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Ardijan Sainovic & Liridon Lika

Les contestations de l’ordre international en théorie et en pratique

(3/2022 - Special Issue - New Perspectives on the International Order in the 21st Century)
Article
Open Access

Résumé

Cet article introductif développe le cadre théorique et l’argument central de ce numéro spécial. Après avoir présenté les débats actuels dans la littérature dans un contexte mondial mouvementé par la guerre en Ukraine, il se concentre sur l’analyse des types de formes que prennent les contestations de l’ordre international au XXIe siècle. À un niveau général, les contestations de l’ordre peuvent varier en fonction d’un certain nombre de dimensions, selon que les défis proviennent d’acteurs étatiques ou non-étatiques, qu’ils soient externes ou internes à l’ordre. Cet article introductif s’attache également à étudier le processus par lequel un ordre international peut être contesté et les conditions nécessaires pour qu’il se transforme. En outre, ce chapitre explique la pertinence, les objectifs, et la méthodologie de ce numéro spécial. Il soutient que malgré les contestations, l’ordre international libéral (OIL) se maintient en place, résiste et se transforme. La dernière section de l’article donne un bref aperçu des articles successifs du présent numéro spécial.

Index de mots-clés : ordre international libéral, grandes puissances, gouvernance globale.

Introduction

1La période actuelle est marquée par l’augmentation des doutes sur l’avenir de l’ordre international libéral (OIL). L’invasion de l’Ukraine par la Russie pose la question de savoir si le retour de la guerre en Europe signale le déclin de l’OIL accéléré au début des années 1990 avec la fin de la guerre froide, ou, au contraire, si cet événement constitue un moment opportun pour son renouvellement. Certains y voient le retour des rivalités de puissance, des sphères d’influence, du nationalisme (Mearsheimer, 2019) ; tandis que d’autres insistent sur la rapidité et la vigueur de la réponse occidentale à l’encontre de la brutalité de la guerre par la Russie (Way, 2022). Ils y voient un tournant et un renouveau de l’OIL marqué ces dernières années par des divisions et des flottements (Ikenberry, 2018, 2020). Cette guerre ne concerne pas seulement le futur de l’Ukraine : elle met en exergue les luttes pour l’avenir de l’ordre international. Au moins deux visions se font face. La première, occidentale, fondée sur l’ouverture et le multilatéralisme, promouvant la démocratie libérale et ancrée sur les États-Unis, l’Union européenne (UE), l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et le Groupe des sept (G7). Ce modèle promeut un système global avec ses institutions, ses alliances, ses partenariats afin de générer de la croissance économique, de la sécurité et une protection des valeurs démocratiques. Un autre modèle lui fait face, représenté par la Russie et, dans une certaine mesure, par la Chine, post-occidental et post-libéral, construit autour des sphères d’influence, faisant écho aux empires du passé, en vue de rendre le monde plus favorable aux régimes autoritaires (Owen, 2021).

2Plusieurs facteurs permettent d’établir que l’avenir de l’OIL est moins sombre qu’il n’y paraît. La violation des normes internationales à travers la conquête territoriale par la Russie a renforcé la détermination et l’unité des États-Unis, de l’UE et de leurs alliés démocratiques afin de lutter pour l’OIL. L’échec de l’intervention militaire de la Russie en Ukraine peut contribuer à l’affaiblir et constituer dès lors un frein à l’attractivité d’un ordre alternatif et à sa capacité de le promouvoir. En ce sens, des études tendent à montrer que d’autres États révisionnistes, tels que la Chine, perçue comme le principal peer competitor, montent moins en puissance, voire déclinent, ce qui ne les rend pas moins dangereuses pour autant (Brands et Beckley, 2022).

3La guerre en Ukraine est le dernier épisode, certes le plus violent, des luttes qui impactent l’ordre international. Il demeure que cela fait au moins une décennie que l’OIL est défié de multiples manières : à côté de l’essor d’États avec des régimes autoritaires et des pratiques illibérales, s’accroissent différentes formes de contestation au sein même des principaux États-membres par des mouvements anti-mondialistes, populistes et/ou nationalistes. En parallèle, la pandémie de la Covid-19 ou le changement climatique participent à produire d’autres types de défis pour l’OIL (Lake et al., 2021, p. 225).

4Aujourd’hui le concept d’ordre international est omniprésent dans les discours relatifs aux affaires internationales. D’abord chez les décideurs en politique étrangère. Alors que d’un côté, Emmanuel Macron alerte régulièrement sur la fracture profonde de l’ordre mondial (Boiteau, 2022), et que Barack Obama estimait déjà en 2010 que l’un des principaux piliers sur lesquels repose la grande stratégie des États-Unis doit inclure la nécessité de « façonner un ordre international qui relève les défis de notre génération » (Obama cité dans Lascurettes, 2020, p. 1), de l’autre côté, la Chine « propose ses propres idées et initiatives pour améliorer le système de l’ordre international » (Fu Ying cité dans Rapp-Hooper et al., 2019). Le débat sur l’ordre international revêt un enjeu particulièrement important pour les futures générations et s’étend au-delà du milieu universitaire. À ce stade, il est difficile d’envisager la trajectoire de l’ordre international actuel : est-ce que la compétition entre grandes puissances se fera dans le cadre de l’ordre existant ou que les visions concurrentes participeront-elles à son explosion ? Les évolutions seront-elles limitées ou radicales ? Ces questionnements ont contribué à faire de l’ordre international – bien que décrié (Glaser, 2019) – un concept clé dans l’étude des Relations internationales (RI). Tout en ayant pris une place centrale dans le débat académique, l’ordre international demeure encore à la fois insaisissable et quelque peu sous-étudié.

Comment définir l’ordre international ?

5À l’instar de la théorie systémique en science politique (Easton, 1957), le concept d’ordre international implique à la fois un input et un output. Le dernier renvoie à certaines régularités, prévisibilités, à des attentes, à un modèle régulier de comportements et d’intentions. Shiping Tang (2016) définit l’ordre comme « le degré de prévisibilité de ce qui se passe au sein d’un système social ». Alexander Cooley et Daniel Nexon (2020) insistent également sur « des modèles relativement stables de relations et de pratiques dans la politique mondiale » pour définir l’ordre. Kyle M. Lascurettes (2020, p. 6) dans son ouvrage innovant sur les sources de l’ordre international, le définit comme « un modèle de comportement perpétuant l’équilibre entre les unités d’un système ». Il insiste d’ailleurs sur cette base de référence utile entre les définitions récentes de l’ordre international : l’ordre implique la régularité et un certain degré de prévisibilité (Lascurettes et Poznansky, 2021). L’ordre international est parfois compris comme « […] un système, voire une ‘société’ dont les acteurs ou les unités les plus importantes sont les États-nations » (Bertrand, 2004, p. 99). Le réalisme classique assimile l’ordre à la paix, ou plutôt à « l’état du système international momentanément à l’abri d’une guerre générale » (Battistella, 2004a, p. 91, voir également le chapitre sur le réalisme de Battistella et al., 2020, pp. 121-168). Cette définition réductrice passe à côté de l’essentiel. À un niveau élémentaire, l’ordre implique certes des relations structurées entre unités (Lake et al., 2021, p. 228). Elles sont généralement basées sur des règles et normes, sur les réseaux, les institutions et/ou lois internationales. L’ordre est dès lors caractérisé, en input, par des règles, des normes et des procédures de prise de décision. Il est soutenu par l’action coordonnée des acteurs étatiques et non-étatiques. En ce sens, l’ordre implique à la fois une certaine prévisibilité dans le comportement des acteurs, mais aussi des règles, des normes et des institutions communes entre eux. Nous pouvons partir de ces éléments pour définir l’ordre international comme un ensemble de comportements et de pratiques entre acteurs d’un système, fondés sur des règles et principes, dénotant un schéma régulier d’intentions.

6Il est nécessaire de préciser certains éléments analytiques avant toute étude sur les ordres internationaux. D’abord, un désaccord porte sur le caractère inclusif ou exclusif des ordres. Alors que pour Lascurettes (2020), les puissances étatiques promeuvent les règles et institutions en vue d’exclure les rivaux et les États menaçants, et que John Ikenberry (2001) se focalise davantage sur les origines consensuelles des ordres1, ces derniers dans les faits incluent aussi bien qu’ils excluent. Par exemple, l’OIL est en principe ouvert à tous, mais dans les faits, seuls ceux qui en respectent les règles peuvent le joindre2. Ensuite, les ordres sont socialement construits. Battistella (2004b, p. 86) le rappelle avec force : « la préférence normative donnée à un ordre révèle forcément sa nature de réalité politiquement construite ». De plus, il est utile de rappeler que les ordres internationaux ne sont jamais neutres : ils incarnent des intérêts matériels et normatifs figés dans les pratiques et institutions (Lake et al., 2021, pp. 247-248).

7Historiquement, le monde a expérimenté plusieurs ordres qui se sont souvent superposés : le nouvel ordre n’a pas complètement supprimé les règles d’un ordre précédent (Lake et al., 2020, pp. 228-229). Les normes promues par l’ordre libéral coexistent par exemple avec un principe clé de l’ordre westphalien qu’est l’autorité ultime des États sur leurs territoires. En ce sens, les vainqueurs de la guerre de Trente ans ont conçu des règles d’État souverain pour saper l’autorité universaliste du Saint Empire germanique et de la papauté ; le Concert européen a été initialement organisé pour protéger les monarchies des États révolutionnaires émergents. Les idées d’ordre promues par Woodrow Wilson après la Première Guerre mondiale s’opposaient aussi aux idéaux de la révolution bolchévique. Enfin, la vision d’ordre post-1945 faisait face aux défis posés par les fascistes et les rivaux communistes3.

8Cet ordre est aujourd’hui libéral car il repose sur des principes et normes qui relèvent du libéralisme politique et économique. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont favorisé un ordre hégémonique libéral, défini selon trois dimensions : la gouvernance politique libérale défendant une architecture démocratique protégeant les droits individuels ; le libéralisme économique en encourageant les échanges économiques libres au sein et au-delà des États, et l’intergouvernementalisme libéral via les institutions multilatérales et les autres formes de coopération intergouvernementale (Cooley et Nexon, 2020).

9Les règles sont toujours écrites par un acteur – les États puissants généralement – dans un but précis, à savoir contrôler le comportement des autres. Pour cette raison, l’OIL a toujours été défié. Les sociétés occidentales et non-occidentales contestent aujourd’hui précisément ces principes. Néanmoins, certaines critiques insistent sur les contradictions de l’OIL : notamment sur son fonctionnement pas toujours international ou son caractère libéral. L’OIL n’a pas permis à ce jour une adhésion universelle durable de l’ensemble du système international. Un retour à l’histoire récente, démontre que la principale puissance à l’origine de la mise en place de l’OIL – les États-Unis – n’a pas toujours agi en conformité des principes qu’elle a œuvré à promouvoir. En 1971, la fin du régime monétaire de Bretton Woods par une décision de l’administration Nixon a pu surprendre par son unilatéralisme (Lake et al., 2021, p. 234). Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis se sont retirés de nombreux accords, institutions et régimes internationaux (Cooley et Nexon, 2020). Plus récemment, sur la réponse au Covid-19, de nombreux pays, pris de panique et insuffisamment préparés, ont dû prendre des mesures radicales, contraires aux valeurs de la démocratie libérale, fermant les frontières, restreignant les échanges, confinant les populations. Certains leaders politiques, à l’instar de Viktor Orban en Hongrie, ont instrumentalisé la crise pour accentuer la dérive autoritaire (Rupnik, 2020).

10Les internationalistes se sont principalement intéressés à la manière dont les ordres sont formés et maintenus. Plusieurs vagues ont traversé les études sur les ordres internationaux. La première génération a été lancée avec les travaux innovants de Robert Gilpin (1981) et Kenneth A. Organski (1968), théoriciens réalistes, sur la montée et le déclin de l’ordre hégémonique, puisant leurs sources chez Thucydide ou Edward Hallett Carr (1940), pour qui la capacité matérielle des États façonne in fine l’ordre international. De leur point de vue, la montée et le déclin des puissances étatiques dicte le destin des ordres internationaux : l’ordre découle ainsi des relations de puissance. À partir des années 1990, une deuxième vague d’analyses se concentre sur la compréhension plus spécifique des ordres hégémoniques. L’idée est de saisir comment les États établissent l’autorité et la légitimité de leur puissance ainsi que la manière dont ils l’exercent. David Lake (1993, 2009) développe un travail révolutionnaire sur les hiérarchies pour étudier la persistance des asymétries de pouvoir. Dans la continuité, Ikenberry (2001) invoque cette logique contractuelle fonctionnaliste pour expliquer la position dominante des États-Unis en tant qu’hégémon dans l’OIL. Dans la continuité de Gilpin, ces approches ont abordé plus étroitement les variations entre les ordres historiques, sur la manière dont les ordres d’autorité ont été établis et maintenus (Lake, 2009 ; Ikenberry, 2001, 2012, 2014). Plus récemment une troisième vague d’études a émergé, qui cherche à développer un cadre théorique plus fin pour expliquer les motivations et les objectifs qui poussent les États puissants à promulguer de nouveaux principes de l’ordre (Ikenberry et Nexon, 2019 ; Lascurettes, 2020). Stacie E. Goddard (2018, 2019) s’est penchée sur les stratégies de légitimation des grandes puissances. Revenant à une perspective réaliste, Lascurettes (2020), développe des arguments pour comprendre comment les États structurent dans le temps les règles et institutions pour contrebalancer les menaces et émousser les ambitions révisionnistes des grandes puissances rivales. Ces travaux font écho aux nécessités de comprendre comment la politique américaine évolue face à la montée en puissance de la Chine qu’elle perçoit comme principale menace. D’autres recherches se sont penchées plus spécifiquement sur les contestations de l’ordre international. Dans le livre Exit from Hegemony, Cooley et Nexon (2020) développent une approche intégrée pour étudier la montée et le déclin des ordres hégémoniques à partir des contestations des normes existantes et la construction de nouvelles sphères d’ordres internationaux par les puissances rivales, du positionnement stratégique des États secondaires, ainsi que des mouvements transnationaux de contre-ordre. En ce sens, à l’été 2021 des articles du numéro spécial de la revue International Organisation se sont attachés à étudier en profondeur les différentes formes que prennent les contestations de l’ordre international (Lake et al., 2021). D’autres études se sont intéressées au résultat de la contestation sélective de la Chine sur l’ordre régional en Asie de l’Est (Dian et Meijer, 2020). D’autres recherches encore se sont penchées sur le rôle de l’UE dans le système international en s’engageant dans les débats sur l’acteur international pour mieux comprendre comment le pouvoir s’exerce aux niveaux mondial et régional, dans un contexte de contestation de l’OIL (Freire Raquel et al., 2022).

11Dans le prolongement, ce numéro spécial prend au sérieux les évolutions à l’œuvre et se propose d’en étudier les ressorts des contestations. Dans ce qui suit, nous développons le cadre théorique et l’argument central du numéro spécial sur les contestations de l’ordre international.

Types de contestations de l’ordre international

12Quelles sont les forces les plus responsables de la contestation d’un système d’acteurs en tant qu’état de l’ordre ? Nous pourrions classer et différencier les contestations en fonction de deux critères fondamentaux : selon qu’il s’agisse d’acteurs étatiques/non-étatiques ou selon qu’ils soient extérieurs/intérieurs à l’ordre promu.

13D’abord, les ordres sont-ils contestés de l’extérieur par des acteurs mis à l’écart du processus ou qui manifestent une insatisfaction sur la manière dont ces derniers fonctionnent ? Ou sont-ils contestés de l’intérieur, par le ou les acteurs qui ont contribué à leur mise en place et à leur maintien ? Alors que l’établissement d’ordres internationaux peut, dans certains cas, être le résultat agrégé des interactions de nombreux acteurs qui contribuent subséquemment à ce que des ordres spontanés émergent (Lascurettes et Poznansky, 2021), leur contestation découle de comportements intentionnels : elle est le produit de l’intention délibérée d’au moins un acteur de les contester.

14La réunion de ces dimensions produit quatre idéaux-types de l’explication des contestations de l’ordre international. Rappelons que la réalité est toujours plus complexe. Les quatre dimensions interagissent de manière dynamique. La distinction interne/externe et acteurs étatiques/non-étatiques est souvent délicate. Durant la guerre froide, l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) contestait certes l’OIL de l’extérieur, mais elle alimentait aussi les contestations internes en apportant soutien politique et financier aux partis politiques communistes en Occident. La Russie d’aujourd’hui renoue avec ces pratiques, à la différence que désormais elle cherche appui auprès des mouvements de droite et d’extrême droite, nationalistes et populistes. D’ailleurs, la plupart des contestations sur l’OIL proviennent aujourd’hui des politiques et idéologies de droite et d’extrême droite, notamment dans les pays occidentaux. Par le passé, les défis principaux provenaient davantage de la gauche (comme par exemple le Nouvel ordre économique international (NOEI) poussé par les pays non-alignés depuis les années 1970, ou les manifestations contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (Lake et al., 2021, p. 235). Par ailleurs, les dernières décennies ont vu une croissance rapide en nombre et en diversité des acteurs non-étatiques impliqués dans la contestation de l’ordre international (Bertrand, 2004 ; Eilstrup-Sangiovanni et Hofmann, 2020, p. 1084). En fonction de leurs activités, ils peuvent constituer un défi pour l’ordre international. Les acteurs non-étatiques agissent à la fois à l’intérieur des États et en mouvements transnationaux (Orsini et Compagnon, 2013). Ceci étant, la prolifération de ces acteurs n’occulte pas le rôle central joué par les ressources de la puissance dans l’évolution de l’ordre international : elles constituent le principal moyen pour les acteurs d’exercer une influence sur la scène internationale. À ce jeu, les États ont encore une large longueur d’avance. Ils sont toutefois tenus de prendre en compte cette nouvelle réalité dans la politique internationale. Les initiatives non-étatiques peuvent à la fois renforcer les autorités étatiques qui contestent l’ordre international, et aussi contribuer au changement des politiques internationales à l’intérieur des États qui le soutiennent à l’origine.

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15Le premier type de contestation de l’ordre international est celui qui concerne les acteurs étatiques extérieurs. Le cas de la Chine mobilise le plus d’attention. D’ailleurs deux articles du présent numéro abordent la complexité de l’activité internationale de la principale puissance rivale qu’est la Chine, pour comprendre ses intentions et ses actions, ainsi que son impact sur l’ordre international. Plusieurs caractéristiques du statu quo semblent insatisfaisantes pour la Chine : le statut de Taiwan, les revendications d’une demi-douzaine de pays sur des morceaux de territoire que la Chine considère lui appartenant, les alliances militaires entourant le littoral chinois, ou encore l’accès aux ressources vitales. Au-delà de la Chine, les contestations étatiques extérieures proviennent d’acteurs insuffisamment intégrés dans l’ordre existant. Leur point commun est souvent leur régime politique, non-démocratique et l’absence de tendance à la démocratisation. Ces acteurs sont plus à l’aise avec les normes de la souveraineté étatique et la non-interférence dans les affaires internes des autres États.

16Le deuxième type de contestation provient de l’intérieur par les principales puissances qui ont contribué à la création et au maintien de l’ordre international. Le retrait et la contestation de ces acteurs de l’ordre peuvent avoir des fondements idéologiques (menace leurs intérêts propres) et/ou sécuritaires (ne permet plus de neutraliser les menaces extérieures). L’OIL engendre lui-même la résurgence du populisme et du nationalisme dans les membres de l’ordre, exacerbant les gagnants et perdants de la globalisation ; le libéralisme crée les propres moyens de sa subversion de l’intérieur. Le libéralisme défie la notion d’identité nationale chère aux nationalistes et populistes (Lake et al., 2021, pp. 235-238). L’arrivée au pouvoir de Trump a engendré un retrait sans précédent des États-Unis d’accords ou d’institutions internationales ou de régions. Or dans la littérature sur les transitions de puissance, pour qu’un ordre hégémonique existe, il est nécessaire qu’un acteur dominant ait la volonté et la capacité (c’est-à-dire être un véritable hégémon) pour imposer l’ordre aux subordonnés (Goh, 2013).

17Le troisième et quatrième type de contestation provient d’acteurs non-étatiques, intérieurs et extérieurs. À l’intérieur des États membres de l’ordre, les contestations proviennent des forces infra-étatiques, les partis politiques, les sociétés civiles, les entreprises, les mouvements identitaires, etc. Les études en RI se sont principalement concentrées sur la manière dont les ordres sont modifiés par les changements systémiques (le déclin d’un hégémon désireux et capable de maintenir l’ordre…), mais peu se sont penchées sur la capacité des forces internes des États membres à défier l’ordre international : les idéologies, l’organisation nationale des intérêts particuliers ou les intérêts économiques des groupes nationaux. Ce numéro prend au sérieux l’impact de la politique intérieure sur l’ordre international en y accordant une attention considérable. Trois articles du présent numéro – respectivement les articles de Pierre-Yves Cadalen, Dealan Riga et Moïse Tchingankong Yanou – mobilisent directement les interactions entre États et des forces nationales dans l’analyse des contestations de l’ordre international. La littérature académique en RI n’est pas encore suffisamment à l’aise avec la prise en compte de ces développements, à l’exception des travaux sur les mouvements sociaux transnationaux (Keck et Sikkink, 1998 ; Smith, Chatfield, and Pagnucco, 1997 ; Risse-Kappen, 1995a, 1995b ; Sikkink, 1993). À ce sujet, les mouvements transnationaux sont difficilement classifiables dans un camp : nous avons choisi de les classer dans la catégorie d’acteurs non-étatiques extérieurs en raison de leur action directe sur la scène internationale, mais force est de reconnaître qu’ils puisent souvent leurs sources à l’intérieur des États. Il peut s’agir d’individus comme d’organisations (firmes, entreprises, multinationales, organisations non-gouvernementales (ONG), mouvements d’extrémisme violents, le crime organisé), qui agissent sur la scène mondiale et échappent au moins partiellement à l’action médiatrice des États.

Contestations et changement d’ordre

18Les ordres peuvent évoluer, changer, se transformer ou s’effondrer. Le changement d’ordre – à l’instar du changement de régime politique – peut suivre deux modèles : le premier révolutionnaire, brutal ; le second, évolutif, progressif (Lascurettes et Poznansky, 2021). Le changement révolutionnaire correspond à un changement soudain et dramatique, en réponse à un choc massif, suite à une guerre systémique et à un déplacement du système. Le changement évolutif de l’ordre correspond à des « ajustements progressifs continus dans le cadre du système existant » (Gilpin, 1981, p. 11). Les ordres évolutifs se caractérisent par de lents mouvements qui s’accumulent au fil du temps, induisant des changements plus subtils, aussi bien dans le cas d’une transformation d’ordre que d’un effondrement.

19Nous l’avons esquissé, les contestations de l’ordre international se sont accentuées depuis quelques années : cela conduit à un ordre plus fragmenté avec des évolutions complexes. L’ordre est contesté dans le sens où des actions compétitives cherchent à modifier les éléments constitutifs, les relations étant de moins en moins coopératives avec des règles intégrées. L’ordre est défié par d’autres institutions et normes avancées par des acteurs étatiques et non-étatiques. Les contestations décrivent ces stratégies et situations changeantes : les stratégies utilisées par les acteurs ont pour but de modifier l’ordre existant, en proposant des normes et institutions incompatibles. Les contestations de l’ordre se produisent lorsque les États et les acteurs non-étatiques déplacent leurs intentions en créant les conditions pour qu’un nouvel ordre concurrence celui existant. Cela implique toujours un conflit entre les règles, les pratiques institutionnalisées, ou les missions entre institutions.

20À l’origine de toute contestation se situe l’insatisfaction des acteurs à l’égard de l’ordre international existant. Cela ne conduit pas nécessairement à la contestation de l’ordre dans son ensemble, mais plutôt à la contestation de certains aspects de celui-ci. Le mécontentement ne conduit pas nécessairement les acteurs à des options de sortie, mais parfois à des stratégies de contrôle et de perversion des institutions de l’ordre existant. En ce sens, ce qui caractérise la contestation c’est une situation dans laquelle l’insatisfaction d’un ou plusieurs acteurs à l’égard de l’ordre existant conduit à déplacer le centre de l’activité vers le défi de l’ordre avec la mise en place de règles et pratiques différentes, qui sont en conflit et/ou visent à modifier sensiblement les règles et pratiques de l’ordre existant. Les États faibles et acteurs non-étatiques – en raison de ressources plus faibles – sont moins capables de contrer efficacement les ordres existants, ce qui les conduit souvent à mettre en place des politiques contestataires pour faire évoluer l’ordre existant. Tandis que les États le plus puissants ont davantage d’options à cet égard, et peuvent envisager des actions plus unilatérales, bilatérales, ou multilatérales.

21En principe, le mécontentement des acteurs vis-à-vis de l’ordre international est généré par des changements exogènes dans l’environnement global ou dans les préférences des acteurs. Cela peut résulter des pressions sur les États exercées par des intérêts nationaux, des institutions, ou des mouvements transnationaux, voire par des événements inattendus. Parfois les insatisfactions peuvent être générées de manière endogène par des pratiques enracinées de l’ordre international. Les acteurs insatisfaits cherchent à renforcer leur prédominance, matérielle ou idéelle, dans la longévité. La contestation des règles et institutions peut résulter de tentatives de mettre en place des éléments de l’ordre international plus étroitement liés à des préférences internes (institutions, croyances et idéologies). Si les acteurs insatisfaits sont incapables de changer l’ordre, alors la contestation de l’ordre devient réelle et parfois durable. Des acteurs disposant de suffisamment de ressources peuvent contribuer à rendre crédible le changement d’ordre : s’ils mobilisent suffisamment de ressources de l’influence, alors des évolutions de l’ordre peuvent être observées, prenant davantage en compte leurs revendications. Si, en revanche, les acteurs insatisfaits ne sont pas crédibles (pas assez de ressources, pas assez de soutiens internationaux), alors ils ne contesteront pas l’ordre existant, sauf si ce dernier menace directement leurs préférences. Les contestations de l’ordre peuvent conduire à son changement si l’acteur insatisfait s’est suffisamment renforcé pour construire des règles et pratiques alternatives plus favorables. Dans le système international, un acteur insatisfait peut également chercher à favoriser un ordre alternatif limité à un espace régional. Il le fera en promouvant de nouvelles normes et pratiques, institutions et organisations qui représentent plus étroitement ses intérêts. Quand des acteurs insatisfaits s’engagent dans la contestation, ils peuvent créer, renforcer et étendre l’ordre alternatif.

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22L’étude des contestations de l’ordre est importante pour éclairer sur les politiques et stratégies à l’œuvre dans les relations internationales. Lorsque les acteurs – étatiques ou non-étatiques – sont insatisfaits de l’ordre international, ils cherchent à réorienter les règles et institutions afin d’établir un ordre plus favorable. Pour cela, ils agissent de manière stratégique afin de poursuivre leurs intérêts. Il peut en résulter un changement de l’ordre ou à minima une contestation de certains aspects de celui-ci. L’OIL actuel mobilise de nombreuses sources de résilience qui appellent néanmoins à l’optimisme. L’analyse des contestations de l’ordre nous aide à comprendre tant la persistance de l’ordre actuel que les évolutions qu’il subit depuis quelques années.

23De plus en plus d’acteurs étatiques et non-étatiques mettent en œuvre des stratégies de contestation à l’égard des acteurs dominants, des structures et idées. Ils proposent une variété d’approches alternatives pour traiter les problèmes politiques. La résistance au niveau international prend de nombreuses formes, suscite diverses réactions et peut influencer les ordres politiques de multiples façons. Dans certains cas, ces acteurs sont défaits ou maintiennent des formes d’opposition sans menacer l’ordre dominant, voire « rentrent dans l’ordre ». Mais dans d’autres cas, ils trouvent leurs convictions normatives acceptées par les institutions internationales (Gertheiss et al., 2017).

Un bref aperçu des articles et différents points de vue de ce numéro de la Revue des Dialogues Inter-régionaux (RDIG)

24Ce numéro spécial4 de la Revue des Dialogues Inter-Régionaux (RDIR)/ Journal of Cross-Regional Dialogues (JCRD) est le fruit d’une réflexion menée à l’occasion du 8ème congrès de l’Association belge francophone de science politique (ABSP), conjointement organisé avec la 9ème édition des Associations francophones de science politique (COSPOF) du 7 au 9 avril 2021 à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) sur la thématique générale des « Résistances » et plus particulièrement dans le cadre de la section thématique 21 (ST 21) « Contestations, résistances et changements de l’ordre international ». En tant qu’organisateurs de la ST 21 et coordinateurs de ce numéro spécial, nous avons fait le choix d’inscrire cette double activité scientifique dans une démarche d’ouverture et de discussion académique entre diverses approches théoriques et méthodologiques pour étudier les types de résistances et de contestations, ainsi que les transformations de l’ordre international. En d’autres termes, les recherches incluses dans ce numéro spécial traitent d’une variété de sujets relatifs aux relations internationales. Chacun des articles présentés dans cette publication aborde des sujets spécifiques. Cependant, ils ont tous un objet d’étude commun, celui de l’ordre international au XXIe siècle.

25Ce numéro5 propose d’ouvrir de nouvelles perspectives sur l’étude des contestations de l’ordre international. En dépit des différences dans les approches, la méthodologie et les cas étudiés, les articles de ce numéro partagent leurs intérêts sur la nécessité de mieux étudier les politiques locales, internes, voire régionales dans l’analyse complexe des contestations de l’ordre international. La plupart des études récentes n’ont pas suffisamment développé la possibilité que les forces internes dans les États défient fondamentalement l’ordre international, en dehors des évolutions systémiques.

26Ce numéro rassemble des articles, notamment en français, de chercheurs (jeunes et seniors), qui visent à présenter une analyse originale sur l’ordre international. Pour ce faire, les auteurs articulent dans leurs études des approches à la fois théoriques et empiriques. Ils visent ainsi à contribuer à l’enrichissement des débats académiques et au développement des connaissances sur l’ordre international. Ce numéro spécial vise à 1) comprendre et expliquer ces processus de contestation par les États et les mouvements locaux et transnationaux de contrordre, ainsi qu’étudier les types et formes qu’ils prennent et 2) retracer et explorer les facteurs à l’origine des succès et échecs à changer les ordres normatifs, incarnés notamment dans les institutions internationales. En d’autres termes, il s’agit d’analyser les nouveaux rapports de force internationaux dans le contexte de défis et changements de l’ordre international.

27Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont favorisé un ordre international fondé sur la gouvernance politique libérale, le libéralisme économique, les institutions multilatérales et la coopération intergouvernementale (Ikenberry, 2001). À partir des années 1990, le changement de structure du système international – marqué par la chute de l’Union soviétique – combiné à l’essor des réseaux transnationaux libéraux, offrent aux démocraties libérales occidentales de larges possibilités pour étendre cet ordre. Cependant ce système semble aujourd’hui en pleine mutation (Cooley et Nexon, 2020).

28L’affirmation des puissances émergentes conduit à un décentrage progressif du pouvoir économique et politique mondial. Ces pays contestent l’ordre international dominé depuis plusieurs siècles par les puissances traditionnelles occidentales, telles que les États-Unis et l’UE (Santander, 2012, pp. 9-10). Cependant, la puissance des pays émergents reste relative car ils font face à des défis internes majeurs, qui reflètent leurs faiblesses (problèmes démographiques, économiques et sociaux) (Santander, 2014, p. 79). Des puissances émergentes telles que le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (BRIC), mais aussi des acteurs régionaux comme l’Iran, la Turquie ou encore l’Arabie saoudite contestent certains aspects de cet ordre et tentent de construire des infrastructures concurrentes défiant les puissances traditionnelles occidentales. La recherche émet donc l’hypothèse que de plus en plus d’acteurs étatiques et non-étatiques mettent en œuvre des stratégies de contestation à l’égard des acteurs dominants, des structures et idées. Ils proposent une variété d’approches alternatives pour traiter les problèmes politiques. La question de recherche qui anime ce numéro est donc la suivante : comment se manifestent les contestations de l’ordre international ? Cette question se décline en plusieurs sous-questions : quelles sont les stratégies de contestations de l’ordre international ? Comment les acteurs étatiques et non-étatiques se positionnent vis-à-vis de l’ordre international ? Les puissances émergentes ou révisionnistes présentent-elles des défis pour l’OIL ? Ce numéro spécial tentera d’apporter des réponses à ces différentes questions.

29L’article de Kamal Bayramzadeh porte sur la politique étrangère de la Chine en Iran dans le contexte de la montée en puissance de l’État chinois et du déclin du monde unipolaire. S’inscrivant dans la tradition réaliste de l’étude de l’ordre hégémonique international, l’auteur souligne que l’affaiblissement relatif de l’hégémonie américaine a contribué à créer des opportunités pour la Chine de progressivement prendre la place vacante en nouant des relations stratégiques au Moyen-Orient, en particulier avec l’Iran. D’après l’auteur, la Chine réaffirme aujourd’hui sa puissance et développe les relations en grande partie sur l’opposition à l’hégémonie américaine. La contestation se manifeste ainsi par l’approfondissement des relations entre acteurs insuffisamment intégrés ou exclus de l’OIL. Au travers du renforcement de sa puissance, la Chine devient capable d’offrir des options de sortie à des puissances régionales et secondaires tout en avançant sa propre vision pour la région.

30À partir du cas de l’appropriation politique de l’espace amazonien en Bolivie et en Équateur, Pierre-Yves Cadalen met en exergue les tensions complexes qui traversent les mouvements contre-hégémoniques. L’auteur montre comment deux enjeux cruciaux de pouvoir se superposent sur le plan de l’écologie : la mobilisation des ressources politiques transnationales, et le besoin d’apparaître comme le relai du mouvement altermondialiste au sein des instances internationales. Se pose surtout la question de la nature de la communauté légitime à en assurer la gouvernance : en s’attirant la sympathie des réseaux transnationaux altermondialistes, les diplomaties bolivienne et équatorienne produisent un effet de convergence apparente entre la communauté nationale et la communauté humaine, le bien commun environnemental pouvant, dès lors, être supposé protégé par l’État. Cependant, l’indétermination de la communauté légitime à gérer les communs environnementaux a amplifié la conflictualité autour de ces espaces.

31L’article de Dealan Riga traite d’une controverse d’actualité : les motivations fondamentales de la Belt and Road Initiative (BRI), qu’il replace dans un contexte historique particulier. À l’encontre des approches géopolitiques, géostratégiques ou géoéconomiques qui interprètent la BRI comme un outil au service de l’hégémonie chinoise, l’auteur propose d’y voir davantage une multitude de réalités couvertes en y incluant surtout les considérations internes dans la stratégie internationale. À ce titre, l’auteur démontre qu’il existe une continuité entre ces deux politiques : la Going Out Policy (GOP) et la BRI. Ainsi, l’auteur remet au centre de l’analyse la complexité de l’action internationale chinoise.

32L’analyse du cas de la professionnalisation du cursus universitaire au Cameroun permet à Moise Tchingankong Yanou de mettre en évidence les interprétations et renégociations des normes internationales dans l’espace académique, médiatique et gouvernemental. Sa recherche remet au centre l’imbrication entre le global et le local, le communautaire et le national. L’auteur soutient ainsi que c’est le niveau local, par la tangibilité et la régularité de la confrontation d’acteurs sectoriels comme moment de renégociation, par les acteurs de terrain, des normes communautaires, qui détermine la performance locale de l’intégration régionale. Pour lui, cette confrontation interne aux États détermine la consolidation de l’intégration régionale comme niveau de régulation politique.

33Le dernier article, qui fait partie de la rubrique « varia » de la RDIR/ JCRD, ne traite pas de l’ordre international, mais des villes intelligentes dans le système global des villes-régions selon le point de vue de l’École française de la régulation. Il s’agit donc d’un article sélectionné par l’équipe éditoriale de la revue. Dans cet article, Michail Molchanov et Vera A. Molchanova analysent l’émergence de la ville intelligente dans le cadre de la tendance mondiale à l’essor des villes-régions dans la société capitaliste tardive. Les auteurs soulignent que l’importance politique et économique des projets de villes intelligentes repose sur leur rôle unique dans la refonte de la consommation défaillante caractéristique de la crise actuelle du capitalisme tardif. Les auteurs soutiennent que la montée mondiale du mouvement des villes intelligentes doit être vue à travers le prisme de la stabilisation du mode de développement capitaliste tardif. Cependant, ils mentionnent que toutes les villes intelligentes ne jouent pas un rôle aussi important dans le réseau mondial de gouvernance du développement à orientation régionale. Il existe en effet des villes mondiales intelligentes de rangs différents.

34Enfin, ce numéro spécial se termine par deux recensions de livres. Dans la première, Camille Schmitz présente le livre « Politiques pour une petite planète. Bâtir (enfin) un monde commun », écrit par Jacques Ténier, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2021. Selon Schmitz, ce livre se situe au croisement des disciplines des RI, du régionalisme (notamment du régionalisme comparé) et des Global studies. Ce livre informe le lecteur quant aux dommages que cause une mondialisation incontrôlée, ainsi qu’aux défis à relever pour préserver la planète Terre. Il s’agit d’une monographie originale qui s’attache bien plus aux considérations sociales et culturelles plutôt qu’aux questions purement économiques. De plus, selon Schmitz, il s’agit d’une contribution significative et bienvenue dans laquelle l’auteur propose sa propre vision des chemins à emprunter et des actions politiques et sociales à élaborer à tous les niveaux dans le but de construire un monde meilleur.

35Quant à la seconde recension, Robert Dopchie se concentre sur le livre « Europeanization and Statebuilding as Everyday Practices. Performing Europe in the Western Balkans », écrit par Vjosa Musliu, Londres, Routledge, 2021. Selon Dopchie, ce livre cherche à évaluer plus précisément l’incidence du concept d’européanisation sur la vie quotidienne des populations des Balkans occidentaux, région qui se compose actuellement de six États, à savoir l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro, et la Serbie. Ainsi, selon lui, le livre explore pourquoi et comment l’UE s’engage systématiquement dans les Balkans occidentaux et démontre les limites de l’approche « top-down » des institutions européennes dans cette partie du continent européen. Dopchie recommande le livre, soulignant qu’il s’agit d’une publication intéressante pour les universitaires – chercheurs, praticiens et étudiants – en particulier ceux spécialisés en RI et en études européennes.

36Faire dialoguer le local et l’international, les perspectives globales des contestations de l’ordre avec les enjeux régionaux et nationaux, politiques et sociaux, des acteurs impliqués : telle est l’ambition de cette étude. Les articles du présent numéro s’attachent à faire avancer le débat scientifique sur l’ordre international, dans l’effort d’accroître notre compréhension de comment et pourquoi les États et acteurs non-étatiques cherchent à contester l’ordre. Nous pouvons ne pas partager toutes les affirmations ou implications qui découlent des articles du numéro : les efforts fournis par ces études permettent néanmoins d’ouvrir à de nouvelles perspectives sur l’étude de l’ordre international.

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Notes

1 En fait, Ikenberry (2001) et Lascurettes (2020) soulignent les motivations qui conduisent les états puissants à promouvoir de nouvelles règles et institutions : ils sont animés par la volonté de préserver sur la durée leur position dominante sur les autres. Mais Ikenberry (2001) considère que pour y parvenir, des politiques plus inclusives sont nécessaires : l’état le plus puissant a intérêt à construire des relations plus coopératives pour conduire les états secondaires à ne pas le percevoir comme une menace pour eux.

2 Durant la guerre froide, le bloc de l’Est, ou les états non-alignés n’en faisaient pas partie.

3 Les ordres servent également à mettre de « l’ordre » dans le système international. L’ordre westphalien met en exergue la nature anarchique de système international et l’esprit de survie des États encouragent la politique de l’équilibre des puissances (Waltz, 1979, p. 121). Entre 1648 et 1914 (voire 1939), c’est ce système de puissance qui a dominé par la présence de quatre ou cinq grands acteurs, ayant créé un équilibre des puissances surtout en Europe (Telò, 2013, p. 23). Après la Seconde Guerre mondiale et pendant toute la guerre froide, le monde était divisé en deux blocs antagonistes menés par l’États-Unis et l’Union soviétique. Depuis la fin de la guerre froide au début des années 1990, il est conceptuellement difficile de caractériser le système international. En effet, divers cadres conceptuels tentent de définir les relations internationales, considérant le système international comme unipolaire (Krauthammer, 1990/1991 ; Battistella, 2015), non-polaire (Haass, 2008), apolaire (Badie, 2013, 2016), multipolaire mais déséquilibré (Milani, 2011, p. 54), à tendance multipolaire (Santander, 2009, 2013), multipolaire (Telò, 2016), multiplex (Acharya, 2017), ou encore monde multi-ordre (Flockhart et Korosteleva, 2022).

4 Dans ce numéro spécial, les auteurs écrivent à titre personnel et individuel. Les auteurs sont seuls responsables des opinions exprimées dans leurs articles.

5 Nous remercions les évaluateurs qui, malgré leur emploi du temps chargé, ont accepté de relire les articles des participants à ce numéro spécial. Leur professionnalisme, leurs critiques et remarques constructives, ainsi que leurs judicieux conseils ont sans aucun doute contribué à la qualité de cette publication. Nos remerciements vont également au comité éditorial du RDIR/JCRD : Sebastian Santander, Antonios Vlassis, Vincent Bricart et Camille Schmitz.

Pour citer cet article

Ardijan Sainovic & Liridon Lika, «Les contestations de l’ordre international en théorie et en pratique», The Journal of Cross-Regional Dialogues/La Revue de dialogues inter-régionaux [En ligne], 3/2022 - Special Issue - New Perspectives on the International Order in the 21st Century, URL : https://popups.uliege.be/2593-9483/index.php?id=206.

A propos de : Ardijan Sainovic

Ardijan Sainovic, docteur en science politique, est chercheur postdoctoral, associé au Centre Émile Durkheim (CED, Sciences Po Bordeaux – CNRS). Ses travaux couvrent des questions de théories des Relations internationales, de politiques de puissance, de politique étrangère des petits États et de résolution des conflits. E-mail : ardijan. sainovic@scpobx.fr

A propos de : Liridon Lika

Liridon Lika, docteur en science politique, est professeur invité et maître de conférences au Center for International Relations Studies (CEFIR) du Département de Science Politique de l’Université de Liège (ULiège) en Belgique. Il a été pendant deux ans chercheur postdoctoral à la Faculty of Arts and Social Sciences (FASoS) de l’Université de Maastricht (UM) aux Pays-Bas. Ses recherches se concentrent sur les États des Balkans occidentaux, en particulier le Kosovo et l’Albanie, l’action extérieure de l’Union européenne (UE), la politique d’élargissement de l’UE, la politique étrangère des puissances émergentes à l’égard des Balkans occidentaux et les théories des relations internationales. Professeur Lika est l’auteur de nombreuses publications scientifiques (livres collectifs, numéros spéciaux de revues, chapitres de livres et articles) et a présenté ses recherches dans de nombreuses conférences. Sa récente publication est : Liridon Lika (dir.) (2023), Kosovo’s Foreign Policy and Bilateral Relations, London and New York : Routledge. E-mail : Liridon.Lika@uliege.be