- Accueil
- Numéro 4
- Carnet de visite
- Dans l’œil de bronze d’une civilisation mystérieuse : visite du nouveau musée archéologique de Sanxingdui
Visualisation(s): 18 (1 ULiège)
Téléchargement(s): 1 (0 ULiège)
Dans l’œil de bronze d’une civilisation mystérieuse : visite du nouveau musée archéologique de Sanxingdui

Document(s) associé(s)
Version PDF originaleTable des matières
1
Introduction
2La ville de Chengdu, dans la province du Sichuan, est peut-être plus célèbre auprès des touristes étrangers pour son parc de protection des pandas que pour ses musées. Pourtant, à la suite de découvertes archéologiques majeures faites depuis 20191, elle vient de voir ouvrir la nouvelle extension du musée de Sanxingdui initialement fondé en 1997. Cette réouverture s’est accompagnée d’un écho médiatique national certain2. La culture de Sanxingdui correspondrait à l’ancien royaume de Shu蜀 dont on sait peu de choses et qui aurait prospéré dans la région du Sichuan actuel pendant près de 1 000 ans, jusqu’au XIe siècle av. J.-C. environ avant de soudainement disparaître pour des raisons encore obscures. La sophistication et l’originalité des objets en bronze découverts sur le site de Sanxingdui témoignent d’une civilisation chinoise qui ne se serait pas développée de manière linéaire à partir d’un seul foyer (le fleuve Jaune et les cultures des Plaines centrales), mais qui serait issue de plusieurs centres culturels simultanés dotés de leur identité propre bien que nourris par des échanges.
3
4Le musée est situé au nord de la ville, à environ cinquante minutes en taxi. À l’approche du site archéologique, de larges avenues parées de drapeaux nationaux sont bordées d’immeubles résidentiels en construction. Les jeunes arbres récemment plantés laissent place, ici et là, à quelques sculptures urbaines aux couleurs vives donnant aux artefacts antiques un aspect contemporain et kitch. Le musée est incontestablement un argument touristique de choix pour la région. Avec une surface d’exposition de 22 000 mètres carrés et un investissement de plus de 1,4 milliard de yuans (196 millions de dollars), ce nouvel espace conçu par le cabinet d’architecture CSWADI3 expose donc depuis l’été 2023 plus de 1 500 artefacts provenant des dernières fouilles.
5
6Le grand hall4 est éclairé par une vaste ouverture horizontale telle une paupière s’ouvrant sur l’extérieur et dans laquelle serait logé un œil (figure 1). L’anneau circulaire suspendu au centre et orné de motifs antiques semble en être la pupille. Vers cet anneau s’élève la rampe circulaire qui permet d’accéder aux différents niveaux. Un parcours linéaire unique débutant au rez-de-chaussée ne laisse au visiteur que peu de chance de le prendre à contre-courant. L’exposition est divisée en trois parties : la première, « Pursuing Dreams in the Century » (Shiji zhu meng 世纪逐梦) est dédiée aux différentes étapes des découvertes archéologiques, la deuxième, « Majestic Capital of Ancient Shu » (Weiran wang dou 巍然王都) est consacrée aux développements de cette culture et la dernière, « The World of Humans and Gods » (Tiandi ren shen 天地人神) est centrée sur son monde spirituel. Cette division n’est toutefois pas très lisible pour le visiteur, ni sur la forme en raison de nombreuses sous-divisions stylistiquement similaires tout au long du parcours, ni sur le fond du fait de connaissances archéologiques encore hypothétiques concernant cette culture, son organisation sociale et ses croyances. Si la trame narrative n’est pas toujours claire, l’esprit du parcours l’est cependant. Il est aussi rythmé par une symbolique forte, celle de l’œil.
7

Figure 1. Hall du musée de Sanxingdui, Chengdu (Chine) © Daphné Sterk.
8
Dans les yeux des archéologues : une esthétique du discours scientifique
9Le musée dans son ensemble, par son discours et par sa communication, met l’accent sur les technologies scientifiques de pointe utilisées aussi bien par les archéologues au cours des fouilles que par les concepteurs de la muséographie dans leurs dispositifs de médiation. Les premières salles concernant la découverte du site de Sanxingdui dans les années 1920 adoptent cependant une approche traditionnelle afin de présenter les premières fouilles menées en 1934 conjointement par David Crockett Graham (1884-1961), missionnaire formé en anthropologie et en archéologie à Chicago et à Harvard, et le scientifique chinois Lin Mingjun. Le résultat de ces fouilles, notamment des jades et disques bi, fut exposé dans un des premiers musées d’art et d’archéologie de la région, le West China Union University Museum. Cependant, les découvertes les plus importantes eurent lieu entre 1986 et 2019. Les dispositifs utilisés pour présenter au public ces différentes étapes semblent suivre les évolutions techniques propres à chaque époque. Ainsi, sur les huit fosses sacrificielles découvertes à ce jour, les deux premières fosses fouillées en 1986 ont été reconstituées classiquement, grandeur nature, avec leur contenu, ces bronzes énigmatiques qui semblent émerger de la terre du Sichuan. Simultanément, des photographies prises lors de leur découverte sont projetées. L’ensemble donne une idée de l’état des artefacts lors de leur mise au jour et, malgré l’illusion du réel légèrement désuète bien que sobre procurée par ce diorama archéologique baigné de lumière, il véhicule plutôt efficacement ce sentiment de chaos laissé par le passage du temps, et qui soudainement s’échappe par ces vastes béances. Les fosses découvertes récemment sont, quant à elles, présentées par des technologies immersives particulièrement innovantes.
10

Figure 2. Serre-laboratoire avec technologie de visualisation 3D autostéréoscopique, musée de Sanxingdui, Chengdu (Chine) © Daphné Sterk.
11
12Dans une large serre-laboratoire vitrée (kaogu baohuqu dapeng 考古保护区大棚), identique à celles utilisées par les archéologues sur le site de fouille5, on voit miraculeusement s’élever dans les airs les défenses d’éléphant qui recouvraient la fosse K8 grâce à une technologie de visualisation 3D autostéréoscopique (sans lunettes). Le visiteur doit se positionner devant le dispositif pour une vision optimale des bronzes qui s’envolent ensuite, révélant l’ensemble du contenu de cette fosse, une des plus riches (figure 2). Cette technologie de reconstitution virtuelle en trois dimensions illustre parfaitement la volonté d’offrir au public une expérience plus « immersive » au sein des expositions muséales en Chine. Très intuitif, le dispositif fait sens. Il est sans aucun doute utile pour permettre de mieux visualiser le site de fouille dans son ensemble et le contenu de chaque fosse. Cependant, le caractère novateur de cette technologie semble parfois fasciner les spectateurs, non par ce qu’il donne à voir ou par ce qu’il essaie de dire, mais par son simple fonctionnement. Le spectaculaire, s’il attise la curiosité, dessert parfois le propos.
13
14Cette partie de l’exposition, offrant la recontextualisation nécessaire aux découvertes archéologiques, joue dans le même temps sur un imaginaire scientifique très fort dont un des objectifs est aussi de prendre acte des complexités de la pratique archéologique, érigée ainsi en discipline scientifique6. Les deux premières sections de l’exposition ne manquent pas de schémas et de graphiques expliquant la datation radiocarbone, les recherches en paléo-ethnobotanique, les processus de l’analyse par la spectroscopie infrarouge des résidus en soie, les subtilités métallurgiques de la fonte en bronze, la composition chimique des noyaux d’argile… Le recours aux tableaux scientifiques dont la lecture n’est pas toujours accessible plutôt qu’à l’explication textuelle, laisse un arrière-gout, l’impression visuelle, d’une scientificité théâtralisée bien qu’étant essentielle aux recherches. Cette esthétique du discours scientifique s’incarne aussi dans une muséographie de l’accumulation, ou de la « réserve », visible au début de la section intitulée « Majestic Capital of Ancient Shu ». Dans une vitrine aux proportions monumentales sont alignées plusieurs dizaines de poteries provenant du site de Sanxingdui (figure 3). La théâtralisation prend une forme plus poussée encore dans une des annexes du musée intitulée « Cultural Relic Conservation and Restoration Center » (文物保护修复中心) située dans le parc archéologique. Celle-ci passe d’ailleurs plutôt inaperçue auprès des visiteurs. On y découvre en arrière-plan la mise en scène d’un vaste laboratoire, qui ne semble pas utilisé très souvent et qui sert de décor pour présenter les techniques scientifiques de conservation et de restauration « prônées » par le président Xi Jinping (figure 4). L’espace crée une certaine redondance avec les explications déjà données au sein de l’exposition principale. La fatigue visuelle n’aidant pas, peu nombreux sont les visiteurs qui s’attardent sur les techniques de restauration des objets en or ou en bronze dont certaines sont pourtant éclairantes. On y découvre aussi le processus de l’impression 3D qui a été utilisé grâce à des algorithmes d’intelligence artificielle pour reconstituer des artefacts imposants ou trop fragiles qu’il était délicat de présenter dans leur ensemble, telle l’étonnante Statue de divinité en bronze au corps courbé, griffes d’oiseau et Zun sur le dessus (Qingtong niao zu qu shen ding zun shenxiang 青铜鸟足曲身顶尊神像) (figure 5). Cette volonté de « faire scientifique » s’accompagne de celle de faire du musée une expérience immersive et du patrimoine un objet numérique. Comme de très nombreux musées en Chine, le musée de Sanxingdui propose ainsi une expérience de réalité virtuelle (VR) afin de découvrir les artefacts au plus près des archéologues. Peut-être en raison du prix élevé du billet (environ 12 euros), l’attraction ne semble pas attirer les foules et à l’intérieur même du musée, des employés en font généreusement la promotion en distribuant des flyers. Cette expérience permet pourtant de survoler le site de fouille qui est encore inaccessible au public et mêle reconstitutions hypothétiques et travail quotidien des archéologues. Le musée affiche ainsi sa volonté d’être à la pointe de la recherche scientifique et technologique mais en choisissant dans le même temps de plonger le visiteur dans une obscurité propice à la délectation visuelle.
15

Figure 3. Vitrine de porteries, musée de Sanxingdui, Chengdu (Chine) © Daphné Sterk.
16

Figure 4. Annexe intitulée « Cultural Relic Conservation and Restoration Center » (文物保护修复中心), musée de Sanxingdui, Chengdu (Chine) © Daphné Sterk.
17

Figure 5. Statue de divinité en bronze au corps courbé, griffes d’oiseau et Zun sur le dessus (青铜鸟足曲身顶尊神像), musée de Sanxingdui, Chengdu (Chine) © Daphné Sterk.
18
Face aux yeux protubérants : objet mystique et regard esthétisant
19L’exposition, plongée dans la pénombre, confère aux artefacts exposés, dont on présuppose la dimension rituelle et religieuse, une aura mystique. Cette atmosphère est renforcée par l’éclairage choisi, qui met en valeur les traits marqués des visages figés dans le bronze. Le jeu d’ombres et de lumières ainsi mis en place souligne, derrière chaque vitrine qui s’oublie, l’indéniable beauté et la prodigieuse maîtrise technique de ces productions sophistiquées. Les séries des têtes aux coiffes variées (Portraits de têtes en bronze, qingtong ren touxiang 青铜人头像), dont les archéologues pensent qu’elles pourraient marquer les différentes classes sociales, occupent une large salle de la deuxième section et illustrent l’efficacité de ce choix esthétique (figures 6 et 7). Au sein de longues vitrines qui permettent d’apprécier les têtes en bronze de face et de dos, la lumière projetée simultanément vers le haut et le bas permet de faire se détacher les lignes puissantes et uniques de chaque visage, les traits anguleux, les yeux exagérés, les larges oreilles bien dessinées, les tresses nouées, et ces troublants sourires au coin des lèvres.
20

Figure 6. Vitrine de portraits de têtes en bronze (qingtong ren touxiang 青铜人头像), musée de Sanxingdui, Chengdu (Chine) © Daphné Sterk.
21

Figure 7. Portrait de tête en bronze, musée de Sanxingdui, Chengdu (Chine) © Daphné Sterk.
22
23L’aspect dramatique de l’éclairage se retrouve dans l’exposition des objets en or tel ce masque dont l’aura, prenant forme littérale, se fait halo : l’objet semble être la seule source lumineuse et rayonner de lui-même (figure 8). Comme si cette fascination prenait une tournure trop visuelle, on trouve aussi dans cette salle un bloc de jade que le visiteur est invité à toucher de la main7. La multisensorialité, est, en Chine comme ailleurs, une préoccupation perceptible des nouveaux musées archéologiques8. Si le musée réussit à plonger le visiteur dans une atmosphère singulière, c’est qu’il joue sur les qualités intrinsèques des artefacts découverts et notamment la proportion imposante de certains. La Grande statue en bronze d’une figure humaine debout (qingtong da li renxiang 青铜大立人像) est ainsi surélevée grâce à plusieurs socles et domine majestueusement le public de ses 2,62 mètres de haut et 180 kg (figure 9). Non seulement sa présence en est renforcée, mais cette disposition permet aux visiteurs de pouvoir l’observer convenablement. L’homme est représenté pieds nus, les doigts forment des cercles énigmatiques. Il se tient sur un socle de bronze préexistant de 78,8 centimètres de hauteur, orné de quatre trompes d’éléphant stylisés. Certains y voient quatre dragons entre la base et le piédestal. Les spécialistes pensent qu’il s’agirait d’un dieu ou d’un prêtre roi et c’est bien une atmosphère sacrée que cette scénographie, proche de la black box, parvient à instaurer. L’objet y prend toute la place, et ce n’est qu’à l’écart que sont projetées des reconstitutions permettant de mieux comprendre les ornements et cette énorme défense d’éléphant qu’aurait pu éventuellement tenir le personnage entre ses mains.
24

Figure 8. Masque en or, musée de Sanxingdui, Chengdu (Chine) © Daphné Sterk.
25

Figure 9. (à droite) Grande statue en bronze d’une figure humaine debout (qingtong da li renxiang 青铜大立人像), musée de Sanxingdui, Chengdu (Chine) © Daphné Sterk.
26
27Le choix de cette muséographie insistant sur la beauté des sculptures découvertes à Sanxingdui a le mérite de faire naître un sentiment d’intimité avec des œuvres dont les yeux semblent réclamer un face à face perpétuel. Chaque regard silencieux (l’environnement sonore du musée est par ailleurs peu développé), est doté d’une intensité dont les figures humaines des porteurs de l’Autel en bronze (qingtong shentan dizuo 青铜神坛底座), dont différentes parties ont été découvertes entre 2021 et 2022, sont peut-être les exemples les plus émouvants (figure 10). La subtilité de leur position, agenouillée, les deux mains prêtes à soulever la charge qu’ils portent, leurs muscles tendus et surtout le regard du porteur à l’arrière qui, la tête légèrement penchée vers le sol semble nous interpeller : c’est bien l’expressivité de chaque détail qui captive malgré l’exposition fragmentaire. Si les supports numériques sont les bienvenus afin de reconstituer ces œuvres en bronze aux compositions parfois complexes, aucune technologie virtuelle ne remplace cette présence, ces traces plus ou moins marquées du passage du temps qui donnent au bronze sa patine verte. Le visiteur, encore marqué par ces regards, arrive enfin devant les Masques aux yeux protubérants (qingtong zongmu mianju 青铜纵目面具) (figure 11). Largement diffusées depuis leur découverte, les images de ces bronzes sont sans aucune mesure avec l’impact laissé par leur rencontre réelle. Comme souvent, seule celle-ci permet de prendre la mesure d’une taille imposante : 138 centimètres de largeur et 66 de hauteur pour le plus grand d’entre eux. Découvert en 1986 dans la fosse nº 2, ce masque possède au milieu et sur les deux côtés du front des ouvertures rectangulaires qui suggèrent qu’il était attaché à une autre structure pour être exposé. Les archéologues pensent qu’il représente une divinité de haut statut, éventuellement une représentation de Can cong (蠶叢) qui aurait fondé le royaume de Shu et qui est décrit dans les textes anciens comme ayant des yeux anormalement saillants. D’autres objets en forme d’œil ont également été trouvés et pourraient suggérer un culte des yeux allié à un culte du soleil.
28

Figure 10. Autel en bronze (qingtong shentan dizuo 青铜神坛底座), musée de Sanxingdui, Chengdu (Chine) © Daphné Sterk.
29

Figure 11. Masques aux yeux protubérants (qingtong zongmu mianju 青铜纵目面具), musée de Sanxingdui, Chengdu (Chine) © Daphné Sterk.
30
Conclusion. Parmi les yeux des visiteurs : le problème de la surfréquentation
31Des graphiques et tableaux aux discours présentant les artefacts exposés dans l’obscurité comme étant des témoignages de « l’imagination romantique (langman 浪漫) et de l’extraordinaire créativité des ancêtres de la civilisation ancienne de Shu », le musée de Sanxingdui fait tenir en un seul lieu, esthétique scientifique et regard esthétisant. Si le propos manque parfois de fluidité et si les connaissances issues des recherches actuelles peuvent s’avérer légèrement dispersées dans leur présentation, l’exposition montre aussi l’état d’une recherche en train de se faire et qui, sur de nombreux points, reste parcellaire. La muséographie proposée joue sur ces inconnues qui se glissent dans la pénombre, tout en se servant des technologies comme autant de points lumineux pour éclairer le passé le plus ancien. La narration adopte un discours qui, certes, valorise la diversité des origines de la civilisation chinoise, mais dans un cadre qui maintient l’unité historique du pays. Plutôt que de remettre en question la centralité des Plaines centrales (zhongyuan 中原), elle met en avant une coexistence et des interactions entre différentes cultures régionales, qui auraient contribué ensemble à la formation de la Chine ancienne. Ainsi, sur le panneau didactique intitulé en anglais « cultural continuity » (wenhua chengji 文化承继), peut-on lire que « la région de Shu a contribué de manière importante à l’établissement d’une dynastie centrale unifiée » et sur un autre panneau intitulé « Coexistence of diversity » (duoyuan gongsheng 多元共生) que « les artefacts découverts à Sanxingdui, tels que les zun, les lei, les cloches et les plaques de bronze ; les zhang, les ge, les cong en jade, la poterie he, et plus encore, intègrent et mélangent largement des éléments culturels du fleuve Jaune et des cours moyen et inférieur du fleuve Yangtze […] Sanxingdui est un témoignage vivant de la nature inclusive et créative de la civilisation chinoise ». Au-delà des interprétations historiques données à la place de cette culture dans l’histoire chinoise, ce musée mérite d’être mieux connu en Europe. Comme pour nombre d’institutions muséales chinoises, le plus grand problème perturbant fortement l’expérience de visite est sans aucun doute celui de la surfréquentation. Malgré ce contexte qui peut être éprouvant, la scénographie parvient à engendrer l’émotion grâce à une exposition soigneusement rythmée des artefacts. Ainsi, le parcours se clôt sur l’Arbre sacré n° 1 (Yi hao qingtong shen shu一号青铜神树). Retrouvé en 1986 dans la fosse n° 2 en plusieurs centaines de fragments de bronze, il s’agit d’un arbre de 396 centimètres de hauteur. Sur les fruits des branches se tiennent neuf oiseaux9. La vitrine dans laquelle cet arbre a été reconstitué est la plus impressionnante (figure 12). Entièrement cylindrique et s’étendant du sol au plafond, elle permet au public d’en faire le tour. Si le nouveau musée de Sanxingdui pose plus de questions qu’il ne donne de réponses, il nourrit efficacement l’imagination et la curiosité par sa vision plurielle. Le double regard, qu’il propose – à la fois scientifique et esthétique – semble incarner la possibilité de dépasser l’ambiguïté du musée d’archéologie10 en tâchant de dépasser les dichotomies entre art et archéologie, regard esthétisé et compréhension contextuelle souvent opposés artificiellement.
32

Figure 12. Arbre sacré n° 1 (Yi hao qingtong shen shu一号青铜神树), musée de Sanxingdui, Chengdu (Chine) © Daphné Sterk.
Bibliographie
BAGLEY Robert W. (ed.), Ancient Sichuan: Treasures from a lost civilization, Princeton, Seattle Art Museum, Princeton University Press, 2001.
JIAO Tianlong et WANG Shengyu (ed.), Gazing at Sanxingdui: New Archaeological Discoveries in Sichuan, Hong Kong, Hong Kong Palace Museum, 2023.
KAESER Marc-Antoine, « La muséologie et l’objet de l’archéologie », Les nouvelles de l’archéologie, n° 139, 2015, p. 37-44.
SHERMAN Daniel, « Épilogue. Archéologie, musées et collections : questions de mise en scène », dans BOSCHUNG Dietrich, COLONNA Cécile, MATHIEUX Néguine et OUEYREL François (dir.), La Belle Époque des collectionneurs d’antiques en Europe 1850-1914, Paris, Hermann, 2022, p. 321 -334.
THOTE Alain (dir.), Chine. L’énigme de l’homme de bronze : Archéologie du Sichuan (XIIe – IIIe siècle avant J-C), Paris, Éditions Findakly, 2003.
Notes
1 Les découvertes ont été faites par une équipe conjointe d’archéologues du Sichuan Provincial Institute of Cultural Relics and Archaeology, de l’Université de Pékin et de l’Université du Sichuan.
2 Le musée de Sanxingdui, encore méconnu en France, est mentionné dans « The World’s Greatest Places of 2024 » du magazine Time.
3 Fondé en 1950, le China Southwest Architectural Design and Research Institute Corp. Ltd (en abrégé en CSWADI) est l’une des plus grandes sociétés de conception architecturale appartenant à l’État chinois.
4 Toutes les photographies illustrant cet article ont été prises par l’auteure en novembre 2024.
5 Les fosses 3 à 8 sont situées à côté des fosses 1 et 2 et sont toutes de forme rectangulaire. Quatre serres-laboratoires de protection ont été construites au-dessus pour maintenir une température et une humidité constantes pendant les fouilles.
6 SHERMAN Daniel, « Épilogue. Archéologie, musées et collections : questions de mise en scène », dans BOSCHUNG Dietrich, COLONNA Cécile, MATHIEUX Néguine et OUEYREL François (dir.), La Belle Époque des collectionneurs d’antiques en Europe 1850-1914, Paris, Hermann, 2022, p. 321-334.
7 À Sanxingdui, les découvertes ne se limitent pas aux bronzes. L’art du travail du jade y était également particulièrement raffiné. Les objets en jade se répartissent en plusieurs catégories, comprenant notamment les objets rituels, les outils et les parures personnelles. Parmi les formes rituelles les plus remarquables, on trouve des poignards et des haches, des disques bi et des tubes cong, qui témoignent de l’importance de ces objets dans les pratiques cérémoniales de la culture locale.
8 D’autres musées archéologiques récents, tels que le musée d’archéologie du Shaanxi (Shaanxi kaogu bowuguan 陕西考古博物馆) à Xi’an, ouvert en 2022, ou le musée archéologique de Chine (Zhongguo kaogu bowuguan 中国考古博物馆) à Pékin, inauguré en 2023, encouragent une expérience multisensorielle, invitant les visiteurs à écouter, toucher et interagir avec les objets exposés.
9 Dans la mythologie chinoise, il est dit que dix soleils se succédaient dans le ciel. Un jour, ils apparurent tous ensemble, menaçant de brûler la terre. L’archer mythique Yi, pour sauver l’humanité, tira sur neuf d’entre eux, les abattant un par un, afin de restaurer l’équilibre et d’éviter une sécheresse catastrophique. Les arbres « fusang » et « ruomu » sont parfois interprétés comme des symboles de cette légende solaire, marquant l’espace où le soleil effectue sa course.
10 KAESER Marc-Antoine, « La muséologie et l’objet de l’archéologie », Les nouvelles de l’archéologie, n° 139, 2015, p. 37-44.

