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- Europeanization and Statebuilding as Everyday Practices. Performing Europe in the Western Balkans, par Vjosa Musliu, Londres, Routledge, 2021, 172 p. (ISBN : 9781032009711)
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Europeanization and Statebuilding as Everyday Practices. Performing Europe in the Western Balkans, par Vjosa Musliu, Londres, Routledge, 2021, 172 p. (ISBN : 9781032009711)
1Cet ouvrage se situe à l’intersection de disciplines diverses, en particulier des Relations Internationales (RI), de l’anthropologie et de la sociologie, toutes enrichies de courants interdisciplinaires tels que le féminisme, le post-socialisme et les études européennes critiques. Il s’adresse, en particulier, aux chercheurs spécialisés en RI et en études européennes. Dans cet ouvrage, Vjosa Musliu prend le parti que l’étude de la « basse politique » (« low politics ») – par opposition à la « haute politique » (« high politics ») – appliquée à un niveau d’analyse « micro » et basé sur une série d’éléments empiriques (« everyday practices »), permet d’évaluer plus précisément l’incidence du concept d’européanisation sur la vie quotidienne des populations des Balkans occidentaux (BO). Cette région se compose actuellement de six États, à savoir l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro, et la Serbie.
2Musliu définit le concept d’européanisation comme étant l’ensemble des pratiques et projets mobilisés par une élite dirigeante dans la construction de nouveaux États. L’auteure vise à démontrer les limites de l’approche « top-down » de l’Union européenne (UE) dans les BO qui se résume, d’après elle, à une approche élitiste et basée exclusivement sur la mise en œuvre de l’acquis communautaire. Or, Musliu déplore la vision unique de « l’Europe » proposée par l’UE, car elle ne laisse pas l’opportunité aux pays qui se situent à sa périphérie de se l’imaginer, de l’accepter, voire de la transformer. Au contraire, ces États se voient imposer une forme déjà prédéfinie d’« Europe ».
3À propos de ces États, il est utile de préciser que l’ouvrage se penche principalement sur quatre d’entre eux, à savoir l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo et la Macédoine du Nord. Ces pays témoignent de la performativité dont bénéficie encore à ce jour l’UE dans la région des BO qui lui est limitrophe. La notion de performativité s’avère centrale dans l’ouvrage et se matérialise de deux manières dans les BO. D’une part, l’UE crée de nombreux concepts (Europe, BO, Balkanisation) et processus (européanisation) qu’elle impose ensuite à d’autres acteurs comme étant acquis. Rarement remis en question, ceux-ci ouvrent la voie à une forme de pouvoir et offre à l’UE une capacité d’influence matérielle et normative dans les pays concernés. D’autre part, selon Musliu, la liminalité de la performativité s’avère à la fois présente et absente dans la région des BO, ce qui signifie qu’elle est successivement perceptible ou non pour les populations locales (p. 12).
4L’ouvrage se compose de 8 chapitres. Le 1er détaille le cadre théorique de l’auteure et définit les concepts susmentionnés, en particulier les concepts d’européanisation et de performativité. Les 6 chapitres suivants se penchent sur l’étude de cas qui témoignent, d’après Musliu, de l’incidence du processus d’européanisation dans les BO. En effet, le chapitre 2 démontre comment le Kosovo a été utilisé, au cours des différentes missions européennes menées depuis 1999 – l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), la mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK), et la mission État de droit de l’UE, plus connue sous le nom d’European Union Rule of Law Mission in Kosovo (EULEX) – comme un laboratoire néolibéral par l’UE et où ses attributs d’État (la Déclaration d’Indépendance, son hymne national et son drapeau) ont été largement imaginés par l’UE et les États-Unis. État européen par excellence, d’après Musliu, le Kosovo se comporte et adopte les normes et modèles européens, même s’il n’est pas encore membre de l’UE (p. 38). Dans le chapitre 3, elle se penche sur le débat des intellectuels publics au Kosovo en ce qui concerne la religion et l’Europe. Le chapitre 4 révèle le paradoxe du Kosovo : régulièrement considéré comme étant un pays homophobe par les organisations non-gouvernementales (ONG), le Kosovo a organisé avec succès des marches des fiertés à Prishtina. Les valeurs chères à l’UE (tolérance, émancipation, solidarité, sécularisation et démocratie) se voient donc largement défendues par l’élite kosovare.
5Les trois chapitres suivants examinent l’incidence de l’européanisation respectivement en Bosnie-Herzégovine (Sarajevo), en Albanie (Tirana) et en Macédoine du Nord (Skopje). En Bosnie-Herzégovine, l’absence d’avancée marquante dans le processus d’adhésion à l’UE n’empêche pas la performativité d’y être effective. En effet, comme en témoigne la Journée de l’Europe organisée à Sarajevo, la Bosnie-Herzégovine se plie aux attentes européennes quant aux valeurs à diffuser, les dirigeants locaux encourageant leurs citoyens à s’imaginer comme européens et non plus comme victimes d’une transition post-conflit qui semble s’éterniser. Le cas de l’Albanie illustre également le processus d’européanisation des BO. Après avoir effectué une rapide transition d’un pays post-communiste à un État démocratique caractérisé par une économie ouverte et un libre marché au cours des années 1990, les dirigeants albanais entament le projet « Urban Revival ». Visant initialement à rendre la capitale, Tirana, plus attractive au niveau architectural et semblable aux grandes métropoles occidentales, ce projet a également pour objectif d’inculquer à ses citoyens ce que les dirigeants considèrent comme des coutumes européennes à savoir les journées sans voiture, le nettoyage quotidien de la ville ou la réalisation d’infrastructures cyclables. La vie quotidienne des citoyens de la Macédoine du Nord se voit, elle aussi, profondément influencée par le processus d’européanisation. En effet, le chapitre 7 met en avant le projet « Skopje 2014 » lancé par les autorités étatiques et dont les trois objectifs principaux sont les suivants : rendre la capitale du pays semblable aux grandes villes européennes, supprimer les derniers vestiges de l’héritage communiste et, enfin, la présenter comme une ville mono-ethnique et mono-religieuse, ce qu’elle ne semble, selon l’auteure, ne pas être prima facie.
6Le 8ème et dernier chapitre s’intéresse au monitoring de l’UE quant à l’application de l’européanisation dans les BO. Même s’ils ne sont pas exhaustifs, ces cas empiriques permettent à l’auteure d’évaluer l’incidence de l’européanisation sur la vie quotidienne des populations locales. Quatre conclusions principales sont mises en exergue. Premièrement, si le processus d’européanisation a contribué à matérialiser les valeurs européennes, toutes les initiatives ne se sont pas révélées positives, à l’instar, notamment, de l’annihilation des différences ethniques et religieuses présentes dans la région. Deuxièmement, Musliu questionne la nature démocratique de l’européanisation. Sans pour autant se prononcer sur cette question, l’auteure déplore, en effet, que les initiatives européennes aient été, bien qu’indirectement, imposées aux États des BO qui souhaitent, à terme, adhérer à l’Union. Troisièmement, l’européanisation apparaît fallacieusement omniprésente. Progressivement, elle s’est reflétée dans les réformes des systèmes constitutionnel, judiciaire et éducatif ainsi que dans les discours des partis politiques et de la société civile, impactant, par conséquent, directement la vie des populations locales.
7Quatrièmement, l’européanisation s’impose, enfin, comme une doctrine téléologique, présentée aux pays des BO comme étant inéluctable et indispensable, l’Union rappelant sans cesse que le futur de ces pays se situe dans l’UE (p. 146). L’UE demeure une aspiration, un manque, un désir ; elle est omniprésente dans la vie quotidienne des habitants mais absente en tant que projet politique accompli.
8En dépit du manque de cas empiriques sur lesquels s’appuie l’auteure, Musliu offre une perspective originale du concept d’européanisation où l’approche sociologique et anthropologique complète une littérature existante jusqu’ici dominée par les chercheurs spécialisés en RI et en études européennes.
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Over : Robert Dopchie
Robert Dopchie est diplômé en Science Politique, orientation Relations Internationales, à l’Université de Liège (ULiège). Il est aujourd’hui membre du Center for International Relations Studies (CEFIR). Ses travaux en tant que doctorant s’intéressent à la politique d’élargissement de l’Union européenne (UE) et ses relations avec les puissances (ré-)émergentes.