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L’écomusée singulier et pluriel. Un témoignage sur cinquante ans de muséologie communautaire dans le monde, de Hugues de Varine
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Version PDF originale1Référence : de Varine Hugues, L’écomusée singulier et pluriel. Un témoignage sur cinquante ans de muséologie communautaire dans le monde, Paris, L’Harmattan, 2017, 296 p.
2Hugues de Varine (Metz, 1935) est un historien et muséologue français. En 1962, il devient sous-directeur du Conseil international des musées (ICOM). Lorsque Georges-Henri Rivière (Paris, 1897- Louveciennes, 1985)1 quitte son poste de directeur de l’ICOM, Hugues de Varine est, alors, nommé à la direction du comité. Il en fut le directeur de 1965 à 1974.
3Durant les années 1970, le monde muséal est en crise : la muséologie doit repenser ses buts ainsi que la relation entre les musées et le public, autrement dit : entre les musées et la société. Ce contexte particulier voit arriver la « nouvelle muséologie ». Hugues de Varine devient, en partie malgré lui, l’un des pères fondateurs de cette tendance ainsi que du tout nouveau concept d’écomusée.
4Hugues de Varine est connu pour plusieurs publications : il a écrit trois livres2 entre 1976 et 2002 ainsi que divers articles3 entre 1979 et 2000. La dernière en date, L’écomusée singulier et pluriel, dresse un panorama de l’histoire des écomusées. En effet, le premier chapitre (Avant l’écomusée, p. 15-35) place la muséologie des années 1960-1970 dans son contexte géopolitique, son contexte muséal et dans le contexte de la mondialisation. C’est dans ces contextes bien particuliers, marqués par le développement local, la décolonisation, l’éducation pour tous, etc. que naît le concept de l’écomusée.
5Deux évènements majeurs vont nourrir les débats, alors naissants, sur le rôle social du musée ainsi que sur sa place dans la société.
6Il s’agit, premièrement, en 1971, de la IXe Conférence Générale du Conseil International des Musées à Grenoble. Elle a pour thème : « Le Musée au service des Hommes, aujourd’hui et demain ». Hugues de Varine, souhaitant amorcer une nouvelle réflexion et remettre les musées de sciences naturelles au premier plan, consulte l’un des conseillers de Robert Poujade, alors ministre de l’Environnement en France (1971-2001). Le muséologue demande à ce dernier de faire le lien entre les musées de sciences naturelles et la nouvelle préoccupation mondiale à propos de l’environnement dans le discours qu’il doit prononcer lors de la Conférence. Poujade, qui trouve les musées ennuyants, refuse de les évoquer dans son discours. Après plusieurs tentatives, Hugues de Varine finit par forger le terme « écomusée » pour nommer ce nouveau concept unissant musées et environnement.
7D’un point de vue international, cette conférence a aidé à la reconnaissance du rôle social du musée, menant peu à peu à la reconnaissance de la nouvelle muséologie. Néanmoins, l’invention du mot « écomusée » n’a pas de conséquences immédiates. L’écomusée est, au départ, associé aux Parcs Naturels Régionaux (PNR) en France. L’une des premières définitions du mot est réalisée sous la supervision d’Hugues de Varine, en collaboration avec des experts : ils décrivent l’écomusée comme un musée spécifique de l’environnement. Cette définition, bien que correspondant à l’intention originelle de l’ICOM, est rarement utilisée et mentionnée. De son côté, Georges Henri Rivière réalise sa définition : l’écomusée est le lien entre une communauté et son territoire ; il explique, raconte, décrit l’histoire des relations entre la population et son lieu de vie. Cette seconde définition est plus souvent reprise que celle de l’ICOM.
8Le second évènement primordial est la Table Ronde de Santiago au Chili, en 1972. L’UNESCO avait alors demandé de l’aide à l’ICOM pour organiser une table ronde, à Santiago du Chili, à propos du rôle des musées dans la société contemporaine. Hugues de Varine, alors directeur de l’ICOM, et Raymonde Frin, qui travaillait pour l’UNESCO, ont décidé de faire appel à des intervenants latino-américains, des spécialistes de la question de l’éducation, de l’environnement, de l’agriculture en Amérique latine. La Table Ronde de Santiago au Chili a remis en cause les pratiques traditionnelles : elles favorisaient l’exportation de la muséologie européenne dans le reste du monde. Ils y ont rédigé la déclaration de Santiago qui revient sur la fonction sociale dans les musées.
9Après avoir posé les bases du concept écomuséal, Hugues de Varine s’attarde sur l’application pratique de l’écomusée dans divers pays, comme la France (L’écomusée à la française, p. 69-82), notamment, avec l’Écomusée du Creusot-Monceau, ou comme l’Italie (Voyages dans les écomusée italiens, p. 115-140) qui adopte, en 1990, l’écomusée comme modèle de gestion participative du patrimoine local. Hugues de Varine décrit dans son dernier livre l’utilisation des mappa di communità (carte du patrimoine communautaire). L’écomusée singulier et pluriel nous emmène faire un tour du monde des pratiques écomuséales.
10La notion d’écomusée est entièrement décortiquée dans le chapitre 8 (Ce qui fait l’écomusée, p. 173-221). L’auteur y réalise une synthèse issue de son expérience de terrain, néanmoins, il nous avertit que chacun peut inventer sa propre conception de l’écomusée ainsi que les moyens pour le mettre en œuvre. Il ne souhaite pas rendre ce chapitre scientifique ou, selon ses termes, universitaire. Cette section se donne l’opportunité de revenir sur les trois piliers communs à tout écomusée : le territoire, la communauté et le patrimoine. Elle amorce également la réflexion à propos de la différence entre la muséologie et l’écomuséologie, ainsi qu’entre la muséographie et l’écomuséographie.
11Hugues de Varine clôture son ouvrage par une réflexion sur l’avenir de l’écomusée (Quel avenir pour les écomusées ?, p. 239-269) : il y aborde les risques comme le risque économique, qui plane toujours au-dessus de ces institutions majoritairement tenues par des volontaires, militants et associations. Le muséologue nous évoque ensuite les tendances et les défis que rencontreront les écomusées. Nous pouvons citer pour exemple la tendance aux stratégies de réseaux et le défi que représente l’évaluation de l’utilité sociale de l’écomusée.
12En annexes de son livre, l’auteur nous offre une « bibliothèque écomuséale ». Il nous y propose les livres de sa propre bibliothèque, des lectures qui lui semblent pertinentes, même si elles ne se rapportent pas toutes directement aux écomusées. Hugues de Varine nous joint également, en annexes, le document stratégique des écomusées italiens.
13L’écomusée singulier et pluriel offre une vue d’ensemble de la notion d’écomusée, depuis les origines du terme jusqu’à son possible avenir, en passant par les éléments clés du concept. Néanmoins, l’ouvrage ne répond pas aux critères d’un véritable travail de recherches sur le sujet. Cette caractéristique est assumée par l’auteur : il accepte et revendique que son œuvre n’est ni scientifique, ni universitaire. Le recueil repose entièrement sur ses expériences personnelles. Dès lors, nous regrettons le manque de sources et travaux qui pourraient appuyer les propos d’Hugues de Varine. Il nous faut aussi rester vigilant à propos de la subjectivité de son témoignage.
14Nous constatons également les nombreuses répétitions au sein de l’ouvrage. Ces répétitions, Hugues de Varine affirme les avoir voulues afin de faciliter la lecture et, ainsi, éviter les retours en arrière. De plus, il apporte, sans prétention, une pédagogie à son livre en multipliant les exemples et les biographies de personnages clés.
15L’écomusée singulier et pluriel n’est pas un ouvrage scientifique comme on s’y attend habituellement. Néanmoins, l’expérience et les connaissances du muséologue sur le sujet sont importantes et légitimes. Cet ouvrage est un excellent résumé de l’aventure de l’écomusée. Hugues de Varine nous emporte avec lui dans les coulisses de cette expérience de nouvelle muséologie.
16Si vous êtes désireux d’en lire un peu plus à propos des écomusées, nous vous recommandons également la lecture de l’ouvrage Des musées en quête d’identité. Écomusée versus technomusée (Chaumier 2003). En effet, nous avons successivement lu les ouvrages d’Hugues de Varine et de Serge Chaumier4 : le second ouvrage nous a apporté du recul pour mieux aborder l’ouvrage d’Hugues de Varine.
17Dans son livre, Serge Chaumier aborde la théorie de l’écomuséologie d’un point de vue critique. Il revient sur différents concepts propres à l’écomusée comme l’initiative locale, le reflet du territoire, les ambitions du communautarisme ou encore la place des experts du musée dans ces institutions proches de la communauté. Sans véritable tabou, il cite ce qui est, selon lui, le bon, mais aussi le moins bon de l’écomusée. En plus de la théorie et des explications de Hugues de Varine, l’auteur traite également de celles de Georges-Henri Rivière : les deux muséologues ont donné deux définitions légèrement différentes sur le sujet (cf. supra).
18Toujours à propos des écomusées, Serge Chaumier est l’auteur de l’article suivant : « Les ambivalences du devenir d’un écomusée : entre repli identitaire et dépossession » (2000).
19Dans cet écrit, Serge Chaumier a pour but de montrer comment la professionnalisation et l’institutionnalisation des structures contraignent à repenser, redéfinir ou envisager l’abandon du concept d’écomusée. En effet, la rencontre et les échanges entre les bénévoles fondateurs et les professionnels du musée amènent souvent des incompréhensions et des tensions. Pour illustrer son article, Serge Chaumier se base sur un exemple concret : un site qu’il choisit de laisser anonyme. Ainsi, il peut exposer et décortiquer les divers points de vue et mécanismes.
20Entre autres choses, l’auteur nous rappelle, comme le fait Hugues de Varine dans le présent ouvrage, qu’il y a eu beaucoup d’utilisations abusives ou de glissements de sens à propos de l’écomusée. Certaines institutions en portent le nom sans incarner ses valeurs initiales : c’est le cas des écomusées du miel, des abeilles, etc. Ces établissements ne sont pas écomusée au sens originel du terme, ils ne sont pas des miroirs de la communauté locale. D’autres musées ne portent pas ce nom alors qu’ils sont proches des missions incarnées par l’écomusée. Il s’agit d’une remarque essentielle à prendre en compte lorsqu’on s’intéresse à l’écomusée.
21À nouveau, nous recommandons également la lecture de l’article de Serge Chaumier afin de pousser plus loin vos recherches et connaissances à propos de la théorie écomuséale.
Bibliographie
Chaumier Serge, 2000 : « Les ambivalences du devenir d’un écomusée : entre repli identitaire et dépossession », Publics & Musées, n° 17-18, janvier-juin/ juillet-décembre, p. 83-113.
Chaumier Serge, 2003 : Des musées en quête d’identité. Écomusée versus technomusée, Paris, L’Harmattan.
Chaumier Serge & Kurzawa Marie (dir.), 2019 : Le musée hors les murs, s. l., Les dossiers de l’Ocim.
de Varine Hugues, 1976 : La culture des autres, Paris, Seuil.
de Varine Hugues, 1979 : « Le musée peut tuer ou … faire vivre », Technique et architecture, n° 326, septembre, p. 82-83.
de Varine Hugues, 1979 : « L’exposition itinérante : moyen de communication, d’information, d’éducation », Revue archéologique de l’Oise, vol. 15 n° 2.
de Varine Hugues, 1991 : L’initiative communautaire : recherche et expérimentation, Mâcon, Éditions W/MNES, 1991.
de Varine Hugues, 2000 : « Autour de la table ronde de Santiago », Publics et Musées, vol. 17 n° 1, p. 180-183.
de Varine Hugues & Debary Octave, 2000 : « Un entretien avec Hugues de Varine », Publics et Musées, n° 17-18, p. 203-210.
de Varine Hugues, 2002 : Les Racines du Futur. Le patrimoine au service du développement, Lusigny-sur-Ouche, Édition Asdic.
de Varine Hugues, 2017 : L’écomusée singulier et pluriel. Un témoignage sur cinquante ans de muséologie communautaire dans le monde, Paris, L’Harmattan, 296 p.
Notes
1 Georges Henri Rivière était un muséologue français, il est le fondateur du Musée national des arts et traditions populaires à Paris en 1937. Il a joué un rôle considérable dans le développement de la nouvelle muséologie et dans le développement des musées d’ethnographie. Il fut également professeur de muséologie à l’université de Paris IV de 1970 à 1982.
2 de Varine Hugues, La culture des autres, Paris, Seuil, 1976 – de Varine Hugues, L’initiative communautaire : recherche et expérimentation, Mâcon, Éditions W/MNES, 1991 – de Varine Hugues, Les Racines du Futur. Le patrimoine au service du développement, Lusigny-sur-Ouche, Édition Asdic, 2002.
3 Nous pouvons citer comme exemples d’articles : de Varine Hugues, 1979 : « L’exposition itinérante : moyen de communication, d’information, d’éducation », Revue archéologique de l’Oise, vol. 15 n° 2. - de Varine Hugues, 1979 : « Le musée peut tuer ou … faire vivre », Technique et architecture, n° 326, septembre, p. 82-83. - de Varine Hugues, 2000 : « Autour de la table ronde de Santiago », Publics et Musées, vol. 17 n° 1, p. 180-183. - de Varine Hugues & Debary Octave, 2000 : « Un entretien avec Hugues de Varine », Publics et Musées, n° 17-18, p. 203-210.
4 Serge Chaumier est un sociologue français, spécialisé en muséologie. Il est professeur et chercheur à l’Université d’Artois à Arras. Il est également directeur du MEM (Master Expo-Muséographie) : il s’agit d’une formation pour les étudiants à propos de la muséologie et de la muséographie. Serge Chaumier est l’auteur de plusieurs publications dans le domaine culturel comme Chaumier Serge & Kurzawa Marie (dir.), 2019 : Le musée hors les murs, s. l., Les dossiers de l’Ocim.