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Jean-Marc Chomaz

Incipit Temporis : Ici commence le Temps

(Volume 94 - Année 2025 — No 2 - Colloque Annuel 2025: L'art au service de la science, la science au service de l'art)
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Résumé

La question du Temps et de son écoulement est complexe en science, elle repose sur des principes – causalité, entropie – constitutifs des théories physiques mais non expliquée par elles. Parfois les modèles mettent en œuvre la notion de mémoire qui à elle seule oriente le Temps, ou encore l’écoulement du Temps est-il introduit par la sémantique, le mot initial supposant un début mais pas la direction du futur et du passé symétrique dans les problèmes réversibles.
Je montrerai par une large série d’installations artistiques comment des recherches créations en arts & sciences permettent d’interroger la nature même du Temps, de notre rapport avec lui, de rendre tangibles et sensibles les concepts de Causalité, Déterminisme, Réversibilité, Irréversibilité.

Mots-clés : arts et sciences, installations, causalité, déterminisme, réversibilité, irréversibilité, mécanique des fluides

Abstract

The question of Time and its passage is complex in science. It is based on principles – causality, entropy – that are fundamental to physical theories but do not explain by them. Sometimes models use the notion of memory, which alone orientates Time, or the passage of time is introduced by semantics, with the initial word implying a beginning but not the direction to the future or the past, symmetrical in reversible problems.

Keywords : arts et sciences, installations, causality, determinism, reversibility, irreversibility, fluid mechanics

Manuscrit reçu le 17 novembre 2025 et accepté le 19 novembre 2025

Article publié selon les termes et conditions de la licence Creative Commons CC BY 4.0.

Communication invitée présentée au colloque annuel de la Société Royale des Sciences de Liège sur « L’art au service de la science, la science au service de l’art », Université de Liège (Belgique), 28 novembre 2025.

1. Une approche artistique et scientifique sur la nature du Temps

1Cet article présente un ensemble d’installations artistiques questionnant la nature du Temps, jouant souvent sur l’ambiguïté entre les directions du Temps et de l’Espace pour interroger leur similitude et leurs différences. Les Architectones de Malevitch font penser à des constructions, aux tours de Monopolis dans Starmania, mais sont en fait l’empreinte laissée par le déplacement du carré noir et du carré blanc dans un espace–temps augmenté à six dimensions, de même mes installations portent une réflexion sur la nature du Temps–Espace ajoutant aux dimensions physiques des déploiements sensibles, absurdes et spirituelles.

2. Incipit liber – Ici commence le livre | Explicite liber – Le livre se termine

2Les incunables médiévaux commençaient par ces mots Incipit liber, Ici commence le livre, pour marquer l’entrée dans le récit, dans le monde imaginaire de l’écriture. Le Temps–Espace de la fiction se refermait par Explicite liber, Le livre se termine. L’habitude était si grande que les mots étaient souvent abrégés INCP LIB.

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Figure 1: Incipit Temporis – Ici commence le Temps : triptique vidéo à l’Hotel Lallemant dans le cadre de Bourges contemporain (2 août 2021 au 16 septembre 2021). De droite à gauche : Terra Bulla (2012), dynamique à l’intérieur d’une bulle de savon hémisphérique, lumière monochromatique provenant d’une lampe au sodium à basse pression révélant le mouvement à travers des franges d’interférence d’épaisseur égale (Photo : Antoine Garcia, Pascal Hemon, Caroline Frot et Jean-Marc Chomaz) ; Veridis Sol – Soleil vert (2011–2021), sphère transparente en rotation, eau et injection de fluorescéine, lumière UV ; Silmarilis (2014–2021), un cosmos habité de la bioluminescence du phytoplancton Pyrocistis Noctiluca, les images des recherches avec la biologiste Julie Lafaurie–Janvoreet ont été montées en un film en collaboration avec Anthonin Gourichon.

3L’installation Incipit liber – Ici commence le livre est un triptyque vidéo (Fig. 1) présentant trois mondes naissants, des fictions scientifiques jouant sur le changement d’échelle et la transposition de situations physique, où le Temps accélère, ralenti ou même se fragmente. Une bulle s’irise de tempête et se fait planète éphémère, un micro-organisme, Pyrocystis noctiluca, se voit offrir une exoplanète comme aux premiers Âges liquides de la Terre, un soleil vert mucilagineux commence sa danse. Un univers orange, l’autre cyan et le troisième vert, le livre a modifié les couleurs du Monde, inversé le sens où tournera ma ronde.

3. Irréversibles abstractions – Dissolution des mondes flottants

4L’installation Irréversibles abstractions – Dissolution des mondes flottants réalisée avec Tania Le Goff consiste en deux aquariums cubiques de 30 cm d’arrête remplis d’eau claire et placés symétriquement chacun sur un socle de 100 cm de haut. Dans l’un sont placés des blocs de caramel qui fondent peu à peu, changeant de structure au fur et à mesure qu’ils s’effacent ; dans le second une carotte de sel gemme disparaît lentement. Ces aquariums confrontent l’imaginaire des contes, de la cuisine, des jeux d’enfance dans lesquels se construisent des mondes fantastiques uniquement à partir de l’imagination et l’univers du laboratoire de la physique révélant par un principe d’ombroscopie les courants invisibles d’eau sucrée ou salée (Fig. 2).

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Figure 2: Irréversibles abstractions – Dissolution des mondes flottants. Ombroscopie conique du bassin contenant les blocs de caramel ici déjà effondrés. On remarque sur les cotés les cascades d’eau sucrée produite par la dissolution. Le dégradé de couleur correspond à la stratification sucrée de cet océan miniature imaginaire.

5Dans ces mondes fabuleux, les blocs de caramel et un grand cylindre de sel fondent, créant les courants d’océans miniatures, des « mondes flottants » abstraits et éphémères. L’œuvre explore les concepts d’entropie, d’irréversibilité, de dissolution et de transformation en présentant seulement des bassins d’eau contenant des blocs de caramel ou de sel qui fondent lentement.

4. Rêve quantique – Le jour où j’ai imaginé l’océan (2020)

6Un grand sol blanc est installé dans la pénombre au milieu de la pièce. D’un côté, on peut voir un lit dans lequel une personne dort profondément. Elle porte des capteurs autour de la tête qui mesurent son activité cérébrale. De l’autre côté, un cylindre un peu plus grand qu’un homme, dont la partie centrale est transparente, scintille lentement. Tel un phare, cet étrange objet projette sur le sol un disque de lumière évoquant comme une galaxie animée de spirale, tourbillons, textures granuleuses et de grandes vagues d’ombre. Ces images changeantes en mouvement constant sont la transposition en temps réel de l’activité cérébrale du dormeur. Les informations collectées par les capteurs sont transmises au cylindre central dont la partie transparente est là aussi un océan miniature initialement stratifié par un gradient vertical de salinité. De l’activité cérébrale seule l’amplitude des ondes delta est transcodée en temps réel en intensité du vent qui entraîne la surface de l’océan comme le feraient les Alizées. Les variations de la tension du vent et même son retournement créent par cisaillement vertical tourbillons, ondes et mélange irréversible révélés par l’ombroscopie conique qui projette sur le sol (Fig. 3).

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Figure 3: Rêve Quantique présentée au festival Access à Pau (2021).

7La performance/installation Rêve quantique – Le jour où j’ai imaginé l’océan créée en 2020 par Virgile Novarina, Walid Breidi et Labofactory (Jean-Marc Chomaz et Laurent Karst), met en relation deux insondables l’océan et le cerveau et rend visible par la projection sur le sol le résultat de ce processus. Le visiteur a alors l’impression de vivre ce dialogue, alors qu’il n’en perçoit qu’une projection, qu’une observable. Sa présence perturbe le sommeil du dormeur, même si celui-ci reste immobile. La performance a déjà durée plus de six heures permettant au vortex de gagner le centre du disque galactique. Elle finit, alors que l’océan n’a pas encore atteint son état d’entropie maximum où le fluide est totalement mélangé.

5. ER=EPR (2017)

8Dans l’installation ER=EPR, créée en 2017 avec Evelina Domnitch et Dmitry Gelfand, deux vortex, reliés par un mince pont tourbillonnaire, flottent à la surface de l’eau d’un long aquarium. Sous l’aquarium, un faisceau laser blanc traverse la surface de l’eau et transforme chaque vortex en une lentille dynamique, projetant deux trous noirs enchevêtrés irisés d’halos (Fig. 4).

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Figure 4: Installation ER=EPR (2017) par Evelina Domnitch et Dmitry Gelfand, en collaboration avec William Basinski, Jean-Marc Chomaz et LIGO. Crédit photo : les artistes.

9Dès que le lien invisible entre les trous noirs se rompt, les vortex se dissipent, comme l’effondrement d’une fonction d’onde d’une paire de particules intriquées. En association avec la division CalTech du LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory) et en discussion avec Juan Maldacena, cosmologiste, la proposition imagine une paire de trous considérés comme des trous quantiques intriqués. La conjecture de Juan Maldacena et Leonard Susskind, selon laquelle les trous de ver sont un exemple d’intrication quantique à l’échelle cosmique, remonte à deux publications de 1935. L’article EPR (écrit par Einstein, Podolsky et Rosen) a introduit le concept d’intrication quantique. Le deuxième article d’Einstein et Rosen (ER) a développé la théorie des ponts, plus tard connus sous le nom de trous de ver. La théorie qui assimile les ponts Einstein–Rosen à l’EPR implique en fin de compte que « la structure fiable de l’espace-temps est due aux caractéristiques fantomatiques de l’intrication » (Maldacena et Susskind, 2013).

6. Conclusion

10Dans chaque exemple présenté ici, les dispositifs sont très simples et les principes physiques mis en œuvre très directs, mais par un décalage, une projection immersive plus grande que nous, une situation inhabituelle ou une forme d’autodérision ou de mise en abîme, le phénomène physique prend la parole et nous emmène dans son univers, dans un Temps et un espace qui n’est plus le nôtre. Nous devenons océan, tourbillon, goutte suspendue, cosmos luminescent, voyage irréversible vers le rien, mais au cours duquel des formes éphémères apparaissent. Nous ressentons la pluie d’une autre planète, le Temps d’un autre monde, étiré parfois jusqu’à l’immobilité et engageant notre corps, ces concepts physique nous apparaissent différents, mais toujours le sable finit par s’échapper de notre main qui le voudrait prisonnier.

Remerciements

11La recherche création présentée dans cette article a été soutenue par l’École polytechnique, le CNRS, le laboratoire LadHyX, la fondation Carasso, et un très grand nombre de chercheurs et d’étudiants ont été impliqué dans le programme arts & sciences. Ils sont ici tous et toutes remerciés.

Informations supplémentaires

Identifiant ORCID de l’auteur

120000-0002-0477-0761 (Jean-Marc Chomaz)

Conflits d’intérêt

13L’auteur déclare l’absence de tout conflit d’intérêt.

Biographie

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Photo : © Lucile CHOMAZ

14Jean-Marc Chomaz est artiste physicien, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École polytechnique. Il a cofondé le laboratoire d’hydrodynamique du CNRS–École polytechnique, le laboratoire d’excellence Systèmes et ingénierie et La Diagonale de l’Université Paris Saclay en 2012 et la Chaire arts & sciences en 2017. Ancien élève de l’École Normale Supérieure, il dirige ou a dirigé 32 doctorats dont quatre en art et a cosigné plus de 250 publications. Il a reçu la médaille d’argent du CNRS en 2007 et le grand prix Ampère de l’Académie des sciences en 2012, a été nommé « Fellow » de l’American Physical Society en 2001 et de l’Euromech en 2018. Ses recherches portent sur la dynamique des films de savon, la théorie de l’instabilité, l’éclatement tourbillonnaire, les fluides géophysiques et stratifiés, la biomécanique et les arts et sciences. En tant qu’artiste, il a créé les installations Un chemin qui chemine, Time traces, Terra Bulla, le tryptique Une solution au problème de raréfaction du Temps – Futur (Bogota, 2019), Passé, Anamorphose (Bourges contemporain, 2021), Thousand Shades of Green (OU\/ERT, 2019), Incipit Temporis, Silmarils, Veridis Sol, Reshift-becoming machine (Instandsetzung#3, 2022), Irreversible Abstraction (Bogota, 2023), Et mainte page blanche entre ses mains froisée (Quai des Savoirs Toulouse, 2023), Five Black Rivers à la cité de la musique (Paris, 2024), Percevoir le bruit du monde (CWB Paris, 2024), The Compass Rose (CWB Paris, 2025), et la série de poèmes N56u3N4A publiée dans la revue Plastir. En collaboration avec le Duo HeHe, Anaïs Tondeur, Ana Rewakowicz et Camille Duprat, Aniara Rodado, Evelina Domnitch et Dmitry Gelfand, Olga Flór, Anouk Daguin, Tania Le Goff, Nicolas Reeves, Laurent Karst et François–Eudes Chanfrault du collectif Labofactory, il a réalisé plus de 30 installations collectives présentées dans le monde entier.

« Mon travail artistique est conçu comme un voyage dans un Temps–espace qui interroge l’axiome de la causalité et le protocole de la mesure, la comparaison d’une caractéristique quantifiable d’une chose à un référentiel, sur lesquels la construction scientifique se fonde. Mais le choix de cet étalon est arbitraire, il est le produit de l’histoire mais aussi du rapport de notre corps au monde, au modulor de Le Corbusier ou Le proporzioni del corpo umano secondo Vitruvio de da Vinci. La mesure est donc anthropocentrée et même anthropomorphe. Le cosmos possède sa propre mesure dans laquelle les trois constantes fondamentales, la vitesse de la lumière, la constante de la gravitation de Newton et la constante de Planck ont pour valeur l’unité. »

Bibliographie

Maldacena, J. et Susskind, L. (2013) Cool horizons for entangled black holes. Fortschritte der Physik, 61(9), 781–811. https://doi.org/10.1002/prop.201300020.

Om dit artikel te citeren:

Jean-Marc Chomaz, «Incipit Temporis : Ici commence le Temps», Bulletin de la Société Royale des Sciences de Liège [En ligne], Volume 94 - Année 2025, No 2 - Colloque Annuel 2025: L'art au service de la science, la science au service de l'art, 31-37 URL : https://popups.uliege.be/0037-9565/index.php?id=12575.

Over : Jean-Marc Chomaz

Laboratoire d’Hydrodynamique, CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, Route de Saclay, 91120 Palaiseau, France
jean-marc.chomaz@polytechnique.edu