 2002, p. 34-35) Évidemment ce n’est pas toujours le cas et beaucoup de plus petites institutions, dont les organisations à but non lucratif, offrent leurs services gratuitement pour le plaisir de chacun(e) tandis que les plus grandes offrent aussi des contenus gratuits, particulièrement sur la toile.
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20L’immersion par l’apport technologique ainsi que le numérique ont engendré la normalisation de la dématérialisation des musées. Les publics peuvent effectivement se renseigner, consommer et même se promener virtuellement dans les musées ; tout cela est très courant de nos jours. Le numérique offre de nombreux avantages et possibilités aux institutions muséales qui s’en prévalent. Une plateforme de ce type permet de façon générale d’informer les publics sur le patrimoine et son importance au sein de notre société. Au lieu de ne diffuser les informations souhaitées qu’à des publics initiés, dans des revues scientifiques et autres médiums spécialisés, Internet donne accès à un plus large public. Cela permet une plus grande diffusion, selon les moyens financiers de l’institution. Par ailleurs, le numérique permet d’offrir des données plus complètes sur les expôts et donne accès à du contenu qui n’est pas présenté en salle au moment de la recherche. Également, il rend possible l’élargissement des publics et l’atteinte des non-publics, notamment avec la médiation dont les outils peuvent être mis en ligne à la disposition des différentes catégories (familles, groupes scolaires, groupes d’âge d’or, etc.).
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22Le numérique comporte bien des nuances, mais devient un outil à double tranchant lorsqu’il est question de sa relation avec les publics. Son succès, notamment dans le cadre muséal, mais aussi de façon générale, réside au sein de deux éléments : la confiance et la satisfaction du public. (notebaert, pulh, mencarelli et al. 2011, p. 147-164) La facilité d’utilisation du site (Pallud & eli-dit-cosaque 2011, p. 263) ainsi que la justesse des informations diffusées par ce médium sont des aspects inévitablement primordiaux à la bonne perception du public. Pour ce qui est de sa satisfaction, de nombreux facteurs peuvent en être garants, incluant des informations complètes et diverses, un aspect attirant et divertissant ainsi qu’une intention perceptible envers le public, mais surtout le bouche-à-oreille positif. Si la confiance est acquise, il y a de très bonnes chances que le contenu numérique soit perçu comme étant authentique. Une fois cela pris en compte, le côté numérique d’une institution demeure en premier lieu un agent de motivation et d’engouement pour se déplacer afin de profiter de l’expérience réelle de l’objet et ainsi constater pour soi-même sa valeur d’authenticité. (léonard brouillet 2012, p. 33-34)
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24Et si l’on cherchait à comprendre l’authenticité du côté de l’individu pour un instant? Selon Jean-Marc Piotte dans Les Neuf clés de la modernité, une personne est authentique lorsqu’elle n’est pas la « proie ni de désirs fluctuants, ni des circonstances changeantes » d’une vie. Toutefois, elle a besoin que les autres la reconnaissent comme étant originale pour construire son identité et a besoin de s’autodéterminer dans ses valeurs à l’aide de débats d’idées et de pratiques. (piotte 2007, p. 220-223) Si nous revenons aux musealias, ce principe tient toujours dans le sens où l’objet doit être constant dans ses caractéristiques scientifiques (provenance, date, etc.), mais ne sera jamais aussi authentique que lorsqu’il sera perçu comme tel par les publics. « [Si] dans son apparence et sa texture, l’objet est semblable à l’état d’origine, sa substance n’en a pas moins été modifiée, parfois radicalement, par les interventions [de restauration, dont la] mission consiste à restituer une “image fidèle” de l’objet primitif. À certains égards, toute pièce traitée dans un laboratoire devient donc un “faux”. » (kaeser 2011, p. 22) D’ailleurs, même lorsque l’objet n’est visiblement pas authentique, l’expérience de visite peut incarner cette impression recherchée par les publics. Dans une expérience touristique, par exemple, le touriste est conscient que les rites anciens qu’il voit grâce à la mise en scène peuvent ne plus exister aujourd’hui – ou pas de la même façon. Toutefois il est prêt à y croire et à associer la destination qu’il découvre avec son expérience « traditionnelle » de l’endroit. Cette expérience sera authentique à ses yeux. Cependant, si un détail extirpe le touriste de sa perception du rite, comme un déguisement traditionnel ne recouvrant pas totalement un élément moderne – des souliers de course par exemple – il reniera cette expérience, devenue inauthentique. (brown 1999, p. 44-45)
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26Un autre exemple, cette fois un lieu, est la réplique de la grotte Chauvet-Pont d’Arc, dans la région française d’Ardèche. Sans compromettre la vraie grotte ornée paléolithique, sa réplique permet une expérience authentique malgré l’inévitabilité de sa fausseté. Même en ayant la certitude d’être dans une reconstitution, la majorité des visiteurs ont cru à l’expérience. En effet, par le décor reconstitué au détail près, l’ambiance apportée (casques audio, humidité) et le récit des guides, 80% des visiteurs lors d’une expérience se sont sentis dans la vraie grotte paléolithique. (duval 2020, p. 250-253) Ceux qui ont eu cette impression périodiquement ou qui ne l’ont pas eu du tout se distinguent presque tous par leur expérience de vie : ils avaient déjà fait des excursions dans de vraies grottes, bien qu’elles n’aient pas été aussi anciennes. En contexte muséal, l’effet d’authenticité et l’authenticité réelle auront presque le même résultat, car l’expérience du récit conté par l’exposition impacte les publics autant que la conscience du vrai et du faux qu’elle recèle. La notion d’authenticité est donc intimement liée à l’expérience personnelle de la personne et demeure très relative, malgré les bonnes intentions existantes de part et d’autre.
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28Dans tous les cas, le produit culturel vendu est le résultat d’un travail de reconnaissance de valeurs personnelles ainsi que d’un travail de recherche objective. Nous pouvons cependant nous demander : quelle recherche objective? Doit-on croire sans réfléchir ce que les institutions muséales et leurs concepteurs d’expositions diffusent comme contenus? Là n’est pas la question. L’objet, authentique ou non, sert toujours à communiquer un discours institutionnel et les muséologues ne peuvent être plus qu’humains. Selon Noémie Drouguet, le « nombre ou la qualité des vraies choses présentées dans une reconstitution [par exemple] n'en garantit ni l'intérêt, ni la pertinence, ni la cohérence. Les vraies choses ne disent pas forcément des choses vraies et une exposition est toujours une proposition. » (drouguet 2011, p. 13) Dans certains cas, ce qui assure la perception d’un récit authentique, c’est le témoignage, dans toutes ses nuances.
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2. La montée du mentefact et de l’immatériel
30Comme l’a écrit Ariane Blanchet-Robitaille dans Le mentefact au musée : la mémoire mise en scène : « […] l’objet matériel, à lui seul, ne suffit plus à la représentation complexe de la société et de son histoire. » (blanchet-robitaille 2012, p. 57) La valorisation identitaire des différents groupes socioéconomiques et culturels est devenue évidente dans la mise en exposition et la nouvelle muséologie s’est empressée de mettre en lumière de nouvelles approches, auxquelles les musées de société, musées communautaires et écomusées se sont rapidement ajustés. Conséquemment, l’immatériel, sous toutes ses formes, se trouve depuis quelques années à intégrer de plus en plus d’institutions, mais aussi des instances gouvernementales. Certaines villes notamment, dont Montréal, « intègrent le PCI [patrimoine culturel immatériel] à leurs politiques culturelles pour améliorer l’interprétation de leurs sites historiques et développer le sentiment d’appartenance au lieu et au groupe ». (Turgeon 2017, p. 305) Dans le même esprit, l’UNESCO adopte en 2003 la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, qui se lit comme suit :
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« On entend par “patrimoine culturel immatériel” les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés - que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. Aux fins de la présente Convention, seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme, ainsi qu’à l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d’un développement durable. » (Unesco 2003)
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33Cette convention n’est toutefois pas ratifiée par tous les pays, notamment le Canada. Cela n’a pas empêché des provinces d’élaborer elles-mêmes un plan pour la conservation de ce « nouveau » patrimoine. Au Québec, la Loi sur le patrimoine culturel de 2011 « vise [ainsi] à favoriser la connaissance, la protection, la mise en valeur et la transmission du patrimoine culturel dans l'intérêt public ». Néanmoins, selon la convention, le patrimoine culturel immatériel demeure vivant, puisqu’il « n’est pas figé » (ministère de la culture et des communications du québec 2015), donc ne peut logiquement être conservé en tant que tel et diffusé de façon illimitée. Les institutions muséales se retrouvent à cet égard dans une certaine impasse. Les institutions qui tentent de conserver ce patrimoine se heurtent à un autre défi : la désuétude des technologies. Ce phénomène courant force le milieu muséal (et la société générale) à convertir et reconvertir le patrimoine immatériel sur divers supports afin d’éviter de les perdre.
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35Bien qu’il existe plusieurs définitions pour identifier le patrimoine culturel immatériel, elles ne le placent pas nécessairement à l’intérieur du musée, ce qui constitue une embûche pour ceux qui veulent confronter les questions de sa conservation et de sa diffusion. Il est donc entendu selon Blanchet-Robitaille que c’est l’objet muséalisé qui fait alors office de « mentefact ». « Le support-témoin doit ainsi être considéré comme une preuve matérielle de ce qui a existé, mais qui a disparu. » (jadé dans Blanchet-robitaille 2012, p. 59) Cette position n’est pas forcément unanime – le mentefact pourrait également être considéré complet sans forcément se traduire par un objet – et les divergences des interprétations des chercheurs peuvent être abordées dans un autre cadre de recherche.
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37La dématérialisation du musée (Blanchet-robitaille 2012, p. 57) rend d’ailleurs l’inclusion du témoignage possible, qu’il soit sous forme de parole enregistrée ou écrite, et cette parole non scientifique bâtit le pont entre l’institution et les publics, qui peuvent désormais s’identifier au témoin, ou du moins faire preuve d’émotion envers son propos. D’ailleurs, le patrimoine immatériel sensible consiste, de plus, à exposer l’expérience vécue de victimes au lieu d’exposer ce qui a trait à la cause de la douleur ou du drame. Pour étayer ceci, Philip Toner, dans Museums, Ethics, and Truth, exemplifie cette méthode avec le cas du Holocaust Memorial Museum de Washington D.C. (nous pourrions émettre le même constat du Musée Holocauste Montréal), qui n’expose pas ce qui a trait au régime nazi, mais plutôt des témoignages de survivants pour ainsi honorer les victimes. (toner 2016, p. 164)
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39Il existe une typologie du témoignage proposée par Gaynor Kavanagh (kavanagh 2000, p. 68), muséologue notamment spécialisée sur la mémoire. Celle-ci dénombre cinq catégories de témoignages oraux : « les témoignages liés aux compétences, aux savoir-faire, aux pratiques et à l’usage des objets ; les témoignages relevant des pratiques langagières ; les témoignages liés à la mémoire épisodique, c’est-à-dire la mémoire relative à un ou plusieurs épisodes précis de la vie d’un individu ; les témoignages reconstituant le récit de vie d’un individu ; les témoignages liés à l’identité et aux croyances. » Tous ces témoignages permettent aux publics de voir et d’entendre des individus associés aux objets exposés. Par ailleurs, ils rendent une exposition inanimée plus vivante, même si ce n’est qu’à travers un écran ou un enregistrement audio. Ils peuvent aussi être autosuffisants en étant au cœur de l’exposition comme nous le constatons de plus en plus, notamment au Centre des mémoires montréalaises.
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41Les témoignages immatériels d’individus sont souvent considérés comme racontant la vérité. Il est aisé, surtout lorsque plusieurs témoins partagent un point de vue commun, de juger réelle la version racontée. Toutefois, un témoignage demeure vulnérable au doute de son autorité sur un sujet donné, et ne raconte jamais, malgré les meilleures intentions des témoins, toutes les possibles vérités. Néanmoins, puisque l’institution se veut un espace de multiples interprétations, il est possible avec la bonne scénographie de faire sentir l’impression d’une vérité ou « authenticité complète », qui englobe plus d’une vision suivant un fil conducteur (Table 1). Il demeure tout de même le risque (légitime) de ne pas satisfaire tous les visiteurs ; cela dit, plus le thème est sensible ou épineux, plus l’insatisfaction sera naturellement importante. Dans le cas où une institution voudrait éviter ce scénario, il est possible d’user très peu ou pas du tout d’interprétation, ce que certaines font dans une démarche de réflexion internalisée. Les publics ont dans ce cas libre-cours à leurs propres réflexions. (kavanagh 2000, p. 173)
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43Le mentefact est une construction mémorielle subjective, c’est-à-dire que d’un côté, dans le cas du témoignage d’un individu, les propos du témoin demeurent subjectifs puisqu’ils racontent son expérience ou ses connaissances acquises et de l’autre côté, l’entrevue en soi suggère une interprétation. (Blanchet-robitaille 2012, p. 61) Ce n’est donc pas par le témoignage en tant que tel qu’une « validité » scientifique peut être trouvée au sein d’une exposition muséale et ce, même si le témoin a une expertise, mais plutôt par sa mise en perspective provoquée par l’ajout de plus d’une autre voix au discours. (Blanchet-robitaille 2012, p. 62-63) Si des points de vue semblables génèrent l’instauration de l’effet d’authenticité, ce sont des avis nuancés ou opposés qui permettent l’avancement de la réflexion. Même si un témoignage n’est finalement pas authentique au sens commun du terme, le travail effectué pour incorporer divers points de vue au discours d’une exposition pourrait suffire à qualifier celle-ci de vecteur d’« authenticité complète ». Cela conduit le visiteur à constater un équilibre entre les subjectivités de chacune de ces voix et de construire, à son tour, sa propre interprétation. Comme le précise Philip Toner :
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« As testimony machines, museums are agents of [a kind of] “memorial pragmatism” and for this reason, in one way or another, they affect all of our lives. […] It is through memory that history affects our actions and experiences in the present. Memory is also, notoriously, prone to error. Memorial errors can be trivial or catastrophic and so, as memory machines, it is necessary that museums come to terms with memory as a process of distortion: it is their task to articulate this memorial process of distortion to individuals, visitors and the public in general, who have a personal rather than a professional interest in history. » (toner, op. cit., p. 163)
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46Le mentefact, dans le cas de sa collecte, sa documentation et son acquisition, doit finalement être mis en exposition dans l’optique d’aller plus loin que d’offrir un regard vers le passé. Il doit aider le témoignage à toucher les publics en créant un lien avec des enjeux actuels (Blanchet-robitaille 2012, p. 69) sans quoi la connectivité voulue entre l’institution et les publics sera nulle et la raison du musée perdra son sens.
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Conclusion
48Nous avons précédemment vu que l’authenticité muséale peut être classée sous différents critères, comme ceux regroupés par Stephen Schwan et Silke Dutz. De plus, nous avons proposé les concepts de l’ « effet d’authenticité » et d’« authenticité complète » pour préciser leur impact sur les visiteurs. Nous pouvons trouver cet effet d’authenticité notamment dans les expositions immersives, les reconstitutions et celles comportant un ou plusieurs témoignages du même avis, ce qui engendre une impression de vérité. La notion d’authenticité dite « complète » que nous avons introduite, quant à elle, peut se produire où plus d’un point de vue sont exposés par l’entremise du discours d’exposition ou de témoignages. Néanmoins, il faut se rappeler que le concept d’authenticité, comme nous l’avons vu, est loin d’être linéaire compte tenu du caractère humain des visiteurs ainsi que des concepteurs d’expositions, qui l’influencent grandement. Le tableau qui suit présente une proposition des types d’authenticité selon les critères de chercheurs et types d’institutions les plus probables de les produire chez les publics. Celui-ci demeure non-exhaustif et ne limite en rien les institutions à ces seules catégories.
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Table 1 – Types d’authenticité selon les institutions muséales.
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51Il ne fait aucun doute que les nuances au sujet de l’authentique et du vrai sont encore à développer, particulièrement dans le milieu muséal. Nous pouvons ainsi nous demander, si l’authenticité est déterminée par les critères des publics en plus des travaux des muséologues, comment se traduira-t-elle pour la pérennité? Les perceptions des publics changeront-elles assez avec le temps pour provoquer une réécriture des critères et ainsi, des priorités d’exposition ?
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