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- Hors-série n° 2
- Muséologie sociale et genre1
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Penser la muséologie sociale à partir d’une perspective de genre est le défi que cherche à relever ce texte. Face au constat de la persistance des inégalités entre hommes et femmes en de nombreux contextes, est discutée la question suivante : comment la muséologie sociale peut-elle contribuer à atteindre une égalité de fait entre les femmes et les hommes ? Sur la base de la conception d’une muséologie sociale intégrant une perspective de genre, le texte s’emploie à étendre le champ d’étude des musées et des catégories patrimoniales à des segments considérés comme marginaux, contribuant à l’élargissement des possibilités de recherche sur des questions contemporaines socialement engagées.
Abstract
Thinking of Social Museology from a perspective of gender is the challenge of this text. Observing the persistence of inequalities between men and women in different contexts, it discusses the following question: how can social museology contribute to the attainment of a real equality between women and men? Starting from the concept of a social museology that works in a perspective of gender, the text enables the widening of the museal fi eld of study and heritage categories, by including approaches considered marginal and contributes with the amplification of research possibilities on contemporary, socially committed themes.
Table of content
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2Penser la muséologie sociale à partir d’une perspective de genre est le défi que nous nous proposons de relever dans ce texte. Lorsque l’on parle de genre, on part fréquemment d’une idée fausse : on assimile le « genre » aux « femmes » ou, en d’autres termes, on assimile les études de genre aux études féminines.
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4En réalité, le genre fait référence autant à la construction sociale de la masculinité qu’à celle de la féminité, et englobe un système complexe de relations qui va bien au-delà de la relation homme/femme, incluant des domaines tels que les identités et les cultures gays, transgenres, transsexuelles, bisexuelles, androgynes, et celles dites du « troisième sexe »2. Cela signifie que les études de genre abordent toutes les modalités sociales et culturelles d’être, d’être humain, indépendamment du sexe biologique ou de l’orientation sexuelle.
5Il est cependant vrai que la plupart des recherches menées dans le cadre des études de genre se réfèrent aux femmes et non aux hommes, et ont même donné naissance à un domaine de recherche spécifique appelé Études féminines, Estudos de Mulheres, ou Women Studies.
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7Pour des raisons d’intérêt personnel, nous concentrerons également notre attention sur les études (muséologiques) portant sur les femmes. Constatant que les inégalités entre hommes et femmes subsistent dans le monde du travail ; que les statistiques montrent une augmentation de la violence domestique et de la traite internationale des femmes ; que les inégalités en matière d’éducation et d’accès à l’information persistent ; qu’un déficit de capacité de décision subsiste en raison des difficultés d’accès des femmes aux fonctions publiques et à l’exercice du pouvoir politique ; la question suivante s’est imposée : comment la muséologie sociale peut-elle contribuer à atteindre une égalité de fait entre les femmes et les hommes ?
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9J’aime affirmer que lorsque je pense et parle de muséologie, je pense et parle de muséologie sociale ou de sociomuséologie. Pour moi, cette connexion est déjà automatique, viscérale. Et quand je pense et parle de musées, je pense à des institutions qui assument un engagement social et développent une action effective dans la société.
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11L’affirmation de la muséologie sociale (insérée dans le mouvement de la nouvelle muséologie) a permis d’introduire dans le champ muséologique des problématiques telles que l’inclusion, l’accessibilité, la multiculturalité, la mondialisation, les mouvements sociaux, les féminismes, l’égalité et le genre. Se concentrer exclusivement sur l’étude des collections matérielles des musées ne suffit plus au muséologue, et à la muséologue sociale.
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13La muséologie sociale se définit comme une branche de la muséologie qui considère le musée comme une institution dynamique engagée dans la société. Des expressions telles que la fonction sociale des musées, la responsabilité sociale, l’accessibilité et l’égalité représentent les lignes de force de cette muséologie. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’intégration d’une perspective de genre dans la muséologie sociale.
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15Intégrer une perspective de genre dans une discipline donnée permet « de comprendre des aspects fondamentaux relatifs à la construction culturelle de l’identité personnelle, ainsi que de comprendre comment sont générées et reproduites certaines hiérarchies, relations de domination et inégalités sociales » (Casares 2008, p. 10). Car les relations de genre sont avant tout des relations de pouvoir. Et la relation de pouvoir la plus fondamentale dans l’histoire de l’humanité est celle qui existe entre les hommes et les femmes. Cette relation de pouvoir est rendue visible dans les musées lorsque nous commençons à utiliser une perspective de genre comme méthodologie d’analyse.
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17En plaidant pour une muséologie sociale intégrant une perspective de genre, que nous considérons comme un outil d’analyse permettant d’éclairer les hiérarchies, les rapports de domination et les inégalités sociales entre hommes et femmes, la muséologie sociale peut promouvoir la valorisation de la participation et de la contribution des femmes à la société, mettre en évidence la production culturelle de celles-ci, analyser les biens patrimoniaux existants dans les musées à la lumière des rapports de genre, ou autrement dit, inaugurer un nouvel objet d’étude dans le champ muséologique.
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Le genre : introduction à un concept
19Attardons-nous un peu sur le concept de genre. Bien que relativement récent dans les sciences humaines et sociales, ce concept a déjà une histoire qui découle des analyses théoriques, des interprétations et des utilisations successives dont il a fait l’objet dans les différentes sciences.
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21Une première approche des études de genre considère que le genre est une construction sociale. Développée au sein des mouvements féministes de la deuxième vague3, cette approche vise à dépasser les visions essentialistes de la différence des sexes, qui consistent à attribuer des caractéristiques immuables aux femmes et aux hommes en fonction de leurs caractéristiques biologiques. Cette naturalisation de la condition d’être femme ou d’être homme a pour conséquence la permanence de l’inégalité entre les hommes et les femmes, fondée sur le rôle joué par ces dernières dans la procréation et la reproduction de l’espèce (Bereni 2008). Si les différences revêtent un caractère naturel, elles seront de fait indépassables.
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23Dans les années 1980, le terme anglo-saxon gender a été adopté par les sciences sociales pour désigner la construction sociale de la masculinité et de la féminité. L’idée fondamentale était que la position d’infériorité des femmes dans la société était due à des raisons sociales et culturelles, et non à une nature humaine qui déterminerait ces différences. Par là-même, l’égalité devenait un but atteignable, et l’égalité des sexes un objectif politique comportant des implications sociales.
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25Les premiers essais théoriques sur le genre étaient ancrés dans l’opposition cartésienne entre nature et culture, associant le sexe à la première (la nature) et le genre à la seconde (la culture).
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27Selon une deuxième approche des études de genre, ce dernier est compris dans un contexte relationnel. En considérant que les caractéristiques associées à chaque sexe sont socialement construites dans une relation d’opposition entre hommes et femmes, on ne peut étudier ce qui dépend des unes (les femmes et le féminin) sans articuler cette analyse avec ce qui dépend des autres (les hommes et le masculin). Le genre, dans cette optique, inclut dès lors les études sur les hommes et la construction de la masculinité (Bereni 2008).
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29À mesure que les systèmes de genre sont apparus comme une dimension de systèmes de pensée et d’organisation sociale plus larges, l’objet d’étude a cessé d’être la femme considérée dans sa relation à l’homme, mais le genre en tant que système symbolique d’un contexte culturel donné. Les études de genre se sont affranchies des référents biologiques en partant du principe que toutes les cultures ne représentent pas la différence des sexes de la même manière, et ne lui accordent pas la même importance sociale (Stolcke 2004). L’introduction de composantes autres que le sexe dans la constitution des relations et des identités de genre, inscrivant celui-ci dans le tissu des relations sociales, est redevable aux travaux des anthropologues, qui ont déplacé progressivement l’étude des femmes et des hommes vers l’étude du genre compris comme système symbolique, intégré dans des contextes culturels particuliers.
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31En tant que composante additionnelle des relations sociales, le système symbolique du genre a permis l’émergence de domaines d’étude très spécifiques, tels que le féminisme noir (black feminism). Une femme n’est pas seulement une femme : elle est une femme dans un espace et un temps déterminés, au sein d’une certaine classe, d’une certaine race/ethnie4 et, principalement, elle est une femme dans sa relation avec les hommes.
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33La troisième approche des études de genre insère cette notion dans une relation de pouvoir. Elle consiste à comprendre les relations sociales entre les sexes comme une relation de pouvoir, cette relation étant hiérarchisée et marquée par la domination masculine. La compréhension de la relation entre le genre et le pouvoir n’est perceptible que lorsque sont clarifiés le rôle des femmes dans la société à travers l’histoire et la manière dont les hommes ont contrôlé les rôles sociaux de celles-ci (les rôles de genre), à travers la division sexuelle du travail et l’association étroite des femmes à la maternité.
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35La relation entre genre et pouvoir a toujours été présente, dès les premières phases de la conceptualisation du genre. Lorsque les mouvements féministes l’ont adopté, ils l’ont utilisé pour dénoncer la domination masculine et la répartition inégale du pouvoir. Pour certains auteurs (Jorge 1996 ; Almeida 2000), cette inégalité est due à la division sexuelle du travail qui attribue des rôles hiérarchisés à chacun des sexes, constituant l’une des bases de l’oppression et de la subordination sociale des femmes.
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37Miguel Vale de Almeida (2000), en se référant au genre comme une relation de pouvoir, avance que :
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« [...] les significations culturelles de certaines constructions sociales du genre sont, en premier lieu, antérieures aux individus et constituent un cadre organisateur de la reproduction humaine et sociale ; en second lieu, ils participent des disputes pour le pouvoir, en fonction des différentes structurations de celui-ci au cours de l’histoire, et à une économie politique du sexe (aujourd’hui une "économie-monde" du sexe et du genre) ; enfin, ils sont manipulables par les individus dans la constitution dynamique et inventive de leurs identités. » (Almeida 2000, p. 245, c’est nous qui mettons en italique).
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40Il ressort clairement de cet extrait que le genre est une construction sociale et une réalité historique aux caractéristiques complexes. D’une part, notre conception de la féminité et de la masculinité, ainsi que les normes régissant les relations sociales entre les hommes et les femmes, ne sont pas conscientes et préexistent aux individus. Chacun et chacune d’entre nous assimile et incorpore ces conceptions, normes, valeurs et attitudes, dès sa naissance et au cours du processus de socialisation, tant à l’école que sous l’influence des médias, en agissant conformément aux attentes de la société. D’autre part, la construction sociale de la féminité et de la masculinité est liée à la lutte pour le pouvoir et le maintien de l’hégémonie sociale, culturelle et politique, démontrant clairement un avantage historique accordé au sexe masculin.
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42On note également que les relations de genre, intégrées dans le système de valeurs et de croyances culturelles, sont manipulables par les individus. Autrement dit, elles ne sont pas étanches et immuables, mais elles ménagent une marge de manœuvre pour le changement, comme l’illustrent les mouvements féministes, les mouvements gays et transsexuels, androgynes, et plus récemment les politiques pour l’égalité de genre.
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44La quatrième approche des études de genre considère celui-ci dans une dimension d’intersectionnalité avec d’autres catégories de relations de pouvoir, telles que la classe, la race/ethnie, et l’âge.
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46Selon cette approche, les études de genre mettent en évidence la relation multicatégorielle et d’interdépendance entre le genre et les autres catégories sociales qui définissent la relation sociale entre les êtres humains. En d’autres termes, on ne peut analyser la question des femmes uniquement comme une catégorie aux caractéristiques universelles. Cette analyse doit être réalisée en fonction des spécificités des relations avec la race/ethnie, la classe sociale et l’âge, dans une interaction entre les catégories sociales, le territoire et le temps.
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48C’est dans le contexte de cette interrelation avec d’autres catégories socioculturelles qu’Aurelia Casares (2008, p. 68) avance l’une des définitions les plus complètes et inclusives du genre : « une catégorie analytique abstraite applicable à la construction de la masculinité, de la féminité, de l’androgynie ou d’autres catégories socio-biologiques définies dans chaque société, qui permet d’étudier les rôles, les stéréotypes, la stratification et les relations de pouvoir établies »5.
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50En définissant le genre comme une catégorie analytique abstraite, Casares a ouvert la voie à son utilisation dans l’analyse de la constitution des identités de genre masculines, féminines, et des autres identités de genre. Cela a renforcé la possibilité d’intersection avec les catégories qui génèrent de l’inégalité entre les êtres humains, telles que la race/ethnie, la classe et l’âge. L’auteure admet qu’il s’agit d’une catégorie appliquée à l’étude concrète des rôles, des stéréotypes et de la stratification de genre, associés à l’exercice du pouvoir.
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52L’approche du genre du point de vue de l’intersectionnalité avec d’autres catégories socioculturelles est, à notre avis, celle qui induit un plus grand enrichissement des investigations menées dans les sciences humaines et sociales, en permettant de mettre en relation les catégories déjà assumées dans le corpus théorique avec la catégorie d’analyse du genre.
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54Dans le cadre de ce que nous pouvons considérer comme une cinquième approche des études de genre, il est question d’une crise du concept caractérisée par une problématisation du genre remettant en cause son opérationnalité dans l’analyse sociale (Stolcke 2000 ; Tubert 2003 ; Trillo-Figueroa 2009).
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56Depuis que le genre est utilisé comme catégorie d’analyse, des voix critiques se sont élevées pour en souligner les limites. Son usage abusif, sa banalisation, le risque de lui faire perdre son sens ont été mis en évidence (Thébaud 1998). Introduit comme substantif, isolément ou associé à d’autres – comme lorsque l’on parle des rapports de genre, de systèmes de genre, d’identités de genre –, il prend la forme d’un adjectif et d’un verbe (engendering en anglais, engenderizar en portugais) et est souvent utilisé comme synonyme de sexe ou de femmes. Ou pour le dire autrement, il n’existe aucune signification précise et consensuelle de ce concept. Ce manque d’unanimité autour du genre est également critiqué, envisagé par certains comme une « notion », par d’autres comme un « concept », et par d’autres encore comme une « catégorie analytique » inutile et source d’ambiguïtés.
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58Malgré les critiques et les limites signalées, nous considérons le genre comme une catégorie d’analyse capable d’élargir l’objet d’étude de la muséologie sociale. Le corpus de publications scientifiques existantes sur le genre dans divers domaines (anthropologie, psychologie, archéologie, sociologie, histoire, art, littérature, études féministes) est révélateur de la validité de cette catégorie analytique. Aurelia Casares (2008, p. 17) affirme que l’adoption de la catégorie de genre provoque un certain « vertige intellectuel » face aux immenses répercussions qu’elle apporte à la science dans laquelle nous nous positionnons. Nous assumons le risque de ce vertige, et procédons à l’analyse de l’impact de l’intégration de la catégorie de genre dans la muséologie sociale.
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Genre et muséologie sociale
60La muséologie sociale, en adoptant une méthodologie interdisciplinaire, est en conséquence influencée par les études sur le genre réalisées au sein d’autres sciences : histoire, anthropologie, histoire de l’art, archéologie, sociologie, psychologie, communication, etc. Ce n’est que récemment que ces sciences ont commencé à travailler en intégrant une perspective de genre et à utiliser cette catégorie d’analyse, mais toutes s’accordent à dire qu’en cela elles ont assisté à une révolution dans leur domaine de connaissance.
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62Il est donc nécessaire que la muséologie sociale s’autonomise et adopte elle-même le genre comme catégorie analytique, en le mettant en relation avec le patrimoine, la mémoire, l’identité, le territoire, en l‘entrecroisant avec d’autres catégories génératrices d’inégalités (la race/ethnie, la classe, l’âge), avec les systèmes de pouvoir, les systèmes symboliques, etc.
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64Ce qui distingue l’approche de la muséologie sociale ou de la sociomuséologie est, selon Mário Moutinho (2007, p. 1), la « reconnaissance de la muséologie comme une ressource pour le développement durable de l’humanité, basé sur l’égalité des chances et l’inclusion sociale et économique ».
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66La muséologie sociale suppose d’intervenir sur le patrimoine culturel (matériel et immatériel) et le patrimoine naturel, en reconnaissant la superposition et la coexistence de cultures et d’identités multiples, de territoires sociaux et spatiaux divers. Toujours selon Mário Moutinho :
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« Ce qui caractérise la sociomuséologie n’est pas en propre la nature de ses hypothèses et de ses objectifs, comme c’est le cas en d’autres domaines de la connaissance, mais l’interdisciplinarité par laquelle elle fait appel à des domaines de la connaissance parfaitement consolidés et les met en relation avec la muséologie proprement dite. » (Moutinho 2007, p. 1).
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69C’est cette interdisciplinarité caractéristique de la muséologie sociale qui nous permet de nous approprier le concept de genre, développé à l’origine par la psychologie, et de l’intégrer au champ muséologique. Mais qu‘advient de la muséologie dès lors que celle-ci adopte une perspective de genre ?
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71Nous avons choisi comme matrice théorique, sur laquelle nous avons construit notre proposition sur la relation entre la muséologie et le genre, la pensée de deux muséologues :
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Waldisa Rússio (1981, p. 58 ; 1990) et sa définition de la muséologie « comme l’étude de la relation profonde entre l’homme/le sujet, et les
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Mario Chagas (1994) et le concept de « ternaire matriciel » de la muséologie, une unité de base, une matrice pour la pensée et la pratique muséale, délimitée par les sommets que constituent les pôles de l’homme/le sujet, de l’objet/le bien culturel et de l’espace/la mise en scène, qui, selon cet auteur, définissent le champ d’étude de la muséologie.
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73Suivant notre intention d’évaluer l’impact de l’adoption de la catégorie analytique de genre en muséologie sociale, nous avons choisi une méthodologie qui nous conduit à analyser successivement l’impact de cette catégorie d’analyse sur chacun des sommets de cette matrice. Il s’agit ici essentiellement d’un questionnement préliminaire, d’une manière de soulever des doutes et des préoccupations, d’un exercice de raisonnement personnel, plutôt que la formulation de réponses, qui n’émergeront qu’avec le temps et avec le développement abouti d’une muséologie sociale ayant intégré une perspective de genre.
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75Commençons par appliquer la perspective du genre au pôle du sujet6. L’une des conséquences immédiates est l’inclusion des femmes. La muséologie sociale cesse d’être l’étude de la relation du sujet au patrimoine, pour devenir l’étude de la relation des hommes et des femmes au patrimoine. Ce faisant, nous avons cessé d’utiliser une définition de personne neutre, telle que le « sujet », l’« individu », l’« Homme », et avons commencé à inscrire des caractéristiques de genre dans cette définition. On pourrait argumenter que les substantifs « Homme, individu, sujet » incluent simultanément les hommes et les femmes, et qu’il n’est par conséquent pas nécessaire de le préciser. Cela dit, comme le souligne Isabel Barreno (1985), « Homme » désigne simultanément l’être humain et l’être humain de sexe masculin, tandis que « Femme » désigne exclusivement l’être humain de sexe féminin7. Celle-ci poursuit : « [...] cette asymétrie même – un mot à deux sens, un autre qui n’en compte qu’un seul – montre qu’il ne s’agit pas d’un concept égalitaire [...]. Tout concorde à rendre évident que l’une des premières catégories de pouvoir est le droit à la dénomination ». (Barreno 1985, p. 84).
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77En appliquant au « sujet » une perspective de genre, nous garantissons ce droit à la dénomination, et qu’aucune construction socioculturelle de l’être humain ne soit exclue de l’analyse muséologique. Non pas dans le sens de considérer les femmes comme un objet d’étude de la muséologie, mais dans une perspective de genre intégratrice, valorisant à parts égales les différences, les contributions, les réalités et les symbolismes des hommes et des femmes dans chaque société, à travers le temps et l’espace. Par là-même, nous assistons à une transformation et un approfondissement de la connaissance, et non à un simple élargissement de l’objet d’étude de la muséologie sociale.
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79L’introduction d’une perspective de genre dans le pôle « sujet » de la définition de la muséologie conduit à une multiplication des approches dans l’étude de la relation entre cet élément matriciel et les deux autres : les objets/le patrimoine, et l’espace/le musée. La muséologie sociale doit tenir compte du fait que les relations des hommes et des femmes avec les biens culturels et l’espace/le musée ne sont pas égales, et que ces relations diffèrent encore plus lorsque nous les croisons avec d’autres catégories qui favorisent l’inégalité : l’ethnie, la classe, l’âge, la nationalité, les limitations physiques ou mentales, etc.
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81Cette distinction dans la relation des hommes et des femmes avec les biens patrimoniaux et avec l’espace/le musée découle en grande partie des rôles sociaux attribués aux femmes et aux hommes, ces derniers étant associés aux moyens de production et au contrôle de la production, tandis que les premières sont associées à l’espace domestique et aux activités de soins. De même, l’expérience traditionnelle de l’espace public dévolu aux hommes et de l’espace privé destiné aux femmes entraîne une relation distincte avec les biens patrimoniaux. C’est en ce sens que nous rejoignons les propos de Per Uno Agren (2001, p. 22) : « [...] chaque individu abrite son propre musée ; chaque personne est formée, remplie et constamment influencée par des contre-courants d’impulsions tout au long de sa vie et, par conséquent, est représentative d’un lieu, d’une époque, d’une génération ».
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83Introduire une perspective de genre dans l’étude du sujet, en tant que pôle de la matrice ternaire de la muséologie, implique une attention particulière au langage utilisé lorsqu’on se réfère aux personnes participant aux actions muséologiques, ou lorsqu’elles sont représentées par celles-ci. Nous savons que lorsque nous utilisons un langage « neutre » dans un processus de communication, nous faisons de fait référence au modèle masculin dominant. Foucault (2001), étudiant le rôle du discours dans la construction de la réalité, suggère qu’une partie des différenciations existantes dans notre compréhension du rôle des hommes et des femmes résulte du langage utilisé pour décrire cette réalité. S’il est vrai que, tout au long de l’existence de l’humanité, la participation des hommes et des femmes à la construction de la société est paritaire, c’est-à-dire que les uns et les autres contribuent de manière égale à cette construction, reste que le langage utilisé pour décrire et rendre compte de cette participation est inégalitaire, favorisant et valorisant de manière prédominante la participation et la contribution masculines.
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85Par ailleurs, les catégories « femme » et « homme » évoluent dans le temps et dans l’espace, et font partie d’une réalité historique déterminée. À chaque époque et dans chaque espace, elles coexistent entre elles et s‘entremêlent à d’autres catégories socioculturelles, reflétant une multiplicité de conceptions de ce qu’est être un homme et être une femme. Cette multiplicité doit trouver sa place dans l’analyse sociomuséologique, étant donné qu’elle fait de l’être social, de la personne, sa principale préoccupation.
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87Lorsque nous introduisons une perspective de genre dans l’élément « sujet » de la matrice ternaire de la muséologie, se posent les questions suivantes, auxquelles nous n’avons pas de réponse et qui servent d’indicateurs pour des pistes de recherche :
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Existe-t-il une culture féminine préservée dans les musées ?
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Faut-il constituer des collections sur les femmes, ou compléter celles qui existent par des témoignages de la participation des femmes à la société ?
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Devrions-nous créer des musées exclusivement consacrés aux femmes ?
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Quel est le rôle des femmes dans la préservation du patrimoine ?
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Comment documenter la présence des femmes dans la société, leur relation avec les biens culturels, ou encore en tant que productrices de mémoires ?
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Les processus actuels de communication des musées sont-ils inclusifs pour les femmes ?
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89Si l’on considère à présent le pôle des « objets/biens culturels » de la matrice ternaire définitionnelle de la muséologie, l’introduction du genre comme catégorie d’analyse conduit à une expansion significative des catégories patrimoniales représentées dans les musées, et à la nécessité de réinterpréter les patrimoines déjà constitués et muséalisés.
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91Il existe des domaines patrimoniaux, plus précisément ceux liés au pouvoir (politique, militaire, administratif, économique) qui privilégient le point de vue masculin. La dimension de genre conduit à repenser le processus de constitution des collections patrimoniales et à inclure le point de vue féminin dans l‘analyse de celles-ci. Si la muséologie étudie la relation entre l‘être humain et le patrimoine dans un espace donné, cette étude a été caractérisée par un ton de neutralité, ou autrement dit, sans que l’étude de cette relation avec le patrimoine ne prenne en compte les spécificités des êtres humains (hommes, femmes et autres catégories socioculturellement construites), ni les différents impacts des patrimoines sur les uns, les unes et les autres. Lorsque par exemple le rapport féminin aux patrimoines est abordé, les études se restreignent à des segments marginaux des domaines patrimoniaux liés à la domesticité, aux relations de parenté et à la maternité, dans des musées du costume ou des expositions ethnographiques reconstituant des espaces domestiques.
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93L’histoire des musées en termes de sélection du patrimoine comporte une grande part d’exclusion : des pauvres, de certaines races/ethnies, religions, et des femmes. Il est nécessaire de décider quels biens patrimoniaux nous allons collecter dans le présent pour sauvegarder les mémoires et les identités exclues, y compris celles des femmes.
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95Il sera tout aussi important d’interroger les collections déjà constituées dans une perspective de genre et selon un point de vue féminin.
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97Nous pouvons énumérer quelques questionnements qui peuvent surgir lorsque nous introduisons une perspective de genre sur le pôle des objets/biens culturels de la matrice ternaire de la muséologie :
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Quel est le rôle des femmes dans la préservation du patrimoine ?
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Quels sont les biens que les femmes choisissent de conserver dans les musées ?
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Les biens patrimoniaux des musées sont-ils suffisants pour constituer une mémoire féminine ?
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Existe-t-il des recherches menées par des femmes sur les biens culturels et le patrimoine ? Ces études sont-elles valorisées ?
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Lorsque nous étudions un bien culturel, l’analysons-nous sous tous les angles possibles afin de comprendre les relations que celui-ci établit avec les êtres humains selon le genre, la classe, l’ethnie, l’âge ?
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Existe-t-il un langage expographique spécifique pour les publics féminins ?
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Une exposition muséale destinée à un public féminin peut-elle avoir un impact sur des publics non féminins ?
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99Attardons-nous à présent sur le troisième pôle de la matrice ternaire de la muséologie, l’« espace » où se produit la relation avec le patrimoine, que nous considérerons comme le musée ou le territoire.
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101Comme l’a montré Joan Scott (1985), le genre est un moyen essentiel de signifier les relations de pouvoir, tandis que la dimension spatiale est directement liée à celles-ci et à l’exercice du pouvoir. Si nous considérons que ce pôle définitionnel de la matrice ternaire relatif à l’espace est un musée, nous savons que ces institutions sont depuis leur création des symboles du pouvoir politique – ce qui dans la société européenne occidentale signifie le pouvoir masculin (androcentrique) –, et qu’elles sont des repères territoriaux et spatiaux de ce pouvoir, des espaces de mémoire de celui-ci. En introduisant la catégorie de genre dans le champ d’analyse de la muséologie, nous pouvons nous demander quelle image les femmes et les hommes se font ou construisent de cet espace/musée, quelles sont les expériences qu’ils et elles y réalisent respectivement, et quelles sont les relations de celui-ci avec son environnement et les autres institutions de pouvoir.
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103Une autre question pertinente consiste à analyser le musée en tant que lieu de travail où les hommes exerçaient jusqu’à récemment leur rôle de chercheurs et d’érudits, tandis que les femmes ne s’y inséraient qu’au titre d’éducatrices et d’agentes d’entretien. Les femmes composant apparemment la majorité de la force de travail dans les musées actuels, la perspective de genre nous conduit à nous interroger sur la manière dont celles-ci questionnent et entre en relation avec des collections qui représentent l’univers masculin, ou ont été constituées par des hommes.
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105Mais si nous comprenons que le pôle définitionnel de la matrice ternaire relatif à l’espace est le territoire, l’introduction de la catégorie de genre nous amène à analyser l’expérience que les femmes et les hommes ont de celui-ci ; à nous demander qui en détient la propriété et utilise ses ressources ; à chercher à connaître les impacts sur le territoire des activités respectivement attribuées et développées par les hommes et par les femmes, et comment les unes et les autres y sont répartis.
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107Si nous réfléchissons un instant à la plus grande part des biens culturels immobiliers classés comme monuments d’intérêt national, nous constaterons qu’il s’agit d’édifices associés à l’exercice du pouvoir masculin, tels que des châteaux, des églises, des palais, qui marquent les territoires environnants de manière imposante, se constituant comme référent de l’identité et de la mémoire collective (masculine). Mais le territoire et l’espace peuvent être considérés distinctement de leur dimension physique, géographique et naturelle. Le territoire est aussi un espace constitué, un support de mémoires, de sensations et d’expériences, une résultante des modes de vie et des identités. En ce sens, le territoire inclut des valeurs symboliques, des affects, un patrimoine, des traditions, ou autrement dit, la vie. Ainsi compris, il se distingue et revêt des significations différentes selon qu’il concerne et met en présence des femmes ou des hommes, en fonction de leur existence sociale et des manières dont l’espace est appréhendé par les personnes.
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109Nous énumérons quelques questions résultant de l’intégration de la perspective de genre sur l’espace/le musée qui nous indiquent des lignes de recherche à explorer :
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Quelle est la relation des femmes à l’espace (musée/territoire) ?
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Une préservation égalitaire de la relation des hommes et des femmes avec les espaces est-elle réalisée actuellement, y compris en ce qui concerne les significations, la possession, l’usage, les mémoires et les affects ?
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Comment aborder l’espace, le territoire et le musée en relation avec les femmes ?
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Quel rapport de pouvoir entre les hommes et les femmes s’exprime dans le territoire, dans sa gestion, son organisation, sa possession et son attribution ?
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Quelles stratégies la muséologie sociale peut-elle développer pour récupérer les patrimoines féminins oubliés ?
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111Rappelons encore une fois que lorsque l’on considère le genre comme une catégorie d’analyse, toutes ces questions peuvent être posées à propos de toute autre catégorie sociale de personnes (hommes, homosexuels, transsexuels, transgenres, etc.), et non uniquement à propos des femmes.
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113D’après ce qui a été dit jusqu’à présent, il nous semble que l’application de la catégorie analytique de genre à la définition de la muséologie sociale transforme le contenu des éléments composant la matrice ternaire, en les complexifiant par une multiplication en divers strates, élargissant le champ d’analyse et les méthodologies de recherche.
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Et qu’en est-il des musées ?
115Dans notre travail avec la muséologie sociale, nous considérons que le musée est l’un des espaces privilégiés où se produit la relation entre la personne/communauté et les biens culturels. L’introduction de la catégorie de genre dans la définition du musée nous place devant une conception distincte de l’institution muséale.
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117Les travaux d’Hilde Hein (2010), articulant une réflexion sur les musées inspirée des théories féministes, nous ont guidées dans cette mutation conceptuelle. Sur base de la proposition présentée par cette auteure, nous suggérons qu’un musée concerné par les relations de genre doit abandonner immédiatement le langage neutre, habituellement utilisé pour représenter le visiteur idéal. Visiteurs et visiteuses ne sont plus considéré.e.s comme un « grand public », indistinct, massifié, comme un « observateur désintéressé ». Ils deviennent des sujets dotés d’une identité de genre.
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119Le musée ne se voit plus attribuer le rôle d’interprète des biens culturels exposés, et l’institution muséale ne trouve sa place dans la « diffusion de connaissance » qu’en partageant avec les visiteurs et visiteuses la responsabilité de l’interprétation des biens culturels (Hein 2010). La connaissance que le musée diffuse est multiple et accepte une diversité de points de vue, perdant sa fonction d’homologation de la communication.
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121Une définition du musée fonctionnant selon une perspective de genre intégrée conduit à l’abandon de la valorisation du « chef-d’œuvre », de l’attrait pour la « catastrophe », pour le « moment historique », l’« avancée scientifique », et des expressions qui renforcent une « hiérarchie » au sein du patrimoine (Hein 2010, p. 59). Ces termes chargés de signification politique contribuent à exclure des musées les actions banales du quotidien, les groupes minoritaires, la « subtilité des changements et leurs multiples détournements ». Pour l’auteure, l’attention doit être portée sur les processus et non sur les moments d’apogée.
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123En raison de cette mutation, le patrimoine dans les musées n’est plus organisé et classé selon la chronologie, la géographie, l’origine nationale, les écoles, les domaines scientifiques ou la matière constitutive, qui deviennent des critères secondaires dans la collecte et la préservation patrimoniales8. Au public est désormais offerte la liberté d’être guidé par sa propre expérience et non par les informations contenues dans le cartel de chaque pièce (Hein 2010, p. 60). Les mêmes objets reconfigurés en des systèmes d’ordonnancement différents acquièrent la capacité d’étendre la collection du musée en autorisant de nouvelles lectures, de nouveaux questionnements, de nouvelles interprétations. Les musées, en intégrant la catégorie de genre, rendent possible le contact avec la « discontinuité, la fragmentation et l’ambiguïté » inhérentes à l’univers patrimonial féminin, plaçant le visiteur/la visiteuse face à de nouvelles possibilités de « vérité » (Hein 2010, p. 61).
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125Enfin, concevoir le musée dans une perspective de genre permet, selon Hilde Hein (2010, p. 61), de « dissoudre les frontières » en supposant que toutes les positions et déclarations réalisées dans l’espace muséal dépendent d’un positionnement de départ et doivent refléter les limites et les complexités de celui-ci, qu’il soit politique, social, culturel, technique ou autre. En d’autres termes, avec l’adoption d’une perspective intégrée de genre, il n’existe plus de musée neutre.
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127Nous aimerions également relever que s’il existe aujourd’hui une anthropologie du genre, une histoire du genre, une psychologie du genre et une archéologie du genre, il est encore rare de parler de « muséologie du genre »9. Mais l’émergence d’une muséologie du genre est-elle vraiment nécessaire ?
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129En parlant de l’importance pour la muséologie sociale d’adopter la catégorie d’analyse du genre, nous n’avons pas l’intention de créer une autre branche de la muséologie, ni une rupture épistémologique ou théorico-conceptuelle. Notre objectif est d’approfondir la responsabilité sociale des musées et le développement du versant social de la muséologie.
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131Nous pensons qu’une muséologie sociale travaillant selon une perspective de genre ouvre la voie un élargissement du champ d’étude, un accroissement des catégories patrimoniales à intégrer dans les collections du musée, via l’inclusion de segments du patrimoine habituellement considérés comme marginaux. L’extension des possibilités de recherche à des sujets contemporains et socialement engagés permet d’inclure toutes les formes socio-biologiques d’être une personne, dans une optique multidisciplinaire tirant profit des contributions des sciences qui étudient les relations de genre.
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133Pour reprendre les mots de Victoria Benito et Nayra Molina (2010), l’objectif est de parvenir à une muséologie sociale et à des institutions muséales parlant de plus en plus des femmes, non pas comme un sujet spécifique existant dans l’histoire, « mais comme un sujet au sein de l’histoire, qui soit représenté dans les grands musées nationaux à l’instar de ceux qui y ont toujours été présents, les hommes »10 (Benito et Molina 2010, p. 18).
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135Les muséologues sensibles au genre assument véritablement leur rôle de travailleur et de travailleuse social.e en permettant aux communautés de s’associer au travail des musées. Et c’est précisément ce que propose la muséologie sociale : amener, dans les musées et dans toutes les actions muséologiques, les personnes avec leurs spécificités (y compris l’identité de genre), leurs ambitions, leurs déceptions, leurs attentes, leurs sentiments, leurs affects, leurs rêves, et la croyance en une société équitablement partagée entre les femmes et les hommes.
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Notes
1 Traduction : Chloé de Sousa Veiga et Dominique Schoeni. La version originale en portugais de cet article est parue dans un volume des Cadernos do CEOM consacré à la muséologie sociale, publié en 2014 sous la direction de Mario Chagas et Inês Gouveia. Disponible en ligne sur : https://bell.unochapeco.edu.br/revistas/index.php/rcc/issue/view/168.
2 Dans le présent texte, nous laisserons de côté l’analyse de ces approches des études de genre, car elles dépassent largement nos compétences et le cadre de nos recherches. En tant qu’elles constituent des domaines importants dans les études de genre et qu’elles méritent toute l’attention de la muséologie sociale, nous ne pouvions cependant nous abstenir de les mentionner.
3 On considère que les mouvements féministes ont évolué en trois vagues successives. La première vague correspond aux luttes féministes du XIXe siècle qui visaient l’obtention du droit de vote par les femmes. La deuxième vague s’est produite au XXe siècle et visait l’égalité dans tous les domaines. La troisième vague féministe actuelle se concentre sur la valorisation égale des différences entre les hommes et les femmes.
4 Les recherches dans le domaine de la génétique confirment qu’il n’existe pas de races distinctes dans l’espèce humaine, et que l’inégalité et l’exclusion attribuées à des motifs raciaux sont des constructions socioculturelles, historiques et politiques. Les mots ethnie, ethnicité et groupe ethnique désignent un groupe ou une communauté qui partage certains traits communs. Les débats sur la signification et la relation entre la race et l’ethnie sont aussi approfondis que ceux sur la relation entre les catégories de sexe et de genre. Les débats sur les deux premiers termes n’ayant pas leur place dans ce texte, nous avons choisi d’utiliser ici l’expression race/ethnie. À ce sujet, voir Stolcke (2000).
5 Traduction de l’autrice : « [...] una categoría analítica abstracta aplicable a la construcción de la masculinidad, la feminidad, la androginia ou otras categorías socio-biológicas definidas en cada sociedad que permite estudiar los roles, estereotipos, relaciones de poder y estratificación estabelecidas ».
6 Nous conservons ici le terme de « sujet » (sujeito), car c’est l’expression la plus fréquemment utilisée par les muséologues pour définir la matrice ternaire de la muséologie. Toutefois, dans la mesure du possible, nous éviterons d’utiliser des termes masculins génériques, car ils tendent à exclure les femmes.
7 Pour cette raison, Isabel Barreno (1985) l’appelle un « faux neutre ».
8 Sur cette proposition, voir également Pollock (2007).
9 En 2010, lors d’une recherche sur Internet en anglais, français, espagnol et portugais, nous n’avons trouvé qu’une seule référence à la « muséologie du genre », publiée le 15 mai 2010 sur le blog www.womeninmuseum.net/blog. Il s’agissait concrètement d’une proposition de cours de formation professionnelle qui se tiendra à Naples et qui s’intitulera Gender Museology and History of Women. En 2022, la même recherche a donné six références en portugais et une en anglais.
10 Traduction de l’autrice : « [...] sino como un sujeto dentro de la historia, que esté representado dentro de los grandes museos nacionales como lo están los que siempre han estado presentes, los hombres ».