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Les recherches participatives en archéologie : pour une réinterprétation du matériel archéologique et ethnographique des groupes autochtones
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Au cours des dernières décennies, les membres des groupes autochtones se sont vu transformer en agents actifs au cours des recherches archéologiques. La participation de ces nouveaux acteurs a lieu lors des études réalisées au sein des territoires autochtones et, plus récemment, en contexte muséal. De ces travaux découle une réinterprétation du matériel archéologique et des paysages, résultant en la création de discours auto-représentatifs et polyphoniques apportant de nouveaux regards sur le passé et sur le monde.
Abstract
In recent decades, members of indigenous groups have seen themselves transformed into active agents during the stages of carrying out archaeological research. The participation of these new agents takes place during studies carried out within indigenous territories and, more recently, in a museum context. From these works stems a resignification of archaeological material and landscapes, resulting in the creation of self-representing and multivocal discourses bringing new perspectives on the past and on the world.
Table des matières
Introduction
1L’archéologie brésilienne, dont il sera question ici, s’est toujours intéressée aux groupes autochtones. Comme le fait notamment remarquer Cristina Barreto (1999/2000), depuis sa création, la discipline s’est tournée vers l’étude de la période pré-coloniale dans la perspective de mettre en évidence les origines des peuples autochtones. Néanmoins, en accord avec Jorge Eremites de Oliveira (2015, p. 361), les archéologues ont opéré une séparation temporelle entre ces groupes et les peuples actuels, niant par conséquent les relations de descendance et les continuités culturelles existantes, point considéré comme la stratégie la plus cruelle du colonialisme par Cristóbal Gnecco et Patrícia Ayala Rocabado (2010). De cette manière, l’archéologie a exercé un monopole sur les interprétations du passé et la représentation de ces groupes. Les images véhiculées ont été - et sont encore dans une certaine mesure - influencées par un déterminisme écologique et les théories évolutionnistes et néo-évolutionnistes dépeignant les communautés autochtones à partir des vestiges découverts comme étant barbares, primitifs et parfois même dégénérés (Noelli & Ferreira 2007). Dans ce sens, la discipline archéologique a participé à la justification du processus colonial - passant dans notre cas par une intégration forcée de ces groupes à la société brésilienne et par leur extermination - et à la mise sous silence de ces peuples dans la construction d’une histoire officielle de la Nation. Ces images et ces stratégies n’ont pas seulement été reprises et reproduites au sein des Universités - leur apportant une dimension scientifique - mais également par les institutions muséales en véhiculant les théories de l'anthropologie biologique.
2Le contrôle exercé par les professionnels de la discipline a donc été idéologique, mais inclut aussi le traitement des vestiges et des sites archéologiques, définissant ce qui devait être ou non conservé et exposé. Cependant, une série de critiques internes et externes formulées à l’encontre de l’archéologie au cours de la seconde moitié du XXème siècle ont impacté la construction de la connaissance archéologique et les pratiques adoptées par les archéologues. Les chercheurs, notamment d’Amérique du Sud, se sont réunis pour trouver de nouvelles manières de faire de l’archéologie qui soient plus inclusives et respectueuses des groupes concernés par leurs recherches, s’intégrant ainsi aux débats portant sur la décolonisation de la discipline. Nous pouvons ainsi observer à partir des années 1980 et 1990, période marquée par l’adoption des idées post-processuelles au Brésil, un rapprochement entre les professionnels de la discipline et les membres des groupes en question. Ces derniers se sont vu transformer en agents actifs au cours des étapes de réalisation des recherches, aussi bien sur le terrain que lors des activités associées et, plus récemment, lors des études effectuées en rapport aux collections muséologiques. En parallèle, les revendications formulées par les mouvements autochtones émergents au long des années 1970 ont également eu une influence sur le regard porté sur le patrimoine archéologique.
3Dans cet article, je propose d’explorer les défis et les bénéfices apportés par les recherches archéologiques dites participatives ou collaboratives réalisées dans les villages autochtones et au sein du contexte muséal en me focalisant principalement sur les vestiges archéologiques et ethnographiques. Mon objectif ici est de démontrer que les recherches mentionnées participent à la réinterprétation des objets archéologiques et ethnographiques et contribuent à l’élaboration d’un savoir polyphonique, apportant de nouvelles interprétations du passé et de nouvelles visions du monde.
1. Les recherches archéologiques au sein des terres autochtones
4La participation des groupes autochtones et traditionnels aux recherches archéologiques est adoptée comme méthodologie par divers courants théorico-méthodologiques à l’instar de l’Ethnoarchéologie, de l’Archéologie Publique et de l’Archéologie Symétrique, entre lesquels il n’existe pas de cohésion. La participation, en tant que pratique qui se veut moins colonialiste, plus ouverte au dialogue et incluant une coproduction des connaissances avec les groupes autochtones, reçoit quant à elle une dénomination différente. Elle est labellisée comme Archéologie Collaborative, Archéologie Participative ou Archéologie en Communautés (Campos 2019, p. 18). L’Archéologie Collaborative qui se développe au Brésil depuis une vingtaine d’années a notamment été impulsée par Fabíola Andréa Silva, chercheuse qui nous donne les fondements basiques de telles études dans un article de 2015. Ainsi, nous observons que les pratiques participatives apparaissent sous une forme plurielle et ne reçoivent pas, par conséquent, une définition unique. La participation effective des communautés au sein de ces divers courants, de ce fait, peut apparaître à différents stades de la recherche et à différents niveaux. Elle peut être élaborée durant une partie des étapes de réalisation de l’étude - et en particulier lors du terrain - ou bien lors de l’ensemble de ces étapes, depuis l’élaboration du projet de recherche jusqu’au processus d’écriture et au-delà. Dans ce cas, les archéologues sont amenés à prendre en considération les intérêts et les besoins des groupes impliqués. Les recherches archéologiques effectuées dans ce contexte ne comportent donc pas uniquement des bénéfices pour la discipline archéologique en particulier, et pour les sciences humaines et sociales en général, mais également, et peut-être surtout, pour les communautés participantes. Les études de cas visibles dans la littérature montrent que nombre de ces recherches, notamment des études ethnoarchéologiques, sont réalisées dans un contexte conflictuel lié à la démarcation des terres autochtones. Dans ces situations, il n’est pas rare que les archéologues prennent position, se plaçant en défenseur des droits des groupes autochtones. En accord avec ces chercheurs, ils se voient transformés en agents politiques. L’archéologie, elle-même, se retrouve engagée socialement et politiquement.
5Nous devons également évoquer le fait que chaque participation et chaque collaboration est unique et apporte avec elle ses propres défis. Les professionnels de la discipline doivent par conséquent rester flexibles face à l’adoption des méthodes de collecte de données - lesquelles devraient idéalement s’adapter aux modes d’enseignement et d’apprentissage des groupes avec lesquels ils travaillent. Il n’existe par conséquent pas une unique voie méthodologique mais plutôt une mosaïque composée d’outils provenant de l’archéologie et de ceux généralement associés aux recherches de terrain ethnographiques comme l’entretien et les histoires de vie. Comme évoqué par Diane Lyons et Joanna Casey (2016), le temps passé par les chercheurs sur leur terrain est un point pertinent, ces études devant être réalisées sur le long terme afin de permettre la création de relations de confiance avec les personnes des communautés et de se rapprocher et de comprendre la réalité de ces dernières.
6En ce qui concerne les relations établies entre les groupes actuels et les vestiges présents au sein de leur territoire (actuel ou passé), nous pouvons également affirmer que celles-ci se présentent de manière plurielle. Par exemple, si pour une partie de ces peuples le lien paraît se tisser de façon naturelle, comme dans le cas relaté par Fabíola Andréa Silva (voir notamment Silva et Noelli 2015) en relation aux Asurini, d’autres cas sont plus complexes. Cristóbal Gnecco et Carolina Hernández (2008) mettent en évidence que certains groupes, à l’instar des Nasa de Colombie, ont nié pendant longtemps tout type de relation avec les artefacts du passé. Cette situation est attribuée au processus colonial et en particulier à la domination de l’Église catholique ayant diabolisé les ancêtres auxquels ces vestiges sont associés. Au-delà de cela, les auteurs font mention de la peur ressentie par les Nasa face à ces reliques, sentiment provenant de la signification attribuée par les membres du groupe à ces objets. Pour eux, ce ne sont pas de simples matériaux, ils sont au contraire dotés d’une agentivité, c’est-à-dire, selon les termes de l’anthropologue Alfred Gell (1998), d’intentionnalités et de pouvoirs d’action sur le monde et les entités qui le peuplent. Néanmoins, ce groupe s’est rapproché de ces vestiges, les introduisant à leur présent. Nous pouvons ainsi observer une réappropriation et une réinterprétation des vestiges archéologiques par les membres des peuples actuels, que ces artefacts soient directement associés à ces groupes ou non. De ce fait, s’il existe des problèmes liés à la mise en relation entre les vestiges et un groupe particulier, l'intérêt, selon Fabíola Andréa Silva (2002), n’est pas de savoir si les artefacts ont été créés par les ascendants des membres du groupe en question1, mais de porter son attention sur la reconnaissance et l’appropriation faites de ce matériel par ce même groupe. Il est intéressant ici de mentionner un cas spécifique rencontré au cours de mes études. Selon Josué Carvalho (communication personnelle), les Kaingang du Paraná ne reconnaissent pas la pratique de la céramique comme appartenant à leur groupe - elle est associée aux Guarani - au contraire des Kaingang de l’État de São Paulo pour qui la céramique est un élément fondamental dans la définition de leur identité. Outre les éléments évoqués, il me semble important de parler des territoires au sein de cette définition. Les espaces où vivent les groupes autochtones ont une signification particulière, il s’agit de lieux où les membres du groupe peuvent vivre selon leurs modes de vie et ainsi être qui ils veulent être.
7Les dimensions discutées ici - à la fois le regard de l’archéologie et des groupes sur les vestiges - ne doivent pas être comprises comme des informations qui se contredisent mais comme des éléments complémentaires. L’objectif des recherches collaboratives étant - ou devant être - de mettre en évidence les significations que les vestiges et les sites archéologiques ont pour les groupes participants. De ce fait, et en accord avec Alfredo González-Ruibal (2014, p. 55), le but n’est pas de produire un savoir hybride résultant de la création d’un discours lissé, mais d’établir une conversation entre ces informations diverses en les traitant sur un pied d’égalité. L’écriture se fait ainsi le reflet de ce qui se produit lors du travail de terrain, à savoir un échange de connaissances entre les agents participants à l’étude. La polyphonie, stratégie qui a été adoptée par l’Ethnoarchéologie et l’Archéologie Publique entre autres, apparaît dans ce contexte comme une façon de donner du pouvoir (en portugais une manière d’empoderamento) des groupes impliqués (Trigger 2006). Ces discours mettent en évidence la nécessaire redéfinition de certains concepts et notions classiques de notre aire d’étude. Nous pouvons par exemple citer le cas de la notion de site archéologique qui est, jusqu’à nos jours, définie à partir de la présence d’artefacts au sein d’un espace donné. Néanmoins, nous observons à partir de la vision des groupes autochtones que d’autres éléments peuvent et doivent être pris en compte, et parmi eux les éléments du paysage.
2. Les études en contexte muséal : pour une réinterprétation des collections muséalisées
8De manière similaire à ce qui a été mentionné en relation à l’archéologie, le champ muséologique a été atteint par des critiques à partir des années 1970 qui ont mis en évidence la dimension colonialiste de ces institutions et de la création de leurs collections. Vus comme des espaces déconnectés de la réalité, les musées ont dû se réinventer pour continuer à faire sens dans un monde où les identités régionales et locales s’affirmaient. La notion de musée, ainsi que ses objectifs, ont par conséquent été officiellement redéfinis par la Déclaration de Santiago du Chili de 1972 dans laquelle le rôle social des institutions muséales fut assumé, ainsi que sa propension à l'éducation de ses publics. Auparavant isolés, les musées se sont ainsi intégrés à la société et se sont adaptés à l’actualité en prenant en considération les situations contemporaines dans lesquelles les groupes représentés se trouvaient. Dix ans après, la Déclaration du Québec venait souligner le caractère politique de ces institutions, rompant de ce fait avec l’image d’espace neutre qui caractérisait jusqu’alors les musées. En ce qui concerne plus particulièrement les musées archéologiques, il est possible d’observer au cours des dernières décennies un intérêt croissant en relation à l’étude de la création et du développement de ces institutions ainsi que de l’histoire de leurs collections. Ce champs d’étude est connu comme “Muséalisation de l’Archéologie”, dimension particulièrement explorée par Maria Cristina Oliveira Bruno (1999, 2021) qui met en évidence l’importance de l’observation de la chaîne opératoire dans sa totalité, comprenant les procédures de sauvegarde (la conservation et la documentation) et la communication (l’exposition et l’action éducative-culturelle) (Barreto et Wichers 2021, p. 3). Il s’opère pourtant un rapprochement entre les champs archéologiques et muséologiques. Ces recherches sont aussi intégrées aux débats portant sur la décolonisation des musées et de l’archéologie, sachant qu’elles mettent en évidence la relation entre ces institutions et les collections qu’elles conservent, de même que les pratiques visibles au travers des collections et le processus colonial. Les auteurs soulignent également le fait que les collections archéologiques et ethnographiques sont associées aux notions d’évolution et de progrès.
9En parallèle à ces changements internes, il y eut, de la part des groupes autochtones, une série de demandes de rapatriement des objets sacrés et des restes humains appartenant à leurs ancêtres, ces derniers composant généralement les collections archéologiques. Selon Lúcio Ferreira (2008, p. 39), ces revendications étaient justifiées par la dimension coloniale entourant les pratiques et le patrimoine archéologique. Comme l’affirme l’auteur, les débats tenus sur la scène internationale par les archéologues, les groupes autochtones intéressés par les questions archéologiques et autres chercheurs des sciences sociales, en particulier lors du Congrès Mondial d’Archéologie (World Archaeological Congress) de 1986, ont été introduits à la sphère politique, conduisant à l’adoption par certains pays de nouvelles politiques publiques de gestion du patrimoine archéologique. Nous pouvons citer le cas emblématique du Native American Graves Protection and Repatriation Act (NAGPRA) établie par les États-Unis en 1990. Cette loi fédérale prend en considération les inquiétudes formulées par les peuples autochtones, doit mener à l’adoption de pratiques plus respectueuses lors des excavations des sites liés à ces derniers et favoriser le rapatriement de leurs objets et des restes funéraires. En parallèle, elle a valorisé la participation des peuples autochtones au cours des études de terrain ainsi qu’aux activités de conservation et d’exposition des collections, soit de manière générale à l’ensemble des missions relevées par les musées. Il est important de noter que la présence dans les réserves - et parfois les expositions - de restes humains est considérée comme un acte de violence par les membres des groupes actuels. Comme l’évoque la chamane (Kuña) Kaingang du village Vanuíre (Arco-Íris, São Paulo), Dirce Jorge Lipu Pereira (31 août 2021, IV Forum des Collections Archéologiques), les esprits des personnes qui s’en sont allées demeurent présents aux côtés de leur dépouille. Par conséquent, elles doivent être traitées avec respect, tout comme les objets qui sont considérés comme sacrés par les membres de la communauté. La mise en place de politiques publiques tournées vers les groupes autochtones apparaît comme nécessaire pour l’application de pratiques plus respectueuses et inclusives. Dans le cas du Brésil, de telles politiques font encore défaut, ce qui entrave la systématisation des recherches collaboratives, que ce soit en terres autochtones ou au sein des musées. La participation des groupes autochtones demeure par conséquent tributaire du bon vouloir des chercheurs ainsi que des politiques internes des musées.
10Nous assistons ainsi à un mouvement d’ouverture des institutions muséales face aux groupes qui ont été placés sous silence et marginalisés. C’est dans ce contexte que les premières expériences collaboratives sont apparues, se présentant comme l’étude conjointe des collections directement liées aux groupes participants et à l’élaboration d’expositions à la première personne du pluriel et du singulier. En accord avec Andrea Roca (2015), nous pouvons localiser ces premières expériences au Canada, aux États-Unis et au Mexique. Au Brésil, de telles expériences ont été mises en place en premier lieu par le Musée de l’Indien de Rio de Janeiro, institution créée par l’anthropologue Darcy Ribeiro en 1953. Les études participatives dans le cadre muséal se sont multipliées à l’échelle nationale à partir des années 2000 et ont impliqué diverses institutions. Les musées classés comme archéologique et ethnographique sont les mieux représentés, ceux-ci étant les principaux gardiens des artefacts des groupes autochtones. Notons que, dans le contexte brésilien, les collaborations se sont majoritairement focalisées sur les collections ethnographiques et ont été effectuées principalement en partenariat avec les professionnels des musées et les anthropologues qui se sont placés comme intermédiaires entre l’équipe de l’institution et les groupes participants (à ce propos, voir RUSSI et ABREU, 2019). Une telle affirmation peut également être appliquée au contexte européen. Les collections archéologiques et les archéologues sont quant à eux restés en dehors de ce processus, situation qui tend à changer dernièrement. Un intérêt grandissant de la part des archéologues et des groupes autochtones vis-à-vis des vestiges archéologiques est en effet observable. Ceci peut être associé au développement des partenariats réalisés au sein des territoires autochtones. Dans certains cas, l’archéologie joue un rôle déterminant dans la prise de conscience de la transmission de notions telles que le patrimoine pour les peuples autochtones et traditionnels. Au-delà de ce qui a été évoqué, nous pouvons également noter une tendance à l’étude conjointe des collections archéologiques et ethnologiques pour la construction d’une histoire de longue durée (Gaspar & Rodrigues 2020). La reconnexion entre les groupes du passé et les peuples actuels justifie encore davantage l’étude conjointe de ces deux ensembles. Néanmoins, ces questions doivent être résolues avec les communautés avec lesquelles nous travaillons. Dans notre cas, les Guarani Nhandewa du village Nimuendajú (Bauru, São Paulo), l’un des trois groupes avec lesquels nous avons travaillé au cours de notre étude de master, souhaitent analyser uniquement les objets qui ont été collectés au sein de leur territoire actuel. Les Kaingang et les Terena du centre-ouest Paulista, les deux groupes avec lesquels nous travaillons actuellement, veulent quant à eux connaître les artefacts provenant de villages plus anciens, là où leurs ancêtres vivaient.
11En accord avec les chercheurs, l’étude des collections archéologiques présente certains défis propres. Parmi eux, Helena Pinto Lima et Cristina Barreto (2020, p. 49) soulignent la séparation physique et l’individualisation des artefacts. Selon elles, les objets sont isolés de l’ensemble plus ample auquel ils appartiennent et des sites desquels ils proviennent, se trouvant par conséquent en dehors de tout contexte. Les recherches effectuées permettent alors de reconnecter les objets conservés par les institutions muséales entre eux et avec les sites dont ils sont originaires. Un autre problème visible est lié au manque d’informations portant sur les vestiges. Les études comportent donc une partie importante de documentation de ces objets (voir notamment Salles Machado 2020). La réinterprétation des collections par les musées passe par la reconnaissance et l’intégration des significations évoquées par les groupes auxquels elles appartiennent. Dans ce contexte également, les artefacts sont réintégrés à la ligne de temps de ces peuples et participent au renforcement culturel amorcé par ces derniers. Un autre problème soulevé par les chercheurs de la discipline concerne l’absence des fragments au sein des expositions archéologiques. Les musées privilégient essentiellement les objets entiers et porteurs d’une dimension esthétique. Pourtant, les fragments représentent une part importante du corpus archéologique. Dans ce cas, nous pouvons nous demander si de telles pièces doivent être intégrées à nos recherches, et si oui, s’il existe une dimension minimum. Encore une fois, ces questions doivent trouver leurs réponses auprès de nos partenaires autochtones.
Conclusion
12À partir de la seconde moitié du XXème siècle, les disciplines des sciences humaines et sociales ont été traversées par une série de critiques internes et externes qui ont eu, et continuent d’avoir, un impact sur les formes de construction de connaissance de ces aires ainsi que sur leurs pratiques. Ces critiques ont porté sur la dimension colonialiste de ces champs d’étude - notamment de l’archéologie et de l’anthropologie - et des institutions muséales, en particulier sur la représentation donnée de l’”Autre”. Les chercheurs et les professionnels des musées ont ainsi tenté de déconstruire l’image négative des groupes autochtones pour offrir une nouvelle représentation plus proche de la réalité. La participation de ces groupes aux recherches développées au sein des territoires autochtones et en contexte muséal ont contribué et contribuent à l’élaboration de discours proclamés par les propres membres des communautés impliquées, créant des auto-représentations, c’est-à-dire qu’ils parlent par et pour eux-mêmes. Les discours archéologiques et muséologiques se veulent de leurs côtés plus symétriques, prenant en considération les déséquilibres de pouvoir engagés au sein de ces processus.
13Nous avons vu que les pratiques collaboratives ont un impact sur la construction d’une archéologie plus engagée socialement et politiquement, contribuant en parallèle à la construction d’une pratique plus critique et éthique, processus accompagné de la transformation du lieu occupé par les professionnels de la discipline. Ceux-ci n’apparaissent plus uniquement comme de simples chercheurs, mais comme des agents politiques œuvrant en faveur des droits des communautés avec lesquelles ils travaillent. Évidemment, nous ne pouvons pas généraliser cette affirmation. Comme nous l’avons mentionné, le Brésil se doit encore d’adopter des politiques publiques qui permettront de systématiser la réalisation d’études participatives et collaboratives, autant lors des recherches en terres autochtones qu’au sein des musées. De ce fait, malgré les critiques formulées par certains chercheurs à l’encontre des recherches participatives, nous voyons que ces études ont un impact positif sur notre discipline ainsi que pour les groupes autochtones impliqués.
14Finalement, nous souhaitons soulever une question qui, selon nous, devrait être formulée par tout chercheur : pourquoi et pour qui faisons-nous de l’archéologie ? Les exemples de cas discutés plus haut ont démontré qu’il est possible de réaliser une archéologie qui ait une signification sociale, en particulier pour les groupes qui ont été placés sous silence et/ou marginalisés. De cette manière, notre discipline ne peut plus être définie comme une science étudiant seulement le passé, celui-ci continuant d’avoir un impact sur le présent.
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Notes
1 Cette question a largement été débattue en archéologie. Il ne nous revient pas de reprendre ce débat ici. Nous pouvons néanmoins évoquer le fait que pour Fabíola Andréa Silva (communication personnelle), il est possible dans certains cas d’attribuer des objets aux ancêtres d’un groupe donné. Cette affirmation est justifiée par la présence de continuités observables au sein du matériel produit. Parmi les problèmes rencontrés, nous pouvons citer l’exemple des Xokleng et des Kaingang, deux groupes appartenant à un même groupe linguistique, dont les similitudes culturelles rendent difficile l’association du matériel à l’un ou l’autre de ces groupes (à ce propos, voir Machado 2021).