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Brèves remarques à propos d'une approche ethnologique du musée
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1.
2En 1997, on soulignait le cinquantième anniversaire des études de folklore à l’Université Laval, à Québec. À cette occasion, Roland Arpin, directeur général du Musée de la civilisation de 1987 à 2001, prononça une conférence dans laquelle il présenta les méthodes d’exposition et de collecte pratiquées dans son institution. Il y aborda plus particulièrement la relation de ce musée de société québécois avec les témoins de la culture contemporaine. Pour conclure son exposé, il ajouta : « Peut-être qu’un jour prochain, il se trouvera quelqu’un parmi vous pour faire l’ethnologie des musées de la fin du siècle2. » Ainsi formulée, la phrase ressemble à une invitation. Or, à quoi référait Arpin précisément? S’agissait-il d’un simple clin d’œil lancé aux ethnologues présents dans la salle pour terminer sa communication ou d’une véritable incitation à poursuivre les recherches en ce sens?
3C’est à la lecture de l’article tiré de cette conférence que nous avons commencé à nous interroger sur cette possible ethnologie du musée suggérée par Arpin et qui guide aujourd’hui notre réflexion de jeune ethnologue et de doctorante en muséologie3. La multidisciplinarité, qui définit la muséologie actuelle et qui conjugue les approches, les intérêts de recherche, les écoles de pensée, les méthodes et les différentes conceptions du musée, permet cette interaction entre études muséales et ethnologie. Cette dernière représentant notre attache disciplinaire, nos recherches doctorales sur les pratiques de collecte dans les musées de société québécois se caractérisent par ce choix assumé de poser un regard extérieur sur l’institution. Nous appréhendons celle-ci comme un terrain ethnologique dans lequel évoluent différents acteurs et où se déroulent diverses pratiques professionnelles, sociales et culturelles que nous cherchons à documenter.
4Cette relation entre l’ethnologie et la muséologie n’est pas nouvelle.4 Néanmoins, l’ethnologie du musée, dont le récit du développement reste encore à écrire, demeure relativement marginale. En muséologie, comme dans plusieurs champs de la recherche en sciences humaines et sociales, l’intérêt de l’ethnologue pour le petit, le commun et le banal ainsi que ses méthodes de recherche basées sur l’enquête orale et l’observation lui accorde une position ambigüe. L’ethnologue du proche (en général) qui pose un regard sur sa propre culture ou l’ethnologue du musée (en particulier, dans le cas qui nous intéresse) doit défendre son regard distancié, son approche compréhensive et son désir d’exposer une réalité telle qu’elle est vécue à l’intérieur du milieu étudié. Dans les colloques multidisciplinaires, par exemple, on l’invite à se positionner quant aux réalités qu’il observe et à se prononcer sur la crédibilité ou la représentativité de ses informateurs. On lui demande son avis sur les pratiques analysées et on le questionne sur les solutions qu’il envisagerait pour améliorer une situation étudiée. Or, bien que ses travaux puissent éventuellement mener à la suggestion de pistes de solution, ce ne sont pas là les préoccupations principales de l’ethnologue du musée. L’historien qui étudie l’évolution d’une collection, l’historien de l’art qui travaille sur l’architecture des musées, le muséologue intéressé aux méthodes d’exposition ou le professionnel de la médiation qui cherche à résoudre des problèmes concrets de mise en exposition peuvent parfois rester perplexes devant l’ethnologue venu les entretenir du quotidien d’un conservateur de musée régional ou déstabilisés devant le récit de la biographie d’un objet banal entré dans une collection muséale quelconque. Pourquoi s’attarder à ce genre de détails?
5Certains ethnologues s’inscrivent, sans s’y limiter, dans cette approche ethnologique de l’institution muséale. C’est le cas par exemple d’Octave Debary et de Mélanie Roustan qui font du musée un de leurs terrains de recherche.5 Dans leur article, Laurier Turgeon et Élise Dubuc soulignent « ce passage [des musées d’ethnologie] de lieu d’observation à lieu observé » et identifient différentes façons d’appréhender le musée comme terrain. Étudier le développement des institutions et de leurs collections ainsi que s’intéresser aux collectionneurs qui les ont constituées et aux objets matériels qui y sont conservés représentent différentes approches possibles.6 Pour notre part, comme le suggèrent ces deux auteurs, nous croyons qu’il s’agit d’approches complémentaires. Dans nos travaux, nous combinons les angles de recherche de manière à élargir notre regard posé sur un musée et ainsi tâcher d’appréhender les pratiques qui s’y déroulent dans leur complexité.
6Dans le cadre d’un séjour de recherche à l’Université de Liège pendant l’automne 2014, nous nous sommes intéressée au Musée de la Vie wallonne, un musée d’ethnographie créé en 1913 et qui, depuis plus d’une décennie, s’est graduellement transformé en musée de société. Pour cette recherche exploratoire qui visait notamment à tester notre approche méthodologique en prévision de notre projet de thèse, la préparation et la démarche adoptée ont été similaires à celles de n’importe quel terrain ethnologique. Une recherche préliminaire a permis de nous familiariser avec ce musée. Une première visite de son exposition permanente a également entrainé une meilleure connaissance des lieux, des thèmes et de la mission de l’institution. Puis, nous avons approché les responsables pour leur exposer notre intérêt et notre désir d’en apprendre davantage sur leurs pratiques de collecte et de gestion des collections. Une première rencontre avec la conservatrice a permis d’identifier les personnes susceptibles de fournir des informations sur les thèmes ciblés. Une seconde a permis de visiter la réserve tout en faisant ressortir les enjeux et les défis particuliers reliés à la gestion de cette collection ethnographique centenaire. Ensuite, les rencontres individuelles sous forme d’entretiens semi-dirigés avec différents professionnels ont offert une occasion à la personne interrogée d’expliquer son travail, de présenter le département auquel elle appartient et de parler de certaines sections des collections. Dans d’autres cas, il s’est agi d’observations, puisque nous accompagnions un professionnel dans ses tâches quotidiennes. Après chaque rendez-vous, que ce soit un entretien ou une observation, nous en faisions le récit dans un journal de bord.
7Les entretiens ont aussi aiguillé la recherche vers d’autres sources. On nous a fourni à l’occasion de la documentation supplémentaire souvent issue de documents internes. Réunissant les résultats de la recherche préliminaire, les informations issues du terrain et les documents complémentaires, l’analyse thématique permettra de croiser l’ensemble des données recueillies. Nous souhaitons ainsi arriver à décrire et contextualiser la gestion des collections dans cette institution en privilégiant le point de vue des acteurs qui y participent. Cette étape de la recherche n’est pas encore complétée. Nous prévoyons néanmoins la diffusion des résultats sous forme d’article scientifique. Cet article reste donc à écrire, mais nous savons déjà qu’il ne contiendra aucune évaluation de l’institution, aucun jugement quant à ses façons de faire, ses valeurs, sa démarche, ses choix ou ses objectifs. Si des exemples tirés d’autres institutions muséales peuvent être mobilisés, ils le seront non pas pour en tirer des comparaisons, mais pour présenter un éventail plus large de possibilités ou de points de vue.
8L’ethnologie s’intéresse d’abord à l’humain. Elle a comme but de documenter, de contextualiser et de valoriser les gestes et la parole des acteurs concernés, ce qui n’exclut pas l’adoption d’un regard critique invitant à la réflexivité. Ce que propose l’ethnologue du musée, c’est de renverser les questionnements pour comprendre l’institution. Par exemple, dans le cas du Musée de la Vie wallonne, l’objectif n’est pas de déterminer si cette institution correspond ou non à la définition habituelle du musée de société mais plutôt de savoir comment il en est arrivé à adopter ce statut particulier? En d’autres mots, l’ethnologue du musée ne se demande pas si un musée entre dans une case prédéfinie mais cherche plutôt à savoir dans quelle case le musée se situe lui-même et comment les limites de cette case ont été définies à l’intérieur de l’institution. Que représente cette étiquette pour le musée? Quelles sont les conséquences de ce passage de musée d’ethnographie à musée de société sur le travail des différents professionnels?
9Dans le cadre d’une recherche réalisée au Musée de la civilisation de Québec en 2011, nous avions abordé la question de la collecte des objets contemporains en adoptant une démarche similaire. En refusant de déterminer préalablement ce qu’était un objet contemporain, nous avons pris le parti de demander aux professionnels interrogés ce que représentait pour eux ce type d’objets et quelles en étaient les limites ainsi que les enjeux rattachés à sa collecte. Le terrain a alors permis, notamment, d’exposer l’absence de consensus quant à la définition d’un objet aux contours aussi relatifs. Plusieurs informateurs précisaient avoir peu réfléchi à la question, mais avançaient tout de même quelques éléments de réponse. L’objet contemporain était alors perçu par certains comme un objet datant de la seconde moitié du XXe siècle ou de la période allant de la fin de la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui. Pour les autres, le contemporain référait aux années 2000, à la dernière décennie, à l’année en cours ou, encore, à l’instant présent, à l’aujourd’hui et au maintenant. Afin d’éviter le piège que représentait une définition incluant des balises temporelles strictes, certains parlaient plutôt d’objets appartenant à la mémoire d’une génération ou d’objets toujours en usage.7 Cet éventail de définitions, croisé à celles proposées dans la littérature sur le sujet, permettait par exemple de situer la démarche du Musée de la civilisation dans un mouvement plus large.8 En effet, la collecte du contemporain représente aujourd’hui une problématique qui concerne un nombre croissant d’institutions, au Québec comme ailleurs, qui doivent alors jongler avec les mêmes difficultés pratiques et théoriques imposées par cet objet ambigu. Sans émettre de jugement sur la démarche du Musée de la civilisation, l’étude a permis de démontrer la cohérence de son discours muséal avec celui observé à l’échelle internationale tout en exposant les conséquences concrètes de la collecte du contemporain sur le travail des conservateurs de ce musée.
10Ainsi, nos recherches précédentes et en cours nous permettent d’affirmer que l’ethnologie du musée encourage une double réflexivité. D’une part, en adoptant un regard distancié tout en exposant le point de vue des gens interrogés, elle invite le muséologue et l’employé à réfléchir sur ses propres pratiques professionnelles. D’autre part, le chercheur se soumet lui-même à l’exercice, le retour réflexif sur son travail étant une part essentielle de la recherche scientifique. Le chercheur doit être conscient de sa position particulière dans le musée et des éventuels biais qui ont pu influencer ses résultats. Il doit évaluer le contexte, la démarche et le déroulement de toutes les étapes de son étude.
11Dans le cas de l’étude au Musée de la Vie wallonne, l’expérience de terrain a permis de soulever certaines difficultés méthodologiques qui devront être dénouées dans nos prochaines recherches. Notamment, l’étude a confirmé la difficulté d’effectuer des observations dans le contexte d’un travail essentiellement réalisé devant un ordinateur. Dans cette réalité qui correspond à plusieurs professionnels de musée, l’observation semble inadéquate. Néanmoins, le terrain permet de trouver certaines pistes de solution. L’entretien individuel, jumelé à une visite guidée en réserve avec l’informateur, a permis à la personne interrogée d’intégrer au récit de son travail de bureau les applications ou les résultats concrets de celui-ci sur les collections. Par exemple, la visite d’une des réserves du musée a permis à la responsable du Service des archives d’aborder le processus de décision qu’elle a mis en place afin de sélectionner les pièces qui rejoindront une réserve spéciale, les difficultés rencontrées quant à la gestion de l’espace, les résultats attendus d’un document qu’elle prépare quant à la classification des objets, etc. C’est dans ce contexte que le travail devant l’ordinateur devient tangible pour l’observateur. Sous cet angle, on constate que la présence de l’objet de collection oriente la discussion et encourage la production d’un récit sur le travail de gestion des collections qui peut devenir un matériel d’étude pour l’ethnologue.
12Débordons-nous ici le cadre de la muséologie? Yves Bergeron et Jean Davallon identifient quatre types de recherches en muséologie. Parmi ceux-ci, on retrouve les études qui portent sur le musée en tant qu’institution patrimoniale. Soulignant les nouvelles formes que prennent les recherches actuelles dans ce domaine, ils précisent :
Il existe une dernière forme de recherche qui semble plus rare, mais qui n’en est pas moins fondamentale. On observe depuis quelques années, de nouvelles recherches consacrées aux institutions muséales et qui s’inscrivent dans la perspective, par exemple, de l’histoire, de la sociologie ou de l’anthropologie des musées et des patrimoines. Ces recherches sont rarement menées au sein des musées. Elles sont plutôt le fruit de chercheurs universitaires qui ont fait du musée leur objet d’étude.9
13C’est dans cette catégorie que se situe l’ethnologie du musée. La recherche, l’observation, la description et la contextualisation permettent d’analyser des problématiques complexes tout en révélant le point de vue des acteurs. Bien qu’elle se situe en marge d’une certaine muséologie classique, elle se retrouve tout à fait dans le champ des études en muséologie actuelle, un champ de recherche dynamique, multidisciplinaire et de plus en plus réflexif.
14Le tournant réflexif qu’a connu l’ethnologie au cours des dernières décennies a ouvert les recherches sur les musées d’ethnographie à une ethnologie du musée. De manière plus générale, un mouvement similaire s’est produit dans les études patrimoniales permettant également une ethnologie des patrimoines.10 Dès lors, le musée comme lieu d’interaction entre objets, professionnels et publics n’échappe pas à cette mouvance. L’ethnologue du musée invite alors le muséologue à poursuivre en ce sens.
15Par ce court texte, nous souhaitions démontrer que le musée, comme lieu de pratiques professionnelles, sociales et culturelles, est un environnement riche pour l’ethnologue. Or, il demeure que le musée, à la fois miroir et reflet de la société, s’affiche d’abord comme un objet multidimensionnel. Conséquemment, il faut assumer que l’ethnologie ne représente qu’un des angles possibles pour l’étudier. Elle ne propose qu’un regard; un regard orienté. Or, n’est-ce pas en conjuguant les multiples regards posés sur l’institution muséale qu’il sera possible de faire de la muséologie un champ de recherche, voire une discipline ou une science, dont la richesse dépassera la somme des études hétérogènes qui la compose?
Notes
1 Nous profitons de l’occasion que nous offre cette rubrique afin de remercier l’Université de Liège qui nous a accordé un subside de recherche pour doctorants étrangers. Merci plus particulièrement aux membres de son Séminaire de muséologie, André Gob, Noémie Drouguet et Marie-Aline Angillis, ainsi qu’à Marie-Claude Thurion et à toute l’équipe du Musée de la Vie wallonne qui nous ont accueillis pendant notre séjour. Nous tenons également à manifester notre reconnaissance au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour l’appui financier dont bénéficient nos recherches doctorales en muséologie, médiation et patrimoine à l’Université du Québec à Montréal.
2 Roland Arpin, « Au Musée de la civilisation : une pratique ethnologique sans filet de sécurité », dans Anne-Marie Desdouits et Laurier Turgeon, Ethnologies francophones de l’Amérique et d’ailleurs, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1997, p. 306.
3 Il s’agit d’une réflexion que nous menons depuis déjà quelques années et qui a débuté avec nos travaux de recherche dans le cadre d’une maitrise en ethnologie et patrimoine. Laurence Provencher St-Pierre, La collecte de l’objet contemporain : l’exemple du Musée de la civilisation de Québec, Mémoire de maitrise, Université Laval, Québec, 2012, 121 p.
4 Pour une analyse de la situation au Québec, lire notamment Yves Bergeron, « Le “complexe” des musées d’ethnographie et d’ethnologie au Québec, 1967-2002 », Ethnologies, vol.24, no 2, 2002, p. 47-77.; Yves Bergeron, « Naissance de l’ethnologie et émergence de la muséologie au Québec (1936-1945). De l’“autre” au “soi” », Rabaska : revue d’ethnologie de l’Amérique française, vol 3, 2005, p. 7-30.
5 Octave Debary, La fin du Creusot ou l’art d’accommoder les restes, Paris, Éditions du Comité des Travaux historiques et scientifiques, 2002, 189 p.; Octave Debary et Mélanie Roustan, Voyage au musée du quai Branly, Paris, La documentation Française, 2012, 72 p.
6 Laurier Turgeon et Élise Dubuc, « Musées d’ethnologies; Nouveaux défis, nouveaux terrains », Ethnologies, vol. 24, no 2, 2002, p. 5-18.
7 Laurence Provencher St-Pierre, « Collectionner le récent : le Musée de la civilisation et la collecte des objets contemporains », Actes du 12e colloque international étudiant du Département d’histoire de l’Université Laval, Québec, Artéfact, 2013, p. 25-43.
8 Lire notamment : Jacques Battesti (dir.), Que reste-t-il du présent? Collecter le contemporain dans les musées de société, Bayonne, Musée Basques et de l’histoire de Bayonne, 2012, 400 p.
9 Yves Bergeron et Jean Davallon, « Recherche : Regard et analyse », dans André Desvallées et François Mairesse (dir.), Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Colin, 2011, p.538.
10 Soulignons à titre d’exemple le projet « Pour une ethnologie des métiers du patrimoine » lancée en 2010 par le Ministère français de la Culture et de la communication. Lire également le numéro « Les nouveaux terrains de l’ethnologie », Culture et recherche, no 127, automne 2012.