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De l’Ourthe primitive à la Meuse primitive en Basse-Meuse liégeoise
Partie 2 : modèle et discussion
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Version PDF originaleRésumé
Les dépôts graveleux qui tapissent les plateaux et les replats élevés autour de Liège font l’objet d’une étude sédimentologique, mise en rapport avec l’état des connaissances en matière de stratigraphie de l’Oligocène et du soulèvement/basculement du flanc NO de l’Ardenne. Les généralités et les données de terrain et de laboratoire sont exposées dans l’article qui précède celui-ci dans ce même volume de la revue. Celle-ci débouche sur un modèle inédit d’évolution morpho-sédimentaire du réseau hydrographique liée à une régression marine oligocène indéterminée dans un environnement sub-littoral. Deux itinéraires successifs de l’Ourthe en Hesbaye liégeoise rejoignaient vers le nord le littoral oligocène en régression. La première terrasse de la Meuse à l’amont de Liège atteste un écoulement également dirigé vers ce rivage. L’entrée en scène de la Meuse à l’aval de Liège et donc aux Pays-Bas impose d’invoquer des captures pour faire s’y déverser successivement la Vesdre, l’Ourthe puis seulement la Meuse. Les modèles antérieurs qui raccordent la Traînée mosane s.l. à des terrasses du Limbourg néerlandais sont donc remis en question.
Abstract
The gravel that covers the sub-flat surfaces above 180 m a.s.l. around Liège are the subject of a sedimentological study, in relation to the state of knowledge in terms of Oligocene stratigraphy taking into account the uplift/tilting of the NW flank of the Ardenne. General as well as field and laboratory data are set out in the preceding article published in the same volume of the Journal. This leads to a new model of morpho-sedimentary evolution of the hydrographic network linked to an indeterminate Oligocene marine regression in a sub-coastal environment. Two successive routes of the Ourthe through the Hesbaye (north of Liège) join the regression oligocene coast northwards. The first terrace of the Meuse upstream of Liège attests a flow also directed towards that shore. The entry into the scene of the Meuse downstream from Liège and therefore in the Netherlands requires captures in order to successively divert the Vesdre, the Ourthe and then only the Meuse. The validity of the earlier models which connect the Traînée mosane s.l. to terraces in Dutch Limburg is therefore disputed.
Table des matières
1. Transition
1Les généralités ainsi que les données de terrain et de laboratoire utiles pour la compréhension du présent travail sont publiées dans l’article qui précède celui-ci dans ce même fascicule du Bulletin de la Société royale des Sciences de Liège : « De l’Ourthe primitive à la Meuse primitive en Basse-Meuse liégeoise : 1) généralités et données » (Êtienne Juvigné, Geoffrey Houbrechts et Jean Van Campenhout). Néanmoins, nous reproduisons ci-dessous la carte de la région étudiée et sa présentation.
2Sur l’interfluve Meuse-Ourthe (flanc droit de la vallée de la Meuse) se trouvent les graviers fluviatiles les plus élevés de la région liégeoise, à Boncelles (270 m), à Sart Tilman (240 m) ainsi qu’à Seraing (Biens Communaux et Bois de la Vecquée entre 230 et 245 m). Sur le plateau du flanc gauche de la vallée de la Meuse (Hesbaye), il en existe deux nappes de gravier en gradins dont l’altitude ne dépasse pas 200 m : en Hesbaye liégeoise occidentale (zone de Grâce-Hollogne dont Liège-Airport) et en Hesbaye liégeoise orientale (Ans et Rocourt).
Figure 1 : Localisation des graviers Onx dans la région liégeoise d’après la carte géologique de Belgique (1/500 000). Légende : (1) Onx (ici Өo) = « Amas et traînées de cailloux blancs à allures ravinantes et fluviales » (Oligocène final continental) ; (2) O (pour Oligocène) = « sables quartzeux, fins, pailletés, homogènes, peu ou pas stratifiés… (Oligocène, dépôts inférieurs, marins (Tongrien ?) ». Les localités ajoutées sur la carte sont celles des sites étudiés (LgA= Liège Airport). Le réseau autoroutier est en gris en qualité de repère géographique. Les coordonnées des lieux de prélèvement d’échantillons sont rapportées en annexe 1 de l’article original.
3Les graviers de l’interfluve Meuse-Ourthe n’ont été évoqués qu’incidemment par les auteurs qui se préoccupaient principalement des terrains marins oligocènes sous-jacents. Ceux de Hesbaye ont fait l’objet de nombreux articles parce qu’ils s’étendent largement sur le plateau depuis Namur jusqu’à Liège et parce qu’ils ont été assimilés à des dépôts mosans primitifs. Le présent travail est la première étude conjointe de ces deux groupes de dépôt. Il prétend déboucher sur un nouveau modèle d’évolution morpho-sédimentaire de la région liégeoise à partir de sa dernière émersion et jusqu’à l’entrée en scène de la Meuse à l’aval de Liège. Les sites étudiés sont localisés sur la figure 1.
2. Interprétation des données de terrain et de laboratoire
2.1. À propos de la surface d’accueil des terrains Om
4Il s’agit ici de la surface d’érosion pré-tongrienne (Demoulin, 1989, 1995). Dans l’espace où se trouvent les cailloutis étudiés, la pente de cette surface est comprise entre 6,4 et 7,8 m/km (figure 2) et son sens général est N330°E, soit ~S/SE-N/NO. Elle s’intègre dans le réseau de la pente de la base des terrains Om à plus grande échelle rapporté par Legrand (1968), Demoulin (1989, 1995) et Claes et al. (2001).
Figure 2 : Topographie de la surface de transgression de la mer oligocène et localisation des cailloutis étudiés. Légende : 1 = altitude des sites de référence pour reconstituer la forme de la surface fossile ; 2 = isohypse (avec altitude) de la même surface ; 3 = sens du basculement identifié de lxtf ; 4 = cours d’eau actuel ; 5 = réseau routier, pour aider à la localisation. Abréviations : M = Mons ; Cr = Crotteux ; Fort = Fort de Hollogne ; T.Bon = T. de Boncelles ; T.ST = T. de Sart Tilman ; BdB1/2/3 = terrasses de Bois de Breux.
5Lorsque cette surface d’érosion a atteint son stade de maturité, sa pente devait être comprise entre 1 et 2 m/km. Pour que la mer oligocène puisse opérer sa transgression, l’Ardenne a dû s’affaisser et on ne peut déterminer si la pente de la surface précitée s’était maintenue. On ne peut pas non plus dégager les retouches morphologiques éventuelles effectuées par la mer oligocène en transgression. Par ailleurs, on peut supposer que les terrains Om déposés ont adopté la pente d’une plate-forme continentale qui est aussi en général comprise entre 1 et 2 m/km. En conséquence, dans la discussion qui suit, pour estimer le basculement de lxtf, nous avons choisi de raisonner en fonction d’une pente initiale de 1,5 m/km.
2.2. À propos des conditions environnementales
6Dans la mesure où les deux groupes de cailloutis que nous étudions ont dû se mettre en place pendant le Tertiaire, il est utile d’évoquer ici les travaux de Bless et Fernandez-Narvaiza (1996) qui décrivent avec force illustrations l’évolution de l’environnement de l’Euregio dans les conditions chaudes et humides du Tertiaire. Ils écrivent notamment : (1) « Le sol au nord-est de l’Euregio a recommencé à s’abaisser au cours de l’Oligocène. C’est dans cette région limitée par la Mer du Nord qu’est apparu un marais côtier… » ; (2) pendant le Miocène moyen (15 Ma), « Le drainage de la région… a commencé avec le soulèvement du plateau ardennais et des plateaux du Condroz et de Herve. Ceci a donné l’impulsion initiale pour la formation des cours d’eau actuels. ».
2.3. La rivière ardennaise primitive de Boncelles
7Les rivières primitives du flanc NO de l’Ardenne n’ont pu se mettre en place qu’au cours de la dernière régression marine. Lorié (1919) a clairement attribué à l’Ourthe-Vesdre la mise en place des Graviers liégeois. Concernant le cailloutis du plateau de Boncelles, Pissart (1964) s’est limité à évoquer « un courant d’eau coulant du S. au N. ». L’objectif est maintenant de discuter l’identité du cours d’eau. Pour ce faire, nous avons fait disparaître le relief en-dessous de 270 m de façon à maintenir discrètement le plateau de Boncelles sur la carte. La zone en blanc constitue ainsi l’espace minimal de liberté pour placer les paléo-cours d’eau ; en réalité vers l’amont, cet espace doit être de plus en plus vaste qu’en apparence sur la carte. Nous produisons aussi des altitudes approximatives de l’époque qui rappelle que l’énergie du relief était très faible sous le pied du Massif des Hautes Fagnes (Fig. 3).
Figure 3 : Situation orohydrographique depuis le haut plateau ardennais jusqu’en Hesbaye liégeoise lorsque le rivage de la dernière mer en régression était à Rondpéry. Explications : le relief est ennoyé à 270 m pour maintenir apparent le plateau de Boncelles ; le réseau hydrographique actuel est conservé comme repère géographique ; en blanc, les zones en-dessous de 270 m représentant l’espace minimal de liberté dont on dispose pour placer le paléo-réseau hydrographique. Légende : 1 = limite de la surface d’érosion pré-tongrienne d’après Demoulin (1989, 1995) ; 2 = estimation de l’altitude d’époque basée sur une pente de 1,5 m/km ; 3 = paléo-rivière.
8-. Pour justifier la mise en place des Graviers liégeois de Boncelles, on peut apparemment éliminer la Vesdre si l’on prolonge l’espace de liberté de sa vallée inférieure de façon rectiligne. Ce choix implique que la rivière se présentait comme un cours d’eau qui pouvait avoir, par rapport au rivage impliqué, une embouchure indépendante de celle l’Ourthe.
9-. L’Ourthe primitive est évidemment candidate, mais Laurant (1976) a proposé le prolongement du tronçon de Houffalize à Noiseux de façon rectiligne jusqu’à le faire déboucher dans le bassin du Hoyoux. Cette hypothèse sera discutée ailleurs (Juvigné et al., en préparation). Quel qu’en soit le bien-fondé, elle ne contrarie pas la question posée par nos résultats dans la mesure où les bassins versants de l’Aisne et de l’Amblève (affluents de l’Ourthe inférieure) remontent jusqu’en Haute Belgique d’où proviennent la majorité des galets de Boncelles. Dans l’attente d’une réponse à la question posée par le coude de Noiseux, nous appellerons le cours d’eau Ourthe-Amblève, de telle sorte que la contribution de l’Ourthe puisse être minimisée ultérieurement.
2.4. Relation entre les dépôts de Boncelles et de Rondpéry
10Une corrélation des cailloutis de Boncelles et de Rondpéry n’a jamais été proposée à ce jour, probablement pour deux raisons majeures : (1) la dénivelée qui les sépare est d’une septantaine de mètres pour une distance de seulement ~11 km, et la pente moyenne d’un site à l’autre est de 6,2 m/km ; (2) le faciès des cailloutis respectifs est fondamentalement différent ; les quartz de Boncelles présentent un émoussé fluviatile sommaire, ceux de Rondpéry un émoussé marin tout à fait abouti. Une coupe transversale passant par les deux dépôts met en évidence que chacun d’eux repose sur les terrains Om qui ont conservé une forte épaisseur (une vingtaine de mètres) (Fig. 4A). Ceci implique que la mise en place des cailloutis respectifs n’a pratiquement pas été érosive, alors que les terrains Om sont particulièrement sensibles à l’érosion et qu’ils auraient donc été incisés si la pente avait été supérieure à celle d’un environnement sub-littoral de très basse énergie de relief. Or dans un tel milieu, la pente longitudinale des cours d’eau est de l’ordre du décimètre par kilomètre et dans tous les cas, inférieure à celles de la surface d’érosion et/ou de transgression à maturité. Ceci implique que lors de la première phase du soulèvement de l’Ardenne, l’intensité de la pente de la surface de transgression a probablement diminué au moins de Boncelles à Rondpéry (Fig. 4B).
Figure 4 :(A) Relation géométrique actuelle entre le cailloutis d’estran de Rondpéry, les Graviers liégeois de Boncelles et la surface de transgression de la mer oligocène. (B) Coupe depuis Boncelles jusqu’à Rondpéry lorsque le rivage correspondant à la dernière régression marine était à Rondpéry. Légende : 1 = Graviers liégeois de Boncelles ; 2 = reconstitution de la terrasse de Boncelles ; 3 = cailloutis d’estran de Rondpéry ; 4 = lambeau existant de terrains Om ; 5 = reconstitution de la couche de terrains Om.
11Par ailleurs, la pente longitudinale du seul ltf de Boncelles (4 m/km) est également très nettement supérieure non seulement à celle de l’Ourthe inférieure actuelle (~1 m/km), mais bien davantage à celle des cours d’eau en milieu sub-littoral de très basse énergie. La granularité de son gravier est aussi nettement inférieure à celle de l’Ourthe inférieure actuelle. Si l’on exclut l’existence de lxtf fossiles en gradins non identifiés sur le plateau de Boncelles, la pente de la T. de Boncelles constitue un indice probant de basculement post-sédimentaire. Compte tenu de la différence d’orientation de la pente du lxtf (4 m/km vers le nord) et du pendage de la surface de transgression pré-tongrienne (6,2 m/km vers le NO), on peut constater que ces deux unités ont pu subir un basculement presqu’identique.
12Sur le plan sédimentologique, il n’y a aucune difficulté à accepter que l’Ourthe-Amblève primitive ait apporté ses galets à émoussé fluviatile (Iw = 0,682) à Rondpéry dans une zone littorale où le mouvement permanent de la houle les a rapidement conduit à un émoussé marin (Iw = 0,762). La fréquence des différents types de galets n’est pas la même d’un dépôt à l’autre, mais : (1) même au sein d’un même ltf, les fréquences varient (i.e. dans le ltf de Boncelles : 57,8 <Q’ < 74,5 ; (2) il pouvait exister un courant marin littoral d’ouest qui amenait à Rondpéry des galets par exemple du bassin de la Meuse de Dinant. Par ailleurs, on ne s’étonnera pas qu’il existe quelques galets marins dans les Graviers liégeois à Boncelles (M’’ = 9%), puisque pendant toute la phase de retrait de la mer impliquée, il y a toujours eu une plage sur laquelle débouchaient des rivières conséquentes dont l’Amblève et l’Ourthe. Dans ces conditions, des galets fluviatiles ont pu y acquérir l’émoussé marin, puis être repris plus tard par les cours d’eau conséquents en extension. Une autre possibilité mineure d’approvisionnement existe à la traversée des conglomérats dévoniens. Les fortes concentrations de galets marins enregistrées sur le plateau de Rondpéry devraient simplement répondre à une période de stabilité exceptionnelle du littoral au cours de la régression marine. Dans ce modèle, les Graviers liégeois de Boncelles et le cailloutis d’estran de Rondpéry peuvent donc être des dépôts corrélatifs.
2.5. La capture de l’Ourthe primitive à l’amont de Boncelles
Figure 5 : Reconstitution schématique de la modification du réseau hydrographique en relation avec la capture de l’Ourthe-Amblève primitive entre Esneux et Tilff. Explications : le relief est ennoyé à 240 m, altitude du toit de la T. de Sart Tilman ; le réseau hydrographique actuel est conservé comme repère géographique. Légende : 1 = vallée abandonnée de l’Ourthe-Amblève primitive ; 2 = itinéraire de l’Ourthe-Amblève après la capture et situation indéterminée de la Vesdre inférieure.
13Il faut maintenant s’interroger sur la façon dont l’Ourthe-Amblève a pu passer de la T. de Boncelles (base minimale 260 m ; sommet absolu 271 m) à celle de Sart Tilman (b234 ; s238 m). Étant donné l’absence de cailloutis fluviatile sur l’interfluve Meuse-Ourthe entre les deux sites, l’hypothèse d’un glissement latéral de l’Ourthe-Amblève peut être écartée. En effet, elle impliquerait que tous les cailloutis que la rivière aurait abandonnés sur son passage, auraient été emportés, sans pour autant se retrouver dans les colluvions des retombées marginales du replat concerné. Dès lors, la solution la plus rationnelle consiste à invoquer une capture survenue au droit du tronçon entre Esneux et Tilff (Fig. 5).
2.6. Les Graviers liégeois de Sart Tilman et du plateau de Rocourt
14Nous avons montré plus haut que les Graviers liégeois de Sart Tilman et du plateau de Rocourt sont identiquement incisés d’une quinzaine de mètres dans les terrains Om sans les avoir traversés entièrement (Fig. 6). Ils pouvaient donc faire partie du même réseau hydrographique dans un environnement toujours sub-littoral de très basse énergie de relief (cf. supra : T. de Boncelles). Par ailleurs, l’incision acquise par rapport à la T. de Boncelles et le dépôt littoral de Rondpéry doit répondre à une reprise de la régression marine oligocène. On notera aussi que la pente moyenne actuelle du cailloutis entre Sart Tilman et la sablière Gritten à Rocourt (U2a) est pratiquement égale à celle de la surface de transgression et dans un sens proche (~6,6 m/km, N350°E). Ceci implique un basculement post-sédimentaire. Jusqu’à ce stade, il semble donc que le soulèvement de l’Ardenne ait prévalu sur le basculement.
Figure 6 : La T. de Sart-Tilman-Rocourt. (A) Situation actuelle. (B) Reconstitution de la situation pendant la période d’activité. Légende : 1 = Graviers liégeois ; 2 = Graviers liégeois manquants ; 3 = terrains Om ; 4 = terrains Om manquants. Explications : la pente primitive de la surface de transgression et celle de l’Ourthe inférieure actuelle sont présentées à titre indicatif.
2.7. L’entrée en scène de la Meuse à Liège
15Remarque préliminaire. Selon Juvigné et al. (2020a) et Juvigné et Houbrechts (2020), il s’agit ici de la Meuse de Dinant, c’est-à-dire le cours d’eau dont les sources se trouvaient sur le flanc nord du Massif de Rocroi, si bien que dans cette situation, ni les eaux de la Semois, ni celles de la Meuse lorraine ne se déversaient encore en Belgique.
16L’altitude du cailloutis de Rondpéry est la plus basse de celle des cailloutis du plateau de Hesbaye entre Namur et Liège (Juvigné et al., 2020a) : (1) Petit Waret et Surlemez/Couthuin (sommet à 217 m) ; (2) Vinalmont/Villers le Bouillet (sommet à 206 m). On en déduit que, toute déformation du sol ouest-est exclue, la Meuse de Dinant n’a été contrainte de s’écouler de Namur jusqu’à Liège que depuis son incision sous le niveau du toit du cailloutis d’estran de Rondpéry (200 m). Dans ce sens, le cailloutis existant entre 187 et 190 m à l’extrémité NE du parc de l’aéroport pourrait être le premier témoin de l’entrée en scène de la Meuse de Dinant en Hesbaye liégeoise, et si ce n’est pas le cas cette qualité ne peut échapper à la terrasse de Mons-Crotteux (183-187 m à Mons-Lez-Liège. Nous avons montré plus haut que cette première terrasse mosane est orientée du S/SO vers le N/NE à travers la crête de Hesbaye pour rejoindre le littoral en régression. Nous avons aussi montré qu’elle présente une pente nettement supérieure à celle d’un quelconque cours d’eau en milieu sub-littoral ; elle a donc subi le basculement.
Figure 7 : (A) La coexistence en Hesbaye liégeoise des terrasses de Mons-Crotteux (Meuse de Dinant) et de Sart Tilman-Rocourt (Graviers liégeois). Légende : 1 = dépôts corrélatifs de Boncelles-Rondpéry ; 2 = T. de Mons-Crotteux ; 3 = T. de Sart Tilman-Rocourt ; 4 = orientation de chacune des deux terrasses. Explications : (B et C) chaque point rouge désigne un site où la présence de cailloutis Onx est rapportée sur la carte géologique. Le triangle rouge est le Fort de Hollogne et le cercle rouge est le puits de l’ancienne bure de Bonne Fortune. La lettre P indique la position du lieu-dit Péru où nous avons effectué des fouilles en tranchées à la pelleteuse.
17Les figures 7B et 7C correspondent au contour des nappes Onx/Om de la carte géologique au 1/40 000 et chaque pastille rouge est un site où la présence de cailloutis Onx y est mentionnée. Dans la figure 7A (Hesbaye liégeoise occidentale), nous avons dessiné la limite du ltf de Mons-Crotteux en fonction de celle du cailloutis en position primaire. Les pastilles rouges en position marginale correspondent à des sites où le cailloutis devrait être en position remaniée sur des retombées du replat de la terrasse. Dans l’ensemble, on peut constater que la Meuse de Dinant coulait du S/SO vers le N/NE depuis Chockier (vallée de la Meuse) jusqu’à Mons-lez-Liège. Nous avons cherché en vain ces cailloutis sur les replats situés à l’est de la terrasse entre 180 et 190 m dans l’agglomération liégeoise. Nous avons notamment fait des fouilles à la pelleteuse (bras de 5 m) dans un espace encore agricole, de façon à disposer d’une séquence complète dans la tranche d’altitude de 175 à 192 m ; il s’agit du lieu-dit Péru à Grâce-Hollogne (P sur la fig. 7A) : (1) entre 192 et 180 m, le limon loessique constitue la couverture ; (2) lorsque la fouille est descendue sous le plancher du limon, des occurrences discrètes de sable Om ont été atteintes entre 178 et 180 m ; (3) la craie à silex (Formation de Gulpen) a été excavée sous 175 m ; (4) des galets isolés à l’état d’infimes traces ont été trouvés dans la partie inférieure des limons loessiques (Juvigné , 2020). La route sud-nord de la Meuse de Dinant en Hesbaye liégeoise occidentale est donc bien une réalité.
18Dans le lambeau Onx/Om du plateau de Rocourt (Fig. 7C), les sites où il est fait mention de cailloutis Onx (Graviers liégeois) sont dispersés et semblent indiquer un écoulement d’autant plus diffus que l’épaisseur des occurrences de cailloutis est faible (décimétrique). Dans la mesure où les deux cours d’eau impliqués étaient identiquement incisés dans les terrains Om, on peut considérer qu’ils appartenaient à un même réseau hydrographique, et en reportant leur sens d’écoulement sur la figure 7A, on constate qu’ils pouvaient encore rejoindre en toute indépendance, le littoral en régression.
19Du point de vue sédimentologique, le cailloutis de la T. de Mons-Crotteux doit être le résultat du remaniement non seulement du cailloutis de Rondpéry, mais aussi de toute la traînée « d’amas de cailloux blancs… » qui tapisse le plateau de Hesbaye depuis Namur, ce qui peut expliquer les différences inhérentes à la fréquence par rapport aux Graviers liégeois.
2.8. L’évolution du réseau hydrographique primitif en Basse-Meuse liégeoise
20Lors de l’émersion inhérente au retrait de la mer oligocène impliquée en Hesbaye liégeoise, le littoral a nécessairement régressé sur la retombée occidentale du Plateau de Herve, et un cailloutis de galets marins subsiste par exemple au Fort de Neufchâteau/Warsage à ~235-240 m d’altitude (Fig. 8 : Fort). Dans cette situation, une série de ruisseaux devaient se jeter directement dans la mer entre le ruisseau des Moulins (à Jupille) et la Voer (à Voeren/Fourons), et ils ont pu être les seuls à drainer la future Basse-Meuse.
Figure 8 : La future Basse-Meuse avant le déversement de la Vesdre. (A) Les plus hautes terrasses du flanc oriental de la Basse-Meuse liégeoise selon Briquet (1907 et suivants). Explications : (1) le relief est ennoyé à 170 m de façon à laisser apparaître les replats qui portent les lxtf les plus élevés ; (2) le réseau hydrographique actuel a été conservé comme repère géographique ; (3) les plages jaunes localisent les lxtf qui sont tous en-dessous de 200 m ; (3) le trait jaune marque la limite orientale des cailloutis fluviatiles ; (4) les flèches bleues se rapportent au cours de la Vesdre dont on ne peut déterminer si à ce stade, elle s’écoulait ou non vers les Pays-Bas.
2.9. La Meuse de Dinant et le site de référence de Bois de Breux
21Le cailloutis du ltf le plus élevé de Bois de Breux (BdB1[b187 ; s194]) (Juvigné et Van Campenhout, 2020) présente une telle fréquence de galets marins (Iw= 0,720 ; M’’= 33) que seule la Meuse de Dinant peut les y avoir livrés, puisqu’il n’en existe que des parts très faibles dans les cailloutis de la Vesdre et dans les Graviers liégeois de l’Ourthe-Amblève. La T. BdB1 est donc bien la première qui atteste de la présence de la Meuse de Dinant dans la Basse-Meuse à l’aval de Liège.
22Dans la mesure où la T. de Mons-Crotteux (Meuse de Dinant) et la T. de Sart Tilman-Rocourt (Graviers liégeois de l’Ourthe-Amblève) sont dirigées du sud vers le nord et sub-parallèles entre elles en Hesbaye liégeoise, si la Vesdre avait effectivement un cours indépendant, elle a dû se déverser en premier lieu dans le chenal drainé par les ruisseaux locaux de la retombée du plateau de Herve, l’Ourthe-Amblève a dû y rejoindre la Vesdre et la Meuse de Dinant a dû suivre (Fig. 9).Tous cours d’eau confondus, la paléo-vallée de Bois de Breux relève donc de la surimposition dans les terrains du Houiller à travers les terrains Om puis les terrains crétacés. La suite de l’incision latérale s’est poursuivie jusqu’à la plaine alluviale actuelle sans transiter par le replat du CHR à Saint-Walburge, car le cailloutis de ce replat vient d’être excavé et il s’agit de galets remaniés au départ du plateau de Rocourt. C’est donc un lambeau d’aplanissement partiel (Juvigné et al., en préparation) et non pas un lambeau de terrasse mosane comme l’ont écrit Juvigné et Renard (1992).
Figure 9 : Le développement de la paléo-vallée de Bois de Breux au fil des déversements successifs de la Vesdre, de l’Ourthe-Amblève puis de la Meuse de Dinant. Légende : 1 =terrains marins oligocènes ; 2 = terrains crétacés ; 3 = lambeaux de terrasse de Bois de Breux ; 4 = profils des vallées successives depuis le chenal des ruisseaux locaux installé dès l’émersion du site jusqu’au déversement de la Meuse de Dinant ; (5) chemin de l’incision latérale de la Meuse depuis Bois de Breux jusqu’à la plaine d’inondations.
23La relation entre les terrasses de Mons-Crotteux et de BdB1 appelle un commentaire particulier. Les base et sommet de la T. de Mons-Crotteux sont : [b183 ; s187] à Mons lez Liège ; [b~195 m ; s~198 m] à Chockier. Dans cette mesure, le ltf BdB1 [b187 ; s194] est plus bas que la T. de Mons-Crotteux à Chockier, mais on ne voit pas dans ces altitudes une dénivelée qui puisse justifier une capture. Toutefois, si l’on note que Chockier est sur l’isohypse 210 m de la surface de transgression et Bois de Breux sur celle de 225 m, on peut déduire que cette différence implique un soulèvement de plus grande amplitude pour Bois de Breux que pour Chockier et une dénivelée virtuelle apparaît.
24Il faut alors remarquer que l’épaisseur du cailloutis de la T. de Mons-Crotteux ne dépasse jamais 3 m et que celle de BdB1 est de 7 m. Cette différence s’explique aisément si l’on considère que la Vesdre et l’Ourthe-Amblève coulaient déjà au droit de BdB1 avant que la Meuse de Dinant y parvienne à son tour. On peut aussi en déduire que la Vesdre et l’Ourthe-Amblève ont préparé la capture de la Meuse de Dinant par leur incision préalable à l’aval de Liège.
25En résumé, on peut imaginer que la Vesdre puis l’Ourthe-Amblève, après s’être déversées successivement dans la future Basse-Meuse y ont façonné l’incision qui allait permettre le déversement de la Meuse de Dinant au départ de la T. de Mons-Crotteux.
26Voilà donc le titre de ce travail honoré : la Basse-Meuse vient de recevoir sa Meuse primitive qui n’est encore que la Meuse de Dinant. Néanmoins, le modèle qui vient d’être décrit invite à revisiter l’interprétation de données sédimentologiques propres aux trois terrasses de Bois de Breux. La terrasse BdB2[b185 ; s188] présente par rapport à sa suivante (BdB3[b178 ; s184]) des valeurs d’indices sédimentologiques (Q’’, Iw, M’’, U/P) inférieurs, alors que la situation inverse serait attendue en fonction de la décroissance altimétrique acceptée plus à l’aval dans les terrasses de la Meuse (Van Straaten [1946] dans le Limbourg néerlandais ; Juvigné et Renard [1992] dans la Basse-Meuse liégeoise inférieure). Juvigné et Van Campenhout (2020) ont expliqué cette inversion en invoquant une phase d’aggradation de BdB3 pour atteindre le niveau supérieur de BdB2. Maintenant, on peut éviter de recourir à une telle interprétation en y voyant des variations sédimentologiques liées aux divagations latérales des trois cours d’eau impliqués dans leur terrasse commune à l’aval immédiat de leur confluence.
2.10. Et le cailloutis de Seraing ?
27Il reste effectivement à ne pas oublier de s’inquiéter du cailloutis de Seraing auquel nous avons retiré : (1) la qualité de Graviers liégeois pour des raisons d’inaccessibilité de l’Ourthe-Amblève ; (2) son label Onx pour insuffisance de galets de quartz. Dans l’évolution du réseau hydrographique telle qu’elle est proposée plus haut, le cailloutis de Seraing ne peut être que postérieur à la T. de Mons-Crotteux (b~195 m ; s~198 m à Chockier), alors qu’il est nettement plus haut entre 228 et 246 m. Toutefois, pour rappel, la position primaire de ce cailloutis n’est pas connue, si bien que pour expliquer cette situation d’apparence anachronique, on doit se limiter à invoquer qualitativement le basculement transversal de la vallée qui par ailleurs est maximal sur la coupe transversale passant par Seraing (7,8 m/km). Toutefois, on peut aussi supposer que la capture de la Meuse de Dinant au niveau de la T. de Mons-Crotteux a initié une vague d’érosion régressive qui pourrait justifier la formation de la T. de Seraing. La réflexion pourra être reprise lorsque l’altitude de ce cailloutis en position primaire sera connue.
3. Discussion
3.1. Le concept de cailloutis Onx
28Pour rappel, le concept de cailloutis Onx relève de la légende de la carte géologique de Belgique : « Amas et traînées de cailloux blancs à allures ravinantes et fluviales. (Oligocène supérieur continental) ». Si ce label peut continuer d’être appliqué aux cailloutis de Boncelles, Sart Tilman, Rondpéry et Rocourt, il doit être : (1) ajouté à celui de BdB1 (qui a échappé lors du lever de la carte géologique) ; (2) retiré pour insuffisance de « cailloux blancs » aux cailloutis de Seraing et de BdB3 (NDR : BdB3 est classé dans les Onx de la carte géologique). Après ces aménagements, il reste dommage que la distinction n’ait pas été faite entre les Onx marins et les autres fluviatiles sur la base d’un émoussé fondamentalement différent et reconnaissable à l’œil nu, et il est encore plus regrettable que la carte géologique de Wallonie ait regroupé tous les galets de terrasses dans une seule classe : « Alluvions anciennes ; Ala ».
3.2. Le concept de Traînée mosane
29Pour rappel, Macar (1945) a donné le nom de Traînée mosane à la nappe de galets Onx qui tapisse le plateau de Hesbaye depuis Wépion/Namur jusqu’à Liège. Ce concept peut être maintenu pour la première terrasse de la Meuse de Dinant à savoir la T. de Mons-Crotteux, encore faudra-t-il rechercher dans le tronçon entre Namur et Huy celui qui lui correspond parmi les différents niveaux de terrasses à cailloutis Onx décrits par Juvigné et al., (2020a). Par contre, si l’on admet que le cailloutis de Rondpéry est un dépôt littoral de l’Ourthe-Amblève, le concept ne lui est plus applicable. On peut aussi se demander si Macar n’avait pas présumé lui-même de cette possible adaptation, car en présentant pour la première fois, lors d’une excursion de colloque, la division de sa Traînée mosane en deux niveaux distincts, il disait/écrivait : « La Traînée mosane présente ici (NDR : à Rondpéry) un aspect nettement différent de celui vu précédemment (NDR : le cailloutis de la T. de Mons-Crotteux dans la sablière de l’Arbre st Michel)… davantage de lits sableux, minces traînées de cailloutis, sables plus colorés, rubéfaction nettement marquée... » (Macar, 1974).
3.3. Le modèle de J. de Heinzelin (1963) nuancé par Laurant (1976)
30Selon de Heinzelin (1963), à l’aval de Namur et à la fin du Miocène, la Meuse de Dinant poursuivait son cours vers le Nord à travers la Hesbaye namuroise, tout comme l’Eau d’Heure, le ruisseau d’Acoz, le Samson et le Hoyoux (Fig. 10). Au passage, on remarquera que dans cet élan le passage de l’Ourthe-Amblève de Boncelles à Rondpéry aurait pu être supposé, mais ne l’a pas été. Pour mettre en place la Traînée mosane depuis Namur jusqu’à Liège, l’auteur écrit « La commutation de la Meuse d’Ouest en Est a sans doute tenu à peu de chose, au moment où le Massif de Rocroi était à peine dessiné. », mais il ne précise pas ce qu’il entend par commutation. Laurant (1976) apporte une réponse à cette énigme en proposant une série de captures provoquées par des affluents de la Meuse de Dinant, du Samson et du Hoyoux. Toutefois, si ces captures avaient eu lieu au niveau du plateau, elles auraient provoqué l’incision des cours d’eau par rapport au toit des terrains Om, et la Meuse une fois acquise n’aurait pas pu aller y déposer les galets qui lui étaient attribués. Une alternative pour maintenir l’hypothèse de Laurant pourrait consister à placer les mêmes affluents à un niveau supérieur à celui du plateau, puis de faire disparaître entièrement ce niveau, toutes les captures une fois abouties.
Figure 10 : Deux extraits de l’évolution du réseau hydrographique de la « région gallo-belge » d’après de Heinzelin (1963 : fig. 1 et 2, avec ajouts). On notera que sur la figure A, la Meuse de Dinant, le Samson et le Hoyoux poursuivaient leur cours à travers la Hesbaye en qualité de rivières conséquentes. En bleu, des affluents transsécants de ces cours d’eau qui ont été ajoutés par Laurant (1976) pour proposer l’hypothèse de captures en série. N.B. Il faut noter que le modèle de Heinzelin ne tient pas compte de l’existence de la Meuse orientale pourtant connue depuis Hol (1949 : Oostmaas).
3.4. L’histoire des cailloutis Onx des hauteurs de Liège
31-. Van den Broeck et Rutot (1887, 1888) font rapport de l’étude géologique de sites destinés à recevoir les forts qui devaient assurer la défense militaire des plus grandes villes de la vallée de la Meuse. De très nombreux forages et puits ont été réalisés et dans plusieurs sites, ils mettent en évidence la présence d’« amas de quartz arrondis dont l’épaisseur varie de 1 à 7 m ». Il s’agit ici des sites de la région de Namur et de Liège (y compris Boncelles.
32-. Dans la légende de la carte géologique de Belgique (fin du 19e et début du 20e siècles), ces cailloutis sont placés dans l’Oligocène final sous le label Onx.
33-. Briquet (1907) propose un modèle de profils longitudinaux de terrasses de la Meuse à l’aval de Seraing jusqu’à Sittard (Limbourg néerlandais). Les lxtf sont raccordés en 14 niveaux en fonction d’une dénivelée constante de la base de leurs cailloutis par rapport à la plaine inondable. Dans la tranche d’altitude des cailloutis Onx, plusieurs lambeaux de terrasses fluviales des hauteurs de Liège sont intégrés dans le modèle : le « Plateau des Gonhirs (Boncelles) » dans la T. de Huls (+180 m/plaine d’inondations) ; le « ? Plateau au S. des Communes (Seraing) » dans la T. de Crapoel (+135 m/p.i.) ; le « N. de Croteux (Mons) » dans la T. de Sibbe (+105 m/p.i.) ; le « S. de Croteux, plateau de Mons et Reginsart » (+90 m/p.i.). On notera que les lxtf pris en considération sont ordonnés stratigraphiquement en fonction de leur altitude actuelle.
34-. Fraipont (1909) est le premier à décrire une sablière du Sart Tilman (NDR : Grande Sablière) dans laquelle il rapporte : « Lit épais de cailloux roulés de quartz blancs et de roches quartzeuses de l’Ardenne, parfois blanchies et friables… ».
35-.Lorié (1919) introduit le concept de Graviers liégeois. Après avoir visité toutes les sablières-gravières en activité, dans la région liégeoise, il conclut : « … la ressemblance des coupes, notamment entre celles d’Ans et de Sart-Tilman, est tellement grande, qu’il faut les tenir ensemble. Je suis fort tenté de voir dans ces graviers un cône de déjections de l’Ourthe avec la Vesdre. » Si l’auteur a proposé la corrélation en faisant appel à un cône de déjections, c’est tout simplement parce qu’il raisonnait sur la base du relief actuel de la Belgique. En fait, la connaissance que l’on a aujourd’hui du soulèvement/basculement de l’Ardenne (cf. supra) permet de comprendre que les dépôts impliqués relèvent d’un milieu sub-littoral. Par ailleurs, citons encore Lorié (1919) : « Qu'est-ce que la Meuse a fait pendant l’édification de ce cône ? Nulle trace, dans la topographie actuelle, de ce qu’elle aurait été poussée vers le Nord. ». Nous avons donc le sentiment d’avoir simplement adapté le modèle de Lorié à un environnement sub-littoral et d’avoir répondu à la question que se posait l’auteur.
36-. Macar (1938, 1957) construit des modèles de terrasses qui ne commencent qu’à l’aval de la confluence Ourthe-Meuse et ne prennent donc pas en considération les cailloutis impliqués dans notre travail, même pas celui de Bois de Breux (NDR : BdB3) pourtant repris sur la carte géologique en qualité d’Onx.
37-. Macar et Meunier (1955) publient des résultats relatifs à la taille et à la nature des galets de la Traînée mosane, obtenus par Meunier (1953). Les auteurs insistent sur la similitude de la nature des cailloux de la Traînée mosane et de l’Ubagsberg à 215 m (Limbourg néerlandais) ; ils proposent donc de façon implicite un profil de terrasse en contre-pente à travers la Basse-Meuse et la vallée abandonnée de la Meuse orientale.
38-. Pissart (1964) rejette le modèle de Lorié en basant son argumentation sur la situation topographique actuelle, prétendant que si l’on prolongeait le profil longitudinal de ce cône vers la Haute Belgique, « le tracé de la rivière responsable de cette accumulation aurait dû passer au-dessus des plus hauts sommets reviniens qui ont fourni une partie du matériel détritique ». Par ailleurs, à propos des cailloutis de Seraing et de Sart Tilman dont il fixe l’altitude à 230 m, il écrit : « … nous nous demandons s’il ne s’agit pas d’un témoin du même dépôt fluviatile... », à savoir « … de graviers liégeois repris par un ancêtre de la Meuse. ».
39-. Pissart (1974) produit un modèle des terrasses mosanes depuis Pagny-sur-Meuse (France) dans lequel la Meuse de Dinant prolonge la Meuse lorraine dès le niveau de la plus haute terrasse à Onx. Il propose également le raccord des plus hautes terrasses mosanes du plateau de Hesbaye avec celles de la vallée abandonnée de la Meuse orientale dans le Limbourg néerlandais. L’hypothétique terrasse de Seraing-Sart Tilman évoquée comme terrasse d’un « ancêtre de la Meuse » dans son travail sur les Graviers liégeois précités, n’apparait pas dans le modèle.
40-. Juvigné et Renard (1992) produisent un modèle de terrasses de la Meuse à l’aval de la confluence Meuse-Ourthe. Ils attribuent (malencontreusement) le cailloutis du plateau de Rocourt à une terrasse de la Meuse correspondant à la Traînée mosane et ils prolongent également cette dernière à travers la Basse-Meuse et la vallée de la Meuse orientale.
41-. Pissart et al. (1997) produisent un modèle des terrasses mosanes depuis la Lorraine (France) jusqu’au Limbourg dans lequel ils intègrent des données de Pissart (1974) et d’autres de Juvigné et Renard (1992). Les très hautes terrasses de Hesbaye continuent de traverser la Basse-Meuse et le Limbourg néerlandais méridional.
42-. Juvigné et al. (2020b) discutent la mise en place des cailloutis Onx du plateau de Hesbaye entre Namur et Huy en tenant compte de leur disposition en trois gradins : Petit-Waret et Surlemez (toit à ~217 m), Vinalmont/Villers le Bouillet (toit à 206 ~m) et Rondpéry (cf. supra). Tout en insistant sur le faciès marin des galets, les auteurs continuent de respecter la tradition qui consistait à attribuer ces cailloutis à la Traînée mosane, mais ils revisitent actuellement les mêmes dépôts à la lumière de l’interprétation avancée pour la région liégeoise.
43-. Juvigné et al. (2021) font des cailloutis de Boncelles et de Rondpéry (NDR : Fontaine dans l’article cité) des dépôts corrélatifs en relation avec le retrait de la mer tongrienne.
3.5. À propos des dépôts corrélatifs de Boncelles et de Rondpéry
44À ce sujet, nous voudrions simplement mettre en exergue une réflexion de Fourmarier (1931) qui écrivait :
45« Admettre que le cailloutis Onx (NDR : de Rondpéry) représente un dépôt marin littoral constitué aux dépens d’apports fluviaux provenant d’un continent s’étendant au sud, ne présente aucune difficulté si l’on accepte l’âge oligocène de la formation ; depuis cette époque, il s’est produit en Belgique des déplacements importants des terres et des mers résultant notamment de déformations du sol… ». En fait, c’est ce que nous écrivons autrement au sujet des dépôts évoqués par Fourmarier.
3.6. À propos de l’âge des cailloutis de Boncelles et de Rondpéry
46Sachons tout d’abord que la position stratigraphique assignée par différents auteurs aux Graviers liégeois et aux cailloutis Onx de Hesbaye n’a jamais été véritablement argumentée.
47-. Van den Broeck et Rutot (1888b) voient dans les cailloutis Onx du plateau de Hesbaye un dépôt fluvio-marin ra pporté au Tongrien supérieur (nom d’étage obsolète, officiellement il s’agit du Priabonien, Eocène supérieur, mais le Groupe de Tongres s’étend jusqu’à l’Oligocène inférieur). Stainier (1894) attribue les mêmes cailloutis à une Meuse primitive tertiaire. Lohest (1899) les met en relation avec un cordon littoral oligocène. Fourmarier (1922) écrit : « …ils ont tous les caractères d’un dépôt littoral ou fluvial ou mieux fluvio-marin ». On notera aussi que ces cailloutis ont été transférés de l’Oligocène final continental dans l’Amstelien (Pliocène supérieur) lors d’une révision de la légende de la carte géologique de Belgique. Dans des travaux ultérieurs, on les retrouve par exemple dans le Miocène moyen (Bless et Fernandez-Narvaiza, 1996), le Miocène final (de Heinzelin, 1963), le Mio-Pliocène (Pissart, 1974).
48Sous l’argument de la présence d’infimes traces de kieseloolithes dans ces cailloutis, les plus anciens auteurs ont proposé que ce matériau provienne des terrains jurassiques de Lorraine (ex. Van den Broeck, 1889 et suivants). Toutefois, au terme d’une étude de synthèse en la matière, Macar (1945) écrit : « … ils apparaissent dès l’Oligocène supérieur… dans des sables très généralement rangés dans le Chattien… et se rencontrent ensuite à peu près à tous les étages…. de terrasses fluviales et de dépôts de deltas ou d’estuaires… ». le moment où une source régionale de kieseloolithes existe pour les cours d’eau ardennais dans les terrains Om de Belgique jusqu’au pied du haut plateau ardennais (Fourmarier, 1923), on peut s’étonner que la présence de ce type de galet dans la Traînée mosane ait servi d’argument pour placer dans le Néogène le déversement de la Meuse lorraine dans la Meuse de Dinant (ex. Pissart, 1961 et suivants). À titre indicatif, sur les quelques 8500 galets de 8 à 16 mm que nous avons manipulés l’un après l’autre en testant leur friabilité, nous n’avons trouvé qu’un seul kieseloolithe.
49-. Concernant les Graviers liégeois, on les trouve par exemple : (1) « considérés comme Quaternaire » (Van den Broeck et Rutot, 1887, 1888) ; (2) dans le Tongrien fluvio-marin (Van den Broeck et Rutot, in Rutot 1907) ; (3) dans le Chattien/Oligocène final (Fourmarier, 1931) ; (4) dans le Diluvium/Quaternaire ancien (Lorié, 1919) ; (5) simplement et vaguement dans le Quaternaire (Thibeau, 1960).
50Ce commentaire nous offre l’opportunité de faire remarquer que Pissart (1964) est le seul auteur qui a accordé de l’importance à l’altitude des cailloutis de l’interfluve et, par le fait même, à la distinction de ceux qui sont en position primaire par rapport aux autres à l’état remanié sur les retombées des replats, mais il ne se prononce pas sur la position stratigraphique. Dans leurs coupes de synthèse, tous les autres auteurs jusqu’à Sierakowski (1970) ont représenté les limons et cailloutis comme une couverture qui épouse la forme de la surface du sol, ce qui ne pouvait pas conduire à une interprétation rationnelle.
3.7. À propos de la relation entre les terrasses étudiées et des mouvements du sol
51Nous avons traité largement des conséquences du basculement de la région liégeoise vers le nord-ouest sur l’inclinaison des plus hautes terrasses des cours d’eau impliqués. Il est opportun de rappeler ici que : (1) Fourmarier (1924) puis Mouchamps (1933) concluent à un basculement de l’axe sambro-mosan vers l’ouest en se basant sur le profil longitudinal supposé horizontal à ~ 120 m d’altitude de la « terrasse principale » de la Meuse ; (2) Pissart (1974) propose une déformation anticlinale des très hautes terrasses en Hesbaye ;
52(3) Demoulin (1993) voit dans l'origine du sillon sambro-mosan un trait structural néoformé au Miocène moyen qui correspondrait à un décrochement senestre prenant place entre le massif calédonien de Brabant et le domaine varisque ardennais ; (4) Pissart et al. (1997) maintiennent la déformation anticlinale proposée par Pissart (1974 ; cf. supra) ; (5) Juvigné et al. (2013) émettent une réserve sur le basculement de la terrasse principale (sensu Mouchamps, cf. supra) au moins entre Andenne et Huy ; (6) Juvigné et Houbrechts (2020) concluent à un basculement vers l’ouest d’un niveau de terrasse mosane plus élevé (T5 et ou T5’) que la terrasse principale (T4) ; (7) Juvigné et Houbrechts (2020) contestent le bien-fondé de l’hypothèse de Pissart (1974 ; cf. supra). Toutes les déformations hypothétiques précitées sont susceptibles d’avoir contribué au basculement des très hautes terrasses qui font l’objet du présent travail. Elles auraient toutes eu lieu pendant le soulèvement/basculement de l’Ardenne postérieur à la formation de la surface d’érosion post-tongrienne.
3.8. À propos des associations de minéraux denses transparents
53Dans les cailloutis Onx du plateau de Hesbaye, depuis Namur jusqu’à Liège, la fréquence des minéraux paramétamorphiques est comprise entre 14,8 et 26,4% ; de ce fait on peut faire un rapprochement avec les valeurs obtenues dans les cailloutis de Rondpéry, de Mons-Crotteux et de Bois de Breux (>13%). Cet état de fait indique un déplacement des matériaux d’ouest en est. Le site de Wépion fait exception à ce rapprochement, mais il est situé au sud de Namur. Quant à la fraction sableuse des Graviers liégeois de Boncelles et de Sart Tilman, elle doit ses valeurs plus faibles en minéraux paramétamorphiques à une relation avec les seuls sables oligocènes du bassin de l’Ourthe-Amblève.
54Dans la mesure où en général les cailloutis Onx ravinent des terrains oligocènes, il est opportun de comparer les associations de mdt des sables de ces deux formations.
55-. Macar et de Magnée (1936) produisent la première étude quantitative des mdt de sables des Hautes Fagnes et de Boncelles. Pour les « sables marins tertiaires » : (1) dans le Hautes Fagnes, ils trouvent : 50<zircon<71%, 18<rutile<29% ; 8<tourmaline<17% ; 3<paramétamorphiques<13% avec 0<andalousite<4% ; (2) dans la partie inférieure des sables de Boncelles : 54% de zircon, 14% de rutile, 17% de tourmaline et 14% de paramétamorphiques dont 2% d’andalousite.
56-. Bourguignon (1954) étend l’étude précitée à un plus grand nombre de gisements sableux et il conclut à une distinction entre : (1) les sables tertiaires ; (2) les sables crétacés ; (3) les sables locaux particulièrement pauvres en mdt (altérites des roches du socle). La fréquence des minéraux se présente de la façon suivante dans les sables tertiaires : 38<zircon<71%, 13<rutile<31% ; 6<tourmaline<35 ; 3<paramétamorphiques<35% avec 0<andalousite<10%.
57-. Thibeau (1960) limite ses déterminations aux ubiquistes de deux sites du plateau de Boncelles (Sart Haguet et Château d’Eau). Les variations internes des rapports des trois minéraux sont véritablement sauvages et elles vont par exemple jusqu’à l’inversion du rapport zircon/tourmaline dans la seule carrière du Château d’Eau avec des rapports extrêmes qui vont de 10/60 jusqu’à 75/15.
58-. Sierakowski (1970) détermine l’ensemble des mdt dans 6 sites du plateau de Boncelles. Il produit uniquement ses résultats sous la forme de courbes de fréquence à partir desquelles il n’est pas possible de dégager des valeurs précises. L’auteur se limite à faire remarquer que : (1) les variations de la fréquence des divers minéraux sont tributaires de la taille des grains ; (2) la fréquence des minéraux paramétamorphiques et en particulier de l’andalousite est moindre dans les sables supérieurs que dans les inférieurs ; (3) le ratio tourmaline/zircon est plus élevé dans les sables supérieurs. On se doit de signaler que cette dernière variation ne correspond pas aux résultats du même type et dans la même sablière (Sart Haguet) produits par Thibeau (cf. supra).
59-. Demoulin (1987) revisite les mdt des sables oligocènes depuis le plateau de Hesbaye liégeoise jusqu’au plateau des Hautes Fagnes. La fréquence des principaux minéraux varie dans les bornes suivantes : (1) pour les sables de Hesbaye liégeoise (Rocourt et Mons-Crotteux) : 12<zircon<44%, 4<rutile<13% ; 28<tourmaline<57 ; 12<paramétamorphiques<24% avec 0<andalousite<4% ; (2) pour les sables de Boncelles : 16<zircon<46%, 3<rutile<14% ; 35<tourmaline<64 ; 11<paramétamorphiques<18% avec 0<andalousite<7% ; (3) pour les sables de Haute Belgique : 24<zircon<71%, 4<rutile<26% ; 8<tourmaline<49 ; 3<paramétamorphiques<23% avec 0<andalousite<10% . L’auteur conclut à une fréquence plus élevée de l’andalousite dans les sites des Hautes Fagnes par rapport à ceux du pays de Herve et de la région liégeoise.
60Dans la mesure où aucun auteur ne précise les limites de la classe granulométrique étudiée, la comparaison des valeurs de fréquence est inopportune. Néanmoins, on retiendra avant tout l’amplitude des écarts de fréquence propres aux différents minéraux dans un même site et pour un même déterminateur. Par ailleurs, on ne sera pas étonné de la ressemblance qualitative de l’association des sables oligocènes avec celle des cailloutis puisque ces derniers ravinent souvent les premiers. Peut-être pourrait-on être attentif à la fréquence plus faible des minéraux paramétamorphiques (dont l’andalousite) dans les sables inférieurs du plateau de Boncelles et à l’abondance relative de l’andalousite dans les sables des Hautes Fagnes. Quant à la relation entre les mêmes différences dans les sables oligocènes et dans les cailloutis, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas évidente.
3.9. À propos de l’âge du sable Om de la région liégeoise
61L’âge maximal des Graviers liégeois de Boncelles et du cailloutis marin de Rondpéry est dépendant de celui des terrains Om sur lesquels ils reposent d’où l’intérêt du bref commentaire suivant qui le concerne.
62-. Dans les travaux de reconnaissance géologique des sites destinés à recevoir les forts qui allaient devoir assurer la défense de la vallée de la Meuse, Van den Broeck et Rutot (1888) écrivent : « … l’identité des lentilles de glaise de Hollogne avec celle des niveaux de glaise de Hénis (Tongres) dans le Limbourg est telle que le doute sur l’âge n’est pas possible… et nous devons conclure qu’à Hollogne il existe, resté en position intacte, un lambeau de Tongrien supérieur… ».
63-. Lors de la réalisation de la carte géologique de Belgique, la position stratigraphique des sables a été âprement discutée depuis le Landenien (Eocène supérieur) jusqu’au Chattien (Oligocène supérieur). Le compromis est acté dans la légende originelle de la carte sous la forme « Tongrien ? » (Oligocène inférieur).
64-. Rutot (1907) découvre : (1) dans la partie inférieure de la carrière Les Gonhirs, une couche de « sable… renfermant de rares empreintes de coquilles et notamment de Pétoncles en mauvais état » ; (2) à mi-profondeur dans la carrière du Sart Haguet une couche de « sable fin… renfermant de nombreuses empreintes de coquilles marines et principalement de Cythérées et de Pétoncles ». L’auteur rapporte une ‘liste provisoire des espèces’ dressée par un certain M.E. Vincent, et il met cette faune en corrélation avec celle identique connue en Allemagne (à Bünde) dans l’Oligocène supérieur. Cette corrélation sera contestée immédiatement par Velge (1909). Néanmoins, la découverte de Rutot conduira au transfert de ces sables fossilifères dans le Chattien (Oligocène marin supérieur) lors d’une des révisions de la légende de la carte géologique (Annales des Mines des Belgique, 1929, T.XXX, 1er livre). Cette décision n’a cependant pas éteint le débat.
65-. F ourmarier (1933) découvre des « empreintes de coquilles en très mauvais état » dans la sablière de Rondpéry. Il rapporte l’identification de Meretrix (Cytherea) beyrichi faite par Leriche (ULB). Le niveau fossilifère se trouve entre 350 et 500 cm sous le toit des terrains Om dont l’épaisseur totale est de ~20 m. L’auteur propose la corrélation avec les niveaux fossilifères de Boncelles.
66-. Demoulin (1987) produit une étude sédimentologique des sables oligocènes des Hautes Fagnes et de la région liégeoise (dont les sables de Boncelles et de Hesbaye liégeoise à Mons-Crotteux). Il présente une revue critique de la littérature relative à ces sables et il conclut : (1) «…je penche pour le rattachement de ces sables (NDR : des Hautes Fagnes), ainsi que de ceux de la région liégeoise, au Tongrien inférieur marin » ; (2) à une origine vosgienne.
67-. Vandenberghe (2017) dans une étude de synthèse des terrains oligocènes de Flandre, conclut entre autres que l’unité stratigraphique appelée ‘Tongrien ?’ doit dorénavant être reprise sous le nom de Formation de Sint Huibrechts-Hern (Groupe de Tongres) remontant à une période comprise entre -33 et -34 Ma ; elle constitue la base du Rupelien (27,8-34 Ma). L’auteur ne cite qu’incidemment les terrains oligocènes de Wallonie, mais il précise: “The earliest transgression was very widespread certainly extending into the present Condroz in South Belgium and probably all over the present Ardennes… the earliest Oligocene marine sequence was very short-lived… ».
68-. Dusar et Vandenberghe (2020) étudient des sables chattiens de Campine dans lesquels se trouve une faune qui les conduit à proposer une corrélation avec les sables fossilifères de la partie supérieure des terrains Om de Boncelles. Dès lors, après avoir évoqué les travaux lithostratigraphiques propres aux terrains Om de l’interfluve Meuse-Ourthe, ils écrivent : «… the Oligocene sand of the Ardennes may consist of two units : the Chattian Boncelles Sand overlying a presume ‘Tongrian’ (Lower Oligocene) Sart Tilman Sand…”. A l’appui de cette corrélation, les auteurs étendent aux sables de Boncelles la bipartition de terrains Om qu’ils ont identifiée en Hesbaye limbourgeoise à Millen-Elst dans un site de localisation intermédiaire entre Boncelles et la Campine.
69Dans la mesure où nous ne nous autorisons pas à prendre position dans les divergences qui divisent les spécialistes lorsqu’il s’agit de la position stratigraphique des terrains Om de Boncelles et de Sart Tilman, force nous est d’admettre que les dépôts corrélatifs de Boncelles et de Rondpéry pourraient tout aussi bien être attribués à la régression de la mer tongrienne qu’à celle de la mer chattienne. La bipartition des terrains Om n’est pas non plus gênante pour notre travail d’un point de vue chronologique puisqu’elle placerait aussi le début de notre histoire pendant la régression chattienne, comme dans l’un des deux cas précités. Sierakowski (1970) qui a produit l’étude sédimentologique la plus détaillée des sables de Boncelles conclut notamment à l’identification « d’une série transgressive sur le plateau continental » divisée en « trois périodes de turbulences, qui se marquent dans les profils par des anomalies, et sur le terrain par la présence de cailloux et des niveaux singuliers de glauconie. » Toutefois, l’auteur (pas davantage que tous les précédents) ne fait état d’aucun critère morpho-sédimentaire majeur qui puisse attester un épisode continental entre les « sables inférieurs à moyens A », les « sables moyens B » et les « sables supérieurs ».
70Les brèves évocations qui précèdent attestent les divergences de vue entre spécialistes, et l’absence de certitude sur la position stratigraphique au sein de l’Oligocène, des terrains Om des hauteurs de Liège.
71Si l’on se tourne vers l’état des connaissances en matière de lignes de rivage des dernières transgressions, on obtient la figure 11 sur laquelle on constate que la transgression la plus avancée est celle de la mer tongrienne (Vandenberghe, 2017). Quant à la transgression diestienne (Diestien, nom d’étage belge tombé en désuétude, Miocène supérieur), son rivage est le plus éloigné et ses terrains n’ont pas été identifiés sur les dépôts tongriens du Limbourg méridional ; la porter candidate aux dépôts des terrains marins de l’interfluve Meuse-Ourthe relèverait semble-t-il de l’audace.
Figure 11 : Les lignes de rivages les plus avancées des transgressions tongrienne, chattienne et diestienne. Légende : 1 = limite sud de la Formation de Sint Huibrechts-Hern (ex Tongrien) d’après Vandenberghe (2017) ; 2 = rivage chattien d’après Dusar et Vandenberghe (2020) ; 3 = occurrence de terrains chattiens à Millen ; 4 = rivage diestien d’après Houthuys (2014) ; 5 = terrains Om de Boncelles (B), de Rondpéry (R) et de Romont (Rt).
3.10. À propos de l’épaisseur des terrains Om dans la région liégeoise
72-. Boncelles. Faute d’échelle de hauteur/profondeur dans les coupes de Rutot (1907 : Les Gonhirs et Sart Haguet), on peut se tourner vers les coupes levées par Thibeau (1960) qui a procédé à un nivellement précis de ces mêmes carrières. On y lit que dans la carrière de Sart Haguet l’épaisseur totale est 18,2 m. En comparant les deux coupes de Rutot, on peut accepter une épaisseur identique pour la sablière de Les Gonhirs.
73-. Rondpéry. Nous avons exposé plus haut les données qui permettent de fixer à une vingtaine de mètres, l’épaisseur des terrains Om.
74-. On peut ajouter que dans la coupe de la carrière du Romont/Bassenge, avant exploitation, il subsistait une couche de sable Om homogène de 17 m d’épaisseur tronquée par la mise place d’une terrasse mosane (Juvigné, 1992).
75-. En Flandre, l’épaisseur maximale connue pour la Formation de Sint Huibrechts-Hern (ex Tongrien) est de ~25 m et celle des terrains chattiens de ~20 m (communication écrite de N. Vandenberghe et M. Dusar).
76Nous avons invoqué l’épaisseur d’une vingtaine de mètres des terrains Om conservés sous les cailloutis étudiés pour argumenter l’incision du réseau hydrographique primitif des hauteurs de Liège. Si l’Ardenne du NO n’a été affectée que par une seule des deux transgressions, les terrains Om de Boncelles, de Rondpéry (et de Romont) n’ont été que très peu amputés par la mise en place des cailloutis qu’ils portent et cette approche peut être pertinente. Dans le cas de deux transgressions, la seconde a pu éroder ou non les terrains marins et continentaux abandonnés par la première, et la référence à une épaisseur originelle d’une vingtaine de mètres des terrains Om avant la mise en place des cailloutis devient alors interpellante.
3.11. À propos de la Basse-Meuse liégeoise et limbourgeoise
77Il ne nous appartient pas d’estimer l’impact de notre travail sur les modèles de terrasses du Limbourg néerlandais, d’autant plus qu’il va maintenant falloir compter avec le basculement transversal des terrasses de la Basse-Meuse liégeoise pour revisiter les corrélations (Paulissen et Juvigné, en préparation). Néanmoins, la T. de BdB1 (Bois de Breux) constitue la première trace du déversement de la Meuse de Dinant dans la Basse-Meuse liégeoise, et de ce fait son entrée en scène dans le Limbourg néerlandais. Compte tenu de l’altitude actuelle des trois très hautes terrasses de Bois de Breux (178-194 m) et de la base de la plus basse terrasse à l’entrée de la Meuse orientale dans le Limbourg (165 m ; Felder et Bosch, 1989), la Meuse de Dinant des trois niveaux de Bois de Breux pouvait y poursuivre son cours dans la mesure où l’itinéraire qui joint les deux sites s’écarte peu d’une même isohypse de la surface de transgression oligocène et qu’on ne peut donc invoquer le basculement d’un site par rapport à l’autre. Dès lors, les trois très hautes terrasses du site de référence de Bois de Breux (178 à 194 m) devraient être placées dans le Pléistocène inférieur d’après les estimations d’âge proposées pour les terrasses de la Meuse orientale par Felder et Bosch (1989 : 1,5 à 2,25 Ma) et Van den Berg (1996 : 2,14 à 2,94 Ma ; ici on note un léger débordement sur le Pliocène supérieur). Toutefois, les cailloutis, qui dans la Meuse orientale se trouveront plus haut que la T. de BdB1, ne devraient plus être attribués à la Meuse.
4. Conclusions
78Le basculement transversal de la vallée de la Meuse liégeoise a été soupçonné et argumenté antérieurement dans une coupe passant par Bois de Breux et Rocourt. Il implique ici en plus l’interfluve Meuse-Ourthe et le plateau de Hesbaye liégeoise, quelques 10 km à l’amont des sites précités. On constate ainsi que la pente des terrasses fluviales les plus anciennes sont à peine moins basculées que la surface d’érosion pré-tongrienne.
79En prenant pour référence ce basculement et l’épaisseur des terrains Om résiduels sous les cailloutis étudiés et la régression de la dernière mer qui a envahi l’Ardenne s.l., un modèle d’évolution du réseau hydrographique primitif a été conçu dont les principales étapes sont synthétisées à la figure 12.
Figure 12 : Les principales étapes de l’évolution du réseau hydrographique primitif dans la région liégeoise. (A) L’état des bassins hydrographiques de l’Ardenne s.l. au cours du retrait de la mer oligocène. Explication : le trait noir interrompu correspond à la ligne de partage des eaux de la Meuse lorraine et de la Meuse de Dinant. (B) La situation dans la région liégeoise lorsque le rivage était à l’endroit du plateau de la Hesbaye liégeoise occidentale. (C) La situation après la capture de l’Ourthe-Amblève et son tracé via le ltf de Sart Tilman. (D) Situation après le déversement de la Vesdre vers les Pays-Bas. (E) Situation après le déversement de l’Ourthe-Amblève puis de la Meuse de Dinant vers les Pays-Bas.
801°. Les Graviers liégeois de Boncelles (Ourthe-Amblève) et le cailloutis marin de Rondpéry peuvent être considérés comme des dépôts corrélatifs mis en place pendant une période de stabilité relative de la dernière régression marine en Hesbaye liégeoise occidentale, peu importe qu’elle relève de l’Oligocène inférieur (Tongrien/Rupélien) ou supérieur (Chattien). Quand bien même la mise en place de ces cailloutis a été ravinante sur les terrains Om, ceux-ci n’ont été amputés que d’une faible part de leur épaisseur originelle. Cette hypothèse implique une pente longitudinale très faible des cours d’eau (décimètre) et un basculement du sol post-sédimentaire presqu’identique à celui de la surface de transgression oligocène.
812°. Les lxtf de Sart Tilman et la nappe de Graviers liégeois du plateau de Rocourt constituent une terrasse de l’Ourthe-Amblève (T. de Sart Tilman-Rocourt) incisée d’une quinzaine de mètres dans les terrains Om et ralliant le littoral à proximité entre Liège et Tongres. Sa pente implique également un basculement post-sédimentaire.
823°. La Meuse de Dinant est arrivée à Liège dès le début de l’incision du réseau hydrographique sous le niveau du toit du cailloutis de Rondpéry (200 m), mais le premier cailloutis qui en atteste la présence en Hesbaye liégeoise occidentale est celui de la T. de Mons-Crotteux, dirigée elle aussi vers le nord parallèlement à la T. de Sart Tilman-Rocourt (Ourthe-Amblève) et pratiquement au même niveau. Sa pente implique également un basculement post-sédimentaire. Les deux cours d’eau atteignaient probablement en toute indépendance la mer oligocène en régression en Hesbaye limbourgeoise. Dans ce contexte, on ne peut déterminer si la Vesdre s’associait au réseau précité, ou si elle s’écoulait déjà dans la Basse-Meuse.
834°. Il faut faire appel à des captures successives pour passer du réseau primitif sub-littoral précité au basculement de la Meuse de Dinant dans la Basse-Meuse puisqu’il faut détourner successivement la Vesdre, si elle n’y coulait déjà, l’Ourthe-Amblève et puis seulement la Meuse de Dinant de la T. de Mons-Crotteux.
845°. Dans le site de référence de Bois de Breux, la terrasse supérieure (BdB1) est la première dont le cailloutis atteste l’écoulement de la Meuse de Dinant vers les Pays-Bas et le prolongement des trois niveaux du site de Bois de Breux dans la vallée abandonnée de la Meuse orientale est pertinent. La confrontation de ses cailloutis avec ceux du plateau de Rocourt met également en exergue un basculement transversal post-sédimentaire de la vallée de la Meuse.
85En matière de chronologie, les faits que nous décrivons ne peuvent commencer qu’au cours de la dernière régression marine tongrienne ou chattienne avec les dépôts corrélatifs de Boncelles et de Rondpéry, et ils se terminent avec le déversement de la Meuse de Dinant dans la Basse-Meuse liégeoise au niveau de la T. de Bois de Breux-1 probablement au début du Pléistocène inférieur.
5. Remerciements
86Les nombreux échanges que nous avons eus avec notre Collègue Etienne Paulissen (KUL) dans le cadre d’un projet en cours de révision des modèles de terrasses de la Basse-Meuse nous ont incités à entreprendre les recherches à l’amont du tronçon impliqué. Nos Collègues Michiel Dusar (DGB) et Noël Vandenberghe (KUL), spécialistes des terrains oligocènes et néogènes de Flandre, nous ont aimablement aidés dans la façon d’aborder la relation des cailloutis avec les terrains tertiaires. Le rapporteur qui s’est fait connaître (Éric Goemaere du Service géologique de Belgique) a contribué à améliorer considérablement le projet qui lui a été soumis. Tous ces Collègues se trouvent ici chaleureusement remerciés.
6. Bibliographie
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