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p. 299-550
Cette étude a pour objet l'aspect comportemental de l'adaptation d'un mammifère marin à son milieu de reproduction. Les pinnipèdes sont des mammifères amphibies qui se reproduisent hors de l'eau dans des habitats variés. Parmi eux, le phoque gris colonise une grande variété d'habitats, sur les côtes et les îles de l'Atlantique Nord, permettant d'analyser la plasticité comportementale d'une espèce en fonction des conditions du milieu.
Entre 1992 et 1996, des observations comportementales ont été effectuées dans quatre colonies européennes de phoques gris se caractérisant par des environnements très différents : l'île de Litskyi en Russie, le banc de sable de Richel en Mer de Wadden néerlandaise, les grottes de Pendower en Cornouailles anglaises et l’Île de May en Écosse. Les colonies de l’Île de May et de Litskyi sont importantes et installées depuis plusieurs dizaines d'années ; celle de Richel est récente et en voie de développement ; à Pendower, le groupe de reproduction étudié est fortement influencé par la topographie de la grotte utilisée comme site de mise bas. Ces différents groupes présentent un rapport des sexes - ou degré de polygynie apparent - très différent : à l’Île de May, les mères sont rassemblées en noyaux denses dont les mâles tendent à être rejetés (rapport des sexes de l'ordre de 18 femelles/mâle) ; à Litskyi, le rapport est plus équilibré (de l'ordre de 5 femelles/mâle) ; à Richel, le nombre relatif de mâles est élevé pour une espèce polygyne (3 femelles/mâle) ; à Pendower, le nombre de femelles par mâle est encore plus réduit (moins de 2 femelles/mâle). Ces variations s'expliquent par l'environnement physique et social caractérisant chaque colonie. L'importance du cycle des marées sur le comportement des phoques n'est marquée que lorsqu'il engendre des modifications majeures de la topographie des sites de mise bas.
Le budget d'activité diffère d'une colonie à l'autre, tout en restant typique des pinnipèdes en période de reproduction : le comportement le plus fréquent est toujours le repos qui permet aux adultes de limiter leurs dépenses énergétiques pendant une saison de re production au cours de laquelle ils jeûnent. De 1 à 9 % du temps sont consacrés aux interactions agonistiques qui permettent au groupe de se structurer. Les mâles présentent une activité sexuelle nettement plus importante que celle des femelles, illustrant le système polygyne. Les mères consacrent de 1 à 12 % de leur temps à interagir avec leur petit. Les différences d'activité entre colonies s'expliquent également par l'environnement physique et social. En outre, le dérangement d'origine humaine est une variable majeure dans l'écologie de la reproduction du phoque gris, à l'origine d'une importante partie des variations comportementales entre colonies.
A l’Île de May, une étude détaillée de la variabilité du comportement maternel permet d'envisager simultanément l'effet d'une série de variables grâce à leur intégration dans un modèle log-linéaire. Mise en parallèle avec d'autres variables d'importance connue (notamment la date de mise bas et l'âge du petit), la tactique maternelle, définie par rapport à l 'emplacement de mise bas choisi et aux trajets vers les points d'eau, explique une proportion élevée de la variabilité du budget d'activité des mères, mais aussi de celui de leur petit. Malgré une stratégie de reproduction commune (mise au monde d'un seul petit, soins à la progéniture uniquement maternels, période de lactation de 15 à 21 jours, oestrus bref vers le 15e jour et départ de la colonie après accouplement), les femelles d'un même site sont donc capables d'aborder leur période de lactation de différentes manières. Ce choix maternel est susceptible d'influencer les dépenses énergétiques des femelles et donc la quantité d'énergie qu'elles peuvent transférer à leur petit sous forme de lait. Suivant la tactique maternelle adoptée, les petits vont également présenter des variations de leur bilan énergétique supposé qui peuvent influencer leur croissance et donc leurs chances de survie. Le comportement des petits se révèle pourtant moins variable que celui des mères.
Les interactions agonistiques des phoques gris varient en nature et fréquence suivant le sexe des individus et suivant leur environnement. Les femelles effectuent toujours plus de menaces que de combats ; le pourcentage de leurs interactions agonistiques avec les mâles est proportionnel au nombre relatif de ces derniers sur les sites et augmente en fin de saison.
Deux volets complémentaires permettent d'envisager l'adaptation comportementale du phoque gris à son milieu de reproduction sous des angles différents. D'une part, nous abordons le rôle potentiel des vocalisations dans le lien mère-petit, lien indispensable à la survie du petit pendant la période d'allaitement. La structure acoustique des cris des petits est analysée et leur variabilité inter- et intra-individuelle est mesurée. Ce cri se révèle suffisamment différencié entre individus pour servir de support à une reconnaissance du petit par sa mère. Pourtant, ces vocalisations sont peu utilisées malgré l'apparente pression de sélection pour le développement d'un système de reconnaissance efficace qui permettrait de réduire la mortalité des petits. D'autre part, l'occupation de l'espace de reproduction est envisagée dans cinq îles des Orcades . Les substrats utilisés sont comparés aux substrats disponibles et leur évolution dans le temps est analysée. Dans ce cadre, il semble la surface occupée augmente chaque fois que la population s'accroît alors que la densité des paires mère- petit n'augmente que lorsqu'un phénomène d'immigration est suggéré.
Ce travail illustre, de manière qualitative et quantitative, les différents niveaux de variabilité comportementale du phoque gris en période de reproduction et mettent en évidence les facteurs favorisant cette plasticité relative. Malgré cette flexibilité, il semble que l'adaptation à la reproduction en groupes terrestres denses soit incomplète, supportant l'hypothèse que l'habitat originel de ce phocidé ait été la banquise.
This study investigates the behavioural aspect of the adaptation of a marine mammal to its breeding habitat. Pinnipeds are amphibious mammals that breed out of the water in various habitats. Among them, the grey seal uses a very wide range of environments, on the coast and islands of the North Atlantic, allowing one to analyse the behavioural plasticity in function of ecological conditions within one species.
Between 1992 and 1996, behavioural observations of reproductive individuals were conducted at four European grey seal colonies characterised by very different environments : the island of Litskyi in Russia, the sandy tidal flat of Richel in the Dutch Wadden Sea, the caves of Pendower bay in Cornwall, England, and the Isle of May in Scotland. The colonies of the Isle of May and of Litskyi are large and established for many years while Richel's is recent and developing : in Pendower bay, the size of the investigated breeding group is strictly limited by the topography of the cave used to pup. These groups show a very different sex-ratio or apparent Level of polygyny : on the Isle of May, females gather in dense core groups from which males tend to be rejected (mean sex-ratio of 18 females/male) ; on Litskyi, the ratio is more balanced (about 5 females/male) ; on Richel, the relative number of males is high for a polygynous species (about 3 females/male), and it is even higher in Pendower (less than 2 females/male). These variations are well explained by the physical and social environment typical of each colony. The effect of tide on seals behaviour is only obvious when it induces important modifications of the pupping areas' topography.
The activity budget varies between sites but remains typical of breeding pinnipeds : resting is the most frequent behaviour allowing adults to limit their energy expenditure since they fast during the breeding season. One to 9 % of the time are devoted to agonistic interactions helping to shape the group structure. Males show a much higher sexual activity than females, illustrating the species' polygyny. Mothers devote 1 to 12 % of their lime to interact with their pup. Variations of activity between colonies can be explained by the seals' physical and social environment. Moreover, human disturbance is an important variable in grey seals reproductive ecology and probably explains a certain amount of the differences observed between sites.
On the Isle of May, a detailed study of the variability of maternal behaviour allows us to investigate the simultaneous effects of a series of variables by incorporating them into a log-linear model. Compared to other known variables (like pupping date or pup age), the maternal tactic, defined by the chosen pupping place and female movements to pools, explains an important part of the variability of mothers', but also of pups' activity budgets. Although they present the same breeding strategy (only one pup, care to the pup performed by the mother only, lactation period of 15 to 21 days, short oestrus around the 15th day after pupping and departure from the colony after mating with males), female grey seals at one breeding site may show variation in their maternal behaviour. This maternal choice is likely to influence the females energy expenditure, and thus the amount of energy they can transfer to their pup through milk. Following the adopted maternal pattern, pups will also show variations in their probable energy balance. These variations may influence their growth and their survival. However, the behaviour of pups is less variable than the behaviour of mothers.
Grey seal agonistic interactions vary in type and frequency, according to the sex and environment. Females always threat more than they fight. The percentage of their agonistic interactions with males is proportional to the relative number of males on the breeding site, and increases as the season goes on.
Two different aspects of the behavioural adaptation of the grey seal to its breeding environment are then considered. First, we investigate the potential role of vocalisations in the mother-pup bond, this bond being necessary for pup survival during the lactation period. The acoustic structure of pup calls is analysed and their inter- and intra-individual variability is measured. These calls appear to be sufficiently differentiated between individuals to be used as a base for mothers to individually recognise their pup. However, although there seems to be a strong selective pressure to develop an efficient individual recognition system that would reduce pup mortality, these calls are infrequently used. Secondly, the occupation of breeding sites is investigated in five islands in Orkneys. The substrates colonised are compared to the substrates available, and the modification of occupied areas as time goes on are analysed. ln that frame, it appears that the occupied area increases each time the population increases, while mother-pup pairs density only increases when an immigration from other colonies is suggested.
This work describes and quantifies the different levels of variability in the behaviour of breeding grey seals, and emphasizes the factors promoting this relative plasticity. Nevertheless, it seems that the adaptation to breeding in dense terrestrial aggregations is not complete, supporting the hypothesis that the original habitat of this phocid was ice.
Abigail Caudron, « Plasticité comportementale en fonction du milieu de reproduction chez un mammifère marin, le phoque gris Halichoerus grypus », Cahiers d'éthologie, 18 (3-4) | 1998, 299-550.
Abigail Caudron, « Plasticité comportementale en fonction du milieu de reproduction chez un mammifère marin, le phoque gris Halichoerus grypus », Cahiers d'éthologie [En ligne], 18 (3-4) | 1998, mis en ligne le 14 mars 2024, consulté le 22 novembre 2024. URL : http://popups.uliege.be/2984-0317/index.php?id=1591