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- La Coopération de Shanghai. Conceptualiser la nouvelle Asie, par Pierre Chabal, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2019, 271 p. (ISBN : 9 782875 622167)
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La Coopération de Shanghai. Conceptualiser la nouvelle Asie, par Pierre Chabal, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2019, 271 p. (ISBN : 9 782875 622167)
1Cet ouvrage se trouve à l’intersection des Relations internationales et des études sur le régionalisme comparé, et traite de la construction de la « nouvelle Asie » au travers de la construction et l’évolution de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Il s’agit d’une monographie inédite qui se donne pour ambition de comprendre comment les Relations internationales évoluent dans un contexte d’après-guerre.
2L’enseignement majeur de cette recherche tient dans l’idée que les périodes d’après-guerre constituent des moments particuliers dans l’histoire dans le sens où les changements systémiques, dont elles sont porteuses, sont propices à l’essor de dynamiques régionales et, partant, à la régionalisation des affaires internationales. En témoignent les transformations encourues par l’Asie durant ces trente dernières années qui, plutôt que de sombrer dans une anarchie post-soviétique, est parvenue à se réinventer en épousant la voie de la coopération régionale et en donnant naissance à une « nouvelle Asie ». Le changement systémique que provoque le phénomène régional vaut tant pour l’Asie que pour l’ensemble de la planète. En d’autres mots, la refonte de l’ordre mondial dans l’après-guerre froide n’est ni celui de la fin de l’histoire, ni celui de l’universalisation de la démocratie de marché à l’occidentale, ni celui de la lutte des civilisations de type hungtintoniennes, mais celui de la multi-régionalisation du monde (p. 173).
3Le monde tout comme l’Asie se structurent ou s’organisent toujours davantage en régions, en témoignent l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) ; l’Association sud-asiatique pour la coopération régionale (SAARC), l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) ou l’Union économique eurasiatique (UEEA). Bien que le monde soit de plus en plus structuré par les dynamiques régionales, l’ouvrage démontre que ces dernières ne se développent pas de manière uniforme et que chaque projet évolue selon un contexte qui lui est propre. L’analyse comparative mobilisée atteste de l’existence d’une multiplicité de formes d’intégration et de coopération régionales. Pour ce faire, l’ouvrage a fait le choix de se concentrer sur l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). L’intention de l’auteur est de parvenir à conceptualiser la nouvelle Asie à partir de l’OCS. Celle-ci intègre les pays d’Asie centrale aux côtés des grandes puissances rivales (Chine, Inde, Russie, Pakistan) et a pour vocation de s’étendre toujours davantage vers d’autres pays d’Asie et d’Eurasie. Le premier mérite de cet ouvrage est de faire la lumière sur l’OCS qui est fort mal connue en Europe et plus particulièrement dans le monde académique francophone.
4La méthodologie privilégiée est triple. Tout d’abord, il s’agit de s’en tenir à la neutralité axiologique. Celle-ci permet à l’auteur d’évacuer toute interprétation eurocentrée et tout jugement de valeur vis-à-vis de l’objet étudié. Ensuite, bien que l’analyse se focalise plus particulièrement sur l’OCS, elle garde un œil sur les projets régionaux d’autres continents. En effet, l’auteur fait des « incursions » comparatives en se focalisant sur la nature et la dynamique (fonctionnement, accomplissements, limites) d’autres organisations régionales avec une attention particulière pour l’Union européenne (UE). L’analyse comparative lui permet de mieux saisir les spécificités de l’OCS ainsi que de démontrer que cette organisation ne reproduit pas un modèle de coopération extérieur et n’obéit pas à des règles occidentales. Enfin, la troisième méthode est de type « intermestic » dans le sens où l’ouvrage voit comment la dynamique de la politique interne aux États influe sur la nature et la construction de la région, et comment cette dernière contribue à la multilatéralisation des préférences nationales et partant au repositionnement régional de ses membres.
5Pour comprendre l’OCS, l’ouvrage octroie une place centrale à la réflexion théorique. Selon l’auteur, cela se justifie par le fait que « […] l’Asie […] change plus vite que l’observateur n’en a (souvent) conscience » (p. 50). La théorie lui permettrait donc de donner une intelligibilité à son objet d’étude ; ce qui amène l’ouvrage à appréhender l’OCS par approches théoriques successives. Cet exercice lui permet de démontrer les sérieuses limites de toute une série de théories de Relations internationales et d’en privilégier d’autres. Il écarte les approches fonctionnalistes, mondialistes et néo-marxiennes mais non sans retenir l’interprétation de l’économie-monde telle qu’élaborée par l’école des annales de Fernand Braudel. Ces approches, à l’exception de celle de F. Braudel, sont dans l’incapacité de comprendre la nouvelle Asie et sa place dans les Relations internationales. La démarche théorique développée par l’ouvrage pour expliquer le phénomène de l’OCS renvoie à une interprétation de type syncrétique dans le sens où elle cherche à construire une interprétation à partir de théories initialement considérées comme incompatibles et basée sur le réalisme structurel, l’interdépendance complexe et le transnationalisme. L’approche réaliste est celle qui permet de déceler le mieux les acteurs qui exercent un poids et qui jouent un rôle prépondérant dans la construction de la région. Contrairement à d’autres projets régionaux dans le monde, ce ne sont pas les institutions à caractère supranational ni les acteurs transnationaux qui déterminent le processus de l’OCS, mais bien l’État. Ce dernier ainsi que ses intérêts et sa préoccupation pour la sécurité se trouvent au cœur du projet régional asiatique. En outre, toute possibilité d’interventionnisme extérieur dans les affaires intérieures des États membres est catégoriquement bannie. Toutefois, l’auteur récuse le réalisme classique car seul le réalisme structurel (ou néoréalisme) est à même d’expliquer le passage de l’« État égoïste » à l’« État coopératif » en Asie. L’interprétation néoréaliste permet à l’auteur de démontrer que l’OCS constitue une organisation qui dépasse la logique réaliste traditionnelle du jeu à somme nulle, de l’équilibre des puissances propre au XIXe siècle et de la jungle des souverainetés de l’état de nature. L’OCS témoigne d’une réalité particulière, celle d’une Asie modelée par un système semi-institutionnalisé qui n’est ni tout à fait anarchique ni tout à fait hiérarchisé.
6Toutefois, l’ouvrage assume que l’OCS crée une dynamique exceptionnelle qui permet à des anciens ennemis de dépasser la logique de la confrontation pour mettre en place une coopération permanente, créant ainsi un ordre nouveau en Asie qui mêle des intérêts sécuritaires réalistes mais au service de dépendances mutuelles (énergétiques, logistiques et régulatrices). En d’autres termes, il y aurait un dépassement de l’anarchie qui s’illustre par un « intergouvernementalisme post-anarchique ». Mais pour pouvoir démontrer cela, l’auteur a besoin de sortir d’une simple interprétation stato-centrée, dépasser la démarche néoréaliste et mobiliser d’autres approches théoriques. Pour récuser l’idée que l’OCS est un phénomène éphémère et réversible, l’auteur se penche sur l’approche transnationaliste et de l’interdépendance complexe. Ceci étant, ces dernières ne sont pas mobilisées pour contester le rôle déterminant de l’État dans la construction de la nouvelle Asie, d’autant que l’ouvrage souligne avec emphase le caractère fort et autoritaire de l’État ainsi que son emprise sur la société, l’économie et sur le jeu des relations entre voisins. Le recourt à ces interprétations théoriques non-réalistes permet de saisir les enjeux ou les fléaux communs (terrorisme international, séparatisme territorial et extrémisme politique) qui guettent tous les États de la région et de voir comment ils façonnent les préoccupations de la coopération régionale et alimentent l’essor d’un esprit commun de bon voisinage (« esprit de Shanghai ») (p. 123).
7L’ouvrage de Pierre Chabal est extrêmement intéressant, captivant et fouillé. Il repose sur une bibliographie multilingue impressionnante de plus de 40 pages. En outre, la réflexion qui est proposée sur la nouvelle Asie par l’intermédiaire de l’étude de l’OCS est stimulante et rafraichissante d’autant qu’elle propose une lecture originale et différente de celle à laquelle la littérature spécialisée est habituée. La recherche est bien amenée et repose sur une solide maîtrise du débat théorique en Relations internationales. Par ailleurs, la connaissance du terrain de l’auteur est particulièrement fine. Il s’agit d’une contribution conséquente à la discipline. Elle enrichit substantiellement la littérature scientifique existante sur le phénomène des dynamiques régionales ainsi que sur l’OCS qui demeure un projet régional peu ou mal connu, pour le moins en Europe. Il s’agit donc d’une recherche qui est la très bienvenue.
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Over : Sebastian Santander
Sebastian Santander, professeur ordinaire, directeur du Center for International Relations Studies (cefir), directeur de la revue Journal of Cross-Regional Dialogues (JCRD)/Revue de Dialogues Inter-Régionaux (RDIR) et président du Département de Science politique de l’Université de Liège (ULiège), Belgique.