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- Politiques pour une petite planète. Bâtir (enfin) un monde commun, par Jacques Ténier, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2021, 222 p. (ISBN : 9782875622846)
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Politiques pour une petite planète. Bâtir (enfin) un monde commun, par Jacques Ténier, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2021, 222 p. (ISBN : 9782875622846)
1Cet ouvrage s’inscrit dans les disciplines des Relations internationales, du régionalisme (notamment du régionalisme comparé) et des Global studies. Il est par conséquent destiné à un public intéressé de comprendre les dynamiques à l’œuvre dans notre monde en mutations. Les étudiants et chercheurs en sciences humaines, en particulier, y trouveront un point de vue original et, malgré les nombreux problèmes et défis relevés par l’auteur, porteur d’espoir.
2Le titre de l’ouvrage, « Politiques pour une petite planète. Bâtir (enfin) un monde commun », résume les deux idées principales de l’auteur. Premièrement, Jacques Ténier fait le constat que notre planète se rétrécit de par les interdépendances sociales, politiques, économiques et environnementales engendrées par la mondialisation. Deuxièmement, l’auteur déplore le manque, voire l’absence d’une organisation politique et sociale mondiale qui soit à même de gérer ces interdépendances dans le respect du vivant ; et c’est précisément ce qu’il appelle de ses vœux dans cet essai.
3Plus précisément, cet ouvrage s’articule autour de quatre parties. La première partie, « Le monde vu comme une proie », dresse un portrait critique des conséquences de la mondialisation des quarante dernières années. L’auteur constate, entre autres, l’amoindrissement des recettes des États dû à l’abaissement des frais de douanes qui permettaient de financer de nombreux services publics. Il observe également l’accroissement des inégalités, ainsi que la primauté de l’individualisme sur la collectivité. Il porte un regard critique sur le commerce immodéré qui anéantit les producteurs locaux et cause un important exil de populations du Sud vers le Nord. Sur le volet écologique, il déplore la dégradation de l’environnement, l’épuisement des ressources naturelles, la course à la rentabilité agroalimentaire, qui se font tous au détriment de la santé des peuples.
4Dans la deuxième partie de l’ouvrage, intitulée « Les apprentissages de la coopération », Ténier énonce trois grandes conditions préalables à toute tentative de coopération fructueuse. Il s’agit d’abord de se désarmer en vue d’un rapprochement entre les nations. Pour l’auteur, cela passe par la démilitarisation et l’ouverture des frontières. Il constate néanmoins que malgré cela, notamment en Europe, les frontières demeurent d’importantes barrières socio-économiques qui marquent davantage l’appartenance à une classe sociale plutôt qu’à une nation. Ensuite, l’auteur plaide pour un décentrage, c’est-à-dire la capacité des hommes à rencontrer la différence qui les entoure, qu’elle soit proche ou lointaine, afin qu’ils appréhendent le monde de façon plus globale et prennent conscience des responsabilités communes qui leur incombent en tant qu’habitants de la même (petite) planète. Ce décentrage requiert l’apprentissage des langues, cultures et histoires des peuples voisins, sans quoi, insiste-t-il, il est impossible d’atteindre une compréhension et une intelligence communes, toutes deux nécessaires pour envisager une quelconque action conjointe. Enfin, l’auteur soutient que les citoyens du monde doivent se relier, se mettre ensemble afin de faire entendre leur voix dans la mondialisation et donner à celle-ci une teinte plus humaine. En effet, il regrette que les accords et traités internationaux servent avant tout les intérêts économiques des États et grandes entreprises, et incluent trop peu de coopérations d’ordre social, politique, et culturel.
5Dans la troisième partie, intitulée « Les coopérations dans trois régions du monde », nous découvrons différentes formes de coopération en Europe, Afrique et Asie méridionale tant au niveau régional, qu’aux niveaux national et local. Dans le cas de l’Europe, l’auteur décrit brièvement la construction du projet européen qui signe la fin de siècles d’affrontement, tout en pointant également les limites ou insuffisances de l’Union européenne (UE), notamment au niveau de son intégration politique, de sa politique de migration ou encore de la question des inégalités toujours présentes. Il aborde ensuite la relation qu’entretient l’Europe (et plus particulièrement l’UE) avec le continent africain, qui est marquée par les héritages de la colonisation : manque de compréhension mutuelle, exploitation des ressources africaines par les entreprises européennes, dépendance de l’Afrique à l’aide européenne qui ne profite pas nécessairement aux peuples. Enfin, la relation entre l’Inde et le Pakistan est abordée sous l’angle de leurs différends et de leur rivalité, mais aussi des défis et périls auxquels les deux États font face. Ce qui les a d’ailleurs poussés à conclure un accord de coopération en 1985, ainsi que leurs habitants à développer des initiatives citoyennes transfrontalières.
6Après avoir pointé les dérives de la mondialisation et présenté les bienfaits de la coopération régionale et locale, l’auteur propose des pistes dans la quatrième et dernière partie de l’ouvrage « Vers un monde commun » : son propos principal est que face aux défis communs, des réponses collectives doivent être apportées. Celles-ci doivent passer par des actions locales, nationales et régionales, ainsi que par l’instauration d’institutions politiques et sociales capables de les garantir. Ténier plaide pour la protection des biens communs et leur primauté sur les intérêts particuliers. Pour cela, il prône une approche beaucoup moins obsessionnelle à la propriété, sans toutefois vouloir abolir ce droit. Il exhorte les citoyens du monde à faire entendre leur voix, à prendre conscience qu’ils ont un rôle à jouer en tant qu’électeur, consommateur et acteur dans la mondialisation et à oser construire des actions citoyennes transnationales pour protéger ces biens communs et assurer leur durabilité. À nouveau, l’auteur met l’accent sur l’importance de l’ouverture et de l’apprentissage des langues et cultures voisines, faute de quoi une coopération pérenne est illusoire.
7L’ouvrage de Jacques Ténier éveille le lecteur aux dommages que cause une mondialisation incontrôlée, ainsi qu’aux défis à relever pour préserver notre « petite planète ». Il le fait en emmenant le lecteur d’un continent à un autre et en l’instruisant de son vécu et de ses riches expériences ; ce qui rend la lecture agréable et originale. Le regard qu’il pose est profondément humain, car il s’attache bien plus aux considérations sociales et culturelles plutôt qu’aux questions purement économiques (comme on peut souvent l’observer dans les ouvrages consacrés à la mondialisation). Bien qu’il fasse des constats alarmants sur l’état du monde et émette de nombreuses critiques, l’auteur ne se limite pas à cela. Il propose en effet sa propre vision des chemins à emprunter, des aptitudes à développer individuellement et collectivement, ainsi que des actions politiques et sociales à élaborer tant à un niveau local, régional que transnational dans le but de construire un monde où paix, coopération, justice, respect, et durabilité sont les piliers. À l’issue de l’ouvrage, le lecteur peut aisément retenir que face aux tensions qui peuvent exister au sein des populations entre une volonté de localisme et une volonté de mondialisation, le niveau régional apparaît comme un niveau intermédiaire adéquat et satisfaisant. Mais à cet égard, l’auteur fait l’impasse sur les pressions domestiques que subit le régionalisme, tel que l’euroscepticisme dans le cas européen. Pour ne prendre qu’un exemple, l’on peut notamment considérer que le Brexit apparaît, dans ce schéma, comme un paradoxe, en ce sens qu’une partie des Brexiters souhaitait recouvrer une totale souveraineté à l’échelle britannique (volonté de localisme), tandis qu’une autre aspirait à un « Global Britain » (volonté d’orientation mondiale). Le niveau médiant que représentait l’UE n’est, dans ce cas, pas apparu comme suffisant aux yeux de la majorité des Britanniques ; un constat que l’on peut faire dans d’autres États membres où l’euroscepticisme est bien présent également.
Pour citer cet article
A propos de : Camille Schmitz
Camille Schmitz est titulaire d’un Master en Sciences politiques, à finalité Relations internationales. Elle est actuellement assistante au Center for International Relations Studies (CEFIR) du Département de Science politique à l’Université de Liège. Sa recherche doctorale porte sur l’étude des conceptions nationales du (des) rôle(s) de politique étrangère du Royaume-Uni dans la période post-Brexit à travers l’analyse narrative du concept de « Global Britain ».