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Rebattre les cartes, l’ekphrasis paradoxale de Philippe Vasset
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Alors que l’ekphrasis suppose une ambition d’exhaustivité et peut constituer au terme du processus une forme d’épuisement de la description permettant de rendre visible l’objet décrit, cet article se propose d’aborder l’ekphrasis cartographique comme la description d’une absence voire comme l’expression d’une disparition. À cette fin nous prendrons appui sur le travail de Philippe Vasset qui mène une réflexion sur les « zones vierges », sur ces « trous bien nets » qui marquent les cartes (Un livre blanc, 2007, Fayard). L’ekphrasis semble dès lors se décentrer quand l’intérêt de celui qui lit et décrit la carte se porte, se déporte, sur ces zones blanches qui sont précisément à la marge. Vasset interroge ce blanc, ce silence de la carte qui deviennent la matière même de son livre. On peut d’ailleurs ajouter que sa démarche même participe d’un défi rhétorique ; comment faire parler ce qui se caractériserait par une forme de mutisme ? Comment décrire, ou plutôt écrire, avec cette défaillance, ce refus de la carte à nommer, indiquer ces espaces ?
Abstract
While ekphrasis implies the aim of exhaustiveness and can comprise, when reaching the end of a process, an exhaustion of the description allowing the visualisation of the object, this article proposes to tackle cartographical ekphrasis as the depiction of an absence, nay the expression of a disappearance. To this end we will lean on Philippe Vasset’s work, which reflects upon “blank zones” and those “really neat holes” that mark maps (Un livre blanc, 2007, Fayard). At this point, the ekphrasis appears to move away from the centre when the interest of the person reading and describing the map swerves towards those blank spaces, which are precisely at the margins. Vasset questions this blank, this silence of the map which becomes the very material of his book. We can for that matter add that his approach constitutes a rhetorical challenge: how to get something that could be characterised as a type of muteness to speak? How to describe, or rather to write, along with this failure, the map's refusal to name and indicate these spaces?
Table of content
1
1. Prolégomènes
2L’ekphrasis est de l’ordre du langage, c’est un exercice rhétorique conçu comme une description « vivante » qui « met sous les yeux » ou, plus littéralement encore, qui « offre à la vue » son objet1. Dédiée aux œuvres d’art, elle est, pour reprendre l’expression de Barbara Cassin, « une mise en phrases qui épuise son objet2 ». Toutefois ce n’est pas la visibilité de l’œuvre qu’ambitionne l’ekphrasis, elle se placerait plutôt dans une émulation mimétique. La philosophe précise dans son article qu’il ne s’agit pas « d’imiter la peinture en tant qu’elle cherche à mettre l’objet sous les yeux […], mais d’imiter la peinture en tant qu’art mimétique », soit « d’imiter l’imitation3 ». Se distingue alors l’enjeu poïétique de l’ekphrasis. Quoique son modèle canonique décrive le chef-d’œuvre d’Héphaïstos, il se focalise plus encore sur sa fabrication : l’Iliade fait ainsi la part belle au travail du dieu forgeron décorant les armes d’Achille4 commandées par Thétis pour que « tous soient émerveillés5 ». L’aède et le dieu du feu élaborent simultanément la représentation d’un monde imaginaire et le chant donne à voir sur le bouclier la terre, le ciel et la mer, bordés par le puissant fleuve Océan. La cartographie que compose le poète aveugle est une « mise en vers » d’un monde fantasmagorique, et bien des auteurs concevront par la suite des cartes imaginaires. D’autres cependant s’attacheront à décrire des cartes existantes, ce qui suppose de prime abord une prise de distance par rapport au champ artistique. A priori, les cartes avant tout fonctionnelles ne sauraient en effet être qualifiées d’« œuvre d’art » ; cependant elles visent à représenter « autre chose6 » et participent d’une technè. En tant que transpositions, fussent-elles adossées à la géométrie euclidienne, elles sont une fiction et les géographes eux-mêmes les désignent comme des « espaces de fiction utile7 ». Dès lors, quand les cartes sont l’objet de descriptions, elles mettent en œuvre un texte nécessairement nourri de cette fictionnalité originelle que l’on a tendance à omettre précisément en raison du caractère utilitaire des cartes. Le processus de description suspend leur fonctionnalité référentielle, les fait glisser dans un régime esthétique et opère un déplacement dans la mesure où la description fait de la carte censée se référer à un territoire donné, un objet auquel on se réfère8. La description accroît ainsi l’autonomie de la carte en reléguant à l’arrière-plan l’espace désigné, au point que l’espace topologique, existant par le discours, peut se substituer à l’espace premier. Cette distance avec la réalité ne peut que séduire les écrivains9. Ainsi Philippe Vasset dès les premières pages d’Un livre blanc (2007) signale qu’il a
commencé à [s]’intéresser aux cartes quand [il a] compris qu’elles n’entretenaient que des rapports très lointains avec le réel. Séchés, découpés, compressés, coloriés, annotés, les lieux y sont comme des ailes de papillons dans un album : des trophées à manipuler avec précaution10.
3La représentation des lieux cartographiés est caractérisée dans ce passage par une activité plastique et le vocabulaire usité – « Séchés, découpés, compressés, coloriés, annotés » – pourrait être celui d’un artiste contemporain désignant la manière dont il travaille les matériaux qui composent son œuvre. L’assimilation des lieux à des « trophées » nous ramène indirectement aux ornements sculpturaux ou picturaux renvoyant aux combats antiques, aux techniques ou aux arts. La singularité du livre de Vasset, sur laquelle nous reviendrons dès le premier mouvement de cet article, tient à ce qu’il se focalise sur les espaces blancs des cartes, sur le vide, délaissant le plein de l’image. Si l’on considère à la suite de Barbara Cassin que l’ekphrasis est « une mise en phrases qui épuise son objet », on peut qualifier de paradoxale l’entreprise qui viserait à « épuiser » un objet évidé. Comment décrire une absence, un manque, une faille ? Que dire sur ces « blancs » ? Ces questions sont d’ordre poïétique et l’émulation mimétique précédemment mentionnée s’appuie dans ce contexte non sur la réussite de la représentation eidétique mais sur ses lacunes. Par sa démarche, Vasset participe d’un renouvellement de l’ekphrasis en déplaçant son objet vers l’invisibilité, vers l’impossibilité de signifier certains lieux. Il rebat littéralement les cartes dont le langage apparaît comme déceptif et propose une ekphrasis paradoxale qui se fonde sur cette défaillance. Il « offre à la vue » de son lecteur ce que l’image a oblitéré, déclenchant chez lui « une émulation mimétique » singulière.
2. Déplacements : la carte « ekphrasée »
4En publiant Un livre blanc. Récit avec cartes, Vasset donne à lire son propre album11, réactivant par la présence même de l’épithète « blanc » l’étymologie du substantif. Toutefois le syntagme « livre blanc » appartient également à un langage technique désignant un fascicule, désormais essentiellement dématérialisé, assimilable à une note de synthèse, parfois à un guide visant à exposer au destinataire les propriétés ou l’usage d’un concept, d’une notion voire d’un outil. Ce support de communication privilégie la concision, le style elliptique. Le sous-titre « récit », entendu comme genre narratif, semble dès lors introduire une tension avec la fonctionnalité du « livre blanc ». Le titre et le sous-titre affichent la nature topologique et topographique du livre en s’en tenant à des catégories générales, et rien n’est dit de la manière dont récit et cartes s’articulent. Le livre comporte des cartes, mais comment « se comportent » ces cartes ? Quelles relations l’écrit entretient-il avec ces images fonctionnelles ? Ces questions permettent d’appréhender l’ekphrasis cartographique telle qu’elle s’actualise dans l’ouvrage de Vasset dans des jeux d’interaction.
5Il est rare que des documents scientifiques accompagnent les descriptions cartographiques ; et on pourrait penser que la présence de fac-similés de cartes IGN dans Un Livre blanc fait obstacle à l’ekphrasis, ou tout au moins à sa part fantasmagorique. Précisons cependant qu’il s’agit de dix-sept fragments et non des cartes reproduites dans leur intégralité. Ces détails se focalisent sur des espaces restreints sans les inscrire dans un ensemble. Leur origine, leur échelle, la légende des symboles qui les composent ne sont pas mentionnés. On peut certes par une fréquentation antérieure des cartes identifier un édifice religieux, un cimetière… mais le cadrage de la reproduction qui valorise le blanc placé au centre de l’image montre bien que cette identification n’a pas d’intérêt dans le dispositif retenu. Ces fac-similés négligent leur valeur informative, et les mots placés en leurs bordures sont allègrement coupés. Ainsi le premier fragment présente sur son côté gauche un « illiers » et sur son côté droit un « interdép » (p. 11). L’agrandissement implique une réduction de la fonction référentielle ; et la précision n’apporte pas un surcroît d’information mais une déterritorialisation. Ces détails se placent à l’écart du langage cartographique habituel et sortent du système sémiologique global de la carte. À ce titre, si l’on conçoit le langage dans son acception la plus large, au-delà du champ verbal, on peut poser l’hypothèse que ces détails sont en eux-mêmes des « ekphrasis cartographiques ». Georges Didi-Huberman dans Aperçues revenant sur l’ekphrasis homérique souligne en effet combien ce moment de concentration est une rupture et une ouverture, « une sortie du discours hors de lui-même » :
Dans le « phrasé » historico-épique de l’Iliade, Homère aura donc inséré une « ekphrase » qui sort de l’histoire, qui arrête tout et qui vient se concentrer sur les mille et un motifs, les nuances et les brillances, les détails et les vertus, d’un seul bouclier. La phrasis désigne le discours en tant que tel, l’acte d’exprimer quelque chose par la parole ou par l’écrit. Une ekphrasis sera donc l’ouverture, la sortie du discours hors de lui-même en vue de décrire quelque chose qui semblait d’abord impossible à exprimer12.
6L’idée de sortie hors de l’histoire, du narratif qui fonde l’« ekphrase homérique » peut ainsi être transposée à ces détails des cartes qui s’extraient de l’ordre du discours informatif pour se concentrer sur un propos « autre ». Cette échappée initie une métamorphose. À partir du moment où ils sont « mis en page » et résultent de la composition décidée par l’auteur, les duplicatas cartographiques deviennent des images « de » Philippe Vasset. Ce glissement de l’objectif au subjectif induit le glissement d’un usage épistémique à un usage esthétique de la carte. Pour autant, dans Un Livre blanc, ces détails ne deviennent pas intrinsèquement des œuvres et ne libèrent pas immédiatement une parole. On mesure ici l’écart avec les ekphrasis associées à des œuvres d’art où « la parole issue de l’image » est essentielle ; le philosophe Jean-Luc Nancy, amené à réfléchir sur la notion, va jusqu’à définir l’ekphrasis comme cette parole, « non pas celle que nous pouvons prononcer à propos de [l’image] mais celle qu’elle nous propose ou suggère elle-même13 ». Cette ekphrasis parlante « va de l’image à l’image14 ».
7C’est un parcours bien différent que nous propose Vasset : d’abord frappé par le silence de la carte et mû par le désir si ce n’est de le combler du moins de le « soulever », il se rend sur les lieux, les arpente et leur attribue alors une tout autre « légende » nourrie de son immersion. L’extraction hors du langage cartographique est suivie d’une inscription au cœur du récit. Ces détails sont reproduits sur la totalité de la page et encadrés des mêmes marges qui délimitent le texte. La similitude de la disposition participe d’une intégration des images au récit, de telle sorte que la sortie hors du langage cartographique s’accompagne d’une incorporation à la « phrasis » littéraire pour former un langage intermédial. Au sein de ce nouveau langage, ces détails fonctionnent comme des inserts non pas liés à d’autres supports iconiques mais au flux verbal. La pagination continue concrétise cette assimilation : les sections des cartes IGN ne sont pas des annexes et sont constitutives du phrasé de Vasset. Indifféremment reproduites au recto ou au verso des feuilles, elles surgissent parfois au milieu du discours. La dernière phrase de la page s’interrompt et l’œil glisse sur la carte de la page suivante, pour retrouver deux pages plus loin la continuité syntaxique. Parfois, l’unité phrastique n’est pas brisée mais la carte se place pareillement au cœur du discours ; ainsi certains toponymes présents dans le texte permettent d’identifier leur mention incomplète sur la carte, le « CHEVI » de la carte 5 (p. 42) ne pourrait être compris sans la mention complète du toponyme dans le texte qui précise que la zone explorée se trouve « en face du marché d’intérêt national de Paris-Rungis, entre l’A6a et le cimetière de Chevilly-Larue » (p. 41). La carte « ekphrasée » dessine ainsi un ailleurs du langage tout en s’ajointant au texte. Nous retrouvons l’idée énoncée précédemment que l’ekphrasis cartographique est moins un objet qu’un rapport, une relation déterminée par l’échange réciproque entre carte et texte.
8Isolés, ces « détails » ne « parlent » pas ; intégrés, ils composent un « récit ». Outre leur statut fragmentaire qui constitue une forme particulière d’ekphrasis, chacun se centre sur les « zones vierges » (p. 10) qui ont attiré l’attention de Vasset au point d’être à l’origine de son projet :
Pendant un an, j’ai donc entrepris d’explorer la cinquantaine de zones blanches figurant sur la carte no 2314 OT de l’Institut géographique national, qui couvre Paris et sa banlieue. (p.10)
9Le déplacement est multiple ; il renvoie, au sens propre, à celui de Vasset, adepte de la « promenadologie15 », qui explore ces lieux « figurés » ; il renvoie à la manière dont chaque « détail » résulte d’un décentrement, puisqu’il se focalise sur ces zones qui sont habituellement à la marge. L’intérêt de celui qui lit et décrit la carte se porte, et se transporte, sur ces lieux de l’écart. Le goût de l’écrivain pour les espaces relégués est d’ailleurs une constante de son œuvre qui oscille entre essai, autobiographie et fiction. Dans son roman La Conjuration, le narrateur fait entendre des accents très proches de ceux du « JE » qui régit Un Livre blanc :
[…] je me replongeai dans des cahiers où, depuis l’adolescence, je collectionne les lieux comme autant de plantes séchées, avec une préférence marquée pour l’inutile, le caché et le transitoire16.
10Tel un Rousseau contemporain, préférant le labyrinthe urbain à l’escarpement des montagnes, Vasset ramasse, collecte pour créer son propre album ; il n’ambitionne pas de faire œuvre de savant mais entend faire œuvre d’écrivain, le « terrain vague » devenant son lieu de prédilection. Il réactive le pouvoir suggestif de l’expression « terrain vague » en élaborant son texte comme un entre-deux qui fonde l’ekphrasis relationnelle. Le caractère intermédiaire de ce lieu le définit et détermine son usage au sein de la littérature contemporaine ce dont témoigne le titre même de l’article que Wolfram Nitsch lui consacre, « Terrain vague : Poétique des espaces urbains intermédiaires dans la littérature française contemporaine17 ». Un des usages du syntagme permet de qualifier le cimetière de Chevilly-Larue18, or la description des lieux composés de « chemin », « forêt de poche », « sous-bois », « clairières19 » est étonnamment bucolique, ce qui correspond fort peu à l’idée que l’on se fait du terrain vague. La perception du promeneur qui signale la perfection de cet agencement naturel20 appelle plus l’image du locus amoenus que celle du terrain vague. Pour autant, il s’agit d’un lieu qui cultive – dans ce contexte, le verbe s’impose – l’écart tout autant qu’il est à l’écart. L’ekphrasis relationnelle est en l’occurrence « tensionnelle » : en face du paragraphe agreste de la page 43 se tient le détail de la carte traversé par les réseaux autoroutiers, marqué par l’entrelac complexe des échangeurs. L’inadéquation entre cette densité où l’œil du lecteur se perd et l’agrément pastoral que révèle le texte constitue l’ekphrasis. En définitive, dans le récit de Vasset, l’épithète « vague », plus encore que les propriétés du terrain, qualifie les discours verbal et cartographique tenus à son propos, leur inadaptation, leur insuffisance, voire leur fragilité :
Les cartes étaient en effet singulièrement démunies pour décrire les lieux qui m’intéressaient : les seuls signes dont elles disposaient étaient l’à-plat grisé des « bâtiments ordinaires » – les hachures de la même teinte désignaient « les hangars et ateliers » –, les pointillés des « routes irrégulièrement entretenues » et des « sentiers », les courbes orange des « levées de terre », et puis ces lignes toutes simples, fines et continues, qui indiquaient des « détails linéaires non identifiés ». Aveux d’impuissance plus que symboles, ces traits bornaient les régions les moins fiables des cartes […]. (p. 53)
11Le commentaire pointe l’inefficacité des symboles du langage cartographique, or l’ekphrasis, du moins originellement, a précisément pour fonction de décrypter, comme le rappelle Bernard Vouilloux, de déchiffrer « des symboles qui tissent de mystère les apparences du monde sensible. […] il s’agit de faire lever le sens caché des apparences21 ». L’ekphrasis est donc à rattacher à une herméneutique qui tourne court si les symboles perdent leur efficacité et leur aura. Ces zones, parce que ne pouvant être symbolisées, induisent alors une suspension du geste cartographique et un renoncement à transcrire une réalité complexe :
Plutôt que de surcharger le dessin et d’en rompre les proportions avec des symboles compliqués, les cartographes laissent parfois certaines zones vierges. (p. 10)
12Les dix-sept détails se concentrent sur cette insuffisance, cet épuisement du langage cartographique dont les rectangles blancs sont la trace. La carte est là encore « ekphrasée », comme absorbée dans ce trou blanc où s’abîme sa fonction. Didi-Huberman définit l’objet de l’ekphrasis comme ce « quelque chose qui semblait d’abord impossible à exprimer » ; à partir du travail de Vasset, on pourrait le concevoir comme ce quelque chose qui est d’abord inexprimé. Sa démarche, dans les deux sens du terme, constitue en effet un défi rhétorique en réponse au silence des rectangles vides du plan. Ces zones que le cartographe laisse en blanc, couvre de blanc ou désigne de blanc sont pour Vasset une provocation, entendue à la fois comme un refus et un appel. Les cartes passent sous silence des lieux relégués, et lui passe derrière le silence, de l’autre côté.
Avant que quoi que ce soit n’apparaisse, on ne voit que des murs et des clôtures. La carte dit qu’il n’y a rien derrière, mais difficile de la croire : si ces zones sont effectivement vierges, pourquoi cette débauche de protections ? (p. 13)
13Vasset ouvre une brèche et passe littérairement outre. Passer derrière, de l’autre côté ne signifie pas, tout au moins au départ, seulement éprouver le réel, bien au contraire, c’est sous le signe du merveilleux, du pouvoir suggestif de la carte, que débutent les visites, et Vasset mentionne les « mystères espérés » (p. 18). Le non-dit de ces zones blanches ne débouche pas sur des « non-lieux », mais au contraire sur des lieux qui s’affirment et se distinguent parce qu’ils offrent « un surplus d’inconnu » (p. 103). Ces « lieux vides et flous » (p. 103) sont dotés de cette « charge utopique » des terrains vagues dont parle Wolfram Nitsch dans son article22. Reste que ce merveilleux résulte de la disposition du sujet : Vasset se présente en effet comme « la tête pleine de trompe-l’œil et d’illusions23 ». Sur le terrain, d’autres perceptions s’imposent qui le conduisent à modifier son projet, à opérer une autre forme de déplacement :
Au bout de deux mois, j’avais complètement abandonné l’idée de faire apparaître la moindre parcelle de merveilleux […] » (p. 22)
14Plus qu’un explorateur, Vasset serait en définitive un passeur, celui qui effectue le passage de la carte au réel qu’elle ne parvient pas à désigner, mais que Vasset investit au travers de son propre langage. Il est en quelque sorte l’agent qui fait exister cet objet relationnel que nous nommons « ekphrasis cartographique ». Son discours est ce trait d’union entre ces deux espaces qui ne sauraient, en toute logique, communiquer, et que pourtant son regard relie :
Une fois sur place, on découvre un terrain herbu, coupé en deux dans le sens de la hauteur par des rails rouillés et que jouxtent des bâtiments coloriés sur la carte du bleu des « sites industriels en activité ». (p. 57)
15Mais ce passage qu’il opère n’est pas sans ambiguïté et nécessite une torsion des représentations. Ainsi certaines formules ressortissent de la métonymie substituant à un élément du réel un élément du plan : « Le premier site que j’ai visité est un rectangle mince et immaculé situé à l’extrême nord du XIXe arrondissement […] » (p. 13). « Le rectangle mince et immaculé » est évidemment une figure que nul visiteur ne saurait arpenter mais le déplacement rhétorique est l’expression même du passage. Au reste se distingue ici une forme singulière de métalepse24 qui, dans le champ narratologique, se caractérise par la confusion entre le niveau de la narration et celui des événements narrés. On pourrait en effet parler de métalepse intermédiale dans la mesure où les propos du narrateur ne distinguent pas l’espace de la carte et celui du monde. Dans l’ensemble du récit, le procédé connaît différentes variations, se manifestant à l’intérieur d’une phrase ou se développant dans un paragraphe comme dans l’exemple ci-dessous :
Chaque expédition se déployait comme un atterrissage. Avant de partir, il n’y avait sur la carte, que des formes abstraites et des à-plats colorés comme un paysage que la distance fige mais, au fur et à mesure que j’approchais, tout s’animait. […]. Sur ce fond mouvant, j’ajustai le cadre laissé vide par la carte, espérant que l’invisible s’y manifeste. (p. 33)
16L’usage du verbe « déployer » pour introduire le déroulé de l’aventure sur le terrain renvoie au dépliement de la carte. La comparaison avec l’atterrissage établit une continuité du point de vue, l’acuité du regard dépendant de la proximité progressive ; de manière performative, le propos efface les frontières entre l’objet et le support de la représentation. L’expédition commence « sur la carte » pour atteindre le « fond », terme désignant dans cet extrait les lieux réels alors qu’il est fréquemment associé à la carte. Le narrateur lie, par un geste dont on serait bien en peine de définir précisément la teneur – de quelle nature est cet ajustement ? –, le « fond mouvant » du monde et le fond évidé de la carte.
17Des différentes figures de « déplacements », nous sommes passée à l’effacement des frontières entre carte et texte, et de l’ekphrasis du manque, à savoir la description des espaces que la carte désigne par un simple blanc, nous nous proposons de passer à l’ekphrasis manquante, c’est-à-dire à l’épuisement même du processus de description.
3. De l’ekphrasis à l’ekphrase : poïétique de la carte
18Pas plus que la réalité représentée par les rectangles blancs n’est visible, les descriptions des lieux explorés ne sont en définitive lisibles. Dans l’économie générale de l’ekphrasis, l’absence de support originel, son inexistence ou son invisibilité, sont courantes et la description d’œuvres imaginaires comme le rappelle Bernard Vouilloux engendre des morceaux de bravoure en « favoris[ant] la prolifération des topoi au détriment de l’observation de la chose même : le texte en vient à exemplifier sa propre virtuosité littéraire et à reléguer au second plan les particularités de l’objet décrit25 ». Il y a là une forme d’émulation et d’expansion ekphrastiques. Dans le cas d’Un livre blanc, on assiste au contraire à un processus d’effacement, de désagrégation ; loin d’éprouver sa virtuosité, le texte se trouve sans cesse empêché, de là l’expression de cette ekphrasis tensionnelle dont nous avons précédemment parlé. On pourrait penser qu’il s’agit pour Vasset de concevoir ce que l’on s’autorisera à nommer des « contre-cartes » en réponse aux manques constatés, mais les matériaux qu’il rassemble sont simplement mentionnés sans parvenir à composer un texte opposable au blanc et au silence. À plusieurs reprises, l’écrivain signale d’ailleurs la difficulté de cette tâche inaboutie :
J’écrivais comme on shoote dans des boîtes de conserve, lançant des phrases contre tout ce qui apparaissait. Je notais les trajectoires (glissement à gauche/craquement à droite) et ce qui fuyait à l’extrême limite de la vision (éclats, ombre, couleur). Ça a produit des liasses de feuilles griffonnées que je me promets régulièrement de classer, sans jamais pouvoir toutefois m’y résoudre. (p. 55)
19Le relevé se focalise sur des éléments qui ne sont pas pris en compte par les cartes, les propos parenthétiques mettant en valeur le renouvellement de la méthodologie et sa distinction des pratiques scientifiques habituelles. Cependant, il ne s’agit pas d’un simple relevé, le passage s’ouvre en effet sur l’expression d’une singulière méthode d’écriture caractérisée par la comparaison « comme on shoote dans des boîtes de conserve », geste qui nécessairement repousse toujours plus loin son objet. Cette écriture-tir serait alors un mouvement désinvolte assimilable elle aussi à une trajectoire. Le comparant n’est d’ailleurs pas anodin : « les boîtes de conserve » sont propres à joncher le sol des terrains vagues, dès lors l’écriture est à l’image des lieux actualisant cette « émulation mimétique » évoquée au début de cet article. Toutefois, quelques pages plus loin, nous apprenons que le narrateur rapporte une multitude d’objets lors de ses excursions mais « pas la moindre boîte de conserve » (p. 60). En définitive l’enjeu est dans le « shoot », l’écriture tend « vers » en dépit même de l’absence de son objet. On retrouve l’ambivalence de la tension, à la fois « cheminement vers » et friction, ce que met tout particulièrement en exergue l’usage de la préposition « contre ». L’ekphrasis relationnelle est bien tensionnelle, elle se développe dans cette zone de conflit où le scripteur – comme il le dit lui-même – lance les phrases « contre tout ce qui apparaissait ».
20Pas plus que l’arpenteur trouve de boîte de conserve, le lecteur n’a accès à ces « liasses de feuilles griffonnées ». Les notes, les « relevés », les « plans sommaires » (p. 35) lui échappent comme l’entreprise semble elle-même échapper à celui qui a cru un temps pouvoir pratiquer une « géographie parallèle, alternative, à rebours de la science officielle » (p. 35-36) :
Malgré leur extrême précision, mes notes peinaient à rendre compte de la configuration exacte des lieux visités. […] De ce patient recensement n’émergeait, à la relecture, qu’un ou deux faits saillants : le reste se désagrégeait. (p. 39)
21L’« extrême précision » des notes peut faire penser à la caractérisation de l’ekphrasis dans l’article de B. Cassin où elle parle de « descriptions minutieuses et complètes26 ». Mais alors que l’ekphrasis suppose une ambition d’exhaustivité recherchant l’intensité de l’évidence pour rendre visible l’objet décrit, dans Un livre blanc l’ekphrasis cartographique repose sur l’évidement, sur un épuisement originel de la carte et sur une « fuite » en avant de la description que le lecteur n’a jamais directement sous les yeux. Des notes précises et pourtant jugées défaillantes par son auteur, le lecteur ne peut prendre connaissance. Nous avons précédemment évoqué une démultiplication des déplacements, et l’on peut parler désormais d’un décalage permanent, à tel point que l’ekphrasis cartographique se mue en compte rendu d’un échec, et la description déceptive devient la description d’une déception, une déception cependant nécessaire. Les imperfections de la contre-carte nécessitent en effet elles-mêmes un commentaire ou un complément, elles aussi sont dès lors une provocation. Les signes se déplacent, se métaphorisent, se singularisent ; et l’album se teinte de noir dans des jeux d’ombre et de lumière que la carte IGN n’a pas vocation à capter :
Esquissés à la va-vite, mes plans
ressemblaient à ces grilles que l’on trace sans
réfléchir tout en téléphonant : y reconnaître des
éléments était souvent une gageure. Ainsi sur ce
dessin, les angles obtus figurent non des
bâtiments, mais la zone éclairée par les
lampadaires. La nuit, le terrain représenté était
en effet plongé dans une obscurité quasi totale
et l’éclairage urbain formait un glacis lumineux.
La sensation d’invisibilité y était puissante : on
était dans l’ombre comme derrière une glace
sans tain et l’on pouvait marcher à côté des
passants et écouter leurs conversations sans qu’ils
vous voient. (p. 51)
22La description du dessin met en exergue les signes que les cartes négligent, c’est-à-dire, comme le dit lui-même Vasset, ce qui fuit « à l’extrême limite de la vision (éclats, ombre, couleur) » (p. 55). Or cet objet de fuite, ces lignes de fuite ouvrent des perspectives esthétiques : la connotation technique du terme « glacis lumineux » confère à l’éclairage urbain une dimension picturale.
23Cet aperçu d’une contre-carte, d’un plan assez « vague » qui s’écarte du langage cartographique est de surcroît à l’écart du texte que le lecteur parcourt. Ce développement constitue en effet l’intégralité d’un paragraphe dont la disposition particulière (ci-dessus reproduite à l’identique de l’édition Fayard) l’intègre à une série de notules toutes en italique et alignées à droite. Ces paragraphes qui scandent le texte abordent des thématiques hétérogènes, plusieurs portent sur des photos et viennent nourrir l’ekphrasis intermédiale. Ces fragments se détachent par leur mise en page tout en faisant écho au reste du texte qui progresse par unités distinctes, par sections que délimitent des zones plus ou moins importantes de blanc. Ils sont autant de « détails » de telle sorte que l’on pourrait parler d’une ekphrasis diffractée, « épuisée » en somme… même si cet épuisement n’a rien à voir avec l’ambition d’exhaustivité citée plus haut. Ils sont autant de « détails » qui entretiennent des liens flottants avec le récit, et s’ils sont en relation avec le propos, on ne sait pas exactement quelle est la nature de ce lien. À la conscience de cet écho se superpose le sentiment d’un détachement, l’italique affichant délibérément une différence. Ce dispositif peut être rapproché de l’« ouverture » dont parle Didi-Huberman dans la citation précédemment évoquée, à cette « sortie du discours hors de lui-même en vue de décrire quelque chose qui semblait d’abord impossible à exprimer » (ibid.). Cela dit, ces « ek-phrasis » font encore pour la plupart état d’une insuffisance et d’une déception. Ainsi les plans sont à peine esquissés, les photographies sont « inutilisable(s) » (p. 32) et ces fragments de la contre-carte ne disent pas plus sur les lieux que la carte n° 2314 OT… Le récit de Vasset s’inscrit dans un mouvement particulièrement prégnant en ce début du XXIe siècle d’une poïétique déceptive de la carte qu’investissent de nombreuses propositions artistiques. Ainsi l’invisibilité des photographies est à mettre en parallèle avec l’invisibilité de l’écrit qui caractérise l’ouvrage Impressions de France27 du plasticien Alain Bublex, dont Julie Noirot décrit ainsi le dispositif :
Dépourvu de textes jusqu’à un titre absent de la couverture, le livre oscille entre le livre d’artiste et l’ouvrage savant, il rassemble plusieurs photographies du pays et des cartes de France sans légendes28.
24Vasset comme Bublex se rapprochent du champ scientifique moins pour établir dans leurs ouvrages respectifs des connaissances que pour mettre en place des dispositifs qui visent à renouveler le regard, le leur comme celui du spectateur. Cette « sortie du discours » – cette « ek-phrase » – privilégie pareillement l’inachèvement et présente l’œuvre ouverte29 comme une partition30. Non seulement Vasset s’explique sur sa poïétique dans de nombreux passages métalittéraires, mais il envisage même « une nouvelle discipline artistique, faite d’énoncés et de formules » (p. 54).
25Quoique le monde visible ne se laisse pas aisément saisir, quoique les cartes, les plans, les photographies, les textes soient toujours déceptifs, l’entreprise n’est pas vaine. La réticence du monde visible renouvelle son pouvoir d’attraction, détermine une exigence salvatrice et doit être perçue comme une « chance » mise en évidence par Didi-Huberman :
Ce que le monde visible propose à l’écriture, c’est une chance de former des « ekphrases », des phrases qui sortent d’elles-mêmes et nous sortent des conventions où le discours tend si souvent à se reposer. Bien sûr, « sortir de la phrase » ne va pas sans risques […]. Mais de tels risques forment, sans doute, le prix à payer, non seulement pour que des choses aperçues aient quelque chance de trouver leur place dans la langue, mais encore pour que nos phrases trop entendues aient, symétriquement, quelque chance de trouver leurs propres sorties poétiques31.
26Ces « phrases trop entendues » qui exigent une « sortie poétique » sont à mettre en relation avec cette « musique d’ambiance moulinée par la télévision et les magazines, pâte grise égalisant les surfaces, arrondissant les angles et bouchant les fissures » (p. 103) que déplore Vasset et qui le conduit à ces espaces faillis, déchus. Dans les va-et-vient qu’opère Vasset entre les espaces de représentation et les espaces dits représentés, le monde visible initie bel et bien une remise en question des langages, « une ekphrase », et le livre rend compte de l’expérimentation dans la page de nouveaux lieux d’expression. S’il est nécessaire de rebattre les cartes, de les refermer sur leur défaillance ou de les réécrire, il est tout aussi nécessaire de « rabattre le texte sur l’espace nu » :
Pour ancrer plus profondément le texte dans le sol, la tentation était forte de transformer chaque zone blanche en un petit théâtre où se succèderaient saynètes et personnages. Mais une telle pratique aurait vidé les lieux de leur étrangeté et il fallait sans cesse rabattre le texte sur l’espace nu, sans direction, et empêcher la chaîne du récit de se refermer la laissant battre contre le flanc des choses. (p. 39)
27Laisser « battre le récit contre le flanc des choses » suppose que les descriptions soient en permanence traversées par des sorties du discours comme on parle de « sorties de route ». Ces sorties prennent différentes formes et nous en avons déjà convoquées certaines ; elles sont souvent de l’ordre de l’écart que manifestent l’italique ou l’alignement à droite, elles procèdent également de la démultiplication des propos parenthétiques32 et des commentaires. Au-delà de la forme même du texte, elles résultent de l’attitude auctoriale assimilable à une performance33 mêlant texte et intervention sur les lieux. Aussi bien la description devient-elle « collecte » et l’écrivain un glaneur qui projette de travailler cette matière, et rapporte « des débris de magazines et de prospectus pieusement recueillis dans un sac plastique afin de les assembler en collage une fois rentré (projet jamais mené à bien) [...] » (p. 60). Cette idée de collage est aussi à l’œuvre dans la chimère – idéal de l’ekphrasis cartographique ? – qui essaie « de faire fusionner carte et texte » (p. 92), dont Vasset transcrit une infime partie dans son livre, l’original recouvrant « une feuille de quatre mètres sur trois » (p. 93). Cette chimère intitulée « Pointillés » se déploie en une succession de substantifs cherchant à « consign[er] et agenc[er] tous les éléments d’un quartier du XIXe arrondissement de Paris » :
Trottoir Trottoir Trottoir Trottoir
Rue Rue Rue Rue Rue Rue Rue Rue
Trottoir Trottoir Trottoir Trottoir
Maison Jardin Allée Jardin Maison
Garage Dalle Allée Jardin Maison
[…] (p. 93)
28Par les dimensions de son support, le poème « Pointillés » occupe l’espace à défaut de le décrire, et le lecteur est invité à imaginer ce que serait l’entièreté de cette cartographie lexicale plus propre à être exposée que publiée.
29On peut également rattacher les lectures publiques faites par Vasset à des performances qui du reste participent d’une autre forme d’ekphrasis cartographique. Cette dernière rejoint la portée poétique de la liste, elle-même tout à la fois située à la marge de la littérature et constituant une forme à part entière :
[…] plutôt que de lire des extraits d’Un livre blanc, j’ai souvent lu la légende de cartes utilisées pour mes explorations, image en négatif des aires parcourues. Énoncer la totalité des éléments dotés d’un symbole sur les cartes prend près d’un quart d’heure et, à écouter la litanie des points géodésiques, des tours isolées, des moulins à vent, des éoliennes et des cheminées, des monuments, des stèles et des ruines en passant par les chemins de fer à voie étroite, les voies de garage, les voies ferrées hors service, abandonnées, déposées et en tunnel ainsi que les routes à deux chaussées séparées, les routes de très bonne viabilité, de bonne viabilité, de moyenne viabilité et irrégulièrement entretenues, on a du mal à imaginer qu’il subsiste, sur la marqueterie de couleurs et de signes de la carte, des aires privées de représentation34.
30À l’issue de ce parcours au sein du Livre blanc de Vasset, on peut mesurer combien l’ekphrasis cartographique est en effet intermédiale, embrassant différents supports et différentes interventions, oscillant entre l’enquête et la proposition artistique. L’effacement des frontières entre espace représenté et de représentation ne participe pas d’un nivellement mais au contraire de la recherche d’une forme qui tient au volume, qui comprend le vide, le mouvement et le souffle. Ce texte ancré dans ces zones, ces territoires, fait le pari d’être formellement et pragmatiquement éthéré, maintenant jusqu’au bout le blanc et ses silences, de telle sorte que l’ekphrasis cartographique est plus poétique que rhétorique, toujours « ouverte », refusant de « verrouiller » le monde. Et nous pouvons convoquer pour précisément ouvrir notre réflexion sur les cartes ce propos de Bertrand Westphal qui dans La Cage des Méridiens remarque qu’« il n’est pas de meilleure manière de verrouiller le monde que d’en surveiller la parole poétique et d’en verrouiller la carte35 », propos qui résonne comme une invitation à défendre leur liberté et leur ouverture communes.
Notes
1 Dainville (J.) et Donckier de Donceel (L.), « Les usages de l’ekphrasis. Introduction », Exercices de rhétorique, n° 17, 2021, en ligne, http://journals.openedition.org/rhetorique/124, consulté le 16/12/2022.
2 Cassin (B.), article « Description », Le Seuil, Dictionnaires le Robert, 2019, en ligne, https://vep.lerobert.com/Pages_HTML/$DESCRIPTION1.HTM, consulté le 26/08/2023.
3 Ibid.
4 Iliade, XVIII, p. 478-617. Cité par B. Cassin.
5 Idem, p. 466. Cité par B. Cassin.
6 « L’histoire de la cartographie est à la fois celle d’un langage spécifique, qui a ses propres règles, et celle d’une technique de représentation d’autre chose. », Lévy (J.), Maitre (O.), Romany (T.), « Rebattre les cartes », Réseaux, n° 195, 2016 (1), en ligne, https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RES_195_0015, La Découverte, p. 17-52, consulté le 16/12/2022.
7 Ibid.
8 « Une carte est, dans son principe, un objet spatialement double : il rend compte d’un espace existant grâce à la production d’un autre espace. Cela signifie que la relation topologie/topographie s’y manifeste pour une part dans son rapport de représentation (référent/référé), mais pour une autre part dans la carte comme réalité autonome (autoréférence). » (« Rebattre les cartes », art.cit.)
9 Michel Collot l’a bien montré dans l’article qu’il a consacré aux « Usages littéraires de la carte », in Cartographier : Regards croisés sur les pratiques littéraires et philosophiques contemporaines, sous la direction d’Ost (I.), Bruxelles, Presses de l’Université Saint-Louis, 2018, en ligne, http://books.openedition.org/pusl/4415, consulté le 16/12/2022.
10 Un Livre blanc, Paris, Fayard, 2007, p. 9. Désormais les références de page seront indiquées entre parenthèses.
11 L’étymologie d’« album » renvoyant en effet à la couleur blanche (cf. Cnrtl).
12 Didi-Huberman (G.), « Aperçues », in Toucher des yeux. Nouvelles poétiques de l’ekphrasis, volume 51, n° 2, 2015, p. 47-67, en ligne, id.erudit.org/iderudit/1031228ar, consulté le 16/12/2022.
13 Nancy (J. L.), « Ekphrasis », in Toucher des yeux. Nouvelles poétiques de l’ekphrasis, op. cit., p. 25-35.
14 Ibid.
15 Wolfram Nitsch présente Lucius Burckhardt comme le fondateur de la « promenadologie » [Lucius Burckhardt, « Spaziergangswissenschaft » [1995], dans Warum ist Landschaft schön? Die Spaziergangswissenschaft, Cassel, Schmitz, 2006, p. 257-300] et la caractérise comme « la fréquentation volontaire des zones blanches, mais surtout leur exploration au moyen de cartes topographiques ainsi que leur relevé au moyen de carnets de notes et d’esquisses ou de médias techniques comme l’appareil photo et le magnétophone. » (Nitsch (W.), « Terrain vague : Poétique des espaces urbains intermédiaires dans la littérature française contemporaine », Viatica, n° 2, 2015, en ligne, http://revues-msh.uca.fr/viatica/index.php?id=518, consulté le 22/04/2023).
16 La Conjuration, Paris, Fayard, 2013, p. 16.
17 Nitsch (W.), « Terrain vague : Poétique des espaces urbains intermédiaires dans la littérature française contemporaine », art. cit.
18 « De construction récente, le cimetière de Chevilly-Larue a lui-même des allures de terrain vague : les tombes occupent à peine la moitié de sa surface. » (p. 43).
19 Ibid.
20 « Tout est tellement parfait que le paysage paraît artificiel, un peu comme ces jardins anglais qui reproduisent avec minutie la nature à l’état sauvage. », ibid.
21 Vouilloux (B.), « La description de l’œuvre d’art : un double défi pour la sémiotique du texte littéraire », Signata, n° 5, 2014, en ligne, http://journals.openedition.org/signata/467, consulté le 15/12/2022.
22 Nitsch (W.), « Terrain vague : Poétique des espaces urbains intermédiaires dans la littérature française contemporaine », art. cit.
23 La propension du « je » au merveilleux est signalée à plusieurs reprises : « Je pensais sans cesse à l’Abbaye de l’Attrape du magicien Robert-Houdin et à ses jardins peuplés de pièges et d’automates apparaissant et disparaissant sous les yeux des promeneurs. La tête pleine de trompe l’œil et d’illusions, j’ai fini par tomber, au fond du petit bois, sur un abri de bâches translucides perlées d’humidité ». (p. 44).
24 Voir par exemple à ce sujet Genette (G.), Métalepse. De la figure à la fiction, Paris, Seuil, 2004.
25 Vouilloux (B.), « La description de l’œuvre d’art : un double défi pour la sémiotique du texte littéraire », art. cit.
26 Cassin (B.), « Description », art. cit.
27 Bublex (A.), Impressions de France, Caen, Presses Universitaires de Caen, 2014.
28 Noirot (J.), « 21. Du dépaysement au “dépaysagement”. La France de Raymond Depardon et Impressions de France d’Alain Bublex », in La France en albums (XIXe-XXIe siècles), sous la direction de Antoine (Ph.), Paris, Hermann, Colloque de Cerisy, 2017, p. 293-305, en ligne, https://www.cairn.info/la-france-en-albums--9782705694432-page-293.htm, consulté le 22/04/2023.
29 Vasset explique que son fantasme du collectif a dicté « la forme ouverte » de son texte (p. 54).
30 Julie Noirot parle ainsi d’« un parti pris esthétique plus proche de la partition que de l’improvisation […] perceptible dans la mise en page, reposant sur un principe de variation et de dispersion des images sur la page qui laissent une place décisive au blanc […] », ibid.
31 Didi-Huberman (G.), Aperçues, op. cit.
32 « (Moi je venais sur les friches non pas pour y vider mon sac mais, plus fondamentalement, parce que j’assimilais, dans les bouches, sur les écrans, le mot, la parole au déchet. Généré automatiquement, proliférant, le texte était ce nuage toxique qui nimbait les villes et noircissait les monuments et dont je souhaitais, confusément, étendre l’emprise jusqu’à obtenir un réel saturé de sens, irisé et lourd comme ces flaques de détergent dans lesquelles je mettais régulièrement les pieds.) » (p. 59-60).
33 Cette dimension est ainsi signalée dans l’article que Bernard Vouilloux consacre au « roman de l’artiste » : « Coexistent de fait aussi bien des fictions qui inscrivent leur intrigue et leurs personnages dans la descendance du roman réaliste que des textes dont le projet d’écriture repose sur des procédures (l’enquête) ou des protocoles (l’exposition) qui sont récurrents dans l’art contemporain, comme Zones blanches [sic] (2007) de Philippe Vasset, où celui-ci explore les zones laissées vacantes par les cartes géographiques […] », Vouilloux (B.), « Le roman de l’artiste aux frontières des genres et des représentations », Revue de littérature comparée, Klincksieck, 2016 (2), n° 358, p. 161-172, en ligne, https://www.cairn.info/revue-de-litterature-comparee-2016-2-page-161.htm, consulté le 10/01/2023.
34 Entretien avec Olivia Rosenthal, La littérature exposée, n° 160, 2010, p. 30-36, en ligne, https://www.cairn.info/revue-litterature-2010-4-page-30.htm, consulté le 10/01/2023.
35 Westphal (B.), La Cage des Méridiens, Paris, Éditions de Minuit, 2016, p. 12.
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About: Claire Olivier
Docteure en littérature, qualifiée MCF section 9, elle est chercheuse associée au laboratoire EHIC de l’Université des Lettres de Limoges, agrégée de lettres modernes, enseignante CPGE au lycée Gay-Lussac, Limoges. Elle a consacré un ouvrage à l’écrivain, photographe, cinéaste et plasticien, Jean-Philippe Toussaint : Les écritures de l’image par Jean-Philippe Toussaint, Expérimentation et sémentation au XXIe siècle (éditions Brill/Rodopi, Leiden/ Boston, 2021). Elle a également publié récemment : « On n’est pas là pour disparaître d’Olivia Ronsenthal ou les voix de la vieillesse », Dalhousie French Studies, N°123, « Représentation de la vieillesse dans les littératures d’expression française du XXIe siècle », dir. Sophie Beaulé et Simona Jisa, 2023 ; « À la loup-e : la petite fille, la maman de la petite fille, la maman de la maman de la petite fille. Le Petit Chaperon rouge selon Joël Pommerat », L’Oiseau bleu, Université de Lille juillet 2022 ; « Dans l’image : pour un mélodrame romanesque », in L’image incertaine, pluralité de l’image dans l’œuvre de Laurent Mauvignier, Sylvie Loignon dir., PSN.