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Les migrations économiques des Centrasiatiques face aux temporalités perturbées par la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine
Résumé
L’article propose, à l’aide de données chiffrées récentes, d’analyser les conséquences directes et indirectes de la pandémie de Covid-19 sur les populations de migrants économiques en provenance de trois des cinq pays d’Asie centrale, le Tadjikistan, le Kirghizstan et l’Ouzbékistan installés en Russie et contribuant par leurs envois d’argent à une part considérable du PIB de leurs pays respectifs. Il s’intéresse au remodelage du paysage migratoire des Centrasiatiques en Russie depuis le début de la pandémie de Covid-19 en janvier 2020 jusqu’à la crise migratoire inverse suscitée par le déclenchement de la guerre contre l’Ukraine par le régime actuel de la Fédération de Russie. Il propose une analyse de l’articulation entre le phénomène des « mobilités empêchées » et celui des temporalités perturbées qui permet de mieux cerner l’impact socio-économique des crises en cours et le développement de nouvelles formes de vulnérabilités.
Table of content
Introduction
1Comment les Etats d’Asie centrale vont réagir à la crise du Covid-19 qui affecte de manière différenciée la problématique de la migration économique depuis 2020 et se prolonge dans le contexte de la guerre russe en Ukraine depuis février 2022 ? Cette guerre entraine un véritable changement de paradigme et bouleverse les flux migratoires tout en réinterrogeant les rapports de domination dans les sociétés post-soviétiques.
2Cet article écrit à deux voix, repose sur un cadre analytique éclectique et n’a pas vocation à développer une approche purement théorique mais plutôt à se nourrir de notions pertinentes pour le sujet. Il propose d’analyser les effets directs et collatéraux de la première de ces deux crises qui a touché d’une manière ou d’une autre le monde entier, mais qui a des répercussions spécifiques dans la région, pour de multiples raisons. Parmi celles-ci, on peut noter celles liées au marché du travail en Ouzbékistan, au Kirghizstan, au Tadjikistan, aux troubles politiques, économiques et sociaux de janvier 2022 au Kazakhstan et à la structure financière des Etats d’Asie centrale plus ou moins fortement intégrée au système russe, ces derniers éléments nécessitant des recherches ultérieures.
3Il s’agira donc de faire la lumière sur le remodelage du paysage migratoire et des vulnérabilités associées aux crises qui traversent ces sociétés. Dans un premier temps, nous analyserons les tendances migratoires originaires d’Asie centrale vers la Russie depuis la pandémie de Covid jusqu’à la fin de l’année 2022 – sur fond d’un renversement migratoire russe1 vers l’Asie centrale (et le Caucase du Sud) avec la guerre en Ukraine. Dans un second temps, nous verrons quelles peuvent être les nouvelles opportunités pour les travailleurs migrants de retour en Asie centrale ou à travers d’autres destinations migratoires plus conjoncturelles que celles habituelles, tout en nous intéressant aux multiples vulnérabilités que ces transformations peuvent susciter.
4La pandémie de Covid-19 a des conséquences inédites sur l’économie mondiale et sur les mobilités spatiales des individus. Cette crise sanitaire que certains chercheurs qualifient de « brèche temporelle »2 (Chauvin et al., 2021 reprenant le concept d’Hannah Arendt dans « La crise de la culture » publiée en 19613), a dévoilé l’extrême vulnérabilité de nombreux groupes sociaux, et en particulier des travailleurs migrants. Les restrictions multiformes entrainées par la pandémie ont fortement touché les migrations en grande partie circulaires (Shustov, 2020 ; Agunias et Newland, 2007) avec des retombées majeures et multiscalaires sur les économies nationales dont trois sur cinq (le Tadjikistan, le Kirghizstan et l’Ouzbékistan) comptent largement sur les envois d’argent des travailleurs migrants pour augmenter leur PIB. Cet argent constitue, pour une large part des populations centrasiatiques, un filet de sécurité économique et sociale dans des économies nationales où les compensations relevant de l’Etat Providence n’existent plus.
5Les équilibres socio-économiques fragiles vont être heurtés de plein fouet par la pandémie de Covid-19. Les sociétés ont violemment subi les contraintes imposées par l’anxiété à tous les niveaux de décisions des politiques (Poujol, 2022) et la peur pour sa propre santé et celle de ses proches dans les conditions d’inégalité d’accès aux systèmes de santé disponibles (Hohmann et Kurbonova, 2018). Nombreux sont les travailleurs migrants à avoir été contaminés par le Covid sans avoir pu avoir recours aux services de santé. De même, les migrants se trouvant dans l’illégalité en Russie ne se tournent pas vers les services de santé de peur de se faire dénoncer et expulser4 (Krasinec et Ševcova, 2021). Tout leur projet de migration et, par conséquent, d’ascension sociale s’en trouverait compromis.
Des mobilités empêchées
6En Asie centrale, comme ailleurs, la migration de travail a de multiples fonctions. Elle est aussi un rite de passage durant lequel le migrant va se retrouver dans une phase de liminarité (Van Gennep, 1981), de marge, caractérisée par une période transitionnelle avant l’acquisition de son nouveau statut, avec comme objectif la réussite de sa mission économique, sociale, en particulier matrimoniale. Le passage à un « âge adulte » et l’épreuve de la masculinité (Roche, 2014 ; Hohmann, 2017) sont un enjeu de taille pour les travailleurs migrants. Il s’agit de faire ses preuves en partant et de réintégrer la communauté après l’épreuve en revenant, en plus de montrer sa capacité à gagner de l’argent.
7La pandémie de Covid-19 a porté un coup d’arrêt à cette pratique socio-économique indispensable à la survie de la communauté dans les pays d’origine des migrants, tout en provoquant des problèmes considérables sur place, en Russie, leur principale destination.
8A la veille de l’épidémie de Covid-19 en Asie centrale pour le seul mois de mars 2020, sur 1,2 millions de travailleurs migrants enregistrés officiellement en Russie par le Ministère des Affaires intérieures, 276.000 étaient originaires du Tadjikistan (données cumulatives de janvier à mars), ce qui est comparable au deuxième semestre de l’année 2019. En 2019, 47 % de la force de travail du Tadjikistan se trouvait en Russie, 17,5 % pour le Kirghizstan et 14 % pour l’Ouzbékistan (Denisenko et Mukomel’, 2020), ce qui témoigne de l’importance et de la persistance des processus de migrations de travail en Russie dans les républiques d’Asie centrale. Cela permet d’atténuer la pression sur le marché du travail dans les pays d’origine où la proportion de jeunes dans la population générale est importante.
9En 2021, 84 % de migrants venus pour travailler en Russie et enregistrés sont originaires d’Asie centrale5 (Ministère des Affaires intérieures), essentiellement du Tadjikistan, de l’Ouzbékistan suivi du Kirghizstan. Cette proportion s’élevait à 71 % en 2019 et 75 % en 2020, puis remonte à 89 % en 2022. Ces travailleurs migrants sont majoritairement de jeunes adultes, souvent des hommes mais pas uniquement (et les migrations féminines évoluent rapidement) (Eraliev et Heusala, 2021). ils reflètent les structures par âge de leur pays (figure 1). Entre 2016 et 2019, le nombre de travailleurs migrants centrasiatiques est passé de 6,7 à 9,5 millions de personnes (soit une hausse de 42,3 %), ce qui correspond à une augmentation du volume des migrations circulaires d’une fois et demie. Ces migrations sont organisées selon différents critères socio-économiques, notamment pour les migrants saisonniers qui arrivent du milieu rural où les cultures rythment les départs6.
10Début 2023, le Covid-19 aurait causé la mort de 6,7 millions de personnes et en aurait contaminé 655 millions (OMS, 4 janvier 2023) sur une population mondiale de 8 milliards. Au-delà de la différence statistique, il n’empêche que ces deux pandémies peuvent être mises en perspective. Les discours politiques, par exemple, durant ces deux pandémies ont eu recours aux registres de la peur (peur bleue7 durant les épidémies de choléra par exemple), des ennemis et monstres invisibles (David, 1897), de l’inconnu, des controverses qui émergent (en France, par exemple, autour du traitement à base de chloroquine durant les premiers mois). De même, se pose la question de la confiance dans les politiques et dans la science (Foucault, 1976) et dans leur capacité à venir à bout de ces pandémies plusieurs décennies après la découverte scientifique des antibiotiques (les antibiotiques sont utilisés à partir des années 1940, même si la pénicilline est découverte par Alexandre Fleming dès 1928) et les antiviraux (découverts à partir des années 1960 et, surtout, dans les années 1980 avec les premiers antirétroviraux pour le traitement du VIH) (Hohmann, 2020).
11La question importante qui traverse les sociétés est celle de la capacité des pouvoirs publics à protéger de la maladie, de la contagion. La responsabilité sanitaire des pouvoirs publics est soulignée et leur difficulté à protéger affecte la légitimité du pouvoir.
Temporalités perturbées
12Avec la pandémie de Covid-19, les temporalités ont été complètement revisitées. à la différence des précédentes crises de 1998, 2008 et 2014, les migrants ont été contraints à repartir ou à rester privés d’emploi et de ressources. Le temps a été brutalement confisqué avec le premier confinement du printemps 2020, fait social inédit, puis avec les autres confinements (à géométrie variable en fonction des pays) qui ont ponctué la vie quotidienne de la population mondiale et les nombreuses restrictions sur le travail, l’accès aux différents services et les libertés. Le rapport au temps est devenu une préoccupation sociale majeure (Chauvin et al., 2021). Le temps rendu inutile s’est avéré un obstacle de taille à la migration de travail. Non seulement il n’était plus possible de traverser les espaces géographiques, mais l’espace temporel était lui aussi affecté par cette rupture brutale et inconnue du temps (Mercier, Chiffoleau et Thoemmes, 2021).
13Ainsi, l’immobilité contrainte apparaît comme une notion paradoxale dans les processus migratoires quels qu’ils soient. L’attente est alors devenue un paradigme intenable pour les travailleurs migrants, alors que ce même paradigme fait partie intégrante de la vie des exilés (demandeurs d’asile, etc.). On assiste à un changement de temporalité. Alors que le temps social8 du travail domine lorsque l’on s’intéresse à la sociologie des migrations de travail, on voit combien celui-ci se réduit à la seule fonction de la force de travail de l’individu (Bessin et Grossetti, 2021).
14Les conséquences des débordements de la pandémie et des restrictions décidées par les institutions sur l’ensemble des activités sociales vont complètement bousculer les temps sociaux et, en particulier, le temps social du travail en ce qui concerne les travailleurs migrants. La pandémie a entrainé une longue série de restrictions à partir de mars-avril 2020 dans de très nombreux domaines de la vie quotidienne et professionnelle, imposant de revisiter les temporalités produites par les migrations de travail des populations centrasiatiques. La fermeture des restaurants, des magasins, des marchés, des bazars et des commerces de toutes sortes a touché de plein fouet les populations mais aussi les travailleurs migrants qui investissent ces niches en nombre. Près de 40 % des travailleurs migrants centrasiatiques se seraient retrouvés sans emploi ou auraient investi la sphère du travail informel, n’offrant aucun filet de sécurité sociale. La vulnérabilité des travailleurs migrants est exacerbée par l’absence de compensation socio-économique durant la pandémie par rapport aux Russes qui ont été 23 % en 2020 à être touchés par le chômage (Mamytbek, Èrgešbaev, 2021). La baisse drastique des rémittences (baisse de 30 % en 2020 par rapport à 2019) (Denisenko, Mukomel’, 2020), va dans ce sens ; les migrants renvoient en grande majorité de l’argent à leur famille, leur communauté, ce qui contribue à pallier la pauvreté et, surtout, à faire vivre des familles entières qui n’ont pas d’autres possibilités de compenser les faibles revenus, voire l’absence d’épargne. Les travailleurs migrants sont investis d’une immense responsabilité.
15Cette baisse des transferts de fonds contribue à réduire le PIB dans les pays où ils sont conséquents, les rendant très dépendants de la conjoncture économique et politique. Peu de travailleurs migrants ont pu tirer parti de la situation en développant des petits commerces dans leur pays d’origine (Tadjikistan ou Ouzbékistan) ou en investissant dans l’agriculture comme au Kirghizstan par exemple, où les migrants bénéficient de liens économiques et sociaux forts (Granovetter, 1973) et souvent d’une épargne associée à un solide réseau (Mamytbek et Èrgešbaev, 2021).
16La pandémie et les restrictions ont aussi beaucoup affecté les migrations intérieures9. Au Kirghizstan, dans la région de Tchou, nombreux sont ceux qui ont perdu leur unique source de revenu durant la pandémie, plus deux tiers de migrants intérieurs n’étant pas enregistrés sur leur lieu de vie et travaillant de manière informelle. Ces migrations sont sujettes à de multiples vulnérabilités et la dépendance des familles.
Enfin, la pandémie de Covid-19 a intensifié les contrôles, la surveillance des frontières, leur déconnexion sous couvert de prophylaxie sanitaire. Néanmoins, d’autres formes de prophylaxie s’exercent, sociales et politiques. Cet ordre social fait appel à des formes technicistes de biopouvoir (Foucault, 1997), qu’elles soient à un niveau individuel (digitalisation des identités10) et collectif (politiques de vaccination, de tests, etc.).
Retours et pression sur le marché du travail national tadjik
17La question de la pénurie de main d’œuvre se pose alors en Russie avec la baisse des flux migratoires et des pénuries dans les secteurs des services, du logement et de la construction (Sivoplâsova, 2021), et la dépendance du marché du travail russe à la main d’œuvre originaire des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale est une réalité. La volonté ou la tentative des employeurs en Russie de faire appel à la main d’œuvre nationale et non plus étrangère (Sivoplâsova, 2021, p. 98) se heurte à de nombreux obstacles. Parmi les plus importants, on pointe celui de la disponibilité de cette main d’œuvre dans les secteurs en défaut et surtout la question de la formation pour les Centrasiatiques, ces derniers ayant développé un savoir-faire en fonction des niches dans lesquelles ils évoluent depuis les années 2000.
18Concernant la structure des objectifs de séjour, on constate que les motifs d’arrivée pour les migrations tadjikes, ouzbèkes et kirghizes sont à 75 % liées au travail, à la différence des Turkmènes qui viennent pour les études à 50 %. Cela reflète des trajectoires historiques plus anciennes de l’époque soviétique. Par ailleurs, les travailleurs migrants qui sont sortis du marché du travail légal ont souvent glissé dans le système informel de l’emploi et ne figurent plus dans les statistiques de travail.
19Le nombre de permis de travail11 a diminué de 2,4 fois pour les travailleurs migrants en Russie sur la période entre janvier et août 2020 par rapport à 201912, les patentes pour les étrangers et apatrides ont diminué de 38 % et la délivrance des permis de travail ainsi que des patentes a baissé de 1,7 fois sur la même période (Krasinec, 2021).
La frontière comme obstacle et non enjeu de connectivité
20Pour les travailleurs migrants, la frontière est une condition de leur expérience économique et de leur « réussite » future, notamment de l’envoi de rémittences vers les familles restées au pays. La question des frontières, qu’elles soient terrestres ou aériennes, est cruciale et leur fermeture a contraint ces travailleurs migrants à élaborer des stratégies : partir ou rester ?, développer d’autres réseaux ou s’appuyer sur un spectre de réseaux existants ailleurs en Russie, dans d’autres régions et d’autres villes où la demande existe. Ceux qui étaient bien insérés sur le marché du travail et dans les communautés, dans la société de manière plus générale, auront tendance à rester et à attendre en trouvant du travail informel.
21Les divisions induites par la pandémie entre « eux » et « les autres » sont fortes, les travailleurs migrants faisant partie de la seconde catégorie et cette opposition binaire a été considérablement exacerbée par les mesures de confinement, de test, de surveillance et de contrôles stricts qui ont stigmatisé celles et ceux dont l’accès aux tests est considérablement restreint. La fermeture de la frontière kazakhe et la remise en question de l’intégration à l’Union économique eurasiatique, de la connectivité entre les Etats (passage de la frontière connectée à la frontière intégrée avec l’Union économique eurasiatique), nécessitent de penser à la mise en œuvre de corridors pour les personnes et pour les marchandises afin de pallier les conséquences de nouvelles situations de fermeture des frontières. La coopération transfrontalière a une importance majeure dans le cadre de l’UEEA, la frontière entre la Russie et le Kazakhstan étant de 7512 km. Plusieurs milliers de travailleurs migrants originaires du Kirghizstan, d’Ouzbékistan et du Tadjikistan13 ont tenté de rentrer chez eux en se rendant à la frontière russo-kazakhe mais se sont retrouvés dans une impasse, la frontière ayant été fermée. Ils ont alors été « encampés » (Agier, 2011) sous des tentes, lieu confiné et territoire de l’attente au moment où l’épidémie explose et affole les décideurs et les populations. Plusieurs corridors seront mis en place pour les évacuer vers leur pays d’origine entre mai et septembre 2020 (Lapenko, 2021). Dans le même temps, la Russie et le Kazakhstan ont libéralisé la législation migratoire en termes d’accès au logement et au marché du travail en étendant la durée des permis de travail, des patentes et des visas, et suspendant les expulsions. Cependant, les nouvelles technologies induites par la pandémie que sont la digitalisation de différentes mesures de contrôle se sont accélérées et risquent de pousser des franges importantes de travailleurs migrants dans l’économie de l’ombre.
Phénomène de rattrapage des flux migratoires et redirection des migrations
22Durant le premier semestre 2022, les travailleurs migrants originaires du Tadjikistan enregistrés par le Ministère de l’Intérieur de Russie étaient au nombre de 826.000 sur le territoire russe, ce qui témoigne d’une forte reprise des migrations de travail comme pour les Ouzbeks, mais aussi de la probabilité que de nombreux migrants soient restés sur le territoire russe sans carte migratoire en 2020 et 2021 malgré les restrictions liées à l’épidémie de Covid et soient sortis du système statistique, les rendant invisibles.
23La Russie reste la principale destination des travailleurs migrants centrasiatiques. Les migrations y ont un caractère structurel, ce qui n’est pas le cas des pays européens, par exemple, où ces migrations centrasiatiques sont pour le moment marginales et d’ordre conjoncturel. Certes, la pandémie de Covid-19 engendre des processus de redirection des mobilités vers d’autres pays dans lesquels une tradition migratoire existe depuis plus ou moins longtemps (Turquie, émirats arabes unis) et plus récemment les pays de l’OCDE. Mais dans ce cas, les migrations saisonnières vont être la plupart du temps encadrées par des accords avec les services de migration, comme par exemple l’envoi de Tadjiks, d’Ouzbeks et Kirghizes en Grande-Bretagne en 202214 dans le secteur agricole où des milliers de Centrasiatiques ont été recrutés par des agences officielles pour la cueillette de fraises. De nombreuses escroqueries ont été enregistrées concernant la vente illégale de visas organisée par de faux recruteurs allant jusqu’à plus de 2000 euros pour un visa de travail dans la plupart des pays d’Asie centrale. Ces faux recruteurs profitent de la méconnaissance du système de règlementation des visas15 par les potentiels migrants et migrantes, mais aussi de l’absence de régulation encadrée du système de recrutement et de la forte empreinte dans le tissu économique de l’informel.
24Même si ces pratiques ne sont pas nouvelles, elles sont exacerbées par le contexte très chaotique de la pandémie de Covid-19 et de la situation économique tendue en Russie. Au printemps 2022, après l’invasion russe de l’Ukraine de février, des centaines de migrants centrasiatiques, recrutés en Ukraine, ont été envoyés en remplacement de la main d’œuvre jusqu’alors constituée de nombreux Ukrainiens qui sont partis combattre l’armée russe16. Par ailleurs, on assiste à une « réémigration » des Tadjiks vers le Tadjikistan et l’Ouzbékistan en raison du boom de la construction dans ces deux pays, mais ceci reste très conjoncturel. Au Tadjikistan, l’anniversaire des 30 ans de l’indépendance du pays en 2022 a favorisé de nombreux projets et les compagnies se sont tournées vers des Tadjiks en Russie pour venir travailler sur les grands chantiers de construction.
25Les Tadjiks se redirigent aussi beaucoup vers l’Ouzbékistan qui, lui aussi, voit se profiler de nombreux projets de constructions (Rahmonov et al., 2021)17. De plus, la pandémie de Covid-19 a entrainé une baisse de la demande en pétrole en raison des confinements, ce qui a engendré une baisse des cours et la chute du prix du baril18. Les répercussions sur le marché du travail ont suivi rapidement avec des baisses de salaire plus importantes pour les travailleurs migrants que pour les nationaux et la fermeture, en raison des confinements, de nombreux services sociaux justement dédiés aux populations vulnérables.
26En 2021, les migrations de travail reprennent un rythme rapide et assez spectaculaire (figures 2, 5 et 7) qui s’apparente à un rattrapage classique en démographie, de même que des tendances de natalité après une guerre par exemple. Les rémittences se sont accrues considérablement alors que les estimations n’allaient pas dans ce sens. En 2021, le Kirghizstan et le Tadjikistan faisaient partie des 5 pays dont les rémittences représentaient plus de 30 % du PIB (avec le Tonga – 45 % ou le Liban – 30 %)19.
27Dès janvier 2021, des migrations sont organisées dans le cadre de contrats entre des entreprises en Russie et les autorités ouzbèkes20 faisant venir en Russie une dizaine de milliers d’Ouzbeks pour travailler dans la construction pour les firmes russes Pik Industriâ et Teh Stroj. Une délégation russe s’est rendue en Ouzbékistan pour recruter des spécialistes en plomberie, électricité, soudure, maçonnerie et plomberie ; des contrats ont aussi été signés dans le secteur agricole, témoignant de la pénurie de main d’œuvre en Russie et des besoins réels des différents secteurs. L’anthropologue et historien russe, Sergey Abashin, lors d’une conférence donnée au printemps 2022 sur les migrations de travail en provenance d’Ouzbékistan (dans le cycle de conférences mises en œuvre par l’auto-organisation Bahor/Vesna (Printemps) créée au même moment par des artistes et travailleurs culturels de retour en Ouzbékistan en réaction à la guerre en Ukraine)21, affirme que la guerre en Ukraine n’aurait pas de conséquences sur les migrations de travail en provenance d’Ouzbékistan, les travailleurs migrants ayant développé depuis des années des capacités d’adaptation et de mobilités inter-régionales au sein de la Fédération de Russie, s’appuyant sur leurs réseaux et leur différent « savoir-faire »22. Les travailleurs migrants ont tissé des liens qui peuvent s’appuyer sur leurs réseaux locaux, territoriaux ou sociaux de parenté (ou « avlod » au Tadjikistan), et territoriaux à travers la « mahalla » (réseaux socioprofessionnels). Ces liens se sont encastrés dans des réseaux plus larges organisés en Russie au fil du temps et ce, depuis l’époque soviétique. Les réseaux complexes et tentaculaires se sont densifiés, diversifiés et pluriethnicisés (Hohmann, 2021 ; Sahadeo, 2012). Ils permettent aux travailleurs migrants de réorganiser leur migration, mais tout va dépendre de l’encastrement du migrant dans ces réseaux (en termes de travail, de confiance, de loyauté, etc.). Les dernières données migratoires émises par le ministère de l’Intérieur semblent aller dans le sens d’une redirection des migrations vers d’autres régions, notamment en Sibérie, mais nécessitent bien entendu une certaine prudence en raison de différentes questions, notamment en ce qui concerne d’éventuels doubles comptages.
Conclusion
28La pandémie de Covid-19 constitue un événement collectif singulier et imprévisible. Certes, il n’a pas été vécu et perçu de la même manière par les populations en fonction de leur position socio-professionnelle, de leur milieu de vie et de leur logement, et des générations.
29Les confinements durant la pandémie ont constitué une véritable menace pour la paix sociale et bien d’autres sphères de la vie quotidienne. Il s’agit donc d’une rupture d’intelligibilité à ne pas sous-estimer. Les pays d’Asie centrale n’ayant pas les moyens et/ou la volonté de contrebalancer, par des compensations sociales et économiques, les effets des restrictions et des confinements, les travailleurs migrants n’ont pu se reposer que sur les liens sociaux plus ou moins forts existants. Dans le cas inverse, ils se sont retrouvés glisser dans la pauvreté et perdre ce qu’ils avaient acquis le temps de la migration. Les conséquences psychologiques sont peu étudiées dans ces pays et elles mériteraient, comme ailleurs, une attention particulière. La pandémie n’est pas terminée car, depuis 2020, de très nombreux variants ont été identifiés mais seulement cinq sont très préoccupants selon l’OMS. De plus, malgré les campagnes de vaccination qui n’ont eu qu’un effet réduit et contestable, les différentes vagues plus ou moins impressionnantes de Covid-19 imposent de repenser les modes de vie et le rapport au temps et à l’espace.
30Malgré cette situation inédite de restrictions, les migrations de travail ont repris en 2021 et témoignent des capacités d’adaptation aux contingences inédites mais aussi à un marché du travail russe en demande face à la crise démographique que la Russie vit depuis les années 1980. Les réseaux dans lesquels les travailleurs migrants sont encastrés sont à ne pas sous-estimer et nombreux d’entre eux se sont consolidés depuis 30 ans. Par ailleurs, les situations socio-économiques en Asie centrale sont difficiles et le Kirghizstan ainsi que le Tadjikistan figurent toujours parmi les plus pauvres de l’ex-URSS, ne disposant que de très peu de ressources dans des contextes de grande corruption à tous les niveaux de la société. Les prévisions démographiques sont pessimistes pour la Russie qui, d’ici 2030, devrait voir sa population ayant entre 20 et 39 ans baisser de 6,6 millions contre une hausse de 4 millions pour les 40-59 ans (Denisenko et Mkrtčân, 2022). Cela implique des transformations considérables sur l’économie du pays tout entier et sur les besoins du marché du travail. La question démographique du vieillissement de la main d’œuvre et celle des retraites va se poser de manière accrue.
31L’hémorragie de millions de jeunes hommes fuyant le régime de Poutine dès février 2022, puis la mobilisation partielle (en septembre 2022)23, vont impacter sérieusement la pyramide des âges et la natalité en Russie dans les années à venir. La Russie aura donc besoin de main d’œuvre jeune disponible24, essentiellement en provenance des pays d’Asie centrale où les taux de fécondité restent assez élevés, en particulier au Tadjikistan et au Kirghizstan.
32D’ailleurs, les plans d’octroi de la citoyenneté russe aux travailleurs migrants se sont multipliés avec la guerre en Ukraine et avec très certainement l’idée de tenter de reconstituer les ressources militaires, en plus de la volonté de pallier la crise démographique russe. Il est intéressant de noter ici que les chiffres d’acquisition de la citoyenneté russe pour les Tadjikistanais sont passés de 12.700 personnes en 2014 à 63.400 en 2020, à 119.700 pour les 9 premiers mois de 2022 et 173.634 sur l’ensemble de l’année 2022. Cela ne signifie pas que les Tadjikistanais qui ont acquis la double citoyenneté25 vivent et travaillent en Russie. En effet, ils peuvent tout à fait vivre au Tadjikistan mais profiter des avantages pour eux en Russie, cela nécessite donc d’être prudent dans l’interprétation donnée aux chiffres et de s’intéresser aux différents parcours migratoires tout en ayant une approche générationnelle.
33Et puis la guerre en Ukraine s’est invitée dans les procédures d’octroi de citoyenneté : en septembre 2022, la loi russe a été modifiée afin de faciliter l’accès à la citoyenneté russe pour les ressortissants étrangers qui décideraient de servir dans l’armée. Le décret du 15 mai 2023, dernier en date édicté par le président Poutine, se situe dans cette continuité alors que la guerre n’en finit pas. Ce décret facilite encore plus l’obtention de la citoyenneté russe, y compris pour les familles de ceux qui signeraient un contrat de service militaire ou de formation militaire26, et cela constitue un piège efficace qui se referme sur de nombreux migrants.
34Plusieurs cas documentés à ce sujet témoignent de pressions exercées sur les travailleurs migrants, notamment originaires d’Asie centrale, de recrutements effectués dans différents endroits et de la création d’un bureau de recrutement des conscrits situé près du centre de migration à Moscou. La vulnérabilité des jeunes migrants s’exprime notamment à travers les deux affaires récentes de jeunes Ouzbeks (23 et 26 ans) originaires de Samarcande tués durant la guerre en Ukraine27. Ces deux jeunes hommes, travailleurs migrants, avaient été incarcérés pour des raisons manifestement relatives à des papiers qui n’étaient pas ou plus en règle. Ils auraient été recrutés en prison pour combattre en Ukraine par la société paramilitaire Wagner avec des promesses de libération et de rémunération de l’ordre de plusieurs milliers d’euros. Cette affaire s’inscrit dans le processus de recrutement par Wagner dans le milieu carcéral ciblant les plus vulnérables dans le cas de ces deux jeunes hommes ouzbeks, mais aussi les plus dangereux lorsqu’il s’agit de dangereux criminels de droit commun dont les histoires récentes ont défrayé la chronique. Par ailleurs, à côté des promesses de la milice Wagner, il y a celles qui annoncent de bien meilleurs salaires pour ceux qui acceptent d’aller reconstruire des villes comme Marioupol, posant aux travailleurs migrants souvent issus des minorités un véritable dilemme moral28.
35Enfin, dans ce contexte de guerre et de tensions extrêmes, de rapports de force exponentiels et de grilles de lecture complètement brouillées, on peut se demander si les travailleurs migrants originaires d’Asie centrale, certes habitués aux crises depuis celle de 1998 et surtout de 2008, et ayant développé des capacités d’adaptation, réussiront à trouver les moyens d’une résilience, d’alternatives dans un contexte fait d’immenses incertitudes et désordre ?
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Notes
1 Selon le Service fédéral de sécurité (http.mvd.ru), le nombre de départs de Russes vers les pays voisins au troisième trimestre 2022 a battu un record. Au total, 9,7 millions de citoyens ont traversé la frontière durant cette période (1,2 million de plus si l’on compare à la même période en 2021). Les principaux pays où l’on enregistre les arrivées sont l’Abkhazie, la Turquie, le Kazakhstan, la Géorgie et la Finlande – ces pays représentaient près de 70 % de tous les voyages. Le record absolu appartient à l’Abkhazie : durant cette période, 2,5 millions de traversées y ont été enregistrées (attention ici car la moitié des Abkhazes ont la citoyenneté russe et passent régulièrement la frontière ce qui brouille les chiffres). La Turquie occupe la deuxième place avec 2,1 millions d’entrées. Il faut interpréter ces chiffres avec prudence car nous n’avons pas pour le moment d’informations statistiques sur la question des retours qui ont forcément lieu et, de plus, ces départs ne sont pas tous liés à la guerre. Beaucoup partent en vacances, en voyages d’affaires, etc. Il faut aussi avoir en tête que nombreux sont ceux qui font des allers-retours, ce qui constituent de multiples comptages pour une personne. Il y aurait certainement des centaines de milliers d’hommes (jeunes adultes) restés à l’étranger en lien direct avec la guerre, mais cela reste à confirmer, peut être deux millions. Cf. Papier accessible en ligne à l’adresse suivante : https://paperpaper. io/za-2022-j-minimum-700-tysyach-rossiyan-nadolgo-u/ (consulté le 16 février 2022). Sur le terrain en Arménie (en janvier 2023) et en Ouzbékistan (Samarcande et Tachkent : en mai 2023) selon les observations de Sophie Hohmann, il est fréquent d’entendre les Russes expliquer qu’ils repartent quelques jours ou semaines en Russie voir de la famille ou régler des questions administratives. Bien entendu, cela ne concerne quasiment pas les hommes sauf certains n’ayant plus de passeport par exemple. Il faut souligner que les régions et les villes ne font pas l’objet du même traitement (recrutement pour les forces armées, etc.).
2 Ce concept que l’on doit à Hannah Arendt avait été pensé en réaction aux totalitarismes et à la menace nucléaire. Il caractérisait des moments de crise durant le XXe s., une crise du temps lui-même. Dans leur article intitulé « Brèche temporelle et polarisation sociale », les auteurs définissent la brèche comme « une rupture dans le cours ordinaire des vies collectives et individuelles, se caractérisant par un haut niveau d’incertitude, entraînant une forte polarisation des temps vécus et suscitant une production de narrations temporelles… le temps se dit et se vit en plusieurs sens… » (Chauvin et al., 2021, p. 4).
3 Cf. Arendt Hannah, La crise de la culture : huit exercices de pensée politique, Paris, Gallimard, 1961.
4 Ceci témoigne d’un mode de fonctionnement soviétique selon lequel la verticale du pouvoir obligeait les médecins à pratiquer les dénonciations. La pratique n’est plus aussi courante aujourd’hui mais elle existe encore.
5 Le Tadjikistan est le principal pourvoyeur de travailleurs migrants après l’Ouzbékistan en termes de volume. Ces deux républiques représentaient en 2019, selon les données du Ministère des Affaires intérieures de Russie (MVD), 80 % de tous les enregistrements de migrants arrivés en Fédération de Russie en provenance d’Asie centrale. Le Kirghizstan vient derrière mais il est important de rappeler qu’il fait partie de l’UEEA (Union économique eurasiatique), ce qui offre de nombreux avantages administratifs aux travailleurs migrants kirghizes que les autres n’ont pas (Shustov, 2020).
6 Généralement, les travailleurs migrants arrivent peu en Russie au mois de janvier mais bien plus en nombre au printemps et repartent à l’automne ou au début de l’hiver dans leur pays d’origine (Hohmann, 2012 ; Laruelle, 2013).
7 Expression empruntée à Patrice Bourdelais et Pierre-Yves Raulot.
8 Le temps est une construction sociale qui est le produit de la diversité des activités sociales qu’il permet de coordonner et de rythmer. Avec les temps sociaux, le temps apparait comme un reflet de la dynamique sociale ainsi que de l’organisation sociale et non plus comme un repère chronologique. Ils permettent de réfléchir à l’organisation et aux ruptures de l’ordre social, et d’observer les dynamiques du changement social (Sue, 1993).
9 Selon Mamytbek et Èrgešbaev (2021), 18 % de la population kirghize serait concernée par les migrations intérieures en janvier 2020.
10 Une plateforme d’information unifiée pour l’enregistrement des citoyens étrangers sera créée en Russie, qui permettra aux migrants de recevoir des services gouvernementaux sous forme électronique, rapporte TASS, citant une réponse à une demande du Ministère de l’Intérieur. Le profil dans le système comprendra des informations sur le statut juridique du migrant, ses données biométriques, des informations sur son lieu de résidence et de travail. Le profil numérique permettra aux étrangers d’entrer dans une relation de travail avec un employeur, de confirmer une formation, de payer des impôts et d’effectuer d’autres paiements. Il est également prévu d’utiliser le système pour informer de la nécessité de quitter la Russie. La création d’un système d’information capable de stocker un profil numérique, selon le Ministère de l’Intérieur, est incluse dans le plan d’action pour la mise en œuvre du concept de politique migratoire de l’Etat en 2020-2022.
11 Le permis de travail est différent de la patente qui ne permet pas de choisir son lieu de travail. Par exemple, Novatek invite les migrants et leur fait une autorisation de travail pour un an par exemple, alors que la patente est achetée par le migrant luimême. Les patentes permettent de travailler dans de nombreux domaines mais pas les entreprises fermées, qui, elles, font des autorisations de travail. Ceux qui ont une carte de séjour et une autorisation de séjour n’ont pas besoin de patente. Le Kirghizstan est membre de l’Union économique eurasiatique, ce qui libère les travailleurs kirghizes de la patente. Un décret du 18 avril 2020 les exemptait du paiement des permis de travail et des patentes jusqu’à fin juin 2020.
12 Entre janvier et septembre 2020, le Ministère de l’Intérieur russe enregistre 1,9 million d’entrées de travailleurs migrants en Russie, soit 2,4 fois moins par rapport à la période correspondante en 2019.
13 Cf. Lien internet accessible à l’adresse suivante : http://www.iom.tj/index.php/ en/newsletters/370-600-tajik-nationals-stranded-in-kazakhstan-have-returned-totajikistan (consulté le 31 mars 2023).
14 Cf. Lien internet accessible à l’adresse suivante : https://rus.ozodi.org/a/31815901.html (consulté le 22 mars 2022). Dans ce cadre, plusieurs centaines de Tadjiks, ayant entre 22 et 45 ans et ayant des connaissances de base en langue anglaise, ont été envoyés en Grande Bretagne et en Irlande du Nord dans le secteur agricole de Tadjiks. Les contrats sont de 6 à 9 mois et souvent les Tadjiks doivent eux-mêmes payer leur billet d’avion. Des contrats entre ces deux pays existaient avant la Covid-19. Cf. Lien internet également accessible à l’adresse suivante : https://migrantnews.info/tj/7266/ (consulté le 22 mars 2022).
15 Cf. Lien internet accessible à l’adresse suivante : https://www.rferl.org/a/centralasian-victims-overseas-jobs-scam/31969347.html (consulté le 26 août 2022).
16 La main d’œuvre traditionnelle ukrainienne en Pologne se tarit avec la guerre puisque les hommes sont mobilisés ou partent volontairement se battre. Dans ce contexte, l’article s’interroge sur leur remplacement par les Tadjiks : Sajfiddin Karaev, Mogut li Tadžikskie migranty zamenit’ Ukraincev v Polše ? https://www.asiaplustj.info/ru/news/tajikistan/ society/20220520/mogut-li-tadzhikskie-migranti-zamenit-ukraintsev-v-polshe (consulté le 20 mai 2022). Un accord a été signé pour le moment avec l’Ouzbékistan et l’idée aussi d’envoyer des étudiants en agriculture en Pologne dans le cadre de stage. Des accords avaient été signés entre la Pologne et le Tadjikistan au début des années 2000. Quelques centaines de Tadjiks travaillent temporairement en Pologne et quelques centaines de Kazakhs également dans le secteur de l’automobile mais sans réel plan cadre d’organisation des migrations de travail. Début 2022, 2.502 citoyens d’Ouzbékistan, 2.343 du Kazakhstan, 566 du Kirghizistan, 528 du Tadjikistan et 453 citoyens du Turkménistan étaient inscrits auprès de la Caisse d’assurance sociale en Pologne (ZUS). À la fin du mois de mars 2022, leur nombre a augmenté sensiblement passant à 2.852 citoyens d’Ouzbékistan, 2.587 pour le Kazakhstan, 763 pour le Kirghizistan, 616 pour le Turkménistan et 605 citoyens pour le Tadjikistan sont désormais enregistrés dans la ZUS. L’avantage en Pologne lorsque les migrants ont un permis de séjour est qu’ils ont droit aux allocations familiales à hauteur de 100 euros/mois et par enfant. Cf. Lien internet accessible à l’adresse suivante : https://www. asiaplustj.info/ru/news/tajikistan/society/20220723/na-smenu-ukrainskim-migrantamgrazhdane-tsentralnoi-azii-teper-edut-v-migratsiyu-polshu (consulté le 5 mars 2023).
17 La crise de 2014 avec la baisse du prix du pétrole ainsi que les sanctions à l’encontre de la Russie avaient entrainé la chute du cours du rouble fin 2014, ce qui avait constitué un obstacle de taille pour les travailleurs migrants cherchant des débouchés et alternatives ailleurs.
18 Alors que, depuis quelques mois, le rouble n’a jamais été aussi fort malgré les sanctions renforcées imposées par l’Occident dans le contexte de la guerre en Ukraine. Le prix du pétrole et l’obligation faite aux acheteurs par les Russes d’honorer les commandes de pétrole en roubles ont consolidé le rouble. Cela joue plutôt favorablement pour les migrants qui voient leur pouvoir d’achat renforcé. Certains vont parfois même acheter un petit appartement en Russie, profitant de ce marché propice.
19 Cf. Document accessible en ligne à l’adresse suivante : https://www.knomad.org/ sites/default/files/2021-11/Migration_Brief%2035_1.pdf (consulté le 3 mars 2023). Voir en particulier les pp. 38-40.
20 Cf. Lien internet accessible à l’adresse suivante : https://podrobno.uz/cat/uzbekistani-rossiya-dialog-partnerov-/dve-stroitelnye-kompanii-iz-moskvy-planiruyut-trudoustroit14-tysyach-migrantov-iz-uzbekistana-/ (consulté le 12 mai 2022).
21 Cf. Rapport accessible en ligne à l’adresse suivante : https://hook.report/2022/08/ migrants-from-uzb/ (consulté le 18 novembre 2022).
22 Abashin souligne aussi le rôle des femmes ouzbékistanaises qui, elles aussi, émigrent de plus en plus pour le travail, suivant le modèle des femmes kirghizstanaises qui constituent une part importante des migrations économiques.
23 Au Kazakhstan, à partir de septembre 2022, 300.000 Russes ayant immigré sont enregistrés au Kazakhstan, mais 200.000 seraient repartis fin 2022, de même au Tadjikistan où l’on enregistrait 30.000 Russes arrivés depuis la mobilisation partielle de septembre. Cependant, il n’en resterait qu’à peine quelques milliers selon Saodat Olimova, directrice du Centre sociologique Sharq à Douchanbeh (conversation personnelle le 4 janvier).
24 Dans les conclusions de leur étude, Râzancev et Kašepov (2021) écrivent que, d’ici 2025, l’économie russe aura besoin de 2,6 millions d’employés pour occuper des postes dans la construction, la restauration, les industries minières, les services médicaux et sociaux, et les transports.
25 Une loi de 1995 permet aux ressortissants tadjiks de garder leur citoyenneté tadjike s’ils obtiennent la citoyenneté russe, ce qui est une exception.
26 Cf. Lien internet accessible à l’adresse suivante : https://www.garant.ru/hotlaw/ federal/1624070/ (consulté le 20 mai 2023).
27 Cf. Lien internet accessible à l’adresse suivante : https://rus.ozodi.org/a/32273158. html (consulté le 16 février 2023).
28 Des témoignages recueillis dans le Haut-Badakhshan en mai 2023 auprès de Pamiris vont dans ce sens. Ils évoquent le dilemme moral pour de nombreux Badakhshanis qui subissent une forte répression en Russie et sur le territoire tadjik de « ne pas avoir le choix » préférant aller reconstruire Marioupol plutôt que de rentrer au pays, alors qu’ils ne soutiennent absolument pas la guerre ni la politique de reconstruction des villes annexées (Terrain de Sophie Hohmann en avril 2023 dans le Haut-Badakhshan).
To cite this article
About: Sophie Hohmann
Institut national des langues et civilisations orientales, Paris.
About: Catherine Poujol
Institut national des langues et civilisations orientales, Paris.